SECONDE PARTIE : COMMENT SIMPLIFIER ?

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - Pour la troisième fois, le Conseil d'État consacre son étude annuelle 2016 à la simplification et à la qualité du droit. Il y a vingt-cinq ans, la première étude consacrée à ce thème, De la sécurité juridique , avait bénéficié de la plume de Françoise Chandernagor, alors rapporteur général, et a marqué les esprits par ses diagnostics et ses formules, dont celle, restée célèbre, de la « loi bavarde ». En 2006, l'étude « Sécurité juridique et complexité du droit » avait préconisé l'institution des études d'impact pour les projets de loi, préconisation suivie par le Parlement qui a inscrit cette obligation dans la Constitution, lors de la réforme constitutionnelle de 2008.

L'étude de cette année, qui sera publiée à l'automne, s'attachera notamment à faire le bilan de cette réforme et à apprécier l'efficacité des dispositifs mis en place par les gouvernements successifs en matière de simplification et de qualité du droit. Le lien entre ces deux notions est d'ailleurs en lui-même l'un des sujets de réflexion qui nous occupent. Le Conseil d'État est donc particulièrement intéressé par cette matinée d'échanges, qui lui permet d'entendre le point de vue du législateur.

Au demeurant, notre étude annuelle s'intéresse non seulement à la loi, mais à l'ensemble des normes qui s'appliquent dans notre pays, y compris celles, de plus en plus nombreuses, qui sont gouvernées par le droit de l'Union européenne. Comme ceux de votre délégation, Madame la présidente, nos travaux s'appuient sur des études comparatives : quatre missions à l'étranger ont été conduites afin d'analyser les politiques de simplification conduites dans d'autres États européens et d'en tirer tous les enseignements utiles pour la France.

Largement répandu en effet, le souci de simplification du droit est également présent dans les institutions de l'Union européenne, qui viennent d'adopter sur ce point des dispositions inscrites dans le nouvel accord interinstitutionnel et auxquelles nous nous intéressons aussi. Force est de constater que dans ce domaine, les dispositifs envisagés par l'Union, ainsi d'ailleurs que ceux, déjà en vigueur, qu'ils ont vocation à remplacer, sont nettement plus robustes et plus contraignants que ceux proposés pour la France par les plus audacieux militants de la simplification.

La problématique de la simplification est donc actuellement au coeur des réflexions du Conseil d'État, que ce soit au sein de ses formations consultatives, qui contribuent à l'élaboration de la norme, ou au sein de ses formations juridictionnelles, dont va parler dans un instant le président de la Section du contentieux.

Avant de lui donner la parole, je tiens à saluer la contribution essentielle du Sénat à la qualité du droit, que pour ma part j'ai pu admirer chaque fois que j'ai eu à me pencher sur les travaux préparatoires d'une loi. L'apport de la chambre haute en matière de précision de la norme et de clarté du droit est déterminant et contribue à me conforter dans l'idée que le Sénat occupe une place essentielle dans nos institutions. Je forme donc des voeux sincères pour que le Sénat et ses services puissent disposer des moyens nécessaires pour poursuivre dans cette voie.

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation aux entreprises . - La simplification du droit est un véritable sujet de préoccupation pour le Sénat, et plus particulièrement pour sa Délégation aux entreprises. La valeur ajoutée de notre Délégation consiste à se placer du point de vue des usagers du droit que sont les entreprises, dépassant ainsi le point de vue quasi régalien des commissions permanentes. Notre Délégation est soucieuse de la qualité de la règle du droit, mais également de sa perception.

Lors de notre déplacement à Londres il y a un an, nous avons été frappés par la démarche volontariste du Royaume-Uni en matière de simplification. Les entrepreneurs français établis outre-Manche que nous y avons rencontrés en ont témoigné. Nous avons pris conscience que la simplification est déjà bien avancée chez plusieurs de nos voisins, et qu'elle est également en marche à l'échelle de l'Union européenne.

C'est pourquoi, au nom de la Délégation, j'ai commandé une étude de législation comparée sur les processus et institutions mis en place au service de la simplification pour les entreprises dans d'autres États européens (Allemagne, Pays-Bas et Suède). Quelles conclusions en tirer pour éclairer notre réflexion ?

De l'étude des cas allemand, néerlandais et suédois, nous pouvons d'abord conclure que la politique de simplification nécessite une forte volonté politique et une détermination à toute épreuve.

Je vous renvoie sur ce point aux extraits des observations formulées par la Cour des comptes suédoise sur les déconvenues enregistrées par les autorités de Stockholm lorsqu'elles ont entrepris de lancer cette politique.

La Cour des comptes allemande a, du reste, formulé des remarques analogues, tandis que l'autorité chargée de la simplification aux Pays-Bas a encore récemment fait une analyse voisine.

L'étude montre également que la simplification, si elle passe par des « trains » de mesures pratiques, ne saurait se limiter à ces initiatives ponctuelles. Certaines mesures de simplification méritent d'être adoptées grâce aux « lois de simplification », qui permettent de s'attaquer au stock de normes. La codification, à laquelle le Conseil d'État contribue de façon si utile, est aussi un moyen de « mettre de l'ordre » dans le stock normatif.

Pour ce qui concerne le flux des normes, la simplification passe par une méthode et, en premier lieu, par une analyse du bilan coûts/avantage des mesures à prendre.

Dans cette perspective, les études d'impact revêtent une importance capitale, comme le montrent les trois exemples étudiés. La fonction des études d'impact est essentielle pour déterminer à la fois l'utilité de la norme et ses conséquences.

Les études d'impact apparaissent donc comme un point de passage obligé pour tout État soucieux de simplification. Toutefois, chaque État rencontre immanquablement de grandes difficultés à réaliser de telles études. D'un avis unanime en Suède et aux Pays-Bas, les études d'impact demeurent lacunaires. Une situation que nous connaissons bien en France, malgré les dispositions de la loi organique du 15 avril 2009 applicables aux études d'impact. Vous trouverez sur ce sujet des données chiffrées tirées des plus récents rapports des autorités de contrôle néerlandaises et suédoises, lesquels ne laissent aucun doute sur le caractère crucial de cet élément.

L'analyse des cas étrangers nous apprend que, pour améliorer la démarche de simplification, il faut s'entendre sur une méthode et mettre en place des processus.

En la matière, nous pourrions probablement nous inspirer des exemples étrangers qui tendent à définir des procédures pour la rédaction des projets de textes et des méthodes quantitatives pour l'analyse de leurs résultats, qu'elle soit ex ante ou ex post . Il reste toujours délicat de mesurer le coût des règles. L'homologue suédois de la Cour des comptes relève ainsi que l'évaluation du coût qui résulte des mesures de lutte contre le travail illégal ignore le bénéfice de ces mesures sur la préservation d'une concurrence loyale entre entreprises.

Nous pouvons en tout cas nous appuyer à la fois sur les bonnes pratiques observées à l'étranger et sur les normes qui ont été élaborées par des experts de divers pays de façon consensuelle au cours de ces dernières années. En ce domaine, l'OCDE a réuni nombre de compétences qui ont permis d'établir un « corps de doctrine », depuis le début des années 2000, afin de déterminer les méthodes, les normes et les pratiques.

On pourrait objecter qu'une approche trop quantitative est nécessairement limitative. Il serait ainsi réducteur de s'en tenir au classement « Doing business » de la Banque Mondiale, qui mesure la qualité et l'efficience du cadre réglementaire selon une approche anglo-saxonne. À n'en pas douter, il est nécessaire d'en tempérer les conclusions au regard de « l'index de la sécurité juridique » qu'a publié en 2015 la Fondation pour le droit continental. Cet index démontre les atouts de notre pays en matière d'accessibilité du droit (grâce à la codification), de prévisibilité (grâce à la hiérarchie des normes et à des compétences prédéfinies du législateur et du juge) et de stabilité.

Il n'en reste pas moins que nous ne pouvons pas rester à l'écart d'un mouvement général qui semble irréversible, au moins dans les pays développés. La qualité d'un système normatif est perçue comme l'un des éléments de sa compétitivité, et s'il n'est pas question de « gouverner par les chiffres », il n'est pas envisageable de refuser de se doter d'instruments de suivi quantifiés du « fardeau » législatif. D'autres pays se sont désormais dotés de tels instruments, qu'il s'agisse d'indices, d'indicateurs ou d'objectifs.

Reste à savoir par qui cette politique doit être mise en oeuvre.

À l'évidence, dans les trois pays auxquels nous nous sommes intéressés, les compétences sont partagées entre une pluralité d'acteurs. Ceci n'est pas sans rappeler la situation française, où notre dispositif de simplification pourrait apparaître, aux yeux d'un observateur étranger, comme aussi touffu qu'un buisson de ronces ! Ainsi, il est possible de mentionner le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), chargé de simplifier les normes en vigueur ; le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), chargé d'étudier l'impact des normes envisagées ; le Conseil de simplification pour les entreprises, auquel collabore la mission simplification du SGMAP, lequel est aussi doté d'un « atelier impact entreprises » qui sollicite les parties prenantes pour mesurer en amont l'effet des nouvelles normes ; ou encore le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), chargé d'évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics... Ces dispositifs de simplification semblent bien complexes. Nous entendons d'ailleurs rencontrer prochainement ces différents acteurs pour y voir plus clair.

Même si la simplification y repose sur plusieurs intervenants, on remarquera que les trois pays étudiés se sont tous dotés d'une autorité ad hoc , quasi indépendante, chargée en particulier de contrôler le contenu des études d'impact et de proposer une méthode et un suivi de la politique de simplification, soit en général (Allemagne, Pays-Bas), soit à l'attention des entreprises (Suède). Or la France ne dispose pas, quelle que soit la qualité du travail réalisé au SGMAP ou au SGG, d'un tel organisme qui pourrait également, comme son homologue suédois, favoriser la « dissémination » d'une culture de la simplification et de l'évaluation. En juillet dernier, le Gouvernement avait bien annoncé la création d'une autorité indépendante chargée d'évaluer les études d'impact et de contrôler l'application du moratoire sur toute nouvelle norme réglementaire en direction des entreprises, mais cette décision est restée en suspens.

Se pose aussi la question du rôle du Parlement dans le processus de simplification. Cela touche d'abord à sa propre mission de législateur, puisqu'il partage avec le Gouvernement l'initiative des lois. Ainsi, faut-il soumettre à étude d'impact les propositions de loi parlementaire, voire demander une étude d'impact pour les amendements les plus « lourds » ? Faut-il aussi introduire un frein à la production législative, par exemple en limitant, comme aux Pays-Bas, les modifications dans chaque domaine, à une seule par législature, ou bien en assurant que le stock de règles diminue à la mesure du flux de nouvelles règles ? La Délégation sénatoriale aux entreprises a déposé en ce sens une proposition de loi constitutionnelle il y a quelques mois, pour empêcher la surtransposition de nos obligations communautaires, mais aussi pour appliquer à la production législative destinée aux entreprises le fameux « one in, one out » britannique - déjà applicable chez nous en matière réglementaire, du fait d'une circulaire de 2013. En outre, la Délégation aux collectivités territoriales a obtenu du Sénat l'adoption, en janvier dernier, d'une proposition symétrique, tendant à compenser toute nouvelle charge ou contrainte pour les collectivités territoriales par la suppression d'une charge ou contrainte d'importance équivalente.

Le Parlement est également concerné dans sa mission de contrôle du Gouvernement, qui exerce le pouvoir réglementaire. C'est à ce titre que la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et la Délégation aux entreprises ont chacune déposé une proposition de résolution tendant à simplifier diverses normes réglementaires.

Le Parlement est enfin concerné au titre de sa mission plus large d'évaluation des politiques publiques. Finalement, le Parlement ne devrait-il pas être le fer de lance d'une évaluation indépendante de la qualité des études d'impact ex ante et des éventuelles études ex post fournies par le Gouvernement ? À la Délégation aux entreprises, nous nous sommes ainsi dotés des moyens de réaliser des études d'impact sur des projets ou propositions de loi, en faisant appel à un réseau d'économistes de l'INSEE. Nous avons également entrepris de consulter les parties prenantes en amont de l'élaboration des règles. Ainsi, notre Délégation consulte aujourd'hui, via Internet, plusieurs centaines d'entreprises qu'elle a rencontrées sur les dispositions du projet de loi travail en vue de son prochain examen au Sénat. Il ne faut pas ignorer le potentiel qu'offre Internet au service de la simplification.

Je soumets ces diverses pistes à votre réflexion. Tels sont, en effet, quelques-uns des enjeux d'une politique qui revêt un caractère désormais inéluctable à mes yeux. Nous devons faire de la simplification non un objectif, mais un processus. Je suis certaine que notre matinée nourrira nos réflexions pour inventer la simplification durable !

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - Plus encore qu'un processus durable, la simplification est une question de culture. Celle-ci ne va pas de soi en France, en dehors du petit cercle des convaincus, auquel appartiennent les intervenants de cette matinée d'étude. La France, mère des lois, des armes et des arts, semble irrésistiblement encline à fabriquer des normes en quantité toujours plus impressionnante, et de plus en plus longues et touffues.

De surcroît, ce phénomène connu est lui-même mal quantifié. Alors même que la France est également la mère des chiffres et qu'elle dispose d'un institut de statistiques compétent et bien doté, les auditions menées dans le cadre de notre étude ont montré qu'il n'existait actuellement aucune mesure fiable et exhaustive d'une pathologie dont nous discutons abondamment depuis 25 ans. Ainsi, nous ne connaissons pas le nombre exact de normes applicables en France, puisque seules celles publiées au Journal officiel sont décomptées. Nous savons encore moins quelle est leur taille cumulée. De même, et c'est plus grave, il n'existe pas de méthode de mesure de la charge administrative de la norme reconnue par tous. Pourtant d'autres pays européens comme les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Angleterre, se sont dotés de tels instruments, qui sont également développés par la Commission européenne. Cette absence de la France dans un domaine qui aurait pu être un de ses domaines d'excellence est inexplicable. Elle a pour conséquence que les chiffres articulés ici ou là sur le nombre de normes et la charge qu'elles représentent ne sont pas vérifiables et varient d'ailleurs dans des proportions considérables, empêchant tout diagnostic sérieux sur l'étendue du mal que l'on entend combattre.

Sans doute sincères, les appels récurrents à la simplification ne se traduisent pas, par ailleurs, par un nombre suffisant de décisions structurantes et de mesures concrètes susceptibles de remédier à une situation unanimement considérée comme un grave désordre.

La complexité finit donc par paraître presque inévitable, voire naturelle, tandis que la simplicité serait un idéal impossible à atteindre. D'autant plus impossible au demeurant, que là où d'autres pays soumettent leur production normative à des processus de contrôle contraignants, la France en reste le plus souvent au stade des recommandations.

M. Bernard Stirn, Président de la Section du contentieux du Conseil d'État . - Je remercie le Sénat pour son accueil. Tout ce qui a été dit au cours de cette matinée atteste du fait que le choix du thème de la simplification était particulièrement pertinent. Ainsi, ce dernier nous rassemble autour d'une méthode que nous devons de plus en plus partager, le droit comparé, et autour de la question de fond qu'est la simplification.

La simplification doit également être un objectif partagé par le juge. Certes, par son approche casuistique et par les nuances qu'elle établit, la jurisprudence peut contribuer à accroître encore davantage la complexité du paysage normatif. Néanmoins le juge partage les préoccupations en matière de simplification. Il veille à simplifier à la fois par la jurisprudence qu'il adopte et par l'influence qu'il exerce sur les autres acteurs.

S'agissant de la simplification par la jurisprudence, trois groupes de préoccupations importantes sont montés en puissance ces dernières années : les questions de procédure et d'écriture, les règles de fond et le souci de l'unité du droit.

Concernant les questions de procédure et d'écriture, les règles doivent être aussi simples et robustes que possible. Nous travaillons tous pour atteindre cet objectif. À titre d'exemple, il est possible de mentionner la simplification apportée par le Tribunal des conflits au sujet des questions préjudicielles entre les deux ordres de juridiction (judiciaire et administratif). Ainsi, par une décision du 17 octobre 2011, le Tribunal des conflits a jugé qu'il n'y avait plus besoin de questions préjudicielles entre les deux ordres de juridiction lorsqu'une jurisprudence bien établie de l'un des ordres permet de donner la réponse. Par conséquent, le juge judiciaire peut constater l'illégalité d'une décision administrative au regard d'une jurisprudence établie du Conseil d'État. De même, le juge administratif peut se prononcer sur une question de droit privé au regard d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation. Il s'agit là d'un élément particulièrement important en matière de simplification de notre système juridique.

Parallèlement, la question de l'écriture se mêle étroitement à celle de la procédure. Il est intéressant de constater que le Conseil d'État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel se sont lancés de manière simultanée dans une réflexion sur ce sujet. Ainsi, les décisions du Conseil constitutionnel sont désormais écrites en style direct, dans l'objectif de les rendre plus lisibles. Nous pouvons nous réjouir du fait que les trois juridictions suprêmes cheminent actuellement sur la voie d'une écriture plus simple et plus lisible des décisions de justice.

En outre, le Conseil d'État contribue en permanence à la simplification des règles de fond appliquées par les juridictions, avec une acuité sans doute accrue aujourd'hui. À titre d'exemple, ces dernières années, le Conseil d'État a reconstruit de manière importante le contentieux des contrats publics. Dans le cadre de cette reconstruction jurisprudentielle, il a progressivement mis fin à la fiction de l'acte détachable. La jurisprudence de l'acte détachable a permis d'importants progrès dans le droit de la commande publique, mais elle était devenue source de complexité excessive.

Ainsi, lorsqu'elle a été construite par le Conseil d'État au début du XX ème siècle, nous vivions dans un monde plus simple qu'aujourd'hui. Dans ses conclusions relatives à l'arrêt Martin du 4 août 1905, qui a institué la décision de signer le contrat comme un acte détachable du contrat lui-même, le commissaire du Gouvernement Romieu n'hésitait pas à dire que les juges pourraient prononcer des annulations purement platoniques. De telles pratiques ne sont plus admises aujourd'hui. Ainsi, nous étions arrivés à un système extraordinairement complexe, dans le cadre duquel l'annulation de l'acte détachable n'était plus purement platonique, mais permettait de saisir le juge du contrat pour qu'il tire les conséquences de l'annulation de l'acte détachable, avant que, le cas échéant, le juge de l'exécution vienne ordonner un certain nombre de mesures. Le Conseil d'État a mis fin à ce système par deux arrêts du 16 juillet 2007, société Tropic travaux, et du 4 avril 2014, département de Tarn-et-Garonne, qui ont ouvert de manière encadrée et raisonnable le droit pour les tiers d'attaquer le contrat lui-même lorsqu'il est atteint de vices pouvant porter préjudice, de manière suffisamment grave, à leurs intérêts. Cette simplification a été menée dans un souci de respect du droit et de simplification.

De même, en décembre 2014, la section du contentieux du Conseil d'État a simplifié d'un double point de vue le droit de la prescription quadriennale, en unifiant la manière de calculer la prescription pour tous les préjudices corporels, et en permettant aux avocats d'opposer eux-mêmes la prescription quadriennale.

Enfin, le dernier souci du juge, qui est peut-être le plus important, est de veiller à l'unité du droit, dans un contexte où les sources de droits se développent et où le nombre de juges intervenant s'accroît. La nécessite de l'unité du droit a fait l'objet d'une prise de conscience croissante au cours des quinze dernières années.

Il est important que les juges s'écoutent. La situation inverse ferait courir un risque d'aggravation considérable de la complexité du droit. L'écoute entre les juridictions nationales est donc capitale. Elle l'est également au-delà des frontières, notamment à l'égard des deux cours européennes, mais également à l'égard des cours suprêmes des différents États européens. Des réseaux se créent actuellement, et les moyens de correspondance informatique facilitent ce type d'échanges. Il est possible de travailler sur ces sujets avec le Parlement, qui présente les mêmes besoins de connaissance. Ainsi, il est impossible de juger ou de légiférer sans savoir ce qui se passe sur des sujets comparables au sein des pays européens. Cet élément est capital pour qu'il existe une unité du droit en Europe, notamment concernant l'application des normes découlant du droit de l'Union européenne ou de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Sur ces trois sujets (la procédure, le fond et l'unité du droit), le juge doit être attentif et faire les meilleurs efforts dans le sens de la simplification. Il y est d'ores et déjà engagé, mais il reste encore un important chemin à parcourir.

S'agissant de la simplification par l'influence, le juge dispose de trois leviers principaux. Il peut censurer, alerter et inciter. Concernant le premier point, le juge a le pouvoir de censurer des normes trop complexes, et il s'est doté des outils nécessaires pour ce faire. Ainsi, le Conseil Constitutionnel a donné valeur constitutionnelle à la clarté, à l'accessibilité et à l'intelligibilité de la loi. Parallèlement, en droit administratif, le Conseil d'État a donné valeur de principe général du droit à la sécurité juridique.

Ces principes, qui donnent au juge des fondements à la censure, se retrouvent dans d'autres juridictions. Ainsi, la Cour constitutionnelle italienne a jugé dans un arrêt du 18 avril 2013 que l'obscurité de la norme était contraire à des exigences constitutionnelles italiennes. De même, le Conseil d'État italien a censuré en 2011 des textes réglementaires insuffisamment clairs. La Cour suprême américaine dispose également d'une jurisprudence concernant les lois imprécises et trop vagues, qui peuvent être censurées depuis 1948.

Ce type d'instruments permet au Conseil d'État de censurer de nombreux textes réglementaires méconnaissant le principe de sécurité juridique, notamment en raison de l'insuffisance des mesures transitoires prévues par ces textes. De même, il a annulé deux décrets jugés trop complexes ou difficilement intelligibles. Les juges administratifs et constitutionnels doivent user de ces pouvoirs de censure. Sur ce point, il sera intéressant de voir si la Cour de justice européenne se dotera d'instruments comparables. Cette hypothèse n'est pas inimaginable.

Au-delà de la censure, le juge peut également alerter. Le contentieux constitue souvent l'occasion d'observer les différentes pathologies du système juridique. Ainsi, la complexité de certains textes devant être appliqués par les juges apparaît très souvent à l'occasion d'un contentieux. Il appartient aux juges d'exercer leur devoir d'alerte sur ce point. La Cour de cassation procède déjà de la sorte dans son rapport annuel, qui mentionne les dispositions qu'elle considère difficiles d'application. Le Conseil d'État doit également procéder de la sorte. Tel est l'objectif du dialogue entre la Section du contentieux et la Section du rapport et des études. J'ai d'ailleurs demandé à mes collègues de la section du contentieux de veiller à ce que nous utilisions davantage les possibilités dont nous disposons pour signaler les difficultés que nous rencontrons à la Section du rapport et des études, puis par l'intermédiaire du rapport annuel du Conseil d'État.

Au cours des dernières semaines, nous avons rencontré deux difficultés. En décembre 2015, il est ainsi apparu que les textes concernant les différents congés maladie des fonctionnaires étaient particulièrement complexes, en raison du fait que les textes relatifs aux congés de maladie, aux congés de longue maladie et aux congés de longue durée ont été construits séparément. Le droit des congés de maladie des agents publics doit être simplifié. Pour ce faire, il serait nécessaire de revoir les différents régimes de congé, dans un souci de cohérence.

De même, nous avons également signalé à la section du rapport et des études, au Premier Président et au procureur général de la Cour des comptes que le régime de responsabilité des comptables publics à l'égard des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) est lacunaire. Il est ainsi apparu à l'occasion d'un pourvoi du ministre des Finances contre un arrêt de la Cour des comptes devant le Conseil d'État que les textes n'ont pas défini les obligations des comptables à l'égard des EPIC. Les instructions sur le sujet sont confuses et incomplètes. De fait, la responsabilité des comptables des EPIC est particulièrement mal définie. Il est important que les juges exercent pleinement leur pouvoir d'alerte.

Enfin, le dernier pouvoir d'influence dont dispose le juge est son pouvoir d'incitation. Sur ce point, il est possible de citer l'exemple du droit souple, qui a fait l'objet de l'étude annuelle du Conseil d'État en 2013. Cette étude a montré que le droit souple n'est pas un droit à éviter, mais bien une richesse. Ainsi, un meilleur recours aux instruments de droit souple est un des éléments permettant de contenir la prolifération excessive de la norme, à condition d'y recourir de manière maîtrisée et pertinente. Sur ce point, le rapport a émis l'idée particulièrement intéressante de normativité graduée, selon laquelle il existe une échelle progressive entre le droit dur et le droit souple.

Les éléments contenus dans ce rapport ont été repris par la section du contentieux, qui a commencé par requalifier ce que la jurisprudence avait appelé des directives, sous le vocable de lignes directrices. Les administrations ont ainsi été invitées à édicter des lignes directrices, dont le régime juridique a été précisé par la section du contentieux (4 février 2015, ministre de l'intérieur c/ M. Cortes Ortiz). De même, le Conseil d'État a innové de manière importante en matière jurisprudentielle par ses décisions du 21 mars 2016, société Fairvesta international et société NC Numericable, qui permettent de contester devant le juge des éléments de droit souple issus des autorités de régulation ne modifiant pas l'ordonnancement juridique, qui ne pouvaient jusqu'alors pas faire l'objet de recours. Cet exemple atteste du fait que par ses pouvoirs d'incitation, le juge peut influer sur les autres acteurs, et notamment les autorités de régulation, en les invitant à se montrer encore plus attentives à la manière dont elles usent des instruments du droit souple.

Compte tenu de l'ensemble des éléments évoqués précédemment, je crois donc que dans le cadre de nos activités juridictionnelles, nous devons être plus en plus attentifs aux différents instruments mis à la disposition des juges.

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - Je confirme que les formations consultatives et juridictionnelles du Conseil d'État sont convenues d'inciter désormais plus activement à la simplification, en signalant dans notre rapport d'activité annuel les insuffisances repérées et les préconisations faites.

Dans l'exercice de sa fonction consultative, le Conseil d'État doit s'interroger sur le sens et le contenu de son avis lorsqu'un projet de norme contribue selon lui à aggraver la complexité, sans qu'il soit possible d'y remédier dans le cadre de son dialogue avec le Gouvernement. S'il ne s'est jamais interdit de se prononcer sur les questions de bonne administration et d'opportunité administrative, il a pour principe de ne pas s'immiscer dans ce qui relève de la liberté d'action du Gouvernement, même s'il est parfois délicat de tracer une exacte frontière entre les deux. Ainsi, notre fonction consultative ne peut nous conduire à conseiller au Gouvernement d'abandonner ou de modifier une politique, mais nous pouvons l'alerter quant au coût des options qu'il retient.

En revanche, le Conseil d'État doit veiller au respect des dispositions constitutionnelles et organiques prescrivant les études d'impact. À cet effet, il est fréquent qu'il invite le Gouvernement à compléter ces études lorsqu'elles apparaissent lacunaires ou insuffisamment justifiées. Ce travail n'est pas nécessairement mentionné dans les avis, car il s'effectue pour l'essentiel avant leur délibération en Assemblée générale. Souvent, cependant, ces avis, dont la plupart sont désormais publiés par le Gouvernement, comportent une appréciation sur la qualité de l'étude d'impact et les éventuelles difficultés constatées lors de leur examen. Dans certains cas, l'avis préconise de les compléter sur certains points, avant leur examen en conseil des ministres et leur dépôt sur le bureau des assemblées. Pour les études d'impact vraiment insuffisantes ou ne présentant pas de crédibilité suffisante, le Conseil d'État envisage d'émettre, plus souvent que par le passé, un avis défavorable aux dispositions en cause.

La qualité des études d'impact fait désormais l'objet de développements spécifiques dans notre rapport annuel d'activité. Depuis cette année, ce rapport s'est en outre enrichi d'une nouvelle rubrique consacrée à la contribution du Conseil d'État à la simplification du droit dans ses formations juridictionnelles et consultatives. L'objectif est que le Conseil d'État participe activement au changement de culture que nous appelons tous de nos voeux.

M. Michel Barnier, Conseiller d'État, ancien ministre . - Je m'associe aux propos de Maryvonne de Saint-Pulgent et de Bernard Stirn concernant la qualité du travail du Sénat s'agissant des textes qui lui sont soumis.

La table ronde de ce jour vise à identifier les moyens de simplifier. Pour ce faire, il est d'abord nécessaire de comprendre et de mesurer l'impact des textes excessivement complexes, en particulier dans le domaine économique. Dans ce cadre, se pose la question de savoir qui peut donner à notre pays une réelle capacité de mesurer la charge administrative supplémentaire engendrée par tel ou tel texte national et/ou européen. Il convient d'identifier un acteur à même de réaliser ce travail de manière régulière, indépendante, efficace et opérationnelle, en interrogeant suffisamment d'entreprises françaises et en faisant en sorte d'obtenir de leur part des réponses sincères et rapides, en vue d'en réaliser une synthèse et d'alerter le Gouvernement et le législateur quant à l'impact des textes qu'ils étudient.

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation aux entreprises . - Un tel mode de fonctionnement nécessite de disposer d'un processus, ce qui n'est pas le cas en France. En tant que conseiller du Gouvernement, le Conseil d'État joue un rôle de plus en plus important en matière d'alerte sur la complexité et les conséquences des projets de loi proposés par le Gouvernement.

Toutefois, il me semble que le grand chantier de la simplification ne pourra être traité si aucun processus n'est mis en place. Sur ce point, il existe une réelle bonne volonté, notamment de la part du Gouvernement, mais il n'existe toujours pas d'outils de base. Il serait souhaitable de mettre en place un processus de simplification reposant sur des obligations pour le Gouvernement et le Parlement.

M. Olivier Cadic, Sénateur, membre de la Délégation aux entreprises . - La simplification doit être le fruit d'un travail collectif et d'un processus d'amélioration continue. Ainsi, nous ne pourrons mettre en place une culture de simplification sans avoir intégré un processus reposant sur la culture de la métrique et des indicateurs. Il est en effet impossible de déterminer où nous voulons aller si nous n'avons pas mesuré où nous sommes. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place un tableau de bord. Se pose alors la question de savoir qui doit définir ce tableau de bord et quels éléments doivent être mesurés. La mise en place d'un tel processus s'imposant à tous est un préalable indispensable. Le succès n'est jamais un hasard, mais bien le résultat d'un processus.

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - J'ai appelé à un changement de culture car le processus le plus soigneusement pensé doit être acceptable pour être efficace. Or nous sommes confrontés à des obstacles inhérents à la culture politique française.

Prenons le cas des études d'impact préconisées par notre étude de 2006 et prescrites par la réforme constitutionnelle de 2008. Huit ans après, force est de constater que la pratique de ces études d'impact ne répond pas à nos attentes, notamment parce qu'elles sont réalisées a posteriori pour justifier les décisions prises, et non avant qu'elles soient prises, dans le but d'éclairer le décideur public.

Ceci étant dit, quelles sont les voies permettant d'amener le Gouvernement à mener ces études d'impact en amont de ses décisions ? Comment en contrôler la qualité et la crédibilité par des expertises indépendantes et objectives de la nature de celles conduites dans d'autres États européens ? Faut-il, comme c'est le cas au Royaume-Uni ou à la Commission européenne, qu'aucune modification normative ne soit possible quand l'étude d'impact n'est pas convaincante ou conclut à l'inutilité de recourir à la norme ? Ou faut-il se borner à faire du « naming and shaming » ?

On voit bien que les préconisations qu'il est possible de faire pour résoudre ces différentes questions diffèrent selon qu'on estime qu'il est possible de convertir l'ensemble des acteurs à une véritable culture de la simplification, ou non. Les réformes possibles seront certes d'autant plus efficaces qu'elles seront audacieuses, mais le changement de culture est un prérequis indispensable.

S'agissant une fois encore des études d'impact, il y a aussi la question de leur champ d'application. Des travaux menés dans les deux assemblées proposent de les étendre aux modifications des projets de loi intervenant pendant la phase parlementaire, dont l'effet sur le contenu et la taille de la norme législative est de plus en plus significatif.

Nous savons bien que le gonflement parfois spectaculaire du volume des lois pendant la phase parlementaire n'est pas entièrement imputable aux assemblées, et que l'usage du droit d'amendement par le Gouvernement y contribue aussi. Néanmoins, nous ne pouvons qu'approuver les propositions parlementaires tendant à doter le Parlement d'une véritable capacité propre d'évaluation de l'impact des textes ainsi amendés, que ce soit à son initiative ou à celle du Gouvernement.

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation aux entreprises . - Votre appel est particulièrement convaincant.

M. Jean-Louis Hérin, Secrétaire général de la Présidence du Sénat . - En réponse à la question de Monsieur Barnier, je tiens à rappeler que les principaux évaluateurs sont les sénateurs et les députés, qui sont des hommes et des femmes de terrain.

En outre, je me souviens d'un Président du Conseil de la Troisième République indiquant : « J'ai pris ma décision, faites entrer les juristes ».

Dans le cadre des primaires présidentielles, de très nombreux programmes sont actuellement élaborés. Un de ces programmes sera vraisemblablement déterminant dans les cinq années à venir. Se pose la question de savoir si ces programmes font l'objet d'études d'impact.

S'agissant des moyens des parlementaires, il convient de rappeler que ces derniers sont élus pour définir ce qu'est l'intérêt général, ce qui est une mission particulièrement ardue. Dans ce cadre, le Gouvernement est responsable devant le Parlement. L'autonomie du Parlement permet une autonomie de l'expertise. À titre d'exemple, dans le cadre de la réforme de la Dotation globale de fonctionnement (DGF), la Commission des finances du Sénat a décidé d'avoir recours à ses propres experts.

Enfin, nous parlons aujourd'hui de la simplification du droit. Or je crains qu'il existe non pas un droit mais des droits de plus en plus spéciaux, de plus en plus hétérogènes. Ainsi, en séance publique, il apparaît que les domaines du numérique, de l'environnement ou encore de la justice s'inscrivent dans des cultures différentes. Tout se passe comme si chaque ministère souhaitait avoir son droit, dans le cadre d'une sorte de polycentrisme de la rédaction de la loi. Dans ce cadre, il me semble que le Parlement, le Conseil d'État et le Secrétariat Général du Gouvernement peuvent et doivent assurer une sorte de culture juridique commune.

M. Jean-Louis Schroedt-Girard, Directeur général des Ressources et des Moyens du Sénat . - Je partage la plupart des opinions exprimées ce matin. L'élément principal qui ressort de nos discussions est que la simplification n'est pas une chose simple. Raison de plus pour ne pas tarder à s'y attaquer !

Au sein du Parlement anglais, sont conduites des études d'impact ex ante et des études d'impact ex post . En fonction des résultats de la confrontation de ces deux études, les lois concernées sont ensuite laissées en l'état, modifiées ou supprimées. Ce mode de fonctionnement est particulièrement intéressant.

En outre, nous avons beaucoup parlé ce matin de l'endiguement du flux normatif. Toutefois, se pose également la question de savoir comment diminuer le stock. Dans cette perspective, il pourrait être envisageable que la Commission supérieure de codification se voie confier une mission de simplification du droit existant.

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - C'est en effet une de nos pistes de réflexion. Toutefois, la simplification par la codification pose des difficultés d'ordre technique et politique.

La simplification par code ou partie de code est en principe une bonne méthode, parce que le rangement auquel procède le code appréhende de manière complète, cohérente et ordonnée des branches entières du droit, ce qui permet d'avoir une vision d'ensemble d'un secteur et d'imaginer une réforme globale. En revanche, confier au codificateur le soin de simplifier pose la question de la responsabilité du législateur et la problématique plus large du rapport entre législation déléguée et législation non déléguée.

Par ailleurs, codifier à droit non constant complique singulièrement le travail. Mieux vaut procéder successivement, et non simultanément, à ces deux opérations de nature et de portée différente, comme on le fait en ce moment même pour le code de la commande publique.

En réponse aux propos de Monsieur Hérin, répétons que nous sommes conscients de la fragilité de la frontière entre l'opportunité administrative et l'opportunité politique. Nous nous sentons toutefois tenus de veiller à ce que le législateur ou le Gouvernement soient bien informés des conséquences de leurs choix politiques. Cette information doit être correcte, indépendante et équilibrée.

S'il n'y a guère de doute sur l'expertise et la technicité des services du ministère des Finances, les chiffres qu'ils produisent le sont sous la responsabilité du ministre. Ils n'émanent pas, dès lors, d'experts indépendants. Différente est la situation des services de contrôle et d'expertise de l'État placés dans une situation garantissant leur indépendance, tels que les inspections générales interministérielles ou l'INSEE, sans oublier le cas encore plus emblématique de la Cour des comptes. Le fait que le choix final appartienne à l'autorité politique n'empêche pas le besoin d'une information objective mobilisant des compétences et des expertises susceptibles d'éclairer les parlementaires et les membres du Gouvernement.

M. Bernard Stirn, Président de la Section du contentieux du Conseil d'État . - La problématique de la simplification a été abordée dès le début de la relance de la codification en 1989. Ainsi, s'est posée la question de savoir si les nouveaux codes devaient être des codes à droit constant ou des codes plus novateurs. Le président de la Commission supérieure de codification avait alors la conviction qu'en principe, la codification devait être réalisée à droit constant, en raison du fait qu'il est impossible de mener de front les deux exercices de codification et de simplification, tous deux difficiles.

Cette conviction l'a finalement emporté, et il a donc été décidé de réaliser des codes à droit constant. L'idée était alors qu'une fois la codification opérée, l'autorité politique pourrait procéder à une opération de simplification si nécessaire. À mon sens, l'opération de codification a pu aboutir grâce à cette approche prudente.

Toutefois, la codification à droit constant n'est pas tout à fait systématique. Il existe ainsi des codifications à droit non constant. À titre d'exemple, il est possible de citer le nouveau Code du travail, le Code des relations avec le public ou encore les dispositions du Code civil concernant le droit des obligations.

Il peut donc exister des exceptions, mais ces dernières doivent être dûment pesées et autorisées. L'idée prévalant depuis 1989 selon laquelle la codification est en principe à droit constant hormis pour quelques cas exceptionnels me paraît constituer un équilibre assez efficace.

M. Jean-Louis Schroedt-Girard, Directeur général des Ressources et des Moyens du Sénat . - Je pense en effet que la mise en ordre des textes législatifs demande une codification à droit constant. Ma question est plutôt de savoir si, maintenant que 60 % du stock législatif est codifié, il n'est pas temps de passer à la phase de simplification.

Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Section du rapport et des études du Conseil d'État . - Le Conseil d'État réfléchit effectivement sur cette question, à partir de l'expérience de la commission supérieure de codification et d'exemples récents de refontes de codes existants ou de création de codes nouveaux. La création du Code des relations entre le public et l'administration a combiné codification et simplification, dans une mesure encore limitée. A l'inverse, la refonte du droit des obligations dans le civil modifie profondément le droit positif et elle a de surcroît été faite par ordonnance. Cet exemple n'est à l'évidence pas transposable à des matières comme le droit du travail ou la législation fiscale. S'agissant du Code général des impôts, la commission supérieure de codification appelle cependant depuis longtemps à une refonte qui se ferait à droit constant mais qui serait de nature à redonner à ce code une lisibilité et une intelligibilité qu'il a manifestement perdue.

Se pose également la question de la méthode, comme on l'a déjà dit, et du choix de la réforme par la loi ou par la législation déléguée. Il est peut-être nécessaire d'imaginer des méthodes associant législation déléguée et concertation.

La législation déléguée est intéressante en ce qu'elle permet de focaliser le travail sur un sujet déterminé dans le cadre de la loi d'habilitation, dont il est impossible de s'écarter. Cette situation peut contribuer à la simplification. À l'intérieur du cadre, il est en outre possible d'organiser des réflexions pluripartites.

Mme Marie Jousseaume de La Bretesche, Directrice de la Direction de l'Initiative parlementaire et des Délégations du Sénat . - Un travail extraordinaire de concertation avec toutes les parties prenantes a été mené dans le cadre de la mission Tuot relative au Code minier. Malgré ce travail, ce Code n'a jamais été mis en place. Il est regrettable que des projets de ce type restent lettre morte.

M. Bernard Stirn, Président de la Section du contentieux du Conseil d'État . - Je tiens à remercier le Sénat et les organisateurs de cette journée, ainsi que tous les participants qui y ont contribué. Nos échanges ont été particulièrement intéressants. Se réunir pour débattre de sujets sur lesquels nous travaillons tous de notre côté est une démarche particulièrement constructive. Il est ainsi particulièrement utile de confronter les points de vue et de réfléchir de manière collégiale aux modalités d'une organisation plus continue, afin que nous puissions échanger plus régulièrement sur nos tâches respectives. Cela est particulièrement vrai s'agissant du droit comparé et de la simplification du droit.

Il apparaît au terme de nos échanges qu'il existe des préoccupations et des volontés communes, mais également de nombreux obstacles à surmonter. Dans ce cadre, il sera plus facile d'avancer si nous travaillons ensemble. Il pourrait être envisageable qu'à l'avenir, nous nous réunissions de nouveau pour réaliser un bilan d'étape ou aborder d'autres sujets. La richesse des interventions et les pistes ouvertes aujourd'hui nous invitent à poursuivre en ce sens.

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation aux entreprises . - Je tiens à remercier tous les participants à cette journée pour leurs exposés et leurs interventions. Loin d'être purement théoriques, nos échanges ont porté sur des exemples concrets. Ils ont montré que nous avons tous la volonté d'avancer concernant la simplification du droit. Ce mouvement est un mouvement d'ampleur, qu'il convient de ne surtout pas freiner.

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