M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai eu l’occasion, la semaine dernière, d’expliquer les raisons qui poussent notre groupe à ne pas soutenir le texte du Gouvernement : l’intuition selon laquelle nous nous apprêtons à briser les conditions qui avaient rendu possible et maintenu la paix civile, l’impression que nous cédons au vieux et si dangereux réflexe permis par la détention d’un pouvoir que nous ne parvenons pas à nous empêcher d’exercer, la conviction, enfin, que, après une série d’erreurs sur le dossier calédonien, nous allons commettre celle de trop.

Notre position pourrait se résumer ainsi : à la différence de l’émeute révolutionnaire décrite par Victor Hugo, un État démocratique ne peut pas avoir raison sur le fond en ayant à ce point tort sur la forme. Passer en force sur un point si fondamental d’un si fragile processus de décolonisation – le seul que la France n’avait pas encore raté –, c’est se condamner mécaniquement à avoir tort, tout court.

La décolonisation a été consacrée par l’accord de Nouméa comme « le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps ».

Or, ce vivre-ensemble, ce lien social durable, ce pays commun, nous risquons de le menacer nous-mêmes aujourd’hui, en imposant unilatéralement une réforme du corps électoral à des gens à qui nous avons fait la promesse de ne pas le faire et envers qui nous avons pris l’engagement solennel, comme État, d’être impartial.

Oui, il est vrai que les restrictions actuelles ont été pensées comme transitoires, et elles doivent bien évidemment être réformées. Personne, et aucune partie sur place, ne le conteste. Peut-être même qu’un accord sur place aboutirait à une solution très proche de celle qui est proposée par le Gouvernement.

Mais, parce que la Nouvelle-Calédonie a été une colonie de peuplement, et que nous le savons et le reconnaissons, nous, les représentants de la Nation, la question de son corps électoral, et donc de sa citoyenneté, ne pourra jamais être traitée comme ailleurs ni être séparée des autres grandes ou très grandes questions qui se posent sur l’avenir institutionnel de l’archipel.

D’ailleurs, l’accord de Nouméa prévoit explicitement que l’organisation politique actuelle devra rester en vigueur tant qu’il n’y aura pas de nouvel accord global. Or, il n’y en a pas. Pis, il n’y a aucune perspective d’accord sur un nouveau corps électoral en dehors d’un accord global sur le statut de la Nouvelle-Calédonie. Pis encore, le calendrier imposé de fait par le Gouvernement rend l’accord impossible dans les temps.

Dans cet hémicycle, nous sommes tous des élus ; nous avons tous fait des campagnes électorales. Nous savons très bien comment cela fonctionne. Personne ne peut imaginer qu’il soit possible de faire campagne les uns contre les autres pendant la journée, puis de s’entendre, le soir venu, sur un avenir commun, dans une négociation on ne peut plus délicate.

Il faut donc trouver un accord sur place pour que la composition du corps électoral satisfasse aux principes du suffrage universel tout en garantissant les moyens de l’autodétermination à un territoire qui reste à décoloniser. Cet accord doit venir des Calédoniens. Il n’y a pas d’autre bonne idée qui soit.

Nous avons été nombreux, sur toutes les travées, à chercher les voies d’une atténuation des dangers que comportait ce texte. Bien des propositions visant à faciliter les négociations ont été faites, mais pour la plupart d’entre elles, elles ont été rejetées.

Rejetée, la proposition d’appliquer la réforme uniquement aux prochaines élections pour faciliter la recherche d’un accord global ; rejetée, la proposition de consulter le congrès de la Nouvelle-Calédonie sur cette réforme ; rejetée, la proposition de garantir l’impartialité de l’État dans les négociations ; rejetée, encore, la demande de reporter l’entrée en vigueur du présent texte d’une année.

Même l’unique petit élément positif, à savoir la fixation des modalités d’organisation du scrutin par le Parlement – il en a le droit –, et non plus par le Gouvernement, le ministre a peiné à le concéder. Quelle image donnons-nous !

Madame la ministre, je vous le dis avec la plus grande sincérité, je souhaite de toutes mes forces me tromper, je souhaite profondément avoir tort.

Alors que nous en sommes là, alors que nombreux sont ceux qui sont venus nous alerter en nous disant de ne pas persister dans l’adoption unilatérale d’une réforme qui vient toucher au cœur et à la substance même de ce sur quoi repose la possibilité de s’entendre pacifiquement en Nouvelle-Calédonie sur un destin commun, j’aimerais tellement que vous ayez raison, madame la ministre ! Et que votre belle histoire soit vraie, selon laquelle en agissant de façon partiale nous résoudrions le problème.

Mais, jeudi dernier, des manifestations réunissant des milliers de personnes ont eu lieu à Nouméa. Alors que les indépendantistes dénonçaient le dégel du corps électoral, Sonia Backès déclarait : « Le bordel, c’est nous qui le mettrons si on essaie de nous marcher dessus ! » Vous conviendrez que l’atmosphère n’est pas à l’apaisement.

Vendredi, le journal Le Monde titrait : « La Nouvelle-Calédonie s’enfonce dans la crise politique », le chapeau de l’article précisant : « Loyalistes et indépendantistes ont manifesté chacun de leur côté jeudi 28 mars à Nouméa, où la réforme constitutionnelle modifiant le sujet ultrasensible du corps électoral échauffe les esprits. »

Oui, madame la ministre, je souhaite réellement avoir tort. Je souhaite que la rupture unilatérale du contrat sur lequel l’État s’était engagé, les erreurs répétées de ces dernières années, le vote unilatéral d’un nouveau corps électoral qui ne reflète en rien un consensus local, en dehors de tout accord politique global, dans un calendrier ayant vocation à faire pression sur les Calédoniens, je souhaite que tout cela, malgré tout, ne conduise pas à un nouvel embrasement de la Nouvelle-Calédonie et que les violences ne reviennent pas.

Je le souhaite, mais, pour le dire franchement, je ne parviens pas à m’en convaincre. La conviction que j’ai aujourd’hui, renforcée par les événements de la semaine dernière, c’est que la seule solution est un accord global négocié par toutes les parties prenantes avant que le Parlement ne se prononce et non après. La conviction que j’ai, c’est que si nous jouons avec le feu, ce n’est pas nous que nous brûlerons, mais les Calédoniens.

Comme écologistes, nous voulons redire ici que nous ne sommes pas obligés de faire ce choix. Nous pouvons laisser sa chance à un accord. Il existe un monde où la France pourrait ne pas rater un processus de décolonisation.

C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer et à remercier ceux qui ont participé aux grandes mobilisations contre ce projet de loi qui se sont tenues, ce 2 avril, à Nouméa, dans les villages et les tribus du pays, ainsi que ceux qui seront présents cet après-midi pour manifester devant le Sénat.

Lors de son dernier passage en Kanaky, Emmanuel Macron déclarait dans son discours, place des Cocotiers à Nouméa, en parlant du chemin du pardon : « C’est un chemin que nous devons parcourir ensemble, faire ensemble. Ce n’est pas un chemin de repentance : c’est un chemin de fraternité, de vérité et de courage. […] Je dis humblement devant vous aujourd’hui que moi, j’y suis prêt et que je pense que ce chemin est important. Il faut l’imaginer, il faut le faire ensemble, avec beaucoup d’humilité. » Après ce beau discours, je ne peux que vous faire part de toute ma déception et de mon inquiétude.

Le 28 mars dernier, s’est tenue devant le congrès de la Nouvelle-Calédonie une manifestation des loyalistes : « Je le dis à Paris aujourd’hui, aux parlementaires qui tremblent : le bordel, c’est nous qui le mettrons » : tels sont les propos qu’a tenus la présidente de la province Sud, qui conteste la légitimité du gouvernement indépendantiste.

Veuillez m’excuser, mais qu’avons-nous volé aux loyalistes ? Qu’est-ce qui leur appartient ? Pourquoi serions-nous moins légitimes qu’eux ? Et c’est ainsi qu’ils veulent construire un pays multiculturel ? Nous avons été élus démocratiquement, élus selon les mêmes règles démocratiques que celles qui leur ont permis de gouverner pendant des décennies. Nous ne pouvons cautionner de tels propos venant de dirigeants politiques, encore moins d’une ex-ministre d’État à la citoyenneté.

Vous avez là un aperçu de l’atmosphère dans laquelle nous avançons aujourd’hui, certaines personnes se sentant plus légitimes que d’autres à exercer des fonctions dans les institutions calédoniennes et à les diriger.

Au regard de la démarche odieuse, récurrente et fourbe du Gouvernement, M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer est-il toujours légitime à porter le dossier calédonien ?

Aujourd’hui, le pays est au bord d’une crise politico-économique et sociale sans précédent. La crise du nickel pourrait avoir de profondes conséquences sociales, dans un contexte politique tendu autour de l’avenir institutionnel du pays. Le 28 mars dernier, deux marches parallèles ont été organisées, l’une par les indépendantistes, l’autre par les loyalistes, au sujet du corps électoral.

Chers collègues, puisque nous souhaitons emprunter ce chemin de pardon, permettez-moi de citer le président Jean-Marie Tjibaou : « Nous voulons que soit brûlée la haine, et que soit clair le chemin de notre avenir, et fraternel le cercle que nous ouvrons à tous les autres peuples, tel est le cri que je lance. » Sinon, ce chemin sera juste un semblant de main tendue à des dos tournés.

J’ai noté avec un grand intérêt lors de vos différentes interventions au Sénat, au cours de l’examen du présent projet de loi, la volonté d’emprunter ce chemin d’apaisement pour encourager la voie du dialogue. La modification du texte initial par les amendements que vous avez votés disqualifie toutefois les porteurs du projet de loi et démontre le manque de confiance du Sénat dans la manière que le Gouvernement a d’aborder le dossier calédonien.

Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a une nouvelle fois été scandalisé par le comportement méprisant et manipulateur du ministre de l’intérieur lors de la discussion générale le 26 mars, par la lecture qu’il a faite du fameux document signé par certains élus du FLNKS et qui appellerait à dégeler le corps électoral. En effet, il a délibérément omis de lire le passage le plus important du document, dans lequel il est indiqué que « le FLNKS se positionnera sur ce sujet à l’issue des résultats de ces travaux », c’est-à-dire après la simulation des impacts de l’ouverture du corps électoral. En omettant cette phrase, le ministre a dénaturé le contenu même des échanges avec le FLNKS.

Nous en étions certains, mais nous en sommes d’autant plus convaincus aujourd’hui que le parti pris de M. Darmanin nous le prouve, sans aucun doute : M. le ministre prend position sans souci de justice ni de vérité et représente ainsi un État partial sur le sujet. Il s’agit là d’un fait et non plus d’une opinion.

Le 23 mars dernier, le FLNKS s’est prononcé lors de son congrès et a réaffirmé son opposition ferme au dégel du corps électoral en dehors d’un accord global. L’État a décidé unilatéralement d’ouvrir le corps électoral aux natifs et aux résidents pouvant justifier de dix ans de présence sur le sol calédonien. Malgré cela, lors des discussions bilatérales, le FLNKS a fait savoir qu’il était prêt à accepter une ouverture du corps électoral aux natifs dans le cadre d’un accord global, ce qui permettait d’inscrire le droit du sol au sein de notre loi organique. Cette ouverture aboutirait à l’inscription de 12 400 nouveaux électeurs, ainsi que de 2 000 jeunes majeurs, enfants de non-citoyens, nés en Nouvelle-Calédonie entre 1998 et 2005.

Or la présente proposition d’ouverture du corps électoral provoquera l’inscription d’environ 25 900 nouveaux électeurs, ce qui correspond à une augmentation de 14,46 % du corps électoral spécial. Si l’on appliquait un tel pourcentage d’augmentation au corps électoral français, cela reviendrait à inscrire en une seule fois un peu plus de 7 millions de nouveaux électeurs. Quel responsable politique français serait d’accord pour procéder à un tel ajout avant des élections nationales ?

Cette ouverture ne ferait que diluer la citoyenneté calédonienne dans la citoyenneté française, consacrant la volonté affirmée du Gouvernement de faire disparaître toute perspective d’indépendance du peuple kanak.

La difficile et périlleuse conjugaison de la démocratie et de la décolonisation nécessite une politique pragmatique, adaptée à la réalité du Caillou, celle qui est issue de l’histoire de la colonisation des Kanaks, lesquels cheminent vers la volonté de construire ensemble une société calédonienne démocratique.

Le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, a appelé à éviter les mots que l’on entend et à construire dans la sérénité. Les crises que traverse la Nouvelle-Calédonie nourrissent la colère des Calédoniens. Or, nous ne pouvons pas laisser les intérêts politiques des uns et des autres faire croître cette colère au travers de ce genre d’agissements. Nos responsabilités nous obligent.

De plus, au lieu d’apaiser les tensions, la course à la campagne électorale raidit les positions des uns et des autres et empêche l’instauration d’un dialogue. Le terreau sur lequel on moissonne est vaseux, les équilibres sont fragilisés et les signaux sociétaux s’allument en orange. Mes chers collègues, ne faisons pas de ce texte le déclencheur d’une crise que personne ne pourra maîtriser.

C’est dans ce contexte que le FLNKS appelle, dans sa motion de politique générale, à maintenir la voie du dialogue comme unique moyen de trouver une solution sur le corps électoral dans le cadre d’un accord global. Le FLNKS sollicite une mission de médiation afin de garantir l’impartialité de l’État.

En outre, nous demandons solennellement au Gouvernement français de retirer ce projet de loi et de respecter les engagements pris en faveur d’une évolution politique consensuelle, garantissant l’intégrité de notre processus de décolonisation et le respect des accords de paix précédemment conclus.

Nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Émilienne Poumirol et M. Didier Marie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 26 juin 1988, à la suite des événements survenus dans la grotte d’Ouvéa, les loyalistes et les indépendantistes topaient dans la douleur un processus d’émancipation inédit qui allait libérer la parole des indépendantistes.

Avant d’ouvrir la voie à la paix, les accords de Matignon ont succédé à ce que l’on appelle encore pudiquement « les événements », quand certains historiens préfèrent parler de « guerre civile ». Quelle que soit leur qualification, les faits ont été dramatiques : boycott d’élections, assassinats, prise d’otages, barrages et manifestations ont ponctué cette décennie.

Aussi, le souvenir tragique de cette période nous oblige à faire preuve de beaucoup de prudence. Tous les groupes en ont fait le constat la semaine dernière : les enjeux de ce texte vont bien au-delà du simple dégel électoral.

Certes, les circonstances rendent acceptable de ne donner la parole qu’à une partie de la population, présente sur l’île depuis toujours. Cependant, comme nous l’avons déjà répété à cette tribune, le gel d’une partie du corps électoral représente une situation inédite dans notre République.

Notre groupe est profondément mal à l’aise face au débat qui se pose. D’un côté, comment tolérer une telle entorse démocratique à l’égard d’une partie de nos concitoyens et à nos principes constitutionnels les plus élémentaires, au premier rang desquels je citerai l’universalité du suffrage posée à l’article 3 de notre Constitution ?

De l’autre, nous constatons que les efforts politiques pour parvenir à un accord, depuis le processus référendaire, s’essoufflent. La ligne de fracture entre le nord et le sud – entre Européens et Kanaks – semble s’étendre. Les initiatives de rééquilibrage, lancées par les gouvernements successifs, n’ont rien donné.

En trente ans, les inégalités économiques entre Européens et Kanaks ont continué de se creuser. Aux divisions sociales s’ajoute la fracture politique sur la question de l’indépendance.

Lors des élections locales de 2014, la répartition des votes entre loyalistes et indépendantistes recouvrait parfaitement celle de la population kanak et non kanak sur le territoire. Pourtant, l’accord de Nouméa énonçait : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun. »

Mes chers collègues, la question de l’indépendance est une chose, mais celle de la décolonisation en est une autre. Pouvons-nous considérer les conditions du rééquilibrage satisfaisantes ? Permettent-elles de revenir sur le statu quo qui prévalait depuis l’accord de Nouméa ? Sommes-nous parvenus au bout du chemin du pardon évoqué par le Président de la République, Emmanuel Macron ? Ces questions se posent naturellement, alors même que le dégel du corps électoral est une exigence juridique.

Au nom des principes démocratiques et républicains, ce dégel s’impose à nous, mais il ne faudrait pas qu’il apparaisse comme une victoire aux yeux des loyalistes.

En ce sens, le texte du Sénat nous semble aller vers un chemin plus raisonnable. En effet, mes chers collègues, il faut laisser plus de temps aux parties de trouver un accord. Les modifications du rapporteur vont dans le bon sens. Il faut réaffirmer les valeurs portées par l’accord de Nouméa. Il nous paraît essentiel de débattre d’un texte qui rappelle le destin commun qui lie les Calédoniens.

Toutefois, n’oublions pas qu’une partie du corps électoral restera gelée. Dès lors, les exigences portées en 2005 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’imposeront de nouveau. Nous serons tenus de prévoir des dispositions transitoires permettant d’atteindre un seul et unique but : l’autodétermination.

Malgré les efforts de notre assemblée, ce texte nous permettra-t-il d’aboutir à un véritable processus d’autodétermination ? Nous craignons, au contraire, qu’il ne mette un coup d’arrêt à la stabilité qui prévaut depuis l’accord de Nouméa. La situation de statu quo pourrait être fortement compromise si aucune garantie politique n’était octroyée.

Mes chers collègues, nous attendions beaucoup du débat de la semaine dernière. Le texte du Sénat a adouci une position que nous jugions trop volontariste. Au regard de l’histoire qui est la sienne et des spécificités territoriales qu’elle englobe, la Nouvelle-Calédonie mérite un accord politique qui respecte la volonté du peuple premier.

Nous souhaitons que cet accord aboutisse, mais donnons à la Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire d’avancer de manière apaisée. Jean Jaurès a dit que la République était un grand acte de confiance. Elle doit être capable d’une telle confiance, laissons-lui encore un peu de temps…

Dans cette attente, et pour prendre en considération l’aspect juridique et constitutionnel du sujet, une majorité des membres du groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les accords de Matignon et de Nouméa ont permis à la Nouvelle-Calédonie de connaître plus de trois décennies de paix civile.

La troisième consultation sur l’indépendance le 12 décembre 2021 est venue clore le processus engagé en 1988 : les Calédoniens ont rejeté, pour la troisième fois consécutive, l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

C’est donc au sein de la République que doivent s’inscrire les prochaines perspectives politiques de ce territoire ; il nous faudra cependant toujours garder à l’esprit que le principe du droit à l’autodétermination des Calédoniens est inaliénable, au regard de notre droit interne comme du droit international.

Nous devons aujourd’hui trouver collectivement, en Nouvelle-Calédonie et en métropole, les moyens de réussir ce que nos prédécesseurs étaient parvenus à réaliser : permettre aux Calédoniens de se donner une perspective politique partagée, un « destin commun », selon l’expression consacrée.

L’absence d’accord que nous connaissons actuellement vient encore prolonger la période d’incertitude inhérente à la tenue des trois consultations qui étaient prévues par l’accord de Nouméa, alors que la Nouvelle-Calédonie a aujourd’hui besoin de stabilité et de visibilité sur son avenir.

Chacune et chacun le sent bien, nous sommes à un point de bascule. Le défi politique à relever, auxquels il faut ajouter les défis économiques, sociaux et géopolitiques, est important. La grave crise des finances publiques qui frappe depuis des années la Nouvelle-Calédonie complique encore davantage l’équation à résoudre.

La situation étant complexe, nous sommes tous attachés à ce qu’un accord sur l’avenir politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie intervienne au plus vite.

L’histoire nous renseigne sur les éléments qui permettraient d’avancer sur la voie d’un accord. Sur le fond, l’État doit rester impartial, ce qui ne signifie pas toutefois « inactif ». En effet, nous pouvons relever que, en 1988, c’est la mission du dialogue pilotée par Christian Blanc, à la demande de Michel Rocard, qui avait permis, dans un contexte de crise, de dégager les pistes permettant d’aboutir à un accord.

Depuis 1988, nous l’avons vu également, la Nouvelle-Calédonie a été un sujet que le Premier ministre a toujours suivi avec une particulière attention, dans les moments les plus stratégiques de son évolution, qu’il s’agisse de Michel Rocard, de Lionel Jospin ou d’Édouard Philippe.

Si un accord tarde à être conclu, ce retard ne peut cependant pas bloquer le processus démocratique normal. La vie démocratique doit se poursuivre pendant cette transition et les élections provinciales doivent se tenir dans les meilleures conditions possible. Tel est le sens du report de quelques mois de la consultation électorale provinciale, qui a déjà été adopté.

Il s’agit aujourd’hui de permettre que les élections des conseillers des provinces puissent se tenir régulièrement avec un corps électoral dégelé, comprenant des citoyens nés ou arrivés en Nouvelle-Calédonie après 1998.

Je tiens à souligner l’excellence du travail réalisé par le rapporteur de la commission des lois, M. Philippe Bas, et l’esprit dans lequel se sont déroulés les échanges sur ce texte au sein de cette même commission.

Nous savons que l’évolution qu’il contient est absolument indispensable au regard du principe de l’égalité du suffrage et que bloquer encore l’évolution du corps électoral poserait non seulement un problème démocratique, mais aussi, et surtout, une difficulté juridique.

En effet, les élections se font bien évidemment sous le contrôle du juge, et le Conseil d’État a envoyé un message très clair en indiquant qu’une consultation électorale qui se tiendrait sur la base d’une liste électorale arrêtée en 1998 serait frappée d’irrégularité. Le dégel du corps électoral n’est donc aujourd’hui pas une option politique ; c’est une nécessité juridique.

Nous regrettons que les parties calédoniennes n’aient pas pour l’instant réussi à se mettre d’accord sur les conditions du nécessaire dégel, tout en comprenant que ce point fait partie des éléments constitutifs de la nationalité calédonienne, sujet par nature sensible, qui peut difficilement être détachable d’un accord global.

Puisqu’il nous faut bien avancer pour garantir la régularité juridique des prochaines élections provinciales, le Gouvernement nous propose de retenir une durée de résidence minimale de dix ans en Nouvelle-Calédonie et de consacrer ainsi le caractère glissant du corps électoral.

Cette proposition nous paraît raisonnable en ce qu’elle permet de s’assurer d’un lien suffisamment fort et constant entre le nouvel électeur et la Nouvelle-Calédonie. Elle ne remet donc pas en cause l’existence d’une spécificité du territoire calédonien en matière électorale, dans la mesure où un corps restreint d’électeurs est maintenu, ni le principe d’une citoyenneté calédonienne.

Cette proposition ne semble pas susciter d’opposition marquée du côté des loyalistes comme du côté des indépendantistes. Cependant, afin de ne pas préempter les conclusions de cet accord entre les parties calédoniennes, l’État doit intervenir le moins possible de manière unilatérale.

Nous avons ainsi bien conscience que le mode d’action prévu dans ce texte constitue une exception pour l’État. Seule la contrainte juridique impérieuse liée à la régularité des élections à venir vient la justifier. Cette exception ne peut exister que sous la réserve qu’un accord n’ait pas été conclu. L’État doit, en effet, demeurer un acteur actif et impartial pour que les Calédoniens puissent déterminer ensemble leur destin commun.

L’État doit aussi pouvoir s’adapter en temps réel aux évolutions de la situation politique calédonienne. Aussi, en retirant une part de l’agilité que le texte du Gouvernement permettait en confiant au pouvoir réglementaire la mise en œuvre de la révision constitutionnelle, le Sénat a pris un risque qu’il ne nous semblait pas indispensable dans un contexte déjà tendu.

Nous voterons cependant en faveur de ce projet de loi constitutionnelle, qui doit impérativement aboutir parce qu’il faut bien que la question du corps électoral soit réglée pour permettre la tenue des élections dans un cadre juridique sécurisé. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, modifié, l’ensemble du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)