compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Ouzoulias

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Michel Arnaud,

Mme Catherine Conconne.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 21 mars 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Intitulé d’une mission d’information

M. le président. Mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner demain à seize heures trente une demande d’attribution de pouvoirs de commission d’enquête pour une mission d’information sur les modalités de constitution d’une société commerciale par la Ligue de football professionnel.

Par lettre en date du lundi 25 mars dernier, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a fait savoir qu’elle souhaitait modifier l’intitulé de cette mission d’information, qui porterait désormais sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football professionnel français.

Il n’y a pas d’observations ?

Il en est ainsi décidé.

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

Intitulé de la proposition de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Explications de vote sur l'ensemble (début)

« Tests PME » et création d’un dispositif « Impact Entreprises »

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises », présentée par M. Olivier Rietmann et plusieurs de ses collègues (proposition n° 192, texte de la commission n° 421, rapport n° 420).

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le bon fonctionnement de notre État de droit repose sur un principe simple : nul n’est censé ignorer la loi.

Ce n’est ni une hypothèse ni un postulat ; c’est une affirmation, une injonction sans laquelle la justice ne peut tout simplement pas être rendue de manière équitable. Car, si l’on était fondé à ignorer la loi, tout un chacun pourrait alors se prévaloir d’ignorer ce qui est autorisé ou ce qui est interdit, et tout un chacun serait alors fondé à enfreindre celle-ci.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui plus personne ne peut connaître la loi. Mes chers collègues, je vous le dis avec gravité : il ne s’agit pas de savoir lequel de nos codes mériterait bien un toilettage, mais il s’agit d’admettre que l’un des fondements de notre État de droit est devenu en grande partie inopérant.

Certains édifices s’effondrent non pas parce qu’ils sont mal conçus ou parce qu’ils subissent des pressions trop fortes, mais simplement parce que leurs fondations ne résistent pas aux constructions qui s’accumulent au-dessus d’elles.

Ce raisonnement vaut notamment pour l’économie. La complexité du droit applicable obère notre compétitivité. En outre, elle fait peser sur les dirigeants des incertitudes juridiques qui deviennent insupportables. Au risque financier s’ajoute le risque juridique permanent, et les dirigeants vivent dans le doute permanent d’être hors-la-loi.

Le président de la délégation aux entreprises l’a parfaitement résumé dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi : « Nul chef d’entreprise n’est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 articles du code de commerce ou encore les 6 898 articles du code de l’environnement. » Tout est dit.

C’est pourquoi, au nom du groupe Les Indépendants, mais également en tant que vice-président de la délégation aux entreprises, je tiens de nouveau à remercier le président de cette dernière, Olivier Rietmann, d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour de nos travaux.

La proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME » apporte une réponse à ce problème essentiel, qui consiste dans le fait que la complexité législative est devenue une angoisse pour tous les dirigeants. Le président Rietmann a su formuler une proposition d’action concrète pour répondre à ces angoisses qui minent notre économie.

En demandant que chaque norme, réglementaire ou législative, nationale ou européenne, soit d’abord évaluée à l’aune de ses effets sur nos entreprises, et singulièrement sur nos petites et moyennes entreprises (PME), nous proposons une nouvelle manière de produire la norme. C’est bon pour notre économie ; c’est bon pour notre démocratie.

Bien sûr, la création du haut conseil à la simplification pour les entreprises ne simplifiera pas du jour au lendemain notre droit existant. Cependant, elle garantit que les futures normes seront élaborées plus en adéquation avec la réalité des acteurs économiques. À cet égard, ce haut conseil agira davantage sur le flux de normes que sur leur stock. Cela n’est certes pas la panacée, mais cela représente bel et bien une avancée. (Mme la rapporteure acquiesce.)

À l’issue de son examen en commission et en séance publique, le texte qui sort du Sénat est à la fois plus robuste et plus efficace. Je tiens à saluer le travail mené par la rapporteure Elsa Schalck : les amendements qu’elle a défendus améliorent le texte de façon pragmatique, en respectant l’esprit du texte original.

Le repositionnement du haut conseil à la simplification sous l’autorité du Premier ministre lui conférera un portage politique plus important. Cela lui permettra également de travailler de façon transversale, ce qui correspond parfaitement aux missions que nous souhaitons lui confier.

À cet égard, ainsi que je l’ai indiqué lors de nos débats dans l’hémicycle en défendant un amendement, il ne me semble pas nécessaire que le haut conseil soit doté de moyens propres, car cela implique de créer une dépense supplémentaire.

J’ai bien entendu l’avis prononcé par la rapporteure, qui soutient que le haut conseil permettra de réaliser des économies, ce que j’espère à ses côtés. Toutefois, les économies demeurent toujours hypothétiques, tandis que les dépenses, elles, seront bien réelles – nous les examinerons dès le prochain projet de loi de finances.

L’actualisation des chiffres du déficit public par l’Insee conforte ma proposition. J’aurais trouvé plus raisonnable qu’il en fût autrement. En tout état de cause, il serait bienvenu que le haut conseil à la simplification soit placé sous le signe de la frugalité.

La réduction de la dépense publique est en effet indispensable pour préserver la compétitivité des entreprises. Pour alléger la pression fiscale sans alourdir notre dette publique, il faudra réduire les dépenses publiques, et pour ce faire, rien de mieux que ne pas en créer de nouvelles.

J’espère que nous débattrons de ces sujets lors de la prochaine discussion budgétaire, tout d’abord parce que l’équilibre des finances publiques constitue un enjeu global. Certaines dépenses sont en effet justifiées, dès lors qu’elles permettent de réduire globalement le déficit.

Ensuite, et surtout, j’espère que nous débattrons de cette question à l’automne prochain parce que cela signifierait que le haut conseil à la simplification pour les entreprises a été créé, ce qui constituerait une excellente nouvelle.

Madame la secrétaire d’État, il me semble avoir compris – si je me réfère aux propos tenus par votre collègue qui était à votre place pendant l’examen du texte en séance publique – que le Gouvernement est favorable à cette proposition du Sénat en faveur de nos entreprises : je m’en réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Olivier Rietmann et Christian Klinger applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 60 milliards d’euros : voilà le coût annuel pour l’économie française de la complexité administrative qui pèse sur nos entreprises.

Chaque année, 3 % du PIB est sacrifié à cause d’un excès de normes, de règles, d’encadrements, à cause des lourdeurs qui handicapent au quotidien les entreprises et les détournent de leur objectif principal, à savoir la création de valeur.

Aujourd’hui, ce sont plus de 20 000 articles de loi que tout bon chef d’entreprise devrait connaître et appliquer quotidiennement pour gérer sa structure.

Je ne parle même pas de la perte de compétitivité à l’international, où nos grands groupes et nos PME doivent rivaliser avec des concurrents qui bénéficient d’une administration bien plus agile.

En définitive, au lieu d’accompagner, d’encadrer et de protéger nos entreprises, nos normes les ralentissent, les contraignent et les pénalisent.

Je suis certaine que nous sommes nombreux à partager ce constat dans cet hémicycle, tant du côté du Gouvernement que de celui des parlementaires – cela n’est pas nouveau.

La question de l’inflation législative revient régulièrement dans le débat public. À chaque fois, des solutions plus ou moins élaborées sont proposées.

Ainsi, les premières assises de la simplification se sont tenues en 2011, et l’exécutif a annoncé en 2013 un « choc de simplification » – chacun peut en mesurer les résultats aujourd’hui… (Sourires.)

Que penser également des études d’impact qui accompagnent tout projet de loi depuis 2009 ? Rédigées par l’administration, à la fois juge et partie dans l’affaire, elles comportent certes régulièrement une sous-partie où l’impact sur les entreprises est évalué, mais cette dernière se réduit souvent à la formule « aucun impact n’est attendu ». Cela a notamment été le cas à propos d’importants textes récents, comme la loi de finances ou la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

Bien sûr, je mesure l’ironie qu’il y a à dénoncer l’inflation législative alors que nous, parlementaires, endossons une responsabilité évidente dans cette situation.

Ainsi, en plus d’un indispensable changement de culture administrative, nous devons aussi nous atteler à construire une nouvelle façon de fabriquer la loi.

Il est indispensable de pouvoir produire des normes nécessaires, simples et compréhensibles, qui auront été coconstruites avec les entreprises, et dont l’impact aura été mesuré bien plus finement qu’aujourd’hui.

C’est l’objet du texte que nous nous apprêtons à voter, déposé par Olivier Rietmann et enrichi par notre rapporteure Elsa Schalck.

Ainsi, les « tests PME », dont l’objectif est de mesurer concrètement l’impact des normes sur les PME, nous permettront de rattraper notre retard vis-à-vis de l’Allemagne ou des Pays-Bas.

Le haut conseil à la simplification pour les entreprises dont nous décidons la création aura aussi un rôle à jouer. En effet, nous espérons qu’il ne deviendra pas un comité Théodule coûteux n’atteignant pas véritablement son objectif.

Son statut de commission administrative comme son rattachement au Premier ministre lui garantiront un portage interministériel de haut niveau. Son rôle d’évaluation a priori sera important.

À cet égard, nous avons clarifié et sécurisé les procédures de consultation. Le haut conseil sera obligatoirement saisi en amont par le Gouvernement sur tout projet ayant une incidence sur les entreprises.

Il est évident que ce texte va dans le bon sens, en proposant des dispositifs pertinents. Il me semble toutefois également important de rappeler que, faute d’un véritable changement de paradigme à tous les échelons de la décision publique, nous risquons de nous retrouver dans quelques années pour examiner un nouveau texte sur la simplification.

Parfois, appliquer simplement la loi avec bon sens dans la gestion des dossiers, sans ajouter de tâches administratives, suffit à simplifier la vie des entreprises. En attendant, et en espérant qu’il donnera l’impulsion nécessaire, le groupe centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « surcharge administrative », « océan de paperasse », « tsunami réglementaire » : nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre du nombre de démarches qu’ils doivent remplir.

Ayant été moi-même responsable d’une petite entreprise, je peux témoigner de cette lourdeur administrative.

M. Guillaume Gontard. Elle pose un problème d’équité entre les entreprises de différentes tailles : souvent, les petits patrons ne peuvent pas payer des experts juridiques, à la différence des grands groupes.

Cette surcharge nous coûte cher : elle représente entre 3 et 4 points de PIB de dépenses inutiles selon l’OCDE.

Alors oui, une simplification est nécessaire. Mais laquelle ? Depuis des années, les annonces de simplification se succèdent, sans grands résultats.

D’abord, nous devons nuancer la fameuse « inflation normative » : certes, les codes continuent à s’épaissir, mais c’est aussi parce qu’ils contiennent des règles qui ne sont plus en vigueur.

Mentionnons également la tendance à ajouter dans les lois des recommandations non obligatoires. Ce phénomène, que les Anglo-Saxons nomment soft law, vient lui aussi gonfler nos textes.

Ensuite, nous devons questionner les conditions dans lesquelles nous légiférons. Oui, l’inflation législative est réelle, et certaines lois sont mal faites, mais le Gouvernement en est le premier responsable : l’usage de la procédure accélérée, normalement permis à titre dérogatoire, est devenu systématique. Cette généralisation touche en particulier les projets de loi les plus importants, qui méritent pourtant un examen approfondi de la part des parlementaires.

En outre, pour faire passer certaines réformes, le Gouvernement s’appuie de plus en plus sur des propositions de loi, mais celles-ci ne sont accompagnées d’aucune étude d’impact.

À force de demander aux parlementaires de travailler dans des délais réduits et sans leur fournir toutes les informations nécessaires, la qualité du processus législatif s’en ressent. Souvent, il faut faire une nouvelle réforme pour corriger les défauts et oublis de la précédente. Et l’on viendrait ensuite s’étonner que les entreprises n’arrivent plus à suivre le rythme ?

Par ailleurs, la simplification n’est trop souvent qu’un prétexte pour affaiblir les règles régulant l’insatiable appétit de profit du capitalisme. Ainsi, c’est en son nom qu’ont été menées les deux réformes du code du travail de 2016 et de 2017, où de nombreuses protections pour les salariés ont été supprimées.

M. André Reichardt. C’est un peu gros !

M. Guillaume Gontard. Plus récemment, c’est aussi au nom de la simplification de la vie des agriculteurs que le Gouvernement a suspendu le plan Écophyto et attaqué l’action de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Soyons donc prudents : simplifier, oui, mais pas à n’importe quel prix.

L’objectif de la proposition de loi coécrite par la délégation aux entreprises est bien évidemment louable, mais, mes chers collègues, il nous semble que vos propositions apportent une mauvaise réponse à un vrai problème.

Ainsi, mes chers collègues, vous proposez de créer un haut conseil à la simplification pour les entreprises. Chargé d’analyser toutes les règles applicables aux entreprises tant en amont qu’en aval de la procédure législative, celui-ci aurait un pouvoir politique considérable : obligatoirement consulté par le Gouvernement pour tout texte législatif, réglementaire ou européen ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises, il pourrait émettre un avis défavorable obligeant le Gouvernement à revoir sa copie.

Certes, le statut de ce haut conseil a été utilement modifié lors de l’examen du texte en commission, afin d’en faire une commission administrative consultative rattachée au Premier ministre plutôt qu’une autorité administrative indépendante.

Toutefois, conférer un tel pouvoir à ce haut conseil revient à lui offrir de fait une tutelle sur la fabrique de la loi. Or le pouvoir législatif appartient au Gouvernement et au Parlement, et seul le Conseil constitutionnel est compétent pour trancher les litiges en la matière.

Oui, il est important d’associer les entreprises lorsque nous travaillons sur des textes qui les concernent. Cependant, qui parmi nous ne le fait pas déjà ? Les entreprises ne disposent-elles pas de puissants lobbys pour les représenter ? Pourquoi leur donner encore plus de pouvoir et leur permettre de bloquer les normes qui les gênent ?

La création de ce haut conseil conduirait à une nouvelle réduction du pouvoir du politique sur l’économie. Or le rôle du politique est d’arbitrer entre des intérêts divergents ! En plus du développement économique, nous devons aussi tenir compte de l’intérêt des travailleurs ainsi que des conséquences des normes sur la nature, sur l’environnement ou sur notre culture.

La composition de ce haut conseil pose aussi question : s’il est censé aider les PME et très petites entreprises (TPE), pourquoi avoir alors ajouté un siège pour les représentants des grandes entreprises ? Le Mouvement des entreprises de France (Medef) n’a-t-il pas déjà assez de pouvoir ?

À l’inverse, pourquoi avoir refusé notre proposition d’ajouter des sièges pour les représentants du personnel, pourtant les plus à même de faire remonter les contraintes juridiques que vivent les salariés au quotidien ?

Lors de l’examen du texte en séance, une mission de lanceur d’alerte au sujet du risque de surtransposition de règles européennes a également été confiée à ce haut conseil. Cet ajout ne nous paraît pas pertinent. Dans bien des cas, il est nécessaire d’aller au-delà de la législation européenne, et même d’être précurseur par rapport aux réglementations.

Prenez l’exemple de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre : la France a été en avance sur ce sujet, et aujourd’hui l’Union européenne reprend des dispositions de cette loi qui s’attaque aux dérives de la sous-traitance. Soyons-en fiers ! À l’inverse, ne faudrait-il pas aussi se pencher sur la « sous-transposition » de directives et de règlements européens par la France ?

Ainsi, nous craignons que ce haut conseil ne soit un nouvel outil pour attaquer les droits des salariés et les protections environnementales. Je vous rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que ces dernières peuvent être de vrais atouts pour nos entreprises.

Par exemple, lorsqu’en 1987 le protocole de Montréal décidait l’interdiction des gaz chlorés pour préserver la couche d’ozone, les industriels annonçaient la mort de la chaîne du froid, l’explosion des maladies et du gaspillage alimentaire. En définitive, quelques années plus tard, d’autres solutions avaient été trouvées, et le groupe français Elf Atochem, leader mondial du secteur, applaudissait cette interdiction.

De même, ce sont bien les normes et les interdictions de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi Agec, qui ont permis d’avancer au sujet de l’encadrement des emballages.

En réalité, les entrepreneurs sont prêts, et même volontaires, pour changer leurs pratiques. Ce qu’ils nous demandent, c’est de l’accompagnement et de la visibilité.

Ainsi, même si nous saluons l’amélioration du texte lors de son examen en commission, et notamment la correction de plusieurs aspects inconstitutionnels, nous craignons qu’il n’aboutisse à un détricotage des règles environnementales et salariales qui nous protègent.

Oui, nous sommes prêts à travailler à des simplifications qui aideront nos entrepreneurs et notre administration, mais pas de cette façon. Dans de telles conditions, le groupe écologiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie d’abord chaleureusement le président de la délégation aux entreprises, Olivier Rietmann, d’avoir déposé cette proposition de loi sur les entreprises. On dit souvent de ces dernières qu’elles comportent des chefs d’entreprise et du capital, mais on ne dit pas assez qu’elles comportent aussi des machines-outils et de l’intelligence humaine, c’est-à-dire des travailleurs et des travailleuses qui les font vivre au quotidien.

Je précise ce point, car selon une information importante de l’actualité, le taux de défaillance des entreprises atteint cette année un record : on comptait 57 729 procédures de défaillance l’an dernier, soit un bond de 38 %.

Évidemment, il y a les effets consécutifs au covid, un certain nombre d’entreprises devant affronter des problématiques de financement ou des difficultés à rembourser les prêts garantis par l’État (PGE).

Toutefois, il faut aussi tenir compte du contexte politique et social extrêmement dégradé, de l’inflation, du manque de matières premières, du ralentissement de la consommation et du prix de l’énergie, qui ne cesse de flamber. D’ailleurs, je le répète à cette tribune : la réforme du marché européen et la renationalisation de l’ensemble du secteur énergétique deviennent des nécessités pour l’ensemble des usagers, tant les individus que les entreprises.

La proposition de loi présentée par le président de la délégation aux entreprises part du biais selon lequel la première difficulté des entreprises serait un « trop de normes », sociales ou environnementales – d’ailleurs, nous n’arrivons pas à savoir précisément lesquelles. Pour régler ce problème, il faudrait créer un haut conseil à la simplification.

S’il devait être créé demain, ce haut conseil ne pourrait pas compter uniquement des chefs d’entreprise et de grand groupe, mais devrait, pour être représentatif, tenir compte de la diversité des entreprises. Notamment, il devrait comporter davantage de représentants des très petites entreprises, qui ont de nombreuses questions relatives au surplus administratif – j’y reviendrai –, et en premier lieu des travailleurs et des travailleuses, qui sont les premiers à être concernés par ces difficultés.

Nous avons deux questions à l’ordre du jour. Oui, il y a parfois trop d’« administratif », mais cela ne veut pas dire qu’il y a trop de normes sociales et environnementales.

Un quart des chefs d’entreprise affirment que plus du tiers de leur temps est consacré aux questions administratives. Pourquoi est-ce le cas ? Parce qu’ils doivent démultiplier certaines démarches qui devraient aujourd’hui être centralisées. Aujourd’hui, le chef d’une très petite entreprise doit fournir des documents à l’administration, puis donner ces mêmes documents aux banques, puis les renvoyer aux commissaires aux comptes. Il faut créer un guichet commun où les chefs d’entreprise pourraient déposer leur dossier, chaque acteur pouvant ensuite le consulter.

Deuxième problème, la stabilité et la visibilité. Notre collègue Guillaume Gontard a raison : le problème, c’est que nous faisons loi sur loi. Nous n’avons même pas le temps de voir comment les lois que nous avons votées sont appliquées que nous devons déjà de nouveau légiférer pour contrevenir à leurs dispositions. En conséquence, alors que les petites entreprises ont parfois besoin de trois ans pour se mettre en adéquation avec la loi, ce délai n’est pas encore passé que la loi a déjà changé.

La proposition de loi portée par M. Rietmann doit en réalité être mise en perspective avec le projet de loi Pacte II, récemment annoncé, et portant sur la simplification pour les entreprises. Madame la secrétaire d’État, je vous l’indique afin que vous passiez le mot à Bruno Le Maire (M. Bruno Sido ironise.) : vous ne pourrez pas partir, avec ce nouveau projet de loi, du biais selon lequel il y aurait trop de normes sociales et environnementales pour continuer à porter des coups au code du travail et aux droits des travailleurs et des travailleuses !

La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) vient de rendre au Gouvernement un rapport dans lequel elle propose quatre-vingts solutions.

Première proposition : rehausser le seuil à partir duquel s’imposent les obligations sociales, et de le faire passer de cinq ans actuellement à dix ans – pourquoi pas ?

Deuxième proposition, au sujet du temps de travail : abolir les trente-cinq heures.

Troisième proposition : faciliter les ruptures de contrat.

Quatrième proposition : réduire les délais administratifs pour saisir les prud’hommes.

Si c’est cela, le « trop de normes sociales et environnementales », ce sera sans nous, et nous combattrons de toutes nos forces la loi Pacte II !

Si nous voulons parler des vrais problèmes des entreprises, mettons sur la table trois sujets.

Le premier, c’est celui de la formation continue des travailleurs et des travailleuses, tout au long de leur vie – vous êtes d’ailleurs coupables d’avoir cassé l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

Le deuxième sujet, c’est celui des salaires : les gens ne parviennent plus à vivre dignement du fruit de leur travail, et vous ne réglerez rien à ce problème à l’aide du dividende, de l’actionnariat salarié ou de l’épargne salariale. Il faut mettre à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée la question de l’augmentation des salaires pour tous les travailleurs et travailleuses, afin de permettre à ces derniers de vivre dignement.

Enfin, nous pourrions nous accorder au sujet de l’accès au crédit. En ce moment, l’argent est extrêmement cher. À part les plus grandes, les entreprises qui veulent se développer ne peuvent pas accéder au crédit. De nombreuses TPE-PME, qui veulent engager des transformations autour des questions environnementales ou de la numérisation, ne peuvent pas évoluer.

Voilà trois chantiers intéressants : s’ils constituent la base des prochains textes, cela sera avec nous. Si les biais que je viens d’évoquer au sujet du projet de loi Pacte II sont retenus, cela sera sans nous. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)