PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le constat qui a été dressé par la délégation aux entreprises au mois de juin dernier et qui vient d’être rappelé par son président Olivier Rietmann est sans appel : nos entreprises sont soumises à un nombre croissant de normes, législatives comme réglementaires, issues de réglementations à la fois nationales et européennes. Je ne citerai qu’un chiffre : le code de commerce comporte pas moins de 7 000 articles !

Cette inflation normative pèse lourdement sur l’activité et la compétitivité des entreprises françaises. Le coût macroéconomique correspondant a été évalué par le Gouvernement à 3 % du PIB, soit 60 milliards d’euros par an – et encore s’agit-il d’une estimation se fondant sur la fourchette basse ! C’est dire l’urgence à agir, et ce d’autant que le poids des normes est aussi source d’une forte instabilité pour nos entrepreneurs et décourage leur volonté d’entreprendre.

Face à cette réalité, force est de constater que les tentatives passées pour simplifier les normes ont tout simplement tourné court. Je pense en particulier au Conseil de la simplification pour les entreprises, qui n’a existé que trois ans…

En matière d’évaluation, l’obligation faite depuis 2009 au Gouvernement d’assortir tout projet de loi d’une étude d’impact n’a pas non plus porté ses fruits.

Du point de vue de la méthode, tout d’abord : l’étude d’impact sert essentiellement à justifier après coup un texte voulu par le Gouvernement. Dans la mesure où l’étude d’impact est élaborée par les services de l’administration et non par une instance extérieure, la question de son impartialité et de son objectivité se pose indubitablement.

En ce qui concerne le contenu des études d’impact, ensuite : il est vrai que la plupart de ces études comportent une sous-rubrique consacrée aux impacts sur les entreprises. Force est toutefois de constater que l’évaluation qui y est faite est très perfectible d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Je ne prendrai qu’un seul exemple, celui de la transposition de la directive européenne dite CSRD, qui soulève de légitimes inquiétudes. Comment se satisfaire d’une étude d’impact dans laquelle il est laconiquement indiqué qu’« aucun impact n’est attendu » ?

Le renforcement des exigences liées aux études d’impact est indispensable, nous en convenons tous. Il suppose toutefois une loi organique et dépasse donc le cadre de la présente proposition de loi.

Le texte qui nous est soumis constitue toutefois une première étape à cette fin et je tiens à en remercier très chaleureusement son auteur, Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises.

Il s’agit par ce texte de rattraper notre retard. En effet, la France n’a pas encore mis en place de tests PME, contrairement à certains de ses voisins européens comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suisse et contrairement à l’intention plusieurs fois affichée par le Gouvernement.

Dans ce contexte, la commission des lois a largement souscrit à l’objectif de la proposition de loi. Elle s’est dans le même temps efforcée de lever les risques juridiques que comportaient certaines de ses dispositions et a conforté l’opérationnalité des procédures de consultation prévues.

Tout d’abord, la commission des lois a admis la nécessité d’instaurer un conseil chargé de la simplification des normes pour les entreprises.

Bien sûr, il peut sembler de prime abord surprenant, pour ne pas dire contre-intuitif, de créer une nouvelle instance et de nouvelles procédures dans le but précis de simplifier. En l’espèce, une telle création a paru justifiée à la commission. Il s’agirait ainsi de prévoir, pour les entreprises, le pendant du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), qui existe depuis 2013 pour les collectivités territoriales, tout en en renforçant les compétences et le poids politique.

Pour une plus grande simplicité de l’intitulé et une meilleure visibilité au sein du paysage institutionnel, la commission a nommé ce conseil le « Haut Conseil à la simplification pour les entreprises ».

J’en viens au statut de cette nouvelle structure. La commission a jugé préférable d’en faire une commission administrative, plutôt qu’une autorité administrative indépendante (AAI), le statut de commission administrative semblant plus approprié, dans la mesure où cet organisme aura besoin de l’appui de l’administration pour mener à bien ses travaux. Il convient également de lui garantir un portage politique interministériel et de haut niveau. C’est pourquoi la commission a décidé de le rattacher directement au Premier ministre, et non pas à un ministre en particulier, comme c’est le cas pour le CNEN.

Dans le même temps, à la suite de l’auteur du texte, la commission a jugé indispensable de garantir l’indépendance de cette instance à l’égard du pouvoir exécutif. À cette fin, la commission a souhaité conforter la représentation des entreprises au sein du conseil. C’est pourquoi elle a ajouté à la composition de celui-ci un représentant des grandes entreprises, ainsi qu’un deuxième représentant des petites et moyennes entreprises.

Sur le rôle et le positionnement du président de ce haut conseil, la commission a considéré que la nomination du haut-commissaire en conseil des ministres, proposée par le texte, était en elle-même bienvenue : elle favorisera la nomination de personnalités de premier plan et donnera une solide assise institutionnelle au président de la nouvelle instance.

La commission a veillé à clarifier le rôle et le positionnement du président et a précisé les points suivants.

Dès lors qu’il occupe un emploi à la décision du Gouvernement, le haut-commissaire ne peut pas être irrévocable. De plus, il ne lui est pas possible de participer au conseil des ministres dans la mesure où il n’est pas lui-même membre du Gouvernement. En revanche, la commission a prévu que le président animerait le réseau de correspondants à la simplification des normes applicables aux entreprises au sein des administrations centrales.

En ce qui concerne par ailleurs l’intitulé du texte, la commission a laissé de côté le terme de haut-commissaire. Elle a en effet considéré qu’il ne fallait pas multiplier les dénominations et qu’il fallait également éviter des risques de confusion avec des fonctions existantes ou ayant existé.

Je terminerai en évoquant les pouvoirs du haut conseil.

Cette proposition de loi prévoit un dispositif ambitieux, en confiant au conseil un rôle d’évaluation de la production normative, aussi bien en amont qu’en aval.

La visibilité de ses travaux serait assurée non seulement par le caractère public de ses avis, mais également par la remise d’un rapport public annuel au Premier ministre et aux présidents des deux assemblées parlementaires.

Ainsi, il deviendra de plus en plus difficile pour le Gouvernement de ne pas tenir compte des avis du haut conseil, tandis qu’un véritable dialogue entre le conseil et le Parlement pourra avoir lieu.

Le rôle d’évaluation a priori du conseil, c’est-à-dire des flux, serait probablement le plus important.

La commission a sécurisé juridiquement et clarifié les nouvelles procédures consultatives confiées au conseil. En particulier, celui-ci serait obligatoirement consulté par le Gouvernement sur trois types de projets de texte, dès lors qu’ils ont une incidence sur les entreprises : les projets de loi, assortis de leur étude d’impact, les projets de textes réglementaires et les projets d’actes de l’Union européenne.

En outre, le conseil pourrait être consulté, dans certaines conditions, par les présidents des assemblées parlementaires sur les propositions de loi ayant un impact sur les entreprises.

L’ensemble de ses avis comporteraient obligatoirement un test PME, que la commission a défini dans le texte comme « une analyse de l’impact attendu des normes concernées sur les petites et moyennes entreprises ». Cette analyse pourra consister en un exercice de mise en situation concrète, réalisé auprès d’un panel de PME, comme le font par exemple les Pays-Bas.

Ces avis pourraient également proposer des mesures d’entrée en vigueur différée des normes pour les entreprises. Ce principe, déjà posé par une circulaire du Premier ministre en 2011, n’a jamais été mis en œuvre. Il semble utile de l’inscrire dans la loi.

En complément de cette action sur le flux, l’action sur le stock normatif est également importante. Pour être efficace, elle doit être ciblée et progressive. La commission a resserré les dispositions initiales de la proposition de loi en ce sens.

Mes chers collègues, cette proposition de loi ainsi modifiée marquera une étape importante sur le long, mais ô combien indispensable chemin de la simplification des normes. Elle pourra contribuer à favoriser un changement de paradigme dans la façon dont la réglementation est conçue et, qui sait, dans la manière dont les études d’impact sont élaborées.

À cet égard, l’objectif de la présente proposition de loi aura probablement été atteint le jour où les études d’impact des projets de loi ayant une incidence sur les entreprises comporteront d’emblée un test PME.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation aux entreprises, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juin dernier, je me trouvais ici même, au Sénat, à l’invitation expresse de la délégation aux entreprises, pour parler de sobriété normative.

Vous aviez alors entrepris, mesdames, messieurs les sénateurs, la rédaction d’un rapport d’information sur ce sujet. Je tiens à vous le dire aussi simplement que sincèrement : ce rapport d’information compte énormément et est à mon sens ce qui existe aujourd’hui de plus complet sur le sujet. Bruno Le Maire, au nom de qui je sais pouvoir parler aussi aujourd’hui, porte la même appréciation que moi sur la qualité de ce travail et sur l’engagement de la délégation sénatoriale aux entreprises. Pour ce travail, il me semblait donc important de vous remercier.

On demande souvent au Gouvernement d’éclairer le Parlement. C’est ici le Parlement qui a remarquablement éclairé le Gouvernement. Il a nourri ses travaux, à Bercy, pendant des mois. Il a éclairé, au sens noble du terme, la décision publique et va guider nos échanges aujourd’hui pour que l’État soit davantage encore au service de nos entreprises.

Quels sont les constats ?

Le premier constat, qui est partagé et sur lequel je ne m’attarderai pas, c’est que notre pays souffre d’une accumulation démesurée de normes. Ce n’est pas moi qui l’explique le mieux, ce sont les chiffres qui le démontrent : le code de la consommation a crû de 311 %, le code de commerce, qui n’est pas en reste, de 364 %, la palme revenant au code de l’environnement, qui a connu une inflation normative de plus de 650 % !

Le deuxième constat, c’est que cette situation a non seulement un coût pour notre pays, mais aussi, et c’est bien plus grave, un coût direct pour nombre de nos entreprises. Ainsi, plus d’une TPE sur deux a des coûts de gestion comptable et sociale représentant de l’ordre de 1 % à 3 % de son chiffre d’affaires.

C’est aussi une question d’égalité économique pour nos TPE et PME, extrêmement majoritaires dans notre pays, qui sont bien plus vulnérables que les grosses entreprises à la norme et à l’inflation normative, n’ayant pas forcément ni les ressources humaines, ni les compétences techniques, ni parfois les moyens d’appliquer ces normes.

Le troisième constat est davantage psychologique, mais la psychologie, je le crois, est absolument primordiale en économie. Face à une norme, nos artisans, nos dirigeants de TPE ou de PME, nos petits commerçants peuvent à juste titre se sentir perdus, vulnérables, esseulés. C’est en réalité une forme de déréliction que ressentent légitimement nos plus petits entrepreneurs.

C’est pourquoi aux constats et aux ressentis que l’on ne peut ignorer doivent succéder des chantiers concrets et efficaces. J’en identifie deux.

Le premier chantier, c’est celui de la gestion du stock de normes, comme l’a rappelé le président de la délégation aux entreprises.

Soyons réalistes, notre droit et nos codes sont largement perfectibles. Il existe des contradictions, des complexités, des dispositions peu claires ou mal articulées, des procédures tant modifiées qu’elles sont devenues illisibles ou impraticables, sans oublier celles qui se percutent et deviennent parfois contradictoires. (Mme la rapporteure acquiesce.)

En tant que ministre déléguée chargée des entreprises, mais aussi en tant qu’ancienne petite entrepreneuse, je sais combien il nous faut libérer du temps et de l’énergie pour que les entrepreneurs puissent continuer de faire ce qu’ils font de mieux : entreprendre, innover, créer de la valeur, recruter, se développer.

Néanmoins, nous devons garder à l’esprit une valeur pas très à la mode aujourd’hui, mais qui, je le sais, a conservé toute son aura au sein de la Haute Assemblée : la nuance. Je veux le rappeler, il est des normes qui protègent et nous défendent, en tant qu’entreprise, en tant que consommateur, en tant que client ou en tant que citoyen. De la nuance avant toute chose, sans rien qui pèse ou qui pose.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, la norme que nous devons chasser, c’est celle qui a oublié de s’intéresser réellement à ceux à qui elle s’appliquait : c’est la norme qui bride, qui empêche, celle qui pèse bien plus qu’elle ne porte.

Ce travail sur le stock, Bruno Le Maire et moi-même l’avons entamé dans le cadre des travaux préparatoires au projet de loi de simplification, qui sera présenté d’abord ici même, devant vous, au mois de juin prochain.

Au-delà du stock, lutter durablement contre l’inflation normative doit aussi passer par un second chantier, et non des moindres. Olivier Rietmann le sait, cela fait des mois que je m’attelle à ce second chantier, qui me semble d’une importance majeure, notamment pour le long terme : c’est celui de la gestion du flux de normes pour aujourd’hui et, surtout, pour demain.

Depuis des mois, je travaille avec les fédérations et les administrations sur la forme que pourrait prendre ce qu’on appelle communément le test PME. Ce qui fait à l’évidence consensus, ce sont les objectifs qu’il doit permettre d’atteindre, lesquels sont au nombre de deux.

Le premier est de rendre plus lisible le droit pour qui le pratique, c’est-à-dire l’entreprise et son dirigeant. On le sait, quand la loi est bavarde, le citoyen ne lui prête, à juste titre, qu’une oreille distraite. C’est la raison pour laquelle elle doit être élaborée main dans la main et directement avec les entreprises, confrontées tous les jours à l’application concrète des règles. La norme concertée est, et sera, toujours meilleure que la norme décrétée.

Le second objectif est de chiffrer le coût réel de la norme pour les entreprises et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de disproportion entre les objectifs initiaux de celle-ci et le coût effectif de sa mise en place. Il s’agit d’évaluer l’impact économique et financier, organisationnel et temporel des normes sur les entreprises.

Je me réjouis donc du dépôt et de l’examen de ce texte, ainsi que des travaux que vous avez menés, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette proposition de loi permettra incontestablement de débattre des modalités de mise en œuvre de cet outil.

Plusieurs points du texte doivent retenir notre attention. L’obligation de résultat à laquelle nous sommes astreints nous impose de réfléchir précisément aux contours du test PME – Mme la rapporteure a d’ailleurs pris la parole en ce sens il y a quelques instants.

Le premier point d’attention est la forme que doit prendre ce test.

Pour en revenir aux travaux que nous avons lancés, nous avions des points de vue différents sur la nécessité de créer ou non une autorité administrative indépendante. Sur ce sujet, je me réjouis de constater que les travaux très sérieux effectués en commission ont abouti à un dispositif consultatif et opérationnel, rattaché directement au Premier ministre.

À l’évidence, cette proposition de loi va dans le bon sens puisqu’elle permet de conserver un portage politique de haut niveau tout en demeurant interministérielle. Ce dernier point est crucial : les normes auxquelles sont soumises les entreprises sont parfois issues du code de commerce, mais de plus en plus souvent également du code de l’environnement ou de celui du travail. Les entreprises sont touchées par tous les champs de nos politiques publiques. La dimension interministérielle était un prérequis : elle est garantie par le haut conseil.

Votre proposition de loi prévoit que l’organisme chargé des tests PME précise les conditions d’évaluation de l’impact d’une nouvelle norme. Pour que le test se démarque d’autres études préalables par son réalisme, il sera, à mon sens, essentiel que l’impact, notamment l’évaluation des coûts induits, soit estimé par des panels de véritables chefs d’entreprise, et non uniquement par des collèges d’intermédiaires.

Le caractère obligatoire ou non du test PME est un autre point important.

Le texte rend ce test obligatoire pour les projets de loi, les projets de textes réglementaires et les projets d’actes de l’Union européenne ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.

Si je comprends bien votre volonté d’étendre le champ du test pour appréhender au mieux le problème de l’inflation normative, je me méfie du risque d’engorgement du haut conseil. Nous en débattrons tout à l’heure, mais nous pensons, a priori et pour l’heure, qu’il convient de le circonscrire aux projets de loi et aux décrets autonomes.

Le dernier point sur lequel il me paraît capital de s’attarder est la portée de l’avis qui suit le test PME. Sur ce sujet, il nous faut trouver le juste équilibre : oui à l’autorité, mais non à l’obstruction.

On ne peut pas donner à cette instance, quelle qu’elle soit, le pouvoir d’empêcher le Gouvernement de gouverner et, encore moins, les parlementaires de légiférer. J’ai donc noté avec grand intérêt votre proposition de permettre que le test débouche sur des avis non conformes. Si l’avis est défavorable, le Gouvernement devra revoir sa copie ou motiver ses choix, sans que cela empêche le texte de poursuivre son chemin. L’équilibre tant cherché me semble ici avoir été trouvé.

Je salue la qualité du travail effectué à la fois par la rapporteure Elsa Schalck, avec qui les points de convergence ont été nombreux, et par le président Olivier Rietmann.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne serai pas plus longue, les débats nous attendent. Les attentes de nos compatriotes sur le sujet sont légitimement immenses. Aujourd’hui, nos mandats et nos fonctions nous donnent enfin la possibilité de mettre en place un dispositif pérenne qui s’attaque aux flux et ne se satisfait pas de gérer le stock.

Nous devons tendre vers un dispositif pérenne, efficace et fiable, qui soit non pas une procédure supplémentaire, mais bel et bien un moyen de mieux légiférer, sans faire de mal à nos entreprises.

Pour conclure, je veux dire que, à mes yeux, la simplification doit être un état d’esprit. Elle doit devenir en quelque sorte une hygiène de vie à laquelle doit s’astreindre l’État, l’esprit qui guide ses actions. La chambre des sages l’a parfaitement compris : agissons désormais ensemble ! Vous avez mon soutien absolu, et je suis sincèrement heureuse d’être ici ce soir pour échanger avec vous sur ce sujet, comme je l’appelais de mes vœux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « surcharge administrative », « océan de paperasse », « tsunami réglementaire » : nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre en de tels termes du nombre de démarches qu’ils doivent effectuer.

Ayant été responsable d’une petite entreprise, je peux témoigner de cette lourdeur administrative. Elle pose d’ailleurs un problème d’équité entre les entreprises de tailles différentes : souvent, les petits patrons ne peuvent pas payer des experts juridiques, comme le font les grands groupes. Enfin, cette surcharge nous coûte cher : elle représente entre 3 % et 4 % de PIB de dépenses inutiles, selon l’OCDE.

Alors, oui, une simplification est nécessaire ! Mais laquelle ? Depuis des années, les dispositifs et annonces de simplification se succèdent, sans grand résultat. Pis, la simplification est souvent un prétexte pour affaiblir les règles régulant l’insatiable appétit de profit du capitalisme.

Ainsi, c’est au nom de la simplification qu’ont été votées les deux lois Travail qui ont conduit à supprimer de nombreuses protections pour les salariés. Plus récemment, c’est aussi au nom de la simplification de la vie des agriculteurs que le Gouvernement a suspendu le plan Écophyto et attaqué l’action de l’Office français de la biodiversité (OFB). Soyons donc prudents : simplifier, oui, mais pas à n’importe quel prix !

Venons-en à la proposition de loi que vous nous présentez, chers collègues de la majorité sénatoriale. Son objectif est bien évidemment louable, mais il nous semble que vos propositions sont une mauvaise réponse à un réel problème.

Ainsi, vous proposez de créer un haut conseil à la simplification pour les entreprises, chargé d’analyser toutes les règles applicables aux entreprises, tant en amont qu’en aval de la procédure législative. Celui-ci serait doté d’un pouvoir politique considérable : obligatoirement consulté par le Gouvernement pour tout texte législatif, réglementaire ou européen ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises, il pourrait émettre un avis défavorable, obligeant le Gouvernement à revoir sa copie.

Certes, le travail en commission a permis de modifier utilement le statut de ce haut conseil pour en faire une commission administrative consultative, rattachée directement au Premier ministre, plutôt qu’une autorité administrative indépendante. Mais conférer un tel pouvoir à ce haut conseil revient à lui offrir de fait une tutelle sur le pouvoir législatif. Or ce pouvoir appartient au Gouvernement et au Parlement, et seul le Conseil constitutionnel est compétent pour trancher des litiges.

Il est important d’associer les entreprises lorsque nous travaillons sur des textes qui les concernent, mais qui parmi nous ne le fait pas ? Les entreprises ne disposent-elles pas de puissants lobbys pour les représenter ? Pourquoi leur donner encore plus de pouvoir et leur permettre de bloquer les normes qui pourraient les gêner ?

La création du haut conseil entraînerait une nouvelle réduction du pouvoir du politique sur l’économie. Or le rôle du politique est d’arbitrer entre des intérêts divergents ! Nous devons tenir compte, en plus des effets des normes sur le développement économique des entreprises, de l’intérêt des travailleurs, des conséquences des textes législatifs et réglementaires sur la nature et l’environnement, ainsi que sur notre culture, et de bien d’autres critères.

La composition du haut conseil pose également question : s’il est censé aider les PME et les TPE, pourquoi y avoir ajouté un siège pour les représentants des grandes entreprises ? Le Medef n’a-t-il pas déjà assez de pouvoir ? À l’inverse, pourquoi avoir refusé notre proposition d’ajouter des sièges pour les représentants du personnel, pourtant les plus à même de faire remonter les contraintes juridiques que vivent les salariés au quotidien ?

Ainsi, nous craignons que le haut conseil ne soit un nouvel outil pour attaquer les droits des salariés et les protections environnementales. Je vous rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que ces dernières peuvent être de véritables atouts pour nos entreprises.

Pensez à l’interdiction des gaz chlorés par le protocole de Montréal à partir de 1987 pour préserver la couche d’ozone : les industriels nous annonçaient la mort de la chaîne du froid, l’explosion des maladies et du gaspillage alimentaire. Finalement, quelques années après, d’autres solutions étaient trouvées et le groupe français Elf Atochem, leader mondial du secteur, applaudissait cette interdiction !

Il en va de même s’agissant de l’encadrement des emballages prévu par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi Agec : ce sont bien des normes et des interdictions qui nous ont permis d’avancer.

En réalité, nos entrepreneurs sont prêts à modifier leurs pratiques, ils sont même volontaires pour cela. Ce qu’ils nous demandent, c’est de l’accompagnement et de la visibilité.

Si nous saluons le travail de la commission pour améliorer le texte et en corriger plusieurs aspects inconstitutionnels, nous craignons qu’il n’aboutisse à un détricotage des règles environnementales et salariales qui nous protègent. Nous sommes prêts à travailler à des simplifications qui aideront nos entrepreneurs et notre administration, mais pas de cette façon.

Dans ces conditions, notre groupe votera contre la proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, inflation législative, complexité des normes, épaisseur des codes, mais aussi le présent texte, sont au droit ce que la musique militaire est à la musique. (Sourires.)

Depuis des dizaines d’années fleurissent des discours sur l’inflation normative. Pourtant, les entreprises nous disent que les premières difficultés auxquelles elles sont confrontées sont non pas la multiplication des normes, mais, par ordre d’importance, le recrutement, la bonne formation des salariés et l’accès au crédit, même si les lenteurs administratives ou les retards de paiement, qui vont s’améliorer – espérons-le – avec la mise en place de la facture électronique en 2026, sont aussi cités.

Nous observons, il est vrai, une perte de qualité, de lisibilité et de stabilité de la loi. C’est pourquoi nous n’avons de cesse d’alerter sur les pratiques de l’exécutif tendant à faire fi du travail parlementaire, au mépris de l’organisation démocratique de notre pays.

À coups de procédures accélérées et d’ordonnances, le Gouvernement tente de mettre au pas les assemblées parlementaires, et cela se répercute sur la qualité des lois. Aussi, la solution prévue dans ce texte, même si je tiens à saluer le travail du président de la délégation aux entreprises, ne nous convainc pas. Pour lutter contre le manque de lisibilité, il faut laisser aux parlementaires le temps d’élaborer la loi et ne pas les enfermer dans des carcans temporels de plus en plus étroits.

De plus, cette critique de l’inflation normative sous-entend aussi l’acceptation du dogme selon lequel le droit n’est qu’une marchandise. Ces discours sont une facette de la libéralisation des marchés et d’une mise en concurrence des États et, en conséquence, de leurs systèmes juridiques.

Qu’il s’agisse de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) ou des deux lois Travail, toutes visent à rendre la France « attractive », à « libérer les entreprises » et à permettre l’avènement d’un marketing territorial étatique.

Or nous sommes extrêmement vigilants sur le retrait de l’État, idée que porte en germe ce débat, de tous les domaines où il est susceptible d’intervenir et dans lesquels certains le considèrent comme un gêneur, qu’il s’agisse de traiter de fiscalité, de normes environnementales, sanitaires ou sociales, ou de redéfinir les lieux et les acteurs légitimes pour la production de règles.

Moins de droit, c’est aussi moins d’État et la main libre laissée au secteur privé. Mais ceux qui prônent le « moins d’État » sont aussi les premiers à demander des aides publiques lorsque les entreprises vont mal. Ceux-là ne disent pas un mot des 162 milliards d’euros d’aides directes qui leur ont été attribuées sans contreparties en termes d’emploi, d’investissement ou de salaire.

Dans leur esprit, il faudrait que le droit se fasse ailleurs, et pourquoi pas par les entreprises elles-mêmes, comme le prévoit – indirectement, je tiens à la souligner – la proposition de loi ?

En effet, face à l’inflation législative, les auteurs du texte considèrent que les entreprises « doivent tenir une place centrale dans le dispositif d’évaluation ».

Les instances qui seraient créées devront évaluer si les normes proposées entraînent, pour les entreprises, « des conséquences matérielles, économiques ou financières manifestement disproportionnées au regard de leurs objectifs » et pourront « demander au Gouvernement de “revoir sa copie” en cas d’insuffisance », une notion qui n’est pas tout à fait définie.

Pour notre part, nous considérons que les réglementations sociales et environnementales ont un objectif d’intérêt général et que leur processus d’élaboration doit rester hermétique aux logiques de pure rentabilité, lesquelles ne servent que des intérêts catégoriels.

Enfin, poursuivre l’objectif de simplification et de fluidification des prises de décision en créant un énième comité et haut-commissariat nous semble une fausse bonne idée. Sa mise en place ne réglera pas le problème de fond, que j’ai évoqué, de la qualité de la loi.

Il faut relever que des structures d’évaluation existent déjà, à commencer par le Conseil d’État, ou encore le Conseil national d’évaluation des normes.

Plus grave, nous nous interrogeons sur la représentativité réelle de ces entités.

En premier lieu, un flou demeure sur la manière dont seront sélectionnés les représentants du patronat dans ces instances et sur leur capacité à porter la voix des TPE dans toute leur diversité.

En second lieu, nous constatons qu’aucune représentation des salariés n’est prévue, ce qui est un véritable contresens : comment atteindre l’objectif de fluidification dans l’application de ces normes si ces acteurs et actrices clés ne sont pas mobilisés ?

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.