DROIT PÉNAL ET CONSTITUTION

Hugues PORTELLI,
sénateur du Val-d'Oise

Le sujet - Constitution et code pénal - est un sujet récent. En 1958, le droit pénal est tributaire d'une double tradition : c'est un droit de souveraineté et un droit législatif. Ce légicentrisme français se retrouve dans l'article 34 de la Constitution. Ce sujet évolue, sous l'effet de l'européanisation du droit, et notamment de la Convention européenne des Droits de l'Homme, et sous l'effet du droit comparé, notamment de l'influence croissante du droit anglo-saxon. Ce sujet est délicat, comme le montre les remous du coup d'Etat jurisprudentiel du Conseil constitutionnel de 1971 qui élargit le contrôle de constitutionnalité en intégrant les droits fondamentaux visés dans le Préambule de la Constitution, ou les hésitations sur le régime juridique applicable aux fautes commises par le personnel politique, faute d'une application des règles classiques du parlementarisme en France.

I - LA CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT PÉNAL

Les références au droit pénal sont limitées dans la Constitution de 1958 dans sa version originale : seuls les articles 66, 68 et 34 le mentionnent. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a toutefois intégré les textes visés au Préambule et le Préambule lui-même dans le droit constitutionnel positif, notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La décision du 16 juillet 1971 a ouvert la voie à celle du 27 décembre 1973 qui visait explicitement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à travers le principe d'égalité. Les 17 articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont désormais les dispositions constitutionnelles les plus citées dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Ces principes de référence, pour le droit pénal substantiel, sont le principe de légalité des délits et des peines qui s'appuie sur l'article 34 que le Conseil constitutionnel a suivi avec une grande attention pour éviter le recours au droit réglementaire et pour vérifier le travail du législateur. Ceci se voit à travers l'exigence de clarté et de précision, à travers le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et le principe d'applicabilité in mitius , et l'exception, très discutée, sur les mesures de sûreté pour lesquelles le Conseil constitutionnel a une jurisprudence à la fois prudente et parfois erratique. Enfin, le principe de légalité se décline à travers le principe d'interprétation stricte des dispositions du code. Tous ces points s'appuient sur l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le second grand principe est celui de liberté individuelle qu'on retrouve dans une décision de 1977 et encore récemment sur le contrôle de constitutionnalité de la loi Hadopi.

Le troisième est celui d'égalité, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, affirmé dès 1975 puis décliné systématiquement depuis.

Le quatrième grand principe est celui de la nécessité des peines, articulé notamment à travers l'obligation de permettre au juge d'individualiser les peines.

Ce champ ouvert par le Conseil constitutionnel est appelé à évoluer puisque ces décisions ont toutes été rendues avant 2010, sur saisine a priori . Avec l'introduction du contrôle a posteriori , dans le cadre de procédures juridictionnelles en cours, le Conseil analysera les textes différemment, non plus in abstracto mais in concreto . Le Conseil sera amené à faire davantage de procédure que de droit substantiel mais aussi à traiter les questions autrement.

II - LA PÉNALISATION DU DROIT CONSTITUTIONNEL

Dans la Constitution, deux conceptions contradictoires coexistent : celle qui vise la responsabilité pénale des membres du gouvernement et celle qui vise la responsabilité du chef de l'Etat. La première est un substitut à la responsabilité politique des membres du gouvernement puisque la Constitution française ne prévoit pas de responsabilité individuelle des ministres. Comme le texte initial de l'article 68 était assez mal rédigé, il a été réécrit en 1993 puis en 1995. Les membres du gouvernement doivent être jugés par la Cour de Justice de la République pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. Cette juridiction mixte est amenée à incriminer puis à juger les infractions commises par les membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions.

La responsabilité du chef de l'Etat a fait l'objet d'une révision en 2007. Jusqu'en 2007, la Haute Cour de Justice pouvait utiliser des références pénales ne figurant pas dans le code pénal et de créer de nouvelles peines. Depuis 2007, le Congrès devenu Haute Cour ne peut plus que destituer le chef de l'Etat ou le maintenir dans ses fonctions s'il commet un manquement grave à ses devoirs : il appartient ensuite au juge pénal de juger, à partir du code pénal, des infractions commises par le Président de la République.

Le système est insatisfaisant et il conviendra d'unifier le droit constitutionnel pénal relatif aux membres du gouvernement et au chef de l'Etat pour instaurer une cohérence.

III - LES LIMITES DU DIALOGUE ENTRE LA CONSTITUTION ET LE CODE PÉNAL

A - LE JUGE COMPÉTENT

La Cour de cassation se trouve en concurrence avec le Conseil constitutionnel, depuis l'interprétation des articles 67 et 68 de la Constitution relatifs à la responsabilité du chef de l'Etat. La Cour de cassation a estimé qu'elle pouvait interpréter différemment la Constitution et ne pas être liée par l'interprétation du Conseil constitutionnel si cette dernière relève d'un or biter dictum et qu'elle n'est pas liée à la question posée. Dans l'arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation prend une position diamétralement contradictoire avec celle du Conseil constitutionnel qui avait jugé de la conformité à la Constitution du traité portant création de la Cour pénale internationale, dans la décision du 22 janvier 1999. Le Constituant a finalement donné raison à la Cour de cassation.

La contradiction des jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel réapparaît à travers les questions prioritaires de constitutionnalité, dans les affaires Melki et Adbeli. La Cour de cassation ne se range pas à la lecture faite de la procédure établie par la Constitution et la loi organique et se refuse à renvoyer au Conseil constitutionnel. Par la décision du 12 mai 2010 sur les jeux de hasard, le Conseil constitutionnel répond à une question qui ne lui était pas posée par la saisine mais par les parlementaires dans les échanges de mémoires.

Un autre point concerne la manière dont la Cour de cassation accepte ou non de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité. Elle estime qu'elle n'a pas à transmettre les questions qui mettent en cause l'interprétation qu'elle fait de la loi et donc sa propre jurisprudence.

En matière notamment de droit pénal, une controverse est ouverte ce jour.

B - LA CONCURRENCE ENTRE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ ET CONTRÔLE DE CONVENTIONALITÉ

En 2008, lors de la révision de la Constitution, j'avais déposé un amendement pour proposer que le Conseil constitutionnel soit chargé du contrôle de conventionalité, pour aller au-delà de la jurisprudence IVG. Les jurisprudences de la Cour de cassation comme de la Cour de Justice de l'Union européenne montrent que le droit de Strasbourg et de l'Union européenne sont déjà supérieurs à la Constitution et au contrôle de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel censure des dispositions législatives jugées conformes à la Convention européenne des droits de l'homme par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat, au nom du principe de l'individualisation des peines, dans la décision du 11 juin 2010. A l'inverse, la Cour de cassation déclare contraires à la Convention européenne des droits de l'homme des dispositions législatives que le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation, avait trouvé parfaitement conventionnelles, notamment dans l'arrêt de la Chambre criminelle du 19 octobre 2010.

En dernier ressort, le droit de l'Union européenne et de la Convention européenne des droits de l'homme prime sur la Constitution.

En conclusion, on peut se demander si la confrontation entre la Constitution et le droit pénal substantiel ne va pas céder la place à la confrontation entre le droit européen des droits fondamentaux et le droit pénal procédural. La seule limite à cette interrogation est que, dans la pratique, nous assistons à une unification européenne du droit. La différence entre les droits fondamentaux des différents Etats devient marginale, sous l'effet du droit européen mais aussi du droit comparé. La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne fait d'ailleurs référence au droit de Strasbourg et au droit comparé des Constitutions des Etats membres.

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