Sommaire

Présidence de M. Pierre Ouzoulias

Secrétaires :

M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.

1. Procès-verbal

2. Candidature à une commission

3. Intitulé d’une mission d’information

4. Communication relative à une commission mixte paritaire

5. « Tests PME » et création d’un dispositif « Impact Entreprises ». – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Vote sur l’ensemble

M. Emmanuel Capus

Mme Dominique Vérien

M. Guillaume Gontard

M. Fabien Gay

M. Michel Masset

Mme Nadège Havet

M. Simon Uzenat

M. Olivier Rietmann

M. Christopher Szczurek

Adoption, par scrutin public solennel n° 161, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique

Suspension et reprise de la séance

6. Mises au point au sujet de votes

7. Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. – Discussion d’un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois

Question préalable

Motion n° 22 de M. Robert Wienie Xowie. – M. Robert Wienie Xowie ; M. François-Noël Buffet ; M. Philippe Bas, rapporteur ; M. Gérald Darmanin, ministre ; M. Rachid Temal. – Rejet par scrutin public n° 162.

Discussion générale (suite)

M. Pierre Médevielle

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Mélanie Vogel

Mme Cécile Cukierman

M. André Guiol

M. Olivier Bitz

Mme Corinne Narassiguin

M. Georges Naturel

M. Patrick Kanner

M. Mathieu Darnaud

M. Gérald Darmanin, ministre

Clôture de la discussion générale.

8. Candidature à une commission

9. Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. – Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

Avant l’article 1er

Amendement n° 29 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Article 1er

Mme Cécile Cukierman

Amendements identiques nos 9 rectifié de M. Robert Wienie Xowie, 14 de Mme Corinne Narassiguin et 27 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet des trois amendements.

Amendements identiques nos 4 de la commission et 18 de Mme Corinne Narassiguin ; sous-amendement n° 35 de M. François-Noël Buffet. – Adoption, par scrutin public n° 163, du sous-amendement ; retrait de l’amendement n° 18 modifié ; adoption, par scrutin public n° 164, de l’amendement n° 4 modifié.

Amendement n° 23 de M. Robert Wienie Xowie. – Retrait.

Amendement n° 10 rectifié de M. Robert Wienie Xowie. – Retrait.

Amendement n° 2 rectifié septies de M. Georges Naturel. – Rejet.

Amendement n° 11 rectifié de M. Robert Wienie Xowie. – Retrait.

Amendement n° 3 rectifié septies de M. Georges Naturel. – Rectification.

Amendement n° 3 rectifié octies de M. Georges Naturel

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Pierre Médevielle

Suspension et reprise de la séance

M. Gérald Darmanin, ministre

Suspension et reprise de la séance

Amendement n° 3 rectifié octies de M. Georges Naturel (suite). – Rejet.

Amendement n° 1 rectifié bis de M. Pierre Médevielle (suite). – Rejet.

Amendements identiques nos 12 rectifié de M. Robert Wienie Xowie, 16 de Mme Corinne Narassiguin et 32 de Mme Mélanie Vogel. – Retrait des trois amendements.

Amendement n° 5 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 24 de M. Robert Wienie Xowie. – Retrait.

Adoption de l’article modifié.

Article 2

Amendements identiques nos 15 de Mme Corinne Narassiguin et 28 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 25 rectifié de M. Robert Wienie Xowie. – Retrait.

Amendement n° 17 de Mme Corinne Narassiguin. – Rejet.

Amendement n° 33 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Amendement n° 30 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.

Amendement n° 6 de la commission et sous-amendement n° 19 de Mme Corinne Narassiguin. – Rejet du sous-amendement et adoption de l’amendement.

Amendement n° 31 de Mme Mélanie Vogel. – Devenu sans objet.

Amendement n° 7 rectifié de la commission ; sous-amendements nos 21 de Mme Corinne Narassiguin, 34 de Mme Mélanie Vogel et 20 de Mme Corinne Narassiguin. – Retrait du sous-amendement n° 34 ; rejet des sous-amendements nos 21 et 20 ; adoption de l’amendement.

Amendement n° 26 rectifié de M. Robert Wienie Xowie. – Retrait.

Amendement n° 8 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Renvoi de la suite de la discussion.

10. Modification de l’ordre du jour

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

11. Communication relative à une commission mixte paritaire

12. Aide publique au développement. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères

M. Olivier Cadic

M. Akli Mellouli

Mme Michelle Gréaume

M. Raphaël Daubet

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Rachid Temal

M. Jean-Luc Ruelle

Mme Nicole Duranton

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Amendement n° 8 rectifié de M. Michel Canévet. – Rejet par scrutin public n° 165.

Amendement n° 1 de M. Rachid Temal. – Rejet.

Amendement n° 2 de M. Rachid Temal. – Rejet.

Amendement n° 3 de M. Rachid Temal. – Rejet.

Amendement n° 5 de M. Rachid Temal. – Rejet.

Amendement n° 6 de M. Rachid Temal. – Rejet.

Amendement n° 7 de M. Rachid Temal. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

M. Rachid Temal

Adoption définitive, par scrutin public n° 166, de l’article unique d’une proposition de loi dans le texte de la commission.

13. Mise au point au sujet de votes

14. Saisie et confiscation des avoirs criminels. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois

M. Guy Benarroche

M. Ian Brossat

Mme Nathalie Delattre

Mme Patricia Schillinger

M. Jérôme Durain

Mme Catherine Di Folco

M. Louis Vogel

M. Paul Toussaint Parigi

Mme Karine Daniel

Clôture de la discussion générale.

Renvoi de la suite de la discussion.

15. Ordre du jour

Nominations de membres de commissions

compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Ouzoulias

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Michel Arnaud,

Mme Catherine Conconne.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 21 mars 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Intitulé d’une mission d’information

M. le président. Mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner demain à seize heures trente une demande d’attribution de pouvoirs de commission d’enquête pour une mission d’information sur les modalités de constitution d’une société commerciale par la Ligue de football professionnel.

Par lettre en date du lundi 25 mars dernier, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a fait savoir qu’elle souhaitait modifier l’intitulé de cette mission d’information, qui porterait désormais sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football professionnel français.

Il n’y a pas d’observations ?

Il en est ainsi décidé.

4

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

Intitulé de la proposition de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Explications de vote sur l'ensemble (début)

« Tests PME » et création d’un dispositif « Impact Entreprises »

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises », présentée par M. Olivier Rietmann et plusieurs de ses collègues (proposition n° 192, texte de la commission n° 421, rapport n° 420).

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le bon fonctionnement de notre État de droit repose sur un principe simple : nul n’est censé ignorer la loi.

Ce n’est ni une hypothèse ni un postulat ; c’est une affirmation, une injonction sans laquelle la justice ne peut tout simplement pas être rendue de manière équitable. Car, si l’on était fondé à ignorer la loi, tout un chacun pourrait alors se prévaloir d’ignorer ce qui est autorisé ou ce qui est interdit, et tout un chacun serait alors fondé à enfreindre celle-ci.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui plus personne ne peut connaître la loi. Mes chers collègues, je vous le dis avec gravité : il ne s’agit pas de savoir lequel de nos codes mériterait bien un toilettage, mais il s’agit d’admettre que l’un des fondements de notre État de droit est devenu en grande partie inopérant.

Certains édifices s’effondrent non pas parce qu’ils sont mal conçus ou parce qu’ils subissent des pressions trop fortes, mais simplement parce que leurs fondations ne résistent pas aux constructions qui s’accumulent au-dessus d’elles.

Ce raisonnement vaut notamment pour l’économie. La complexité du droit applicable obère notre compétitivité. En outre, elle fait peser sur les dirigeants des incertitudes juridiques qui deviennent insupportables. Au risque financier s’ajoute le risque juridique permanent, et les dirigeants vivent dans le doute permanent d’être hors-la-loi.

Le président de la délégation aux entreprises l’a parfaitement résumé dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi : « Nul chef d’entreprise n’est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 articles du code de commerce ou encore les 6 898 articles du code de l’environnement. » Tout est dit.

C’est pourquoi, au nom du groupe Les Indépendants, mais également en tant que vice-président de la délégation aux entreprises, je tiens de nouveau à remercier le président de cette dernière, Olivier Rietmann, d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour de nos travaux.

La proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME » apporte une réponse à ce problème essentiel, qui consiste dans le fait que la complexité législative est devenue une angoisse pour tous les dirigeants. Le président Rietmann a su formuler une proposition d’action concrète pour répondre à ces angoisses qui minent notre économie.

En demandant que chaque norme, réglementaire ou législative, nationale ou européenne, soit d’abord évaluée à l’aune de ses effets sur nos entreprises, et singulièrement sur nos petites et moyennes entreprises (PME), nous proposons une nouvelle manière de produire la norme. C’est bon pour notre économie ; c’est bon pour notre démocratie.

Bien sûr, la création du haut conseil à la simplification pour les entreprises ne simplifiera pas du jour au lendemain notre droit existant. Cependant, elle garantit que les futures normes seront élaborées plus en adéquation avec la réalité des acteurs économiques. À cet égard, ce haut conseil agira davantage sur le flux de normes que sur leur stock. Cela n’est certes pas la panacée, mais cela représente bel et bien une avancée. (Mme la rapporteure acquiesce.)

À l’issue de son examen en commission et en séance publique, le texte qui sort du Sénat est à la fois plus robuste et plus efficace. Je tiens à saluer le travail mené par la rapporteure Elsa Schalck : les amendements qu’elle a défendus améliorent le texte de façon pragmatique, en respectant l’esprit du texte original.

Le repositionnement du haut conseil à la simplification sous l’autorité du Premier ministre lui conférera un portage politique plus important. Cela lui permettra également de travailler de façon transversale, ce qui correspond parfaitement aux missions que nous souhaitons lui confier.

À cet égard, ainsi que je l’ai indiqué lors de nos débats dans l’hémicycle en défendant un amendement, il ne me semble pas nécessaire que le haut conseil soit doté de moyens propres, car cela implique de créer une dépense supplémentaire.

J’ai bien entendu l’avis prononcé par la rapporteure, qui soutient que le haut conseil permettra de réaliser des économies, ce que j’espère à ses côtés. Toutefois, les économies demeurent toujours hypothétiques, tandis que les dépenses, elles, seront bien réelles – nous les examinerons dès le prochain projet de loi de finances.

L’actualisation des chiffres du déficit public par l’Insee conforte ma proposition. J’aurais trouvé plus raisonnable qu’il en fût autrement. En tout état de cause, il serait bienvenu que le haut conseil à la simplification soit placé sous le signe de la frugalité.

La réduction de la dépense publique est en effet indispensable pour préserver la compétitivité des entreprises. Pour alléger la pression fiscale sans alourdir notre dette publique, il faudra réduire les dépenses publiques, et pour ce faire, rien de mieux que ne pas en créer de nouvelles.

J’espère que nous débattrons de ces sujets lors de la prochaine discussion budgétaire, tout d’abord parce que l’équilibre des finances publiques constitue un enjeu global. Certaines dépenses sont en effet justifiées, dès lors qu’elles permettent de réduire globalement le déficit.

Ensuite, et surtout, j’espère que nous débattrons de cette question à l’automne prochain parce que cela signifierait que le haut conseil à la simplification pour les entreprises a été créé, ce qui constituerait une excellente nouvelle.

Madame la secrétaire d’État, il me semble avoir compris – si je me réfère aux propos tenus par votre collègue qui était à votre place pendant l’examen du texte en séance publique – que le Gouvernement est favorable à cette proposition du Sénat en faveur de nos entreprises : je m’en réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Olivier Rietmann et Christian Klinger applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 60 milliards d’euros : voilà le coût annuel pour l’économie française de la complexité administrative qui pèse sur nos entreprises.

Chaque année, 3 % du PIB est sacrifié à cause d’un excès de normes, de règles, d’encadrements, à cause des lourdeurs qui handicapent au quotidien les entreprises et les détournent de leur objectif principal, à savoir la création de valeur.

Aujourd’hui, ce sont plus de 20 000 articles de loi que tout bon chef d’entreprise devrait connaître et appliquer quotidiennement pour gérer sa structure.

Je ne parle même pas de la perte de compétitivité à l’international, où nos grands groupes et nos PME doivent rivaliser avec des concurrents qui bénéficient d’une administration bien plus agile.

En définitive, au lieu d’accompagner, d’encadrer et de protéger nos entreprises, nos normes les ralentissent, les contraignent et les pénalisent.

Je suis certaine que nous sommes nombreux à partager ce constat dans cet hémicycle, tant du côté du Gouvernement que de celui des parlementaires – cela n’est pas nouveau.

La question de l’inflation législative revient régulièrement dans le débat public. À chaque fois, des solutions plus ou moins élaborées sont proposées.

Ainsi, les premières assises de la simplification se sont tenues en 2011, et l’exécutif a annoncé en 2013 un « choc de simplification » – chacun peut en mesurer les résultats aujourd’hui… (Sourires.)

Que penser également des études d’impact qui accompagnent tout projet de loi depuis 2009 ? Rédigées par l’administration, à la fois juge et partie dans l’affaire, elles comportent certes régulièrement une sous-partie où l’impact sur les entreprises est évalué, mais cette dernière se réduit souvent à la formule « aucun impact n’est attendu ». Cela a notamment été le cas à propos d’importants textes récents, comme la loi de finances ou la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

Bien sûr, je mesure l’ironie qu’il y a à dénoncer l’inflation législative alors que nous, parlementaires, endossons une responsabilité évidente dans cette situation.

Ainsi, en plus d’un indispensable changement de culture administrative, nous devons aussi nous atteler à construire une nouvelle façon de fabriquer la loi.

Il est indispensable de pouvoir produire des normes nécessaires, simples et compréhensibles, qui auront été coconstruites avec les entreprises, et dont l’impact aura été mesuré bien plus finement qu’aujourd’hui.

C’est l’objet du texte que nous nous apprêtons à voter, déposé par Olivier Rietmann et enrichi par notre rapporteure Elsa Schalck.

Ainsi, les « tests PME », dont l’objectif est de mesurer concrètement l’impact des normes sur les PME, nous permettront de rattraper notre retard vis-à-vis de l’Allemagne ou des Pays-Bas.

Le haut conseil à la simplification pour les entreprises dont nous décidons la création aura aussi un rôle à jouer. En effet, nous espérons qu’il ne deviendra pas un comité Théodule coûteux n’atteignant pas véritablement son objectif.

Son statut de commission administrative comme son rattachement au Premier ministre lui garantiront un portage interministériel de haut niveau. Son rôle d’évaluation a priori sera important.

À cet égard, nous avons clarifié et sécurisé les procédures de consultation. Le haut conseil sera obligatoirement saisi en amont par le Gouvernement sur tout projet ayant une incidence sur les entreprises.

Il est évident que ce texte va dans le bon sens, en proposant des dispositifs pertinents. Il me semble toutefois également important de rappeler que, faute d’un véritable changement de paradigme à tous les échelons de la décision publique, nous risquons de nous retrouver dans quelques années pour examiner un nouveau texte sur la simplification.

Parfois, appliquer simplement la loi avec bon sens dans la gestion des dossiers, sans ajouter de tâches administratives, suffit à simplifier la vie des entreprises. En attendant, et en espérant qu’il donnera l’impulsion nécessaire, le groupe centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « surcharge administrative », « océan de paperasse », « tsunami réglementaire » : nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre du nombre de démarches qu’ils doivent remplir.

Ayant été moi-même responsable d’une petite entreprise, je peux témoigner de cette lourdeur administrative.

M. Guillaume Gontard. Elle pose un problème d’équité entre les entreprises de différentes tailles : souvent, les petits patrons ne peuvent pas payer des experts juridiques, à la différence des grands groupes.

Cette surcharge nous coûte cher : elle représente entre 3 et 4 points de PIB de dépenses inutiles selon l’OCDE.

Alors oui, une simplification est nécessaire. Mais laquelle ? Depuis des années, les annonces de simplification se succèdent, sans grands résultats.

D’abord, nous devons nuancer la fameuse « inflation normative » : certes, les codes continuent à s’épaissir, mais c’est aussi parce qu’ils contiennent des règles qui ne sont plus en vigueur.

Mentionnons également la tendance à ajouter dans les lois des recommandations non obligatoires. Ce phénomène, que les Anglo-Saxons nomment soft law, vient lui aussi gonfler nos textes.

Ensuite, nous devons questionner les conditions dans lesquelles nous légiférons. Oui, l’inflation législative est réelle, et certaines lois sont mal faites, mais le Gouvernement en est le premier responsable : l’usage de la procédure accélérée, normalement permis à titre dérogatoire, est devenu systématique. Cette généralisation touche en particulier les projets de loi les plus importants, qui méritent pourtant un examen approfondi de la part des parlementaires.

En outre, pour faire passer certaines réformes, le Gouvernement s’appuie de plus en plus sur des propositions de loi, mais celles-ci ne sont accompagnées d’aucune étude d’impact.

À force de demander aux parlementaires de travailler dans des délais réduits et sans leur fournir toutes les informations nécessaires, la qualité du processus législatif s’en ressent. Souvent, il faut faire une nouvelle réforme pour corriger les défauts et oublis de la précédente. Et l’on viendrait ensuite s’étonner que les entreprises n’arrivent plus à suivre le rythme ?

Par ailleurs, la simplification n’est trop souvent qu’un prétexte pour affaiblir les règles régulant l’insatiable appétit de profit du capitalisme. Ainsi, c’est en son nom qu’ont été menées les deux réformes du code du travail de 2016 et de 2017, où de nombreuses protections pour les salariés ont été supprimées.

M. André Reichardt. C’est un peu gros !

M. Guillaume Gontard. Plus récemment, c’est aussi au nom de la simplification de la vie des agriculteurs que le Gouvernement a suspendu le plan Écophyto et attaqué l’action de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Soyons donc prudents : simplifier, oui, mais pas à n’importe quel prix.

L’objectif de la proposition de loi coécrite par la délégation aux entreprises est bien évidemment louable, mais, mes chers collègues, il nous semble que vos propositions apportent une mauvaise réponse à un vrai problème.

Ainsi, mes chers collègues, vous proposez de créer un haut conseil à la simplification pour les entreprises. Chargé d’analyser toutes les règles applicables aux entreprises tant en amont qu’en aval de la procédure législative, celui-ci aurait un pouvoir politique considérable : obligatoirement consulté par le Gouvernement pour tout texte législatif, réglementaire ou européen ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises, il pourrait émettre un avis défavorable obligeant le Gouvernement à revoir sa copie.

Certes, le statut de ce haut conseil a été utilement modifié lors de l’examen du texte en commission, afin d’en faire une commission administrative consultative rattachée au Premier ministre plutôt qu’une autorité administrative indépendante.

Toutefois, conférer un tel pouvoir à ce haut conseil revient à lui offrir de fait une tutelle sur la fabrique de la loi. Or le pouvoir législatif appartient au Gouvernement et au Parlement, et seul le Conseil constitutionnel est compétent pour trancher les litiges en la matière.

Oui, il est important d’associer les entreprises lorsque nous travaillons sur des textes qui les concernent. Cependant, qui parmi nous ne le fait pas déjà ? Les entreprises ne disposent-elles pas de puissants lobbys pour les représenter ? Pourquoi leur donner encore plus de pouvoir et leur permettre de bloquer les normes qui les gênent ?

La création de ce haut conseil conduirait à une nouvelle réduction du pouvoir du politique sur l’économie. Or le rôle du politique est d’arbitrer entre des intérêts divergents ! En plus du développement économique, nous devons aussi tenir compte de l’intérêt des travailleurs ainsi que des conséquences des normes sur la nature, sur l’environnement ou sur notre culture.

La composition de ce haut conseil pose aussi question : s’il est censé aider les PME et très petites entreprises (TPE), pourquoi avoir alors ajouté un siège pour les représentants des grandes entreprises ? Le Mouvement des entreprises de France (Medef) n’a-t-il pas déjà assez de pouvoir ?

À l’inverse, pourquoi avoir refusé notre proposition d’ajouter des sièges pour les représentants du personnel, pourtant les plus à même de faire remonter les contraintes juridiques que vivent les salariés au quotidien ?

Lors de l’examen du texte en séance, une mission de lanceur d’alerte au sujet du risque de surtransposition de règles européennes a également été confiée à ce haut conseil. Cet ajout ne nous paraît pas pertinent. Dans bien des cas, il est nécessaire d’aller au-delà de la législation européenne, et même d’être précurseur par rapport aux réglementations.

Prenez l’exemple de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre : la France a été en avance sur ce sujet, et aujourd’hui l’Union européenne reprend des dispositions de cette loi qui s’attaque aux dérives de la sous-traitance. Soyons-en fiers ! À l’inverse, ne faudrait-il pas aussi se pencher sur la « sous-transposition » de directives et de règlements européens par la France ?

Ainsi, nous craignons que ce haut conseil ne soit un nouvel outil pour attaquer les droits des salariés et les protections environnementales. Je vous rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que ces dernières peuvent être de vrais atouts pour nos entreprises.

Par exemple, lorsqu’en 1987 le protocole de Montréal décidait l’interdiction des gaz chlorés pour préserver la couche d’ozone, les industriels annonçaient la mort de la chaîne du froid, l’explosion des maladies et du gaspillage alimentaire. En définitive, quelques années plus tard, d’autres solutions avaient été trouvées, et le groupe français Elf Atochem, leader mondial du secteur, applaudissait cette interdiction.

De même, ce sont bien les normes et les interdictions de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi Agec, qui ont permis d’avancer au sujet de l’encadrement des emballages.

En réalité, les entrepreneurs sont prêts, et même volontaires, pour changer leurs pratiques. Ce qu’ils nous demandent, c’est de l’accompagnement et de la visibilité.

Ainsi, même si nous saluons l’amélioration du texte lors de son examen en commission, et notamment la correction de plusieurs aspects inconstitutionnels, nous craignons qu’il n’aboutisse à un détricotage des règles environnementales et salariales qui nous protègent.

Oui, nous sommes prêts à travailler à des simplifications qui aideront nos entrepreneurs et notre administration, mais pas de cette façon. Dans de telles conditions, le groupe écologiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie d’abord chaleureusement le président de la délégation aux entreprises, Olivier Rietmann, d’avoir déposé cette proposition de loi sur les entreprises. On dit souvent de ces dernières qu’elles comportent des chefs d’entreprise et du capital, mais on ne dit pas assez qu’elles comportent aussi des machines-outils et de l’intelligence humaine, c’est-à-dire des travailleurs et des travailleuses qui les font vivre au quotidien.

Je précise ce point, car selon une information importante de l’actualité, le taux de défaillance des entreprises atteint cette année un record : on comptait 57 729 procédures de défaillance l’an dernier, soit un bond de 38 %.

Évidemment, il y a les effets consécutifs au covid, un certain nombre d’entreprises devant affronter des problématiques de financement ou des difficultés à rembourser les prêts garantis par l’État (PGE).

Toutefois, il faut aussi tenir compte du contexte politique et social extrêmement dégradé, de l’inflation, du manque de matières premières, du ralentissement de la consommation et du prix de l’énergie, qui ne cesse de flamber. D’ailleurs, je le répète à cette tribune : la réforme du marché européen et la renationalisation de l’ensemble du secteur énergétique deviennent des nécessités pour l’ensemble des usagers, tant les individus que les entreprises.

La proposition de loi présentée par le président de la délégation aux entreprises part du biais selon lequel la première difficulté des entreprises serait un « trop de normes », sociales ou environnementales – d’ailleurs, nous n’arrivons pas à savoir précisément lesquelles. Pour régler ce problème, il faudrait créer un haut conseil à la simplification.

S’il devait être créé demain, ce haut conseil ne pourrait pas compter uniquement des chefs d’entreprise et de grand groupe, mais devrait, pour être représentatif, tenir compte de la diversité des entreprises. Notamment, il devrait comporter davantage de représentants des très petites entreprises, qui ont de nombreuses questions relatives au surplus administratif – j’y reviendrai –, et en premier lieu des travailleurs et des travailleuses, qui sont les premiers à être concernés par ces difficultés.

Nous avons deux questions à l’ordre du jour. Oui, il y a parfois trop d’« administratif », mais cela ne veut pas dire qu’il y a trop de normes sociales et environnementales.

Un quart des chefs d’entreprise affirment que plus du tiers de leur temps est consacré aux questions administratives. Pourquoi est-ce le cas ? Parce qu’ils doivent démultiplier certaines démarches qui devraient aujourd’hui être centralisées. Aujourd’hui, le chef d’une très petite entreprise doit fournir des documents à l’administration, puis donner ces mêmes documents aux banques, puis les renvoyer aux commissaires aux comptes. Il faut créer un guichet commun où les chefs d’entreprise pourraient déposer leur dossier, chaque acteur pouvant ensuite le consulter.

Deuxième problème, la stabilité et la visibilité. Notre collègue Guillaume Gontard a raison : le problème, c’est que nous faisons loi sur loi. Nous n’avons même pas le temps de voir comment les lois que nous avons votées sont appliquées que nous devons déjà de nouveau légiférer pour contrevenir à leurs dispositions. En conséquence, alors que les petites entreprises ont parfois besoin de trois ans pour se mettre en adéquation avec la loi, ce délai n’est pas encore passé que la loi a déjà changé.

La proposition de loi portée par M. Rietmann doit en réalité être mise en perspective avec le projet de loi Pacte II, récemment annoncé, et portant sur la simplification pour les entreprises. Madame la secrétaire d’État, je vous l’indique afin que vous passiez le mot à Bruno Le Maire (M. Bruno Sido ironise.) : vous ne pourrez pas partir, avec ce nouveau projet de loi, du biais selon lequel il y aurait trop de normes sociales et environnementales pour continuer à porter des coups au code du travail et aux droits des travailleurs et des travailleuses !

La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) vient de rendre au Gouvernement un rapport dans lequel elle propose quatre-vingts solutions.

Première proposition : rehausser le seuil à partir duquel s’imposent les obligations sociales, et de le faire passer de cinq ans actuellement à dix ans – pourquoi pas ?

Deuxième proposition, au sujet du temps de travail : abolir les trente-cinq heures.

Troisième proposition : faciliter les ruptures de contrat.

Quatrième proposition : réduire les délais administratifs pour saisir les prud’hommes.

Si c’est cela, le « trop de normes sociales et environnementales », ce sera sans nous, et nous combattrons de toutes nos forces la loi Pacte II !

Si nous voulons parler des vrais problèmes des entreprises, mettons sur la table trois sujets.

Le premier, c’est celui de la formation continue des travailleurs et des travailleuses, tout au long de leur vie – vous êtes d’ailleurs coupables d’avoir cassé l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

Le deuxième sujet, c’est celui des salaires : les gens ne parviennent plus à vivre dignement du fruit de leur travail, et vous ne réglerez rien à ce problème à l’aide du dividende, de l’actionnariat salarié ou de l’épargne salariale. Il faut mettre à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée la question de l’augmentation des salaires pour tous les travailleurs et travailleuses, afin de permettre à ces derniers de vivre dignement.

Enfin, nous pourrions nous accorder au sujet de l’accès au crédit. En ce moment, l’argent est extrêmement cher. À part les plus grandes, les entreprises qui veulent se développer ne peuvent pas accéder au crédit. De nombreuses TPE-PME, qui veulent engager des transformations autour des questions environnementales ou de la numérisation, ne peuvent pas évoluer.

Voilà trois chantiers intéressants : s’ils constituent la base des prochains textes, cela sera avec nous. Si les biais que je viens d’évoquer au sujet du projet de loi Pacte II sont retenus, cela sera sans nous. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mardi dernier, nous avons achevé l’examen de cette proposition de loi, portée par notre collègue Olivier Rietmann, visant à prévoir les incidences de la norme sur les petites et moyennes entreprises.

Ancien entrepreneur, je connais les difficultés propres à l’arrivée de nouvelles procédures administratives. J’entends bien la détresse de chefs d’entreprise confrontés à un changement de nature législative qui, soudainement, désorganise une structure avant tout humaine et peut compromettre momentanément les métiers de ces entreprises.

C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné ce texte dès son dépôt, parce qu’il répond, selon moi, à de vraies inquiétudes et parce qu’il permettra, à l’avenir, d’anticiper l’applicabilité de la législation.

Il revient au législateur de s’interroger sur l’efficience de la loi sur le terrain. Nous ne l’avons que trop constaté, avec la réforme du zéro artificialisation nette (ZAN). L’inflation normative est souvent dénoncée sur nos travées.

Si nous pouvons faire des efforts de simplification, nous n’échapperons pas à la création de nouvelles normes, compte tenu des enjeux environnementaux et des politiques d’adaptation aux changements climatiques que nous allons devoir mener, qu’on le veuille ou non.

Dans notre rapport d’information intitulé Difficultés daccès au foncier économique : lentreprise à terre ?, Christian Klinger et moi-même insistions sur la nécessité de penser plus en amont les conséquences d’intentions louables et tout à fait impérieuses, comme la sobriété foncière, tout en rappelant qu’il faut néanmoins les articuler avec une certaine réalité : renchérissement du foncier disponible, difficultés d’implantation, manque de production dans des territoires en manque d’attractivité et, surtout, nombre de recours sans précédent.

Penser le risque juridique au plus tôt pour les acteurs économiques de notre pays me semble donc un très bon objectif, pour que la loi retombe, si j’ose dire, sur ses pieds.

C’est ce que prévoit ce texte créant un haut conseil à la simplification pour les entreprises, suivant par là une recommandation de l’excellent rapport d’information transpartisan intitulé La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises.

Le haut conseil sera donc composé de représentants des différents types d’entreprises – grandes entreprises, entreprises de taille intermédiaire (ETI), PME, TPE, microentreprises –, de parlementaires et d’un membre du Conseil d’État. Je me félicite de l’augmentation des effectifs issus des PME, car ce sont elles qui rencontrent le plus de difficultés d’adaptation face à la norme.

En outre, la simplification pourrait alléger un climat qui est assez morose dans nos PME et TPE, comme le montre une récente étude de la Banque publique d’investissement (Bpifrance).

Améliorer la visibilité des normes, c’est apporter un niveau de confiance bienvenu, dans le contexte d’incertitude qui pèse sur l’investissement.

Le haut conseil sera consulté en amont des différents projets de législation et rendra des avis comportant un « test PME ». Il aura aussi une mission d’évaluation des normes en aval, ce qui est fondamental ; j’y reviendrai.

Grâce à l’article 1er ter, cette instance bénéficiera d’une dotation pour couvrir ses frais de fonctionnement et ses travaux.

L’article 1er bis, introduit en commission, définit ses compétences. S’agissant du rôle confié au haut conseil en amont de la production normative, ce dernier sera consulté pour trois types de textes : les projets de loi, les projets de texte réglementaire et les projets d’acte de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises. Il pourra enfin être consulté par le président de chacune des assemblées parlementaires sur certaines propositions de loi.

Le « test PME » inclus dans ces avis sera défini comme « [l’]analyse de l’impact attendu des normes concernées sur les petites et moyennes entreprises », de quoi parfaire les études d’impact de nos projets de loi…

À l’instar de ce qui existe au Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), une procédure « d’extrême urgence » est ouverte pour envisager une saisine répondant à des délais contraints.

En aval, la revue régulière des normes législatives et réglementaires en vigueur sera remplacée par une mission d’évaluation précise des normes applicables aux entreprises, effectuée à la demande du Gouvernement, des commissions parlementaires ou sur la propre initiative du haut conseil.

Cette démarche en amont et en aval est confortée par cette nouvelle version du texte. Elle présente l’avantage d’entériner un processus vertueux qui permettra non seulement d’évaluer les normes, mais également de les coconstruire, afin de viser un « mieux de normes ».

Un ajout important en séance, au sujet de la surtransposition des normes européennes, suscite des interrogations. Il ne faudrait pas que cette rhétorique bien connue devienne un leitmotiv pour revoir à la baisse nos engagements environnementaux et sociaux. Certaines évolutions législatives ont leur vertu, ne le perdons pas de vue.

Hormis cette dernière remarque, dans la perspective d’une plus grande efficience de la loi, je crois que nous pouvons nous rassembler pour voter ce texte utile. C’est une première pierre avant un projet de loi de simplification annoncé pour l’été.

C’est donc avec une vraie conviction que, depuis le début de son examen, j’apporte mon soutien à ce texte. Je vous confirme que le groupe du RDSE, à l’unanimité… (Exclamations amusées.) Oui ! Nous prenons des risques ! C’est donc à l’unanimité que le groupe du RDSE votera en faveur de cette proposition de loi tant attendue, et de bonne facture. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’excès de normes, leur imprévisibilité, leur complexité pèsent négativement sur l’activité de nos entreprises. Le coût des normes est estimé à 70 milliards d’euros par an, soit 3 % du PIB. Les entreprises vivent cette inflation comme une somme toujours plus grande de contraintes qu’on leur impose, comme un véritable frein pour leur compétitivité.

C’est pourquoi le Président de la République, lors de ses vœux pour l’année 2024, a annoncé vouloir simplifier les normes et réduire les délais et les procédures administratives. Les Français y sont largement favorables.

Devant les entreprises de boulangerie, Bruno Le Maire a ainsi annoncé deux nouvelles mesures de simplification. Après la suppression des formulaires Cerfa à l’horizon de 2030, les entreprises n’auront plus besoin de déclarer les arrêts maladie à la sécurité sociale à partir de 2027. Le dossier d’arrêt de travail, fourni par le salarié et le médecin, suffira.

À partir de 2027 toujours, les employeurs n’auront plus besoin de réimprimer l’attestation d’assurance chômage pour la remettre au salarié. Les informations transmises par le salarié à France Travail suffiront.

Au total, ce sont des dizaines de millions de documents par an qui seront supprimés. Sobriété administrative se conjugue parfois au mieux avec sobriété environnementale.

Madame la secrétaire d’État, vous avez de votre côté confirmé le lancement d’un « test CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive) pour les PME. Elles « pratiqueront » la norme pour faire part de leurs remarques auprès de l’Union européenne. Cela est fondamental.

Après l’inversion de la courbe du chômage, après l’inversion de la courbe des émissions de CO2, soyons déterminés à inverser la courbe, ressentie comme exponentielle, de la complexité. C’est ce que vous avez proposé, monsieur Rietmann, avec Jean-Pierre Moga et Gilbert-Luc Devinaz, dans un travail remarqué, présenté en juin dernier. La proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter en est l’une des traductions.

Avant d’assister à la fin des débats sur le Ceta, les entrepreneurs finistériens qui ont participé jeudi dernier à la journée des entreprises organisée par le Sénat ont beaucoup apprécié les échanges. Nous le savons, les attentes sont fortes, alors qu’une grande loi de simplification arrive bientôt.

Comme cela a déjà été dit, la France se classe au deuxième rang des pays où la bureaucratie est la plus complexe.

Il existe un autre angle lié à la complexification administrative qui n’est pas suffisamment abordé : il s’agit de la souffrance au travail et du sentiment d’inutilité.

Nous avons pu le constater avec mes collègues députés, avec lesquels nous menons un travail sur ces problématiques. De nombreux témoignages nous ont été adressés, tels des appels au secours : « Il faut arrêter de légiférer sans cesse ! », « Tout change en permanence, c’est trop dur pour nous ! », « Ma directrice des affaires financières devient folle. » Les normes que nous édictons emportent des conséquences sociales. Tous les secteurs attendent de nous.

Mais simplifier, c’est compliqué. Les majorités qui nous ont précédés en savent quelque chose. Monsieur Rietmann, c’est la raison pour laquelle vous proposez de changer le cadre, le logiciel de l’administration. Le groupe RDPI soutient totalement cette ambition.

Le texte de loi que nous discutons aujourd’hui doit être vu comme l’étape première du chantier de la simplification.

Trois outils sont mis en avant dans la première version de votre proposition de loi : la réalisation de « tests PME » sur les textes ayant un impact sur les TPE et les PME, l’évaluation des normes par une autorité indépendante et le pilotage de la simplification confié à un haut-commissaire.

En séance, mardi dernier, nous nous sommes prononcés pour la création d’un haut conseil à la simplification pour les entreprises, qui sera non pas une autorité administrative indépendante, mais une commission administrative consultative rattachée au Premier ministre.

Madame la rapporteure, nous saluons votre travail sur ce texte. Vous avez aussi voulu préciser que les membres de ce haut conseil désignés par le Premier ministre le soient sur proposition des organisations professionnelles représentatives, au niveau national et interprofessionnel. Nous y sommes favorables.

Le haut conseil sera consulté sur trois types de textes : les projets de loi, les projets de texte réglementaire et les projets d’acte de l’Union européenne.

Il a également été prévu que le haut conseil alerte en matière de surtransposition de normes européennes dans le droit français. Nous soutenons également cette proposition.

Mes chers collègues, il nous faut, oui, simplifier, mais simplifier sans déréguler, simplifier sans complexifier davantage. Appliquons déjà les règles existantes, de façon homogène, en expliquant les règles que nous adoptons. Formons ceux à qui elles se destinent, avant de faire le procès de leur non- ou mauvaise mise en œuvre. Il faut soigner la relation entre les administrations et les usagers, avec moins de documents et plus de proximité, moins de défiance et plus de confiance.

Monsieur Rietmann, vous avez raison, il nous faut une nouvelle méthode, non pour nous mettre, nous législateurs, sous tutelle, mais pour mieux raisonner. Le groupe RDPI soutiendra donc logiquement ce texte important et attendu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Simon Uzenat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à rendre obligatoires les « tests PME » et à simplifier le cadre normatif pour les entreprises, mesures portées depuis de nombreuses années, qui, prises isolément, semblent parées de beaucoup de vertus. Pour autant, leur définition, leurs objectifs opérationnels et leurs conditions de mise en œuvre ne semblent pas suffisamment précis pour répondre aux attentes non seulement des entrepreneurs, mais aussi de toutes les parties prenantes de notre tissu économique.

Dans une vie antérieure, j’ai eu la chance d’accompagner des chefs d’entreprise et des dirigeants d’organisation professionnelle. Comme vous, je peux témoigner de leur engagement résolu en matière de responsabilité sociétale. Mes collègues Brigitte Devésa, Lauriane Josende et moi-même faisons le même constat, dans le cadre du programme de contrôle de la délégation aux entreprises sur le thème « Entreprises et climat ».

Nous sommes tous d’accord pour dire que les entreprises doivent être de véritables partenaires de l’action publique. C’est ce que nous faisons au niveau local, même s’il faut veiller, comme l’ont dit des collègues siégeant à la gauche de l’hémicycle, à respecter les prérogatives du politique. Il faut placer le curseur au bon endroit.

Sans vouloir faire référence à un sketch que beaucoup connaissent, je m’imaginais, dans le Bouchonnois législatif, que l’on pose une question : « Quelle est la différence entre une bonne et une mauvaise norme ? » J’imagine que certains seraient tentés de répondre qu’il n’y en a que de mauvaises. Je crois que ce n’est pas la majorité au sein du Sénat. En tout cas, pour le groupe socialiste, les choses sont très claires : ce n’est pas le « moins de droit » qui nous préoccupe, c’est bien le « mieux de droit », avec l’objectif de simplifier sans déréguler, comme l’ont rappelé Christophe Chaillou et Gilbert-Luc Devinaz lors de la discussion générale.

Pour atteindre ce « mieux de droit », je souhaiterais revenir sur cinq points.

Le premier point consiste à reconnaître la nécessité d’engager une véritable transition législative, comme nous le faisons en matière énergétique, avec les mêmes principes clés.

Le premier principe est celui de la sobriété normative, qui relève de la responsabilité conjointe, madame la secrétaire d’État, du Gouvernement et des parlementaires – nous devons évidemment balayer devant notre porte.

Le second principe, l’efficacité normative, elle, va de pair avec la justice normative. Nous en avons eu l’illustration avec la crise agricole et la demande des acteurs de lutter résolument contre les distorsions de concurrence. Dans le Morbihan, une task force a été mise en place, sur l’initiative des chambres consulaires, des organisations professionnelles et interprofessionnelles. Nous constatons que cette demande est véritablement portée par l’ensemble des acteurs économiques.

Enfin, si le troisième principe de la transition énergétique est le soutien aux énergies renouvelables, sa traduction législative est l’évaluation ; en la matière, la France a beaucoup de retard. Le bilan du Conseil national d’évaluation des normes est extrêmement mitigé, comme l’ont dit un grand nombre de nos collègues qui y ont siégé. Madame la secrétaire d’État, nous nous interrogeons aussi sur le fait que vous n’ayez pas voulu reconduire le conseil de la simplification pour les entreprises, qui existait jusqu’en 2017. Cette absence d’évaluation montre une absence de volonté politique.

Je me tourne maintenant vers M. le président de la délégation : était-il nécessaire de légiférer sur ces « tests PME » ? Votre gouvernement, madame la ministre, a annoncé un « test PME » sur la CSRD, alors même que ce texte n’est pas adopté. J’en profite pour saluer nos collègues Marion Canalès et Anne-Sophie Romagny.

Le deuxième élément important est de travailler a priori plutôt qu’a posteriori. Des sénateurs d’autres sensibilités partagent ce souhait. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain l’a d’ailleurs démontré à plusieurs reprises en critiquant la façon dont les études d’impact étaient mises en œuvre. Une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi a d’ailleurs été déposée et votée à l’unanimité du Sénat en mars 2018. Cependant, madame la secrétaire d’État, encore une fois, aucune suite ne fut donnée à l’Assemblée nationale, ce que nous regrettons fortement.

Le troisième point est de disposer du temps nécessaire pour engager cette simplification et veiller à la bonne application des mesures que nous pouvons voter. Madame la secrétaire d’État, comme l’ont dit d’autres collègues, que ce soit la généralisation des procédures accélérées ou des commissions mixtes paritaires (CMP), où, en catimini, pendant la nuit, nous faisons la loi et prenons des mesures qui sont votées sans discussion préalable et sans évaluation, tout cela pose problème et remet en cause la qualité même de la loi.

Le sujet des délais est aussi absolument central. Nadège Havet y a travaillé, dans le domaine des commandes publiques. C’est un sujet que je connais plutôt bien. Quand nous nous donnons le temps d’associer les entreprises en amont – je pense par exemple au sourcing –, nous avons la possibilité de faire mieux correspondre les lois que nous votons aux réalités de terrain.

L’avant-dernier point, madame la secrétaire d’État, concerne le rôle des corps intermédiaires et le besoin de différenciation. Le texte permet des avancées, auxquelles, madame la rapporteure, vous avez contribué, en proposant la désignation de représentants des organisations professionnelles. Cet élément est important. La mise en place de mesures d’application différées dans le temps va aussi dans le bon sens.

Pour autant, des questions demeurent, monsieur le président de la délégation aux entreprises, notamment sur la prise en compte des réalités sectorielles. Dans le bâtiment, dans la restauration, dans le secteur de la métallurgie, les réalités diffèrent fortement.

Notre groupe regrette aussi l’absence de représentants du personnel : cela constitue un manque qu’il conviendra de corriger.

Enfin, il faudrait mieux prendre en compte les réalités territoriales. Le conseil de la simplification pour les entreprises dont je parlais incluait des élus locaux. Aujourd’hui les régions et les intercommunalités sont chefs de file sur ces sujets. Encore une fois, les réalités d’application ne sont pas les mêmes. Chacun de tous les sénateurs ici présents pourrait animer un comité local de simplification. Nous devons veiller à cette prise en compte des réalités territoriales.

Monsieur le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, madame la rapporteure, j’en viens à mon dernier point. Je tiens à mon tour à saluer l’engagement qui a été le vôtre sur le contenu même du « test PME » ; toutefois, beaucoup d’interrogations demeurent sur sa mise en œuvre opérationnelle, de la même façon que des interrogations subsistent sur les moyens qui seront donnés au haut conseil. Nous constatons qu’un engagement a été pris sur une dotation dédiée, mais au regard de l’enjeu et de l’ampleur des sujets, cela nous semble très nettement insuffisant.

Cette proposition de loi constitue une avancée ; monsieur Rietmann, je tiens à vous le dire au nom de mon groupe. Cependant, elle ne permet pas de faire de la simplification normative une politique publique pleine et entière, contribuant à l’accélération des transitions écologiques et sociales, qui sont des facteurs clés pour la compétitivité de nos entreprises, pour aujourd’hui comme pour demain. Les chefs d’entreprise, qu’ils soient chefs de TPE ou de PME, d’ETI ou de grand groupe, nous le rappellent chaque jour.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Loïc Hervé et Vincent Louault applaudissent également.)

M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat en séance la semaine dernière a mis en lumière une large convergence d’analyse entre les propositions de notre délégation aux entreprises et le Gouvernement.

Cette concorde tient notamment au travail réalisé par la commission des lois, et en particulier par son président, François-Noël Buffet, et par sa rapporteure, Elsa Schalck. Je souhaite tout particulièrement rendre hommage à son travail sérieux et efficace, qui nous a permis d’aboutir à ce consensus. Je tiens à remercier également le président du Sénat, Gérard Larcher, et Bruno Retailleau d’avoir permis l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée. (M. Vincent Éblé ironise.) Je remercie également l’ensemble des orateurs, de tous les groupes politiques, de leur soutien. Ce texte est le fruit d’un rapport d’information adopté à l’unanimité par la délégation sénatoriale aux entreprises et d’une initiative parlementaire transpartisane.

Cette convergence est fondée sur un constat partagé : « Notre pays souffre d’une accumulation démesurée de normes ! » J’emprunte cette formule à la ministre Olivia Grégoire, dont je tiens à souligner la disponibilité et l’écoute. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. On lui dira ! (Sourires.)

M. Olivier Rietmann. Loin de moi l’intention de vous froisser, madame la secrétaire d’État, mais je regrette sincèrement son absence aujourd’hui. Je souhaitais la remercier de vive voix pour le travail collaboratif, engagé ensemble, avec simplicité. (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Je forme le vœu qu’elle accompagne cette proposition de loi jusqu’à son adoption, le plus rapidement possible, à l’Assemblée nationale.

Certains me diront que les dispositions de notre texte trouveront leur place dans les projets de loi dits « de simplification » annoncés récemment par le Gouvernement. Ce n’est pas la bonne voie, car nous n’avons plus de temps à perdre. C’est dès maintenant que nous devons couper le robinet des normes. Nos ETI, nos PME et TPE souffrent et nous demandent de passer à l’action très concrètement.

C’est dès maintenant que nous devons produire des études d’impact solides et de qualité. Les exemples ne manquent pas d’études d’impact indigentes, voire muettes, dans les différents projets de loi. J’en prendrai un. L’article 23 de la dernière loi Immigration confère aux entreprises la responsabilité de financer les cours de français, pendant les heures de travail, pour les salariés qui ne maîtrisent pas suffisamment notre langue. Une audition récente de la délégation sénatoriale aux entreprises nous informe que cela représente un coût compris entre 24 000 et 33 000 euros par salarié ! (M. André Reichardt sexclame.) Cela ne figure pas dans l’étude d’impact de la loi, parce qu’aucun « test PME » n’a été réalisé. Comment appréhender un texte dans ces conditions ? La méthode n’est ni sérieuse ni respectueuse du travail parlementaire.

C’est dès maintenant, enfin, qu’il faut rendre obligatoire le « test PME ». Il doit concerner toutes les entreprises, de la TPE à la grande entreprise.

Madame la secrétaire d’État, c’est une urgence économique ! Le réarmement de nos entreprises en passe par là. Si nous voulons y parer et observer de rapides résultats, faites que l’examen de cette proposition de loi se poursuive à l’Assemblée nationale.

Mes chers collègues, je vous invite à voter massivement pour ce texte, qui vise à conforter les entreprises dans la guerre économique, au lieu de les asphyxier en les épuisant sous le joug de nos normes et de nos procédures. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – MM. Michel Masset et Louis Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté vise à répondre à une préoccupation majeure pour nos chefs d’entreprise : l’inflation législative qui, depuis des années, complexifie la décision, renchérit les coûts de fonctionnement et laisse le citoyen souvent abandonné dans le brouillard du droit.

Nous partageons tous ici l’attachement à la compétitivité de nos entreprises, dans un monde où la concurrence est féroce et souvent déséquilibrée. Cependant, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, bien qu’elle vise à résoudre un mal français persistant depuis des décennies, ne semble pas être en mesure de régler ce phénomène.

Dès 1991, le Conseil d’État formulait dans son rapport annuel sa profonde inquiétude devant une loi tendant à la logorrhée, de plus en plus incompréhensible pour nos compatriotes et, pour le dire franchement, pour le législateur lui-même.

Depuis 2002, le volume de mots du droit français en vigueur a augmenté de près de 100 %. Derrière ces chiffres, on trouve des entrepreneurs, des élus et des citoyens perdus dans la compréhension de leurs droits. Par ailleurs, ce gouvernement, dont on nous vantait l’expertise et le sérieux, a été celui de tous les records en matière d’inflation législative.

Les conséquences de cette prolifération de lois et de règlements sont désastreuses pour nos entreprises. Le coût macroéconomique de la réglementation est estimé à des dizaines de milliards d’euros chaque année, ce qui pèse lourdement sur la compétitivité et l’innovation.

Notre classement au niveau mondial en matière de performance du secteur public est alarmant, témoignant du fardeau réglementaire qui freine notre potentiel économique.

Les PME en particulier sont les premières victimes de cette norme excessive. Obligées de naviguer dans un océan bureaucratique, elles peinent à se développer et à créer des emplois.

Malgré des initiatives gouvernementales et parlementaires, comme la mission dite « Balai » (Bureau d’abrogation des lois anciennes et inutiles) du Sénat, l’inflation législative demeure et le Gouvernement comme le législateur peinent à mettre leurs actes en adéquation avec leurs promesses.

De plus, l’éphémère conseil de la simplification pour les entreprises, version pilote du projet que nous avons à examiner, n’a vraisemblablement pas répondu au défi de la simplification du droit pour nos entreprises.

La création d’un haut conseil à la simplification pour les entreprises ne nous semble, à première vue, ni nécessaire ni adéquate. On irait ainsi créer un énième comité Théodule, alors qu’existent déjà le Conseil national d’évaluation des normes et de nombreuses instructions réglementaires pour essayer de limiter cette graphomanie irrépressible du législateur.

Nous pensons que c’est par une gouvernance raisonnée et coopérative du ministère de la justice, du ministère de l’économie et des acteurs économiques qu’une législation efficace peut émerger.

S’il nous faut agir pour alléger le fardeau normatif qui pèse sur nos entreprises, cette proposition de loi n’est pas, à nos yeux, nécessaire. Ainsi, les sénateurs issus du Rassemblement national s’abstiendront. (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)

M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble de la proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME ».

Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l’y laisser jusqu’au vote.

Si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant puis en choisissant une position de vote.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 161 :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 265
Pour l’adoption 232
Contre 33

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, ma prise de parole sera courte.

Tout d’abord, la ministre, Mme Olivia Grégoire, retenue aujourd’hui à Toulouse, vous prie de bien vouloir l’excuser.

Voilà bien longtemps que le sujet de l’inflation normative était sur la table ; plus que jamais, il appelait de nos vœux, comme des vôtres, à une simplification. Nos voisins allemands, néerlandais, suisses ou britanniques avaient déjà mis en œuvre des systèmes ayant le même objectif de simplification que celui de la proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME ». Les résultats observés dans ces pays étaient bien au rendez-vous. Nous devions donc, à notre tour, tirer parti de l’efficacité et de la solidité d’un tel dispositif.

Ainsi, nous ne pouvons que nous réjouir collectivement des avancées permises par les travaux menés en commission, grâce à l’engagement notamment de M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Rietmann, que je tiens à saluer, de l’ensemble de ses membres, et de la rapporteure Elsa Schalck. (M. Philippe Mouiller applaudit.)

Nos entreprises, en particulier nos PME et nos TPE, seront donc désormais consultées pour élaborer les normes qui leur seront ensuite applicables. Il s’agit pour moi d’une avancée dans notre manière de construire notre droit afin de garantir l’acceptabilité de celui-ci.

Cependant, selon le Gouvernement, la présence de représentants de l’État au sein du haut conseil à la simplification pour les entreprises serait de nature à renforcer l’efficacité de cette instance.

Je ne veux pas être trop longue, mais je tiens à prendre le temps de remercier, au nom de Bruno Le Maire et d’Olivia Grégoire, tous ceux qui ont travaillé de manière constructive à ce projet de test PME. Les travaux ont permis d’aboutir à un texte précieux pour nos entreprises, qui nous permettra de mieux légiférer au service de ceux qui, tous les jours, créent de la richesse, de la valeur dans notre pays.

Monsieur Rietmann, je transférerai vos remerciements à ma collègue Olivia Grégoire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME »
 

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Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Lors du scrutin n° 160 sur l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, mon collègue Olivier Bitz souhaitait voter pour.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Je souhaite rectifier mon vote lors du scrutin n° 159, sur l’article 1er du projet de loi précité : j’ai été comptabilisé comme ne prenant pas part au vote alors que je souhaitais voter contre.

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Ma collègue Christine Herzog, du groupe Union Centriste, souhaite rectifier ses votes sur deux scrutins : lors du scrutin n° 159, elle souhaitait voter contre et, lors du scrutin n° 160, elle souhaitait voter pour.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Lors du scrutin n° 160, mon collègue Alain Duffourg a été comptabilisé comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.

M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende.

Mme Lauriane Josende. Lors des scrutins publics nos 159 et 160, mes collègues Jean-Baptiste Blanc et Christian Bruyen souhaitaient voter pour.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.

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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (suite)

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (projet n° 291, rapport n° 441).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Question préalable

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie-Claude Lermytte applaudit également.)

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui le projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement a souhaité vous soumettre relatif aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, une semaine après l’adoption dans cet hémicycle, par 307 voix, du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Je remarque d’ailleurs que ce projet de loi organique, qui prévoit le report de ces élections d’ici au – et non le – 15 décembre 2024, a été adopté à l’unanimité du groupe socialiste, lequel en demande finalement le report à 2025. Nous aurons l’occasion d’en discuter…

Quoi qu’il en soit, sur place, en Nouvelle-Calédonie, il n’y a pas eu d’opposition au report des élections d’ici à la fin de l’année. Même au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui est pourtant à majorité indépendantiste, une large majorité s’est prononcée pour ce report et pour le texte du Gouvernement. Il y a donc un consensus local sur cette question, y compris parmi les indépendantistes, puisque ceux – cela apparaît dans le rapport législatif de l’Assemblée nationale sur le projet de loi organique – qui sont contre le projet de loi organique étaient favorables au report des élections mais défavorables aux modalités de celui-ci.

Quel que soit le sentiment qui habite les Calédoniens, quelle que soit leur volonté – indépendance, abstention, attachement à la France –, tous considèrent que le report de cette élection relève du bon sens, est de bonne politique. Le choix exprimé par le congrès de Nouvelle-Calédonie de reporter ces élections avant la fin de l’année devait donc être respecté, et je vous remercie d’avoir adopté cette loi organique.

Nous sommes aujourd’hui à la deuxième étape de cette réforme : après le report des élections vient la révision constitutionnelle. En effet, depuis l’accord de Nouméa, il a été considéré que les modalités d’inscription sur les listes électorales pour les élections provinciales devaient être constitutionnalisées.

En premier lieu, je souhaite rendre hommage à tous ceux qui ont écrit les accords de Matignon et de Nouméa. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, un modèle institutionnel sert d’abord un projet ; en l’occurrence, il s’agit de la paix et du développement en Nouvelle-Calédonie, ainsi que du libre choix des peuples d’outre-mer à disposer d’eux-mêmes. Les Calédoniens se sont exprimés par trois fois et, par trois fois, ils ont choisi la France.

Ceux qui ont rédigé ces deux accords ont créé un modèle qui a servi un projet simple : donner aux Calédoniens les moyens de choisir leur avenir.

Depuis trente ans, les gouvernements, quels qu’ils soient, ont écouté les Calédoniens pour définir leur avenir et celui-ci s’inscrit manifestement dans la République française, puisque c’est en ce sens que s’est prononcé le peuple au travers de ses votes.

Ce peuple a voté malgré l’application de règles électorales extrêmement strictes, empêchant certains Calédoniens, pourtant nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens, de voter, non seulement pour les référendums d’autodétermination, mais encore pour les élections locales. Je constate d’ailleurs que la liste électorale « référendaire » est plus large que la liste électorale « provinciale », en raison d’un paradoxe institutionnel selon lequel moins de Calédoniens peuvent voter pour choisir leurs élus locaux que pour choisir entre l’indépendance ou le maintien en France. Avouez que cela n’est pas parfait…

Bien sûr, ces règles institutionnelles parfois paradoxales, en tout cas originales, ne s’opposent en rien au respect des identités des uns et des autres. La République a reconnu dans la Constitution une citoyenneté calédonienne qui s’ajoute à la citoyenneté française et non qui s’y substitue, un gouvernement local, qui est le plus autonome de la République, et à ce jour, les indépendantistes dirigent quatre des cinq institutions de la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, nous participons tous à écrire une nouvelle page de l’histoire calédonienne. Cette page doit être celle de la stabilité : elle doit permettre aux Calédoniens et à tous les acteurs économiques et sociaux de ce magnifique territoire du Pacifique de savoir dans quel cadre ils vivront pendant les décennies à venir. Avoir une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de la tête, savoir que l’on va devoir voter dans un an ou deux pour ou contre l’indépendance, n’aide pas au développement économique, ne favorise pas la paix sur un territoire. C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, à la demande du Président de la République, le garde des sceaux et moi-même nous inscrivons dans un temps long, modeste, humble, celui de cette révision constitutionnelle qui fait suite à un travail commencé par d’autres que nous.

Cette réforme aborde un sujet fondamental du point de vue tant symbolique que démocratique, ce qu’il y a de plus important dans une élection, dans une démocratie : le corps électoral.

Les accords précités ont introduit dans notre droit la notion de citoyenneté calédonienne, concrétisant le destin commun des communautés qui composent la Nouvelle-Calédonie et vivent sur un même territoire. Ils prévoient la restriction du corps électoral pour certains scrutins, dans cette île de moins de 300 000 habitants qui compte trois listes électorales différentes : la première pour les élections du Président de la République, des maires et des députés ; la deuxième pour les élections provinciales – l’équivalent des régions métropolitaines, mais avec des pouvoirs accrus – ; la troisième pour un éventuel référendum d’autodétermination. Les listes électorales des deux derniers types de scrutins sont restreintes aux habitants ayant la légitimité d’une durée suffisante de résidence sur le territoire.

L’histoire calédonienne nécessite que ceux qui sont de passage sur le territoire ne soient pas pleinement associés à son avenir. Cette affirmation est en soi discutable dans une démocratie dans laquelle on paie des impôts et dont on a la citoyenneté, mais, dans leur sagesse, les partis politiques représentés en Nouvelle-Calédonie et dans l’Hexagone ont souhaité inscrire dans la Constitution ce droit électoral exorbitant du droit commun. C’est encore la ligne que défendent l’ensemble des Calédoniens et c’est également celle du Gouvernement. Oui, il doit y avoir des corps électoraux différents en Nouvelle-Calédonie par rapport au reste du territoire national.

De fait, je le répète, en Nouvelle-Calédonie, trois listes électorales coexistent aujourd’hui.

Les élections provinciales sont importantes en ce qu’elles conduisent à la désignation des représentants aux assemblées des trois provinces, donc, indirectement, à la composition du congrès de Nouvelle-Calédonie. Celui-ci est important en ce qu’il donne une majorité pour diriger la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, nous connaissons la symbolique du congrès, dont les trois cinquièmes peuvent déclencher, selon les vœux du constituant, l’organisation d’un référendum d’autodétermination.

Voter aux élections provinciales, c’est donc à la fois choisir ses représentants locaux, qui ont notamment la compétence économique, mais c’est également choisir la majorité au congrès pour désigner l’exécutif et c’est encore permettre le déclenchement de référendums dits d’autodétermination, s’il en est ainsi décidé dans les accords que nous rédigerons, car je suis sûr que nous aboutirons à des accords réunissant toutes les parties. Il s’agit donc de bien plus que de simplement voter pour des représentants locaux. L’enjeu électoral se conjugue, ici comme partout, à un enjeu de représentation, d’autant que le gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie est composé à la proportionnelle.

Or, depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales au moment de l’accord de Nouméa de 1998 ont le droit de voter aux élections provinciales. Autrement dit – je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous imaginer de telles règles dans vos propres circonscriptions –, il y a des Calédoniens, donc des Français, qui sont nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens, mais qui ne peuvent pas voter.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est en effet un problème…

M. Gérald Darmanin, ministre. Ainsi, même si l’on est venu vivre, travailler, faire des enfants, payer ses impôts en Nouvelle-Calédonie pendant vingt ans, on ne peut pas voter pour son représentant à la province, pourtant compétent pour les matières touchant au droit de l’environnement, aux affaires économiques, à l’aide sociale à l’enfance ou à la lutte contre le réchauffement climatique.

En outre, le congrès adopte les lois de pays, qui régissent le quotidien des habitants, il recouvre l’ensemble des impôts et cotisations, il définit le système social et il détermine les choix politiques fondamentaux du territoire, hormis les questions régaliennes, seules compétences qu’a gardées le Gouvernement de la République française, pour le garde des sceaux, le ministre des armées et moi-même. À cet égard, l’élargissement de ce corps électoral est une obligation morale à l’égard des Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens.

Pour être complet, il faut préciser que le corps électoral défini pour voter aux référendums d’autodétermination est, paradoxalement, plus large que celui des élections provinciales. Nous ne proposons d’ailleurs pas d’y toucher, contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là dans la presse. Nous ne proposons que le dégel du corps électoral, dans certaines conditions, pour les élections locales.

Le corps électoral référendaire permet aux personnes qui ont vingt années de résidence en Nouvelle-Calédonie de participer au référendum sans justifier d’une inscription sur les listes électorales à une période donnée. On peut donc participer à un référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie sans avoir le droit de voter aux élections provinciales, puisque, pour cela, il faut être arrivé avant 1998.

Si le gel du corps électoral provincial n’excluait, lors de son vote en 2007, « que » 8 338 électeurs en 1999, soit 7,5 % de l’électorat, ce chiffre est passé à 42 596 en 2023, ce qui représente un électeur sur cinq. Peut-on raisonnablement organiser dans la durée des élections locales avec un électeur sur cinq privé de son droit de vote ?

Nous savons tous qu’en 2007, la volonté du président de la République et du gouvernement de l’époque était de mettre en place ce gel de façon transitoire. Mon prédécesseur Dominique de Villepin avait lui-même précisé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles que ce gel ne valait que pour les élections provinciales de 2009 et de 2014. C’est bien sur le fondement de cette donnée que le Parlement avait alors voté pour le gel du corps électoral. Pour accepter cette dérogation au principe constitutionnel d’égalité de suffrage, le constituant s’était lui-même appuyé sur son caractère transitoire ; je renvoie à cet égard au titre XIII de la Constitution, qui comporte le terme « transitoires ».

Si ce régime valait dans le cadre des accords, le processus est maintenant clos, il faut en convenir et se réunir « pour examiner la situation ainsi créée », pour reprendre les mots de l’accord de Nouméa.

Mesdames, messieurs les parlementaires, qui représentez le peuple français, de quel droit exclurions-nous une partie de la communauté calédonienne de ses propres droits ? D’ailleurs, ce faisant, nous exclurions tant des non-Kanaks que des Kanaks. Si l’on accepte cette distinction, que je retiens ici pour le seul intérêt de la discussion – je l’ai entendue lors des débats sur le projet de loi organique précité –, car pour le Gouvernement il n’y a que des Français, on constate qu’il y a de très nombreux Kanaks nés sur leur terre qui ne peuvent voter aux élections provinciales parce qu’ils ne sont pas nés avant 1998. Cela revient à s’extraire des principes républicains. Le gel du corps électoral n’est, dans ces conditions d’exclusion d’un électeur sur cinq, conforme ni aux principes essentiels de notre bloc de constitutionnalité, ni aux valeurs de la République, ni à nos engagements internationaux.

Il s’agit là d’une position politique que l’État assume pleinement pour tenir sa parole, engagée au Congrès que je citais, et non pas seulement d’une préoccupation d’ordre juridique. Il me semble important qu’au bout de trois ans de discussions la majorité des Calédoniens puisse choisir ses responsables locaux et son destin, alors même que la Nouvelle-Calédonie connaît des difficultés économiques extrêmement fortes, notamment dans le secteur du nickel, pourvoyeur de plus de la moitié des emplois directs et indirects de ce territoire et origine des ressources fiscales et sociales des habitants.

Je rappelle par ailleurs que le Conseil d’État a lui-même considéré que l’importance actuelle de la restriction du corps électoral soulevait un doute très sérieux sur sa compatibilité avec les engagements internationaux de la France, alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé, les trois référendums ayant eu lieu.

Le Gouvernement s’est donc engagé à corriger cette distorsion, qui n’est pas conforme à l’exercice du droit de suffrage sur un territoire de la République. La France est une démocratie. Le Président de la République et le Gouvernement ont toujours affirmé leur intention de procéder à un élargissement du corps électoral par une initiative unilatérale, celle du Parlement, si aucun accord n’était atteint avant la fin de l’année 2023. Je tiens à votre disposition les documents l’attestant, signés par les responsables politiques y compris indépendantistes. Cette initiative n’est donc en rien une surprise et l’on ne saurait jouer la montre contre le droit de suffrage.

Il s’agit dès lors de définir un cadre stabilisé et équilibré. Là où les indépendantistes sont opposés au dégel du corps électoral, les non-indépendantistes proposaient de retenir des durées de domiciliation comprises entre un et trois ans. Après avoir procédé à des consultations – je suis allé sept fois en Nouvelle-Calédonie au cours des trois dernières années –, M. le garde des sceaux et moi-même avons suggéré, sur la demande du Président de la République, de retenir une période de dix ans. Nous ne nous sommes ainsi alignés sur aucune des demandes des « loyalistes » ou « non-indépendantistes » ; la critique de l’État arbitre est donc mal fondée.

Cette durée de dix ans correspond d’ailleurs à la proposition qu’avait faite Lionel Jospin, avant que le président Chirac ne décide de procéder autrement, avec le gel total. Dix ans, c’est le terme négocié par les indépendantistes et les non-indépendantistes dans les premiers accords. Cette durée correspond en outre à la première interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l’accord de Nouméa. Tel est l’objet de ce projet de loi.

Le Gouvernement propose ainsi à la représentation nationale de modifier la Constitution, puisque c’est nécessaire, et d’ajouter les natifs, kanaks ou non, privés aujourd’hui du droit de vote local, faisant ainsi droit à une demande formulée par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Ce nouveau corps électoral accueillera ainsi près de 25 000 nouveaux électeurs. Vous conviendrez que, en soi, dix ans de présence pour pouvoir choisir un élu local, c’est déjà extraordinaire. Je ne connais pas un seul pays démocratique au monde qui interdise à ses citoyens de voter à des élections locales avant dix ans de présence, alors même qu’il peut s’agir de citoyens engagés, payant des impôts, faisant des enfants, bref s’étant installés durablement sur son territoire. La France, en Nouvelle-Calédonie, sera le seul pays démocratique au monde à organiser un tel gel de son corps électoral.

Il s’agit donc non pas, contrairement à ce que l’on entend dire, d’imposer une option d’un camp contre un autre, mais de retenir une formule de compromis équilibrée – celle qui fut proposée par Lionel Jospin au moment de la rédaction de l’accord de Nouméa –, respectueuse de la démocratie et de nos engagements internationaux. On peut être contre cette proposition ; on peut aussi être contre le fait que des gens votent, refuser le suffrage du peuple pour choisir ses représentants locaux, mais alors ce n’est pas le projet d’un pays démocratique.

J’ai plusieurs fois entendu les termes d’« accélération » et de « marche forcée ». Si nous avions voulu accélérer en nous appuyant « simplement » sur le résultat des trois référendums, sur le fait que la Nouvelle-Calédonie a choisi de rester au sein de la France, alors les discussions auraient dû s’arrêter là : nous aurions dégelé le corps électoral dès le lendemain du troisième référendum, sans opérer la moindre distinction avec le reste des Français, pour toutes les listes électorales et nous aurions considéré que la Nouvelle-Calédonie valait la Polynésie française ou le département du Nord. Ce n’est pas ce que propose le Gouvernement de la République.

En anticipation des débats, je veux répondre par avance au rapporteur Philippe Bas, dont je salue le travail.

Non, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que l’on puisse être encore dans une phase transitoire d’indécision, et donc de changement provisoire du corps électoral, comme vous le proposez au travers de vos amendements. Nous devons donner aux Calédoniens le temps long. Personne ne contribuerait au développement économique d’un territoire si, tous les six ans, les règles du jeu démocratique changeaient, si, tous les six ans, les citoyens de ce territoire ne pouvaient voter, si, tous les six ans, il fallait convoquer le Parlement pour modifier le corps électoral de 270 000 habitants votant dans trois provinces.

Les citoyens ont besoin de temps long. Les jeunes Calédoniens, quelles que soient leurs opinions politiques, le demandent, les partenaires économiques internationaux de la Nouvelle-Calédonie ainsi que les investisseurs qui doivent sauver l’industrie du nickel en ont besoin. Le Parlement doit le donner aux Calédoniens, qui ont trop attendu. Oui, il y a besoin de stabilité pour ceux qui vont intervenir sur le territoire.

Il ne s’agit pas d’imposer un accord global sur la Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement est attaché à l’autodétermination, dont il souhaite envisager les modalités avec toutes les parties, y compris les indépendantistes. Il est attaché à un accord global sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie, sur la définition de la citoyenneté, et il n’impose rien.

Ne nous trompons pas de débat : le Gouvernement veut juste que les Calédoniens puissent voter aux élections locales pour désigner les représentants locaux et participer, en Nouvelle-Calédonie comme partout en France, aux élections.

Il faut par ailleurs se souvenir de ce qu’est la démocratie : c’est la loi du plus grand nombre. Quand il y a un débat ou une décision à prendre, la démocratie veut que lors d’un vote ceux qui sont les plus nombreux l’emportent sur ceux qui sont moins nombreux. Cela peut paraître tautologique, mais ce n’est pas le cas en Nouvelle-Calédonie. Prendre une décision, choisir tel ou tel candidat, se présenter devant les électeurs, savoir à qui l’on parle, pouvoir choisir son destin, être citoyen, c’est cela la démocratie et cela exige un minimum de règles, notamment le fait d’avoir des listes électorales et de tenir les élections en temps et en heure.

La démocratie, c’est aussi l’acceptation par ceux qui sont les moins nombreux de la décision des autres. Le corps électoral est un élément central. Pour qu’il y ait acceptation des règles démocratiques, et donc pour que ceux qui ont perdu l’acceptent, il faut qu’ils aient le sentiment que le périmètre des personnes ayant pris la décision est juste ; sans cela, les tensions augmentent, le désespoir et la violence surviennent.

Un autre sujet est apparu dans ce débat, localement, mais aussi à l’Assemblée nationale et au Sénat : il s’agit de la répartition des sièges entre provinces au sein du congrès.

J’entends ce que disent les élus non indépendantistes du territoire, leur démarche est logique. En vertu des règles constitutionnelles, la proportion des élus doit correspondre à peu près à celle des électeurs, des habitants. Leur démarche s’appuie donc sur des principes démocratiques audibles et même, à mon avis, incontestables. Le Conseil constitutionnel s’est d’ailleurs prononcé à plusieurs reprises sur ce point, censurant d’anciens projets gouvernementaux.

Je pense néanmoins que l’équilibre qui existe au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie permet leur fonctionnement. Et même s’il est probable qu’il faille un jour réviser la proportion des sièges de chacune des provinces, qui détermine la composition du congrès et de l’exécutif, il ne me paraît pas absolument nécessaire de le faire maintenant, au travers d’un amendement qui n’aurait pas fait l’objet d’un accord de l’ensemble des acteurs. Si nous l’avions jugé nécessaire, le garde des sceaux et moi l’aurions inclus dans le texte initial.

Je pense que le consensus doit l’emporter sur cette question. Oui pour organiser les élections en Nouvelle-Calédonie en dégelant le corps électoral et en permettant aux Calédoniens nés sur le territoire de voter, mais non pour changer à la va-vite la répartition des forces politiques en Nouvelle-Calédonie, malgré les arguments soulevés, car cela donnerait, en l’espèce, le sentiment d’avancer à marche forcée. Je m’opposerai donc aux amendements allant en ce sens. Néanmoins, je m’en remets également au débat de la Haute Assemblée, parce que nous traitons d’une matière politique et institutionnelle complexe, et que le Gouvernement propose alors que le Parlement décide.

J’appelle enfin votre attention sur le fait que ce projet de loi ne préjuge en rien de la signature d’un accord, que nous souhaitons et que – je profite de cette tribune pour le dire – nous espérons.

Le Président de la République a prévu une révision constitutionnelle pour le 1er juillet prochain. Si un accord devait se dessiner sérieusement entre les parties, le Gouvernement serait prêt – je le réaffirme – à reporter le débat institutionnel définitif, de façon à pouvoir transposer ledit accord.

Loin de la compromettre, l’existence d’un projet de loi constitutionnelle et son avancée facilitent au contraire la conclusion d’un accord. C’est justement parce que nous avons déposé des textes de loi en décembre dernier devant le Conseil d’État et que nous les présentons au Parlement que les congrès politiques se réunissent, que les élus locaux prennent des positions et que le FLNKS, si l’on en croit ses derniers communiqués, demande à discuter.

Si ces discussions devaient se concrétiser dans les jours qui viennent, le Gouvernement ne forcerait pas la main aux parties et prendrait le temps nécessaire pour parvenir à cet accord. Mais il faudra bien, un jour, tenir des élections en Nouvelle-Calédonie !

L’habilitation du Gouvernement à prononcer le report des élections par décret – une proposition validée par le Conseil d’État et inscrite dans ce projet de loi – nous permet justement d’intervenir dans le processus jusqu’à la dernière minute.

Si, et seulement si, un accord local sérieux devait se dessiner, nous pourrions reporter une fois encore la date du scrutin, au plus tard en novembre 2025, le temps de soumettre au Parlement un autre projet de loi constitutionnelle, en lien avec M. le garde des sceaux, ainsi qu’un projet de statut organique – il ne faut pas l’oublier –, qui en tireront toutes les conséquences.

Mesdames, messieurs les sénateurs, levons toute ambiguïté : notre dessein collectif – je suis convaincu qu’il est partagé sur la quasi-totalité de ces travées – est bien de parvenir à un accord global en Nouvelle-Calédonie, entre tous les Calédoniens, indépendantistes et non-indépendantistes, en s’assurant qu’aucune force politique n’écrase les autres et qu’aucune ne soit humiliée.

Le Gouvernement n’a pas ménagé ses efforts pour atteindre cet objectif : pour ma part, je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie à sept reprises. Le Président de la République et M. le garde des sceaux ont également fait le déplacement, et les ministres des outre-mer y ont effectué de nombreuses visites.

D’innombrables réunions ont été organisées à Nouméa et à Paris. Plusieurs textes écrits, coécrits ou réécrits rendent possible un nouvel accord, fondé sur des modalités d’autodétermination, sur la citoyenneté calédonienne, sur les discussions économiques – elles sont dans tous les esprits – et, bien évidemment, sur le temps long, dans le respect des trois référendums.

Le Gouvernement a toujours exprimé le souhait d’aborder l’ensemble de ces sujets dans un accord global, qui s’inscrirait dans la continuité de celui qui a été signé à Nouméa. Dans cet accord figurerait l’élargissement des listes électorales provinciales, mais également – c’est très important – la question de la nationalité calédonienne, aujourd’hui uniquement rattachée au droit de vote.

Cinq institutions – un congrès, un gouvernement, trois provinces, auxquels s’ajoutent les communes – et trois codes de l’environnement régissent ce territoire de 270 000 habitants et de quelques centaines de kilomètres carrés soumis au réchauffement climatique.

Alors que la filière nickel a besoin d’un plan de sauvetage, les compétences économiques sont partagées entre quatre institutions. Les problèmes sanitaires sont évidents. La jeunesse est à construire. La compétition internationale dans le Pacifique est féroce. Nous ne pouvons pas laisser la Nouvelle-Calédonie dans cette situation ! Avec tous les acteurs, nous devons construire l’avenir et donner toutes ses chances à ce magnifique territoire.

Si cette organisation découle de l’histoire des accords, la fin du processus, trente ans plus tard, doit aussi permettre d’en tirer un bilan.

Le nouvel accord que le Gouvernement appelle de ses vœux devra interroger de manière plus approfondie le lien qu’entretient la Nouvelle-Calédonie avec la France. Celle-ci est prête à inscrire dans sa Constitution des modèles institutionnels très originaux, si telle est la volonté des Calédoniens.

Il conviendra également d’examiner le degré d’autonomie laissé au territoire pour, le cas échéant, lui transférer des compétences supplémentaires. La question du pouvoir diplomatique, qui pourrait être partagé avec la Nouvelle-Calédonie, mérite également d’être posée de nouveau.

Ces propositions sont fortes. Elles n’ont jamais été formulées par aucun gouvernement, y compris par ceux qui, parfois, ont souhaité l’autodétermination.

La question de l’autodétermination demeure. Je le dis notamment aux sénateurs siégeant de ce côté gauche de l’hémicycle, car ils y sont peut-être plus attentifs : la République ne saurait refuser à la Nouvelle-Calédonie le droit de se prononcer sur son avenir.

En revanche, il n’est pas souhaitable d’organiser des scrutins de manière trop rapprochée, tous les ans ou tous les deux ans. Les « non » ne seraient pas tous acceptés et seul un « oui » ferait florès. Cela reviendrait à désavouer les votes précédents, et donc le suffrage, tout en créant une instabilité qui nuirait définitivement aux investissements et il y aurait en permanence une épée de Damoclès au-dessus de la Nouvelle-Calédonie.

Écoutons les Calédoniens : l’incertitude actuelle bloque l’essor de leur territoire. Il faut que les investissements reprennent, que les services publics fonctionnent, que la santé soit garantie, que les cotisations et les impôts rentrent, que les prédateurs pacifiques n’empêchent pas la Nouvelle-Calédonie, fière de la France et de ses aspects démocratiques, d’avancer.

Il faut que les jeunes Calédoniens qui sont partis reviennent pour développer le territoire, que la jeunesse entière bénéficie de nouvelles perspectives de progrès social, de respect et de paix entre les cultures et, s’il le faut, d’une autonomie significativement renforcée.

Jusqu’à présent, nous avons longuement discuté des perspectives de cet accord sans y parvenir. Près de trois années se sont écoulées depuis la dernière consultation. Le message que le Gouvernement adresse à la Nouvelle-Calédonie est le suivant : avançons, ne bousculons pas les équilibres, proposons une solution de compromis sur la question du dégel du corps électoral sans préjuger d’un éventuel accord global.

Le Gouvernement y est prêt et tend la main à tout moment. Il est de la responsabilité de l’État de garantir l’expression du droit de suffrage sur l’ensemble des territoires de la République. Nous le souhaitons toutes et tous, parce que nous sommes une grande démocratie.

Les Calédoniens, souvent, nous démontrent que ce paradoxe existe dans ce magnifique archipel : parfois, plus on est proche de l’impasse, plus vite on trouve la solution. C’est le vœu que je formule pour ce magnifique territoire et pour les Calédoniens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Vincent Louault et Alain Cazabonne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur et des outre-mer, cher Gérald, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour débattre au sujet d’un de nos territoires d’outre-mer qui nous sont si chers.

Le texte constitutionnel dont nous allons discuter concerne ce territoire, la Nouvelle-Calédonie, dans lequel je me suis rendu avec mon collègue Gérald Darmanin voilà tout juste un mois, pour y dire l’engagement total de l’État et du ministère de la justice en particulier.

J’ai pu en effet inaugurer le centre de détention de Koné. J’ai annoncé des renforts humains – magistrats, greffiers, contractuels – sans précédent, ainsi que la construction tant attendue de la nouvelle prison de Nouméa, pour un montant record de près d’un demi-milliard d’euros.

La Nouvelle-Calédonie est un territoire particulièrement attachant et j’ai pu constater la richesse des cultures qui y cohabitent. C’est aussi un territoire dans lequel le poids de l’histoire récente est très fort.

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a déjà pris acte du caractère unique de ce poids de l’histoire par la formulation « dans les collectivités d’outre-mer […] et en Nouvelle-Calédonie », qui la distingue de tout autre territoire de la République. Cette originalité était déjà présente dans la reconnaissance par l’accord de Nouméa d’une citoyenneté calédonienne. Il s’agissait là d’une innovation majeure, porteuse d’une forte charge symbolique. Cette citoyenneté se manifeste notamment par l’existence d’un corps électoral spécifique aux élections provinciales et aux élections du Congrès.

La persistance du gel du corps électoral déroge cependant de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies.

C’est à ces Français-là que je pense. Lors du déplacement en commun que nous avons effectué, nous avons rencontré beaucoup de Français, qui nous ont fait part de leur incompréhension et de leur frustration de ne pas pouvoir participer à la démocratie.

C’est aussi bien sûr à nos règles que je pense, et particulièrement à l’article 1er de la Constitution, selon lequel la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Je pense également à son article 3, qui pose clairement le caractère « universel, égal et secret » du suffrage, et qui affirme avec force que sont électeurs « dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».

Enfin, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame de façon solennelle : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. »

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce gel du corps électoral contrevient également aux obligations internationales de la France.

L’article 3 du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales affirme la nécessité d’organiser, « à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ».

Dans l’arrêt de janvier 2005 Py contre France, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait jugé que l’exigence de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie pouvait paraître « disproportionnée au but poursuivi », mais elle avait admis la conventionnalité du dispositif, qui s’inscrivait dans un processus transitoire et répondait à une situation très particulière. Cette décision aura vingt ans dans quelques mois. La situation démographique a largement évolué et la Cour pourrait être désormais saisie du cas d’une personne résidant depuis plus de vingt ans en Nouvelle-Calédonie, qui ne se verrait pas pour autant reconnaître un entier droit de vote aux élections locales.

Si les circonstances propres à la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est aujourd’hui plus qu’incertaine, alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est désormais achevé.

Les trois référendums d’autodétermination organisés en 2018, 2020 et 2021 ont en effet tous conclu au refus de l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, plus de 40 000 de nos concitoyens peuvent voter aux élections nationales, mais sont privés du droit de vote aux élections du congrès et des assemblées de province. Parmi eux, 12 000 personnes, d’une part, sont nées et ont fait leur vie en Nouvelle-Calédonie et 12 000 autres, d’autre part, vivent sur ce territoire depuis dix ans. Il n’est plus tolérable qu’en 2024 toutes ces personnes soient exclues de la démocratie calédonienne.

Comme vous le savez, la priorité absolue du Gouvernement reste la conclusion avec les partenaires calédoniens d’un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. C’est la raison pour laquelle, de manière inédite, il est prévu que l’entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle soit subordonnée à l’absence de conclusion d’un accord entre les partenaires politiques.

Afin de remédier à d’éventuelles difficultés, le Gouvernement a précisé les caractéristiques de l’accord dont la conclusion empêcherait l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle. Il a, en outre, décidé de confier au Conseil constitutionnel le soin de constater l’existence d’un accord répondant à ces caractéristiques ; ce rôle s’inscrit parfaitement dans les missions déjà confiées au Conseil.

Ce projet de loi constitutionnelle confie par ailleurs au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les modalités de mise en œuvre de la révision constitutionnelle.

En tant que garde des sceaux, j’ai conscience du caractère inhabituel de ce renvoi. Pour son application, la Constitution de la Ve République renvoie traditionnellement à la loi organique et à la loi ordinaire. Toutefois, vous l’avez compris : ce mécanisme n’est en rien une défiance, bien au contraire. L’intervention du pouvoir réglementaire est justifiée par l’urgence de la situation, le Gouvernement s’étant engagé à ce que les élections ne soient pas reportées au-delà de 2024.

L’esprit même de notre démocratie, chacun le comprend, ne permet pas de retarder ces élections, et impose un dispositif qui assure la plus grande célérité.

Pour renforcer les garanties encadrant l’intervention du pouvoir réglementaire, le Gouvernement a fixé les matières dans lesquelles ce décret est susceptible d’intervenir : la composition du corps électoral, les opérations de révision des listes et divers critères d’appréciation des conditions d’inscription. Il a également limité dans le temps cette habilitation : ce décret ne pourra être adopté qu’avant le 1er septembre 2024.

En ce qui concerne la possibilité de reporter la date des élections jusqu’au 30 novembre 2025 en cas de conclusion d’un accord entre les partenaires politiques, je serai plus bref.

La jurisprudence constitutionnelle admet la possibilité de prolonger les mandats en cours des membres de l’organe délibérant d’une collectivité dans un but d’intérêt général. Toutefois, le législateur n’est pas libre : il doit évidemment respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle. Cela implique notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité jugée raisonnable.

Selon le Conseil d’État, le report d’élections ne peut intervenir au-delà d’un délai raisonnable de dix-huit mois. En prévoyant un report au plus tard au 30 novembre 2025, le Gouvernement s’inscrit pleinement dans la ligne jurisprudentielle qui guide notre droit électoral.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, j’ai l’honneur aujourd’hui de porter devant vous, avec mon collègue de l’intérieur et des outre-mer dont je veux ici saluer le formidable engagement, ce projet de loi constitutionnelle.

Je tiens à le rappeler avec force : le destin commun de la Nouvelle-Calédonie est dans les mains des Calédoniens eux-mêmes.

Si la priorité du Gouvernement demeure la conclusion d’un grand accord entre les partenaires politiques afin d’aboutir à une nouvelle organisation politique durable respectueuse des sensibilités de chacun et fidèle aux acquis de l’accord de Nouméa, il nous faut agir pour mettre fin à une injustice démocratique, qui prive de droit de vote aux élections au congrès et aux assemblées de province un électeur calédonien sur cinq. (M. Olivier Bitz applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux saluer tout particulièrement nos collègues de Nouvelle-Calédonie, Georges Naturel et Robert Wienie Xowie, qui nous ont beaucoup aidés dans la préparation de ce débat, en s’attachant à nous donner une information précise sur la situation du territoire et en se faisant force de proposition.

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous l’avez dit : une page se tourne ; il faut en ouvrir une autre, comme en 1988 avec l’accord de Matignon, comme en 1998 avec l’accord de Nouméa.

La stabilité et le devenir du territoire supposent que les représentants de toutes les catégories de la population calédonienne trouvent un terrain d’entente pour vivre ensemble et assurer le développement de l’île.

Malgré vos efforts, monsieur le ministre – je vous en donne bien volontiers acte, rares sont les ministres de l’intérieur et de l’outre-mer à avoir fait sept déplacements en peu de temps en Nouvelle-Calédonie pour rechercher les voies d’un accord –, cet accord n’a pu encore être trouvé.

Il suppose de la part du Gouvernement et du Parlement de l’impartialité et un souci d’équilibre, mais aussi que le Gouvernement joue un rôle actif dans les négociations. Si un tel accord devait survenir, je crois pouvoir dire en votre nom, mes chers collègues, que nous serions tous prêts à le traduire dans la Constitution, dans la loi organique et dans les lois ordinaires. Mais à l’évidence, il ne s’agit pas de cela aujourd’hui.

Si chacun admet qu’un cadre stable ne peut être posé pour la Nouvelle-Calédonie que dans le cadre d’un accord, il n’est pas en notre pouvoir de donner le temps long que vous réclamez à juste titre, monsieur le ministre de l’intérieur, par un vote du Parlement. Seul un accord global permettra d’obtenir ce temps long. Je crois, messieurs les ministres, que vos propos vont tout à fait dans ce sens.

Le texte qui nous est soumis ne porte pas une telle ambition. Il vise simplement à sortir du blocage du corps électoral qui fait que, en dehors des électeurs de statut coutumier, on ne peut plus accéder au vote aux élections provinciales.

Il faut donc permettre le dégel du corps électoral pour en faire un corps électoral « glissant ». C’est bien la moindre des choses, car nous sommes arrivés à une situation qui écarte du vote non plus 7 % des électeurs, comme au moment de la révision constitutionnelle de 2007, mais, comme le rappelait le garde des sceaux, 20 % de ces électeurs.

Le Conseil d’État a d’ailleurs exprimé de très forts doutes sur la capacité d’organiser régulièrement des élections en Nouvelle-Calédonie sur le fondement d’une telle liste électorale.

Certes, la Constitution n’interdit pas le gel ; au contraire, elle le permet depuis 2007. Mais la dérogation à l’égalité devant le suffrage que cela implique – le garde des sceaux a rappelé qu’elle était fondée sur l’article 3 de la Constitution française – doit être proportionnée à l’objectif poursuivi. Elle ne l’est plus aujourd’hui, en raison de cette proportion très importante d’électeurs écartés des élections provinciales.

Monsieur le garde des sceaux, vous l’avez dit : il y a urgence, car nous ne savons pas organiser des élections en Nouvelle-Calédonie sans dégel de la liste électorale. Et s’il n’y a plus d’élections en Nouvelle-Calédonie, alors en effet nous ne pourrons pas éternellement prolonger des mandats qui ne tirent plus leur source de la légitimité du suffrage universel, mais du vote du Parlement de la République.

Cela n’est pas possible. Il y a un moment où nous arrivons au pied du mur. Nous aurions tous préféré que ce moment survienne après un accord, mais à présent nous n’avons pas d’autre choix possible. Si nous voulons des élections en Nouvelle-Calédonie, il faut que la disposition de la Constitution qui gèle le corps électoral disparaisse.

Je tiens à dire – il y a eu des incompréhensions à l’égard du travail de la commission des lois – que cette volonté s’est exprimée en commission dès la semaine dernière. Le choix d’un dégel permanent, irrévocable, irréversible, par abrogation d’une disposition constitutionnelle qui permettait le gel, est le choix de la commission des lois, comme il a été le choix du Gouvernement lorsqu’il a déposé son projet.

Une fois que l’on aura dégelé le corps électoral et permis l’inscription de nouveaux compatriotes calédoniens sur la liste électorale, reste à savoir quelles règles nous imposerons.

On pourrait imaginer d’élargir la liste à tout le monde, mais on contreviendrait alors fortement à l’accord permanent qui a été passé entre nos compatriotes calédoniens et le Gouvernement français. Cet accord prévoit un corps électoral restreint, en raison de cette idée simple selon laquelle il faut être intéressé par l’avenir de la Calédonie pour voter aux institutions qui sont les plus importantes de Nouvelle-Calédonie.

Par conséquent, le Gouvernement nous propose d’intégrer à la liste électorale tous les natifs de Nouvelle-Calédonie ayant atteint l’âge de 18 ans, ainsi que tous les Calédoniens présents sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans.

Cette proposition me semble sage et nous la soutenons. Nous considérons en effet qu’elle ne va pas trop loin dans l’intégration de nouveaux citoyens calédoniens à la liste électorale. On aurait pu prévoir cinq ans ou trois ans. On aurait pu aussi envisager que tout le monde vote. Le Gouvernement n’a pas fait ce choix et, sur ce point, la commission des lois lui a donné raison.

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez évoqué un amendement dont je suis l’auteur. Je pense fermement que nous avons à prendre des mesures d’urgence pour permettre des élections. Afin de faciliter la conclusion d’un accord, nous devrions éviter de statuer indéfiniment en préemptant ce qui a été jusqu’à présent l’un des principaux sujets de négociation entre Calédoniens.

J’ai bien compris, au gré de nos discussions internes au Sénat et grâce aux contacts que nous avons noués avec les parties calédoniennes, que la position que j’ai fait adopter par la commission des lois était jugée excessive et qu’on voulait en finir une fois pour toutes, non pas avec le gel – j’ai apporté la garantie nécessaire pour qu’il soit définitivement écarté de nos textes fondamentaux –, mais avec la question du corps électoral restreint.

Le président de notre commission des lois a fait une proposition de compromis : si un accord survenait après les élections en Nouvelle-Calédonie, il faudrait alors modifier le corps électoral restreint au moyen non pas d’une révision constitutionnelle – celle-ci peut rester nécessaire sur d’autres points –, mais d’une simple loi organique, sur le fondement de cet accord. C’est une manière de dire que les dispositions que nous nous apprêtons à adopter ne sont pas absolument définitives : nous continuons à préférer l’accord à la recherche d’une solution unilatérale par le Parlement français.

J’espère que ce compromis, que j’ai accepté, pourra prévaloir dans nos votes d’aujourd’hui. Au-delà, un certain nombre d’autres questions se posent.

En ce qui concerne le partage des sièges entre les provinces, le ministre de l’intérieur a dit que la revendication lui paraissait fondée, mais qu’il valait mieux la traiter dans le cadre d’un accord. Je partage son point de vue.

D’autres amendements tendent à reporter les élections. Selon moi, ce n’est pas la bonne approche : on ne peut pas faire campagne le soir en mobilisant ses électeurs dans les meetings et négocier le matin pour trouver un accord avec ses adversaires.

Si nous voulons vraiment un accord qui assure le temps long et la stabilité de la Nouvelle-Calédonie, les élections doivent avoir lieu le plus tôt possible. Il s’agit non pas de s’en débarrasser, mais de permettre à la démocratie calédonienne de s’exprimer.

Sur cette base, nous pourrons, je l’espère, aboutir à un accord global, sans lequel il n’y a pas d’avenir possible pour les Calédoniens. Je veux leur dire ici toute l’attention que leur porte le Sénat et combien ce dernier a le souci de trouver des solutions qui permettent de stabiliser ce magnifique territoire, pour reprendre l’expression du ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Jacquemet et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Xowie et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 22.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.

La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour la motion.

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ipië mé co : respect et humilité.

Nous sommes au rendez-vous avec l’histoire, un rendez-vous manqué… Le temps est venu de parler, de parler de ce qui constitue le cœur du pari de l’intelligence sur le devenir de mon pays, la Kanaky.

Ce pari est le suivant : faire peuple. « Moi je suis passager, mais je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir, tout ce que je peux faire pour que le pays que je lègue à mes fils soit le plus beau pays. » Voilà les mots de Jean-Marie Tjibaou.

Aujourd’hui, je veux pouvoir dire les miens, ceux d’une lutte, d’un espoir, d’un rêve qui anime ma chair, celle de mes aïeux, et maintenant celle de mes enfants et petits-enfants. Ce rêve qu’on porte en nous et qui a été embrassé par les gens de ce pays : le rêve de la liberté de penser, de dire et de faire en notre nom propre !

Nainville-les-Roches en 1983 en est le symbole. Je dis « symbole », car cette main tendue pèche à être prise. Je veux croire qu’elle le sera un jour par l’ensemble des communautés qui feront peuple en Kanaky.

Qaja mé kuca : parler et faire. C’est ce que je veux faire ici dans cet hémicycle. Parler de ce qui a été fait, de ce qui est fait et de ce que l’on pourra faire. Je veux exprimer la voix d’un peuple debout, qui existe, qui vit et qui crie haut et fort son existence, sa résistance.

Le pari de l’intelligence était de construire une communauté de destin, autour du peuple kanak, avec les descendants de la colonisation dans un pays commun. Qu’en est-il aujourd’hui de ce pari ?

Ce projet de loi confirme l’adage « diviser pour mieux régner ». C’est une démarche meurtrière. La représentation nationale et le Gouvernement peuvent-ils décider sans le peuple concerné ?

Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer ou infirmer vos déclarations sur l’existence d’un accord ? Vous avez déclaré devant la commission des lois le 14 février : « Toutes les tendances, indépendantiste et non indépendantiste, ont signé un document sous ma présidence, que j’ai cosigné également, […] qui acceptait le dégel du corps électoral à dix ans. » Dois-je comprendre que nous sommes des menteurs ? Ou ce document existe-t-il réellement ? Je note tout simplement que la saisine du congrès de la Nouvelle-Calédonie sur cette réforme constitutionnelle n’a pas été faite.

Nous sommes déjà le 27 mars au pays ; ici on est le 26. Comprenez ceci : les décisions depuis Paris seront toujours en retard face à notre histoire, car le destin de notre peuple se dessine sur sa terre. Ce projet de loi s’inscrit à contresens de notre histoire. On vient toucher au cœur même de ce qui constitue la citoyenneté calédonienne : le corps électoral.

Nous ne pouvons pas examiner ce projet de loi unilatéral sous l’unique prisme des valeurs républicaines si fondamentales pour la Nation française que sont l’universalisme et la démocratie.

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez affirmé à l’Assemblée nationale, le 18 mars dernier, lors de la discussion relative au projet de loi organique qu’« être contre ce projet de loi organique et contre le projet de loi constitutionnelle que nous allons présenter, c’est être contre une forme de démocratie qui fait la France depuis 1789 », laissant ainsi entendre que toute position contraire serait antidémocratique.

À quelle forme de démocratie fait-on référence ? Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, moi qui suis Kanak, les sombres méandres et les pans honteux de l’histoire de la « démocratie » française au temps des colonies ?

Dois-je rappeler que la démocratie française en Kanaky s’est longtemps résumée à l’exercice du pouvoir par un petit nombre de citoyens non kanaks ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’était pas la démocratie !

M. Robert Wienie Xowie. Dois-je rappeler que les Kanaks ont été exclus du droit de vote en Kanaky pendant près de soixante ans ? Qu’en 1945 le gouverneur Jacques Tallec fut à l’origine du premier gel du corps électoral calédonien empêchant l’inscription des Kanaks ? Qu’en 1946, le ministre de la France d’outre-mer de l’époque a proposé un projet de création d’un double collège électoral afin de séparer les électeurs kanaks des colons électeurs ?

Dois-je rappeler aussi qu’il aura fallu attendre 1957 pour que l’Assemblée territoriale puisse véritablement représenter l’ensemble de la population non kanak et kanak ?

Monsieur le garde des sceaux, dois-je vous rappeler l’injustice démocratique induite par la circulaire Messmer de 1972, qui a volé au peuple kanak sa légitimité et sa majorité démocratique ?

Cela fait beaucoup de rappels historiques, mais ne dit-on pas que la pédagogie est affaire de répétition ? Pour autant, nous éviterions bien volontiers une répétition des conséquences du passé. Au nom de la démocratie, le Gouvernement oublie son passé et brandit les valeurs républicaines à géométrie variable.

On notera qu’en 2023, la Cour de cassation a considéré que tant que le pays était sur la voie de la décolonisation, il n’y avait pas de nécessité démocratique à faire évoluer le corps électoral. La réouverture du corps électoral ne fait que reprendre la stratégie de colonie de peuplement pour s’emparer une nouvelle fois du pouvoir.

Le gouvernement français est-il en mesure de considérer que la démocratie prime sur la décolonisation ? On a tout connu, tout subi, des soulèvements, des morts, mais le combat d’un peuple n’a pas de prix. Ce projet de loi est un héritage de la pensée coloniale, un héritage des méthodes d’antan qui ont réduit nos anciens au code de l’indigénat, les privant du droit de vote sur leur propre terre.

Le consensus, par un accord global, est le seul et unique moyen de respecter notre histoire. Le gouvernement actuel passe en force sur ce qui est essentiel à la survie d’une communauté de destin.

Le point 5 de l’accord de Nouméa indique que « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette “irréversibilité” étant constitutionnellement garantie ». Or, aujourd’hui, aucun accord n’a été trouvé et le Gouvernement passe en force.

Ce mode de fonctionnement dédaigneux, paternaliste et déconnecté de nos pays met en lumière le caractère profondément colonialiste de l’intervention de l’État dans le dossier calédonien. La conclusion d’un accord global est le chemin consensuel le plus approprié. On ne discute pas sous la menace.

Le corps électoral est le ciment de la citoyenneté calédonienne. Rompre les équilibres trouvés, c’est volontairement éradiquer la notion de peuple kanak constitutionnalisé.

Cette réforme prévoit d’élargir le corps électoral à tous les résidents de plus de dix ans. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la circulaire Messmer, nous rendant minoritaires sur nos terres et laissant la maîtrise de nos administrations locales entre les mains des populations accueillies. C’est ainsi que le gouvernement français veut consacrer dans la Constitution la colonie de peuplement et légitimer la « minorisation » du peuple kanak : c’est légitimer pour mieux recoloniser.

Par ailleurs, le gouvernement français rompt avec ses engagements internationaux. La Kanaky est inscrite depuis 1986 sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser. Le projet de loi est en contradiction avec le point 11 de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies : « Les puissances administrantes devraient veiller à ce que l’exercice du droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l’immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu’elles administrent. »

« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », disait Frantz Fanon. La nôtre est intergénérationnelle et nous voulons la remplir : celle de la lutte pour la pleine souveraineté. Nous sommes ici pour porter ce flambeau et personne ne nous l’enlèvera ; nos enfants le porteront à leur tour. Tant qu’il y aura un Kanak sur cette terre, la revendication subsistera.

Aimé Césaire disait : « Faire un pas avec le peuple, pas deux pas sans lui. » Dans la précipitation, le Gouvernement fait avec ce projet de loi deux pas sans le peuple kanak, en niant sa légitimité aux urnes : le premier lors du troisième référendum, le deuxième aux prochaines élections provinciales. La perte de la légitimité historique du peuple kanak nous fait revenir au temps que l’historien Louis-José Barbançon dénommait « le pays sans nous ». D’un peuple kanak minoritaire à un peuple français majoritaire, il n’y a qu’un pas.

Face à l’oppression, au mépris et à l’humiliation, mon peuple vous répond : respect et humilité. Le peuple français n’est pas l’ennemi du peuple kanak. Je ne suis pas venu dire que votre universalisme et votre démocratie sont meilleurs que notre droit d’exister. Chacun ses valeurs, chacun ses responsabilités. Je suis venu exprimer, sans haine ni mépris, notre droit de faire pays, tout comme vous aspirez à votre souveraineté. Pourquoi serions-nous moins légitimes à parler de nous-mêmes ?

Le FLNKS, réuni en congrès ce samedi 23 mars, a réaffirmé son unité. À l’instar de l’ensemble des groupes progressistes et du groupe CRCE-Kanaky, il demande le retrait de ce texte. Mesdames, messieurs les parlementaires, rejeter ce texte, c’est respecter le chemin de l’histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, contre la motion.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, M. Xowie et ses collègues du groupe CRCE-Kanaky proposent, par leur motion tendant à opposer la question préalable, que le Sénat n’examine pas le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Nos collègues estiment, notamment, que le renoncement à ce texte ne serait pas de nature à créer un vide juridique pendant le temps que nécessitera la poursuite des négociations sur place.

Tout d’abord, relevons que le texte que nous présente aujourd’hui le Gouvernement ne prétend ni régler l’intégralité de la question de l’avenir institutionnel et politique du territoire ni même apporter le commencement d’une réponse globale. Seul un accord entre les partenaires locaux permettra de faire cela. C’est, je le pense, un constat partagé par l’ensemble des acteurs du dossier, en Nouvelle-Calédonie ou ici, dans l’Hexagone.

Nous regrettons que cet objectif n’ait pas pu être atteint à ce stade, mais nous demeurons confiants en la possibilité d’aboutir à une feuille de route consensuelle vers un destin commun pour l’ensemble des citoyens de la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes d’ailleurs convaincus que seul un accord global consensuel permettra d’assurer la stabilité politique et institutionnelle, mais aussi économique de la Nouvelle-Calédonie.

En l’occurrence, ce que le projet de loi constitutionnelle vise à faire, c’est pallier l’une des principales difficultés soulevées par l’arrivée à son terme théorique de l’armature juridique actuelle : la problématique des modalités d’inscription sur la liste électorale « spéciale ». Celles-ci restreignent le nombre d’électeurs admis aux scrutins provinciaux et du congrès de la Nouvelle-Calédonie : il faut pour y être admis remplir certains critères, établis en 1998, tenant à l’ancienneté de leur installation sur le territoire. Plus encore, depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, le constituant a fait prévaloir l’interprétation d’un corps électoral « gelé » à l’article 77 de la Constitution.

Comme le relève le Conseil d’État dans son avis, ce dispositif « déroge significativement » aux principes d’égalité et d’universalité du suffrage figurant à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’aux articles 1er et 3 de la Constitution et, enfin, à l’article 3 du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Si le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont admis la validité de limitation du corps électoral au regard de ces différents principes, c’était strictement à condition que cela s’inscrive dans un cadre temporel transitoire et donc limité dans le temps. Ce cadre découle du processus défini par l’accord de Nouméa, auquel la Constitution fait par ailleurs explicitement référence, et a prévu par conséquent un titre spécifique pour la Nouvelle-Calédonie dont les dispositions sont transitoires.

Après l’organisation des trois consultations d’autodétermination, et comme l’a fait valoir le Conseil d’État, nous sommes arrivés au terme du processus, sa mise en œuvre devant être regardée comme étant désormais complète.

Il nous appartient donc de tirer toutes les conséquences de l’achèvement de ce processus. Le rapporteur de l’Assemblée nationale l’avait par ailleurs fait valoir dès l’examen du texte constitutionnel relatif à la Nouvelle-Calédonie de 2007, en rappelant qu’« après le référendum d’autodétermination, quel qu’en soit le résultat, un nouveau régime devra être défini pour le corps électoral ».

Je ne voudrais pas terminer cette intervention sans rappeler que le risque juridique n’est pas mince. Il ne serait pas responsable d’organiser des élections sans avoir la garantie de la régularité de leurs fondements juridiques.

Cette difficulté se double d’une réalité changeante sur le terrain, accroissant d’autant plus son acuité. L’évolution de la démographie de la Nouvelle-Calédonie depuis les années 1990 a vu la part des exclus des scrutins provinciaux par rapport à la liste électorale générale augmenter. Là où ils ne constituaient en 1999 que 7,46 % du corps électoral, ils en représentent à présent environ 20 %, soit un électeur sur cinq. Désormais, plus de 42 000 électeurs sont ainsi écartés du vote pour la gouvernance du territoire calédonien.

Enfin, ce projet de loi s’inscrit dans une démarche subsidiaire à tout accord futur : il ne traite que d’une seule question, qui demande une réponse juridique rapide, faute de quoi la démocratie calédonienne se retrouverait suspendue, ce que personne ne souhaite.

Ce texte ne préempte pas les négociations autour de cet accord ; il nous permet de nous prémunir d’une absence d’accord sur un point unique, celui de l’organisation régulière des prochaines élections provinciales. L’ensemble des autres sujets intéressant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, tout comme ce corps électoral, pourront toujours faire l’objet d’un accord qui fera alors évoluer le droit applicable. Le législateur national y sera prêt.

Permettre à un tel accord d’interrompre l’entrée en vigueur du texte s’il venait à être voté par le constituant est l’objet même du mécanisme proposé par le Gouvernement à l’article 2, même si, nous le verrons, une souplesse supplémentaire doit lui être apportée.

Quelle que soit notre position de fond sur la réponse à apporter à la question du corps électoral des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, la tenue de ce débat et l’examen de ce projet de loi constitutionnelle devant le Parlement, qui ne saurait être écarté du dossier calédonien, nous semblent par conséquent légitimes. Nous voterons donc contre la motion.

Je profite des quelques minutes qui me restent pour redire la profonde conviction de ceux qui se sont rendus en Nouvelle-Calédonie très récemment, ou bien voilà quelques mois pour établir des rapports : la Nouvelle-Calédonie mérite de trouver sa stabilité institutionnelle, et que les partis politiques participant à sa vie au quotidien trouvent un accord.

Il faut bien sûr que le temps de la discussion s’ouvre, mais il convient également de tenir compte de la réalité du corps électoral. On ne peut pas continuer de la sorte, et il faut passer au vote. Ce suffrage permettra – je l’espère – d’engager encore plus rapidement des discussions en vue d’un accord global. Il sera alors toujours temps pour les législateurs et les constituants que nous sommes de le transcrire légitimement dans notre organisation institutionnelle.

En tout état de cause, la solution viendra du terrain et de nulle part ailleurs, même s’il nous faudra le moment venu y apporter notre contribution positive afin de construire de façon pérenne un destin commun. La Nouvelle-Calédonie et l’ensemble de ses habitants le méritent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je partage entièrement l’avis du président de la commission des lois. Les amendements que nous avons déposés visent d’ailleurs à préserver les chances de trouver un accord avant les élections et à s’assurer que, à défaut, il puisse se nouer après.

Nous partageons tous le sentiment qu’il n’y a pas de destin commun possible en Nouvelle-Calédonie sans que les Calédoniens s’entendent eux-mêmes sur leurs institutions, leur avenir et la manière dont s’exercera dans le futur le droit à l’autodétermination. En effet, celui-ci ne disparaît pas avec la fin de l’accord de Nouméa, mais demandera à être organisé sur la base d’un nouvel accord et dans des conditions évitant d’introduire de la précarité dans les institutions calédoniennes et l’avenir calédonien.

Cet accord global devra également traiter de questions aussi complexes que les institutions calédoniennes et leurs relations avec les pouvoirs publics constitutionnels.

Ce vaste chantier s’ouvrira lorsque les uns et les autres seront décidés à aboutir. Quoi qu’il en soit, ce chantier est absolument incontournable. Pour pouvoir l’ouvrir, nous avons une exigence impérative : que les élections aux assemblées de province et au congrès de Nouvelle-Calédonie puissent se tenir et qu’elles ne soient pas retardées. C’est en effet seulement après ces élections que le maximum de chances réapparaîtra pour la conclusion d’un accord.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. J’invite votre assemblée à rejeter cette motion, car nous avons besoin de discuter de ce texte constitutionnel.

Monsieur le sénateur Xowie, j’ai bien écouté vos arguments.

Premier point : je regrette que vous ne proposiez pas de solution, car, comme le soulignait M. le rapporteur, nous sommes au pied du mur ! C’est l’accord de Nouméa lui-même qui nous met dans cette situation, puisque les acteurs concernés doivent se réunir pour examiner celle-ci.

Pour l’instant, ces partenaires ne veulent pas se réunir et il faut que nous organisions des élections. À Versailles, le constituant, quelle que soit sa couleur politique, a voté une réforme constitutionnelle en y inscrivant le gel total du corps électoral provincial et en précisant expressis verbis qu’il ne concernerait que deux élections provinciales ; les prochaines ne sont donc pas concernées.

Vous ne proposez pas de solution alternative. Vous établissez des parallèles, sans doute très politiques, qui ne correspondent pas au texte que nous présentons aujourd’hui. La question est donc : comment organiser ces élections provinciales ?

Vous auriez pu, par exemple, proposer de convoquer les électeurs inscrits sur les listes électorales au mois de mai 2024. Or – la Haute Assemblée doit le savoir –, si ce projet de loi constitutionnelle était rejeté et que vous organisiez les élections provinciales avec les listes électorales actuelles, comme l’ont souligné M. le garde des sceaux et M. le rapporteur, le décret de convocation des électeurs serait attaqué et les élections seraient annulées, ce qui entraînerait une instabilité profonde en Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, il faudra bien convoquer le Parlement, et donc le Congrès, pour modifier les listes électorales afin de nous conformer à ce que nous imposent notre Cour constitutionnelle et les engagements internationaux.

Je constate d’ailleurs que les indépendantistes dont vous êtes le représentant, monsieur le sénateur, parlent beaucoup d’engagements internationaux en général, mais n’évoquent pas une seule fois le droit de suffrage, qui en fait pourtant bien partie !

Second point : nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises en Nouvelle-Calédonie. Il est vrai que vous n’étiez pas encore sénateur et ne faisiez pas partie de la délégation désignée par le FLNKS, via l’Union calédonienne (UC) ou l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), pour discuter avec l’État.

Certes, cette délégation a parfois changé, et j’en salue tous les négociateurs, car j’éprouve un profond respect pour eux et pour leurs partis politiques. J’ai d’ailleurs toujours respecté les demandes de discussions bilatérales ou trilatérales, de rendez-vous, les souhaits d’attendre les congrès ou de décaler les dates de déplacements… Je pense avoir fait preuve de cette nécessaire politesse que l’on doit aux différents partis, qu’ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes.

Vous dites que je suis un menteur et que personne n’a rien signé. Voilà le document ! (M. le ministre de lintérieur brandit des feuillets.) Ce qui est inscrit là n’est pas le logo de la République française, monsieur le sénateur, mais bien celui du FLNKS ! Je vous ai fait une photocopie de cet accord global de douze pages, qui porte les signatures de Victor Tutugoro et de Roch Wamytan, les deux négociateurs.

Le troisième et dernier point de cet accord s’intitule : « Le corps électoral provincial ». Je vous en donne lecture : « Le FLNKS ne voit pas d’inconvénient à ce que les 11 000 natifs présents sur le corps électoral spécial pour la consultation puissent être intégrés sur le corps électoral provincial. » Le FLNKS demande l’inscription des natifs calédoniens, Kanaks et non-Kanaks. Il faudrait donc au moins une réforme constitutionnelle : il est dommage que vous ne l’ayez pas dit, puisque c’est une demande de votre parti politique.

Je poursuis la lecture de ce document : « S’agissant de la durée de résidence suffisante, suite à la proposition de l’État de sept ans, le FLNKS ne peut accepter une durée inférieure à dix ans. » Je me suis rangé à cette position. Enfin : « Le FLNKS demande que des travaux soient menés en concertation avec les services de l’État afin d’évaluer les impacts et réaliser des projections sur l’évolution de ce corps électoral en prévision des élections provinciales de 2024. » Et ledit document est signé, je le répète, par MM. Tutugoro et Wamytan !

Vous avez le droit d’être opposé à ce que propose la délégation du FLNKS, et vous avez même le droit de changer d’avis. Mais il est dommage de dire à la tribune que le Gouvernement de la République ment, qu’il s’agit d’une proposition meurtrière, et d’utiliser le terme « colonial ».

Monsieur le sénateur, ce n’est pas à moi que vous allez faire le coup de la colonisation : petit-fils de colonisé, je suis pourtant profondément attaché à la République ainsi qu’au débat démocratique, fondé sur l’honnêteté et sur des arguments de vérité.

Même si nous n’avons pas trouvé d’accord général, les délégataires du FLNKS ont accepté la discussion sur le corps électoral provincial. Ils ont même formulé des demandes. Je vous lis la dernière phrase du document susmentionné : « Le FLNKS souhaite enfin que la citoyenneté calédonienne soit désormais rattachée au corps électoral spécial pour la consultation. » C’est dire que les délégataires étaient même favorables à l’idée de changer la Constitution pour attacher la citoyenneté non pas au corps électoral provincial, mais au corps électoral référendaire, comme je l’ai expliqué précédemment.

Je prends en compte nos désaccords, qui sont francs. Je souhaite évidemment que nous aboutissions à un accord. Pour l’instant, vos partis politiques ne le souhaitent pas ; c’est un choix que je respecte. On l’a dit, il ne s’agit ni de frustrer ni d’humilier qui que ce soit. Le FLNKS participera à un accord et nous ne ferons rien sans lui.

Mais ne dites pas que le Gouvernement de la République ment et que ce document n’a jamais existé ! Je vous en ai fait une photocopie ; vous pourrez ainsi en prendre connaissance, si vous le souhaitez. Il concerne de nombreux sujets abordés par le FLNKS, auxquels nous avons apporté des réponses très concrètes et précises : les modalités de l’autodétermination, les transferts de compétences prévus par l’accord de Nouméa, le transfert de l’Agence de développement rural et d’aménagement (Adraf) à l’État, etc.

Tenons-nous-en plutôt aux faits et aux échanges. Je suis très heureux de me rendre tous les deux mois en Nouvelle-Calédonie en vue de démontrer au Parlement que les deniers publics sont bien utilisés, que nous avançons et que nous nous accordons sur un certain nombre de documents.

Enfin, monsieur le sénateur, je sais que vous êtes un homme très implanté et respecté en Nouvelle-Calédonie, où vous avez été maire. Mais je ne crois pas que l’on puisse opposer – du moins, ce n’est pas ce que j’avais compris du projet indépendantiste – démocratie et indépendance.

Vous nous dites que nous opposons démocratie et colonisation.

Tout d’abord, nous parlons bien de la République, qui est loin de la colonisation ! Que la France ait colonisé la Nouvelle-Calédonie, il n’y a aucun doute là-dessus. Qu’il y ait eu des violences, que des maladies aient été apportées, que des gens aient été massacrés, c’est certain ! D’ailleurs, la République l’a reconnu dans la Constitution, avec l’accord de Nouméa, mais aussi au travers d’un audit de décolonisation, et elle le reconnaît chaque année en se justifiant auprès du Comité spécial de la décolonisation (C-24), à l’ONU.

La France est le seul pays, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que cinq États – dont les États-Unis et la Grande-Bretagne – sont visés par la liste des territoires à décoloniser, à envoyer un ministre à l’ONU, en l’occurrence votre serviteur depuis que je suis ministre. Et nous répondons aux questions de cette instance, présidée par l’île de Sainte-Lucie et dont la Syrie – tout de même ! – est rapporteur, pour expliquer que nous accordons l’égalité des droits et des suffrages, l’autodétermination et l’égalité entre les femmes et les hommes, dont bénéficient tous les citoyens de la Nouvelle-Calédonie et désormais de Polynésie puisque nous avons accepté d’en discuter. Je retourne d’ailleurs devant le C-24 le 13 avril prochain.

Certes, il est très important de dire que la Nouvelle-Calédonie a été colonisée, qu’il y a eu énormément de violences, que les Kanaks et les tribus kanakes ont souffert dans leur chair du fait de la privation de leurs terres, des massacres, des maladies. Nous en sommes tous conscients. Mais vous ne devez pas confondre ce qu’a fait la France et ce que fait le régime politique qu’est la République : je le répète, celle-ci a donné des droits à tous les citoyens, accordé l’autodétermination, reconnu l’égalité entre les femmes et les hommes, et établi la démocratie, laquelle est prévue, aussi, dans le projet des indépendantistes.

Car si la démocratie ne figurait pas dans le programme des indépendantistes, alors il nous faudrait discuter de la teneur de ce projet ! J’ai toujours cru comprendre que vous respecteriez le droit de propriété, l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté de culte, la liberté sexuelle, le droit de vote, etc. Dire le contraire serait donner raison à ceux qui ont peur d’une possible indépendance… À titre personnel, je suis persuadé que le FLNKS a toujours été attaché à la vie démocratique. C’est tellement vrai, d’ailleurs, qu’il dirige quatre institutions sur cinq en Nouvelle-Calédonie.

Voilà pourquoi opposer démocratie et indépendance me paraît être une drôle d’idée. Sans doute votre langue a-t-elle fourché, sinon ce serait inquiétant !

L’indépendance peut aller de pair avec la démocratie, et la Nouvelle-Calédonie devra bien évidemment respecter le droit de propriété et le droit de vote de tous les citoyens calédoniens. Je vous rappelle, d’ailleurs, que la citoyenneté calédonienne n’est pas attachée aux Kanaks ; elle vaut pour tous les Calédoniens. Or vous semblez distinguer les Kanaks des autres habitants du territoire : ce n’est pas idéal pour faire peuple…

Pour conclure, monsieur le sénateur, je rappelle que tous les Kanaks ne votent pas pour l’indépendance. Certains d’entre eux veulent rester Français, même s’ils sont peut-être minoritaires. Quoi qu’il en soit, ne faites pas comme les députés de La France insoumise à l’Assemblée nationale, n’essentialisez pas les Kanaks !

Le projet universaliste à venir devra inclure tout le monde : les Kanaks, les non-Kanaks, les Wallisiens, les Japonais, les Antillais, les descendants de bagnards, de colons, parfois de Maghrébins déportés en Nouvelle-Calédonie. Tous devront pouvoir voter parce qu’ils sont des Calédoniens !

Ne présumons pas non plus du vote des uns et des autres : chaque citoyen est libre de voter comme bon lui semble ! Il est à peu près certain qu’une grande partie du peuple kanak vote pour l’indépendance, mais – j’y insiste – ce n’est pas le cas de tous les Kanaks. Je pense à certains élus éminemment kanaks, comme M. Alcide Ponga, à qui j’ai eu la chance de remettre au nom de la République la Légion d’honneur et qui dirige le parti loyaliste dans la province Nord. N’essentialisons pas les personnes !

Nous respectons profondément le peuple kanak, que la Constitution reconnaît comme peuple premier. La colonisation a été extrêmement dure et meurtrière en Nouvelle-Calédonie, et personne n’en disconvient. Pour autant, ne confondons pas ce qu’a fait la France, qui est mal, avec ce que fait la République, qui est bien, et qui justifie que nous soyons fiers d’être républicains et démocrates. Ne caricaturons pas tout !

Je propose que nous débattions de ce sujet important, dans le respect des uns et des autres.

Monsieur le sénateur, ma porte sera toujours ouverte, à Paris comme à Nouméa, et ma main restera tendue.

Le texte que je présente avec le garde des sceaux, au nom du Gouvernement de la République, est un accord sur le dégel du corps électoral pour participer aux élections locales ; il ne s’agit en aucun cas d’un nouvel accord de Nouméa, qui ne respecterait pas la position des indépendantistes. Nous signerons ensemble, j’en suis sûr, un accord avec l’ensemble des indépendantistes, y compris le FLNKS. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je veux d’abord saluer les propos du ministre de l’intérieur au sujet de la stabilité, ainsi que ceux du garde des sceaux sur le poids important de l’histoire récente.

Nous sommes également d’accord sur la nécessaire dimension démocratique de ce processus et sur la volonté de préserver la capacité à l’autodétermination, alors que l’histoire de la Nouvelle-Calédonie a été particulièrement marquée par la férocité de la colonisation.

Face à ces enjeux, les socialistes ont le souci de la cohérence dans la continuité. C’est en effet notre famille politique qui a su trouver en 1988, dans une situation de quasi-guerre civile, les mots d’un accord qui a permis d’assurer une stabilité pendant dix ans. Et en 1998, c’est Lionel Jospin qui a engagé le processus que nous sommes amenés à examiner aujourd’hui. Ces deux accords ont pu être signés grâce au respect de toutes les parties du consensus et à l’impartialité de l’État.

En nous montrant un document que je serais curieux de lire, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que la question du corps électoral, qui est cruciale, devait être abordée au regard des évolutions démographiques.

C’est donc par souci de cohérence que nous souhaiterions qu’un accord local soit conclu avant la tenue des élections. Ainsi, de même que lors de l’examen du projet de loi organique, nous avons déposé des amendements visant à reporter les élections, conformément à la proposition du Conseil d’État.

Aussi, sans être d’accord avec son contenu, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable, car nous souhaitons qu’un accord local, fruit de compromis, précède le vote du Parlement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je propose de donner au président de la commission des lois la copie du document annexe, qu’il pourra distribuer à l’ensemble des sénateurs.

M. Rachid Temal. Je vous remercie !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 22, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 162 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 98
Contre 242

Le Sénat n’a pas adopté.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Rachid Temal. Place au débat !

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, imaginez un archipel situé dans l’océan Pacifique, juste au-dessus du tropique du Capricorne : un ensemble d’îles au climat presque idéal, bordées de plages avec des palmiers, au milieu d’une eau d’un bleu sans pareil, au sein d’un lagon parmi les plus grands du monde, protégé par une incroyable barrière de corail…

M. Gérald Darmanin, ministre. Et par quelques requins ! (Sourires.)

M. Pierre Médevielle. C’est le décor de carte postale, mais bien réel, de la Nouvelle-Calédonie.

Je veux cependant vous inviter, aussi, à imaginer l’envers de ce décor. Sur ce même archipel, qui compte environ 270 000 habitants, 42 000 personnes sont privées du droit de vote, soit près de 20 % de la population.

Imaginez donc vivre là-bas depuis vingt-cinq ans, travailler, payer vos impôts, ou même y être né, et être privé du droit démocratique le plus basique et fondamental, privé de votre statut de citoyen, privé du droit de choisir ceux qui vous gouvernent et qui décident de l’avenir de votre territoire ! C’est une injustice inacceptable dans un pays comme le nôtre.

C’est cela aussi, la Nouvelle-Calédonie : un territoire dans lequel certaines règles fondamentales de la République ne sont plus appliquées. Tel est l’envers du décor.

En 1998, le corps électoral a d’abord été restreint par l’accord de Nouméa aux personnes inscrites sur les listes électorales jusqu’en 1998 et aux personnes arrivées après 1998 justifiant, à la date de l’élection, de dix ans de résidence sur le territoire, quelle que soit la date de leur installation. En 2007, le corps électoral a finalement été totalement gelé par une révision constitutionnelle. C’est ainsi que seules peuvent voter aux élections territoriales les personnes inscrites sur les listes jusqu’en 1998. Cette situation, inimaginable pour un Français de l’Hexagone, a été acceptée à l’époque en raison de son caractère transitoire.

Dix-sept ans plus tard, l’accord de Nouméa est caduc : à trois reprises, lors des référendums de 2018, 2020 et 2021, la population calédonienne a exprimé sa volonté de rester française. Cette situation provisoire prend fin aujourd’hui et les Calédoniens doivent recouvrer leurs droits.

Le présent projet de loi constitutionnelle vise à dégeler le corps électoral : celui-ci serait restreint aux personnes inscrites sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, qui y sont nées ou domiciliées depuis au moins dix ans. L’adoption de ce texte permettra à 25 000 personnes supplémentaires de participer aux prochaines élections provinciales. C’est un juste rééquilibrage.

La situation économique et sociale ne permet ni de reporter cette décision ni de tergiverser. Rappelons aussi que les dernières élections provinciales ont donné les pleins pouvoirs à une coalition indépendantiste pourtant arrivée avec seize points de retard derrière les autres listes.

Il faut dire la vérité : même si nous y sommes tous favorables, la perspective de parvenir à un accord avant les élections est très incertaine.

Le dégel du corps électoral est une première étape pour un retour vers un processus démocratique acceptable. Néanmoins, il doit être assorti d’un rééquilibrage de la représentativité des trois provinces. En effet, la situation économique et un fort tropisme vers la province Sud ont modifié la répartition de la population sur le territoire.

La province Sud, qui concentre aujourd’hui 75 % de la population de la Nouvelle-Calédonie, n’est représentée que par 59 % des membres du congrès. Il faut donc assurer une répartition plus juste des sièges, tenant compte de ces évolutions. J’ai pris l’initiative de déposer un amendement visant à restaurer cet équilibre démocratique.

Les Calédoniens devraient avoir le droit de choisir ceux qui les gouvernent : cet amendement le permettra, car un élu de la province Sud représente actuellement 2,4 fois plus d’habitants qu’un élu des îles Loyauté. Là encore, cette situation n’est pas acceptable.

La peur et l’hésitation ne conduisent, le plus souvent, qu’à faire de mauvais choix. Le Gouvernement et le Parlement se doivent d’assurer la souveraineté et l’impartialité dans tous les territoires de la République. Il y va de leur crédibilité. Sans cela, nous enverrions un très mauvais message aux autres territoires ultramarins, et même à certains territoires de l’Hexagone.

Par trois fois, la Nouvelle-Calédonie a réaffirmé son choix d’être française. Il est donc de notre responsabilité de rétablir un véritable processus démocratique sans lequel les discussions futures seraient impossibles. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. François Patriat et M. Georges Naturel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est favorable au dégel de la liste électorale, mais s’oppose à la modification de la répartition des sièges au congrès. Cependant, au-delà de ces mesures techniques, il nous tient avant tout à cœur de donner à la Nouvelle-Calédonie une perspective politique, tant dans le souci de l’impartialité de la position du Parlement que dans l’attente d’une nécessaire initiative politique.

La Nouvelle-Calédonie est un territoire magnifique, cher à chacun d’entre nous. C’est également un territoire sensible et complexe, marqué par une histoire que chacun a en tête. Il n’existe donc pas de bonne solution : nous serons amenés à rechercher la moins mauvaise possible.

Cette situation nous conduit par ailleurs à nous exprimer avec beaucoup de modération. « Humilité et respect » : cette expression répandue dans la coutume kanake vaut aussi pour mon intervention au nom du groupe Union Centriste.

La situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie est également difficile. Le pacte nickel, qui aurait dû être adopté en commission plénière hier, a été reporté. La situation des caisses d’assurance maladie et d’assurance retraite est grave – et je ne reviens pas sur l’état de la caisse d’assurance chômage ou la situation financière du gouvernement de Nouvelle-Calédonie…

Aussi, relativisons nos débats. S’ils sont bien sûr essentiels d’un point de vue institutionnel, je ne suis pas certain qu’ils reflètent les priorités actuelles des Néo-Calédoniens. L’ampleur de la crise économique et sociale est telle que les préoccupations de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie sont avant tout matérielles et alimentaires : chacun doit en mesurer l’importance.

Néanmoins, nous avons un destin commun à organiser, ce qui suppose de maintenir le maximum d’apaisement et de stabilité, et de trouver un accord entre les différents partenaires – lesquels ne se résument pas aux seuls loyalistes et indépendantistes. La société néo-calédonienne est en effet de plus en plus métissée : en raison des évolutions démographiques, notamment, les Wallisiens sont aujourd’hui trois fois plus nombreux en Nouvelle-Calédonie qu’à Wallis-et-Futuna. Ils ont des positions très ouvertes sur les sujets qui nous occupent.

Nous sommes favorables au dégel de la liste électorale. Il n’y a pas d’alternative. Le Conseil d’État nous a indiqué que si nous n’adoptions pas cette solution, il serait amené à annuler les élections.

Nous savons particulièrement gré à notre rapporteur Philippe Bas qui a non seulement retenu cette solution, mais qui l’a aussi accompagnée par la levée de ce qui a été considéré par une partie des partenaires comme un ultimatum au 1er juillet. Ainsi, si un accord intervient jusqu’à dix jours avant l’élection, il reviendra au Parlement – et non au Conseil constitutionnel – de constater son existence. Ce délai supplémentaire accordé à la société néo-calédonienne est une bonne mesure, car elle contribue à l’apaisement.

Dans ces conditions, nous ne voyons pas de motif de report des élections. Mon groupe s’est interrogé à ce sujet. Certes, le projet de loi organique que nous avons adopté prolonge jusqu’au 15 décembre le mandat des membres du congrès et des assemblées provinciales, mais la loi constitutionnelle aurait pu écraser ces dispositions. Dans la mesure où il est probable qu’un accord ne puisse intervenir qu’après les élections, nous ne voyons pas de raison objective de modifier la date des élections.

Nous comprenons la volonté de modifier la répartition des sièges au congrès, mais le Conseil d’État a précisé que la distorsion n’était pas suffisamment forte pour entraîner une remise en cause du mode de scrutin. Dans ces conditions, une modification ne nous paraît pas justifiable vis-à-vis des partenaires de la Nouvelle-Calédonie.

En conclusion, je veux insister sur la perspective politique à tracer, qui doit conduire le Sénat à adopter une position de surplomb, sans soutenir l’un des partenaires néo-calédoniens au profit d’un autre : en un mot, veillons au respect de l’impartialité. Le processus électoral doit en effet s’accompagner d’une initiative politique.

Reste à débattre du caractère provisoire ou définitif du dégel. Dans ses propos à fleurets mouchetés, le ministre de l’intérieur a exprimé son souhait de rendre ce dégel définitif, afin de garantir la stabilité des élections provinciales, tandis que notre rapporteur Philippe Bas propose de procéder à un dégel uniquement pour les élections de 2024. Nous examinerons donc le sous-amendement du président de la commission des lois visant à revenir sur cette modalité.

Je ne vous le cache pas : mon groupe est plutôt favorable à la position exprimée par Philippe Bas en faveur du dégel provisoire. Si nous avons bien compris l’argument du ministre de l’intérieur, nous préférons agir a minima – c’est-à-dire uniquement sur l’élection de 2024 – au regard de la complexité et de la sensibilité de la situation.

À cela s’ajoute un argument constitutionnel, dont il est difficile d’ignorer le poids. En effet, notre pays n’a constitutionnalisé, dans un titre spécifique, que les dispositions ayant suscité l’accord de tous les partenaires au travers des accords de Nouméa et de Matignon. Il nous paraissait donc quelque peu gênant de constitutionnaliser des dispositions n’ayant pas fait l’objet d’un accord général. En votant contre ce sous-amendement, nous risquerions de compromettre l’adoption de ce projet de loi. Or cette révision constitutionnelle doit avoir lieu. Aussi, nous nous abstiendrons.

Ces sujets techniques restent toutefois secondaires face à la nécessité d’un accompagnement politique des partenaires. Le Gouvernement a essayé d’œuvrer en ce sens, et je rends hommage à votre travail, monsieur le ministre. Néanmoins, il reviendra très prochainement au Parlement, en particulier au Sénat, d’émettre des propositions en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’humilité et un certain inconfort que j’exprime la position du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires sur ce projet de révision constitutionnelle.

Je parle avec l’humilité d’une Française de métropole, qui n’est jamais allée en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, et qui sent le poids de la décision que le Gouvernement nous demande de prendre pour l’avenir de ce territoire. J’ai entendu de la colère et de la défiance, et j’ai compris la blessure que l’attitude du Gouvernement, depuis 2020, avait provoquée. Rien de bon ne pourra naître de cette blessure ; aussi vaudrait-il mieux la panser que la creuser davantage.

Mais un inconfort certain, surtout, naît de la nature même du texte que nous étudions. Alors qu’il est question de déterminer unilatéralement, pour un territoire à décoloniser, selon les Nations unies, un aspect majeur de la définition de sa citoyenneté, un questionnement profond sur la légitimité politique et historique de la décision que nous nous apprêtons à prendre m’envahit.

Ce questionnement n’est pas lié au contenu du projet qui nous est soumis. En vérité, si les négociations sur place aboutissaient, pour ce qui est du corps électoral, à un accord en faveur d’une solution similaire à celle que nous propose le Gouvernement, je serais la première à m’en féliciter. Or le problème fondamental de ce projet vient de la nature de ses instigateurs, et de la manière dont il a été élaboré.

Est-il juste que le Parlement se prononce aujourd’hui sur une proposition unilatérale du Gouvernement définissant la composition du corps électoral d’un territoire à décoloniser, engagé démocratiquement dans un processus devant assurer son autodétermination, sans qu’un accord local ait été trouvé ?

Est-ce sage, alors que le Conseil d’État nous a laissé jusqu’à 2025 pour trouver une solution ?

Est-ce sage, alors que le calendrier gouvernemental imposé est perçu comme une pression ? Alors qu’il est évident qu’il n’est pas possible de réformer consensuellement le corps électoral sans accord avec toutes les parties concernées, et qu’un accord global est nécessaire pour prendre une décision sur le corps électoral ?

Est-ce sage, alors qu’aucun accord solide ne saurait émerger sans le respect par l’État de sa parole et de son impartialité ? Alors que, sur place, des négociations ont lieu ?

Je n’arrive pas à m’en convaincre.

Opposer les principes démocratiques républicains à ceux qui commandent au respect du droit à l’autodétermination des peuples colonisés est par nature inconséquent et intenable. Personne ne le conteste, pas même les indépendantistes. Les restrictions du corps électoral excluent d’année en année davantage de citoyens et de citoyennes. Le corps électoral doit être réformé : tout le monde le reconnaît.

Peut-être toutes les parties concernées pourraient-elles tolérer l’unilatéralité, si la réforme était parfaitement consensuelle et d’ordre purement technique ; mais c’est tout le contraire.

Cette réforme touche au cœur sensible du sujet. La question du corps électoral est intimement liée au fait que la Nouvelle-Calédonie a été une colonie de peuplement. En 1972, Pierre Messmer, alors Premier ministre, écrivait : « La revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. » Pour cela, il proposait « l’immigration massive de citoyens français métropolitains ».

C’est pourquoi la question du corps électoral a toujours été au cœur de toutes les discussions.

C’est pourquoi elle est consubstantielle à la question de la citoyenneté calédonienne.

C’est pourquoi, aussi, en 2017, nous avons gelé le corps électoral par un accord constitutionnel, comme une promesse de l’État de son engagement sans faille à respecter le contrat social issu de l’accord de Nouméa.

Or, depuis 2020, nous avons multiplié les fautes. L’indispensable impartialité de l’État, condition même de la possibilité d’un accord, a été rompue, à de multiples reprises.

D’abord, lorsque le Gouvernement a décidé de maintenir un référendum, arguant que les élections devaient se tenir à l’heure, alors même qu’en Hexagone nous avions décalé des élections du fait de l’épidémie.

Ensuite, lorsque Sonia Backès, cheffe de file des loyalistes, a été nommée secrétaire d’État. Quelle idée ! Comment dire plus clairement que ce gouvernement n’entend plus être impartial ?

Aujourd’hui, enfin, lorsqu’il nous est demandé de prendre le risque de trop : remettre en cause la parole de l’État en rompant, unilatéralement, le contrat de 1998, et « détricoter les principes qui […] avaient assuré la paix civile », comme le décrit Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer, dans une tribune publiée dans Le Monde.

Philippe Bas n’a pas été insensible à ce risque ni à son ampleur. Je le remercie très sincèrement pour la finesse, l’attention et l’intelligence avec lesquelles il a travaillé.

Y aura-t-il un processus de décolonisation que la France n’aura pas raté ? C’est pour éviter de répondre par la négative que mon groupe s’opposera au projet du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Corinne Narassiguin et M. Fabien Gay applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du corps électoral est politiquement cruciale en Kanaky comme en Nouvelle-Calédonie. En effet, les accords de Matignon puis de Nouméa ont restreint ce corps électoral, qui a ensuite été constitutionnalisé en 2007.

Or le Gouvernement a déposé au Sénat le 29 janvier 2024 un projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral. Le Sénat a adopté le projet de loi organique le 27 février dernier.

Le motif invoqué est que le corps électoral citoyen du pays « ne répond plus aux exigences démocratiques résultant de nos principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France » : « Au regard de cette réforme et des délais nécessaires à sa mise en œuvre, il apparaît ainsi nécessaire de repousser le renouvellement des assemblées. » Le Gouvernement veut ainsi ouvrir le périmètre du peuple calédonien aux arrivants français résidant depuis dix ans sur le territoire. Ce corps électoral, devenu glissant, organise de fait la noyade démographique du peuple kanak.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est le grand remplacement…

Mme Cécile Cukierman. Par ailleurs, ce corps électoral glissant est contraire aux résolutions de l’ONU et met fin aux équilibres patiemment négociés en 1998. De fait, il alimente pour certains l’idée de rupture frontale avec le principe même du processus de décolonisation.

Le projet, uniquement justifié par la révision constitutionnelle unilatérale, est la négation même des accords de Matignon et de Nouméa. L’État partial tire un trait sur le processus de décolonisation en Nouvelle-Calédonie. Il met à mal plus de trente ans d’efforts pour parvenir à construire une citoyenneté calédonienne légitime aux yeux de tous, fruit d’un compromis historique entre des partenaires calédoniens fidèles aux idéaux de réconciliation symbolisés par la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Le passage en force du Gouvernement sous la forme d’une réforme à marche forcée, avec notamment un ultimatum au 1er juillet, est en totale contradiction avec la méthode privilégiée par les précédents gouvernements, qui ont choisi le dialogue et le consensus auprès des partenaires locaux pour parvenir à deux accords de paix.

Tout le monde ici se souviendra que les accords de Matignon et de Nouméa auront permis de déployer le vivre-ensemble pendant trente-six années paisibles. Le Gouvernement prend donc une très lourde responsabilité en engageant cette réforme unilatérale, avec la caution des parlementaires que nous sommes si le texte venait à être adopté en l’état.

Pourquoi un tel empressement, pourquoi un passage en force, alors que rien ne le justifie ? Il y a, comme chacun sait, des discussions en cours entre les partenaires calédoniens. D’ailleurs, les indépendantistes doivent discuter parallèlement avec deux tendances loyalistes qui refusent de négocier ensemble.

Les indépendantistes affirment qu’ils n’ont jamais été opposés à l’arrivée de populations nouvelles, nécessaires pour asseoir un développement économique ambitieux. Néanmoins, ils souhaitent préserver le corps électoral tant que le processus d’émancipation n’a pas abouti.

Rappelons d’ailleurs que dès 1983, à Nainville-les-Roches, les indépendantistes avaient ouvert la citoyenneté calédonienne aux autres communautés arrivées par la colonisation. Aujourd’hui, ils ne sont pas opposés à l’intégration des natifs, actant ainsi le principe du droit du sol, mais ils considèrent que toutes ces questions doivent être traitées dans le cadre d’un accord global. Seule cette solution saura garantir une paix civile durable ainsi qu’une stabilité politique, économique et sociale.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky déplore l’attitude méprisante et parfois paternaliste du Gouvernement à l’égard des partenaires calédoniens, ainsi que le caractère de l’intervention de l’État dans la gestion du dossier calédonien, que certains jugent colonialiste.

Seule la conclusion d’un accord global peut assurer et garantir la continuité des deux accords de paix conclus entre partenaires calédoniens.

Je salue le travail du rapporteur et de la commission des lois, qui a rappelé que cet accord global devait demeurer notre boussole politique : il représente la seule solution susceptible d’assurer la continuité du vivre-ensemble. Il offre, s’il en était besoin, une perspective salvatrice : celle du respect de la parole donnée de la République à l’ensemble des habitants de Nouvelle-Calédonie.

Parce que nous savons concilier nos valeurs républicaines et les revendications des indépendantistes kanaks, certains membres de mon groupe voteront les amendements qui concourent à cet accord global. Nous respecterons la non-participation au vote de notre collègue Robert Wienie Xowie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les accords de Matignon en 1988, puis l’accord de Nouméa en 1998, ont permis de ramener la paix sur l’île.

Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’écrire un nouveau chapitre institutionnel et politique, à condition de ne pas renier l’esprit de consensus trouvé voilà maintenant plusieurs décennies.

Ces accords ont ouvert la possibilité de ne faire voter, pour certaines élections, que ceux qui pouvaient justifier d’une résidence continue pendant au moins dix ans avant 1998. En d’autres termes, ces accords ont restreint l’accès au suffrage d’une partie des Calédoniens pour préserver la paix.

Une restriction unique du droit français, constitutionnalisée par les « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » du titre XIII de la Constitution. Les circonstances de l’époque avaient prouvé qu’il était acceptable de ne « donner la parole » qu’à une partie de la population présente sur l’île depuis plus longtemps.

Le texte que nous examinons prévoit le dégel d’une partie du corps électoral à défaut d’un accord trouvé avant le 1er juillet 2024. Cette situation permettra à 25 000 Calédoniens de participer aux prochains scrutins locaux dès le mois de décembre prochain.

Comme l’a rappelé le rapporteur, après la période du 1er juillet 2024, les citoyens installés continuellement sur l’archipel depuis 2014 pourront voter aux prochaines élections locales.

Les membres du groupe RDSE saluent l’équilibre démocratique visé, mais aussi expriment leurs vives inquiétudes à l’égard de la préservation des acquis politiques depuis les accords de Matignon et l’accord de Nouméa. Nous le savons, l’inscription d’une partie des citoyens sur une liste spéciale revient à reconnaître l’existence d’une citoyenneté néo-calédonienne.

Au moment des accords de Nouméa, ce principe représentait la pierre angulaire des accords entre loyalistes et indépendantistes. Il s’agissait de reconnaître la spécificité de ce territoire, son histoire et la représentativité de son peuple premier. C’est d’ailleurs une exigence des Nations unies.

D’un côté, les indépendantistes accueillaient les Européens avec un « statut de résident ». De l’autre, les loyalistes acceptaient que seuls les résidents installés depuis bien plus longtemps accèdent à certains scrutins. Aussi ne faudrait-il pas que ce dégel apparaisse, aux yeux des indépendantistes, comme une victoire des loyalistes. Une telle situation pourrait replonger l’archipel dans un long cycle de violence.

Outre ces considérations politiques, il ne faut pas s’habituer à ce que de telles entorses démocratiques perdurent.

En 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a toléré le gel d’une partie du corps électoral de Nouvelle-Calédonie, parce que celui-ci était transitoire et tourné vers l’objectif de l’autodétermination. Ce processus est-il aujourd’hui en passe d’aboutir ?

Nous craignons que la situation de statu quo en vigueur depuis l’accord de Nouméa ne soit fortement compromise, si des garanties juridiques et politiques ne sont pas prévues.

Au-delà du contexte, nous sommes attachés à ce qu’un dialogue impartial, loyal et intransigeant demeure entre toutes les parties.

Par ailleurs, l’avenir de l’archipel ne doit pas se faire sans la mise en place d’une coopération renforcée avec le Caillou dans les secteurs économique, énergétique et social. Il ne doit pas non plus s’opérer au détriment de la stabilité régionale.

L’autodétermination est une très grande inconnue dans l’équation géopolitique de l’Indo-Pacifique, dont je rappelle que le plus gros problème est la politique impérialiste du gouvernement chinois. (M. le ministre acquiesce.)

Pour toutes ces raisons, nous attendons beaucoup du débat qui s’offre à nous. Pour le moment, ce que nous souhaitons par-dessus tout, je le répète, c’est l’assurance de garanties permettant de préserver l’archipel d’une nouvelle crise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Alain Marc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz.

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les défis à relever par la Nouvelle-Calédonie sont énormes.

Défi économique, tout d’abord, avec une crise grave du secteur du nickel, qui emploie plus de 20 % des actifs du territoire. À cet égard, signalons que le nouveau report de la signature du pacte sur le nickel n’est évidemment pas un bon signal.

Défi social, ensuite, avec des inégalités encore plus marquées qu’en métropole. Ainsi, plus de 50 000 habitants sur 270 000 vivent sous le seuil de pauvreté et la population est confrontée à la cherté des prix.

Défi financier, également, avec une crise majeure des finances publiques et sociales du territoire, laquelle n’attire manifestement pas beaucoup l’attention des observateurs, du moins pas encore.

Défi politique, enfin, avec la nécessité de définir, après presque quarante ans de paix civile, les voies et moyens permettant d’aboutir à la définition d’un destin commun, partagé par tous les Calédoniens.

Le retard pris dans la définition de ce destin commun touche directement les autres sujets – économique, social, financier –, d’autant qu’il prolonge une période d’incertitude inhérente à la tenue des trois consultations prévues par l’accord de Nouméa.

Bien évidemment, la vie démocratique doit se poursuivre pendant cette transition et les élections provinciales doivent se tenir dans les meilleures conditions possible. C’est le sens du report de quelques mois de la consultation électorale provinciale, qui est déjà adopté.

Il s’agit aujourd’hui de permettre que ces élections se tiennent régulièrement par le dégel du corps électoral. Cela suppose d’intégrer dans le corps électoral élisant les conseillers des provinces des citoyens nés ou arrivés en Nouvelle-Calédonie après 1998.

Je tiens à souligner l’excellent travail réalisé par le rapporteur, M. Philippe Bas, ainsi que l’esprit dans lequel se sont déroulés les échanges sur ce texte au sein de la commission des lois.

Nous savons que l’évolution prévue par ce projet de loi constitutionnelle est absolument indispensable au regard du principe de l’égalité du suffrage. Bloquer encore l’évolution du corps électoral poserait non seulement un problème démocratique, mais aussi, et surtout, une difficulté juridique.

En effet, les élections se font bien évidemment sous le contrôle du juge. Le Conseil d’État a d’ailleurs envoyé un message très clair en indiquant qu’une consultation électorale qui se tiendrait sur la base d’une liste électorale arrêtée en 1998 serait frappée d’irrégularité, en raison non seulement d’engagements internationaux, mais aussi de la Constitution. Le dégel du corps électoral est donc aujourd’hui non pas une option politique, mais une nécessité juridique.

M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !

M. Olivier Bitz. Nous regrettons que les parties calédoniennes n’aient pas réussi pour l’instant à se mettre d’accord sur les conditions de ce nécessaire dégel, même si nous comprenons que ce point fasse partie des éléments constitutifs de la nationalité calédonienne,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !

M. Olivier Bitz. … sujet par nature sensible, qui peut difficilement ne pas figurer dans un accord global.

Puisqu’il nous faut bien avancer pour garantir la régularité juridique des prochaines élections provinciales, le Gouvernement nous propose de retenir une durée de résidence minimum de dix ans en Nouvelle-Calédonie pour les nouveaux électeurs et, ainsi, un corps électoral glissant, et non plus gelé.

Cette proposition nous paraît raisonnable en ce qu’elle permet de s’assurer d’un lien suffisamment fort et constant entre le nouvel électeur et la Nouvelle-Calédonie. Elle ne remet donc en cause ni l’existence d’une spécificité propre au territoire calédonien en matière électorale, avec l’existence d’un corps restreint, ni même le principe d’une citoyenneté calédonienne.

Cette proposition ne semble pas susciter d’opposition marquée du côté des loyalistes comme du côté des indépendantistes. À notre sens, elle n’est pas de nature à compromettre la conclusion d’un accord global sur l’avenir politique et institutionnel.

Cependant, afin de ne pas préempter les conclusions de cet accord qui doit intervenir entre les parties calédoniennes, l’État doit selon nous intervenir le moins possible de manière unilatérale.

Nous avons ainsi bien conscience que l’adoption de ce texte constitue une exception dans le mode d’action de l’État, que seules l’urgence et la contrainte juridique impérieuse liée à la régularité des élections à venir viennent justifier et sous la réserve qu’un accord n’ait pas été conclu avant le 1er juillet prochain. L’État doit en effet demeurer un acteur actif et impartial, pour que les Calédoniens puissent déterminer ensemble leur destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’accord de Nouméa en 1998 que l’on doit à Lionel Jospin, seuls peuvent voter aux élections provinciales et du congrès les personnes et leurs descendants qui remplissaient les conditions pour voter au référendum approuvant cet accord.

Pourquoi une telle restriction a-t-elle été décidée à l’époque ? L’accord de Nouméa prévoyait la reconnaissance d’une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté française. Cela correspondait au point d’équilibre des aspirations des Néo-Calédoniens sur leur personnalité : l’identité kanake, la citoyenneté calédonienne, la nationalité française. Cette citoyenneté comporte deux traductions dans l’accord de Nouméa : les limitations apportées au corps électoral et les mesures pour préserver l’emploi local.

C’est en 2007 que ce corps électoral restreint a été gelé par une révision constitutionnelle décidée par le Président de la République Jacques Chirac. Le corps électoral restreint était un engagement pris dès les accords de Matignon ; nous pouvons d’ailleurs dire aujourd’hui que c’était la condition sine qua non d’une décolonisation réussie.

Aujourd’hui, le gel du corps électoral exclut du suffrage des natifs de Nouvelle-Calédonie, y compris des Kanaks, mais aussi des personnes installées depuis de nombreuses années. Aussi, il nous paraît légitime de modifier la composition du corps électoral, mais pas n’importe comment.

En 1984, un statut de la Nouvelle-Calédonie est adopté sans tenir compte des revendications des indépendantistes sur le corps électoral. Ce sera l’un des éléments déclencheurs du boycott actif des élections territoriales de novembre 1984, puis des « événements » qui lui succèdent. En 1988, l’élément déclencheur d’Ouvéa est le maintien des élections au congrès du territoire le même jour que l’élection présidentielle ; Bernard Pons, alors ministre des départements et territoires d’outre-mer, et le gouvernement de l’époque décident de passer en force.

Aujourd’hui, quarante après, on retrouve conjugués les deux éléments déclencheurs de 1984 et 1988 : le corps électoral et le calendrier. Cette situation est aggravée par un autre facteur, la volonté du Gouvernement de passer en force, qui met une pression insupportable sur les représentants politiques locaux.

Monsieur le ministre, après sept visites en Nouvelle-Calédonie, avez-vous appris à écouter, au lieu de toujours parler et faire la leçon ? Souhaitez-vous vous mettre dans les pas de Michel Rocard ou dans ceux de Bernard Pons ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ces propos sont suffisants, mais pas nécessaires…

Mme Corinne Narassiguin. Ce projet de loi constitutionnelle comprend deux mesures que l’on pourrait qualifier de baroques. Non seulement il fait de la révision constitutionnelle une réforme par défaut, mais surtout il méconnaît les droits du Parlement en déléguant au pouvoir réglementaire les modalités d’application de la révision.

Avec ce texte, monsieur le ministre, vous êtes en rupture totale avec les méthodes engagées par les accords de Matignon, puis par l’accord de Nouméa, qui se fondent d’abord sur un accord politique local, avant l’intervention du législateur.

Cet ultimatum n’est pas acceptable. Le Gouvernement enchaîne les fautes depuis le départ du Premier ministre Édouard Philippe : organisation à marche forcée du troisième référendum, remise en cause de l’impartialité de l’État avec la nomination de Sonia Backès, modification unilatérale du corps électoral via ce projet de loi constitutionnelle, nomination de rapporteurs partiaux à l’Assemblée nationale, remise en cause de la parole de l’État donnée lors de l’accord de Nouméa.

C’est une pente dangereuse que vous prenez là, monsieur le ministre. Le rôle de l’État français doit être celui d’un partenaire actif, mais toujours impartial ; il doit faciliter l’émergence d’un accord global sur une nouvelle organisation politique et institutionnelle.

Modifier le corps électoral, oui. C’est une nécessité constitutionnelle. Pour autant, ce n’est pas aujourd’hui une urgence institutionnelle. En profiter pour modifier la répartition des sièges au congrès et aux assemblées des provinces, non. Cette répartition, qui remonte aux accords de Matignon, est un pilier du compromis historique qui a ramené la paix civile. Toute modification n’est envisageable que dans le cadre d’un futur accord politique global.

Vous le savez, la situation locale est difficile : le territoire connaît une crise économique et sociale, la filière du nickel est en grande difficulté, l’usine du Nord est à l’arrêt, les effets économiques en cascade paralysent presque tous les secteurs d’activité, les déficits sociaux s’aggravent. Les tensions sont importantes ; selon nous, c’est faire preuve d’inconscience que de jouer ainsi avec le feu. La seule intervention urgente de l’État qui est attendue de tous en Nouvelle-Calédonie, c’est un plan de sauvetage économique.

Nous saluons l’approche du rapporteur Philippe Bas, qui souhaite également mettre l’accent sur la nécessité de parvenir à un accord entre les acteurs locaux.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, il est encore temps d’éviter la catastrophe en veillant à ne pas raviver les tensions. Laissez aux acteurs locaux le temps de discuter, afin de parvenir à un accord global au service de la poursuite d’une décolonisation réussie. Il est encore temps de prolonger la poignée de main entre Tjibaou et Lafleur et de parvenir à un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Georges Naturel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le projet de loi constitutionnelle qui, enfin, permettra à des milliers de Calédoniens de participer à la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Plus de 20 % des 220 000 électeurs en Nouvelle-Calédonie sont privés du droit de vote aux élections provinciales. Cela représente 43 000 Calédoniens. En d’autres termes, 20 % des électeurs ne sont pas autorisés à se prononcer lors d’élections qui, pourtant, tous les cinq ans, permettent d’élire des instances ayant une incidence sur la vie quotidienne de tous les Calédoniens.

Parce qu’ils sont arrivés en Nouvelle-Calédonie après le mois de novembre 1998 ou parce qu’ils sont nés de parents installés après cette date couperet, des milliers de Calédoniens, de cœur ou de naissance, qui y ont passé toute leur jeunesse et qui y construisent leur avenir, sont exclus de la vie démocratique de notre territoire.

Mes chers collègues, jamais ni les accords de Matignon ni l’accord de Nouméa n’ont fixé les conditions d’un tel gel du corps électoral. Aucun texte soumis à l’approbation des Calédoniens n’a gravé dans le marbre cette date couperet de novembre 1998. En réalité, ce gel a été ajouté postérieurement, par la révision constitutionnelle de février 2007.

De plus, cette disposition n’a été intégrée que dans la perspective des élections provinciales de 2009 et de 2014, pour permettre aux scrutins d’autodétermination de se dérouler dans le calme. Il s’agissait donc d’une disposition transitoire, qui, hélas ! perdure déjà depuis trop longtemps. Dégeler le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie pour permettre un retour de la démocratie est donc une nécessité absolue.

Au-delà de cet aspect démocratique, ne pas dégeler le corps électoral reviendrait à nous placer en dehors des exigences constitutionnelles et conventionnelles qui nous lient, ce qui ne serait tenable ni juridiquement ni politiquement.

Enfin, mes chers collègues, ne pas voter ce texte reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Comment imaginer que les élections provinciales qui se tiendront au mois de décembre prochain ne soient pas contestées par les Calédoniens ? Comment imaginer que les nouvelles assemblées des provinces et du congrès soient pleinement légitimes si 20 % des électeurs sont tenus à l’écart des urnes ? Nous ne pouvons le concevoir.

En ce sens, le groupe Les Républicains votera avec vigueur en faveur de l’article 1er permettant de dégeler le corps électoral des élections provinciales pour toute personne née en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis au moins dix ans. Cela permettra à près de 25 000 Calédoniens, aujourd’hui exclus, de s’exprimer dans les urnes à l’occasion du prochain renouvellement des assemblées de province et du congrès. Je serai particulièrement vigilant à ce que ce dégel soit ferme et définitif.

Qui plus est, mes chers collègues, nous aurons à nous prononcer sur les deux amendements, tout aussi fondamentaux, que j’ai déposés.

Le premier amendement doit permettre, pour les couples mariés dont l’un des membres est inscrit sur la liste provinciale, de réduire de moitié, soit à cinq ans, la durée de résidence nécessaire pour faire partie de cette liste électorale.

Nombreux sont les Calédoniens qui épousent un métropolitain ou un Ultramarin du Pacifique ou d’ailleurs avec le souhait de fonder une famille. Il me semble qu’une telle disposition serait une mesure de justice et une marque de confiance à l’égard de ceux qui ont adopté la Nouvelle-Calédonie comme territoire de cœur. En retour, celle-ci se doit de les accueillir et de les intégrer.

Le second amendement a un objet au moins aussi fondamental que le dégel du corps électoral prévu par ce projet de loi constitutionnelle dans sa version initiale. Il vise à rétablir le principe de l’égalité devant le suffrage en Nouvelle-Calédonie en rééquilibrant la répartition des sièges des provinces au sein du congrès.

Les accords de Matignon, il y a trente-six ans de cela, puis l’accord de Nouméa, dont je rappelle qu’il était transitoire, ont fixé la répartition des sièges au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Cette répartition donnait déjà un avantage de représentativité aux provinces à majorité indépendantiste : Nord et îles Loyauté.

Néanmoins, le temps a passé. Alors qu’en 1988 la province Sud représentait 68 % de la population pour 60 % des sièges au congrès, aujourd’hui, du fait des dynamiques économiques, elle concentre 75 % de la population calédonienne, sans toutefois disposer de plus d’élus pour la représenter. Cette exception démocratique donne ainsi aux habitants de la province des îles Loyauté une représentativité plus de deux fois supérieure à celle des habitants de la province Sud. Au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage, de tels écarts ne sont plus acceptables.

Rééquilibrer la répartition des sièges au congrès est donc indispensable pour que cette révision constitutionnelle permette véritablement de remettre la démocratie au cœur du fonctionnement institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

À ceux qui, aujourd’hui, seraient tentés de s’abstenir et de préférer l’excès de prudence, je dis : ne cédez pas au chantage à la paix, qui, en plus d’être démocratiquement dangereux, ne fait pas honneur au destin commun que tous les Calédoniens s’efforcent de bâtir depuis trois décennies. Ce n’est pas l’excès de prudence, mais bien les actes et la volonté qui donneront à la Nouvelle-Calédonie la force de relever les défis qui l’attendent.

Mes chers collègues, c’est de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie qu’il est question et c’est de cet avenir que je désire vous parler. Depuis ce 26 juin 1988 où Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se sont serré la main à Matignon, afin que tous les Calédoniens puissent avancer ensemble vers un destin commun, la Nouvelle-Calédonie a fait la preuve de sa volonté et de sa détermination à concevoir l’avenir.

Un avenir où chaque Calédonien trouvera sa place au sein de la société. Un avenir où chaque culture pourra s’exprimer dans sa beauté, sa richesse et sa diversité. Un avenir où, ensemble, nous relèverons les défis économiques qui se dressent devant nous. Un avenir commun pour la Calédonie et pour les Calédoniens au sein de la République française, ainsi qu’ils l’ont décidé majoritairement à trois reprises.

Mes chers collègues, avec force, je vous demande de voter en faveur de ce projet de loi constitutionnelle et de soutenir les amendements que je présenterai. Il y va de l’avenir de la démocratie calédonienne, de son avenir dans la République et de ce destin commun qui, plus que jamais, nous est si cher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui, sur fond de crise économique et sociale, du dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Les négociations sur cet enjeu constituent l’une des pierres angulaires de l’édifice de la paix.

Rappelons que, au moment des accords de Matignon, la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. Michel Rocard, en tant que Premier ministre, devait relever des défis majeurs : ramener la paix, retisser les liens de la confiance et engager un mouvement de décolonisation pacifique et viable.

Les accords de Matignon ont assuré pendant dix ans le maintien d’une paix civile et engagé la réconciliation. La Nouvelle-Calédonie s’est organisée autour de trois provinces, pour donner aux Kanaks la responsabilité politique des régions où vivent la majorité d’entre eux et favoriser leur développement économique.

Le rééquilibrage entre les communautés et les territoires a progressé, appuyé par un effort financier sans précédent de l’État au profit des équipements publics et par un programme de formation. La culture kanake est désormais reconnue. Le magnifique centre culturel Tjibaou, l’un des grands travaux du président Mitterrand, en est un témoignage patent. À mon tour, je tiens à saluer, dans le même élan, le courage politique de Jacques Lafleur.

L’accord de Nouméa, œuvre de Lionel Jospin en 1998, a poursuivi ce mouvement. Il exprime une vision partagée de l’histoire et de l’avenir du pays. Pour la première fois, l’État et les partis politiques de la Nouvelle-Calédonie portent un regard commun sur la période douloureuse, très douloureuse, de la colonisation.

Pour garantir l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, l’État doit assurer une mission permanente de dialogue. Il doit favoriser chaque pas qui nous mène vers une résolution pacifique du conflit. « La paix, c’est la négociation, c’est le courage de céder sur certains points au nom d’un objectif plus essentiel, le courage de transformer l’ennemi en interlocuteur. » Ainsi s’exprimait Michel Rocard.

La méthode éprouvée par Michel Rocard, puis par Lionel Jospin, doit nous inspirer. Elle a affirmé la volonté de l’État de trouver par la négociation une solution de compromis, dans laquelle personne ne renierait ses idéaux. Pourtant, monsieur le ministre, il me semble que nous avons changé de paradigme, que le gouvernement actuel a décidé de rompre avec l’impartialité et la neutralité que la position de facilitateur des débats, de médiateur parfois, imposait à l’État.

Notre devoir est d’entretenir le travail accompli. En effet, la construction originale qui a été imaginée avait pour but de bâtir un destin commun pour la population pluriethnique néo-calédonienne, constituée du peuple d’origine et de ceux qui, depuis cent soixante-dix ans, s’y sont installés durablement.

Le débat que nous avons aujourd’hui ne concerne pas seulement les Néo-Calédoniens. Le débat qui nous amène est celui de la décolonisation, de l’autodétermination et du droit à l’émancipation.

En érigeant l’accélération en système, l’exécutif se trompe. Cette marche forcée, dont nous faisons régulièrement les frais, le mène à une forme de brutalité institutionnelle. Les réformes rejetées par l’ensemble des citoyens se font désormais à coup de 49.3.

Pour la situation de la Nouvelle-Calédonie, la verticalité n’a pas sa place. Pourtant, alors que tous les acteurs en présence préconisent un accord global – même ici, au Sénat, et c’est heureux – et non partiel, vous avez fait le choix de scinder les sujets.

Aussi, monsieur le ministre, je tiens à vous le redire : aucune solution imposée ou arrachée ne sera bonne. Je fais mienne l’une des conclusions de la tribune récente de M. Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour l’outre-mer : « Une modification en l’absence d’accord s’appelle une rupture de contrat. »

Que les débats qui nous attendent à l’issue de cette discussion générale nous permettent de revenir à la raison, celle qui, en Nouvelle-Calédonie, rime, que nous le voulions ou non, mes chers collègues, avec le temps long. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est bien une nouvelle page qu’il nous revient collectivement d’écrire aujourd’hui, après que, à trois occasions, lors de trois référendums, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont réaffirmé leur attachement à la France, ainsi qu’à notre communauté de destin.

Oui, monsieur le ministre, vous l’avez souligné : avec ce nouveau chapitre, il nous faut renouer avec le temps long et être en recherche permanente de stabilité. Cette recherche, nous devons la faire avec l’humilité, la tempérance et, oserai-je dire, la clarté qui sont nécessaires. Aujourd’hui, il nous revient de nous prononcer sur le dégel du corps électoral.

Je ne répéterai pas les propos de l’ensemble des collègues qui se sont succédé à cette tribune, mais il est important de rappeler que, aujourd’hui, 42 596 personnes sont exclues du corps électoral. Dès lors, il est difficile d’imaginer priver nos concitoyens de participer à la désignation de la gouvernance de leur territoire.

Il faut éviter d’opposer la nécessité d’aboutir à un accord global à la tenue des élections, qu’il s’agisse des assemblées de province ou du congrès, qui, elle aussi, répond à une impérieuse nécessité.

Je le dis avec une certaine solennité, il est important de prendre en considération ce fait : la province comme le congrès ont vocation à répondre aux attentes quotidiennes de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, à fixer le cap et à répondre aux défis auxquels doit faire face la Nouvelle-Calédonie. Je veux bien sûr parler des défis sociaux et, plus encore, économiques, qui ont d’ailleurs été évoqués.

Il importait d’apporter une réponse urgente à la question du corps électoral. Le scénario idéal eût été, bien évidemment, la conclusion entre les acteurs calédoniens d’un accord d’ensemble sur l’avenir du territoire. Le rôle du législateur national aurait alors été d’accompagner l’évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie sur la base de cet accord, qui aurait nécessairement comporté un volet consacré à la question du corps électoral.

Malheureusement, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est bien pour constater qu’il n’y a pas eu d’accord après les trois référendums. Le Gouvernement a donc choisi de prendre les devants et de déposer un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Ce texte rétablit un corps électoral glissant, accessible après dix ans de présence sur le territoire. En outre, il ménage la possibilité d’un accord local, comme cela a été souligné, en prévoyant que l’entrée en vigueur du corps électoral rénové, le 1er juillet prochain, puisse être suspendue, et que les prochaines élections puissent, une nouvelle fois, être reportées.

Nous sommes favorables par principe à une évolution du corps électoral gelé vers un système plus souple et, surtout, plus respectueux des exigences démocratiques. Si la durée de la présence préalable requise peut être discutée – elle le sera sans doute dans la suite des négociations –, il ne nous paraît pas acceptable de la fixer à dix ans.

Je sais, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, à près de 17 000 kilomètres de cet hémicycle, nos débats sont scrutés par nos compatriotes, qu’ils vivent à Nouméa, à Koné ou à Lifou.

Nous leur devons la clarté. Nous leur devons aussi de faire en sorte que notre vote améliore le fonctionnement de la province et du congrès. Ceux-ci doivent en effet faire face aux défis actuels, qu’il s’agisse du pacte nickel, dont nous souhaitons qu’il puisse rapidement faire l’objet d’un accord, ou des questions épineuses posées par l’avenir de la caisse d’assurance maladie et de la caisse d’assurance chômage. Il s’agit là, tout simplement, du quotidien de nos concitoyens : nous savons que c’est essentiel.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ce texte, tout en appelant de ses vœux la conclusion rapide d’un accord entre les acteurs calédoniens, seule manière d’aboutir à un règlement durable et global des problématiques de la Nouvelle-Calédonie.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très juste !

M. Mathieu Darnaud. Nous avons, dans cet hémicycle, la volonté chevillée au corps de faire en sorte que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie se présente mieux demain qu’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier les orateurs qui voteront ce texte.

Je salue en particulier l’évolution du groupe Union Centriste, dont je comprends bien les exigences, les nuances et les subtilités évoquées à propos de l’amendement du rapporteur ; mais, comme l’a souligné M. Bonnecarrère, l’essentiel est l’adoption de la réforme constitutionnelle, pour les raisons que nous avons évoquées.

Madame Vogel, votre argument sur le manque d’impartialité de l’État me gêne, même si vous l’avez moins mobilisé que lors du dernier débat. Vous évoquez le troisième référendum, organisé pendant la crise de la covid, alors qu’aucune élection n’avait lieu en métropole. Mais rien n’est plus faux, madame la sénatrice !

La covid a commencé en 2020 : au début de l’année pour la France et l’Europe, pendant l’été ailleurs. Le troisième référendum a été déclenché par les indépendantistes eux-mêmes, non par le Gouvernement. Ce sont eux qui, le 8 avril 2021, ont demandé au congrès, à la majorité des trois cinquièmes, d’exiger la tenue d’un des référendums prévus par les accords de Nouméa, en pleine crise de la covid, un an et demi après le début de la pandémie. L’État n’y est donc pour rien.

Ce référendum s’est tenu. Je rappelle que des élections régionales et cantonales ont eu lieu en juin 2021. Les Français se sont donc rendus deux fois aux urnes juste après un pic épidémique. Les maires calédoniens, y compris indépendantistes, ont organisé le scrutin référendaire le 12 décembre 2021. Une partie des indépendantistes, certes minoritaire, a d’ailleurs voté, comme M. Néaoutyine lui-même, cosignataire des accords de Nouméa, l’a revendiqué.

Le retour aux urnes, d’ailleurs, a eu lieu quelques jours avant le premier tour des élections législatives, car un candidat indépendantiste était en position de l’emporter dans la circonscription de M. Metzdorf. Ne dites donc pas que l’État a déclenché et organisé ce troisième référendum de manière non impartiale : ce sont les indépendantistes qui étaient à la manœuvre, et en pleine crise de la covid.

La métropole tenait d’ailleurs des élections également – c’est bien normal, quoi qu’on en dise parfois. Et aucun de ces scrutins n’a été contesté, ni devant le Conseil d’État ni devant aucune instance internationale.

Par ailleurs, je m’étonne que personne ne dénonce les ingérences étrangères scandaleuses dans ce dossier, comme celle de l’Azerbaïdjan, qui finance une partie du mouvement indépendantiste et qui veut porter la contestation du troisième référendum devant l’ONU. Il est incohérent de s’émouvoir à Paris du sort des Arméniens tout en laissant Bakou attiser la division sur notre sol.

La Nouvelle-Calédonie n’a pas à subir de telles ingérences, surtout de la part de pays qui massacrent des civils. J’ai demandé à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) d’être particulièrement vigilante pour prévenir toute ingérence sur le sol français et garantir un vote libre aux Calédoniens.

Vous reprochez à Mme Backès d’avoir été ministre. Cela revient à dire que tout le monde peut servir le Gouvernement de la République, sauf les citoyens de Nouvelle-Calédonie… C’est une conception étrange de la citoyenneté ! Inscrivons d’urgence dans la Constitution qu’aucun Calédonien ne peut être membre du Gouvernement !

Parce que le dossier calédonien sera, et c’est normal, l’objet de discussions politiques et parlementaires, les Calédoniens sont-ils des Français entièrement à part ? Je ne le crois pas. Mme Backès est-elle une citoyenne comme les autres, qui peut être appelée à servir son pays ? Bien sûr que oui !

M. Patrick Kanner. Elle était présidente de la province Sud !

M. Gérald Darmanin, ministre. Et alors ? Quel rapport ? Ce n’est pas la première fois que des élus d’outre-mer viennent servir la République… Cet argument ad hominem n’était donc pas à la hauteur.

Monsieur Kanner, nous rendons tous hommage, comme l’a fait Mme Narassiguin, à M. Jospin. L’accord de Nouméa, comme celui de Matignon, a garanti la paix et permis d’avancer dans le travail profond que doit faire la République en termes de reconnaissance de la colonisation, ainsi que de dessiner des trajectoires pour la Nouvelle-Calédonie.

Pour autant, ces accords ne sont pas parole d’évangile. Il y a eu un manque dans les négociations. L’accord, en effet, a été conçu pour que, au moins une fois sur trois, on dise « oui » à l’indépendance. Or les Calédoniens ont répondu trois fois « non » à l’indépendance. On s’en est tiré avec une phrase prévoyant que les partenaires se réunissent afin de constater la situation ainsi créée. La belle affaire ! Qu’était-il prévu en cas de non à l’indépendance ? La situation dans laquelle nous sommes. Ce sont les accords de Nouméa qui nous placent dans cette situation, monsieur Kanner.

Vous faites donc de la politique quand vous affirmez à la tribune que nous ne serions pas dans la continuité des accords de Nouméa et du consensus qui les a suivis. Vous prétendez qu’il faut absolument un accord pour voter, comme l’ont dit aussi M. Temal ou Mme Narassiguin. Mais s’il n’y a pas d’accord, que proposez-vous ? Que l’on reporte les élections pendant des mois ou des années ?

Je constate du reste que vous avez des différences d’appréciation. M. Temal évoque une date butoir, en gros celle du Conseil d’État, à savoir 2025. Est-ce cela que vous proposez ? (M. Rachid Temal proteste.)

Vous, monsieur le président du groupe socialiste, vous exigez un accord pour voter. Nous pourrons donc attendre des mois, sinon des années, avant d’arriver à un accord.

Or, comme l’a souligné le rapporteur Bas, reporter sans cesse des élections n’est pas constitutionnel. Je m’étonne qu’un groupe comme le vôtre considère que les mandats peuvent être prolongés à l’envi par le Parlement français. Il faut que les gens votent, surtout pour les élections locales !

M. Rachid Temal. Lisez nos amendements…

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous pourriez au moins admettre, comme je le fais moi-même, que les accords de Nouméa ont vraiment débloqué la situation et garanti la paix sociale, en respectant le peuple premier et en fixant des échéances, que nous avons toutes tenues.

Je pense notamment à l’audit de décolonisation et aux trois référendums, tous tenus au cours du premier quinquennat du Président de la République, et le dernier un an avant l’élection présidentielle, quand le premier avait été déclenché par le Premier ministre Édouard Philippe à son arrivée à Matignon. Nous avons fait en sorte que l’autodétermination soit réelle.

Toutefois, vous n’apportez pas de solution. Que se passera-t-il si les partenaires ne se réunissent pas pour trouver un accord ? Je comprends donc que votre attitude est une posture, et je ne trouve pas cela très digne.

D’ailleurs, madame Corinne Narassiguin, vous qui donnez des leçons à la tribune, j’ai trouvé votre propos sur ma personne suffisant, mais pas nécessaire. (Mme Corinne Narassiguin proteste.)

Madame, je suis heureux que vous vous soyez récemment rendue en Nouvelle-Calédonie. J’ai compris que c’était votre premier déplacement sur place. J’espère que vous en avez tiré aussi la conclusion que la situation y est complexe. Cela aurait dû vous éviter, sans doute, de faire de la politique sur le dossier calédonien, ce que vous avez malheureusement fait à cette tribune – mais vous ne pouvez pas vous en empêcher, il nous a fallu nous y habituer depuis le début de votre mandat au Sénat…

M. Patrick Kanner. Ce n’est pas très respectueux !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est moi qui regrette que Mme Narassiguin ne respecte pas les personnes. Elle a été particulièrement insultante. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Madame Cukierman, je suis désolé de vous dire que votre propos sur la population m’a un peu choqué. Vous avez invoqué des arguments qui, s’ils étaient mobilisés en dehors du dossier calédonien, évoqueraient le « grand remplacement » : vous avez parlé de populations extérieures venues de France pour noyer le peuple kanak… Cela s’appelle le grand remplacement !

Pour ma part, je pensais que les communistes étaient universalistes. Encore une fois, on peut très bien être blanc et indépendantiste, ou kanak et non-indépendantiste. Je m’étonne donc de cette essentialisation. Il ne s’agit pas de classifier les populations présentes sur place en fonction de leur couleur de peau. Or vous avez utilisé le verbe « noyer » et vous avez évoqué des « populations venant de France ».

Mme Cécile Cukierman. Je ne les accuse pas d’avoir renié la République !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas la conception de la République universelle que nous devons tous avoir. Il y a des Européens, des Blancs, des Wallisiens, des personnes d’origine japonaise ou des descendants de bagnards qui votent pour l’indépendance. Et, même si cela va contre la vision binaire de ce débat, il y a des Kanaks qui, depuis toujours, votent pour la France.

Cet argument du grand remplacement n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Il s’agit, dans la révision constitutionnelle que nous proposons, de donner le droit de vote à des personnes pour des élections locales. Ce n’est pas la peine de refaire l’accord de Nouméa, ce qui d’ailleurs serait impossible ; nous ne modifierons pas les équilibres de cet accord.

J’ai déclaré à la tribune que j’étais favorable, au nom du Gouvernement de la République, à ce que la compétence en matière de diplomatie soit donnée à la Nouvelle-Calédonie.

J’ai déclaré à la tribune, ce que personne n’avait fait, pas même MM. Jospin et Rocard, que j’étais favorable, à la suite du discours de M. le Président de la République à Nouméa, à une plus grande autonomie encore de ce territoire, incluant toutes les compétences, y compris celles qui étaient prévues par l’accord de Nouméa et que les indépendantistes eux-mêmes n’ont pas encore réclamées – je pense par exemple à l’article 27.

J’ai déclaré que nous étions prêts à de nouvelles institutions, en nous montrant créatifs, pour que la Nouvelle-Calédonie demeure dans le giron français, tout en respectant une autonomie très large, à l’instar de ce que la Grande-Bretagne ou la Nouvelle-Zélande, par exemple, ont accepté pour certains territoires.

Cela vaut mieux, je pense, que d’expliquer qu’il y aurait une organisation d’Européens blancs qui viendraient « grand remplacer » les Calédoniens kanaks…

D’ailleurs, madame Cukierman, si vous avez examiné la question de près, vous devez savoir que la démographie, en Nouvelle-Calédonie, est totalement à l’avantage des non-Européens. Même en incluant les natifs, même avec le dégel, les Européens sont minoritaires et le resteront. Cela prouve, d’ailleurs, qu’il y a bien des Calédoniens qui ne sont pas européens et qui votent contre l’indépendance, puisque les Européens, ou les Blancs, comme j’ai entendu dire à l’Assemblée nationale, ne suffisent pas pour constituer une majorité contre l’indépendance.

Ne faites donc pas croire que, avec le dégel du corps électoral provincial, nous parlons du référendum : il ne s’agit que des élections locales, et cela n’a rien à voir avec le référendum. Et ne faites pas croire que, quand bien même cela aurait à voir avec le référendum, cela rendrait d’un seul coup les indépendantistes majoritaires, car c’est absolument faux.

Vous savez très bien qu’il y a davantage de départs d’Européens et que les ressortissants de peuples non européens sont de plus en plus nombreux. Votre argument est donc à la fois difficile à entendre pour les universalistes que nous sommes en général et faux en termes arithmétiques – et quelle triste arithmétique !

Enfin, vous avez dit, madame Cukierman, que les dix ans glissants étaient interdits par nos engagements internationaux. Où êtes-vous allée chercher cela ? Pourriez-vous nous indiquer quelle instance internationale ou quel traité international prévoit qu’il est contraire à la Constitution d’exiger dix ans de présence glissante sur un territoire ?

C’était une proposition de Lionel Jospin. Et il n’existe pas au monde un pays démocratique exigeant qu’un citoyen – je ne parle pas des étrangers – soit présent sur son sol depuis dix ans pour voter à une élection locale.

Même les pays du Golfe, qui pourtant sont les plus restrictifs en matière de droit de vote, n’en sont pas là. Nous arrivons donc après l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis. Or vous m’avez presque donné l’impression que j’étais colonialiste… Aucun texte ne condamne la France à dix ans glissants, madame la sénatrice ; vous avez proféré une contre-vérité absolue, ce qui est grave.

Je finirai en déclarant à votre assemblée que, si nous ne modifions pas la Constitution, il y a deux options.

Ou bien le Gouvernement ne convoquera pas d’élections, et les Calédoniens ne seront pas en mesure de gérer les crises économiques et sociales. Je rappelle en effet qu’il s’agit d’un gouvernement autonome : le Sénat, chambre des territoires, respecte les règles de chacun d’entre eux. Nous proposons que l’on puisse enfin voter. Reporter d’un an une élection, c’est tout de même important. Les Calédoniens doivent pouvoir choisir leurs représentants, notamment pour gérer les crises économiques et sociales que vous avez évoquées.

Ou bien vous me demandez de convoquer des élections, puisque je suis le ministre chargé de le faire, sur une base électorale dont nous savons tous qu’elle ne tiendra la rampe ni devant le Conseil d’État ni vis-à-vis de nos engagements conventionnels, et alors même que le constituant avait clairement déclaré que la base actuelle ne vaudrait que jusqu’aux dernières élections provinciales.

Vous vous opposez à tout ce que nous vous proposons, sans présenter de solution de rechange, sinon pour dire qu’il faut absolument un accord. Mais il ne suffit pas de dire : « Accord, accord, accord ! » – vous reconnaîtrez la référence – pour en obtenir un.

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion générale (début)
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Discussion générale (suite)

8

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

9

Discussion générale (interruption de la discussion)
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Avant l’article 1er

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Nous en sommes parvenus à la discussion du texte de la commission.

projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la nouvelle-calédonie

Discussion générale (suite)
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Article 1er

Avant l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 29, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’avant-dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par l’accord mentionné à l’article 76 de la Constitution, l’État préserve les conditions du dialogue par le respect d’une stricte posture d’impartialité. »

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement me donnera, je l’espère, l’occasion de répondre factuellement à M. le ministre. En effet, il vise précisément à rappeler dans le projet de loi constitutionnelle que l’État se doit d’agir de manière impartiale dans ce dossier.

M. le ministre a parfaitement le droit de m’adresser des critiques, mais je souhaite lui répondre et montrer pourquoi je crois qu’il y a bien eu, de la part de l’État, violation du principe d’impartialité pour la tenue du troisième référendum.

Oui, c’est vrai, les indépendantistes ont demandé le 8 avril 2021 l’organisation d’un référendum sur l’indépendance.

La covid est arrivée en Nouvelle-Calédonie en septembre 2021 – c’est la date du premier cas recensé. La proportion des vaccinés était alors de 30 % environ. Les pratiques culturelles en Nouvelle-Calédonie, notamment lors des funérailles, ont conduit à formuler une demande de report non pas de dix ans, mais de quelques mois, jusqu’au lendemain des élections nationales de 2022.

Cette demande, qui ne paraissait pas déraisonnable et qui était liée à un contexte particulier, a été rejetée. Vous pouvez considérer que c’était une bonne idée, mais ce refus a été vécu comme une violation de l’impartialité.

Quant à Sonia Backès, elle est bien sûr une citoyenne comme les autres, qui a le droit d’être ministre, de se présenter aux élections et d’être nommée partout où elle le souhaite, si elle le peut. Mais, monsieur le ministre, vous qui faites de la politique, vous êtes assez intelligent pour comprendre que, six mois après avoir refusé de reporter de quelques mois un référendum, nommer au Gouvernement une personne qui représente l’un des camps a été perçu comme un soutien du Gouvernement à celui-ci. Il n’est pas besoin d’avoir un doctorat de sciences politiques pour comprendre cela.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement a pour objet que la Constitution exige de l’État qu’il « préserve les conditions du dialogue par le respect d’une stricte posture d’impartialité ».

Passons sur les termes… L’impartialité n’est pas une posture, c’est une qualité. Et de cette dernière, bien sûr, l’État doit faire preuve, tout comme le Parlement et chacun de ses membres : tous, nous devons écouter tous les Néo-Calédoniens et favoriser leur accord pour un destin commun dans un cadre démocratique, évidemment.

La Constitution est malheureusement impuissante à garantir cette qualité personnelle chez tous ceux qui peuvent contribuer à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas son rôle, d’ailleurs, et cette disposition purement incantatoire n’a pas sa place dans un texte constitutionnel.

C’est pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement, tout en approuvant l’exigence impérieuse de l’impartialité de tous.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(Lamendement nest pas adopté.)

Avant l’article 1er
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Article 2 (début)

Article 1er

I. – Le dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution est supprimé.

II. – Après l’article 77 de la Constitution, il est inséré un article 77-1 ainsi rédigé :

« Art. 77-1. – Dans les conditions définies par une loi organique, le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province est restreint aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis au moins dix années. »

III. – Par dérogation à l’article 77-1 de la Constitution, les mesures suivantes, nécessaires à l’organisation des élections pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, sont prises par décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, avant le 1er septembre 2024 :

1° La détermination des motifs d’absence du territoire de la Nouvelle-Calédonie qui ne sont pas interruptifs de la durée de domiciliation de dix années mentionnée à l’article 77-1 de la Constitution ;

2° Les modalités selon lesquelles une révision complémentaire de la liste électorale intervient avant ces élections, au plus tard dix jours avant la date du scrutin ;

3° La possibilité pour les électeurs remplissant les conditions mentionnées à l’article 77-1 de la Constitution d’être inscrits d’office sur la liste électorale et les modalités de cette inscription d’office.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, vous avez un avantage sur les parlementaires que nous sommes : votre temps de parole n’est pas limité.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mais je suis seul !

Mme Cécile Cukierman. Je suis tout à fait prête à débattre avec vous sur le sens de la résolution de l’ONU de 1986 sur la Nouvelle-Calédonie, mais mon temps de parole ne me le permet pas.

Premièrement, vous semblez avoir été traumatisé, lors du débat à l’Assemblée nationale, par un groupe politique qui n’est pas représenté ici. Je vous invite à régler vos problèmes avec ce groupe, sans faire de moi leur victime expiatoire ou la responsable de ces difficultés.

Deuxièmement, vous pouvez toujours sortir des mots de leur contexte, y compris sur la situation spécifique de la Nouvelle-Calédonie, caricaturer les propos des uns des autres ou faire des amalgames avec des formations politiques qui n’ont aucun rapport. Si je puis me permettre un conseil personnel, monsieur le ministre, cela ne vous grandit pas et cela ne vous honore pas.

Nous avons des débats politiques, car nous ne sommes pas d’accord avec ce que vous proposez, dans ce texte comme dans d’autres. Néanmoins, je ne pense pas avoir jamais fait le moindre amalgame entre vos propos et le discours de partis qui ne sont pas dans l’arc républicain. Je vous demanderai donc, au minimum, d’exprimer vos désaccords avec mes propos sans aller plus loin.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai simplement cité vos propos !

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 9 rectifié est présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat, Mme Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Barros et Bocquet, Mmes Brulin et Corbière Naminzo, MM. Corbisez et Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mmes Silvani et Varaillas.

L’amendement n° 14 est présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 27 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.

M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement de suppression vise à protéger notre volonté de faire peuple et à assurer, avant tout accord, l’irréversibilité de l’organisation politique actuelle de la Nouvelle-Calédonie.

Le dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution représente l’une des dernières traces de la citoyenneté calédonienne, puisqu’il introduit la notion de peuple kanak dans la Constitution. Il s’agit donc de protéger constitutionnellement notre volonté de faire pays. Pourquoi chambouler les équilibres si difficilement trouvés dans ces accords ? Par un acte unilatéral, le Gouvernement veut rayer le résultat d’un long combat.

La nouvelle organisation doit être mise en place uniquement par voie consensuelle, afin de définir plus précisément le périmètre de la citoyenneté. Nous demandons donc la suppression de cet article.

Le troisième référendum, monsieur le ministre, nous avons demandé son report : ce ne sont pas les indépendantistes qui ont réclamé qu’il se tienne en 2021 !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 14.

Mme Corinne Narassiguin. Nous demandons également la suppression de cet article, dans la continuité de la position que M. Kanner a exprimée dans la discussion générale.

En effet, nous pensons que la méthode suivie est mauvaise. Il ne s’agit pas de remettre en cause la nécessité de définir un corps électoral qui soit conforme à notre Constitution pour tenir des élections.

Nous avions voté pour le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Déjà, nous avions proposé lors des débats un report encore plus important. Il nous paraissait nécessaire, en effet, de montrer que les institutions de la République souhaitent donner le temps nécessaire à l’élaboration d’un accord global. Nous constatons, en fait, que le point d’atterrissage final, pour le dégel du corps électoral, sera sans doute assez proche de celui qui était prévu dans ce projet de loi constitutionnelle.

Toutefois, si vous sortez des négociations la question essentielle du corps électoral, qui est consubstantielle à la définition de la citoyenneté calédonienne, vous mettez en danger la possibilité même d’obtenir un accord politique global.

C’est pourquoi nous voulons supprimer cet article, afin de manifester de nouveau notre opposition à cette méthode assez brutale. J’ai eu en Nouvelle-Calédonie l’impression que l’État se comportait de manière paternaliste, comme avec des enfants. C’est ce sentiment-là que nous devons récuser.

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 27.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement de suppression a déjà été très bien défendu.

Nous considérons qu’il y a bien un problème avec le corps électoral actuel, je le dis clairement, et qu’il faut en définir un autre par la négociation.

Si des négociations menées en Nouvelle-Calédonie et aboutissant à un accord de toutes les parties concernées conduisaient à la solution proposée par le Gouvernement, je pense que personne ici n’aurait rien à dire – ni d’ailleurs si le résultat différait d’une manière ou d’une autre de ce qui figure dans ce texte, du moment que ce résultat découle d’une négociation menée sur place et permettant un consensus entre toutes les parties concernées.

Le problème que nous avons avec cette proposition tient non pas au fond, mais à la manière dont elle est formulée, par qui et à quel moment. Il s’agit en effet d’une disposition unilatérale, qui s’appliquerait en l’absence d’accord. Nous considérons qu’il faut faire l’inverse : d’abord essayer d’obtenir un accord, puis le ratifier.

Vous pensez, monsieur le ministre, qu’en procédant de la sorte vous facilitez l’obtention d’un accord. En cela, vous admettez qu’une forme de pression est exercée par le Gouvernement : proposer la réforme a bien un effet. Pour nous, c’est en exerçant cette pression que l’on crispe les différents acteurs, ce qui risque de bloquer les discussions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Ma conviction est exactement inverse à celle qui vient d’être exprimée par les auteurs de ces trois amendements.

Après avoir écouté toutes les parties calédoniennes sur place avec le président François-Noël Buffet et deux de nos collègues, je pense que les élections doivent se tenir le plus vite possible si nous voulons avoir une chance d’obtenir un accord de l’ensemble des parties avec le gouvernement français sur le destin commun des Calédoniens. Et, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, cet accord est le seul gage de stabilité pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Imaginons que les élections n’aient pas lieu dès cette année. Les formations politiques calédoniennes sont en compétition – d’ailleurs, cela ne se limite pas au clivage entre indépendantistes et non-indépendantistes ; le phénomène existe à l’intérieur de chacune des grandes mouvances politiques – pour la conquête d’un maximum de sièges au congrès de Nouvelle-Calédonie, dans la perspective des élections provinciales.

Or, je vous l’assure – c’est la conviction que nous avons retirée de nos entretiens –, ces formations ne pourront pas aboutir à un accord si elles sont en compétition et en opposition devant leurs électeurs.

Il faut donc que les élections aient lieu le plus vite possible, afin que l’on puisse ensuite négocier dans la sérénité cet accord attendu de tous. Depuis trois ans, démonstration a été faite – je n’incrimine personne – qu’il n’était pas possible de parvenir à un accord avant les élections. Faisons donc en sorte que les élections se tiennent.

Or cela ne pourra pas être le cas sur la base de la liste électorale gelée. Pour avoir des élections régulières, il faut dégeler la liste électorale. C’est ce que nous faisons à l’article 1er.

Supprimer le dégel définitif de la liste électorale, empêcher l’ouverture du corps électoral, maintenir le corps électoral restreint et limiter le vote à certains Calédoniens sous prétexte qu’ils seraient les seuls à avoir un intérêt au présent et à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, c’est ipso facto rendre la tenue d’élections impossible. Et comme il est nécessaire d’avoir des élections pour obtenir un accord, mon raisonnement est exactement contraire au vôtre.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. L’avis du Gouvernement sera également défavorable, pour deux raisons.

Premièrement, en proposant de supprimer l’article 1er, vous souhaitez notamment maintenir le dernier alinéa de l’article 77, qui fige le tableau électoral applicable aux élections provinciales néo-calédoniennes. Ce faisant, vous contestez le principe même de l’accord de Nouméa, en vertu duquel les dispositions concernées devaient avoir un caractère transitoire. Or la période de transition, au cours de laquelle les trois référendums ont eu lieu, est désormais achevée.

Deuxièmement, j’ai du mal à entendre les arguments sur le thème : « Attendons un accord. » Encore une fois, il ne s’agit pas de revenir sur les accords de Nouméa dans leur globalité. Le présent projet de loi constitutionnelle vise simplement à modifier le corps électoral, dans la perspective des élections provinciales. Et nous proposons d’y intégrer les natifs – c’était une demande du FLNKS –, ainsi que les personnes présentes sur le territoire calédonien depuis dix ans.

Tous les groupes, à l’exception du groupe communiste, conviennent qu’il faut sans doute modifier le corps électoral.

S’il y avait un accord global, celui-ci comprendrait certainement des dispositions électorales. Or, pour les indépendantistes, quel meilleur accord électoral pourrait-il y avoir que celui que nous proposons ?

D’une part, nous avons donné satisfaction à leur demande sur les natifs. D’autre part, nous avons prévu une obligation de présence sur le territoire de dix ans quand les non-indépendantistes réclamaient un an ou trois ans. Mais peut-être pensez-vous qu’il aurait fallu proposer quinze ans, vingt ans ou vingt-cinq ans ? Dans ce cas, autant dire que vous souhaitez revenir à une forme de gel du corps électoral !

Je vous répète, même si vous ne voulez manifestement pas l’entendre, que le FLNKS lui-même – je pense notamment à deux de ses composantes, l’Union calédonienne (UC) et l’Union nationale pour l’indépendance-Parti de libération kanak (UNI-Palika) – a toujours déclaré ne pas vouloir parler d’autre chose que d’une durée de dix ans.

Je profite d’ailleurs de l’occasion pour répondre au rapporteur Philippe Bas : nous sommes capables d’organiser les élections. J’espère que l’échange qu’il a eu avec le Haut-commissaire de la République sur place l’a rassuré sur la question des listes électorales. Nous avons travaillé, à la demande du FLNKS, pour déterminer où les électeurs seront plus nombreux en cas de modification du corps électoral.

À votre avis, qu’il y ait accord ou non, quelle serait la formule la plus favorable au FLNKS, sauf – de ce point de vue, je reconnais une certaine cohérence au groupe communiste – à refuser tout dégel du corps électoral ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous votez la suppression de l’article 1er, le corps électoral va s’éteindre. Car il faut bien comprendre que plus le temps va passer, moins il y aura d’électeurs.

Comme le Conseil d’État l’a lui-même indiqué, c’est un corps électoral fermé. En d’autres termes, nul ne peut l’intégrer, même en ayant des parents et des grands-parents présents sur le territoire depuis toujours !

C’est toute l’absurdité de la position des « indépendantistes officiels » du Sénat, incarnés, pour les besoins de la discussion, par le groupe communiste : vouloir ne toucher à rien, s’arc-bouter sur le corps électoral gelé sous prétexte que toute modification serait contraire aux institutions internationales et à la résolution de l’ONU, cela revient à dire qu’une bonne liste électorale, c’est une liste électorale sans électeurs.

Je pense vraiment qu’il ne faut pas voter ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Mes chers collègues, par ces amendements de suppression, vous proposez de mettre purement et simplement fin à tout ce qui fait l’intérêt du présent projet de loi constitutionnelle.

Sans l’article 1er, il n’y a pas de dégel possible.

Sans l’article 1er, quelque 20 % des personnes qui devraient pouvoir participer à l’élection des assemblées agissant – cela a été rappelé – pour la vie quotidienne des Calédoniens seront toujours exclues du corps électoral.

Sans l’article 1er, la Nouvelle-Calédonie sera hors des clous au regard – M. le ministre vient de le souligner – des exigences constitutionnelles et conventionnelles qui lient la France.

Grâce à cet article, 25 000 Calédoniens auront désormais accès au suffrage. Et je rejoins M. le rapporteur : la Calédonie a le droit de connaître, enfin, un véritable exercice démocratique. Il est urgent que les élections aient lieu.

La situation économique en Calédonie est catastrophique. Or, nous le savons tous, l’une des raisons pour lesquelles il n’est pas possible de trouver un accord aujourd’hui tient au fait que nombre d’élus actuels sont déjà en campagne pour les élections provinciales.

Faisons donc ces élections provinciales, et nous pourrons trouver un accord après.

C’est pourquoi je m’opposerai avec force à ces amendements de suppression, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Monsieur le ministre, je veux bien que nous ayons tous les débats du monde, mais ne tombons pas dans la caricature !

Au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous sommes cohérents. Nous proposons de mettre à profit au maximum le délai accordé par le Conseil d’État, c’est-à-dire d’aller jusqu’au mois de novembre 2025, pour faire aboutir la négociation à l’échelle locale et en transcrire juridiquement les conclusions dans la Constitution et dans la loi.

Pourquoi, nous demandez-vous, n’approuvons-nous pas les dispositions proposées alors que nous sommes d’accord sur la nécessité d’une modification du corps électoral ? Tout simplement parce que la politique, c’est aussi des symboles. Nous considérons – c’est d’ailleurs la tradition depuis près de quarante ans sur le Caillou – qu’il revient aux deux parties de décider localement. Nous savons bien, et vous le savez également, monsieur le ministre, que, dans la discussion globale, il y a la question du corps électoral. Pas de faux-semblants !

Je ne suis pas le porte-parole de l’une ou l’autre des parties. C’est aux deux parties de faire le travail. Nous ne disons rien d’autre. Notre position est cohérente. Ne faites pas semblant de croire le contraire. Nous avons une proposition globale.

Je souhaite répondre à M. Naturel, dont je connais l’engagement pour parvenir à une solution. Cher collègue, je veux bien qu’il faille aller vite. Mais, je le rappelle, le premier geste que nous avons fait à la demande du Gouvernement a été de reculer la date des élections. Nous pouvons donc très bien proroger le mandat des élus actuels si cela peut permettre d’aboutir à un accord. Car, et vous le savez mieux que moi, nous avons besoin d’un accord localement pour préserver durablement la paix.

Ainsi que vous l’avez rappelé à juste titre, la Nouvelle-Calédonie est confrontée à une crise économique, en particulier s’agissant du nickel. Et le Gouvernement n’est pas en reste, lui qui, je le rappelle, pose le débat en ces termes : « Si vous ne signez pas l’accord sur le nickel, nous n’irons pas plus loin ! » (M. le ministre le conteste.) Dans ces conditions, les choses ne sont pas simples… Je pourrais également évoquer les questions sociales.

Il y a effectivement beaucoup à faire. Mais, pour nous, la priorité est de parvenir à un accord local.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, la question du nickel est, convenez-en, affreusement complexe ; personne n’a jamais vraiment réussi à la résoudre. La situation de déficit est récurrente, depuis toujours, pour de multiples raisons.

Néanmoins, en l’occurrence, c’est le président Mapou qui a demandé le report des signatures – je pense qu’il a eu raison –, et nous lui avons donné satisfaction, par la voix du ministre de l’économie et des finances. Pour autant, l’État français paie les salaires.

M. Rachid Temal. Encore heureux !

M. Gérald Darmanin, ministre. Peut-être, mais il me semblait tout de même utile de le souligner.

Je rappelle également que nous versons l’équivalent de 4 % du produit de l’impôt sur le revenu national à la Nouvelle-Calédonie, quand cette dernière paie l’impôt local à son propre gouvernement.

Il serait donc pour le moins malvenu, me semble-t-il, de faire un procès à l’État, qui respecte l’autonomie locale tout en payant les salaires des personnels concernés de la filière nickel. Il me paraîtrait de meilleur aloi de saluer son action, dans un contexte où l’on parle d’économies budgétaires, sachant que les discussions sur la filière nickel portent à chaque fois sur plusieurs centaines de millions d’euros.

Nous ne poussons personne à signer. Il n’y a aucun chantage.

Je vous rejoins sur un point. On oublie souvent de préciser que, à la veille des accords de Nouméa, il y a eu les accords de Bercy ; les accords Strauss-Kahn ont précédé les accords Jospin. Il s’agit d’une question politique globale. Mais, j’y insiste – c’est un point important –, le Gouvernement ne fait pas de chantage au nickel.

J’en viens au second sujet. Visiblement, monsieur le sénateur, vous ne contestez pas que le dispositif envisagé dans le présent projet de loi constitutionnelle soit le mieux-disant pour le FLNKS.

M. Rachid Temal. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Audrey Linkenheld. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Gérald Darmanin, ministre. La politique, dites-vous, c’est aussi des symboles. Soit. Mais, sur le fond, que proposez-vous ?

M. Rachid Temal. L’accord négocié !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous, nous avons prévu d’intégrer dans le corps électoral les natifs et les personnes présentes sur le territoire depuis dix ans. Vous, vous seriez prêt à accepter – il est intéressant de le relever – une durée de quinze ans, vingt ans ou vingt-cinq ans.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’accord local, ce n’est pas entre l’État et les indépendantistes ; c’est entre les non-indépendantistes et les indépendantistes ! (M. Rachid Temal sexclame.)

Pour ma part, je suis venu avec une proposition. Vous, vous n’en avez pas.

M. Gérald Darmanin, ministre. Et lorsque vous nous demandez le report des élections, vous n’êtes plus du tout cohérents.

Nous avions reporté les élections précisément pour essayer d’aboutir à un accord. Mais il n’y a pas eu d’accord. Vous proposez d’aller jusqu’au bout du délai accordé par le Conseil d’État, c’est-à-dire jusqu’au mois de novembre 2025. Imaginons que vous soyez aux responsabilités. Sachant que ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d’État n’accepteront le report au-delà de cette date butoir, comment ferez-vous pour organiser les élections si la négociation locale dure jusqu’en septembre ou en octobre 2025 ?

M. Rachid Temal. Nous le ferons avant !

M. Gérald Darmanin, ministre. Mais oui, bien sûr…

M. Rachid Temal. Nous ne sommes pas incompétents !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce que vous proposez n’est pas réalisable !

Ce que nous envisageons laisse, me semble-t-il, une chance à l’accord. Nous fixons une première borne au 15 décembre 2024. Si nous constatons qu’il y a un accord – nous aurons une discussion quant aux modalités pour dresser un tel constat –, nous nous donnerons neuf mois ou dix mois de plus. En fonction de l’accord, nous verrons alors comment les listes électorales – M. le rapporteur a souligné combien il était difficile de les mettre en place – devront être modifiées.

Toutefois, prévoir que le vote aura lieu au mois de novembre 2025, c’est ne se laisser aucune marge de manœuvre.

Au demeurant, on peut imaginer que l’accord soit lié au centre des intérêts matériels et moraux (CIMM). Depuis combien de temps la personne est-elle présente ? Est-elle vraiment impliquée ? Fait-elle partie d’une association ? Connaît-elle la langue kanake ? Ce seront peut-être les critères réclamés par les indépendantistes… Et comment organiserez-vous tout cela pour les élections provinciales de 2025 ? Il faut être raisonnable !

Après trois ans de discussions et un premier report d’élections, le Gouvernement propose de se laisser la possibilité d’un second report en cas d’accord, le tout en retenant la position du FLNKS sur les natifs et les dix ans de résidence.

Je pense qu’il faut repousser vos amendements. Comprenons que nous parlons de donner le droit de vote à des élections locales. Imaginez s’il fallait attendre dix ans avant de pouvoir voter dans vos régions ou vos départements !

M. Rachid Temal. Ce ne sont pas exactement les mêmes prérogatives !

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, mais il s’agit bien d’élections locales !

Convenez-en, ce que nous faisons n’a rien du rapport de force et nous sommes très respectueux des positions en Nouvelle-Calédonie. Simplement, le Gouvernement prend ses responsabilités : un gouvernement démocratique organise des élections démocratiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 rectifié, 14 et 27.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques et d’un sous-amendement.

L’amendement n° 4 est présenté par M. Bas, au nom de la commission.

L’amendement n° 18 est présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 3

1° Remplacer le mot :

Dans

par les mots :

Pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, dans

2° Après le mot :

organique

insérer les mots :

prise après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie

II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Par dérogation à l’article 77-1 de la Constitution, en l’absence de conclusion d’un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie en vue d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun, négocié dans le cadre des discussions prévues par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, une loi organique peut, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, prévoir l’application du présent article à un renouvellement général ou partiel suivant le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle.

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 4.

M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement doit être lu à la lumière du sous-amendement n° 35, que M. Buffet présentera dans quelques instants. Il s’agit d’assurer un dégel définitif du corps électoral. Ce serait irrévocable : le gel du corps électoral ne figurerait plus dans la Constitution.

Nous prévoyons un corps électoral restreint pour les élections de 2024. En effet, nous partons de l’idée qu’il ne faut traiter dans cette révision constitutionnelle que ce qui est strictement nécessaire à l’organisation des élections, le reste devant être renvoyé à la négociation d’un accord.

Nous proposons que, en l’absence d’accord, la loi organique puisse reconduire le système mis en place pour les élections de 2024.

À la suite des réactions que nous avons enregistrées en Nouvelle-Calédonie et d’un débat qui s’est développé au sein de la commission et à l’intérieur du groupe dont je suis membre, nous avons émis un avis favorable sur le sous-amendement présenté par M. Buffet.

Il s’agit simplement de faire en sorte que les critères d’inscription sur la liste électorale soient bien pérennes, comme le souhaitait le Gouvernement, mais que, en cas d’accord global, une simple loi organique, non une révision constitutionnelle comme aujourd’hui, permette de régler définitivement le problème de la liste électorale. Les deux approches ne sont pas si éloignées que cela.

J’ai donc accepté la proposition de M. Buffet, afin de trouver un bon compromis.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 18.

Mme Corinne Narassiguin. Il s’agit d’un amendement de repli, car nous nous attendions malheureusement au rejet des amendements de suppression de l’article 1er.

En responsabilité, nous souhaitons que le présent projet de loi constitutionnelle soit le moins nocif possible à la possibilité de conclusion d’un accord global en Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, vous avez un talent particulier pour tordre nos propos et nos positions ; c’est, je dois le reconnaître, un talent rare. Je le dis clairement : nous pensons évidemment que des élections doivent se tenir en Nouvelle-Calédonie. La question n’est pas d’être pour ou contre la démocratie. Une telle caricature n’est vraiment pas à votre honneur.

Nous voulons laisser toutes ses chances à un accord. Encore une fois, à nos yeux, c’est le dépôt du présent projet de loi constitutionnelle qui a mis un coup d’arrêt à des négociations dont vous admettiez vous-même tout à l’heure qu’elles étaient en bonne voie.

Nous souhaitons que notre amendement soit adopté dans sa rédaction actuelle. Nous n’approuvons pas le sous-amendement de M. Buffet ; j’y reviendrai dans quelques instants.

Nous proposons de réserver l’application des règles issues du dégel aux prochaines élections, afin de laisser à un accord global la possibilité de redéfinir le périmètre exact du corps électoral.

Comme je l’ai indiqué, ce n’est pas seulement une question de mécanique institutionnelle ; c’est une question éminemment politique. Historiquement, cela fait partie des derniers sujets qui sont négociés dans des accords politiques globaux.

M. le président. Le sous-amendement n° 35, présenté par M. Buffet, est ainsi libellé :

Amendement n° 4

I. - Alinéas 2 à 5

Supprimer ces alinéas.

II. - Alinéa 11

remplacer les mots :

Par dérogation à l’article 77-1 de la Constitution, en l’absence de conclusion d’un

par les mots :

En cas d’

et les mots :

une loi organique peut, après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie, prévoir l’application du présent article à un renouvellement général ou partiel suivant le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle

par les mots :

les critères d’admission au corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie mentionnés à l’article 77-1 de la Constitution dans sa rédaction issue du II du présent article peuvent être modifiés par une loi organique

La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. M. le rapporteur a quasiment défendu mon sous-amendement en présentant son amendement. Nous nous inscrivons dans la même logique. L’idée est simplement de faire en sorte que le dégel ait un caractère pérenne.

La plupart des dispositions proposées par M. le rapporteur sont inchangées. La possibilité de renvoyer à une discussion globale pour procéder à des modifications s’il y a localement une volonté en ce sens est maintenue.

Toutefois, il est important de s’engager dans un dispositif ayant un caractère pérenne.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. J’émettrai un avis défavorable sur les amendements identiques en cas de rejet du sous-amendement de M. Buffet, mais un avis favorable si ces amendements identiques sont ainsi sous-amendés.

M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. J’ai entendu ce week-end les Calédoniens, en particulier sur la proposition de M. le rapporteur ; je m’en suis d’ailleurs expliqué avec lui.

Je remercie M. Buffet d’avoir déposé ce sous-amendement, dont l’adoption permettra peut-être aux Calédoniens, indépendantistes ou non, de se donner un peu de temps. Les dispositions de ce sous-amendement me conviennent parfaitement. Nous les voterons donc, de même que les amendements ainsi sous-amendés.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. J’avais déjà fait part de l’avis de la commission sur le sous-amendement de M. Buffet en présentant mon propre amendement.

Je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue Georges Naturel, qui a beaucoup contribué, par ses échanges avec la commission et avec M. Buffet, à trouver une solution. L’histoire retiendra que c’est grâce à lui que nous sommes parvenus à un bon compromis.

Je confirme donc l’avis favorable de la commission sur le sous-amendement n° 35.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. À mon sens, M. Buffet a déposé son sous-amendement moins en tant que président de la commission des lois qu’en tant qu’agent de paix au sein du groupe Les Républicains !

Nous avons tous pu prendre connaissance de l’injonction adressée par le député Nicolas Metzdorf au président Bruno Retailleau à cet égard. Nous regrettons d’ailleurs une telle ingérence de l’Assemblée nationale dans les débats du Sénat.

Un tel sous-amendement a pour objet de vider de son intérêt politique l’amendement du rapporteur, qui est identique au nôtre. Nous y sommes donc opposés.

En cas d’adoption du sous-amendement, nous nous abstiendrons sur l’amendement ainsi sous-amendé. Si nous ne sommes pas contre le fait d’alléger la procédure en prévoyant la possibilité de passer par une loi organique, plutôt que par une révision constitutionnelle, nous considérons que l’adoption du sous-amendement n° 35 aurait pour effet d’annihiler l’intérêt politique de l’amendement.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. M. le ministre ayant, paraît-il, écouté mon intervention avec la plus grande attention, il ne sera sans doute pas surpris de ce que je vais dire…

Oui, il faut, me semble-t-il, trouver des solutions. Et il y a plusieurs manières d’aborder une question. C’est pour cela que la caricature des propos est difficilement supportable.

Je vais être très claire : certains membres du groupe CRCE-K voteront en faveur du sous-amendement et de l’amendement, considérant qu’il est nécessaire de mettre l’ensemble des parties prenantes présentes en Nouvelle-Calédonie autour d’une même table.

En effet, je vous rejoins sur un point, monsieur le ministre : si les rapports de force et les positionnements historiques étaient liés à des couleurs de peau ou à des appartenances de classe, cela se saurait. D’ailleurs, l’histoire ne mériterait peut-être pas d’être vécue tant elle serait simple…

Nous sommes conscients de ces contradictions et, pour certains d’entre nous, de la nécessité de les dépasser. Au regard des principes politiques dont il est ici le porte-voix – c’est cela, le pluralisme –, notre collègue Robert Wienie Xowie ne prendra pas part au vote sur l’ensemble des amendements.

Nous aurons donc des votes différenciés au sein de notre groupe.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. De nombreux habitants de la Nouvelle-Calédonie nous écoutent peut-être en ce moment.

L’amendement de M. le rapporteur visait à dégeler le corps électoral, mais seulement pour une fois.

M. Philippe Bas, rapporteur. Non ! Le dégel était définitif. En revanche, les critères d’inscription sur les listes électorales étaient différents.

M. Gérald Darmanin, ministre. Soit. Mais cela permettait tout de même de modifier de manière détournée ce que nous avions prévu.

En l’état, ce texte ne nous semblait pas acceptable. Il était bien moins-disant que celui du Gouvernement.

Madame Narassiguin, il n’y a eu aucune injonction. Au demeurant, M. Metzdorf, qui est un député élu par ses électeurs, mérite, me semble-t-il, un peu de respect. Cela ne vous aura pas échappé, M. Metzdorf appartient à la majorité présidentielle, ce qui, à ma connaissance, n’est pas encore le cas du président Retailleau.

M. Rachid Temal. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Gérald Darmanin, ministre. M. Bas a évoqué ses discussions avec les partis politiques. Je pense qu’il a dû rencontrer Mme Ruffenach, représentante de la droite de type Les Républicains en Nouvelle-Calédonie, et Mme Backès, représentante des loyalistes et membre de la majorité présidentielle. Sans trahir de secret, toutes deux sont favorables à la position gouvernementale.

Il n’y a pas eu d’injonction. Il y a simplement un travail gouvernemental, que votre commission – c’est bien son droit – a visiblement souhaité modifier. Je me réjouis que le sous-amendement de M. Buffet permette de revenir à une position plus proche de celle du Gouvernement. Il s’agit simplement de dire que, s’il y a un accord, nous lèverons le stylo le temps d’en discuter.

C’est la raison pour laquelle je conditionne mon soutien à l’amendement de M. le rapporteur à l’adoption du sous-amendement de M. Buffet.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 35.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 163 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 284
Pour l’adoption 204
Contre 80

Le Sénat a adopté.

Madame Narassiguin, maintenez-vous l’amendement n° 18, modifié ?

Mme Corinne Narassiguin. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 18, modifié, est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 4, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 164 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 256
Pour l’adoption 255
Contre 1

Le Sénat a adopté.

L’amendement n° 23, présenté par M. Xowie et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après les mots :

loi organique

insérer les mots :

et conforme à la conclusion d’un accord global sur la nouvelle organisation politique signé par les partenaires de l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. La teneur des réponses de M. le ministre me conforte dans l’idée qu’il est difficile de rechercher un quelconque consensus avec lui : il veut passer en force, en lançant des ultimatums, alors même que des discussions vont s’engager localement.

Monsieur le ministre, avec le Président de la République, vous avez engagé quelque chose d’important au pays : le chemin du pardon. Mais comment concilier ledit chemin avec les postures que vous adoptez ?

Devant une telle situation, monsieur le président, je retire l’ensemble des amendements que j’ai déposés, y compris celui-ci.

M. le président. L’amendement n° 23 est retiré.

De même, les amendements nos 10 rectifié, 11 rectifié, 12 rectifié, 24, 25 rectifié et 26 rectifié sont retirés.

L’amendement n° 2 rectifié septies, présenté par M. Naturel, Mmes Primas et Estrosi Sassone, MM. Karoutchi et Lefèvre, Mme Puissat, MM. Somon et Szpiner, Mmes Eustache-Brinio, M. Mercier et Schalck, MM. H. Leroy et Frassa, Mmes Josende, Tetuanui, Aeschlimann et V. Boyer, MM. Panunzi, Brisson, Tabarot, Mandelli, Bazin et Le Gleut, Mmes Valente Le Hir, Petrus et Muller-Bronn, MM. Sautarel, Burgoa, Chaize et Courtial, Mme Gosselin, MM. Milon, Belin et de Nicolaÿ, Mmes Berthet et Lassarade, MM. Meignen, Favreau et Sido, Mmes Lopez, Jacquemet, Malet, P. Martin, F. Gerbaud, Imbert, Pluchet, Belrhiti et Joseph et MM. Bruyen, Cambier, Reynaud, Grosperrin et Omar Oili, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ce délai est de cinq années pour les électeurs mariés à un membre du corps électoral susmentionné.

La parole est à M. Georges Naturel.

M. Georges Naturel. Il est cohérent que les personnes inscrites sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie et mariées à un électeur inscrit sur la liste spéciale provinciale puissent elles-mêmes être inscrites sur cette dernière liste. À cette fin, nous proposons de réduire de moitié de délai de domiciliation sur le territoire calédonien, en le portant à cinq ans.

De très nombreux Calédoniens rejoignent la métropole dans le cadre de leurs études, puis reviennent quelques années plus tard avec leur compagnon ou leur compagne – quand ils ne sont pas déjà mariés –, afin de poursuivre leur vie sur le Caillou.

Dès ce moment, les intérêts du conjoint, anciennement métropolitain, se trouvent en Nouvelle-Calédonie. Il nous semble donc important de raccourcir le délai permettant à celui-ci de prendre part à la vie démocratique de notre territoire.

S’installer en Nouvelle-Calédonie est le plus souvent un choix de vie : celui d’embrasser un territoire à l’histoire complexe, mais riche ; celui d’embrasser sa diversité culturelle, sa beauté et ce destin commun qui nous lie tous à cette terre.

En ce sens, réduire de moitié le délai de domiciliation sur le territoire calédonien est une mesure de bon sens et de justice.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a souhaité s’en tenir aux critères d’inscription sur la liste électorale que le Gouvernement a proposés.

Ce n’est pas tant le fond de cette disposition qui pose problème que l’ouverture de trop nombreuses dérogations à la règle des dix ans, en fonction des qualités des uns et des autres : nous aboutirions à un texte très complexe et difficilement applicable.

Il est préférable de laisser les parties calédoniennes parvenir à un accord sur cette question. La règle des dix ans offre malgré tout des perspectives prometteuses à la plupart des personnes rejoignant la Nouvelle-Calédonie par mariage.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié septies.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3 rectifié septies, présenté par M. Naturel, Mmes Primas et Estrosi Sassone, MM. Karoutchi et Lefèvre, Mme Puissat, MM. Somon et Szpiner, Mmes Eustache-Brinio et M. Mercier, M. H. Leroy, Mmes Josende, Tetuanui, Aeschlimann et V. Boyer, MM. Panunzi, Brisson, Tabarot, Mandelli, Bazin et Le Gleut, Mmes Valente Le Hir, Petrus et Muller-Bronn, MM. Sautarel, Burgoa, Chaize et Courtial, Mme Gosselin, MM. Milon, Belin et de Nicolaÿ, Mmes Berthet et Lassarade, MM. Meignen, Favreau et Sido, Mmes Lopez, Malet, P. Martin, F. Gerbaud, Imbert, Pluchet, Belrhiti et Joseph et MM. Bruyen, Cambier, Reynaud, Grosperrin et Omar Oili, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. 77-2. – Le congrès est composé de membres des assemblées des trois provinces. La répartition des sièges du congrès entre les membres de chacune de ces assemblées est fonction de la population respective desdites provinces sur le fondement de la répartition initiale définie par l’accord mentionné à l’article 76, et est révisée avant chaque renouvellement général. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Par dérogation à l’article 77-2, la répartition des sièges du congrès est fixée comme suit pour le premier renouvellement général du congrès postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle : 5 membres de l’assemblée de la province des îles Loyauté, 13 membres de l’assemblée de la province Nord et 36 membres de l’assemblée de la province Sud.

La parole est à M. Georges Naturel.

M. Georges Naturel. Je dispose malheureusement de peu de temps pour exposer la situation si singulière à laquelle cet amendement tend à remédier.

Depuis 1998, le congrès de Nouvelle-Calédonie est constitué de membres élus de trois provinces : la province Nord, la province Sud et celle des îles Loyauté. L’accord de Nouméa prévoyait en effet que le congrès soit composé de cinquante-quatre élus : quinze pour la province Nord, trente-deux pour la province Sud et sept pour les îles Loyauté.

Cette répartition sur une base essentiellement démographique accordait un avantage aux provinces du Nord et des îles Loyauté, à majorité indépendantiste.

Toutefois, le temps a passé et l’écart de population s’est grandement creusé, de sorte que la province Sud ne dispose que de 60 % des élus pour 75 % de la population totale de Nouvelle-Calédonie.

Alors qu’un membre du congrès élu dans la province Sud représente plus de 6 300 habitants, un élu de la province des îles Loyauté n’en représente que 2 600. Il s’agit d’une rupture totale du principe d’égalité devant le suffrage entre Calédoniens.

Aussi, par cet amendement, nous proposons de revenir à une répartition bien plus proche des équilibres démographiques et de recalculer la répartition des sièges avant chaque élection provinciale, en fonction de la population respective des provinces sur le fondement de la répartition initiale définie par l’accord de Nouméa.

Toutefois, en raison de considérations politiques locales, nous maintenons un léger avantage représentatif à la province Nord et aux îles Loyauté.

Enfin, nous avons souhaité inscrire dans la loi la répartition des sièges à pourvoir entre chaque province lors du renouvellement de décembre prochain, afin d’éviter tout vote précipité d’une loi organique dans un calendrier législatif contraint ou tout risque de prise en main exclusive du Gouvernement sur cette question au travers d’un décret.

En tant que maire de la deuxième plus grande commune de Nouvelle-Calédonie pendant quinze ans, dont la population a plus que doublé au cours de cette période, j’ai pris le pouls de cette société du destin commun que nous aspirons à construire. Mes chers collègues, parce qu’elle est indispensable au principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage, je vous invite donc à soutenir massivement cette initiative.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Médevielle et Verzelen, Mmes Bourcier et Lermytte, MM. Wattebled, Chasseing, A. Marc, Chevalier, Brault, V. Louault et Capus et Mme Jacquemet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Après l’article 77-1 de la Constitution, il est inséré un article 77-2 ainsi rédigé :

« Art 77-2. – À partir du premier renouvellement général des assemblées de provinces et du congrès suivant la publication de la présente loi constitutionnelle, la répartition des sièges entre les trois provinces au congrès de la Nouvelle-Calédonie, telle qu’elle résulte de l’accord mentionné à l’article 76, sera modifiée avant chaque renouvellement afin que cette répartition évolue dans le même sens que l’évolution démographique entre les trois provinces. Les modalités de cette répartition sont prévues par loi organique.

« Pour le premier renouvellement général des assemblées de provinces et du congrès suivant la publication de la présente loi constitutionnelle, la modification de la répartition des sièges entre les trois provinces au congrès de la Nouvelle-Calédonie prend en compte l’évolution démographique depuis l’accord mentionné à l’article 76. »

La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale et comme vient de le rappeler notre collègue Georges Naturel, la crise économique et sociale a entraîné d’importants mouvements de population vers la province Sud, où vivent aujourd’hui 75 % de la population.

Dans ces conditions, il faut 2,4 fois plus d’habitants dans la province Sud que dans les îles Loyauté pour avoir un élu. En septembre 1985, lors de la mise en place des régions dans le cadre du statut Fabius-Pisani, le Conseil constitutionnel avait censuré un rapport de représentativité de 2.

Cet amendement tend à revenir à un coefficient de représentativité de 1,4, qui a été accepté par les deux parties en 1988 et en 1998. Un tel rapport, s’il reste favorable aux indépendantistes, serait tout de même plus juste.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je comprends les motivations des auteurs de l’amendement n° 3 rectifié septies, mais ce sujet n’a pas été abordé par le Gouvernement dans le cadre de cette révision constitutionnelle et se trouve étranger à la question de la liste électorale, objet principal de ce texte.

Toutefois, les arguments avancés par M. Naturel sont importants. Le Conseil d’État admet que la représentation d’un territoire, y compris dans l’Hexagone, ne soit pas strictement proportionnée au nombre de ses habitants.

Pour autant, il faut tenir compte des évolutions : la population de la province Sud est passée de 68 % à 75 % de la population totale, alors qu’elle ne détient toujours pas plus de 59 % des sièges.

Cette question doit être traitée. Il n’est pas possible de le faire définitivement au travers du présent texte, qui vise à assurer l’organisation des élections cette année. Je vais donc proposer à M. Naturel de rectifier son amendement, en retenant cette rédaction : « Par dérogation à l’article 77 de la Constitution, la répartition des sièges entre les provinces au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie peut être modifiée par une loi organique, prise après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie. »

Cette question ne serait donc plus constitutionnelle ; elle dépendrait d’une simple loi organique. Nous préférons tous la conclusion d’un accord, mais le pouvoir serait ainsi donné au législateur de trancher à la majorité simple.

Si M. Naturel accepte cette modification, il me semble qu’elle serait de nature à satisfaire M. Médevielle. Dès lors, la commission demanderait le retrait de son amendement ; à défaut, elle y serait défavorable.

M. le président. Monsieur Naturel, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens proposé par la commission ?

M. Georges Naturel. J’y consens, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 3 rectifié octies, présenté par M. Naturel, Mmes Primas et Estrosi Sassone, MM. Karoutchi et Lefèvre, Mme Puissat, MM. Somon et Szpiner, Mmes Eustache-Brinio et M. Mercier, M. H. Leroy, Mmes Josende, Tetuanui, Aeschlimann et V. Boyer, MM. Panunzi, Brisson, Tabarot, Mandelli, Bazin et Le Gleut, Mmes Valente Le Hir, Petrus et Muller-Bronn, MM. Sautarel, Burgoa, Chaize et Courtial, Mme Gosselin, MM. Milon, Belin et de Nicolaÿ, Mmes Berthet et Lassarade, MM. Meignen, Favreau et Sido, Mmes Lopez, Malet, P. Martin, F. Gerbaud, Imbert, Pluchet, Belrhiti et Joseph et MM. Bruyen, Cambier, Reynaud, Grosperrin et Omar Oili, et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… . - Par dérogation à l’article 77 de la Constitution, la répartition des sièges entre les provinces au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie peut être modifiée par une loi organique, prise après avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Il me semble contradictoire de dire qu’il faut maintenir la liste électorale pour les élections provinciales dans l’attente d’un accord tout en proposant de modifier la répartition des sièges aux élections provinciales, donc, in fine, au congrès, alors que cela relève manifestement du champ de l’accord.

Les arguments de MM. Naturel et Médevielle sont justes. J’ai d’ailleurs souligné lors de la discussion générale l’existence d’une incontestable disproportion dans la représentativité des élus calédoniens. Il faudra s’intéresser à cette question, en s’appuyant notamment sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Est-il souhaitable d’alourdir la Constitution avec des dispositions qui seront certainement revues ?

Ne préemptons pas non plus le débat sur la répartition des sièges au congrès, dont est issu le gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement considère que cette question doit faire l’objet d’un accord. Je rappelle que les provinces ont été créées pour répartir le pouvoir entre indépendantistes, au Nord et dans les îles, et non-indépendantistes, au Sud.

Par conséquent, j’émets un avis de sagesse sur l’amendement n° 1 rectifié bis de M. Médevielle. Quant à l’amendement rectifié de M. Naturel, j’attends qu’il nous soit distribué pour me prononcer – il s’agit tout de même de modifier de la Constitution…

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, le temps que l’amendement n° 3 rectifié octies soit distribué.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 3 rectifié octies ?

M. Gérald Darmanin, ministre. À la lecture de ces dispositions, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié octies et je maintiens mon avis de sagesse sur l’amendement n° 1 rectifié bis de M. Médevielle, tout en attirant l’attention du Sénat sur le fait qu’il n’est pas conforme à l’esprit du texte du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Si vous en êtes d’accord, monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes.

M. le président. Mes chers collègues, à la demande de la commission, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour la clarté des débats, je rappelle, comme je l’ai indiqué avant la suspension, que le Gouvernement a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié octies présenté par M. Naturel et un avis de sagesse sur l’amendement n° 1 rectifié bis présenté par M. Médevielle.

Je veux par ailleurs attirer l’attention de la Haute Assemblée sur le fait que la question de la répartition des élus entre provinces, même si elle est légitime – il faudra travailler sur ce sujet –, n’est pas abordée dans le texte du Gouvernement. Nous n’avons rien proposé en la matière, car il nous semble que cette question relève plutôt d’un accord local. Il faut toutefois que tout le monde comprenne qu’une évolution sur ce point est nécessaire.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Le groupe Union Centriste votera contre l’amendement n° 3 rectifié octies présenté par M. Naturel, et ce pour une raison de fond.

Nous nous efforçons, sur ce texte, de faire preuve de responsabilité. Il faut que les élections puissent avoir lieu, donc que la question du corps électoral soit traitée et que la révision constitutionnelle aboutisse.

Tout à l’heure, lorsque nous avons eu à examiner le sous-amendement présenté par M. Buffet, nous avons bien compris l’importance qu’il présentait pour le Gouvernement et pour le groupe Les Républicains. Lors de la discussion générale, j’avais indiqué que nous étions plutôt enclins à soutenir la rédaction retenue par M. Bas dans l’amendement n° 4. Nous avons néanmoins constaté que le rejet du sous-amendement aurait pu mettre en péril la possibilité de dégager une majorité dans cette assemblée et aurait, en tout cas, compromis la perspective d’une majorité des trois cinquièmes au Congrès.

Or voici que nous découvrons, au travers d’une rectification d’amendement, une rédaction qui n’avait jamais été évoquée devant nous. Elle franchit, à nos yeux, une ligne rouge ; je n’aime pas beaucoup utiliser ce type de formulation, mais elle s’impose dans le cas présent.

Autant nous étions d’accord sur le dégel du corps électoral, autant nous n’avons jamais envisagé de modifier la répartition des sièges entre les provinces : le Conseil d’État estime en effet que la distorsion démographique n’est pas telle qu’une mesure de correction soit aujourd’hui nécessaire.

En adoptant cet amendement, on toucherait au contenu des accords de Nouméa, donc à l’ordre constitutionnel. Déclasser au niveau de la loi organique, à l’occasion de cette révision, la répartition des sièges entre les provinces revient à déconstitutionnaliser cette partie des accords de Nouméa. Voilà une bien lourde responsabilité ! Une telle mesure pourrait, selon nous, entraîner de sérieuses difficultés en Nouvelle-Calédonie.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons qu’émettre un vote négatif sur cet amendement, une fois passé l’effet de surprise lié à sa rectification…

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre ces deux amendements. Ils ne correspondent pas, comme le ministre l’a d’ailleurs indiqué, à l’objet du texte initial.

Il y avait déjà débat entre les partisans d’un accord préalable entre les parties et ceux qui estimaient que ce texte pourrait les inciter à y parvenir. Mais pour le coup, avec ces amendements, on irait très loin, même si je peux admettre que les évolutions démographiques nécessiteront, le moment venu, des évolutions. Toutefois, en procédant de la sorte, on risque de complexifier profondément les discussions locales, tout en changeant totalement la nature du projet de loi constitutionnelle.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, il faut maintenant faire preuve de sagesse. Ce que vous avez déjà inscrit dans le texte en ce qui concerne le dégel du corps électoral, suffira largement à montrer aux partisans de cette approche qu’ils ont obtenu gain de cause. Mais il faut savoir s’arrêter à temps : à trop vouloir charger la barque, on risque de la renverser ! Restons-en à ce que nous avons déjà adopté. Nous voterons donc contre ces deux amendements.

Par ailleurs, monsieur le ministre, si je me satisfais de votre avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié octies, je suis tout de même surpris par votre avis de sagesse sur l’amendement n° 1 rectifié bis.

M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Je constate que mon amendement, ainsi que celui qu’a présenté notre collègue Pierre Médevielle suscitent le débat. Chacun est convaincu, dans cet hémicycle, que les mesures proposées ont du sens, qu’elles sont importantes.

En tant que parlementaire responsable, mon objectif est que ce projet de loi constitutionnelle soit adopté. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire plusieurs fois, nous devons être en mesure d’organiser rapidement des élections en Nouvelle-Calédonie, afin de donner à nos concitoyens la possibilité de construire un destin commun.

Je remercie notre rapporteur de m’avoir proposé de rectifier mon amendement afin d’éviter de devoir passer par une nouvelle réforme constitutionnelle si, à la suite des discussions que nous aurons entre nous en Nouvelle-Calédonie, un accord permettait une évolution sur ce point.

Je constate cependant que ma proposition risque de ne pas recueillir l’assentiment d’une majorité de notre assemblée. J’espère que ce ne sont pas des considérations politiques qui amènent certains à la rejeter. Je maintiens mon amendement et je fais confiance à chacun d’entre nous pour la suite. Je souhaite surtout, j’y insiste, que ce projet de loi constitutionnelle soit adopté par notre assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié octies.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 16 est présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 32 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 4 à 7

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 16.

Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 4 à 7. Ne renvoyons pas au pouvoir réglementaire le soin de mettre en œuvre ces dispositions à valeur constitutionnelle. Nous ne voulons pas que le Parlement soit contourné : il importe qu’il soit au centre du processus. Il revient au législateur organique de modifier, le cas échéant, les règles relatives au corps électoral spécial des élections provinciales.

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 32.

Mme Mélanie Vogel. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 4

1° Remplacer la référence :

77-1

par la référence :

46

2° Remplacer les mots :

décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres

par les mots :

une loi organique votée dans les conditions prévues à l’article 45

3° Remplacer le mot :

septembre

par le mot :

octobre

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. L’idée est la même que celle que vient d’exposer Mme Narassiguin : il convient de ne pas donner au pouvoir réglementaire une habilitation à traiter de sujets qui relèvent de la loi organique.

En l’occurrence, les questions relatives au droit de suffrage, essentielles dans une démocratie, ne sont pas d’ordre réglementaire.

Mon amendement a donc le même objet que les deux précédents, mais sa rédaction me paraît meilleure : c’est pourquoi, à défaut d’un retrait, j’émettrai un avis défavorable sur ces amendements identiques nos 16 et 32.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est défavorable sur ces trois amendements.

Si l’on ne peut pas procéder par un décret, on ne pourra pas tenir les délais ! Je rappelle qu’une loi organique devrait être votée de façon conforme par les deux chambres ; il faudrait d’abord qu’elle puisse être inscrite à leur ordre du jour, lequel dépend des assemblées et du Gouvernement. Il me semblait, monsieur le rapporteur, que nous nous étions mis d’accord sur une position. L’adoption de l’amendement n° 5 rendrait l’organisation des élections très délicate : le calendrier serait extrêmement contraint. Je ne peux donc que lui être défavorable.

Je regrette que nous n’ayons pas été consultés sur cet amendement en amont : nous aurions peut-être pu nous mettre d’accord sur un calendrier qui aurait permis d’en passer par une loi organique avant l’organisation des élections.

M. le président. Madame Narassiguin, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?

Mme Corinne Narassiguin. Non, je le retire au profit de l’amendement n° 5 du rapporteur, dont nous convenons que la rédaction est juridiquement plus robuste.

M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.

Madame Vogel, qu’en est-il de l’amendement n° 32 ?

Mme Mélanie Vogel. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 32 est retiré.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Je tiens à répondre à M. le ministre. Je comprends bien la nécessité d’un délai. Monsieur le ministre, je vous ai d’ailleurs interrogé, en commission, sur ce point : je doutais que l’on soit capable de tenir un délai aussi rapproché. Mais j’ai précisément tenu à anticiper votre inquiétude en inscrivant dans cet amendement que la loi, en l’occurrence, serait votée non pas selon la procédure d’adoption des lois organiques, mais selon celle des lois ordinaires. Monsieur le ministre, nous savons voter les textes rapidement quand c’est nécessaire ; il n’y aura pas de problème de délai. Si vous avez d’autres arguments, n’hésitez pas à nous les soumettre, mais celui-ci n’est pas valable !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pardonnez-moi, monsieur le rapporteur, mais vos propositions et vos amendements n’ont pas toujours été, jusqu’à présent, d’une grande cohérence avec le texte ! Je goûte donc assez peu votre remarque.

Vous m’avez affirmé, en commission, qu’on ne serait pas capable de tenir les délais. Mais quoi de mieux pour y parvenir qu’un décret ? Il peut se passer bien des choses lorsque le Gouvernement ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale… Que ferait-on si le Gouvernement devait convoquer les élections provinciales sans que l’Assemblée nationale puisse en organiser la tenue ?

Je le dis aux membres de la majorité sénatoriale : si vous votez l’amendement du rapporteur, vous prendrez une lourde responsabilité, car on courrait alors le risque de ne pas pouvoir organiser les élections provinciales, alors qu’il s’agit d’une obligation constitutionnelle.

Le fait que le groupe socialiste soit favorable à cet amendement devrait d’ailleurs vous interpeller…

M. Rachid Temal. Nous sommes les méchants !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je crains les Grecs, même lorsqu’ils apportent des cadeaux, selon l’expression populaire…

Je dis simplement que, si vous ne confiez pas au Gouvernement le soin d’organiser les élections provinciales et de convoquer, par décret, les électeurs, le résultat sera que celles-ci ne pourront pas se tenir avec ce nouveau corps électoral. Mais peut-être est-ce le match retour, après le vote du sous-amendement de M. Buffet…

J’attire donc l’attention du Sénat sur ce point : si le texte n’est pas adopté en termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale, le Congrès ne pourra pas être convoqué, auquel cas la réforme constitutionnelle ne sera pas adoptée avant le 1er juillet. Sans doute est-ce pour cette raison que le groupe socialiste a retiré son amendement. J’indique aussi à M. Naturel que, par sa position, il vide de sa substance les belles déclarations qu’il a faites, et que je soutiens, sur le dégel du corps électoral.

Même dans l’hypothèse du recours à une loi ordinaire, il faut envisager des circonstances exceptionnelles : or les délais sont serrés – un an et demi au plus long. N’oublions pas qu’une pandémie a récemment sévi, que la guerre est aux portes de l’Europe, qu’une motion de censure peut être adoptée, qu’une dissolution de l’Assemblée nationale est toujours possible, etc. En votant cet amendement, vous retireriez au Gouvernement la possibilité de mettre en œuvre la volonté du constituant. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Il faut être raisonnable : n’inscrivons pas dans la Constitution des dispositions qui relèvent du travail ordinaire du ministre de l’intérieur, comme c’est le cas de la convocation des électeurs. L’adoption de cet amendement, j’y insiste, nous empêcherait de convoquer les électeurs à temps.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Souffrez, monsieur le ministre, que nous ayons un désaccord ! Celui-ci est fondamental. Je me permets de vous dire qu’il s’agit de la liste électorale et non pas du décret de convocation des électeurs. Ce sont deux choses différentes !

Nous ne pouvons pas accepter que vous ne respectiez pas le Parlement. Ces questions relèvent de la loi organique ; nous ne voulons pas les abaisser au niveau réglementaire. Toutefois, nous vous offrons la garantie d’un traitement rapide de cette question par le Parlement, puisque ce seront les délais de la procédure législative ordinaire qui s’appliqueront, et non pas ceux de la loi organique.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne vous permets pas, monsieur le rapporteur, de dire que je ne respecte pas le Parlement. D’ailleurs, vous ne représentez pas à vous seul le Parlement entier ! Je constate d’abord l’existence de contradictions entre vous et votre majorité. (M. Pierre Médevielle applaudit.)

Ensuite, vous commandez sans doute le Sénat, même si cela reste encore à démontrer : les discussions ne sont pas si simples avec vos amis centristes ou même avec le président de la commission des lois, qui, pour la première fois, sous-amende un amendement du rapporteur ! (M. le rapporteur proteste.) Permettez-moi de m’étonner, parfois, de la façon dont les lois sont construites ici… En tout cas, vous ne commandez pas l’Assemblée nationale. Par ailleurs, je le redis, vous devriez trouver troublant que le groupe socialiste retire son amendement au profit du vôtre.

Je le dis aux membres de la majorité sénatoriale – les Calédoniens aussi l’entendront : nous ne pourrons pas organiser les élections provinciales si vous ne confiez pas au Gouvernement le soin de le faire. Chacun voit que cette affaire est complexe. Elle concerne quelques dizaines de milliers d’électeurs à 17 000 kilomètres de Paris. Je respecte profondément le Parlement. J’ai présenté un projet de loi organique et un projet de loi constitutionnelle ; nous discutons de ce sujet depuis plusieurs heures et j’ai répondu longuement à vos questions.

Monsieur le rapporteur, l’adoption de votre amendement aurait pour effet d’empêcher l’application de ce texte et la convocation des élections. Mais le Sénat votera comme il le souhaite, bien évidemment.

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.

Mme Lana Tetuanui. À ce point de notre discussion, je donne raison au ministre. J’estime que nous avons déjà inscrit, par les dispositions que nous venons de voter, les garde-fous nécessaires dans la Constitution. Il s’agit, en l’occurrence, d’un simple décret de convocation des électeurs.

M. Philippe Bas, rapporteur. Non !

Mme Lana Tetuanui. On en a l’habitude, c’est la procédure normale. C’est pourquoi je voterai contre l’amendement du rapporteur.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Article 2 (interruption de la discussion)

Article 2

L’article 1er entre en vigueur le 1er juillet 2024. Toutefois, il n’entre pas en vigueur ou, le cas échéant, devient caduc si le Conseil constitutionnel saisi à cette fin par le Premier ministre constate qu’un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, négocié dans le cadre des discussions prévues par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, a été conclu avant le 1er juillet 2024 entre les partenaires de cet accord. Le Conseil constitutionnel se prononce dans un délai de huit jours à compter de sa saisine.

En cas de conclusion de l’accord mentionné au premier alinéa avant les élections nécessaires au premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, un décret en Conseil d’État délibéré en conseil des ministres peut reporter ces élections au plus tard jusqu’au 30 novembre 2025. Le terme des mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province est alors reporté jusqu’à la première réunion des assemblées nouvellement élues.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 15 est présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 28 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 15.

Mme Corinne Narassiguin. Dans la continuité de notre opposition à ce texte, nous proposons d’en supprimer l’article 2.

Le Gouvernement s’est mis lui-même dans la seringue. Le Conseil d’État a indiqué que la Constitution permettait de reporter ces élections jusqu’en novembre 2015 au plus tard. Vous évoquez depuis tout à l’heure, monsieur le ministre, le risque de ne pas pouvoir tenir les élections à temps, mais c’est bien le Gouvernement qui a décidé de les reporter à la fin de l’année 2024 seulement. Il s’agit d’un calendrier arbitraire, qui ne répond à aucune logique politique particulière.

Nous souhaitons également, évidemment, que les élections aient lieu le plus rapidement possible ; simplement, nous considérons que le mieux pour y parvenir est de laisser les acteurs locaux s’organiser. Ils connaissent les contraintes constitutionnelles. Ils sont aussi les meilleurs juges de la situation locale. Dans le passé, ils ont toujours su trouver le chemin d’un accord, même lorsque l’on pensait que c’était impossible.

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 28.

Mme Mélanie Vogel. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. La rédaction que nous allons proposer d’adopter donne la priorité à l’accord : s’il survient jusqu’à dix jours avant les élections, le processus électoral pourra être interrompu.

Nous vous proposerons aussi de supprimer ce qui a été perçu comme un ultimatum, à savoir la disposition selon laquelle un accord ne serait pris en compte que dans le cas où il serait conclu avant le 1er juillet de cette année.

Nous comptons en revanche maintenir l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle au 1er juillet, afin d’avoir le temps de prendre les textes d’application nécessaires pour que le scrutin puisse se dérouler avant le 15 décembre de cette année.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression : l’article 2 est nécessaire pour que les règles que je viens de présenter puissent entrer en vigueur.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 28.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de six amendements et de quatre sous-amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 17, présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1, première et deuxième phrases

Remplacer la date :

1er juillet 2024

par la date :

1er juillet 2025

II. – Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

Par dérogation au premier alinéa de l’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province ont lieu au plus tard le 30 novembre 2025. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l’article 189 de la même loi organique sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Il s’agit d’un amendement de repli. Dans la continuité des propositions que nous avions formulées lors de la discussion du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, nous souhaitons donner le maximum de temps au temps. Nous nous fondons sur l’avis du Conseil d’État, selon lequel les élections pourraient se tenir, au plus tard, au mois de novembre 2025.

Nous proposons ainsi de modifier l’article 2 de sorte que le projet de loi constitutionnelle entre en vigueur non pas le 1er juillet 2024, mais le 1er juillet 2025, ce qui laissera un délai suffisant pour modifier les listes électorales et organiser les élections au plus tard en novembre 2025.

L’objectif n’est évidemment pas de dire que les élections devraient se tenir à cette date. Nous voulons simplement laisser le plus de temps possible aux parties prenantes pour la négociation, en levant les pressions qui s’exercent sur elles. Il s’agit de leur montrer que nous n’essayons pas de leur poser un ultimatum et que nous leur faisons confiance.

M. le président. L’amendement n° 33, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première et deuxième phrases

Remplacer l’année :

2024

par l’année :

2025

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement a un objet similaire au précédent, qui a été excellemment défendu par notre collègue Corinne Narassiguin.

M. le président. L’amendement n° 30, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

si l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie l’a approuvé par un avis adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à atténuer le caractère unilatéral de ce projet de loi constitutionnelle. Nous proposons à cette fin de conditionner l’entrée en vigueur de la réforme à son approbation par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des suffrages exprimés, c’est-à-dire la même majorité que celle qui s’impose pour l’adoption du texte par le Parlement réuni en Congrès.

L’idée est assez simple : la situation est compliquée et la manière de procéder – unilatérale – constitue un facteur de crispation ; alors, ayons au moins la décence de proposer une symétrie des formes ! Si le Congrès se prononce à la majorité des trois cinquièmes, il est normal que l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie se prononce dans les mêmes conditions. Voilà qui aurait le mérite d’atténuer grandement le caractère unilatéral de la réforme.

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

1° Deuxième phrase

Remplacer les mots :

le Conseil constitutionnel saisi

par les mots :

les présidents des deux assemblées du Parlement saisis

et le mot :

constate

par le mot :

constatent

2° Dernière phrase

Remplacer les mots :

Le Conseil constitutionnel se prononce

par les mots :

Ils se prononcent

et le mot :

sa

par le mot :

leur

II. – Alinéa 2, première phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. J’ai déjà présenté l’économie générale de cet amendement.

Le Gouvernement a prévu que l’existence d’un accord tripartite avant le 1er juillet 2024 pourrait être constatée par le Conseil constitutionnel. Nous proposons de substituer à cette procédure une décision conjointe des présidents des deux assemblées. Ces derniers ne sont pas partie prenante à l’accord ; ils sont indépendants, comme l’est le Conseil constitutionnel. Par conséquent, il nous paraît souhaitable que ce soit eux, plutôt que la juridiction, qui prennent cette décision de constatation.

M. le président. Le sous-amendement n° 19, présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, alinéa 15

Compléter cet alinéa par les mots :

après consultation officielle des présidents de groupe des deux assemblées

La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Nous soutenons l’amendement n° 6 du rapporteur. Notre sous-amendement s’inscrit dans le même esprit : nous ne souhaitons pas laisser au Conseil constitutionnel le soin de donner son avis sur un accord global et nous ne voulons pas que le Parlement soit contourné. Dans cet esprit, nous proposons que soient consultés de manière officielle, outre les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, les présidents de tous les groupes politiques, afin que la consultation soit la plus large possible et que l’avis soit transpartisan.

M. le président. L’amendement n° 31, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1, deuxième phrase

Après le mot :

ministre

insérer les mots :

, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, le Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ou le Vice-Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

II. – Alinéa 2, première phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à permettre la saisine du Conseil constitutionnel, en vue de la constatation d’un accord, par les présidents des deux chambres du Parlement, ainsi que par le président ou le vice-président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Aux termes du texte du Gouvernement, la réforme constitutionnelle n’entrera pas en vigueur si un accord sur le statut de la Nouvelle-Calédonie est conclu avant le 1er juillet 2024. Mais qui constatera qu’un accord a bien été trouvé ? Il peut se produire, en effet, que certains acteurs considèrent qu’un accord a été conclu, tandis que d’autres ne sont pas de cet avis. Il appartiendra, dans ce cas, au Conseil constitutionnel de statuer. Nous ne remettons nullement cela en cause. Nous voulons simplement élargir la liste des acteurs susceptibles de saisir le Conseil et, notamment, donner cette faculté au président et au vice-président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Cela pourrait en particulier être utile si ces derniers considèrent qu’il n’y a pas d’accord.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

1° A la deuxième phrase

remplacer les mots :

avant le 1er juillet 2024

par les mots :

au plus tard dix jours avant la date des élections pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle

2° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Le Gouvernement présente en conseil des ministres un projet de loi organique visant à reporter le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l’adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en œuvre dudit accord. L’adoption en conseil des ministres de ce projet de loi organique emporte, le cas échéant, report du décret de convocation des électeurs pour ledit scrutin.

II. – Alinéa 2, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Par dérogation à l’article 46 de la Constitution, la loi organique précitée est votée dans les conditions prévues à l’article 45.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Comme je l’ai indiqué il y a un instant, nous voulons qu’il soit possible de prendre en compte un accord même au-delà du 1er juillet, dès lors qu’il interviendrait au plus tard dix jours avant la date des élections. Dans ce cas, le processus électoral devra être suspendu pour permettre sa mise en œuvre et l’adoption des textes nécessaires.

Nous proposons également que la loi organique que nous prévoyons en ce cas soit adoptée dans les conditions prévues à l’article 45 de la Constitution, par dérogation à la procédure et aux délais, plus longs, de l’article 46 relatif aux lois organiques.

M. le président. Le sous-amendement n° 21, présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Amendement n° 7 rectifié

Après l’alinéa 1

Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

…° À la première phrase

Remplacer l’année :

2024

par l’année :

2025

La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Nous comprenons l’intention du rapporteur et nous soutenons sa démarche : celle-ci vise à donner toutes ses chances à la négociation d’un accord tripartite. Elle vise aussi à assouplir, autant que possible, le projet de loi constitutionnelle, afin que l’accord puisse être pris en compte le plus rapidement possible, ce qui implique de réorganiser en conséquence, le cas échéant, le calendrier électoral.

Toutefois, le maintien dans le texte de la date du 1er juillet 2024 est, à notre sens, problématique. Notre sous-amendement vise donc à affirmer sans aucune ambiguïté, dans un souci de lisibilité politique, que nous voulons lever l’espèce d’ultimatum que ce projet de loi constitutionnelle impose aux parties qui doivent négocier en Nouvelle-Calédonie.

Nous proposons par conséquent, dans la lignée de notre amendement n° 17, de retenir la date du 1er juillet 2025, plutôt que celle du 1er juillet 2024.

M. le président. Le sous-amendement n° 34, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Amendement n° 7 rectifié

I. – Alinéas 7 et 8

Supprimer ces alinéas.

II. – Alinéa 11, au début

Insérer deux phrases ainsi rédigées :

Lorsque la conclusion de l’accord a été constatée, et s’il ne l’a pas déjà fait, le Gouvernement est tenu de présenter dans les plus brefs délais en conseil des ministres un projet de loi organique visant à reporter le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l’adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en œuvre dudit accord. L’adoption en conseil des ministres de ce projet de loi organique emporte, le cas échéant, report du décret de convocation des électeurs pour ledit scrutin.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Il est défendu.

M. le président. Le sous-amendement n° 20, présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme Artigalas, M. Temal, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Amendement n° 7 rectifié, alinéa 11

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Par dérogation au premier alinéa de l’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province peuvent avoir lieu au plus tard le 30 novembre 2025. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l’article 189 de la même loi organique sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Dans la continuité de ce que nous venons de proposer, cet amendement vise à s’assurer qu’il n’y aura pas de contradiction dans le calendrier en précisant que les élections pourront être organisées jusqu’au 30 novembre 2025.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Les amendements nos 17 et 33 ont tous deux pour objet de reporter au 1er juillet 2025 l’entrée en vigueur de cette loi constitutionnelle.

Cela rendrait impossible la tenue des élections en 2024. En effet, la réforme constitutionnelle doit entrer en vigueur pour que puissent être pris les textes permettant l’établissement de la liste électorale, notamment la loi organique nécessaire pour régler un certain nombre de problèmes d’inscription avant la convocation des électeurs.

Or il faut vraiment que ces élections aient lieu si l’on veut dégager un espace pour les négociations à venir en Nouvelle-Calédonie, qui ne peuvent pas avoir lieu pendant la campagne électorale.

La commission est donc défavorable à ces deux amendements.

L’amendement n° 30 tend à subordonner l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle à l’avis favorable d’une majorité qualifiée du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Cela ne me paraît pas possible, car, là encore, cela mettrait en péril la possibilité d’organiser des élections en 2024. L’avis de la commission sur cet amendement est donc également défavorable.

Par ailleurs, il ne nous a pas paru souhaitable de requérir formellement une consultation des présidents des groupes politiques du Parlement, comme le souhaitent les auteurs du sous-amendement n° 19. En effet, les présidents des deux assemblées parlementaires étant des autorités constitutionnellement indépendantes, je crois qu’il faut leur remettre en propre ce pouvoir, ce qui ne les empêchera pas de consulter qui ils veulent, notamment les présidents de groupe. La commission est aussi défavorable à ce sous-amendement.

L’amendement n° 31 vise à associer à la constatation de l’accord le président ou le vice-président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Pour les raisons que je viens d’évoquer, l’avis est défavorable.

Les sous-amendements de repli nos 21 et 20 de nos collègues socialistes tendent aussi à modifier la date des élections provinciales. Nous y sommes défavorables, pour les raisons que j’ai déjà indiquées.

En revanche, j’ai tenu compte du sous-amendement n° 34, très judicieux, de Mme Vogel, puisque j’ai rectifié l’amendement n° 7 de manière à corriger le point qu’elle a justement soulevé et à éviter de rendre cumulatifs les critères de constatation de l’accord. Ce sous-amendement étant satisfait, j’en sollicite le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis défavorable à l’ensemble des amendements et sous-amendements en discussion, mais je m’attarderai plus particulièrement sur les deux amendements présentés par M. le rapporteur au nom de la commission.

Par l’amendement n° 6, le rapporteur souhaite attribuer non plus au Conseil constitutionnel, mais aux présidents des deux assemblées parlementaires la responsabilité de constater s’il y a un accord. Ce faisant, nous politiserions le constat de l’accord, alors que nous avons plutôt besoin à cette fin d’un notaire, qui trancherait de la manière la moins politique possible. Cette proposition me semble assez paradoxale, eu égard à ce qui s’est dit lors de la discussion générale, sachant que lesdits présidents, bien que de couleurs politiques différentes, ne peuvent nullement se réclamer du camp indépendantiste !

M. Philippe Bas, rapporteur. Le Conseil constitutionnel non plus !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je trouve original de demander aux présidents des assemblées parlementaires de sortir de leur rôle politique pour constater un accord. Si c’est ce que veut la Haute Assemblée, je n’y vois pas d’inconvénient, mais on peut imaginer qu’il y ait un accord avec une partie seulement des indépendantistes, ou une partie seulement des loyalistes, et non avec l’intégralité des deux camps. C’est possible, connaissant les subtilités de la vie politique calédonienne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’attire votre attention sur le fait que les présidents d’assemblées politiques, par définition, font aussi de la politique. Cette proposition est en l’occurrence particulièrement déséquilibrée, puisque le parti Les Républicains, auquel appartient M. Larcher, comme le parti Renaissance de Mme Braun-Pivet comptent en Nouvelle-Calédonie parmi les partis non indépendantistes.

J’y insiste, en votant cet amendement, votre assemblée politiserait un peu plus le constat de l’accord. Certes, comme cela ne va pas contre les intérêts du Gouvernement, je n’y vois pas d’inconvénient, mais cela m’étonne tout de même.

Je remarque au passage que les groupes politiques du Sénat semblent vouloir pousser plus loin votre logique, monsieur le rapporteur. Quitte à politiser le processus, pourquoi ne pas voter le sous-amendement n° 19 du groupe socialiste qui prévoit la consultation de tous les présidents de groupes politiques avant la constatation d’un accord ? Je penche quand même, afin d’éviter la politisation de la procédure, en faveur de la constatation par le Conseil constitutionnel. Mais ce n’est pas le plus important, même si cet amendement me paraît un peu incongru.

Je suis plus embêté par l’amendement n° 7 rectifié, qui vise à tirer la conclusion, si j’ose dire, du débat que nous avons eu autour du processus à retenir pour un décalage des élections, à savoir une loi organique votée comme une loi ordinaire.

M. Philippe Bas, rapporteur. Non !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est un peu le cas. Je comprends que vous supprimez les mots : « avant le 1er juillet 2024 ».

M. Philippe Bas, rapporteur. Non !

M. Gérald Darmanin, ministre. Si, vous comptez supprimer cette date, monsieur le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Ça dépend pour quoi !

M. Gérald Darmanin, ministre. J’en déduis que l’on peut avoir un accord jusqu’au dernier jour…

M. Philippe Bas, rapporteur. Dix jours avant les élections !

M. Gérald Darmanin, ministre. Soit ! Nous serions donc capables, mesdames, messieurs les sénateurs, de faire voter une loi ordinaire par les deux assemblées en dix jours après un accord !

Par ailleurs, vous voulez supprimer la possibilité de recourir au décret pour décaler la date des élections. Monsieur le rapporteur, vous êtes manifestement adepte du « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ! Il faudrait ainsi faire adopter une loi organique, sous forme de loi ordinaire, dans les deux assemblées pour reporter les élections. Mais que se passerait-il si les assemblées ne pouvaient se réunir au moment précis où un accord serait conclu ? Le Sénat a la chance incroyable de ne pas pouvoir être dissous par le Président de la République, en contrepartie de quoi il ne peut pas renverser le Gouvernement. Heureusement, sinon je ne serais plus devant vous depuis un certain temps, je le crois… (Sourires.)

Il se peut – cela s’est déjà vu – que l’Assemblée nationale, en période de renouvellement électoral, ne puisse se réunir ; cela pourrait se produire alors même qu’un accord viendrait d’être obtenu, au dernier moment. Si l’on est cohérent avec le choix de faire voter une loi organique comme une loi ordinaire, il faut résoudre ce problème.

J’en profite pour attirer l’attention de M. le sénateur Naturel sur le fait que la loi qui serait prise dans ces circonstances serait contrôlée par le Conseil constitutionnel, et ce d’autant plus attentivement qu’il s’agirait d’une loi organique. Si le Conseil la censure, pour une raison ou une autre, les élections ne pourront pas se tenir. C’est ce que vous avez voté, monsieur le sénateur, et ce n’est pas de nature à faciliter ce que nous essayons de faire, à savoir des élections provinciales avec un corps électoral dégelé.

Si nous ne mettons pas de date butoir et qu’un accord peut être constaté jusqu’aux derniers jours, il faudra convoquer les chambres – espérons qu’il ne s’agira pas d’une période de vacances parlementaires –, pour leur demander de voter une loi reportant la date des élections.

Objectivement, je trouve tout cela un peu compliqué. Si telle est la volonté de la Haute Assemblée, nous nous y plierons, mais un tel vote viderait de sa substance ce que nous nous efforçons de faire. J’estime donc judicieux de repousser tous ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Je n’aborderai pas directement les amendements en discussion.

Depuis deux ans, on parle d’un accord. Le Conseil d’État évoque un accord qui serait signé par les signataires de l’accord de Nouméa. Or je puis vous dire qu’il n’en reste plus beaucoup, en particulier chez les non-indépendantistes. Je crois être le dernier d’entre eux à siéger au Parlement. Aussi, une question me taraude, monsieur le ministre, que je poserais volontiers au Gouvernement : qui signera cet accord en Nouvelle-Calédonie ? C’est ce qui importe aujourd’hui.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis d’accord !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très sereinement, je veux dire à M. le ministre que, si l’objet de mon amendement n° 7 rectifié était ce qu’il en a compris, je ne l’aurais pas présenté.

Certes, un amendement est toujours difficile à lire, parce qu’il se greffe sur une souche, à savoir le texte du Gouvernement, qui lui-même modifie, en l’occurrence, le texte de la Constitution. Mais, en réalité, cet amendement est très simple : nous voulons simplement préciser que, dans le cas, d’ailleurs improbable, où un accord serait conclu jusqu’à dix jours avant le scrutin, le Gouvernement présenterait en conseil des ministres un projet de loi tendant à reporter les élections. L’adoption de ce texte en conseil des ministres vaudrait retrait du décret de convocation des électeurs et suffirait à acter le report. C’est très facile !

Je suppose d’ailleurs que vous seriez très heureux de vous retrouver dans cette situation, monsieur le ministre, puisque vous appelez de vos vœux, depuis tant d’années, la conclusion de cet accord global pour le destin commun des Calédoniens.

Si jamais cette situation se produisait, jusqu’à dix jours avant les élections, vous auriez tout à fait le temps de faire les choses convenablement, c’est-à-dire de réunir le conseil des ministres pour adopter un projet de loi organique tendant à reporter les élections et ainsi donner le temps au Gouvernement et au Parlement d’appliquer l’accord noué. Cette hypothèse n’est pas parmi les plus probables, mais si elle se présentait, tout le monde serait évidemment content de pouvoir procéder ainsi.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’argumentation du rapporteur se suffit à elle-même pour démontrer toute la complexité du dispositif proposé…

Le Gouvernement propose un décret en cas d’accord constaté par le Conseil constitutionnel ; ce décret serait contrôlé par le Conseil d’État. M. le rapporteur nous propose plutôt, en cas d’accord au dernier moment, qu’un projet de loi soit adopté en conseil des ministres. D’abord, n’oublions pas qu’il devrait auparavant être présenté au Conseil d’État : en dix jours, c’est très court…

M. Philippe Bas, rapporteur. Il y a une commission permanente.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il faudrait l’écrire, le présenter au Conseil d’État, convoquer un conseil des ministres, et tout cela à un moment où les électeurs auront déjà été convoqués aux élections. Et il faudrait dire aux Calédoniens : attendez, nous allons présenter un projet de loi pour reporter les élections !

Chacun sait que le conseil des ministres est une instance extrêmement délibérative où l’on s’oppose frontalement au Président de la République lorsqu’on n’est pas d’accord… (Sourires.)

De surcroît, il ne serait nullement garanti que le Parlement examinerait ce texte, le Gouvernement n’étant pas tenu par la Constitution de le transmettre au Parlement. Et cela suffirait pour annuler le décret de convocation des électeurs !

Objectivement, monsieur le rapporteur, pourquoi voulez-vous compliquer le processus ? Mesdames, messieurs les sénateurs, n’oubliez pas que nous examinons un projet de loi constitutionnelle. Je ne vois pas ce que viendrait faire une telle procédure dans la Constitution : une convocation en urgence du conseil des ministres par le Président de la République, moins de onze jours avant les élections, pour examiner un projet de loi préalablement examiné par le Conseil d’État – s’agissant d’un projet de loi organique, l’examen est particulièrement minutieux. Et ce projet de loi se suffirait à lui-même pour dire aux électeurs calédoniens de ne pas venir voter aux élections !

Monsieur le rapporteur, je crains d’avoir bien compris votre amendement, que je trouve personnellement extrêmement complexe. Je considère par ailleurs que son adoption mettrait en péril le processus institutionnel en Nouvelle-Calédonie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à rejeter cet amendement n° 7 rectifié : laissez plutôt le Gouvernement organiser la séquence en cas d’accord, par décret, sous le contrôle du Conseil d’État.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 33.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 19.

(Le sous-amendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 31 n’a plus d’objet.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 21.

(Le sous-amendement nest pas adopté.)

Mme Mélanie Vogel. Je retire le sous-amendement n° 34, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 34 est retiré.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 20.

(Le sous-amendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 1, deuxième phrase

Après le mot :

Nouvelle-Calédonie

insérer les mots :

en vue d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que l’accord mentionné à l’article 2 du projet de loi constitutionnelle doit avoir pour objet « d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle-Calédonie un destin commun ». Cette notion est très importante en Nouvelle-Calédonie ; en témoigne sa présence dès la première phrase de l’accord de Nouméa. Il faut montrer que la nouvelle page qu’ouvrirait cet accord doit embrasser l’ensemble des questions intéressant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce serait une façon de préempter l’accord ! Si les parties prenantes se mettaient d’accord sur l’absence de destin commun, que ce soit par l’indépendance, l’indépendance-association, une forme de commonwealth, sur le modèle des îles Fidji, ou encore la partition de la Nouvelle-Calédonie, comme cela a pu être imaginé jadis pour d’autres territoires de la République, que se produirait-il ? Avec cet amendement, vous enfermez l’accord. Personnellement, je suis pour que la Nouvelle-Calédonie reste dans la France, mais je trouve étonnant de vouloir ainsi préciser, au détour d’un amendement, ce que doit être l’objet de l’accord. Ce n’est pas ainsi que nous allons encourager les négociations avec l’ensemble des parties.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

(Larticle 2 est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons terminé l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle.

Je vous rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du texte se dérouleront le mardi 2 avril prochain, à quatorze heures trente.

La suite de la discussion est renvoyée à cette séance.

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale

10

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, Mme Maryse Carrère, présidente du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, demande à inverser l’ordre d’examen des deux propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’espace réservé de son groupe le jeudi 11 avril prochain.

Nous examinerions ainsi d’abord la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole, puis celle tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales.

Acte est donné de cette demande.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

11

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif visant à sécuriser et réguler l’espace numérique est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

12

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement  de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021
Discussion générale (suite)

Aide publique au développement

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 (proposition n° 264, texte de la commission n° 449, rapport n° 448).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement  de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021
Article unique (Texte non modifié par la commission)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Rachid Temal et Louis Vogel applaudissent également.)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le niveau inédit de nos efforts en matière de solidarité internationale nous oblige, plus que jamais, à rendre compte de notre action en matière d’aide publique au développement et à l’évaluer.

Après plusieurs années de baisse de notre aide publique au développement (APD), la France a engagé en 2017 un processus de refondation de sa politique de développement, afin de renforcer la crédibilité de notre action diplomatique, de répondre aux grands enjeux mondiaux et de maximiser l’impact de nos actions.

Les chiffres de l’APD pour 2022 sont désormais officiels : ils sont historiques, car ils attestent d’une augmentation de près de 50 % en cinq ans. La France est devenue le quatrième bailleur mondial. Avec près de 15,2 milliards d’euros en 2022, nous avons ainsi légèrement dépassé l’objectif intermédiaire, fixé par la loi du 4 août 2021, de 0,55 % du revenu national brut en 2022.

Nous avons ainsi tenu un engagement pris de longue date par le Président de la République.

Les récentes annonces budgétaires ont toutefois une incidence sur la mission « Aide publique au développement », qui est mise à contribution comme toutes les politiques publiques.

Dans un contexte qui impose la maîtrise des finances publiques, il est plus crucial encore que d’ordinaire de nous assurer que les projets financés permettront de servir nos priorités et, surtout, auront une incidence concrète.

La secrétaire d’État chargée du développement et des partenariats internationaux, Chrysoula Zacharopoulou, est engagée au quotidien pour renforcer l’efficacité de l’aide sur le terrain et assurer le pilotage politique de nos investissements.

Si les moyens que nous déployons sont inédits, ils ne permettent pas, à eux seuls, de répondre aux besoins et aux crises. Tel était le constat de départ du sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, qui a permis de mobiliser la communauté internationale face au défi du financement de la lutte contre la pauvreté et de la préservation de la planète.

Nous continuons de porter cette ambition au sein des enceintes multilatérales et auprès de nos partenaires, grâce au pacte de Paris pour les peuples et la planète, aujourd’hui soutenu par cinquante-quatre pays.

Dans le cadre de ce chantier de rénovation, la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a marqué une étape importante, en mettant notamment en évidence les besoins d’évaluation.

Cette loi a été suivie, en mai 2023, par la fixation, lors d’une réunion du conseil présidentiel du développement, de dix objectifs prioritaires afin d’orienter notre action. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de juillet 2023 a ensuite permis de préciser les modalités de mise en œuvre de ces dix objectifs.

Ces deux échéances majeures ont permis d’acter un changement de paradigme : la politique d’aide publique au développement s’est transformée en stratégie d’investissement solidaire.

Ce choc de méthode doit permettre de rendre notre action plus efficace.

La mise en œuvre de cette stratégie passe par un pilotage politique renforcé de nos actions. Celui-ci n’est pas remis en cause par les récentes décisions budgétaires. Les priorités sont donc claires ; le cap est bien fixé.

Je l’ai dit, l’efficacité de notre politique dépendra de l’évaluation des effets de nos actions. Si le Cicid a décidé que les ministres des affaires étrangères et de l’économie assurent l’évaluation de la mise en œuvre de nos priorités politiques dans le cadre d’une réunion annuelle, la loi de 2021 prévoit pour sa part la mise en place d’une commission indépendante d’évaluation de l’aide publique au développement.

Je sais qu’un grand nombre d’élus s’intéressant aux questions relatives à l’APD ont fait part de leur lassitude quant au temps nécessaire à la mise en place de cette commission, tandis que d’autres regrettent qu’il faille passer par une loi pour en faire respecter une autre, plus de deux ans après la promulgation de la loi du 4 août 2021.

Mesdames, messieurs les sénateurs, n’ayez aucun doute quant à la volonté du Gouvernement de voir cette commission commencer rapidement ses travaux.

Je tiens également à rappeler que, sur ce dossier, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a rempli ses obligations et assumé son rôle de chef de file de l’action extérieure.

L’objectif de la proposition de loi que vous examinez est simple : d’une part, débloquer la mise en œuvre de cette mesure importante de la loi de 2021 ; d’autre part, confirmer les missions de cette commission. Je me permets d’insister : il est bien question d’évaluer les projets et les programmes, et non pas simplement de contrôler l’usage des fonds.

Dans cette perspective, nous acceptons volontiers que cette commission d’évaluation soit hébergée au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, et, comme nous l’avons confirmé à votre rapporteur, que le secrétariat administratif de la commission soit rattaché à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats.

Dans l’hypothèse de la confirmation de ce repositionnement, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères se porte garant de la préservation de l’indépendance de la commission.

D’une part, en aucun cas ledit ministère ne constituerait une autorité de tutelle : la commission définira ses méthodes et son programme de travail en toute indépendance.

D’autre part, des moyens humains et financiers supplémentaires seront affectés à cette commission, car sa tâche, d’ampleur – vous le concevez bien –, est à la mesure de l’effort inédit que je relevais en introduction de mon propos, de la richesse de nos coopérations et de la densité de nos échanges.

Enfin, l’évaluation doit être envisagée comme un outil au service de l’amélioration de notre action, ainsi qu’au service de la France et de nos partenaires diplomatiques partout dans le monde.

Les investissements réalisés aujourd’hui répondent à des besoins vitaux dans les pays bénéficiaires. Cependant, ils s’inscrivent aussi dans le temps long, car ils se concentrent sur des infrastructures stratégiques.

Grâce à ces investissements, les populations sont mieux armées pour faire face aux conséquences du dérèglement climatique ; ainsi, l’accès à une source d’énergie décarbonée n’est pas réservé à quelques pays.

Il est crucial que nos concitoyens prennent conscience que nos actions en faveur du climat, de la santé et de l’agriculture, partout dans le monde, contribuent également à leur avenir et à celui de leurs enfants.

Notre politique de partenariats et d’investissements solidaires est porteuse de solutions. Elle permet de consolider directement les coalitions que le Président de la République appelait de ses vœux pour répondre aux grands défis mondiaux qui s’imposent à nous.

La mise en place rapide de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement contribuera à l’efficacité de notre politique d’investissements solidaires. C’est pourquoi je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à mettre en place – enfin ! – la commission d’évaluation de l’aide publique au développement, plus de deux ans et demi après sa création théorique par la loi de programmation du 4 août 2021.

La réforme de l’évaluation opérée par cette loi était une nécessité, voulue et soutenue par les deux assemblées.

Cette loi était nécessaire, parce que l’aide publique au développement avait connu une progression considérable au cours des années précédentes. En particulier, les engagements financiers de l’Agence française de développement (AFD), principal opérateur de cette politique, étaient passés de 6 milliards d’euros en 2009 à 14 milliards d’euros en 2020.

Une telle croissance a exigé de nombreux recrutements, mais aussi un élargissement de l’aide à un nombre considérable de pays. L’AFD a prospecté dans le monde entier pour placer ses prêts, souvent à des taux proches de ceux du marché, auprès de pays qui – il faut bien l’avouer – n’en avaient pas toujours un besoin évident.

Ce n’est que récemment que l’agence, forte de nouveaux moyens budgétaires, a pu augmenter ses dons et, par conséquent, s’adresser davantage aux pays les plus démunis ainsi qu’aux secteurs vitaux de la santé ou de l’éducation, priorités régulièrement rappelées par le Sénat.

De cette progression sans précédent des moyens et de cette expansion géographique permanente, il ne pouvait résulter qu’une demande accrue de contrôle et d’évaluation.

Il est par essence difficile d’appréhender l’efficacité d’une politique de solidarité internationale. Ses projets sont, par définition, mis en œuvre dans d’autres pays que le nôtre, font souvent appel à des acteurs locaux et bénéficient à des populations dont notre connaissance est nécessairement limitée.

À tort ou à raison, et malgré la qualité bien reconnue de nos opérateurs, ces projets soulèvent donc parfois des interrogations ou des doutes quant à leur efficacité, voire quant à leur bien-fondé.

Bien entendu, il serait tout à fait inexact d’affirmer qu’il n’y avait aucune évaluation de l’aide publique au développement avant la création de la commission qui nous intéresse ce soir.

Il existe actuellement trois organismes d’évaluation interne en matière d’aide au développement, respectivement au sein du ministère de l’économie et des finances, du Quai d’Orsay et de l’AFD elle-même.

Concrètement, les évaluations pilotées par ces services sont réalisées par des cabinets de conseil sélectionnés par appels d’offres, sous la direction d’une équipe de responsables administratifs des ministères concernés ou de l’AFD.

Outre ces dispositifs, des évaluations externes peuvent être réalisées par l’OCDE, des ONG, la Cour des comptes, ou encore l’Assemblée nationale et le Sénat.

Toutes ces évaluations sont sans doute intéressantes et pertinentes. Cependant, un consensus s’est établi sur le fait qu’elles ne suffisaient pas à rendre compte de notre politique de solidarité internationale.

D’abord, si les évaluations internes sont bien informées, elles aboutissent parfois à des conclusions stéréotypées et peu incisives, faute d’indépendance par rapport aux administrations ou aux opérateurs qui mettent en œuvre l’aide publique au développement.

En outre, elles ont du mal à surmonter l’éclatement du pilotage de cette politique entre deux ministères et un établissement public.

De plus, les évaluateurs externes ne disposent pas toujours des données ou des analyses nécessaires pour produire les évaluations les plus pertinentes. D’ailleurs, la France est encore en retard dans les classements internationaux relatifs à la transparence de l’aide. L’ONG Publish What You Fund ne classe ainsi l’AFD qu’au vingt-huitième rang sur cinquante en matière de transparence des donneurs.

Enfin, c’est la nature même des évaluations réalisées qui paraît insatisfaisante. Les instances d’évaluation actuelles concentrent souvent plus leur analyse sur les processus de gestion, l’organisation institutionnelle et les enjeux financiers ou budgétaires, que sur l’impact final et la pérennité des interventions françaises comme de l’influence de notre pays.

C’est pour remédier à toutes ces limites que nous avons créé la commission d’évaluation indépendante, compétente de manière transversale pour l’ensemble des projets et des programmes de développement. Cette commission s’inspire de la commission indépendante pour l’impact de l’aide, ou Independent Commission for Aid Impact (ICAI), mise en place au Royaume-Uni, qui est composée de spécialistes du sujet, capables d’évaluer l’impact final des projets.

Cette nouvelle commission sera ainsi séparée et indépendante de l’AFD, dont elle sera tout particulièrement appelée à examiner l’activité, eu égard à la place prédominante dans cette politique de ladite agence, forte de 12 milliards d’euros d’autorisations d’engagement.

La présence au sein de cette commission d’un collège de parlementaires, disposition adoptée par le Sénat, sur l’initiative de notre commission, au sein de la loi du 4 août 2021, renforcera son indépendance par rapport à l’exécutif tout en assurant la prise en compte de nos préoccupations.

Certes, la solution mise en place par ladite loi n’était pas parfaite. Une autre solution aurait consisté à créer une véritable autorité administrative indépendante, avec un personnel plus nombreux et des moyens importants. Cela aurait cependant eu un coût considérable, et une nouvelle structure se serait ajoutée au millefeuille administratif. Dès lors, il fallait bien adosser la commission à une administration préexistante, apte à en assurer le secrétariat.

Aussi l’Assemblée nationale avait-elle pris l’initiative d’un rattachement à la Cour des comptes. Le décret d’application du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement avait ensuite accentué le rôle de la Cour, en prévoyant la présence au sein de la commission de deux magistrats de l’institution, dont le Premier président, qui aurait logiquement présidé le nouvel organisme.

Cette solution nous éloignait un peu du projet initial, qui consistait à créer un organisme sui generis, plus tourné vers l’évaluation que vers le contrôle – vous venez de le rappeler, madame la ministre – et complètement spécialisé dans l’aide publique au développement.

C’est pourquoi, après des péripéties sur lesquelles il est inutile de revenir, M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, a déposé cette proposition de loi qui vise à rattacher la commission d’évaluation au Quai d’Orsay plutôt qu’à la Cour des comptes.

Cet adossement administratif au ministère chargé des affaires étrangères paraît finalement le plus simple à mettre en œuvre, donc le plus propre à permettre le lancement rapide des travaux de cette commission, que nous attendons tous depuis plus de deux ans.

Je rappelle que la loi dispose toujours que les experts de la commission sont indépendants et qu’ils déposent une déclaration d’intérêt. En outre, n’oublions pas la présence des parlementaires au sein de la commission, apport du Sénat qui offre une autre garantie d’indépendance par rapport à l’exécutif. Tout ceci est laissé intact par la présente proposition de loi.

Évidemment, on ne saurait, dans la loi, entrer dans un grand luxe de détails. De même que la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, nous avons donc demandé à être associés à l’élaboration des décrets qui préciseront la composition et le fonctionnement de la nouvelle commission.

M. Rachid Temal. Comme la dernière fois !

M. Christian Cambon, rapporteur. Du reste, nous avons déjà commencé nos échanges avec l’administration sur ce sujet.

De même, nous espérons qu’une personnalité indépendante, d’une expertise reconnue en matière d’aide publique au développement, sera élue à la tête de la commission ; nous estimons qu’il doit s’agir d’un emploi à temps plein.

M. Rachid Temal. On a un amendement pour ça !

M. Christian Cambon, rapporteur. Enfin, il nous semblerait pertinent qu’un représentant de la coopération décentralisée soit membre du collège d’experts, afin de mettre en avant les apports de ces acteurs si importants pour la mise en œuvre de la coopération.

Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous permet, enfin, de sortir de l’ornière. Ce texte reste en outre très proche de la loi de 2021 que nous avions votée, je le rappelle, à l’unanimité.

C’est pourquoi la commission l’a adopté sans modification. Nous espérons ainsi mettre le point final à un feuilleton qui n’aura que trop duré, pour doter enfin notre politique de solidarité internationale d’une instance d’évaluation digne de ce nom, dans laquelle le Parlement jouera, à l’évidence, un rôle très important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Raphaël Daubet et Ludovic Haye applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons adopté en mai 2021 le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, devenu loi du 4 août 2021.

Ce texte ambitieux, qui avait fait l’unanimité, ou presque, au sein de notre Haute Assemblée, comportait plusieurs dispositions et outils innovants.

Il a permis de porter les crédits alloués à l’aide publique au développement à 0,55 % du revenu national brut en 2022, conformément à l’engagement du Président de la République, avec l’objectif d’atteindre 0,7 % en 2025.

Notre vision du développement est très différente de l’approche de la Chine, que j’ai pu observer en Afrique. Pour Pékin, le concept win-win signifie que la Chine gagne deux fois ! Ainsi, le pays « bénéficiaire » finance l’autoroute à construire, avant de devoir verser l’équivalent des péages que n’acquittent pas les automobilistes réticents à l’emprunter. Les nouvelles routes de la soie – je dirais plutôt « de la prétendue bonne affaire » ! – ont plongé ces pays dans l’enfer de la dette.

L’aide de la Russie, d’un tout autre ordre, relève plutôt de l’aide à la personne : M. Poutine donne 1 000 francs CFA à qui veut bien brandir des pancartes avec des slogans anti-français, afin de nous déloger de certains pays. Je l’en ai remercié à Bangui, car ces 1 000 francs CFA ont permis à certains des 5 000 Centrafricains présents d’acheter leur place pour le concert de la Saint-Valentin de l’Alliance française ! (Sourires.)

Autre exemple, un manège a été installé devant la maison de la Russie à Bangui. J’y ai vu une belle illustration du fait que le Kremlin cherche à faire tourner les Africains en rond !

La mission de notre aide publique au développement est plutôt de bâtir un monde à la fois plus juste et plus durable.

Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance : les équipes de l’AFD sont engagées dans plus de 4 000 projets dans 150 pays, contribuant ainsi à l’engagement de la France en faveur du développement durable et du respect de l’accord de Paris. Tel est l’objectif qui doit étayer notre politique de développement.

Lors de l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », plusieurs de nos collègues avaient insisté sur la nécessité de se doter de mécanismes susceptibles d’améliorer le contrôle et le suivi des aides accordées par notre pays.

C’est non seulement un enjeu d’efficacité, mais également une nécessité au regard du contrôle démocratique que doivent exercer les assemblées parlementaires en général et le Sénat en particulier.

La France a mis en œuvre de nombreux projets au travers de la politique de l’AFD. Souvent, j’ai pu juger sur place de leur réussite.

Ainsi, j’ai participé l’an dernier, à Antananarivo, à la cérémonie d’inauguration du parcours touristique de la Haute Ville, en présence du ministre malgache de l’aménagement du territoire, du maire de la capitale et de notre ambassadeur. Cette véritable réussite urbanistique avait pour but de désenclaver et d’assainir des quartiers prioritaires. Lors de la visite, revêtu de mon écharpe tricolore, j’ai observé les sourires des habitants qui profitaient de points d’eau et de lavoirs flambant neufs. Quelle fierté d’avoir été accompagné par une partie des habitants durant cette déambulation et de les avoir entendus crier : « Vive la France ! »

L’aide publique au développement constitue un outil efficace et essentiel au service de la stratégie d’influence de notre pays. Nous devons assumer cette ambition sans naïveté, comme de nombreux autres pays le font.

La loi de programmation du 4 août 2021 avait mis en place une commission d’évaluation des politiques d’aide publique au développement, ce qui répondait à une demande que le Parlement, particulièrement le Sénat, formulait depuis de nombreuses années.

Deux ans après la promulgation de cette loi, la commission d’évaluation de l’aide publique au développement n’est toujours pas constituée, les modalités de son rattachement à la Cour des comptes et de la désignation de son président étant encore en suspens.

Cette commission est nécessaire, car l’évaluation de la politique d’aide publique au développement est perfectible. Malgré l’ensemble des évaluations, internes et externes, de ces aides, la France n’est pas classée parmi les meilleurs pays en matière de transparence, comme l’a rappelé à juste titre notre rapporteur.

La nécessité de bien évaluer l’aide paraît plus prégnante que jamais, compte tenu de l’augmentation des moyens de cette politique, passés de 9,5 milliards d’euros à près de 15 milliards d’euros entre 2016 et 2023.

Dans son rapport au Premier ministre d’août 2018 sur la modernisation de la politique partenariale de développement, M. Hervé Berville, rapporteur de la loi du 4 août 2021 à l’Assemblée nationale, plaidait pour que l’évaluation devienne un axe central de notre politique de partenariats et de solidarité internationale.

Nous souscrivons à cette analyse. Un cadre d’évaluation adéquat et une diffusion de la pensée évaluative sont de nature à améliorer l’efficacité de l’action publique et à renforcer les partenariats avec les pays concernés. Ils offrent aussi l’occasion d’un dialogue approfondi sur les objectifs stratégiques et la définition d’attentes communes, ainsi que la recherche d’un consensus.

Dans cette optique, l’indépendance de la commission est absolument capitale.

À l’issue des modifications effectuées lors de l’examen par les deux assemblées du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, la nouvelle commission devait être composée de deux collèges : un collège de parlementaires, composé de deux députés et de deux sénateurs, et un collège d’experts indépendants, composé de dix personnalités qualifiées.

La loi disposait également que la commission élirait son président parmi ses membres, qu’elle arrêterait son programme de travail de manière indépendante et qu’elle pourrait être saisie de demandes d’évaluation par le Parlement.

Enfin, sur l’initiative de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la loi disposait que la nouvelle commission serait placée auprès de la Cour des comptes, qui assurerait son secrétariat.

L’article 2 du décret n° 2022-787 du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d’évaluation de l’APD précise la composition du collège d’experts. Le décret précise également que la commission élit son président à l’unanimité parmi ses membres, ce qui, en pratique, aurait conduit à l’élection du Premier président de la Cour des comptes.

Toutefois, cette composition ne répond pas à la volonté du législateur de créer un instrument nouveau chargé d’évaluer les projets de développement et non de contrôler leur régularité financière. Clairement, les résultats de l’APD ne peuvent se mesurer seulement, ou même principalement, sous un angle financier.

J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’apprécier la qualité de l’engagement de la secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou pour la mise en œuvre de l’action de coopération de notre pays. Nous aussi, parlementaires, devons mouiller l’écharpe tricolore en inaugurant les projets financés par l’AFD !

Les investissements de la France auprès de nos partenaires se mesurent également à l’aune de leur effet sur les populations, ainsi que du rayonnement et de l’influence de notre pays.

La proposition de loi que nous examinons permet de rattacher la commission d’évaluation au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, pour ce qui a trait à son fonctionnement. Le texte précise aussi les missions assignées à cette commission.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. Nous nous associons au souhait du rapporteur d’adopter le texte sans modification, afin que la procédure ne soit pas inutilement alourdie et que la mise en œuvre de cette commission ne soit pas plus longtemps retardée.

Nous resterons cependant attentifs au décret qui précisera la composition de cette commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Rachid Temal et Raphaël Daubet applaudissent également.)

M. Akli Mellouli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fraternité et la sororité sont des valeurs au cœur de notre engagement républicain.

Ce sont la fraternité et la sororité qui réconcilient le désir de liberté et l’exigence d’égalité.

Ce sont la fraternité et la sororité qui permettent de créer du lien malgré nos diversités d’origine, de croyance et de culture.

Surtout, ce sont la fraternité et la sororité qui permettent la solidarité et le partage entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n’ont pas assez.

Alors qu’aujourd’hui les pays de l’OCDE affichent un revenu par habitant cinquante-deux fois supérieur à celui des pays à faible revenu, alors que la moitié de la population mondiale n’a pas accès aux services de santé essentiels, alors que les impacts du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles et destructeurs et qu’il existe un problème d’accès à l’eau pour un grand nombre de populations, la France doit continuer à faire rayonner ces valeurs de fraternité et de sororité, piliers de notre promesse républicaine, au moyen de l’aide publique au développement.

Cependant, elle doit le faire avec éthique, équité et transparence.

Aujourd’hui, nous réalisons tous l’importance cruciale des politiques de développement solidaire dans la lutte contre l’exacerbation des inégalités mondiales. C’est d’ailleurs pour cette raison que les États membres des Nations unies ont structuré leur action en matière de développement solidaire et durable, en se fixant des objectifs à l’horizon de 2030.

À mi-parcours de cette échéance, deux ans après l’adoption par le Parlement de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, il est nécessaire de dresser un bilan et de rappeler le contexte, ainsi que la philosophie dans laquelle doit s’inscrire notre action en la matière, afin de voir comment nous pouvons gagner en efficience et en transparence.

Tout d’abord, au regard de l’accentuation des inégalités, je tiens à saluer l’engagement pris par notre pays d’allouer 0,55 % du revenu national brut à l’APD. Cet engagement, pris devant les instances internationales, symbolisait la volonté de la France de contribuer de manière significative à l’effort global de développement.

Malheureusement, aujourd’hui, cet engagement n’est pas tenu.

Pire encore, alors que la loi de programmation prévoyait une hausse progressive des crédits de l’aide au développement, de 5 milliards d’euros dans les deux prochaines années, le Gouvernement a annoncé 800 millions d’euros d’économies sur l’APD, soit plus de 10 % de l’ensemble des aides que la France choisit d’attribuer chaque année. Cela constitue clairement un coup de rabot porté à la solidarité internationale de la France.

Cette incohérence entre nos engagements et les annonces du Gouvernement écorne l’image de notre pays, d’autant que nous avons organisé, pas plus tard qu’en juin dernier, un sommet ambitieux pour un nouveau pacte financier et un plan de bataille mondial de réduction de la pauvreté et de lutte contre le changement climatique.

Il est urgent de respecter notre promesse, car un manquement apparaîtrait comme un renoncement à notre responsabilité vis-à-vis du monde et, plus particulièrement, des pays les plus vulnérables.

En outre, alors que la France a connu de nombreuses difficultés sur la scène internationale, notamment en Afrique, un tel renoncement serait perçu comme un énième signe de faiblesse envoyé à ceux qui aimeraient voir notre pays s’affaisser au niveau d’une puissance moyenne du point de vue géopolitique.

Pour cette raison, j’insiste fortement sur la nécessité de faire en sorte que les dépenses d’aide publique au développement atteignent le seuil de 0,7 % du RNB d’ici à 2027, chiffre que nous aurions d’ailleurs dû atteindre dès 2025.

Cela est d’autant plus nécessaire que l’APD constitue un moyen de rebâtir notre image dans nombre de pays qui ont, avec la France, un passé colonial douloureux.

En Afrique, il est nécessaire de nous projeter vers l’avenir, de reconnaître et d’assumer notre histoire coloniale. L’APD est l’un des moyens grâce auxquels nous pouvons contribuer à réparer les séquelles laissées par des siècles de domination. Il s’agit non pas de charité, mais de justice et de reconnaissance des interdépendances qui nous lient à ces pays.

En privilégiant des projets qui soutiennent l’autonomie et le développement durable, en écartant toute forme de néocolonialisme économique, nous poserons les bases d’un nouveau partenariat qui marquera le retour de la France.

Alors que la nécessité des financements s’est accrue, une attention particulière doit être accordée aux pays les moins avancés, avec une préférence pour les dons plutôt que les prêts. En effet, ces derniers, bien que parfois nécessaires, accroissent l’endettement des pays bénéficiaires, les enfonçant dans un cycle de dépendance et de vulnérabilité financière. Cette situation est préoccupante, dans un contexte où de nombreux pays en développement luttent déjà contre des défis économiques majeurs, exacerbés par le réchauffement climatique et les crises.

Ainsi, à l’instar du Conseil économique, social et environnemental (Cese), je recommande que la France promeuve l’adoption de nouvelles sources de financement innovantes, ainsi que l’augmentation des recettes de taxes existantes consacrées au développement des pays les moins avancés, comme la taxe sur les transactions financières ou la taxe de solidarité sur les billets d’avion.

Enfin, tous ces financements, comme notre politique d’aide au développement dans son ensemble, doivent faire l’objet d’une plus grande transparence et d’un meilleur suivi. C’est d’ailleurs l’un des arguments qui ont justifié que, aux termes de la loi du 4 août 2021, la commission d’évaluation de l’aide publique au développement soit placée sous l’égide de la Cour des comptes.

Aujourd’hui, dans un souci de plus grande cohérence, on nous propose de placer cette commission sous l’autorité du ministre des affaires étrangères. Les arguments en ce sens se tiennent et nous pouvons entendre cette logique, mais cela ne saurait se faire au détriment des exigences de transparence, d’équité et d’indépendance.

C’est pour cette raison que nous devons être collectivement attentifs à l’esprit qui animera cette commission d’évaluation.

Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.

M. Akli Mellouli. Pour conclure, mes chers collègues, je voudrais rappeler le travail remarquable de nos collectivités territoriales. Nos villes, nos départements et nos régions sont des acteurs importants dans le domaine de la solidarité internationale et de la justice climatique, dont l’engagement exprime l’implication de la société civile dans la lutte contre les inégalités mondiales.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Mellouli !

M. Akli Mellouli. Il serait donc opportun, madame la ministre, d’organiser annuellement des assises de la solidarité internationale et, dans ce cadre, d’inviter et d’associer les territoires.

Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé !

M. Akli Mellouli. Nous voterons donc en faveur de ce texte tout en maintenant notre vigilance sur sa mise en œuvre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. Rachid Temal. Quel talent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission d’évaluation de l’aide publique au développement a pour objectif d’aller au-delà d’un contrôle purement financier de l’APD en évaluant, à l’aune d’indicateurs précis, si celle-ci a permis, ou non, d’améliorer les choses pour les États bénéficiaires.

Ladite commission d’évaluation, visée par cette proposition de loi, s’inscrit d’ailleurs dans le consensus parlementaire cristallisé dans la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Cette loi, en clarifiant les rôles des différentes organisations liées à l’aide publique au développement, donnait à l’État comme objectif l’attribution à l’APD de 0,7 % du revenu national brut en 2025. Elle représentait donc une avancée importante, car elle fixait une date pour atteindre cet objectif, jusqu’alors maintes fois reporté sans échéance claire.

Cependant, le Président de la République a décidé, arbitrairement, lors du conseil présidentiel du développement qu’il a réuni en mai 2023, de modifier toutes les orientations de la loi de 2021. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement a pris acte des orientations du Président et a notamment décidé, en juillet dernier, de modifier les objectifs de l’APD, alors même que ces derniers avaient été inscrits dans la loi adoptée deux ans plus tôt.

Ces changements ont surtout permis d’assujettir notre aide publique au développement aux turpitudes de la politique étrangère du Président de la République. Le maintien des sanctions financières et la suspension de l’APD à l’encontre du peuple malien l’illustrent bien, alors même que les pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont, pour leur part, levé leurs sanctions. Cette décision pénalise l’une des populations les plus pauvres au monde.

En outre, le Cicid a également décidé de reporter l’échéance de l’objectif de 0,7 % du RNB, ce qui causera un manque à gagner de près de 11 milliards d’euros pour la solidarité internationale entre 2025 et 2030. Ce report d’objectif, que nous contestons, a été justifié par le Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi de finances adopté il y a trois mois, par le contexte de réduction du déficit public. Ce qui était alors présenté comme une simple pause dans l’augmentation de l’APD s’est transformé, quelque deux mois plus tard, en un retour en arrière, lorsque le ministre chargé des finances publiques a décrété une coupe de 800 millions d’euros dans les crédits de paiement de l’APD.

Ces décisions peuvent surprendre quand, dans le même temps, les crises se multiplient à travers le monde et entraînent bien des difficultés pour les populations en matière d’accès aux services publics et aux biens communs essentiels.

Il y a moins d’un an, le Président de la République accueillait des dizaines de chefs d’État et de gouvernement afin de provoquer un « sursaut de solidarité internationale » et un « choc des financements publics ». Une telle baisse de l’APD est incompatible avec les engagements de la France et avec son action diplomatique. Gardons-nous de faire perdre à la France sa crédibilité sur la scène internationale !

Pourtant, des solutions existent, comme la taxe sur les transactions financières. Pourquoi celle-ci reste-t-elle plafonnée à 528 millions d’euros, alors même que son objectif initial était de participer à la solidarité internationale ?

Dans un monde où les pays riches ont atteint un niveau record de développement humain, tandis que la moitié des pays les plus pauvres continuent à régresser et alors que, l’an dernier, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) s’est alarmé de la diminution, à l’échelle mondiale, pendant deux années consécutives, pour la première fois depuis trente-deux ans, de l’indice de développement humain, nous pensons qu’il est temps que la France prenne ses responsabilités. Alors, augmentons massivement le volume de notre fonds de solidarité pour le développement en rehaussant le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 % à 0,7 % et en élargissant son assiette, afin que plus d’entreprises y soient assujetties.

Enfin, si nous continuons de souligner les problèmes de critères, de ciblage ou de pilotage de l’APD, qui doit être démocratisée, nous considérons qu’il est urgent que cette commission d’évaluation soit créée, afin de rendre notre APD plus effective. C’est pourquoi les membres du groupe CRCE-K voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Rachid Temal applaudit également.)

M. Raphaël Daubet. Deux ans ! Deux ans depuis le décret d’application de la loi du 4 août 2021 et toujours pas de commission d’évaluation… Il était temps de réagir, d’autant qu’en matière d’aide au développement l’enjeu de l’évaluation est fort : on parle de 15 milliards d’euros par an, d’un budget qui a progressé d’un tiers depuis 2017 et d’une situation internationale extrêmement préoccupante dans de nombreuses régions du monde.

Dans le même temps, cette politique publique, à tort ou à raison, tend à devenir un outil supplémentaire au service de notre diplomatie, dans un contexte – il faut bien le reconnaître – de déclin de notre rayonnement et de notre influence.

Analyser l’impact de nos financements ici ou là dans le monde n’est pas un luxe. Face aux « narratifs » de nombreux états hostiles à la France et à l’Occident, le soutien que nous apportons un peu partout mérite d’être connu et reconnu. Une démarche d’évaluation ne peut être qu’utile et porteuse de progrès.

En outre, on l’a vu récemment, les crédits affectés à l’aide publique au développement sont toujours, quelle que soit l’ambition de départ, une cible facile pour les coupes budgétaires. Le décret d’annulation de crédits du mois dernier ôte 742 millions d’euros à l’APD, premier poste raboté en pourcentage. Or, beaucoup plus que par le passé, cette politique publique engage désormais la stabilité, la sécurité et la paix.

Enfin, entre le déficit budgétaire et la montée des populismes, cette politique publique devra à l’avenir, n’en doutons pas, faire plus que d’autres la démonstration de son utilité et de sa bonne gestion.

Bref, il est temps de mettre en place la commission d’évaluation prévue par la loi.

Pour ma part, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour l’aide publique au développement, je comprends que les enjeux afférents à cette politique ne peuvent être considérés sous la seule focale financière. Il faut prendre en considération les priorités de la politique extérieure de la France et, comme d’autres, je pense que la Cour des comptes n’a pas à juger de l’opportunité politique des choix qui sont faits.

Mes collègues du groupe du RDSE et moi-même ne croyons pas non plus qu’il soit bienvenu de placer cette commission sous l’égide du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Rachid Temal. Très bien !

M. Raphaël Daubet. La mise en place de cette commission devait permettre, dans l’esprit du législateur, de conduire des évaluations portant sur l’efficience, l’efficacité et l’impact des stratégies, des projets et des programmes d’aide publique au développement financés ou cofinancés par la France. Le ministre des affaires étrangères serait donc juge et partie ; ce n’est pas judicieux, car il faut garantir l’indépendance de la commission.

Il était pourtant si facile de rattacher cette commission au Parlement, auquel la Constitution – faut-il le rappeler ? – confie le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Nous soutiendrons donc l’amendement allant en ce sens de mon collègue rapporteur spécial pour l’APD, Michel Canévet.

Autre regret pour le groupe du RDSE : aucun échange formel n’est prévu entre les collectivités territoriales et la commission d’évaluation. C’est dommage, car la coopération décentralisée a des choses à nous apprendre. C’est aussi le sens d’un amendement de notre collègue Rachid Temal.

En tout état de cause, ce texte s’inscrit dans une nécessité temporelle et il faut avancer. Le RDSE fera le choix du pragmatisme : ses membres voteront pour ce texte afin de permettre, après deux longues années d’attente, l’institution effective de cette commission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et GEST. – M. Rachid Temal applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France figure parmi les plus grands contributeurs mondiaux à l’aide publique au développement. Plus de 15 milliards d’euros y ont été consacrés par notre pays en 2022.

C’est bien sûr un motif de satisfaction pour la France, mais cela nous donne également une grande responsabilité quant à la manière dont cette aide est employée. En 2021, nous avons adopté une loi destinée à encadrer l’aide publique au développement. À cette occasion, nous nous sommes fixé un objectif quant au montant que notre pays devait lui consacrer. La France devra lui allouer en 2025 0,7 % de son revenu national brut ; il s’agit du seuil préconisé par les Nations unies. La France progresse vers cet objectif, malgré les difficultés budgétaires auxquelles elle est confrontée.

En temps de crise, la tentation est grande pour les États donateurs de faire l’impasse sur l’aide au développement, mais c’est précisément dans de telles périodes que cette aide est encore plus nécessaire aux populations qui en bénéficient.

Notre groupe soutient une conception de l’aide au développement tournée vers les partenariats et l’investissement. Nous approuvons la volonté exprimée par le chef de l’État de conduire des projets en traitant directement avec les sociétés civiles.

Enfin, nous tenons à ce que l’aide accordée par la France, issue de l’argent du contribuable, soit étroitement contrôlée. Nous devons nous assurer qu’elle ne bénéficie en aucune manière à nos adversaires et nous devons garantir l’efficacité de notre aide, afin que chaque euro compte.

La loi du 4 août 2021 prévoyait de renforcer ce contrôle par la création d’une commission ad hoc. Il est prévu que cette commission d’évaluation transmette des rapports annuels au Parlement afin de mieux éclairer ce dernier sur les conséquences de l’aide publique dont il vote chaque année les crédits. Mais, trois ans après l’adoption de cette loi, ladite commission n’a pas encore pu se réunir. Sa mission n’a pas été définie avec suffisamment de précision.

La publication du décret du 6 mai 2022 a laissé entrevoir une restriction de sa mission d’évaluation de l’aide publique. La commission s’apparentait de plus en plus à une commission de contrôle budgétaire. Sa présidence aurait ainsi été confiée, dans les faits, au Premier président de la Cour des comptes.

Or l’évaluation de la pertinence de l’aide publique de notre pays ne peut valablement se faire au travers du seul prisme budgétaire. L’examen financier est bien entendu nécessaire, mais il est insuffisant.

Nos collègues députés nous proposent aujourd’hui de préciser la mission de la commission d’évaluation. Celle-ci ne devra pas se contenter de rendre des avis budgétaires, mais aussi apprécier la conformité des projets financés aux besoins identifiés des populations, ainsi qu’aux intérêts de la France, car l’aide publique au développement accordée par notre pays doit servir nos intérêts – il serait bien naïf d’agir différemment.

Les auteurs du texte proposent de rattacher la commission non à la Cour des comptes, mais au ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Ce rattachement nous paraît plus cohérent avec les objectifs de la commission. Plusieurs dispositions du texte garantissent en outre l’indépendance des experts de la commission d’évaluation, qui seront tenus de remplir des déclarations d’intérêts afin de prévenir tout conflit en la matière.

Lors de l’examen du texte par la commission des affaires étrangères, le rapporteur Christian Cambon a proposé une adoption conforme du texte. Nous ne pensons pas qu’il soit opportun d’ouvrir d’autres débats relatifs à l’aide publique au développement. Nous sommes également persuadés qu’il est nécessaire de régler la question de cette commission d’évaluation au plus vite, afin de lui permettre de se réunir et de commencer à travailler. Aussi n’avons-nous pas déposé d’amendement.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Rachid Temal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, plusieurs l’ont dit avant moi, deux ans se sont écoulés depuis l’adoption de la loi du 4 août 2021, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur avec notre collègue Hugues Saury, que je tiens à saluer – deux ans pour essayer d’aboutir. Je dis bien « essayer », parce que ce que l’on nous propose ce soir, c’est un peu du Gérard Majax, pour les plus anciens d’entre nous : la grande illusion ! (Sourires.)

Je m’explique. Tout d’abord, on nous parle de commission indépendante, mais, sauf erreur de ma part, dans les modalités inscrites à l’article unique de la proposition de loi, il n’en est pas question ; le mot même n’apparaît nulle part, fût-ce dans l’intitulé du texte. J’ai bien compris que l’on se reposait sur toutes les données historiques, mais c’est tout de même compliqué…

Ensuite, les collectivités sont des contributeurs majeurs de l’aide publique au développement, mais elles ne sont mentionnées nulle part. On nous rétorque, pour nous rassurer, qu’elles apparaîtront dans le décret d’application. Je croyais – mais peut-être les choses ont-elles changé la nuit dernière – qu’un décret ne faisait qu’appliquer une loi, donc que, en l’absence de mention dans la loi, on ne pouvait rien faire apparaître de neuf dans le décret.

La troisième grande illusion rejoint le débat que nous avons eu tout à l’heure sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, au cours duquel tout le monde – jusqu’à nos deux collègues calédoniens – jugeait normal que le Sénat prenne sa propre décision et vote ce qui lui semble bon, que ce soit conforme ou non au texte de l’Assemblée nationale. Mais ce soir, rideau, chers amis ! Le Sénat n’aurait pas le droit d’avoir un avis, il faudrait que la proposition de M. Bourlanges, pour qui j’ai d’ailleurs beaucoup de respect, soit acceptée sans un mot, sans amendement, sans rien ! Grande illusion, disais-je…

Venons-en au fond du débat.

Chacun a salué la loi du 4 août 2021, moi le premier, mais je rappelle tout de même que ses budgets étaient déjà entamés, qu’il s’agissait d’une loi de programmation arrivant après coup, M. le rapporteur en conviendra avec moi. C’est tout de même extraordinaire ! On nous a dit : « Ce n’est pas grave, les deux premières années sont pour nous, occupez-vous des trois prochaines ! » Nous l’avons fait, mais le budget de ces trois années a été modifié après coup, avec l’annulation le mois dernier de plus de 742 millions d’euros de crédits, sans aucun débat au Parlement. On nous affirme que rien ne va changer, mais où vont passer les 742 millions qui manquent ? Si on les annule et que cela ne change rien, je m’interroge…

Ensuite, cette loi définissait dix-neuf pays prioritaires : dix-huit en Afrique et Haïti, dont chacun connaît la situation. Cela correspondait à une stratégie du ministre de l’époque et des deux chambres. Mais le Président de la République a réuni son conseil présidentiel – je souligne ce terme – du développement et a envoyé balader la loi, en virant les dix-neuf pays et en inventant d’autres critères, transversaux. On peut être d’accord ou non sur le fond ; ce qui est surprenant, c’est la méthode.

Par ailleurs, je veux souligner le fait que les deux ministres concernés par cette question ne nous ont pas fait l’honneur de leur présence ce soir, que, comme de coutume, nous examinons cette question très tardivement et qu’il n’y a quasiment plus personne dans l’hémicycle… Tout cela est bel et bon, mais nous continuerons !

Rappelons en outre que, quelques semaines après l’adoption de la loi de 2021 – je parle sous le contrôle de mon collègue et ami Christian Cambon –, nous avions dû valider le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, contrat fondé sur des dispositions antérieures à cette loi. On nous a assuré qu’il y en aurait un autre rapidement, mais cela fera bientôt trois ans que cette agence agit sur le fondement d’un dispositif qui n’est même pas celui sur lequel nous nous sommes prononcés. Mais, à en croire certains, ce n’est pas grave, continuons ! La musique est trop belle…

Je pourrais également citer les nombreux rapports budgétaires que nous n’avons pas encore reçus, et cætera, et cætera.

On nous dit ce soir qu’il faut agir vite, que l’on ne peut pas amender, qu’il faut être rapide. Vraiment ? Après deux ans ?

En outre, au cours de ces deux années, il s’est passé bien des choses ! D’abord, la commission d’évaluation a été placée auprès de la Cour des comptes. Je rappelle que nous y étions opposés, cher Christian Cambon, et que c’est le Gouvernement qui a imposé ce rattachement. Il est tout de même extraordinaire de revenir là-dessus ainsi ! Et puis, un an plus tard, le 6 mai 2022, un décret a enfin été publié, mais, on ne sait pourquoi, il n’a jamais été appliqué. Tout cela est surprenant. Mais on continue de nous demander d’accélérer…

Je suis désolé de le dire, mes chers collègues, mais, à examiner correctement les choses, on constate que l’on nous demande de voter l’adossement d’une commission d’évaluation qui, contrairement à ce que l’on nous avait dit, n’est en rien indépendante, à un ministère qu’elle devra évaluer ! En effet, la commission devra évaluer Bercy – je lui souhaite d’ailleurs bien du courage, elle n’y est nullement rattachée et il n’y a pas un mot sur ce ministère dans le texte –, l’AFD, c’est-à-dire 13 milliards d’euros – on peut être sûr que cela ne se fera pas – mais encore le ministère des affaires étrangères. Même McKinsey n’aurait pas osé vendre cela au Gouvernement ! Cela revient à dire au ministère des affaires étrangères : « Les gars, c’est fantastique, vous allez vous autoévaluer, mais vous serez vachement indépendants ! » Cela ne peut pas fonctionner…

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements assez simples ; j’y reviendrai.

On nous dit qu’il n’y a pas le temps, qu’il faut aller vite, mais le retard de deux ans est dû au Gouvernement ! Pour ma part, très respectueusement, j’ai lu la lettre en date du 11 mars dernier que Mme la ministre déléguée présente au banc a adressée au président Larcher et que nous avons tous reçue. Or, selon le programme de travail que ce courrier contient, une commission mixte paritaire sur la proposition de loi que nous examinons ce soir est prévue au mois de mai prochain. Donc, soyons rassurés : au plus tard au mois de mai, nous aurons un texte de loi ! Il n’y a pas péril en la demeure, chacun est donc libre ce soir de voter les amendements qu’il souhaite.

Nos amendements sont assez simples.

Pour commencer, si la commission d’évaluation n’est plus rattachée à la Cour des comptes – nous sommes tous d’accord là-dessus, ce n’était pas notre position, c’était celle du Gouvernement –, où la placer alors ? Pas au ministère : je l’ai dit, cela ne fonctionnerait pas. Nous proposons donc de la rattacher à France Stratégie, organisme placé auprès du Premier ministre, mais autonome. (M. le rapporteur se montre dubitatif.) Vous pouvez faire la moue, cher Christian Cambon, mais c’est tout de même plus autonome que le ministère lui-même ! Au moins, France Stratégie, c’est son boulot. En outre, comme il s’agit simplement, d’après ce que l’on nous a annoncé, d’une question administrative, de la mise à disposition d’un secrétariat, ce cadre sera pertinent.

Ensuite, le texte donne à la commission la mission d’évaluer la pertinence des politiques publiques. Mais au nom de quoi devrait-elle évaluer la pertinence de ces politiques, puisque le cadre est fixé dans la loi ? Nous proposons donc de supprimer ce terme.

Enfin, au travers d’un troisième amendement, nous proposons que les collectivités locales – cet amendement nous a été inspiré par des associations d’élus et le Sénat est tout de même la chambre des représentants des collectivités, que nous passons notre temps à convoquer dans nos débats – soient membres du collège des élus.

M. Philippe Grosvalet. Évidemment !

M. Rachid Temal. Le cadre ainsi constitué nous permettra d’avancer et permettra à la commission de fonctionner.

Je conclus en rappelant que la loi de 2021 était déjà quasiment dépassée à sa naissance, puisque deux exercices sur cinq étaient liquidés. Le Président de la République a changé à la fois le montant et les priorités de l’APD. Pour ma part, j’invite le Gouvernement à se concentrer sur un nouveau projet de loi. Ce soir, adoptons un texte amendé, amélioré ; ensuite, au mois de mai, la commission mixte paritaire adoptera un texte définitif, encore bonifié. Ensuite, travaillons à l’élaboration d’une nouvelle loi, car la loi actuelle est déjà dépassée et l’organisme principal, l’AFD, ne peut pas modifier les dispositifs qui s’appliquent à lui.

Nous souhaitons que notre débat de ce soir soit libre et éclairé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Ruelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Luc Ruelle. Madame le président, madame le ministre, mes chers collègues, au cœur de l’été 2021, le Parlement votait, à une rare unanimité des groupes politiques, la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Mes collègues l’ont rappelé, ce texte a rénové en profondeur le cadre de la politique française d’aide publique au développement, mais également sa philosophie. Il donnait pour objectif à l’État d’y consacrer 0,7 % du revenu national brut en 2025, part recommandée par les Nations unies, définissait les priorités sectorielles et géographiques, renforçait les partenariats avec dix-huit pays africains et Haïti et révisait le pilotage de l’aide au développement.

Pourtant, plus de deux ans après ce satisfecit général, il subsiste plusieurs ombres au tableau.

Première carence, qui était pourtant une mesure emblématique de la loi de 2021 : les conseils locaux de développement, institués au sein des ambassades pour produire des stratégies au plus près des réalités, souffrent de l’imprécision de la loi. Rien n’y est dit sur l’obligation de leurs réunions, la fréquence de celles-ci, ou encore l’invitation systématique de leurs membres ; je pense en particulier aux élus locaux et aux parlementaires concernés par les Français de l’étranger.

Si les conseils locaux se sont réunis régulièrement dans certains pays en présence des élus des Français de l’étranger, comme à Madagascar, aucun conseil ne s’est tenu dans certaines ambassades depuis la promulgation de la loi ; c’est le cas au Sénégal et au Bénin, qui sont pourtant des pays prioritaires de la politique française de développement. Dans d’autres postes diplomatiques, les conseillers des Français de l’étranger, qui doivent pourtant être associés à ces conseils, n’ont simplement pas été invités.

En tant que sénateur représentant les Français de l’étranger, mais surtout en tant que conseiller des Français de l’étranger pour la Côte d’Ivoire et le Liberia, je ne peux que regretter ces oublis fâcheux. Ce sont en effet les conseillers des Français de l’étranger qui connaissent le mieux les écosystèmes, les populations locales, leurs spécificités et leurs besoins ; leur expertise est un atout précieux, dont il faut se servir. On peut regretter qu’aucun texte réglementaire n’ait été publié pour organiser le fonctionnement de ces conseils locaux.

Deuxième carence, et non des moindres : la commission d’évaluation de l’aide publique au développement n’a pas été installée, faute de texte d’application qui concorde avec les objectifs fixés. Cette commission constitue pourtant un apport fondamental de la loi du 4 août 2021, ardemment souhaitée par les parlementaires et inspirée de l’Independent Commission for Aid Impact britannique créée voilà treize ans, qui est déjà mature et pleinement opérationnelle.

Il s’agit de mener de façon indépendante une évaluation concrète et non uniquement financière – ce serait trop réducteur – de l’efficience, de l’efficacité et de l’impact des projets et des programmes d’aide publique au développement auxquels la France participe. Il faut impérativement passer d’une évaluation comptable à une démarche fondée sur la performance, sur le pilotage par les résultats, en se demandant par exemple combien de kilomètres de route ont été construits, combien de malades du paludisme ont été soignés, combien de classes ont-elles été ouvertes, ou combien de filles et de femmes ont pu accéder à des protections hygiéniques. Voilà ce qui importe, voilà ce que nous devons mesurer !

Cette commission n’est donc en rien un énième comité Théodule, symptôme d’une pathologie française, symbole de l’impuissance du politique, mais un outil pertinent de pilotage et de contrôle d’une politique publique dont le budget, qui avoisine déjà 15 milliards d’euros, est appelé à croître au cours des prochaines années.

Sa mise en place est donc urgente et indispensable à la réalisation de nos ambitions. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à résorber les quelques blocages qui ont retardé sa création. L’inscription dans la loi de 2021 de son rattachement à la Cour des comptes, puis le décret du 6 mai 2022 relatif à ses modalités de fonctionnement, ont placé les magistrats financiers au cœur du dispositif. Cette centralité donnait automatiquement la prééminence à l’évaluation budgétaire et financière de l’APD, loin de l’esprit du législateur, qui souhaitait justement s’en départir.

Son placement auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, prévu par le texte, permet d’éviter ce glissement comptable.

Le texte précise également les missions assignées à la commission. Elle évalue les projets et programmes d’aide publique au développement, depuis leur conception jusqu’à leur mise en œuvre. Les résultats sont évalués du point de vue financier, mais aussi au regard des orientations de la France en matière de politique extérieure et de coopération et des intérêts de la France à l’étranger.

Ces clarifications me semblent de bon aloi, car elles placent l’aide publique au développement dans un cadre de réflexion stratégique plus global.

Cela étant, je souhaite porter à l’attention des futurs membres de la commission d’évaluation deux points qui me semblent d’importance.

Le premier point concerne le détournement des flux d’aide au développement. Ce phénomène, que beaucoup préfèrent minimiser, voire ignorer, existe bel et bien, même s’il est difficile à évaluer. La Banque mondiale s’y est essayée en 2020. En ce qui concerne les vingt-deux pays les plus dépendants de son aide, elle estime à au moins 5 % la part des flux détournés vers des paradis fiscaux. Ces fuites dans l’organisation de l’aide viennent renforcer des régimes corrompus ; la captation indue des richesses appauvrit encore davantage les populations et entrave le développement. Saluons au passage le système de contrôle des flux financiers mis en place par l’AFD en Côte d’Ivoire, dans le cadre du contrat de désendettement et de développement (C2D).

Le second point concerne l’Agence française de développement elle-même. Nous connaissons tous les débats sur la tutelle de l’AFD, je n’y reviendrai pas. Dans son discours de clôture des États généraux de la diplomatie, il y a un an, le président Macron rappelait que l’AFD est l’outil essentiel de la France en matière de gestion des fonds publics destinés à l’aide publique au développement. Il avait néanmoins souligné la nécessité, pour l’Agence, de travailler en synergie et en bonne intelligence avec le ministère des affaires étrangères et de l’Europe (MEAE) afin de déployer des partenariats stratégiques, venant ainsi appuyer les recommandations que la Cour des comptes avait formulées dans sa note d’analyse de février 2020.

Cette commission d’évaluation me semble être en droite ligne avec cet objectif. Elle encouragera en effet les relations entre l’AFD et le MEAE. Son rattachement au ministère s’impose logiquement.

La commission d’évaluation doit incarner tout ce qui précède.

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.

M. Jean-Luc Ruelle. Elle saura porter avec beaucoup de sérieux l’exigence nécessaire à ce travail. Nos quatre collègues députés et sénateurs veilleront au respect de l’esprit qui anime nos débats.

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, je souscris entièrement aux dispositions de cette proposition de loi, que je voterai sans réserve.

M. Christian Cambon, rapporteur. Merci !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous l’avez tous rappelé, cette proposition de loi précise et complète la loi du 4 août 2021, qui institue la commission d’évaluation de l’aide publique au développement.

Le texte précise que cette commission est chargée de l’élaboration d’un « cadre d’évaluation permettant de mesurer l’efficacité et l’impact de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ».

En 2022, la France a consacré à 15,2 milliards d’euros à l’aide publique au développement, faisant de notre pays le quatrième bailleur mondial en matière d’aide publique au développement.

Notre effort de solidarité se concentre sur les dix-neuf pays dits « prioritaires », une attention toute particulière étant portée à l’Afrique. En 2020, plus de 39 % de l’aide publique au développement bilatérale de la France, soit 3,6 milliards d’euros, étaient destinés à l’Afrique. Ces montants, très importants à l’échelle de nos finances publiques, justifient une plus grande clarté et plus de transparence sur l’aide publique au développement.

La création d’une commission d’évaluation spécifique répond parfaitement à cette demande, formulée par souci d’efficacité. En effet, la commission aura pour mission d’assurer la traçabilité et l’efficacité de notre aide publique au développement.

Je précise, comme certains d’entre vous l’ont fait avant moi, que cette évaluation ne se fera pas uniquement à l’aune de critères financiers. Très simplement, il ne s’agit pas de dire si l’argent public est bien dépensé ou non. Le travail de la commission prendra en compte un certain nombre de paramètres, comme le respect des dix objectifs fixés par le Conseil présidentiel du développement, qui s’est tenu l’année dernière.

Ce travail d’évaluation sera minutieux. Il s’agira de scruter l’avancée des projets d’aide publique au développement et de se poser des questions on ne peut plus concrètes. Les droits humains sont-ils bien protégés au Brésil ? L’accès à la santé a-t-il été dûment garanti au Liban ? Combien de femmes auront-elles bénéficié du plan de lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales au Sénégal ? Ces questions sont nombreuses.

Tous ces objectifs sont autant de défis ancrés dans le réel que nous entendons relever à travers le monde par le biais de notre politique de solidarité.

L’Agence française de développement est devenue une véritable plateforme pour le développement. Je tiens à cette occasion à saluer le travail formidable qu’elle réalise. Les femmes et les hommes qui travaillent à l’AFD contribuent à traduire en actions notre politique de développement dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’environnement, et dans bien d’autres encore.

La commission d’évaluation de l’aide publique au développement rendra justice à l’immense travail qui est mené. Elle permettra également aux grands acteurs du développement de renforcer leurs exigences, ce qui affinera davantage la qualité de leur activité.

La commission nous permettra aussi, à nous parlementaires, de prendre part à ce travail d’évaluation. La commission comprendra en effet deux sénateurs et deux députés. La présence de parlementaires dans cette instance sera, je l’espère, gage de la qualité du travail réalisé. Elle permettra de garantir une meilleure compréhension de l’aide publique au développement, laquelle sera travaillée dans des termes plus précis, notamment dans le cadre des discussions des projets de loi de finances.

Bien que les crédits alloués à l’aide publique au développement baissent cette année, afin de maintenir une trajectoire budgétaire maîtrisée, le Gouvernement prévoit de consacrer plus de 6,37 milliards d’euros en crédits de paiement à l’aide publique au développement dès le projet de loi de finances pour 2025.

Ce montant est à la hauteur de l’important travail que nous avons mené et il répondra aux exigences de celui qu’il reste à accomplir au cours des prochaines années.

Je souhaite porter un instant un regard plus large sur l’aide publique au développement, au-delà des projets élaborés et du travail mené depuis la France et sur le terrain par les acteurs du développement.

Je l’ai dit à cette tribune, lors de nos débats sur le projet de loi de finances pour 2024 : accompagner les pays les plus fragiles, c’est assurer notre propre sécurité.

Les ressources que nous allouons à notre politique de solidarité internationale ont un double effet. Elles servent à la fois un objectif de développement et un objectif de diplomatie. L’aide publique au développement permet le développement et l’entretien de relations bilatérales saines avec de nombreux pays. Quant à la qualité de ces relations, elle renforce la stabilité mondiale.

Malgré son importance capitale, notre politique de développement est mal connue du grand public. La commission d’évaluation garantira plus de visibilité à notre action. Cette commission est, somme toute, absolument nécessaire à la mise en œuvre et à la bonne compréhension de l’aide publique au développement.

Cependant, cette commission n’a toujours pas été instituée, trois ans après la promulgation de la loi de 2021, en raison de la confusion créée par le décret du 6 mai 2022 relatif à ses modalités de fonctionnement. Comme vous le savez, ce décret prévoit que sur les dix postes du collège d’experts indépendants, deux doivent être réservés à des magistrats de la Cour des comptes en activité, dont son Premier président.

Sachant que ce même décret prévoit que le président de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement est élu par et parmi ses membres, il devenait presque naturel que le Premier président de la Cour des comptes devienne ipso facto le président de la commission d’évaluation.

Ainsi, je suis d’accord avec la proposition de loi sur le point suivant : ce décret pousse la commission d’évaluation sur un chemin qui n’a pas été tracé par le législateur, lequel avait certes confié le rattachement et le secrétariat de cette instance à la Cour des comptes, mais n’avait en aucun cas prévu qu’elle y soit représentée. Le texte que nous examinons vient corriger la surinterprétation de la loi d’août 2021 induite par le décret du 6 mai 2022, surinterprétation reconnue par le Gouvernement.

Le texte vise également à mettre fin aux blocages et à dissiper définitivement toute confusion, en rattachant la commission au ministère des affaires étrangères. Pilote principal de notre politique nationale d’aide publique au développement, le ministère des affaires étrangères ne sera toutefois que le ministère de rattachement de la commission d’évaluation. Il n’exercera en aucun cas une tutelle sur celle-ci.

Bien au contraire, le ministère garantira l’indépendance de ses travaux. De plus, il gérera l’accueil et le secrétariat de la commission et veillera à ce qu’aucun de ses membres ne soit en situation de conflit d’intérêts.

Parce que cette commission d’évaluation est nécessaire à la conduite de notre politique d’aide au développement et qu’il est plus que temps qu’elle soit instituée, le groupe RDPI votera en majorité pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement  de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

(Non modifié)

L’article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) À la fin du premier alinéa, les mots : « de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « du ministère des affaires étrangères » ;

b) La première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée :

« Elle évalue, de leur élaboration à leur mise en œuvre, la pertinence des projets et programmes d’aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi et elle en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l’étranger de la France. » ;

2° À la fin du II, les mots : « Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « direction générale chargée du développement international du ministère des affaires étrangères » ;

3° À l’avant-dernier alinéa du III, les mots : « premier président de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « secrétariat général du ministère des affaires étrangères ».

Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Canévet, Delcros, Cambier, Bonneau, Henno, Bonnecarrère et Longeot, Mme N. Goulet, MM. Courtial, Mizzon et Menonville, Mmes Billon et Romagny, M. Folliot, Mmes Jacquemet, Havet et Gatel, MM. Parigi et Kern, Mmes O. Richard et Herzog et M. Bleunven, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est ainsi rédigé :

« Art. 12. - I. – Il est institué une commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Cette commission conduit des évaluations portant sur la politique de développement, notamment sur son efficacité et son impact. Elle contribue à la redevabilité de cette politique et à la transparence sur les résultats atteints ainsi qu’à l’information du public. Le secrétariat de la commission est assuré par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat.

« II. – La commission est constituée de quatre députés et de quatre sénateurs désignés par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères et des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat de manière à assurer une représentation pluraliste, et de quatre personnalités désignées en raison de leurs compétences en matière d’évaluation et de développement, nommées par les présidents de chaque assemblée à raison de deux membres chacun.

« III. – Les groupes d’amitié de l’Assemblée nationale et du Sénat contribuent aux travaux de la commission, en évaluant de manière annuelle la politique de développement de la France, notamment sur son efficacité et son impact, dans les pays qui les concernent.

« IV. – La commission arrête de manière indépendante son programme de travail. L’État et les autres personnes publiques conduisant des actions en faveur du développement sont tenus de répondre à ses demandes d’information et de lui apporter leur concours dans l’exercice de ses missions.

« V. – La commission remet au Parlement, une fois par an, un rapport faisant état de ses travaux, conclusions et recommandations. Elle peut être directement saisie de demandes d’évaluation par le Parlement. Elle lui adresse ses rapports d’évaluation.

« VI. – Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale est destinataire du rapport d’évaluation de la commission d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales et en tient compte dans l’élaboration des objectifs, orientations et moyens de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

« VII. – La commission coopère, si elle le juge utile, avec les institutions et organismes d’évaluation des pays bénéficiaires intervenant dans le domaine du développement. »

La parole est à M. Michel Canévet.

M. Michel Canévet. La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales avait institué une commission d’évaluation de l’aide publique au développement.

Le rôle du Parlement, d’après la Constitution, est entre autres d’assurer le contrôle de l’action du Gouvernement. Il est nécessaire que les actions de contrôle soient effectivement conduites par le Parlement, c’est-à-dire par l’Assemblée nationale et le Sénat.

J’avais déjà proposé, lors de l’examen du texte, ici, au Sénat, un amendement de la même nature, visant à préciser qu’il revenait aux parlementaires de se saisir du sujet. La majorité de mes collègues avait estimé qu’une commission formée autrement devait être créée. Deux ans et demi plus tard, voici le résultat : il ne s’est rigoureusement rien passé.

Nous devons remettre l’ouvrage sur le métier et revoir les choses. Tel est le sens du présent amendement, qui vise à confier à quatre députés, à quatre sénateurs et à quatre personnalités qualifiées, désignées par les présidents des deux assemblées, le contrôle réel de l’aide publique au développement, car et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de l’économie et des finances, tout comme l’AFD, disposent déjà, en leur sein, d’outils d’évaluation.

Confier au ministère de l’Europe et des affaires étrangères le soin de s’autoévaluer ne me paraît pas pertinent.

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’indique dès à présent que j’ai été saisie d’une demande de scrutin public sur cet amendement par le groupe Les Républicains. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal. Eh ben ! Ils ont peur ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Je remercie mon collègue Michel Canévet, qui fait preuve d’une grande imagination sur cet article. Cependant, sa proposition d’amendement me semble souffrir d’un certain nombre de difficultés pratiques.

La première difficulté tient au fait que l’évaluation de 15 ou 13 milliards d’euros – le montant dépend des enveloppes considérées – constitue un travail d’une telle ampleur qu’il me semble dépasser les moyens pratiques des huit personnes en question, qui par ailleurs sont appelés à d’autres tâches.

C’est la raison pour laquelle, cher collègue, nous avions distingué deux collèges, un collège d’experts et un collège de parlementaires : le collège d’experts était chargé d’expertiser les dossiers et de réaliser ce travail d’évaluation précis, puis venait l’estimation réalisée par le collège des parlementaires, qui ne peut intervenir que dans un second temps.

Par ailleurs, il conviendrait de ne pas retirer à nos deux commissions parlementaires, celle de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, les tâches qu’elles effectuent habituellement, y compris lors de l’examen du projet de budget. Le Parlement doit pouvoir garder un certain recul.

Enfin, un point m’a beaucoup intrigué dans cet amendement, à savoir l’intervention des groupes d’amitié. Je ne sache pas que, constitutionnellement, les groupes d’amitié aient le moindre pouvoir de contrôle. Leur rôle consiste à instaurer des relations amicales et non pas à évaluer les politiques à l’égard de tel ou tel pays.

Vous proposez une forme d’extension du droit parlementaire, une sorte de diverticule institutionnel, une création sui generis. Cet amendement ne correspond pas véritablement – en vérité, pas du tout – à l’esprit de la loi. Au contraire, nous sommes favorables à une commission d’évaluation qui donne aux parlementaires le rôle qui leur revient.

Je précise, à toutes fins utiles, que le seul cas dans lequel une telle organisation existe est celui de la délégation parlementaire au renseignement : le droit d’héberger un secrétariat trouve son origine dans une loi organique, ce qui, en l’espèce, n’est absolument pas le cas.

La commission émet donc un avis totalement défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. Je souscris parfaitement aux propos de monsieur le rapporteur. Pour les nombreuses raisons qu’il a exposées, il ne semble pas judicieux de faire de cette instance une instance strictement parlementaire.

Je ne me fais que le porte-parole de ceux qui ont voté cette loi en 2021, mais je rappellerai que l’intention première du législateur était de disposer d’une commission composée à la fois de parlementaires et de personnalités qualifiées, en fonction des ministères chargés de la mise en œuvre de l’aide publique au développement.

L’amendement que vous proposez me semble aller à rebours de l’esprit de la loi de 2021. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Non seulement le groupe Les Républicains nous empêche d’avoir un véritable débat, mais il bloque les votes, de peur de perdre des voix ! C’est assez surprenant, et je le regrette.

Monsieur le rapporteur, l’amendement tend bien à prévoir que des personnalités qualifiées seront membres de la commission. Je ne vois pas quel est le problème ! Le dispositif proposé est exactement le même que celui que prévoit le texte. Simplement, la commission sera rattachée au Parlement. Elle sera ainsi plus indépendante – c’est ce que vous souhaitez, monsieur le rapporteur – pour évaluer l’aide publique au développement.

Nous ne sommes en rien à rebours de l’esprit du législateur, madame la ministre, au contraire ! Nous allons jusqu’au bout de cette nouvelle logique : pas de rattachement à la Cour des comptes et respect de l’indépendance.

Enfin, les parlementaires sauront travailler efficacement, comme au sein de toute autre délégation, ni plus ni moins. Monsieur le rapporteur, la solution que vous proposez implique bien que des salariés entourent les élus et travaillent avec eux. Je ne vois pas quel est le problème ! Vous souhaitez simplement empêcher tout débat, pour obtenir un vote conforme.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. Je suis très étonné par les propos de M. le rapporteur. Si j’ai bien compris, le Parlement devrait non pas se saisir du contrôle et de l’évaluation des politiques gouvernementales, mais plutôt les déléguer à d’autres. Or telle est la mission confiée au Parlement par la Constitution ! Il doit l’assumer. Le contraire serait étonnant. Irions-nous nous dessaisir de nos prérogatives ?

Cela ne signifie pas non plus que les commissions compétentes – commission des finances et commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – n’ont pas de rôle à jouer. Au contraire, il faut qu’elles continuent à œuvrer en ce sens.

Grâce aux groupes d’amitié, nous disposons d’une expertise qui nous permet de bien connaître les pays. Il s’agit non pas de confier aux groupes d’amitié le soin de mener cette évaluation, mais de s’appuyer sur l’expertise qu’ils apportent au Sénat.

Soyons clairs, ce contrôle revient bien au Parlement. Le confier au ministère de l’Europe et des affaires étrangères ne me semble pas aller dans le bon sens, d’autant plus que ce ne sont pas les parlementaires qui vont effectuer l’ensemble du travail. La commission définira des orientations de travail, pour cibler les contrôles ; par ailleurs, des crédits sont prévus pour qu’elle puisse faire appel, éventuellement, à des organismes indépendants et à des experts, afin d’enrichir le travail des parlementaires.

Nous demandons aux parlementaires non pas de tout faire, mais, au contraire, d’orienter les actions d’évaluation. Nous jouons pleinement notre rôle. Cet amendement est donc parfaitement logique : il vise à permettre au Parlement d’effectuer la mission qui lui a été confiée par la Constitution.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 165 :

Nombre de votants 286
Nombre de suffrages exprimés 285
Pour l’adoption 114
Contre 171

Le Sénat n’a pas adopté.

Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

du ministère des affaires étrangères

par les mots :

de France stratégie

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Je poursuis dans le droit fil de mon intervention précédente.

J’ai compris que M. le rapporteur souhaitait que la commission d’évaluation soit la plus autonome possible.

Plutôt qu’une autoévaluation effectuée par le ministère lui-même, et parce que le rattachement au Premier ministre constitue un gage de confiance, nous proposons que France Stratégie, organisme autonome rattaché au Premier ministre, puisse accueillir administrativement la commission d’évaluation.

La commission pourra, avec les moyens nécessaires, identiques à ceux de la commission qui pourrait être rattachée demain au ministère des affaires étrangères, effectuer ses opérations d’évaluation.

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 6

Après le mot :

ministère

insérer les mots :

de l’Europe et

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. L’objet de cet amendement est simple. La proposition de loi ne mentionne pas le nom exact et complet du ministère, qui est : « ministère de l’Europe et des affaires étrangères ».

Nous préférons que le texte, qui pâtit de beaucoup de maladresses et d’amateurisme, soit propre. Nous souhaitons l’améliorer et éviter de nouvelles erreurs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Je déplore une forme de confusion. Prétendre que le ministère des affaires étrangères est le contrôleur et le contrôlé est un non-sens, une grave erreur et une offense faite à ce ministère tout à fait honorable.

Nous savons très bien, cher Rachid Temal, que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères veut au contraire renforcer son contrôle sur l’AFD, qui est le bras séculier de l’aide publique au développement, beaucoup plus que sur ses crédits propres.

Pour préserver son indépendance, vous voulez rattacher la commission d’évaluation à France Stratégie, organisme placé sous l’autorité du Premier ministre, comme Mme la ministre voudra bien le confirmer. J’ai entendu M. Temal dire que le Cicid avait pris quelques libertés avec le Parlement ; or, qui préside le Cicid ? Le Premier ministre !

M. Rachid Temal. Ça n’a rien à voir !

M. Christian Cambon, rapporteur. En d’autres termes, confier cette mission d’évaluation aux services du Premier ministre, qui par ailleurs dirige la politique d’aide publique au développement, en prenant parfois quelque peu ses distances avec les orientations définies par le Parlement, est une très mauvaise stratégie. (M. Rachid Temal désapprouve.)

La domiciliation de la commission d’évaluation auprès de France Stratégie ne correspond en rien à l’intention du législateur en 2021.

La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 1.

J’en viens au second amendement. Nous pourrions vous présenter dix, quinze ou vingt projets de loi dans lesquels l’intitulé du ministère, qui change souvent d’appellation, il faut le reconnaître, est peu précis. De telles erreurs sont généralement rectifiées par décret. Cet amendement ne me semble pas justifié.

J’émets donc également un avis défavorable sur l’amendement n° 2.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. L’enjeu est de savoir si, placée sous la tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, la commission d’évaluation serait totalement indépendante.

Le texte propose simplement un hébergement ; l’indépendance de la commission est de fait garantie puisque, dans cette opération, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères n’aura qu’un rôle de secrétariat administratif.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, puisque vous avez vous-même rappelé que vous aviez été l’un des rapporteurs de la loi du 4 août 2021, je me permets de vous rappeler son article 12, que vous avez donc contribué à rédiger.

Cet article prévoit explicitement que la commission est composée d’un collège de parlementaires – j’imagine que personne ne doute de leur indépendance – et d’un « collège d’experts indépendants composé de dix personnalités qualifiées ».

J’ai entendu les arguments que vous aviez avancés, mais la loi indique très précisément que les experts membres de cette commission, qu’il s’agisse des parlementaires ou des personnalités qualifiées, sont tous profondément indépendants.

L’avis du Gouvernement sur ces deux amendements est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Madame la ministre, j’ai en effet contribué à l’élaboration du texte que vous évoquez. Toutefois, j’en fais une lecture différente : c’est vous – le Gouvernement – qui n’avez pas su mettre en application, depuis 2021, la loi votée par le Parlement à la quasi-unanimité. N’inversez pas la charge de la preuve : les parlementaires n’y sont pour rien.

Cher Christian Cambon, on nous dit que le ministère ne fera qu’héberger la commission et que cela ne posera aucun problème. Dès lors, pourquoi cela en poserait-il que la commission soit hébergée par France Stratégie ? Il y a là un réel souci de cohérence, car la question de l’hébergement se pose dans les mêmes termes dans les deux cas.

Personne ne croira que cette commission, qui ne sera pas indépendante, contrairement à ce qui est indiqué, puisse à la fois évaluer les projets du ministère et ceux, pour un montant de 15 milliards d’euros, de l’AFD, dont l’autorité de tutelle est ce même ministère ? C’est une fable !

Nous assistons à l’enterrement de première classe de cette commission d’évaluation et à une tentative de bâillonnement du Parlement afin d’obtenir un vote conforme. Mais lorsque nous nous reverrons pour évoquer les travaux de cette structure, il y a fort à parier qu’ils seront assez mauvais. Ça ne marchera pas !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

la pertinence des

par le mot :

les

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Le texte évoque la « pertinence » des évaluations, ce qui revient à dénaturer le rôle de la commission d’évaluation en ce qu’il induit un jugement en « pertinence » et non plus sur le fondement des seules actions menées.

M. le rapporteur m’opposera sans doute que je n’ai pas lu la phrase concernée jusqu’au bout. Or j’ai beau la relire dans tous les sens, si j’en ôte le terme « pertinence », elle n’a plus du tout le même sens : c’est bien qu’il y a une différence.

Non seulement on veut mettre le Parlement de côté, mais on veut également que cette commission soit juge de la pertinence des projets. Or je peux vous assurer, madame la ministre – vous avez rappelé que j’ai été corapporteur du texte en 2021 –, que ce mot ne figurait pas dans le texte initial, car nous ne voulions justement pas d’un tel jugement. Nous voulions simplement que l’évaluation soit effectuée conformément à la loi et vérifier la mise en œuvre des projets, principalement ceux de l’AFD, sur le terrain.

En jugeant de la pertinence des projets, cette commission ne ferait plus d’évaluation : elle prendrait politiquement la main sur l’aide publique au développement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Ce terme a donné lieu à de nombreuses exégèses en commission.

Permettez-moi, cher Rachid Temal, d’en revenir au texte pour permettre à ceux de nos collègues qui n’ont pas participé à nos travaux d’en juger par eux-mêmes : « Elle évalue, de leur élaboration à leur mise en œuvre, la pertinence des projets et programmes d’aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi et elle en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l’étranger de la France. »

Ce terme, certes assez large, doit permettre de vérifier que les projets sont bien en ligne avec les objectifs de la loi du 4 août 2021 et les ambitions de l’aide publique au développement que nous déterminons chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances. Il permet également d’éviter que la commission se borne à n’être qu’une instance de contrôle des fonds publics, ce que nous avons voulu justement éviter en écartant de sa composition les magistrats de la Cour des comptes. C’est en effet à cette dernière seulement qu’est dévolu le contrôle financier.

Nous souhaitons que la commission soit une instance d’évaluation au regard des objectifs de la politique d’aide au développement, que nous avons l’occasion de préciser lors des débats d’orientation ou des débats budgétaires.

Pour toutes ces raisons, la commission souhaite conserver la rédaction retenue et émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. L’examen de la pertinence des projets se fait au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi. Il est donc bien ici question d’évaluer les projets et les programmes et non de contrôler l’usage des fonds.

Monsieur le sénateur, vous avez participé, en tant que parlementaire, à la revue de l’aide publique au développement de l’OCDE. Vous savez donc que l’analyse de la pertinence est l’un des six grands critères définis par le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE pour l’évaluation de l’aide internationale, aux côtés de la cohérence, de l’efficacité, de l’efficience, de l’impact et de la viabilité. Ces critères sont des standards internationaux pour l’évaluation des politiques de développement.

Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. En effet, madame la ministre, j’ai participé à ces travaux à la demande du Gouvernement.

Je reprends les termes de la phrase qui nous intéresse ici : « elle évalue […] la pertinence des projets et programmes d’aide ». Sans le mot « pertinence », cette phrase n’a pas le même sens. Vous pouvez prétendre le contraire, mais il y a bien une réelle différence. J’y insiste, vous dénaturez le rôle de cette commission.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Le cinquième alinéa du III est ainsi rédigé : « La fonction de président de la commission est assurée alternativement, pour deux ans, par un député et un sénateur. » ;

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Pour renforcer l’indépendance de la commission d’évaluation que recherche le rapporteur, nous proposons qu’elle soit présidée par un parlementaire, en alternance tous les deux ans entre députés et sénateurs, à l’instar de ce qui se pratique déjà dans un certain nombre d’organismes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Rien dans la rédaction du texte n’empêche l’élection d’un parlementaire à la présidence de la commission d’évaluation.

Cela étant, voilà une situation que je déconseille formellement. Dans notre esprit, et c’est l’un des éléments que nous souhaitons introduire dans le décret d’application, il faut un président à temps plein pour examiner 15 milliards d’euros de crédits. Je mets au défi n’importe quel parlementaire d’y consacrer la totalité de son temps, à moins de prendre des dispositions drastiques, y compris dans son propre département.

Michel Boutant et Yannick Vaugrenard, à qui je rends hommage, ont effectué un travail considérable au sein de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et y ont consacré une grande part de leur mandat. La présidence de la commission d’évaluation, c’est dix fois plus de travail !

Plutôt qu’à un parlementaire, veillons à confier la présidence de cette structure à une personnalité qualifiée à même d’y consacrer l’intégralité de son temps. Nous veillerons à ce que cela soit précisé dans le décret.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. Le mode de désignation du président de la commission d’évaluation est l’enjeu même de cette proposition de loi.

Le décret précisera l’organisation de la commission et singulièrement les modalités de l’élection de son président. Comme l’a souligné le rapporteur lors de la discussion générale, les parlementaires sont d’ores et déjà associés à la rédaction dudit décret, afin d’éviter ce qui s’est passé lors de la promulgation de la loi du 4 août 2021 et de parvenir au juste équilibre.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Madame la ministre, merci d’annoncer que les parlementaires sont associés à la rédaction du décret ; toutefois, sauf erreur de ma part, seul le rapporteur semble l’être… Notre groupe demande donc officiellement à y être associé.

Par ailleurs, permettez-moi de poser une question de droit : la loi n’envisageant pour le président ni rémunération, ni salariat, ni dédommagement, comment pourrez-vous le prévoir par décret ? Vous avez quatre heures ! (Sourires.)

S’il est possible d’inscrire cet élément dans le décret sans passer par la loi, j’aimerais savoir sur quel fondement avant de procéder au vote.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. Rachid Temal. J’aurais aimé que l’on me réponde !

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° À l’avant-dernier alinéa du III, les mots : « au premier président de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Les personnalités qualifiées ne peuvent plus remettre leur déclaration d’intérêts au Premier président de la Cour des comptes. Pour autant, nous ne pouvons accepter que ces déclarations soient remises au ministère, alors qu’il existe une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui fait référence en la matière.

Encore une fois, il s’agit d’une question de cohérence et d’indépendance. Aux termes du texte, un expert venant d’être nommé – reste encore à savoir par qui… – devrait ensuite remettre sa déclaration au ministère qu’il est chargé de contrôler. En termes d’indépendance et de liberté d’action, c’est un peu léger…

On m’opposera que les déclarations d’experts et de parlementaires, ce n’est pas la même chose. Toujours est-il que nous proposons de muscler le dispositif en faisant de la HATVP le récipiendaire des déclarations d’intérêts.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. L’article L. 122-2 du code général de la fonction publique prévoit que les agents publics nommés dans un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient déposent une déclaration d’intérêts auprès de leur autorité de rattachement.

Par ailleurs, l’article L. 122-4 du même code prévoit : « Lorsque l’autorité hiérarchique ne s’estime pas en mesure d’apprécier si l’agent public se trouve en situation de conflit d’intérêts, elle transmet la déclaration d’intérêts de l’intéressé à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. »

Par ailleurs, je précise, comme Rachid Temal vient de l’évoquer, que la commission est composée de deux collèges et que seul le collège d’experts est visé, puisque le collège de parlementaires est évidemment soumis à l’avis de la Haute Autorité, bien connue de chacune et de chacun d’entre nous.

En outre, l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique comporte une liste exhaustive des personnes qui doivent remettre directement une déclaration d’intérêts à la Haute Autorité. Or celle-ci ne mentionne pas les experts dont il est ici question. Y figurent, je le rappelle, des responsables publics de haut niveau, les membres des grandes autorités administratives, les parlementaires, bien évidemment, en raison des pouvoirs de sanction importants dont ils sont dotés et qui confèrent une importance particulière à leur déclaration d’intérêts.

Il n’y a donc pas lieu, en l’espèce, de tordre le cou au droit de la fonction publique. Des fonctionnaires ont tout à fait l’habitude de déposer une déclaration d’intérêts dans leur administration d’origine. S’il y a un doute, la HATVP peut être saisie, mais uniquement dans ce cas.

L’amendement n° 6 ne se justifiant pas, la commission y est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. J’émets, pour les mêmes raisons que M. le rapporteur, un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. Encore une fois, monsieur le rapporteur, vos propos m’étonnent vraiment beaucoup. Si je vous ai bien écouté, les experts appelés à être nommés dans cette commission sont tous des fonctionnaires, qui devront donc rendre compte à leur ministère de tutelle. Je n’en reviens pas ! (M. Rachid Temal approuve.) Autrement dit, la commission d’évaluation n’aura aucune indépendance. Mais où voulez-vous donc nous emmener ? Il y a un problème quelque part !

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. J’ai noté que M. le rapporteur s’était appuyé sur une fiche juridique pour répondre à la question que j’ai posée sur l’instauration d’une rémunération sans aucune base légale. Pour autant, je n’ai toujours pas obtenu de réponse. Ce point posera inévitablement problème, mais nous en reparlerons en temps voulu.

J’évoquerai moi aussi, après mon collègue, la question du rattachement des fonctionnaires. Madame la ministre, puisque vous aimez à rappeler que j’ai été corapporteur de la loi de 2021, je vous rétorquerai, pour le coup, que notre demande, à l’époque, était de recourir à des experts internationaux, et non à des fonctionnaires français. Votre histoire ne tient donc pas debout : c’est de la poudre de Perlimpinpin !

Soit il s’agit bien de fonctionnaires, auquel cas, je le redis, ils devront porter un jugement sur l’autorité de tutelle qui les rémunère, et c’en sera fini de leur indépendance ; soit il s’agit d’experts internationaux, comme cela était initialement prévu, et toute cette histoire ne tient plus.

Nous sommes ici au cœur du problème : depuis le début de nos échanges, vous nous expliquez qu’il y a des réponses à tout, mais elles vont toujours dans le même sens, mais pas dans celui de l’indépendance.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Cambon, rapporteur. J’apporterai un élément de précision. Certains ont peut-être mal compris, mais le collège d’experts de la commission d’évaluation ne sera évidemment pas constitué uniquement de fonctionnaires.

M. Christian Cambon, rapporteur. Cependant, le même droit s’applique à tous, aux experts privés comme aux fonctionnaires.

En effet, dès lors qu’ils seront nommés au sein de cette commission, leur administration de rattachement sera le ministère des affaires étrangères, auprès duquel ils devront déposer leurs déclarations d’intérêts, qu’ils soient issus, je le répète, du secteur privé ou fonctionnaires.

M. Rachid Temal. Mais non, ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte !

M. Christian Cambon, rapporteur. C’est une règle constante en droit.

M. Christian Cambon, rapporteur. Nous avons vérifié ce point, y compris lors des auditions.

M. Rachid Temal. Démontrez-le-nous !

M. Christian Cambon, rapporteur. Il n’y a pas que des experts fonctionnaires dans les commissions d’expertise de l’État. Des personnalités privées y siègent également et elles ont l’obligation de déposer une déclaration d’intérêts auprès de l’administration à laquelle elles sont rattachées.

Je le répète, c’est un principe parfaitement clair et constant dans le droit administratif français. (M. Rachid Temal exprime un doute.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par M. Temal, Mmes G. Jourda, Conway-Mouret et Carlotti, MM. M. Vallet, Darras, P. Joly, Marie, Vayssouze-Faure et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

…° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :

« …. La commission coopère avec les collectivités territoriales, les organisations non gouvernementales, les universités, les centres de recherche et les groupes de réflexion ayant une expertise en matière d’évaluation de l’aide publique au développement. »

La parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Monsieur le rapporteur, je tiens à le souligner une fois de plus, l’argumentaire que vous nous avez lu ne concernait que les fonctionnaires. Contrairement à ce que vous affirmez, la situation n’est pas la même pour les experts issus du secteur privé et pour les fonctionnaires.

Le texte que nous nous apprêtons à adopter comporte donc deux problèmes juridiques majeurs.

M. Christian Cambon, rapporteur. Non !

M. Rachid Temal. Par cet amendement, nous proposons notamment d’ajouter, dans la composition du collège des élus, les collectivités territoriales, qui participent d’ailleurs très largement au financement de l’aide publique au développement.

Je sais que le Sénat, notamment la majorité sénatoriale, est très attaché à ce que les collectivités soient toujours mentionnées et associées. Cet amendement s’inspire d’ailleurs des réflexions de l’Assemblée des départements de France, de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et de Régions de France.

Encore une fois, je ne vois pas par quel tour de passe-passe il serait possible d’introduire la disposition que nous proposons par décret, plutôt que dans la loi. Il arrive un moment où il faut trancher.

Nous vous demandons tout simplement si, oui ou non, la proposition de loi comportera une référence à la possibilité d’intégrer ces collectivités au collège des élus. Ne nous expliquez pas que tout sera fait par décret, car cela ne fonctionnera pas. Il y a un trop grand écart entre la loi et les décrets.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Il est bien évidemment hors de question de se priver de l’avis des collectivités territoriales, comme cela a été souligné dans de nombreuses interventions. Pour autant, il ne me semble pas nécessaire de les mentionner dans la loi, car il faut au contraire, pour renforcer le travail de la commission d’évaluation, que le champ des experts soit le plus ouvert possible.

Je pense, par exemple, à la suggestion de notre collègue Jean-Luc Ruelle concernant les conseils locaux du développement, institués auprès de chaque ambassade dans le cadre de la loi de programmation de 2021. Pourquoi n’inscririons-nous pas non plus ces organismes très importants dans le texte ?

M. Rachid Temal. Allons-y !

M. Christian Cambon, rapporteur. En effet, leur rôle auprès de chaque ambassadeur est précisément de veiller à la mise en œuvre de l’aide au développement.

La présente proposition de loi n’a pas vocation à énumérer la totalité des organismes, bien au contraire. Il faut se laisser la liberté, y compris par le décret et même par la pratique, cher collègue, de faire appel à toutes les expertises, même celles qui ne sont pas citées dans la loi. Si l’on commence à préciser les ONG, lesquelles faut-il inclure ? Celles qui sont basées en France ou à l’étranger ? Et quel échelon de collectivités locales faudrait-il mentionner ?

Il convient plutôt d’ouvrir le jeu afin que toutes les expertises puissent être sollicitées par le collège d’experts et la commission d’évaluation.

J’insiste, monsieur Temal, sur cet exemple très concret des conseils locaux du développement, car ces institutions très importantes, instaurées par la loi dont vous avez été corapporteur, pourraient également être consultées le moment venu.

M. Rachid Temal. Cela n’a rien à voir !

M. Christian Cambon, rapporteur. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement, dont l’adoption aurait pour effet d’affaiblir le pouvoir de la future commission d’évaluation. (M. Rachid Temal rit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. La composition de la commission d’évaluation permet d’ores et déjà d’assurer le lien avec les différents volets des investissements solidaires et durables. Par ailleurs, les membres de cette commission sont désignés pour leur expertise et leur diversité.

Outre les échanges conduits dans le cadre des travaux de la commission, à l’évidence, la possibilité donnée aux différentes autorités de tutelle de nommer un membre en son sein traduit la volonté du législateur et du Gouvernement d’avoir une commission aussi diverse et représentative que possible. Le monde universitaire, par exemple, sera associé grâce à la désignation d’une personnalité qualifiée issue du ministère chargé de la recherche.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, je vous rappelle, mais j’imagine que vous le savez, que deux instances de concertation avec les élus locaux et la société civile existent déjà : la Commission nationale de la coopération décentralisée et le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale, au sein desquels les parlementaires sont représentés. Les travaux de ces instances pourront naturellement être mis à la disposition de la commission d’évaluation, qui aura sans doute elle-même la possibilité d’auditionner leurs membres. Les outils et les leviers sont donc en place pour garantir un champ de travail le plus large possible.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Heureusement qu’il s’agit du dernier amendement, car le débat devient très compliqué ! Je sais bien que je suis d’une intelligence lente et clairsemée, mais tout de même…

Madame la ministre, vous évoquez la représentation d’un certain nombre d’organismes dans une commission de coordination. C’est très bien, je m’en félicite, mais nous parlons ici d’évaluation.

Vous ne pouvez pas passer votre temps à tout mélanger, à faire comme s’il fallait que l’on devine où est la boule rouge – un coup, ici, un coup, là : arrêtez ce mistigri ! Soit nous parlons d’évaluation, et c’est l’objet de notre discussion de ce soir, soit nous parlons d’autre chose. Je le répète, madame la ministre : vous faites le choix de refuser la représentation des collectivités au sein de la commission d’évaluation.

Quant à vous, monsieur le rapporteur, vous nous dites qu’il ne faut pas trop allonger la liste des membres de la commission. Soit, je veux bien l’entendre. Mais nous-mêmes avons fait le choix de citer systématiquement dans la loi les personnalités appelées à siéger dans tel ou tel organisme. En quoi serait-ce aujourd’hui un problème d’ajouter un alinéa au texte pour inscrire les collectivités dans la loi ? Alors même que vous affirmez qu’elles seront représentées, vous refusez de les mentionner, au motif qu’il faudrait inclure tout le monde, selon la logique « pourquoi l’un et pas l’autre ? » : mais très bien, allons-y !

Pourquoi ne pas dire clairement que vous ne souhaitez pas modifier la proposition de loi et que les collectivités vont passer à l’as, même si c’est regrettable. Dites-le ! Notre discussion devient assez ubuesque !

Voilà ce que je voulais dire, même si je sais que le texte sera adopté conforme. Nous verrons bien dans quelque temps ce que fera cette commission d’évaluation.

M. Christian Cambon, rapporteur. Il n’a jamais été question de se priver des collectivités territoriales !

M. Rachid Temal. Elles ne sont pas incluses dans le texte !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article unique (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement  de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Alors que l’aide publique au développement représente plus de 15 milliards d’euros par an, le Sénat décide d’accepter, sans l’amender, le texte proposé par M. Bourlanges, lequel se livre, car c’est bien de cela qu’il s’agit, à un duel fratricide et public avec M. Moscovici. Ceux-là mêmes qui sont toujours prêts à nous donner des leçons de bonne gestion, en l’espèce, pour 15 milliards d’euros, passent leur tour : pas d’évaluation ; refus de toute navette. Tout cela est assez surprenant !

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera donc à cette proposition de loi. Pour avoir été corapporteur du projet de loi de programmation en 2021, je mesure à quel point les dispositions qui vont être adoptées ce soir dénaturent totalement la commission d’évaluation. Plus encore, elles mettent un terme à toute velléité d’évaluation, puisqu’il n’y aura pas de pilotage politique de l’aide publique au développement. Il est maintenant urgent de passer à autre chose.

Je ne suis toutefois pas certain que le texte puisse aller au bout du processus, car il subsistera de véritables soucis juridiques, que nous avons soulevés. Je le répète une fois de plus : pas d’indépendance, pas de transparence et pas de travail avec l’ensemble des composantes du Parlement, puisque nous avons découvert ce soir qu’une réflexion avait été engagée avec un certain nombre de sénateurs, sans associer les autres forces politiques, au-delà de la majorité sénatoriale.

M. Mickaël Vallet. C’est scandaleux !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021.

Je rappelle que le vote sur cet article vaudra explication de vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 166 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l’adoption 273
Contre 65

Le Sénat a adopté définitivement.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement  de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021
 

13

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Le vote du groupe Union Centriste a fait l’objet d’un « cyber défaut » lors du scrutin n° 165.

Sur ce scrutin, MM. Michel Canévet, Bernard Delcros, Guislain Cambier, François Bonneau, Olivier Henno, Philippe Bonnecarrère et Jean-François Longeot, Mme Nathalie Goulet, MM. Édouard Courtial, Jean-Marie Mizzon et Franck Menonville, Mmes Annick Billon, Anne-Sophie Romagny, Annick Jacquemet et Françoise Gatel, M. Claude Kern, Mmes Olivia Richard et Christine Herzog, ainsi que M. Yves Bleunven souhaitaient voter pour.

Les autres sénateurs du groupe qui ont été déclarés comme ne prenant pas part au vote souhaitaient s’abstenir, à l’exception de Mme Sylvie Vermeillet, puisque, madame la présidente, vous présidiez la séance.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

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Dossier législatif : proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels
Discussion générale (suite)

Saisie et confiscation des avoirs criminels

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (proposition n° 169, texte de la commission n° 446 rectifié, rapport n° 445).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir de nouveau réaffirmer ma volonté de frapper toujours plus fort les délinquants au portefeuille.

La proposition de loi que nous examinons ce soir vise à renforcer nos capacités de saisies et de confiscations. Son objectif est clair : nul ne doit tirer profit de son crime. Je la soutiens donc avec force.

Nous avons déjà renforcé notre arsenal avec la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, dite loi Warsmann.

Avec cette loi, l’approche judiciaire a été rénovée. Les enquêtes ont connu une nouvelle dynamique. Les investigations ont dépassé le simple recueil de preuves de la commission d’une infraction ; elles sont devenues patrimoniales.

Forte de ces investigations portant sur la composition du patrimoine des délinquants, notre action judiciaire a été renforcée.

D’une part, les possibilités de saisies, au stade de l’enquête, ont été étendues à tous les biens « confiscables » afin que les juridictions de jugements puissent in fine confisquer l’ensemble des avoirs criminels.

D’autre part, l’État s’est doté, pour la première fois, d’un dispositif permettant de gérer les biens saisis et confisqués.

L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) a ainsi été créée. Cette agence est devenue le bras armé de l’État pour aller chercher réparation auprès des délinquants en les tapant directement au portefeuille. Ce bras armé, intégré à un nouvel arsenal, s’est révélé d’une efficacité redoutable. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Le montant des saisies n’a cessé d’augmenter depuis la création de l’Agrasc. En 2011, il s’est élevé à 109 millions d’euros, puis, douze ans plus tard, en 2023, à 1,44 milliard d’euros, soit une multiplication par dix !

Vous le savez, l’augmentation des saisies et des confiscations constitue un axe fort de ma politique pénale. J’ai demandé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République de conduire une politique pénale volontariste en favorisant la saisie et la confiscation des avoirs criminels. La mobilisation de mon ministère n’a jamais fléchi !

La confiscation des fonds, des comptes bancaires, des meubles et des biens immeubles des auteurs d’infractions a atteint des chiffres records.

Chaque année, les policiers, les gendarmes, les douaniers, les procureurs de la République, les juges d’instruction et les juges des libertés et de la détention font preuve d’un engagement sans faille. Ils s’emparent plus fortement de cet outil précieux de lutte contre le crime. La confiscation du patrimoine des criminels est, en effet, un levier incontestable de la répression. Là encore, les chiffres relatifs aux confiscations sont éloquents.

En 2020, le montant des confiscations prononcées par les juridictions pénales s’élevait à 86 millions d’euros. En 2023, il atteignait 175,5 millions d’euros, soit une hausse de 105 % !

Pour intensifier cette politique pénale hautement stratégique, j’ai renforcé les capacités d’action de l’Agrasc. Désormais, l’Agence rayonne sur l’ensemble du territoire national, au plus proche des juridictions. Huit antennes régionales ont ainsi été créées : à Marseille, à Lyon, à Lille, à Rennes, à Bordeaux, à Nancy, à Fort-de-France et à Paris.

L’efficacité de l’Agence et le soutien qu’elle apporte aux juridictions ont ainsi été redoublés. Au plus près des enquêteurs et des magistrats, l’Agrasc leur dispense des conseils et les oriente. Les scellés sont mieux gérés et l’exécution des décisions de confiscation a gagné en efficacité. Surtout, nous avons considérablement renforcé les moyens humains de l’Agrasc.

Vous le savez, ma politique au ministère de la justice est constante : si on veut des résultats, il faut y mettre les moyens ; et quand on a mis des moyens, il nous faut des résultats !

C’est pourquoi les effectifs de l’Agrasc sont passés de quarante-cinq agents en 2020 à plus de quatre-vingt-cinq en 2023, soit une multiplication par deux.

Si la confiscation des avoirs criminels est l’une des armes de la répression, elle est également un levier efficace d’indemnisation et de réparation.

Je veux ainsi souligner que désormais les biens immobiliers confisqués peuvent connaître une réaffectation sociale pour que puissent être développés des programmes d’intérêt public.

Grâce à la loi du 8 avril 2021 rapportée au Sénat par votre collègue Alain Marc, des associations, des fondations ou des foncières solidaires, peuvent se voir attribuer des immeubles confisqués aux délinquants par nos juridictions pénales.

Il y a un an, à Coudekerque-Branche, j’ai remis les clés du premier immeuble saisi par la justice à l’association Habitat et Humanisme.

Permettez-moi de vous dire que, à mon sens, cette pratique incarne l’idée même de justice. Ce dispositif a été pensé dans une logique réparatrice, au service des victimes et des plus démunis. C’est par ce type d’actions fermes, efficaces, mais surtout justes, que nous retisserons le lien de confiance entre l’institution judiciaire et nos concitoyens.

Nous avons ainsi basculé dans une autre dimension, inspirée par les dispositions italiennes antimafia, qui nous permet de nous inscrire au plus proche des besoins des communes, au bénéfice direct de nos concitoyens.

Trois immeubles ont ainsi été affectés socialement en 2022 : une villa confisquée par le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre a été remise à une association chargée de prévenir la récidive en matière de violences conjugales ; l’immeuble confisqué par le tribunal correctionnel de Dunkerque, que j’évoquais précédemment, a été remis à une association pour y réaliser des logements sociaux ; un logement, confisqué par le tribunal correctionnel de Montpellier, a été réaffecté pour accueillir des réfugiés ukrainiens.

Enfin, un autre progrès permettant la restitution des biens mal acquis aux populations spoliées a été consacré par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Désormais, le produit des biens confisqués dans le cadre des affaires dites de « biens mal acquis » par des dirigeants étrangers peut être affecté au financement de l’action de coopération et de développement, au profit des populations des pays concernés.

Nous partageons tous le même constat : l’objectif des délinquants et des criminels ne repose pas sur des valeurs humanistes ; il est d’engranger du profit.

Nous avons mis en place un cercle vertueux et les avancées sont incontestables, mais il nous faut encore aller plus loin et frapper plus vite, frapper plus fort le patrimoine des criminels et des délinquants. Car après une décennie de progrès, certaines lacunes ont été identifiées, qu’il convient de combler.

Plusieurs recommandations du rapport de MM. Warsmann et Saint-Martin de 2019 ont d’ores et déjà été mises en œuvre. Mais pour que le crime ne profite plus, il nous faut encore renforcer notre législation afin de consolider les actions judiciaires.

Tel est l’objet de cette proposition de loi : il nous faut combler certaines failles, il nous faut parfaire un édifice, même s’il repose déjà sur des fondements solides.

Il nous faut pouvoir saisir plus et confisquer mieux les produits des crimes, les profits générés par les délinquants. Je sais que cet objectif nous rassemble. À cet égard, les dispositions de la proposition de loi qui tendent à faciliter notamment les ventes avant jugement sont les bienvenues.

Je veux d’ailleurs saluer les travaux de la commission, qui ont permis de préciser certaines dispositions et d’améliorer l’efficacité de l’arsenal proposé.

L’article 1er prévoit d’accélérer la vente des biens saisis avant jugement en allégeant les modalités des voies de recours. La commission des lois et votre rapporteure, dont je veux ici saluer le travail, a étendu cette procédure simplifiée de recours à l’ensemble des saisies, ainsi qu’aux décisions de non-restitution des biens. Elle a prévu, en outre, que la vente avant jugement des biens saisis pourra intervenir plus largement, notamment lorsqu’il s’agit de biens dont la valeur se déprécie rapidement ou qui engendrent des frais d’entretien trop importants.

L’affectation sociale des biens immobiliers saisis a été étendue au profit notamment des services judiciaires et des services chargés de missions de police judiciaire.

La procédure de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été enrichie. La possibilité de contraindre les personnes morales à se dessaisir des biens saisis au profit de l’État est ainsi prévue.

Enfin, les juridictions de jugement n’auront plus l’obligation de motiver la peine de confiscation en valeur du produit ou de l’objet de l’infraction.

La proposition de loi a été enrichie à l’issue notamment des travaux de la commission des lois de votre assemblée. Elle permettra de frapper mieux et plus vite les délinquants au portefeuille.

L’article 2 a un objectif clair : améliorer l’indemnisation des victimes. Pour cela, les parties civiles pourront désormais obtenir le paiement de leurs dommages et intérêts non seulement sur les biens confisqués définitivement, mais également sur les biens dévolus à l’État et ceux ayant fait l’objet d’une décision de non-restitution.

Votre commission des lois a également prévu de permettre aux officiers de police judiciaire de procéder à une saisie élargie des patrimoines.

Le régime prévu apporte à notre dispositif de saisie une souplesse indispensable, qui visera également les sommes versées sur les comptes de paiement des néobanques.

L’article 3 vise à renforcer l’efficacité des saisies en ne permettant plus que des proches du délinquant ou du criminel continuent de profiter des biens qui auraient été saisis par la justice.

Enfin, l’article 4 prévoit d’élargir le mécanisme de restitution des biens mal acquis, notamment aux sommes saisies et confisquées sur les comptes bancaires. Un cap a été franchi ces dernières années, les résultats des saisies et des confiscations sont inédits. La proposition de loi permettra d’amplifier notre stratégie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’engagement du Gouvernement, et du ministère de la justice en particulier, pour lutter contre la délinquance et la criminalité est total. Il est temps ce soir d’aller plus loin pour que le crime ne paie pas, pour que le crime ne paie plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur les travées du groupe RDSE. – MM. Olivier Cadic et Ian Brossat applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte, vous l’aurez compris en écoutant M. le garde des sceaux, est quelque peu technique, voire aride, mais son intitulé révèle à quel point il est important puisqu’il concerne la saisie et la confiscation des avoirs criminels.

En d’autres termes, il s’agit d’appréhender le patrimoine des délinquants, illustrant ainsi le fait que le crime ne paie pas. C’est évidemment un sujet majeur dans la lutte contre la délinquance et la criminalité, car il existe un certain nombre d’infractions – ce n’est pas le cas de toutes – pour lesquelles l’appât part du gain est la principale motivation.

Au cours de nos auditions, nous avons pu constater que le risque d’emprisonnement est tout à fait assumé chez certains délinquants dans la mesure où il est contrebalancé par l’assurance d’un gain financier, même si les années d’emprisonnement mettent de la distance entre les délinquants et la possibilité d’en bénéficier. Il est donc important de pouvoir saisir ces gains.

Déjà, en 2010, notre collègue député Jean-Luc Warsmann s’était intéressé à cette question et une proposition de loi avait été votée, mettant en place l’architecture générale de l’appréhension du patrimoine des délinquants.

En 2019, le Premier ministre de l’époque avait confié à MM. Warsmann et Saint-Martin une évaluation de l’application du texte. Dans le rapport qu’ils ont rendu en 2019, ils ont formulé trente-sept propositions, toutes n’étant pas de niveau législatif. Nous voici donc réunis aujourd’hui pour examiner la déclinaison législative de quelques-unes d’entre elles.

La procédure de saisie et de confiscation des avoirs criminels commence durant l’enquête ou l’instruction. Sous l’égide du procureur ou du juge d’instruction, les services d’enquête et les services judiciaires saisissent une partie au moins du patrimoine des délinquants. Il s’agit généralement de l’instrument, de l’objet ou du produit de l’infraction, mais il peut également s’agir d’un patrimoine un peu plus large.

Se pose ensuite la question de ce qui sera fait de ce patrimoine, car il a parfois besoin d’être valorisé. L’exemple souvent cité est celui des véhicules saisis et conservés pendant la durée de l’enquête et qui se déprécient au fur et à mesure des années alors même que les frais de gardiennage augmentent.

Il est donc essentiel d’engager une véritable gestion dynamique des biens afin que la confiscation présente un intérêt à la fois pour l’État et pour la personne faisant l’objet d’une enquête. Dans l’hypothèse où cette dernière ne serait pas condamnée et où son bien ne serait pas confisqué, il faut valoriser le plus rapidement possible le bien saisi afin de pouvoir lui restituer le produit d’une éventuelle vente.

C’est à ce stade de la procédure qu’entre en jeu l’organisme créé par la loi 2010, l’Agrasc, chargée de la dynamisation des biens saisis.

À la toute fin de cette procédure sera prononcée ou non une décision de confiscation. C’est ainsi que ce patrimoine sera appréhendé et valorisé au profit de la collectivité.

L’enjeu est donc que les services, notamment d’enquête, ainsi que les magistrats s’emparent de cette possibilité de saisie pour confisquer les biens. Or, aujourd’hui, seulement 30 % des biens saisis sont confisqués. Il existe donc une marge de manœuvre pour améliorer l’utilisation de cette procédure d’appréhension du patrimoine des délinquants afin de sanctionner certains comportements.

L’autre enjeu, vous l’aurez compris, c’est la fluidité de la chaîne entre la saisie et la confiscation pour que le patrimoine soit valorisé au mieux.

M. le garde des sceaux l’a rappelé, de grands progrès ont été réalisés, notamment à la suite du rapport de MM. Warsmann et Saint-Martin, puisque l’Agrasc a été déclinée en antennes territoriales, ce qui a considérablement accru ses résultats. Les liens entre les services d’enquête et les magistrats ont été beaucoup resserrés et le travail d’appréhension du patrimoine des délinquants rendu ainsi beaucoup plus efficace.

Néanmoins, des progrès sont encore possibles. Ce texte en est la démonstration. L’Assemblée nationale, le Sénat dans toutes ses composantes et le Gouvernement sont tous animés du même souhait d’améliorer cette procédure, même s’il existe entre nous des divergences, comme nous aurons l’occasion de le constater au cours de la discussion, notamment d’ordre technique. Je propose de découvrir les différentes pistes possibles lors de l’examen des amendements pour ne pas nous attarder ce soir sur des détails, ce qui serait long et fastidieux.

Nous découvrirons aussi à cette occasion quel est le nouveau dispositif proposé pour les biens mal acquis, autre versant quelque peu différent de cette appréhension du patrimoine des délinquants.

Ces améliorations législatives sont nécessaires, mais elles ne remplaceront pas un certain nombre d’éléments qui ne sont pas de niveau législatif et relèvent à mon avis davantage de l’action du Gouvernement. Je pense à la poursuite de la formation des services d’enquête et des magistrats, qui n’ont pas nécessairement le réflexe de la saisie et de la confiscation. Peut-être faudrait-il aussi poursuivre l’augmentation des personnels déjà mise en œuvre, ce qui serait bienvenu dans un certain nombre de juridictions.

Par ailleurs, mais nous n’avons pas beaucoup d’influence sur cet aspect-là des choses, il est extrêmement important que le système numérique permette le suivi des avoirs, de la saisie jusqu’à la confiscation. C’est sans doute ce que permettra – nous l’espérons – la procédure pénale numérique appelée se mettre en œuvre, car c’est aussi à ce prix que nous arriverons à mieux appréhender le patrimoine des délinquants.

Tels sont donc, en quelques mots, les enjeux du texte dont nous discuterons non pas ce soir, mais probablement demain, à l’occasion de l’examen des amendements. L’objectif sera d’améliorer le fonctionnement de la procédure actuelle d’appréhension du patrimoine au profit de la collectivité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – M. Louis Vogel applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est minuit passé, je vous propose d’ouvrir la nuit afin d’achever la discussion générale.

Il n’y a pas d’objection ?…

Il en est ainsi décidé.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le crime ne paie pas, ou en tout cas ne devrait pas payer. Le constat est simple d’ailleurs : les délinquants, quels qu’ils soient – délinquance en col blanc, financière, liée au narcotrafic ou autre –, détestent être frappés au portefeuille.

« Pour être véritablement dissuasive, toute sanction pénale doit pouvoir s’accompagner de la privation des délinquants des profits qu’ils ont pu tirer de l’infraction. » C’est par ces mots que le député Warsmann a introduit l’exposé des motifs de la proposition de loi qui allait permettre la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.

La confiscation est une peine complémentaire de plein droit pour les infractions punies d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, à l’exception des délits de presse, et peut porter sur l’ensemble des biens ayant un lien avec un crime ou un délit, qu’ils aient servi à commettre l’infraction ou qu’ils en soient le produit direct ou indirect.

Alors qu’une commission d’enquête sénatoriale travaille actuellement sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, il est à noter que cette proposition de loi fait suite à un rapport consacré à la lutte contre les trafiquants de drogue de 2004.

Nous nous retrouvons donc à légiférer sur ce sujet important sans attendre les conclusions des travaux de la commission d’enquête, ce qui est plus que dommage à moins d’un mois de la remise de ses recommandations.

Pour autant, les enjeux de cette proposition de loi et les pistes proposées nous paraissent très intéressants.

Mme la rapporteure nous le rappelait : les avoirs criminels ne sont pas systématiquement identifiés. De plus, environ 30 % seulement des biens saisis finissent par être effectivement confisqués par une juridiction de jugement.

Néanmoins, en France, la saisie d’avoirs criminels est en forte progression : en 2011, 109 millions d’euros étaient saisis, contre 771 millions d’euros – dont 27 millions à Marseille – dix ans plus tard, en 2022, soit sept fois plus.

L’Agrasc est un succès, il faut s’en féliciter et remercier l’ensemble de ses agents pour leur travail, qui redonne aux yeux des victimes du sens à la sanction.

Des marges réelles de progression existent quand on sait que l’Office anti-stupéfiants (Ofast) estime a minima à plus de 3 milliards d’euros – on est peut-être plus proche des 5 ou 6 milliards d’euros – le chiffre d’affaires annuel du trafic de drogues en France.

L’Agrasc peut ainsi procéder à la saisie, mais aussi à la vente des biens, ce qui a un effet important. « On vend le bling-bling des voyous », comme l’indiquait Audrey Jouaneton, magistrat coordonnateur des antennes de Marseille et Lyon pour l’Agrasc, à La Provence. « L’argent bien mal acquis […] va enrichir l’État. C’est un juste retour des choses. »

À Marseille, il y a un an, une maison ayant appartenu à des narcotrafiquants définitivement condamnés a fait partie des premiers biens immobiliers saisis par la justice en France et a été confiée à une œuvre sociale.

Nous saluons donc les apports de la proposition de loi.

Le texte permet également d’ajouter les collectivités territoriales à la liste des personnes morales pouvant se voir confier les biens confisqués.

De même, nous saluons la disposition introduite en commission, qui étend la liste des bénéficiaires de ces biens aux services d’enquête, aux services judiciaires, à l’Office français de la biodiversité (OFB) ou à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).

Je me suis déjà opposé ici même à des mesures qui, sous couvert de pragmatisme et de rapidité, revenaient dans les faits à priver les justiciables de leur droit de contestation. J’adhère donc volontiers à la solution proposée à l’article 1er, car elle vise à répondre concrètement aux difficultés d’audiencement devant la chambre de l’instruction.

La contestation des décisions de saisie représente actuellement 40 % du contentieux dans certaines chambres de l’instruction. L’article 1er permet ainsi d’alléger le contentieux tout en autorisant les contestations auprès du premier président de la cour d’appel.

Dans cette même veine, nous accueillons favorablement les précisions apportées en commission à l’article 3 afin de simplifier les procédures qui enrayent parfois la machine sans pour autant obérer les droits du justiciable.

Notre groupe fera des propositions sur ce texte. L’une, en particulier, qui a été travaillée avec Transparency International, porte sur l’extension du champ d’application du texte à l’entourage familial des agents publics étrangers afin de cibler au mieux la problématique des biens mal acquis.

En plus de ces propositions, nous nous associerons aux améliorations, en particulier celles qui concernent les modalités d’attribution des biens confisqués.

Chers collègues, ce texte est une avancée qu’il nous plaît de saluer dans cet hémicycle : au-delà du tout prison, il consolide les autres moyens de sanctionner de manière efficace et différente. C’est pourquoi le groupe GEST le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la saisie et la confiscation ont longtemps joué un rôle secondaire au regard des peines principales que sont l’emprisonnement et l’amende.

Cette peine accessoire s’est cependant progressivement installée comme instrument répressif en Europe depuis le milieu des années 1980.

En Italie d’abord a été votée en 1982 la loi Pio La Torre, du nom du célèbre député communiste sicilien qui paiera de sa vie la lutte contre la mafia et laissera en héritage le premier dispositif de confiscation obligatoire des biens criminels.

En France, il faudra attendre 2010 et la loi défendue par le député Jean-Luc Warsmann pour que soient mis en place les outils permettant la confiscation des avoirs criminels par les juges, notamment l’Agrasc. Cette nouvelle politique publique de confiscation a été ensuite facilitée par plusieurs évolutions législatives.

En 2018, un amendement soutenu par Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis et adopté à l’Assemblée nationale lors de l’examen de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Élan), a permis la confiscation des biens des marchands de sommeil.

Puis, en 2021, deux textes sont venus compléter cet arsenal, en facilitant la saisie et l’affectation sociale des biens immobiliers confisqués et en instituant un mécanisme de restitution des biens mal-acquis via l’aide au développement.

Ainsi, depuis quatorze ans, la confiscation des avoirs criminels s’est développée en France et a permis de frapper les acteurs de la criminalité organisée beaucoup plus durement que par des peines d’emprisonnement.

On peut se satisfaire grandement de l’ensemble de ces dispositions et de la première décennie d’existence de l’Agrasc, mais plusieurs axes d’améliorations demeurent.

Certaines activités criminelles continuent à rapporter gros. Je pense, par exemple, au trafic d’armes, à la cybercriminalité, à la criminalité environnementale, mais aussi au trafic de drogue.

À cet égard, le directeur général de la police nationale indiquait lors de son audition par la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic que celui-ci générerait des gains d’environ 3 milliards d’euros annuels dans notre pays. L’essentiel de l’énergie des pouvoirs publics doit être utilisé pour s’attaquer à ce pactole. En effet, ces activités ont des effets désastreux. Les règlements de compte laissent de trop nombreuses familles endeuillées.

Des milliers de policiers et de magistrats mobilisés luttent quotidiennement contre ces trafics. Nous devons les accompagner.

C’est pourquoi, mon collègue Jérémy Bacchi et moi-même avons déposé un amendement transpartisan, cosigné par des sénateurs de quatre groupes de notre assemblée. Il vise à instaurer, pour les personnes condamnées à plus de cinq ans d’emprisonnement, l’automaticité des saisies et confiscations de biens pour le patrimoine dont l’origine ne peut être justifiée.

Actuellement, le membre condamné d’un réseau criminel a la possibilité de conserver ses biens dès lors que les juges n’ont pu prouver que ceux-ci sont le produit de l’infraction.

Autant dire que le crime paie encore et que les sanctions existantes ne sont pas assez dissuasives. Si les délinquants représentent parfois un modèle pour des jeunes, c’est aussi parce que leur enrichissement n’est pas assez remis en cause.

À cet égard, malgré une progression fulgurante des confiscations, nous demeurons loin des résultats atteints par l’Italie, ce pays ayant confisqué pour plus de 11 milliards d’euros de biens à la mafia au cours des vingt dernières années et généralisé leur usage social.

En 2019, 947 biens criminels y ont été mis au service de l’économie sociale et solidaire, par l’intermédiaire de 505 associations ou organismes d’HLM, de 26 fondations, de 27 écoles, de 16 associations sportives ou encore de 5 organismes de formation professionnelle.

Il faut nous inspirer de ce qui est au cœur du modèle italien : mettre les biens criminels au service de l’intérêt général, c’est rendre aux citoyens les fruits du crime organisé et démontrer que les systèmes mafieux ne l’emportent pas sur la défense du bien commun. C’est ainsi que nous réparerons nos territoires des dommages commis par le crime.

Enfin, le plein succès de ce nouvel arsenal ne sera atteint que lorsque l’ensemble des acteurs de la justice auront eux-mêmes pleinement intégré une peine de confiscation, devenue le pivot de la lutte contre les phénomènes criminels organisés, et qu’ils auront renouvelé leur approche de la sanction pénale en ce domaine.

Aujourd’hui, de nombreuses juridictions n’ont pas recours aux pratiques de confiscation, car celles-ci sont chronophages et requièrent une certaine technicité. Nous devons donc les accompagner.

Vous l’aurez compris : nous sommes de ceux qui croient que ce qui fait l’efficacité de la peine et la rend dissuasive est non pas sa sévérité, mais sa certitude.

C’est pourquoi nous voterons avec enthousiasme ce texte et nous proposerons une série d’amendements travaillés avec des magistrats et des associations afin de l’améliorer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons en cette heure tardive un texte relativement technique. Pourtant, sa visée est simple et de bon sens. Je pourrais la résumer ainsi : nemo ex delicto consequatur emolumentum. Pour ceux qui n’ont pas leur Gaffiot à portée de main, je me permets de traduire – mais ceux qui ont écouté le garde des sceaux ont déjà la « réf » : nul ne doit tirer profit de son délit, ou, plus simplement, le crime ne saurait payer.

Pour y parvenir, il revient notamment au législateur de rendre plus efficace l’application des mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

En 2010, il y a presque quinze ans, la loi Warsmann avait marqué un tournant dans le domaine de la saisie criminelle. Notre pays s’était doté d’un dispositif normatif important en matière de saisie et de confiscation des avoirs criminels, offrant de larges possibilités opérationnelles et permettant de prononcer des sanctions patrimoniales significatives.

Comme souvent, lorsque le législateur introduit de nouvelles mesures, il est bon d’y revenir quelques années plus tard afin d’ajuster et de renforcer certaines d’entre elles ou, au contraire, d’abandonner celles qui ne fonctionnent pas.

En 2019, les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont rendu un rapport intitulé Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, dans lequel ils faisaient un bilan éclairant de cette procédure.

Je salue leur travail, car le domaine abordé n’est pas à la portée de chacun et il est impératif que nos réflexions et nos prises de position s’élaborent en en ayant une connaissance suffisante. Je le souligne d’autant plus que nous regrettons souvent l’absence d’étude d’impact ou de bilan chiffré lorsque nous examinons une proposition de loi. Le président Gérard Larcher a d’ailleurs évoqué ce problème dans son allocution d’ouverture de la septième édition de la Journée des entreprises, qui a eu lieu jeudi dernier entre nos murs.

Nos collègues députés ont fait un constat qu’ils ont qualifié de « paradoxal » : si la politique actuelle d’identification, de saisie et de confiscation des avoirs criminels s’appuie sur un cadre législatif abouti, celui-ci demeure insuffisamment utilisé.

Ce qui a été institué en 2010 est performant, mais il n’est pas encore un réflexe pour les acteurs judiciaires, qui n’y recourent que dans des domaines trop spécifiques.

Les parquets constatent que les saisies sont largement circonscrites à la délinquance et à la criminalité organisées, qui se révèlent, plus que d’autres, génératrices de profits pour leurs auteurs. En revanche, dans la délinquance dite de moyenne intensité, il est à déplorer que le dispositif législatif, pourtant largement applicable, demeure trop rarement utilisé.

Si le cadre législatif est performant, il existe donc une marge de progrès pour que le recours à ces mécanismes de saisie et de confiscation cesse d’être perçu comme juridiquement complexe et chronophage.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est vrai !

Mme Nathalie Delattre. Le texte que nous examinons aujourd’hui reprend plusieurs de leurs propositions, que notre rapporteure, Muriel Jourda, a pris le temps de nous énumérer. Ses travaux, dans le cadre de la commission des lois, ont été très précieux pour nous aider à bien cerner l’intérêt et la portée de ces différentes dispositions.

Nous saluons naturellement l’ensemble des avancées de nature à faciliter l’action des enquêteurs, des magistrats et de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Qu’il s’agisse de rendre systématique la notification à l’Agrasc de toutes les saisies effectuées et de toutes les décisions de confiscation prises par les juridictions de jugement ou encore d’étendre la compétence de cette agence aux biens non restitués, ces mesures vont dans le bon sens et contribueront à renforcer l’efficacité générale du dispositif de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

Nous saluons également les dispositions de l’article 3, ainsi que les améliorations apportées par notre rapporteure. Je pense notamment à la confiscation systématique et de plein droit des biens lorsqu’ils « ont servi à commettre l’infraction, ou étaient destinés à la commettre ou sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction ».

Je me réjouis de l’adoption d’un amendement que j’avais déposé en commission et qui tend à prévoir l’affectation des biens immobiliers saisis et confisqués aux services d’enquête, aux services judiciaires, à l’Office français de la biodiversité ou à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.

Nous ferons de nouveau des propositions par le biais d’autres amendements afin de contribuer à l’amélioration de ce texte.

Il n’en demeure pas moins que ces dispositions participent à la réaffirmation du pacte républicain en renforçant la réponse pénale et l’action judiciaire. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la semaine dernière, j’intervenais à cette même tribune dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.

L’objectif de ce texte était de faire en sorte que se vérifie, même en matière matrimoniale, le principe selon lequel le crime ne paie pas. En matière pénale, ce principe revêt une importance d’autant plus capitale qu’il conditionne à la fois la crédibilité et l’efficacité de la réponse pénale. Selon l’ancien principe de droit romain, nul ne doit tirer profit de son délit.

Aussi, les dispositifs de saisie et de confiscation qui permettent d’appréhender les biens issus ou en lien avec des activités délictuelles sont des leviers puissants de lutte contre la délinquance et la criminalité organisée. Il apparaît en effet que les acteurs craignent davantage qu’on s’en prenne à leur portefeuille qu’à leur liberté.

C’est tout le sens de la proposition de loi que nous examinons, qui vise précisément à améliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

Je salue le travail important de son auteur, le député Jean-Luc Warsmann, ainsi que son engagement remarquable sur ce sujet, puisque c’est à lui que l’on doit la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

C’est en effet en grande partie sur ce texte que repose notre système actuel de saisie et de confiscation, notamment la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui joue un rôle essentiel en assurant la gestion des biens concernés.

Ce système, tout comme la philosophie qu’il sous-tend, se révèle d’une efficacité redoutable, puisque le nombre et le montant des saisies et des confiscations réalisées sont en constante augmentation.

Ainsi, en 2023, le montant des saisies réalisées dépassait les 1,4 milliard d’euros, soit une augmentation de 87 % par rapport à l’année 2022, tandis que le montant des confiscations atteignait les quelque 175,5 millions d’euros.

Si ces résultats sont encourageants, d’importantes marges de progression subsistent. On estime, par exemple, que seuls 30 % des biens saisis finissent par être effectivement confisqués. Aussi faut-il se donner les moyens de frapper encore plus fort le patrimoine des délinquants, afin de les priver du fruit de leurs infractions.

À cette fin, le texte met en œuvre certaines des recommandations d’ordre législatif formulées par la mission d’évaluation conduite en 2019 par les députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin.

Certaines de ces recommandations ont en effet déjà été satisfaites, telles que la possibilité de réaffecter les biens confisqués ou la prise en compte des tiers dans la procédure de confiscation.

Concrètement, la proposition de loi que nous examinons s’organise autour de trois axes : l’amélioration du fonctionnement de l’Agrasc, l’élargissement des possibilités d’affectation des biens saisis et confisqués, et l’aménagement de la procédure pénale applicable aux saisies et aux confiscations.

L’apport majeur de la proposition de loi réside plus particulièrement dans la création, à l’article 3, d’une nouvelle confiscation obligatoire. Les juges auront désormais l’obligation de confisquer les biens qui sont l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction.

Composé initialement de trois articles, le texte a substantiellement été enrichi à l’Assemblée nationale.

Par exemple, la notification à l’Agrasc de toutes les saisies effectuées et de toutes les décisions de confiscation prises par les juridictions de jugement a été rendue systématique. Il s’agissait de pallier, à juste titre, l’absence d’information dont souffre l’Agrasc, qui engendre in fine d’importants frais de gestion.

Par ailleurs, un amendement du Gouvernement a ajouté les collectivités territoriales à la liste des personnes morales pouvant bénéficier du dispositif d’affectation sociale des immeubles confisqués. Je pense que cette mesure méritait d’être soulignée au Sénat, qui est la maison des collectivités.

La commission des lois de notre assemblée a salué un ensemble de mesures pragmatiques, qui visent essentiellement à faciliter le travail des enquêteurs et à renforcer l’efficacité des mécanismes de saisie et de confiscation, en conformité avec les besoins exprimés par les intervenants.

Je salue à cet égard l’esprit constructif et l’ouverture dont a fait preuve tout au long de l’examen du texte en commission la rapporteure Muriel Jourda. Son travail a permis d’aboutir à certaines modifications visant à faciliter l’appropriation par les acteurs des nouveaux outils créés par le texte.

Il en va ainsi des précisions apportées concernant la confiscation obligatoire figurant à l’article 3. Au terme de son examen en commission, celle-ci emporte désormais l’absence d’obligation de motivation, ce qui est cohérent avec l’objectif poursuivi de plus grande efficacité du dispositif.

En outre, alors que ce même article précise que la confiscation constitue un titre d’expulsion, un amendement adopté à l’Assemblée nationale a étendu la portée de cette expulsion, non seulement à la personne condamnée, mais aussi à tout occupant de son chef.

La rapporteure a apporté à ce dispositif une précision de bon sens, en prévoyant que la procédure d’expulsion, prévue à l’article 3, ne puisse pas viser des locataires légitimes, de bonne foi, étrangers aux agissements du condamné.

En visant à permettre aux mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels, véritables instruments de politique publique, d’atteindre leur plein potentiel, ce texte témoigne d’une forte volonté de renforcer l’efficacité de notre justice et sa réponse pénale.

Cet objectif doit nous rassembler tant il transcende les clivages politiques. Aussi, le groupe RDPI votera ce texte et restera attentif durant les débats à toute proposition contribuant à renforcer l’efficacité de l’action pénale. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le 8 novembre 2023, le Sénat a créé une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Cette commission temporaire rendra ses travaux début mai, et je ne dévoilerai rien ici des conclusions qui en seront faites par son rapporteur, notre collègue Étienne Blanc.

Néanmoins, en tant que président de cette commission d’enquête, je peux évoquer plusieurs moments marquants des dizaines d’auditions que nous avons menées sans risquer de déflorer nos travaux. L’un d’entre eux me permet d’aborder la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels qui nous est aujourd’hui soumise.

Plusieurs témoignages livrés devant notre commission d’enquête sont allés en effet dans le même sens : la prison ne constitue plus une menace suffisante pour bon nombre de criminels liés au narcotrafic. « Le seul moment où on les voit pleurer, c’est quand on saisit leur appartement, leur compte en banque ou leur voiture ! ».

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Et voilà !

M. Jérôme Durain. Cette phrase revient souvent chez les policiers, les gendarmes, les douaniers ou les magistrats rencontrés.

D’ailleurs, plusieurs médias ont rendu compte, après l’opération « place nette XXL » menée à Marseille, de commentaires bravaches de dealers depuis leur cellule. Ces épisodes ont marqué l’opinion : les dealers continuaient de se moquer de la société et de gérer leurs affaires depuis la prison.

Rassurons-les, il existe des moyens de leur faire mal. Il s’agit de les frapper au portefeuille, car si la détention est parfois perçue comme une période de formation continue durant laquelle les affaires continuent de prospérer, les saisies et confiscations représentent une véritable remise en cause de la pyramide des valeurs sur lequel repose le monde des narcos.

En vérité, cette indifférence supposée à l’égard de la détention – car je veux croire qu’il y a aussi une part de mise en scène dans cette fierté déplacée – n’est pas le fait du seul monde des narcos. J’en veux pour preuve plusieurs scènes d’une série inspirée par une enquête de Fabrice Arfi, Dargent et de sang, qui évoque l’arnaque du siècle, la fraude à la TVA sur les quotas de carbone. Pour ne pas divulgâcher l’essentiel de l’intrigue, je me contenterai de dire que les personnages de ce psychodrame semblent n’avoir pas beaucoup de craintes quant au fait d’être incarcérés : ce qui les inquiète au premier chef, c’est de perdre le fruit de leur illégal labeur.

C’est tout l’enjeu du texte examiné aujourd’hui : il s’agit d’éviter que « le crime paie », pour reprendre un titre célèbre du rap français.

En la matière, notre pays ne part pas de rien. En 2023, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués a revendiqué un montant de saisies réalisées en hausse, dépassant 1,4 milliard d’euros, ce qui représente une augmentation de 87 % par rapport à l’année précédente. Le montant des confiscations a également augmenté, pour atteindre 175,5 millions d’euros en 2023. Mais on a parfois l’impression que, au jeu du chat et de la souris, cette dernière conserve en permanence un train d’avance : l’Office anti-stupéfiants estimait ainsi à plus de 3 milliards d’euros le chiffre d’affaires annuel du trafic de drogues en France.

Le texte que nous examinons prévoit quelques mesures techniques qui permettront sans aucun doute de lever certaines réticences ou craintes chez les magistrats. Mais le nerf de la guerre se situe aussi ailleurs : en ce qui concerne les axes d’amélioration des saisies, un consensus a émergé pendant les auditions de la rapporteure Muriel Jourda sur la nécessité d’une meilleure identification des avoirs criminels.

Ce week-end, M. Darmanin a annoncé que le Gouvernement entend « désormais » adopter un fonctionnement différent et donc plus efficace. Il prévoit ainsi de commencer par judiciariser les personnes avant de les interpeller. Cela signifie-t-il que c’est la réforme de la police judiciaire, dont peu de commentateurs envisagent que ses moyens soient renforcés, qui permettra cet état de fait ? Le « désormais » de M. Darmanin vise-t-il les opérations « place nette » ? La vérité, chers collègues, est sans doute ailleurs. Le rapport de M. Blanc au mois de mai nous permettra sans aucun doute de dégager quelques pistes.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Quel suspense !

M. Jérôme Durain. Quoi qu’il en soit, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aborde l’examen de ce texte dans un état d’esprit positif. Nous avons repris des amendements proposés par Transparency International et Crim’Halt, parce qu’il nous semble normal d’entendre aussi les propositions de la société civile en matière de lutte contre le crime organisé.

À cet égard, je signale notre amendement visant à rendre obligatoire la confiscation de biens en cas de délit ou de crime puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Plusieurs groupes l’ont repris et nous avons hâte d’entendre l’avis de la commission et du Gouvernement sur cet amendement, qui vise à accroître les possibilités de frapper les criminels au portefeuille. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la France s’est montrée pionnière dans la législation anti-blanchiment, dès les années 1990, en affirmant que la confiscation des avoirs criminels était un objectif de politique publique.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de cette législation novatrice. Elle nous permet de réaffirmer que, sous aucun prétexte, le crime ne doit payer. Issue de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi s’ajoute à la liste des nombreuses initiatives menées sur ce sujet par les députés Warsmann et Saint-Martin, dont nous tenons à saluer la rigueur et la précision du travail.

Mes chers collègues, il est tout bonnement insupportable de constater que seuls 30 % des biens saisis finissent par être effectivement confisqués par une juridiction de jugement, à cause de difficultés persistantes à identifier, de manière systématique, les avoirs criminels. Je rappelle que le chiffre d’affaires annuel du trafic de drogues en France est estimé à 3 milliards d’euros.

Si la grande majorité des dispositions de ce texte peuvent apparaître, de prime abord, comme de nature essentiellement technique, elles répondent en réalité à des impératifs simples et indispensables. Le produit du crime doit in fine profiter à la collectivité et être mis au service de l’intérêt général.

L’examen de ce texte est l’occasion de rendre hommage à l’action quotidienne et déterminée des enquêteurs de la police et de la gendarmerie nationales, des services des douanes, des magistrats, et bien sûr de l’Agrasc.

Pour l’année 2023, le montant des saisies réalisées dépasse 1,4 milliard d’euros ! Cette somme, loin d’être négligeable, est d’une importance majeure, au regard de l’état particulièrement dégradé de nos finances publiques…

Nous espérons que l’adoption de ce texte permettra de faire des progrès le plus rapidement possible. Ainsi, la mise en place d’une confiscation de droit de certains biens saisis, prévue par l’article 3, devrait produire des effets tangibles.

Par ailleurs, nous souscrivons pleinement à la modification apportée par la commission à l’article 1er bis C visant à recentrer la notification à l’Agrasc des décisions de saisie et de confiscation sur celles qui entrent dans le périmètre de ses compétences. Nous éviterions ainsi que cette agence se trouve noyée sous une masse de décisions qu’elle ne pourra ni exploiter ni conserver et qui n’auront pas d’intérêt opérationnel.

Il en est de même de l’extension aux CJIP en matière environnementale de la possibilité, prévue dans le texte pour les CJIP classiques, d’obliger la personne morale mise en cause à se défaire de tout ou partie des biens saisis pendant la procédure.

Sur proposition de la rapporteure, nous permettrons également aux officiers de police judiciaire de procéder, sur autorisation d’un magistrat, à certaines saisies spéciales nouvelles.

Notre lutte contre la délinquance, et singulièrement contre la criminalité organisée, ne doit pas faiblir. Il faut frapper au portefeuille les délinquants, pour qui les gains rapides et faciles sont encore trop attractifs.

Aussi, le groupe Les Républicains est pleinement satisfait des modifications apportées au texte par notre rapporteure, Muriel Jourda, dont je salue la qualité du travail mené sur un sujet essentiel, mais complexe.

Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera en faveur de la proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre pays, le crime organisé est particulièrement rémunérateur. Alors que l’on compte 5 millions de consommateurs réguliers de cannabis et 600 000 usagers de cocaïne, les stupéfiants rapportent environ 3 milliards d’euros chaque année aux trafiquants.

Dans ces conditions, la ponction financière est la meilleure des sanctions : pas un centime ne doit rester à ceux qui volent, extorquent ou dealent.

Nous devons garantir l’absence, dans notre pays, d’infractions lucratives. Or les chiffres actuels ne sont pas satisfaisants.

Malgré la création de l’Agrasc en 2010 et l’apport de la loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, qui permet la mise à disposition des biens immobiliers saisis ou confisqués au secteur associatif ou à des organismes concourant à la politique du logement, à la suite du rapport de Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann, seuls 30 % des biens concernés sont finalement confisqués. Nous devons aller plus loin, beaucoup plus loin.

Quels sont les apports de la présente proposition de loi ?

Le texte que nous examinons vise à mieux identifier ces avoirs pour mieux les saisir. Les gendarmes et les policiers pourront réaliser des enquêtes patrimoniales destinées à priver les malfaiteurs de tout profit.

La présente proposition vise également à améliorer l’emploi de ces avoirs criminels. Elle permet à de nouveaux organismes d’en bénéficier, notamment à l’Agence française pour la biodiversité, grâce à un amendement de nos collègues Nathalie Delattre et Paul Toussaint Parigi.

À cet égard, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est particulièrement favorable à la possibilité offerte aux collectivités territoriales de bénéficier de la mise à disposition gratuite des immeubles saisis ou confisqués.

Une autre disposition du texte simplifie les procédures d’expulsion des immeubles faisant l’objet d’une décision de confiscation.

La confiscation, et c’est très important, vaudra désormais titre d’expulsion de la personne contre laquelle elle est rendue et contre tous les occupants de son chef. Cette solution permettra d’accélérer les procédures ainsi que la mise à disposition de ces immeubles confisqués au profit des victimes ou de l’intérêt général.

Le texte corrige également certaines anomalies.

Le droit actuel ne permet la restitution des biens mal acquis que lorsqu’ils font préalablement l’objet d’une cession. Cela empêchait précisément la restitution de sommes d’argent saisies. De même, les biens saisis ne donnent pas tous lieu à confiscation, certains d’entre eux étant restitués, d’autres restant dans les limbes, saisis, mais non confisqués ni restitués. Il était important de donner une affectation à cette catégorie de biens : la proposition de loi prévoit qu’ils pourront désormais être employés pour indemniser les victimes.

Enfin, en commission des lois, notre rapporteure Muriel Jourda a enrichi le texte et amélioré plusieurs de ses dispositions. Elle a notamment introduit la possibilité pour les officiers de police judiciaire de saisir plus rapidement les biens afin qu’ils ne disparaissent pas.

La confiscation des avoirs criminels pose des questions d’efficacité et de justice. Il n’est pas facile de mettre en œuvre un mécanisme parfait de confiscation des biens. De la même façon que nous nous sommes inspirés du dispositif italien, notre texte pourrait servir de modèle à l’Union européenne.

En effet, la question de la confiscation se pose de façon prégnante à cause des avoirs russes gelés. Ce texte pourrait être le moyen d’imprimer la culture juridique française aux textes européens en préparation.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est entièrement favorable à l’adoption de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.

M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « pour qu’un châtiment produise l’effet voulu, il suffit qu’il dépasse l’avantage résultant du délit ». Comme le rappelait Beccaria, l’efficacité d’une sanction tient en grande partie à son caractère dissuasif.

Les délinquants, bien plus encore que de leur liberté, à tout le moins autant, redoutent surtout d’être privés du fruit de leurs crimes. C’est sur le fondement de cette philosophie et fort de l’exemple italien qu’une étape symbolique a été franchie en 2010 avec l’adoption de la loi Warsmann, qui a sanctuarisé la culture de la confiscation des avoirs criminels. Alors que les peines privatives de liberté ne constituaient plus, à elles seules, une réponse suffisamment efficace à la lutte contre les réseaux de trafiquants, elle a veillé à armer la justice d’un cadre procédural spécifique.

La culture de la confiscation des avoirs criminels en France s’est exprimée dans cette loi. Elle a permis d’élargir le champ des biens susceptibles d’être saisis et confisqués, de clarifier les procédures pénales applicables et d’améliorer la gestion desdits biens, notamment par la création de l’Agrasc, l’une des avancées les plus significatives.

Depuis la création de ladite agence, et sous l’effet du renforcement de l’arsenal juridique mis en place à cette fin, le nombre et le montant des saisies et confiscations qu’elle a réalisées attestent du succès de cette dynamique vertueuse.

Ainsi, alors qu’en 2011 le montant des biens saisis s’est élevé à 109 millions d’euros, il est passé à 1,4 milliard d’euros, en 2023. Les confiscations d’actifs ont, quant à elles, explosé, passant de 700 000 euros en 2011 à 175 millions d’euros en 2023.

Si nous pouvons nous féliciter de cette progression notable, nous demeurons loin des résultats atteints par l’Italie, qui a confisqué plus de 11 milliards d’euros de biens à la mafia au cours des vingt dernières années et qui en a généralisé l’usage social.

Plus de dix ans après l’adoption de la loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, nous sommes désormais conduits à franchir un autre pas décisif dans la lutte contre la grande délinquance.

Au moment où certains magistrats réclament la mise en place d’un plan Marshall contre des réseaux disposant de moyens financiers, technologiques et humains considérables, le texte que nous examinons rappelle ô combien ! que la saisie et la confiscation des gains criminels constituent l’un des moyens nécessaires, sinon essentiels, pour priver la criminalité organisée des ressources qui lui permettent de prospérer.

En effet, s’ils sont encourageants, les résultats que je viens de rappeler restent modestes en comparaison des revenus dégagés par la délinquance en France, alors que s’est ouvert le 6 novembre dernier le procès de la mafia nigériane, en plein essor à Marseille.

L’évolution de la grande criminalité organisée et internationale doit indéniablement conduire le législateur à mettre en place des dispositifs pour la combattre, sinon à armes égales, du moins avec une efficacité suffisante.

C’est cette impérieuse nécessité qui nous amène aujourd’hui à compléter le cadre procédural élaboré en 2010, qui tend à donner force de droit à l’adage bien connu : nul ne doit tirer profit de son délit.

À cet égard, le texte qui nous est soumis permettra notamment d’améliorer la gestion des biens saisis et de mieux maîtriser les frais de justice. Il vise également à simplifier l’indemnisation des victimes dans la gestion des biens confisqués, ainsi qu’à renforcer l’efficacité des condamnations pénales. Il prévoit de renforcer la formation des magistrats et des personnels des services de police judiciaire.

En toute cohérence avec la logique vertueuse de cette proposition de loi, pour ancrer la culture de la confiscation en France, la principale piste d’évolution consiste à lui donner une véritable portée symbolique afin de frapper de manière irréversible l’accumulation des patrimoines et de développer les possibilités de confiscation.

La confiscation obligatoire des avoirs criminels en cas de condamnation pénale doit donc être la pierre angulaire de la lutte contre les organisations criminelles et être davantage mise en avant.

Aussi ai-je proposé avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à renforcer cette confiscation en la rendant obligatoire, même lorsque l’origine des biens concernés ne peut être justifiée. Je me réjouis d’ailleurs de constater que d’autres groupes ont déposé des amendements identiques et j’espère que cette mesure pourra être adoptée de manière transpartisane.

Pour conclure, mes chers collègues, ce texte permet des avancées nécessaires et attendues non seulement de la plupart des acteurs de la justice, mais aussi de l’Agrasc en matière de saisie et de confiscation. Tout en préservant les garanties procédurales offertes aux mis en cause, il donnera une plus grande effectivité au principe selon lequel une sanction pénale doit s’accompagner de la privation du bénéfice de l’infraction commise.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je me trouve dans le même état d’esprit favorable que mon collègue Jérôme Durain, président de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, dont je suis membre.

À l’occasion de la discussion sur la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels et si, nous tous ici, nous nous accordons à dire que la question des saisies et des confiscations est au cœur de la lutte contre la délinquance et contre la criminalité organisée, mon propos portera sur les moyens et les axes d’amélioration de la réforme de la police judiciaire.

Le rapport d’information de Nadine Bellurot et Jérôme Durain, suivi par le rapport législatif de Muriel Jourda, ainsi que les nombreuses auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête que j’ai mentionnée confirment le constat selon lequel il reste possible de faire mieux en matière de saisies et de confiscations et proposent des mesures pour atteindre cet objectif.

Si un consensus a émergé sur la nécessité d’une meilleure identification des avoirs criminels dans le cadre des saisies, les moyens et les effectifs manquent cruellement, d’autant que les difficultés à recruter persistent, qu’il s’agisse de ceux des groupes interministériels de recherche (GIR) ou d’enquêteurs spécialisés en matière économique et financière. Les effectifs consacrés au traitement des contentieux économiques et financiers, qui interviennent également sur les enquêtes patrimoniales, sont insuffisants et leur champ d’action est en souffrance au sein de la police judiciaire : voilà ce qu’indiquent en substance Nadine Bellurot et Jérôme Durain dans leur rapport d’information.

Outre un processus administratif parfois trop lourd, il apparaît donc que des équipes dédiées doivent être créées et que c’est en ce sens que la PJ doit être réformée. C’est notamment le cas pour le traitement des contentieux en matière économique et financière, à propos desquels l’autorité judiciaire se trouve régulièrement en difficulté pour saisir un service spécialisé.

Un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est donc indispensable. Cela suppose une augmentation proportionnelle des moyens renforcés aux personnels réalisant des missions de police judiciaire au sein de la police nationale.

Si, grâce à la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dite Lopmi, la filière investigation a obtenu des résultats dans l’exercice des missions d’investigation des forces de sécurité intérieure et a aussi renforcé l’efficacité de leur action, tout en offrant de meilleurs services aux citoyens, il est important de rappeler la nécessité d’inscrire la filière investigation dans le long terme, en construisant de véritables parcours de carrière avec la nécessaire évolution des services d’investigation numérique, notamment via de nouveaux outils technologiques.

Bruno Le Maire a été auditionné hier matin par la commission d’enquête. Les chiffres qu’il a portés à notre connaissance sont colossaux : un chiffre d’affaires, sous-estimé selon lui, à 3,5 milliards d’euros, 664 tonnes de drogue saisies depuis 2017 pour une valeur globale de 5,855 milliards d’euros.

Il faut donc poser la question des moyens qu’il convient véritablement d’accorder aux services d’investigation et des réformes à mener par la puissance publique pour y parvenir, pour améliorer également l’efficacité des dispositifs d’identification, de saisie et de confiscation des avoirs criminels. C’est ce à quoi s’attelle la commission d’enquête dans le cadre de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La discussion du texte de la commission est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels
Discussion générale (suite)

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 27 mars 2024 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Examen, sous réserve de sa recevabilité, d’une demande de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour une mission d’information sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football professionnel français.

Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (texte de la commission n° 446 rectifié, 2023-2024) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement (texte de la commission n° 429, 2023-2024) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie (texte de la commission n° 412, 2023-2024) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (texte de la commission n° 443, 2023-2024).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 27 mars 2024, à zéro heure cinquante-cinq.)

nominations de membres de commissions

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Marie-Jeanne Bellamy est proclamée membre de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport, en remplacement de M. Yves Bouloux, démissionnaire.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Annick Girardin est proclamée membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Jean-Noël Guérini, démissionnaire.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER