Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, près de cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, nous sommes ici réunis pour écrire un nouveau chapitre dans l’histoire des droits des femmes.

Je ne reviendrai pas sur les arguments techniques et juridiques autour de la constitutionnalisation de l’IVG, Mme la rapporteure et surtout M. le garde des sceaux l’ayant fait bien mieux que je ne saurai le faire.

Reste à savoir si l’IVG est aujourd’hui menacée en France. La réponse est non : si l’accès matériel à ce droit reste perfectible, les Françaises peuvent avorter librement.

Cependant, j’aimerais pouvoir avoir autant confiance en l’avenir, qui comporte son lot d’incertitudes. L’histoire récente nous a montré que des démocraties libérales, même bien établies, pouvaient revenir en arrière. Nous courons le même risque, car, si le pire n’est jamais certain, le meilleur ne l’est pas non plus.

De fait, des réseaux militants, bien organisés et de mieux en mieux financés, s’activent pour remettre en cause ce droit, avec des méthodes de plus en plus pernicieuses.

Certaines plateformes vont jusqu’à créer des numéros verts afin de se faire passer pour des organismes publics et dissuader les femmes qui les appellent. Ce n’est pas aux États-Unis que ces plateformes sévissent. C’est en France !

Ce n’est pas aux États-Unis que le planning familial voit régulièrement ses centres attaqués. C’est en France !

Mme Dominique Vérien. Ce n’est pas aux États-Unis que la récente affaire CNews, qui a assimilé l’IVG à la première cause de mortalité dans le monde, aux côtés du tabac et du cancer, a eu lieu. C’est en France ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Dominique Vérien. Quant à la campagne d’autocollants anti-IVG sur les vélos de Paris, ce n’est pas aux États-Unis qu’elle s’est déployée. C’est en France !

Ne péchons pas par excès de naïveté. La France aussi est perméable à ces manœuvres, et, si le droit à l’avortement est encore solidement ancré dans l’opinion publique, il est de notre responsabilité de législateurs de le protéger.

Bien évidemment, ce qui compte est aussi l’effectivité de l’exercice de cette liberté : c’est une chose d’inscrire un droit à l’avortement, c’en est une autre d’en garantir le plein exercice. Nous le constatons, de nombreux pays qui autorisent officiellement l’avortement en restreignent tellement l’accès qu’il est, en réalité, impossible d’y recourir.

Je suis d’ailleurs convaincue que ceux qui, un jour, voudront s’attaquer à cette liberté en France ne s’y opposeront pas frontalement et le feront en en compliquant petit à petit l’accès, en restreignant son champ d’application, jusqu’à en faire une coquille vide.

L’enjeu aujourd’hui est donc de faire en sorte qu’il ne soit pas possible de modifier la loi afin d’interdire le recours à l’interruption volontaire de grossesse ou d’en restreindre les conditions d’exercice au point qu’elle se verrait privée de toute portée.

Ne l’oublions pas, partout où l’IVG est interdite, la contraception l’est aussi. De fait, ne nous y trompons pas, derrière le militantisme anti-IVG, l’idée n’est pas de nous éviter un acte chirurgical : il s’agit bien de contrôler nos corps de femmes.

Constitutionnaliser, c’est envoyer un message à la société d’aujourd’hui comme à celle de demain. C’est affirmer que la reconnaissance solennelle par la République de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, c’est-à-dire de la liberté de la femme de disposer de son corps, est non pas un simple droit social ou sociétal, mais bien une liberté fondamentale, qui mérite d’être garantie au cœur même de son texte le plus sacré.

La Constitution ne doit pas se résumer à un catalogue de procédures institutionnelles. Elle doit traduire la société dans laquelle nous choisissons de vivre, avec ses aspirations et ses valeurs.

Mes chers collègues, certains parmi vous pensent que cette constitutionnalisation est avant tout symbolique. Si tout cela n’est que symbolique, votons ! Nous n’avons rien à perdre.

Et si, comme moi, vous pensez que cela protège un peu plus les femmes, votons ! Nous avons tout à gagner. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe RDSE et de nombreuses travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Patricia Schillinger et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pendant des siècles, des femmes ont été maltraitées, insultées, condamnées en France parce qu’elles avaient exercé une liberté, inhérente à la condition humaine : celle de choisir leur vie.

Pendant des siècles, des femmes ont comparu en France, devant des tribunaux d’hommes, parce qu’elles avaient décidé de disposer de leurs corps.

Pendant des siècles, des femmes, qui n’avaient pas les ressources, pas les contacts, sont mortes, en France, des suites d’avortements clandestins, mortes parce que femmes dans une société qui avait décidé que les femmes ne pouvaient être ni libres ni responsables.

Depuis le manifeste des 343, depuis que Gisèle Halimi a ouvert, à Bobigny, le procès de la violence et de l’hypocrisie patriarcales, depuis la fondation du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), grâce à la mobilisation de tant de femmes, célèbres et anonymes, la France s’est engagée sur un autre chemin, celui qui aboutira à la loi Veil, puis à toutes celles qui l’ont suivie.

Le vote de ce jour s’inscrit dans cette grande histoire. Cinquante ans après la loi Veil, qu’avons-nous à dire aux Michèle et Marie-Claire Chevalier d’aujourd’hui ? Leur dirons-nous qu’elles demeurent à la merci du bon vouloir du législateur, qui, un jour peut-être, les rappellera à la barre ? Ou leur dirons-nous qu’elles sont à jamais libres ? Voilà la seule question qui nous est posée aujourd’hui.

Le Conseil d’État a été d’une clarté absolue : l’objet du texte proposé est « d’encadrer l’office du législateur afin qu’il ne puisse interdire tout recours à l’interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d’exercice de façon telle qu’il priverait cette liberté de toute portée ».

En votant cette loi, il s’agit donc seulement de dire – mais de dire vraiment – ceci : nous n’interdirons plus jamais l’IVG, nous ne restreindrons plus jamais ce droit et nous sommes tellement sincères, tellement convaincus, tellement sûrs de ne jamais vouloir le faire que nous choisissons aujourd’hui de renoncer démocratiquement à la possibilité même de le faire, car nous pensons que cette possibilité ne devrait plus exister en France, de la même manière que n’existe pas, grâce à la Constitution, la possibilité de réduire de toute portée la liberté de conscience, la liberté d’association ou la liberté d’expression. Ni plus ni moins ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Patricia Schillinger et M. Éric Bocquet applaudissent également.)

Aujourd’hui, je ne m’adresse pas à celles et à ceux qui, au fond, n’ont jamais considéré que l’IVG était un droit. Non, je m’adresse à toutes celles et à tous ceux qui, quelle que soit leur sensibilité, sont convaincus que l’IVG est non pas une concession que le législateur a faite un jour et pourrait reprendre un autre, mais un droit, que le législateur avait confisqué et qu’il a fini par rendre à ces femmes qui se sont tant battues pour le reprendre.

Je m’adresse aux héritières et aux héritiers de cette droite et de ce centre qui ont voté pour la loi Veil. Si, un jour, une loi menace l’IVG en France et si, ce jour, la Constitution ne peut rien pour l’empêcher, que direz-vous, chers collègues, à vos filles, à vos petites-filles et à vos nièces ? Pourrez-vous les regarder dans les yeux ? Que leur répondrez-vous quand elles vous demanderont pourquoi, quand vous en aviez la possibilité, vous avez refusé de les protéger ? Leur direz-vous que ce texte contenait le terme « garantie » ? Que la date du Congrès avait été annoncée trop tôt ?

Le 20 décembre 1974, la moitié des sénateurs de la droite et du centre ont voté pour la loi Veil. C’était plus qu’à l’Assemblée nationale. Le Sénat comptait sept femmes : cinq de gauche et deux de droite. Toutes ont voté pour !

Quel message enverrons-nous, cinquante ans plus tard, si plus de la moitié d’entre nous vote pour conserver la possibilité d’attaquer un jour la loi Veil ?

Chaque voix contre, chaque voix en faveur du droit à la régression sera la démonstration empirique que, oui, l’IVG doit entrer dans la Constitution !

Je me suis lancée, il y a plus d’un an, avec toutes ces femmes qui ont su montrer, sur ce sujet, ce qu’était faire de la politique en grand, en vrai, pour l’intérêt général – je pense à Laurence Rossignol, Aurore Bergé, Mathilde Panot, Laurence Cohen, Dominique Vérien, Annick Billon, Elsa Schalck, Isabelle Rome et à tant d’autres –, dans cette longue, difficile et magnifique bataille.

J’ai été témoin de l’engagement sans faille des associations féministes et de toute la société. J’ai entendu tant de militantes polonaises me dire combien ce que nous faisions, en France, était merveilleux, et regretter que cela n’ait pas été fait dans leur pays tant qu’il en était temps !

Eh bien, aujourd’hui, en France, il est temps. Il est temps d’être au rendez-vous de notre histoire, de répondre aux immenses espoirs que nous avons soulevés dans le monde.

Aujourd’hui, des Polonaises, des Hongroises, des Américaines, des Iraniennes, des Argentines regardent avec admiration la France s’apprêter à énoncer, sans ambiguïté, que le droit à l’avortement n’est pas un sous-droit. C’est un droit fondamental. C’est l’une des conditions des sociétés libres et égalitaires.

Dès lors, faisons-nous à nous-mêmes, aujourd’hui, cette magnifique promesse : plus jamais les faiseuses d’anges, les cintres, les aiguilles et les mortes !

Disons à nos filles, à nos nièces, à nos petites-filles qu’elles sont aujourd’hui et désormais à jamais libres de choisir leur vie ! (Les membres du groupe GEST se lèvent pour applaudir. – Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons tous, je crois, le sentiment de vivre un moment important, sinon historique. Cela se sent.

Le moment est historique, car il s’agit, d’abord, de modifier notre Constitution, geste qui n’est pas anodin.

Le moment est historique, ensuite, car cette modification fait écho, comme cela a été souligné précédemment, au combat mené par des millions de femmes à travers le monde depuis des siècles pour conquérir le droit à disposer librement de leur corps.

Le moment est historique, enfin, parce que des millions de femmes mais aussi d’hommes attachés à cette liberté fondamentale nous regardent et nous écoutent en ce moment même.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de faire du droit à l’avortement une liberté garantie pour toutes les femmes qui vivent sur notre sol.

C’est un combat que notre groupe – je le dis face à Laurence Cohen, qui est présente en tribune – a mené depuis de très nombreuses années. En effet, dès 2017, nous avions proposé, au travers d’une proposition de loi constitutionnelle, de constitutionnaliser l’IVG.

Aujourd’hui, avec ce projet de loi constitutionnelle, nous avons la possibilité d’inscrire le droit à l’avortement dans notre Constitution. Le souhait de notre groupe est que ce texte puisse être voté dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale.

Depuis que ce projet est sur la table, nous entendons dire que l’IVG ne serait pas menacée. Pourtant, tout montre qu’elle l’est !

Elle l’est, d’abord, en France, parce que des forces rétrogrades n’ont pas renoncé à la remettre en cause et parce que des forces médiatiques s’organisent pour la contester.

Je pense moi aussi aux propos monstrueux qui ont été entendus sur une chaîne d’information – ou plus exactement de désinformation – en continu, visant à nous faire croire que l’IVG serait la première cause de mortalité dans le monde.

Elle est aussi contestée, mise en cause et en danger par certaines forces politiques. L’intervention de M. Ravier en a porté témoignage tout à l’heure. Il y avait d’ailleurs quelque chose de répugnant à entendre ce dernier, au vu de son identité politique, s’abriter derrière la figure de Simone Veil…

Oui, l’IVG est menacée en France. Elle est menacée en Europe, notamment en Pologne. Elle est menacée aux États-Unis, où quatorze États l’interdisent aujourd’hui. Qui peut, par conséquent, affirmer que l’IVG ne serait pas menacée ?

Qu’entendons-nous par ailleurs ? Que notre Constitution n’aurait pas vocation à être un catalogue de droits sociaux. Il y a là une conception de la Constitution que nous ne partageons pas. Cette conception, au fond, vise à nous faire croire que la Constitution serait un objet juridique froid, qui se limiterait à l’organisation des pouvoirs politiques.

Comment expliquer alors que ceux-là mêmes qui développent cet argument ne soient pas avares en propositions de loi constitutionnelle n’ayant rien à voir avec la stricte organisation des pouvoirs ? C’est vrai du côté de la gauche comme du côté de la droite, qui n’en est pas avare – c’est d’ailleurs son droit le plus strict –, y compris afin d’inscrire les racines judéo-chrétiennes de la France ou de traiter des enjeux liés à l’immigration dans la Constitution… (M. André Reichardt proteste.) Cela n’a pourtant rien à voir avec l’organisation de nos institutions !

Au fond, il ne faudrait pas que l’on ait la main plus tremblante quand il s’agit d’ajouter des droits dans notre Constitution que lorsqu’il s’agit d’en retrancher.

En réalité, aucun des arguments avancés pour rejeter ce projet de loi ou pour l’amender, ce qui revient à retarder son adoption, n’est valable.

En réalité, nous avons la possibilité, par notre vote, de franchir un grand pas et de remporter ensemble une belle victoire, pour les femmes qui vivent en France, parce que ce droit fondamental y sera ainsi protégé, mais aussi pour toutes les femmes à travers le monde qui se battent pour que ce droit soit garanti dans leur pays.

D’ailleurs, quand bien même le vote de ce texte n’aurait pour fonction que de dire à ces femmes qui nous regardent et qui n’ont pas accès à ce droit aujourd’hui que nous sommes à leurs côtés et que nous partageons leur combat, quand bien même il ne servirait qu’à leur envoyer ce signal, il serait fondamentalement utile. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis la décision rendue par la Cour suprême le 24 juin 2022, plus d’une dizaine d’États américains ont totalement interdit l’avortement, pour la plupart sans aucune exception, même en cas de viol ou d’inceste. Dans certains États, l’abject s’incarne même, puisque la loi incite les citoyens à lancer des poursuites à l’encontre des femmes soupçonnées d’avoir avorté.

En Europe, de la Pologne à l’Italie, en passant par la Hongrie, sous la pression de mouvements dits « pro-vie », les conditions de l’accès à l’IVG reculent.

Certes, nous ne sommes pas de ces pays, mais nous avons en commun avec ces nations quelques fondements démocratiques.

En France, le droit à l’avortement n’est pas à l’abri des conservatismes. Il convient tant de s’en émouvoir que de se tenir en alerte.

D’ailleurs, dimanche dernier, une chaîne de télévision privée française exposait une infographie plus que douteuse faisant de l’IVG la première cause de mortalité dans le monde. Plus qu’une maladresse, c’est une manipulation honteuse. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)

Soyons cartésiens : si l’interruption volontaire de grossesse n’était pas directement menacée, pourquoi aurions-nous ce débat ?

Pourquoi vouloir constitutionnaliser l’IVG ? Sans doute parce que, à ceux qui pensent qu’elle est une évidence, nous devons opposer la prudence, en enfermant dans la loi fondamentale un droit acquis de haute lutte par les femmes et pour les femmes.

Au cours des débats qui ont eu lieu en 2023, notre collègue Jean-Yves Roux avait souligné « la tendance mondiale et européenne à une forme de recul des droits et des libertés fondamentales des femmes », et déclaré : « si d’autres reculent, soyons fiers de montrer le chemin inverse, le chemin qui refuse la régression ! ».

J’entends par-ci par-là que constitutionnaliser l’IVG ne serait que symbolique. Mais quel symbole ! D’ailleurs, le débat n’est pas tout à fait tranché par les constitutionnalistes.

Quoi qu’il en soit, la France doit se poser en pays des Lumières et être au rendez-vous de l’histoire, comme elle l’a toujours été. Elle serait la première nation au monde à envoyer ce signal positif.

Le RDSE salue votre initiative, monsieur le garde des sceaux, après avoir soutenu les précédentes propositions de loi que nous avons examinées ici – en octobre 2022, la proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Mélanie Vogel, que je salue ; puis, en février 2023, un nouveau texte issu de l’Assemblée nationale. C’est notre troisième rendez-vous. Il nous oblige !

Au cours de ces débats successifs, les positions ont évolué – ce constat concerne aussi mon groupe.

Si le RDSE était majoritairement favorable à l’adoption du premier texte, qui englobait également la contraception et se heurtait à des difficultés juridiques importantes, quelques réserves subsistaient néanmoins quant à l’efficacité de sa rédaction, le risque étant que notre texte fondamental se transforme en une déclaration bavarde.

Reconnaissons que le deuxième texte a fait l’objet d’un travail constructif. Je pense, en particulier, à l’adoption de l’amendement de notre collègue Philippe Bas, qui attribuait simplement et efficacement au législateur la charge de déterminer les conditions « dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

Ce nouveau projet de loi s’inscrit dans la continuité des précédentes propositions, puisqu’il ajoute, à l’article 34, dans une formulation assez similaire, que la loi « garantit » – et non plus « détermine » – l’accès de la femme à l’IVG.

Ce changement de terme a suscité des amendements qui ne me paraissent pas convaincants. À la lecture de la Constitution, il apparaît que les garanties constitutionnelles des droits et des libertés sont suffisamment nombreuses pour qu’une nouvelle liberté garantie puisse y être insérée sans difficulté.

Certes, il est légitime de s’inquiéter du risque d’inflation des droits constitutionnels, qui pourrait affaiblir les droits concernés, mais, là encore, nos éminents constitutionnalistes ne sont pas tous d’accord. Nous entendons l’alerte, et, si nous observions une dérive un jour, il faudrait s’y opposer fermement.

Cependant, il s’agit aujourd’hui d’asseoir un droit face à un enjeu sociétal fort.

Bientôt cinquantenaire, la loi Veil a vu son cadre légal s’améliorer au fil du temps. Son inscription dans la Constitution n’est que la suite logique d’une avancée fondamentale pour la dignité des femmes.

Mes chers collègues, le RDSE espère voir la raison l’emporter, avec un vote conforme du Sénat. Faire un demi-choix reviendrait à faire de l’IVG un demi-droit. Or les femmes doivent accéder à une liberté pleine et entière, avec, pour seule conscience, la leur. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, GEST, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « Le passé ne meurt jamais. Il ne faut même pas le croire passé », écrivait William Faulkner.

Ces mots résonnent avec une acuité particulière aujourd’hui, alors que nous sommes témoins, à l’échelle mondiale, de remises en question des droits des femmes, notamment du droit à l’interruption volontaire de grossesse.

La menace constante de voir le passé ressurgir et nos droits fondamentaux remis en cause illustre l’importance d’inscrire le droit à l’IVG dans le texte suprême de notre République : la Constitution.

En gravant dans le marbre de la loi fondamentale une protection pour toutes les femmes, quel que soit leur milieu, nous garantirons sa résistance à l’épreuve du temps et aux vagues populistes qui pourraient frapper notre pays.

Mes chers collègues, je vous le dis avec force : arrêtons de croire naïvement que ce qui se passe chez nos voisins ne pourrait se produire dans notre pays. Cette croyance est une hérésie !

En effet, les attaques envers les droits des femmes à disposer de leur corps, notamment chez ces pays voisins, nous obligent à faire preuve d’une extrême vigilance.

Aux États-Unis, nous avons été témoins de restrictions sévères et d’interdictions de l’IVG dans quatorze États, marquant un recul dramatique pour les droits des femmes. Pourtant, qui aurait pu penser que la plus grande démocratie du monde aurait pu revenir sur ce droit fondamental ? En 2023, ce sont 65 000 femmes qui n’ont eu aucun recours ni aucun choix possible et qui ont été obligées de garder l’enfant conçu à la suite d’un viol dans ce pays.

La Pologne, sous la dernière majorité gouvernementale, a restreint le droit à l’interruption volontaire de grossesse, ne rendant celle-ci légale qu’en cas de viol ou d’inceste ou lorsque la vie de la mère est menacée.

L’Italie de Meloni souhaite octroyer une allocation aux femmes pour leur éviter d’avorter – comme si l’argent était la première cause d’un avortement…

Mentionnons encore la Hongrie, où un décret oblige les femmes à écouter les battements de cœur du fœtus avant que ne soit réalisé l’avortement, tel un ultime acte de torture.

Ces exemples internationaux nous rappellent la fragilité de nos libertés et la nécessité de les protéger de manière inébranlable.

Je porte également une attention aux territoires d’outre-mer et aux zones rurales. Alors que le taux de recours à l’IVG est particulièrement élevé dans certains territoires d’outre-mer, il est de notre devoir de protéger cette loi avec fermeté. En effet, envisager de laisser place à un quelconque recul sur ce droit équivaut à accepter de mettre en danger des milliers de femmes dans ces régions, dans un futur incertain.

Face à ces réalités, la France, en tant que nation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit être à l’avant-garde.

L’inscription de l’IVG dans notre Constitution n’est pas seulement un acte de protection. Il l’est, bien sûr, mais il s’agit aussi – nous devons l’assumer – d’un acte symbolique, d’un message fort envoyé aux femmes du monde entier, par lequel nous affirmons nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Par là même, notre pays restera, comme il l’a toujours été au travers des siècles, un phare de liberté, un phare en faveur des droits des femmes, un phare en faveur des droits humains.

Simone Veil elle-même a su porter la voix des femmes, avec force et opiniâtreté, face à l’adversité et au scepticisme.

Sa lutte, qui nous rassemble – celle pour le droit des femmes à disposer de leur corps –, résonne comme l’aboutissement de près de deux siècles de combats, en écho aux aspirations pour l’égalité exprimées par Olympe de Gouges dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, laquelle proclamait que « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».

L’histoire, par ces femmes inspirantes, nous enseigne que les droits acquis ne le sont jamais pour toujours.

Mes chers collègues, l’histoire récente à travers le monde nous montre que la montée des gouvernements populistes et nationalistes a fréquemment entraîné un resserrement des libertés, affectant particulièrement les droits des minorités et des femmes, qui sont les premiers à être affectés par ces virages idéologiques.

À ces populistes et nationalistes de notre pays, qui s’imaginent que débattre de l’IVG serait une perte de temps, que le Parlement et le Gouvernement devraient se pencher sur des sujets « plus importants », je veux répondre que rien n’est plus important que les droits des hommes et des femmes : c’est l’essence même de notre République, qu’ils méprisent tant.

À ces populistes et nationalistes de notre pays, je rappelle que les événements qui se sont récemment déroulés dans nos rues, certains documents et courriers que nous recevons ou encore les chaînes d’information en continu qui diffusent des contre-vérités témoignent des menaces persistantes et des attaques régulières contre ce droit fondamental.

Nous vivons à une époque où les réseaux sociaux façonnent de nouvelles croyances, où près d’un jeune sur dix croit à des théories aussi dépassées que celle selon laquelle la Terre serait plate !

Lorsque je pense à mes sœurs, aux femmes et aux petites filles de ce pays, je refuse de les imaginer vivre dans la peur, dans un monde où leur corps ne leur appartiendrait pas, où une grossesse non désirée pourrait bouleverser leur destin.

Parce qu’aucune femme, en France et dans le monde, ne se réveille un matin en pensant que c’est le jour idéal pour prendre la décision déchirante d’avorter.

Parce qu’aucune femme, en France et dans le monde, ne considère l’IVG comme une option de contraception parmi d’autres.

Parce qu’aucune femme, en France et dans le monde, ne recourt à l’IVG avec légèreté et insouciance.

Parce qu’aucune femme, en France et dans le monde, ne se tient devant cette porte sans se demander si elle pourra la franchir, si elle aura la force de poursuivre.

Parce qu’aucune femme, en France et dans le monde, ne doit être réduite à un rôle qu’elle n’a pas choisi, par peur ou par manque de choix.

Non, cher collègue, « l’IVG de confort » n’existe pas ! De tels propos sont non seulement réducteurs, mais aussi et surtout insultants pour les femmes.

La liberté de choisir, à laquelle nous sommes tous attachés dans cet hémicycle, est, au fond, l’une des libertés sociales les plus fondamentales.

Refuser de l’entendre, c’est réduire la femme à un simple utérus et à un rôle reproducteur.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, par devoir et pour l’histoire, pour Simone Veil et pour toutes les femmes qui se sont battues et se battent encore à travers le monde, gravons dans le marbre de notre Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse en France ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « Quand je dépose le texte, c’est à la suite d’un événement que j’ai connu comme avocat. Une jeune femme est livrée à une faiseuse d’anges, victime de septicémie, elle meurt, à 18 ans. […] Je trouve cela tellement injuste et je me dis : il n’est pas pensable qu’on ne puisse être maître de son corps, a fortiori du fruit que l’on porte, et si on ne veut pas de ce fruit, on a le droit de le rejeter, on n’est pas obligé d’être mère. »

Ces mots sont ceux d’Henri Caillavet. Ils ont été prononcés en 1947, à l’occasion de ce que je pense être la première proposition de loi consacrée à la dépénalisation de l’avortement.

J’ai souhaité que le nom de ce grand sénateur, grand humaniste, grand législateur, soit associé aujourd’hui à ceux de Gisèle Halimi, de Simone Veil et d’Yvette Roudy, à qui nous devons la dédiabolisation de l’avortement, la légalisation de l’IVG et son remboursement. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Je souhaite, mes chers collègues, répondre à quelques arguments – nous en avons échangé un certain nombre depuis un an et demi – qui me paraissent devoir être sérieusement discutés.

Selon le premier d’entre eux, nous assisterions à l’importation en France d’un débat purement américain, exclusivement justifié par l’arrêt Dobbs v. Jackson Womens Health Organization.

Je rappelle à votre mémoire la proposition de loi examinée ici en 2017 sur l’initiative de notre ancienne collègue Laurence Cohen et des sénateurs communistes – soit cinq ans avant la publication de l’arrêt Dobbs – et celle qui a été déposée en 2019 – soit trois ans avant celui-ci – par Luc Carvounas, alors député.

Si nous pensons indispensable de protéger le droit à l’avortement en l’inscrivant au sommet de la hiérarchie des normes, c’est parce que les anti-IVG n’ont jamais renoncé depuis la loi Veil.

Cela m’amène au deuxième argument souvent entendu, selon lequel l’IVG ne serait pas menacée en France. En ce cas, très bien ! Profitons-en pour prendre les garanties que nous voulons pour l’avenir.

Au reste, il est sans doute vrai, à l’instant où nous parlons, qu’il n’y a pas de menace. Et nous le devons d’abord aux Français, qui, à plus de 80 %, soutiennent le droit à l’avortement et l’ensemble des réformes que nous avons conduites pour en favoriser l’accès. Ils sont aujourd’hui le meilleur bouclier, le bouclier citoyen de la protection de l’IVG. Je veux les saluer et les en remercier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI.)

Mais il faut voir plus loin, tant dans le temps que dans l’espace.

Partout où les extrêmes droites, les ultraconservateurs, les nationaux populistes, les totalitaristes, les illibéraux – quel que soit le nom qu’on leur donne – ont accédé au pouvoir, l’avortement et les droits des femmes sont leurs cibles.

Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, Milei en Argentine, Orbán en Hongrie, Meloni en Italie, Droit et justice (PiS) en Pologne, le ministre de la santé de Poutine… Tous ces gens sont les amis de Mme Le Pen : ce sont ceux avec qui elle danse la valse, déjeune, complote ! Ce sont ceux qui la financent. Et tous, sans exception, ont la même obsession (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDPI.) : restreindre les droits des femmes à l’IVG, poursuivre les femmes qui y recourent, criminaliser et harceler les militantes et les soignantes qui viennent au secours des femmes. Tous, sans exception !

Je ne crois pas à une quelconque exception de l’extrême droite française, à l’idée d’un microclimat qui nous protégerait.

En revanche, je crois à la taqiya, et je ne la vois pas uniquement chez les islamistes ! Je la vois aussi chez nous, chez ceux qui cherchent à se fondre dans le paysage pour faire croire aux Français que l’on n’attaquera pas les droits des femmes. Voilà la réalité qui nous attend ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Alors qu’une chaîne de télévision désigne l’avortement comme première cause de mortalité mondiale et traite les femmes de criminelles – d’autres l’ont évoqué avant moi –, je veux rappeler les exactions continues contre les locaux du planning familial, à Lille ou encore à Bordeaux, témoignage de la détermination et de la violence des anti-choix.

Enfin, le dernier argument est davantage politicien. J’ai entendu certains de mes collègues qu’ils refusaient de « donner le point à Macron ». Chers collègues, il a fallu un an et demi de travail au Parlement, un an et demi de pétitions, de collaboration avec les militantes et les associations pour qu’enfin le Président de la République se décide à déposer un projet de loi ! Aujourd’hui, voter la constitutionnalisation, c’est donner le point au Parlement.

Ce soir, puis au Congrès, nous serons fidèles à la grandeur de la France, ce pays précurseur, phare des droits humains, qui éclaire et encourage celles et ceux qui luttent pour leur émancipation. Je n’ai aucun doute sur ce point : nous serons le premier pays à faire de l’IVG une liberté fondamentale. Cela fera du bien aux Français et à la France. Nous en avons besoin ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, RDSE et UC.)