compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

M. Mickaël Vallet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

3

Article 2 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi constitutionnelle modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote, par scrutin public solennel, sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (projet n° 291, rapport n° 441).

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de passer au scrutin public solennel, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’écrivait Jean-Marie Tjibaou en 1988 : « L’État ne peut pas s’abriter derrière une position d’arbitre. Il n’est pas juge, il est acteur. » Mais il doit être un acteur humble et impartial, ce qui, hélas ! n’est plus le cas.

Nous l’avons dit au cours des débats sur ce texte, le dégel du corps électoral est une nécessité constitutionnelle. Trop de personnes nées en Nouvelle-Calédonie et qui y vivent depuis de nombreuses années ne peuvent pas voter. Ce n’est plus acceptable.

Le texte proposé est toutefois plus que baroque. Alors que le Gouvernement tentait de contourner le Parlement, l’adoption des amendements du rapporteur Philippe Bas a heureusement permis de le remettre au cœur du processus. Leur adoption a également permis de laisser la priorité à un accord global, en ne faisant de ce texte qu’un filet de sécurité pour assurer le fonctionnement démocratique.

Dans une démarche responsable, notre groupe a choisi d’appuyer la démarche du rapporteur par ses votes lors de l’examen du texte en séance publique, car nous n’avons pas réussi à vous convaincre, madame la ministre, de retirer ce projet de loi constitutionnelle, ce que de nombreux spécialistes du sujet préconisent pourtant.

Vous avez réussi l’exploit de ne satisfaire personne. Les indépendantistes dénoncent un passage en force et réclament une mission de médiation conduite par une personnalité garantissant l’impartialité de l’État, quand Mme Backès sombre dans une attitude de plus en plus rebelle, considérant que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie n’est pas légitime et menaçant d’appel à l’émeute ceux qui ne voteraient pas comme elle l’entend. Est-ce également la position de votre majorité et du Gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre ?

Le Gouvernement semble penser que les partenaires politiques calédoniens ont besoin d’être bousculés pour avancer, comme s’ils ne savaient pas à quelles contraintes institutionnelles ils font face, comme s’ils ne comprenaient pas les enjeux du texte pour leurs conditions de vie et pour l’avenir de leurs enfants sur leur propre territoire.

Oui, les discussions ont été saccadées, mais n’oublions pas que leur suspension pendant un an et demi a résulté d’un troisième référendum mené à marche forcée. Elles avaient repris en septembre 2023 de façon officieuse, quand le dépôt de ce projet de loi constitutionnelle, imposé sans discussion, a ravivé les tensions politiques, et ce dans un contexte économique et social qui se dégrade chaque jour.

L’avenir des trois usines métallurgiques traitant le nickel, qui fournissent un quart de l’emploi local, n’est en effet pas assuré. Or comme René Dosière et Jean-Jacques Urvoas le rappelaient dans une récente tribune parue dans Libération, « répondre aux difficultés du nickel est une impérieuse nécessité, car, jusqu’à présent, chaque étape politique a été précédée d’un préalable minier ».

Dans toute démocratie, le corps électoral est non pas un objet administratif de mécanique électorale, mais un objet éminemment politique.

En Nouvelle-Calédonie, le corps électoral restreint pour les élections provinciales est l’essence même de la construction d’un destin commun des Néo-Calédoniens fondé sur la définition d’une citoyenneté néo-calédonienne au sein de la citoyenneté française. C’est aussi une condition sine qua non d’un processus de décolonisation réussi.

On ne peut donc pas imposer unilatéralement le dégel du corps électoral et ses nouveaux contours en amont de tout accord global sans abîmer durablement un processus qui assure le maintien de la paix civile depuis tant d’années.

Le Gouvernement pensait accélérer le cours des événements avec ce projet de loi constitutionnelle. Il n’a réussi qu’à donner plus de force à ceux qui, des deux bords, veulent le moins avancer ensemble. Il radicalise toutes les oppositions historiques les plus dures, une partie des non-indépendantistes et les indépendantistes.

En imposant aux partenaires calédoniens la date des prochaines élections, ainsi qu’un corps électoral glissant dont la composition ne fait pas consensus, vous faites un nouveau faux pas, guère propice à une gestion apaisée de la sortie de l’accord de Nouméa, madame la ministre.

Le temps calédonien n’est pas le nôtre. J’ai bien conscience qu’il s’agit sans doute d’un concept contraire au tempérament du ministre de l’intérieur, mais en Nouvelle-Calédonie, pour être plus efficace, il faut parfois donner du temps au temps.

Le rôle du Parlement n’est pas de décider pour les Néo-Calédoniens si un accord global est possible ou non, ni quand il le sera. Depuis quarante ans, les Néo-Calédoniens ont su démontrer qu’ils savent souvent, contre toute attente et dans les contextes les plus difficiles, trouver le chemin d’un accord qui serve au mieux la Nouvelle-Calédonie.

Nous voulons faire le choix de la confiance. Nous continuons donc d’affirmer notre opposition totale à la méthode du Gouvernement, qui, comme l’ont notamment montré les propos tenus par le ministre de l’intérieur lors des débats en séance, refuse de retrouver l’esprit d’impartialité qui devrait guider ses choix.

En choisissant de passer ainsi en force, l’État montre, hélas ! qu’il a choisi son camp. Pour autant, le point de non-retour n’a pas encore été franchi. Il est encore temps d’emprunter un autre chemin, afin d’éviter l’étincelle qui provoquera un embrasement de tout l’archipel.

Je remarque qu’en ce jour de vote solennel sur un projet de loi constitutionnelle qui exacerbe toutes les tensions en Nouvelle-Calédonie, le garde des sceaux et, surtout, le ministre de l’intérieur, qui s’enorgueillit pourtant d’avoir pris ce dossier à bras-le-corps, vous laissent bien seule au banc, madame la ministre. Après bientôt quatre ans d’absence en première ligne, il serait bienvenu que Matignon s’intéresse de nouveau à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Accompagner l’aboutissement d’un accord global exige une vue d’ensemble transversale de ses enjeux. Il est indispensable de laisser le temps et la possibilité aux différentes communautés constituant la Nouvelle-Calédonie de créer un « nous », un destin commun avec le peuple kanak : un peuple calédonien.

Plus que jamais, un accord politique local doit être trouvé avant toute intervention du législateur, comme cela a toujours été le cas depuis l’accord de Matignon.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Robert Wienie Xowie et Éric Bocquet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis cet après-midi au chevet de la Nouvelle-Calédonie, pour débattre d’un sujet important.

L’histoire contemporaine récente de ce territoire de passions a été marquée par un drame, qui a donné naissance à plusieurs accords, notamment ceux de Nouméa, aux termes desquels, grâce au couple inséparable qu’ont formé Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, indépendantistes et loyalistes – que je nomme ainsi par simplicité de langage – ont fini par trouver un accord.

Cet accord prévoyait toutefois un terme et des conditions, dont la dernière consultation intervenue en Nouvelle-Calédonie, lors de laquelle les Néo-Calédoniens se sont prononcés en faveur de leur maintien au sein de la République française.

L’accord de Nouméa prévoyait également que l’ensemble des parties devaient ensuite, à l’issue de cette consultation, se remettre autour de la table pour trouver un nouvel accord. Les discussions ont été engagées, et elles ont plus ou moins bien commencé, mais elles ne seront pas achevées d’ici aux élections provinciales et au congrès, dont l’échéance est fixée à mai 2024, et dont je rappelle qu’elles emporteront la constitution du gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

Le Gouvernement a pris l’initiative de reporter ces élections afin de garantir leur tenue dans des conditions juridiques sérieuses, le Conseil d’État ayant considéré que le corps électoral de ces élections devait être revu. Si seulement 7 % des Néo-Calédoniens étaient exclus du scrutin de 1998, 20 % d’entre eux ne pourraient pas voter aujourd’hui. Le Conseil d’État a donc demandé que le corps électoral soit dégelé, dans un délai qu’il a fixé.

Le Gouvernement a proposé au Parlement de reporter ces élections au 15 décembre prochain. Le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ayant été adopté par le Sénat et par l’Assemblée nationale, cette date butoir est désormais actée.

Le texte constitutionnel que nous examinons porte, quant à lui, sur le dégel du corps électoral. Il en prévoit non seulement le principe, mais aussi les conditions d’application, singulièrement la date du 2 juillet prochain, au-delà de laquelle, même si les parties ne sont pas parvenues à un accord, les élections seront organisées.

Tel est le contexte dans lequel nous examinons ce texte, mes chers collègues. Comme toujours avec la Nouvelle-Calédonie – je le dis très librement –, il nous faut être à la fois fermes et souples : avoir des objectifs clairs et être ouverts à la discussion.

Dans le cadre de nos travaux, Philippe Bas et moi-même, accompagnés de deux de nos collègues, nous sommes rendus à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, il y a quelques semaines. Nous avons constaté qu’il était de toute évidence utile de desserrer l’étau de la discussion, et partant, de supprimer la date butoir, pour ne pas dire la date de censure du 2 juillet prochain, afin de maintenir la date précédemment fixée au 15 décembre prochain, tout en permettant qu’un accord puisse intervenir à tout moment, et ce jusqu’à dix jours avant l’élection du 15 décembre.

Certains – ils sont peut-être majoritaires – considèrent que les conditions ne seront jamais réunies pour parvenir à un accord entre toutes les parties et qu’elles le seront d’autant moins à la veille d’élections tant les enjeux sont forts. D’autres estiment au contraire qu’il reste toujours un espoir et que si un accord peut être trouvé, il ne faut pas l’empêcher. Telle est la position de la commission des lois, madame la ministre.

Il convenait également de trancher sur la portée du dégel du corps électoral : ne devait-il s’appliquer qu’à cette élection, ou, dans le cadre d’un accord global ultérieur, à toutes les élections futures ? La commission a décidé, sur proposition de son rapporteur, que ce dégel serait pérenne, qu’il serait glissant et qu’il s’appliquerait désormais aux élections provinciales.

Toutefois, il reste possible de revenir sur ce dégel dans le cadre d’un accord global de toutes les parties de la Nouvelle-Calédonie. Elles sont libres d’en rediscuter entre elles. Cette liberté, nous y tenons, pour ce choix comme pour tous les autres qui pourront être faits.

Je rappelle que le texte qui nous est soumis ne porte du reste que sur un point précis, en aucun cas sur d’autres sujets liés à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. À juste raison, le Gouvernement a laissé – et le Parlement le soutient – à l’ensemble des acteurs la liberté de pouvoir en discuter.

Le dernier point qui restait en discussion porte sur la demande du Gouvernement à être habilité à organiser l’ensemble du processus électoral sans passer par le Parlement, y compris, si accord il devait y avoir, à faire simplement constater l’existence de celui-ci par le Conseil constitutionnel.

Nous avons été unanimes à dire non. Non, madame la ministre – mon adresse n’a rien de personnel –, le Gouvernement ne peut pas priver le Parlement, singulièrement le Sénat, d’avoir à connaître des conditions dans lesquelles pourront se dérouler les élections en Nouvelle-Calédonie ni de débattre de toute autre disposition relevant du domaine législatif, celui-ci étant au cœur du travail du Parlement. Nous avons donc dit non, et je me félicite que l’ensemble du Sénat ait unanimement suivi le rapporteur sur ce point. Tant mieux !

Après l’examen du texte, voici venu le moment de voter, mes chers collègues.

La Nouvelle-Calédonie connaît de grandes difficultés, de nature institutionnelle, liées à l’organisation de ces élections, mais aussi économique. La crise économique que subit la Nouvelle-Calédonie entraîne d’ores et déjà une crise sociale majeure. L’ensemble de nos concitoyens établis sur la terre de Nouvelle-Calédonie traversent une période extrêmement difficile.

Dans ce contexte, il nous revient, mes chers collègues, de faire passer à cette tribune le message suivant à tous ceux, qu’ils soient indépendantistes ou loyalistes, qui vivent la Nouvelle-Calédonie : « Votre destin et votre avenir sont entre vos mains. C’est vous qui ferez la Nouvelle-Calédonie de demain. Des choix ont été faits lors du dernier référendum. Écrivez la suite des pages que vos grands anciens ont écrites. Prenez ce destin en main, il vous appartient, et le moment venu, quand vous aurez porté ces nouvelles pages sur les bureaux du Parlement, nous ferons ce qu’il faut. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, passage en force, ultimatum, manque d’impartialité : tels sont les mots que certains emploient pour décrire ce projet de loi, qui vise à dégeler le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Pour ma part, je parlerai plutôt de courage politique, d’impartialité et de sens des responsabilités.

Alors que les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un point essentiel, que les élections doivent se tenir et que ces dernières sont exposées à un fort risque d’inconstitutionnalité, il incombe à l’État de faire en sorte que ces élections aient lieu de façon constitutionnelle.

L’État ne décidera rien à la place des Néo-Calédoniens. Il crée au contraire les conditions pour que ces derniers décident.

Sur le Caillou, le corps électoral pour les élections provinciales est totalement gelé depuis 2007, après avoir été restreint en 1998. Conformément à l’accord de Nouméa, cette exception calédonienne devait être transitoire, mais l’accord étant caduc depuis le troisième référendum de 2021, une telle disposition n’a plus de raison d’être.

Il est donc nécessaire de dégeler le corps électoral. À défaut, les prochaines élections, qui doivent se tenir cette année, pourraient être considérées comme inconstitutionnelles.

Ce texte propose de revenir à une situation plus démocratique en étendant le droit de vote aux personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y sont domiciliées depuis au moins dix ans. Il s’agit d’un compromis, à mi-chemin entre la situation actuelle et un dégel total. Avant le gel total de 2007, l’accord de Nouméa prévoyait du reste la même durée de domiciliation.

Ce projet de loi permettra donc que les prochaines élections aient lieu et soient valides. La Nouvelle-Calédonie pourra ainsi se doter de représentants dans ses propres institutions. Surtout, 25 000 nouveaux électeurs pourront s’exprimer par les urnes.

Parmi ces nouveaux électeurs, nombreux sont ceux qui sont nés sur ce territoire et y vivent depuis plus de vingt-cinq ans. Il s’agit donc de leur redonner leurs droits et leur statut de citoyens néo-calédoniens. Par l’intermédiaire de leurs représentants, ils pourront ainsi décider de leur destin commun.

Plus largement, il s’agit aussi de redonner tout leur sens aux règles démocratiques au sein de notre République. La Nouvelle-Calédonie est l’autre bout, non pas du monde, mais de la France.

Comme en témoignent la qualité de notre travail et l’intensité de nos débats dans cet hémicycle mardi dernier, le Sénat est pleinement impliqué sur le sujet de la Nouvelle-Calédonie.

Notre groupe relève que la version du texte élaborée au Sénat laisse toute sa place au dialogue et à un possible accord local. Il a par ailleurs soutenu à l’unanimité le sous-amendement du président de la commission des lois, qui a permis de redonner un sens et de la cohérence au texte en pérennisant le dégel du corps électoral.

En revanche, nous n’étions pas favorables à un dégel transitoire du corps électoral, assorti d’une prolongation possible lors de nouvelles élections. La situation est assez ambiguë comme cela. Ce qu’il nous faut, ce qu’il faut aux Néo-Calédoniens, c’est de la clarté.

La Nouvelle-Calédonie a en effet besoin d’un horizon et de stabilité. Elle doit pouvoir se projeter dans l’avenir, au-delà des cinq ou dix prochaines années.

Le contexte économique et social, vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission, ne nous permet pas ou ne nous permet plus de perdre du temps. La situation s’est en effet fortement dégradée en quelques mois.

La crise du nickel et ses conséquences sur les usines locales sont d’ores et déjà dramatiques, alors que ce secteur concentre la moitié des emplois dans le territoire.

Par trois fois, en 2018, en 2020, en 2021, les Néo-Calédoniens ont réaffirmé vouloir pour leur territoire un destin aux côtés de la France. La France se doit donc d’être aux côtés des Néo-Calédoniens.

À titre personnel, je regrette que nous ne soyons pas allés au bout du rétablissement d’un processus démocratique en procédant à un rééquilibrage de la représentativité.

Je rappelle que, en 1985, lors de la mise en place des provinces et du statut Fabius-Pisani, le Conseil constitutionnel avait censuré un écart de représentativité de 2,1 – il fallait alors 2,1 fois plus d’habitants dans la province Sud que dans la province des îles Loyauté pour avoir un élu. Aujourd’hui, avec le fort tropisme pour la province Sud, ce coefficient est monté à 2,4.

Je regrette également, monsieur le rapporteur, que malgré votre périple de 37 000 kilomètres, vous n’ayez pas présenté vos amendements sur place, ce qui vous aurait permis de juger par vous-même de l’accueil qui leur a été réservé.

Je regrette enfin que vous soyez passé à côté de l’essentiel, à savoir l’urgence de la situation. Il ne vous aura pas échappé que, au lendemain de nos débats sur ce texte, des milliers de Néo-Calédoniens sont descendus dans la rue pour dire stop aux tergiversations et aux coups de billard à trois bandes sur un texte gouvernemental pourtant limpide et indispensable ; pour dire stop aux spéculations sur le grand accord tant attendu, alors que l’on sait très bien que, s’il doit intervenir, ce sera après la tenue des élections ; pour dire stop enfin au matraquage fiscal effectué par le Gouvernement dans le seul but de dissuader les contribuables de rester sur le Caillou.

Nous n’avons que trop attendu depuis les trois référendums. Aujourd’hui, les citoyens, les entrepreneurs et les investisseurs de Nouvelle-Calédonie ont besoin de visibilité, de stabilité institutionnelle et de sérénité. Il est de notre devoir de les entendre et de les rassurer. Ils sont en droit d’attendre une attitude impartiale de l’État et de nos deux chambres.

La Nouvelle-Calédonie possède un formidable potentiel marin, humain, agronomique et touristique. Ne le gâchons pas, mes chers collègues. Sachons redonner un nouvel élan à ce territoire.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte. Vive la Nouvelle-Calédonie ! Vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. François Patriat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos concitoyens de la Nouvelle-Calédonie regardent-ils en direction du palais du Luxembourg cet après-midi ? Je n’en suis pas certain ! Leurs sujets de préoccupation sont bien plus immédiats : ils s’interrogent sur la possibilité de faire face à leurs besoins, tant est grande la crise économique qu’ils traversent. Le secteur du nickel ainsi que celui du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont en grande difficulté. Quant au secteur du tourisme, il peut être qualifié de faible, seuls 120 000 à 130 000 touristes se rendant chaque année en Nouvelle-Calédonie.

Il convient donc d’aborder le sujet de la Nouvelle-Calédonie avec modestie, mais aussi de manière transversale. Après l’examen du texte par la commission des lois, il revient aujourd’hui à l’ensemble de notre assemblée de s’en saisir et de le voter.

Si nos débats sont présidés par l’un des meilleurs connaisseurs de la situation néo-calédonienne, le sujet concerne aussi l’ensemble du Sénat.

Il concerne ainsi la commission des finances, alors que le système social et de retraite néo-calédonien est en difficulté et que le régime de chômage partiel instauré le 28 mars dernier n’est pas financé pour plus de trois mois.

L’usine du Nord est par ailleurs endettée à hauteur de 13 milliards d’euros. Je suppose qu’une partie de cette dette est garantie par l’État, mais je ne suis pas certain qu’elle soit provisionnée dans les comptes nationaux.

Ce sujet concerne également la commission des affaires économiques, puisque le pacte Nickel n’est toujours pas signé. Selon l’inspection générale des finances, le coût de l’énergie, qui constitue une difficulté majeure en Nouvelle-Calédonie, représente de 50 % du prix de revient du nickel.

Sur le volet économique, j’évoquerai également le rôle de l’État investisseur. L’État est actionnaire à hauteur de 27 % d’Eramet, qui effectue des investissements considérables dans la première mine de nickel au monde, située en Indonésie. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé la création, en 2030, d’un fonds d’investissement dans les métaux rares et dans les minerais critiques.

Ce sujet concerne aussi la commission des affaires étrangères. Dans les mines d’Indonésie que je viens d’évoquer, les capitaux chinois sont majoritaires. Quelles sont les perspectives à cet égard, madame la ministre ?

Il concerne enfin la commission des affaires européennes. Les pays et territoires d’outre-mer ne sont pas dans l’Union européenne. La Nouvelle-Calédonie ne faisant pas exception, elle ne bénéficie pas des subventions particulièrement intéressantes que perçoivent les régions ultrapériphériques.

Quel est le contenu du contrat d’association, madame la ministre ? Quelle est la part de souveraineté européenne ? Je rappelle que le nickel de Nouvelle-Calédonie est un enjeu pour la filière automobile électrique.

Si le sujet dont nous débattons est donc constitutionnel, mes chers collègues, il ne peut pas se régler par la seule intervention du constituant. À l’heure actuelle, nous n’avons pas l’accord global que nous attendons et souhaitons. Dans cette attente, il nous faut donc permettre le bon fonctionnement de la démocratie, c’est-à-dire la tenue des élections provinciales.

Il s’agit d’une étape nouvelle et, partant, douloureuse. Si l’accord de Nouméa reste valable dans ses principes, le scénario qui avait été écrit est arrivé à son terme. Une nouvelle histoire doit donc être écrite, qui doit trouver son origine dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie à bien des égards exceptionnelle, lourde et nullement comparable à celle de notre territoire.

Mon groupe est favorable à l’adoption du texte qui nous est soumis. Il s’agit de la moins mauvaise solution. Nous aurions été beaucoup plus réservés s’il avait été question du nombre de représentants au congrès ou du découpage territorial, qui relèvent de ce que j’appelais les principes de l’accord de Nouméa.

En conclusion, en prolongeant le délai de négociation jusqu’à la fin du mois de novembre, nos travaux ont contribué à envoyer un premier signal.

En proposant que les critères d’admission au corps électoral puissent être pérennisés, dans le cas où un accord interviendrait avant le 15 décembre prochain, dans une proposition de loi organique ordinaire, plutôt que par décret, nous envoyons un second signal.

Si le choix entre les deux options que constituent le décret et la loi organique peut donner matière à débat, chacune emportant des avantages, j’avoue avoir un faible pour la seconde, même s’il convient de ne pas écarter la première, madame la ministre.

Elle met en effet le Parlement en situation de constater l’existence ou non d’un accord, ce qui le place en surplomb des partis appelés à la négociation. De plus, c’est un élément positif qui montre aux Néo-Calédoniens que le Parlement est impliqué dans leur effort pour parvenir à un accord. Enfin, c’est pour nous une marque de responsabilité.

En effet, j’ai lu des propos inutilement discourtois selon lesquels les parlementaires seraient « tremblants ». Or, nous ne le sommes pas : nous sommes responsables, car il nous revient de préserver les conditions d’une situation apaisée, afin de permettre l’expression d’un destin commun.

Le Sénat, qui comprend un sénateur loyaliste et un sénateur indépendantiste, a la culture du débat, ce qui ne peut être qu’un élément utile en l’occurrence. Je me permets d’appeler à une initiative politique, mais pas forcément à une médiation. Cette notion, en effet, me déplaît parce qu’elle a un côté binaire, de sorte qu’elle aboutirait à opposer les uns aux autres, alors que la situation en Nouvelle-Calédonie est nettement plus compliquée. J’en appelle donc tout simplement à un accompagnement politique des partis, qui, me semble-t-il, pourrait, en particulier, relever de l’action du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP.)