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Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Jean-Baptiste Blanc. Lors du scrutin public n° 123 sur l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, mon collègue Jean-François Husson souhaitait voter contre.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France
Discussion générale (suite)

Filière cinématographique en France

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France
Article 2

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, présentée par Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et M. Jérémy Bacchi (proposition n° 935 [2022-2023], texte de la commission n° 323, rapport n° 322).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi.

Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une certaine satisfaction que je m’exprime sur la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, que nous examinons ce soir.

Tout d’abord, parce qu’elle est la traduction législative du rapport de la mission d’information de la commission de la culture, adopté à l’unanimité le 20 mai dernier, réalisé avec mes collègues Jérémy Bacchi et Céline Boulay-Espéronnier, cosignataire de cette proposition de loi et corédactrice à nos côtés, dont je salue la présence en tribune.

Ensuite, parce que ce texte, qui est le premier, depuis 2010, à être consacré exclusivement au cinéma, nous fournit l’occasion – c’est trop rare ! – de débattre de ce secteur.

Enfin, car le cinéma est au cœur des politiques culturelles et de notre diversité artistique. La France a mis en place, depuis plus de soixante-quinze ans, des mécanismes de soutien et de régulation qui font de notre pays un modèle en matière de production et de fréquentation, modèle que l’on nous envie et que l’on tente parfois de copier.

Comme mes deux collègues rapporteurs, je viens d’une terre de cinéma, le Calvados, qui a accueilli le tournage de films inoubliables, comme Le jour le plus long, le mythique Un singe en hiver ou le romantique Un homme et une femme.

Nous accueillons aussi de nombreux festivals, par exemple à Deauville ou à Cabourg.

Les œuvres cinématographiques ont la faculté de transcender les territoires dont elles content l’histoire et qu’elles font vivre au monde. Et, chez nous, nombreux sont les cinémas, nombreuses sont les salles et les associations de cinéma itinérant. Chez nous, on sait « faire notre cinéma » !

Nous avons présenté notre rapport en mai dernier, quand de vrais doutes existaient encore sur la solidité du cinéma, à la suite du long confinement, qui a vu l’explosion des plateformes de streaming. Les spectateurs allaient-ils revenir dans les salles ou les déserter définitivement, au profit de leurs salons et de leurs écrans, qui diffusent une infinité de contenus ?

Depuis cette date, les faits ont confirmé l’optimisme dont nous avions fait preuve et dont le titre du rapport, Le cinéma contre-attaque, en plus de procéder à une référence cinématographique subtile, se voulait l’écho.

Avec 181 millions de spectateurs en 2023, la France a retrouvé un niveau de fréquentation que l’on peut juger « normal ». Par comparaison, ce chiffre est supérieur de 30 millions aux billets vendus en Allemagne et en Espagne réunies, pour une population deux fois inférieure.

Comme je l’ai dit, et tel était le message principal de notre rapport, ce succès doit beaucoup à la constance de politiques publiques mises en place avec la création du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) le 25 octobre 1946 et poursuivies depuis lors par tous les gouvernements.

Je ne saurais dire si le cinéma demeure populaire dans notre pays parce qu’il est soutenu, ou s’il est soutenu parce qu’il est populaire, mais les faits sont là. Avec les États-Unis, la France est probablement l’autre grand pays du cinéma. La part de marché de nos productions nationales y est de 40 %, chiffre tout à fait remarquable quand on connaît la force de frappe de l’industrie cinématographique hollywoodienne.

L’autre grand enseignement de nos travaux est que le cinéma français a su s’adapter et évoluer pour faire face aux bouleversements technologiques et aux nouveaux modes de consommation des produits culturels. Ce sujet est d’ailleurs commun aux autres grandes industries culturelles, comme celles de la musique ou du livre.

Les discours alarmistes sur la pérennité du cinéma n’ont pas débuté avec le confinement. Ils ont parsemé son histoire : la télévision, dans les années 1960, l’explosion du nombre de chaînes, dans les années 1980, l’irruption d’internet, au début des années 2000, l’arrivée du streaming, dans les années 2010, ont, chaque fois, suscité des discours anxiogènes et une vraie crainte des professionnels.

Ces peurs ne sont d’ailleurs pas sans fondement : dans de nombreux pays – je pense, par exemple, à l’Italie et à l’Allemagne –, le cinéma a beaucoup cédé et s’est contracté à chaque fois.

Dès lors, le travail que nous avons mené en commun a souhaité s’inscrire dans ce mouvement permanent d’adaptation de nos structures. On pourrait, comme le font certains, s’interroger sur les raisons profondes de notre ténacité. Beaucoup militent même pour un relâchement des règles, il est vrai complexes, qui gouvernent notre système. Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas laisser faire le marché et renoncer à accompagner un secteur menacé d’extinction tous les dix ans ? Parce qu’il en résulterait la fin des salles, moins de films, la fin de la diversité ou de l’exigence… Ce serait à la fois Les Adieux à la reine et Bonjour tristesse !

Quelle triste dystopie, où chacun n’aurait d’autre choix que de plonger solitairement dans son petit écran face à un récit sans surprises, joué toujours par les mêmes, loin de l’expérience collective que nous construisons quand nous partageons un moment commun dans une salle… Nous avons besoin de ces moments de partage, et notre pays aussi. Or force est de constater que notre monde contemporain du numérique et de l’immédiateté aurait tendance à nous faire emprunter le chemin contraire et à nous éloigner des parenthèses uniques vécues ensemble dans les salles obscures !

Nous connaissons l’importance du cinéma dans la construction de notre identité collective, car les œuvres transcendent les époques, les individus et les territoires. Je peux donc dire que, avec cette proposition de loi, qui vise à poursuivre l’adaptation de notre cinéma à notre société, nous apportons, à notre modeste niveau, notre contribution à la consolidation des droits culturels dans notre pays.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’avez compris : cette proposition de loi est, certes, une petite pierre, mais elle renforce le bel édifice de la culture. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sénatrice d’un département où le septième art rayonne dans le monde entier, en particulier au mois de mai, lorsque la ville de Cannes célèbre le cinéma, mais aussi tout au long de l’année, puisque la Côte d’Azur est une terre de tournage privilégiée, grâce notamment au dynamisme de la Commission du film Alpes-Maritimes Côte d’Azur, je me réjouis d’avoir été désignée rapporteure de cette proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, premier texte dédié uniquement au septième art depuis 2010.

Je veux saluer le travail des auteurs de ce texte : mes collègues Céline Boulay-Espéronnier, présente en tribune ce soir, que je salue chaleureusement, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi.

Ce texte est l’occasion de rappeler la résilience et la performance du modèle français, de la production à la diffusion.

Sa progression confirme l’attachement des Français pour l’expérience de la salle de cinéma et leur appétence pour la diversité de l’offre proposée.

Rappelons que la part de marché des films français s’élève à 40 %. La reprise de la fréquentation est donc essentiellement portée par la production nationale. Quelle fierté pour notre pays !

Ce texte a été construit, d’auditions en réunions de commission, avec le souci d’associer l’ensemble des parties prenantes. Notre ambition, en tant que rapporteurs, est de parvenir à des solutions mieux adaptées et plus facilement appliquées.

Ainsi, cette proposition de loi vise trois objectifs.

Le premier est la simplification de la vie des 2 000 établissements cinématographiques, lesquels ne représentent pas moins de 6 300 écrans.

Spécificité française, les cartes illimitées contribuent puissamment à la promotion de la diversité.

Nous avons eu à cœur de préserver toutes les garanties dont bénéficient les salles associées, et, surtout, d’améliorer le mécanisme de rémunération des ayants droit et des distributeurs.

Le deuxième objectif, dans lequel vous verrez la marque du Sénat, est de mieux garantir l’accès aux œuvres sur l’ensemble du territoire, pour éviter un cinéma des villes et un cinéma des champs. L’article 4 met ainsi en place des engagements de diffusion pour les distributeurs.

Le dernier objectif – et non des moindres – est l’intégration du cinéma dans les grandes politiques publiques.

Nous avons souhaité donner au CNC deux outils, qui lui permettront, d’une part, de conditionner l’attribution de ses aides au respect des accords de rémunération minimale des auteurs et, d’autre part, de moduler ses aides en fonction du respect des critères environnementaux.

En outre, le cinéma fait face à des menaces qui, si elles ne sont peut-être pas inédites, sont en perpétuelle évolution.

Pour préserver l’exclusivité de l’expérience de la salle de cinéma, mes collègues rapporteurs et moi-même avons ajouté à ce texte un dispositif qui permettra de sanctionner plus rapidement les sites internet contrevenants et les fameux sites miroirs.

Vous le savez, mes chers collègues, le piratage évolue. Notre législation doit sans cesse s’adapter, et c’est exactement ce que nous faisons aujourd’hui.

Enfin, je ne peux conclure mon intervention sans évoquer les débats qui agitent le monde du cinéma depuis quelques semaines autour d’affaires sordides. La prise de conscience du grand public est tardive, et ces récentes révélations ne sont que l’arbre qui cache la forêt.

J’ai toujours défendu la parole des femmes qui subissent des discriminations, des inégalités ou, pire, des violences. Je veux, bien sûr, adresser mon soutien aux actrices et aux acteurs victimes de ces dérives abominables.

Si le mouvement #MeToo a réveillé la société, on voit bien qu’une forme de complaisance reste latente. Il est temps d’apporter des réponses législatives à ce fléau, afin de mieux prévenir et sanctionner les violences sexuelles, surtout sur les mineurs, lors des tournages. En tant que rapporteure, je m’y engage, et j’espère que mes collègues ici présents soutiendront cette démarche.

Cette érotisation a broyé de nombreuses actrices, dont des débutantes, qui doivent faire leurs preuves et se retrouvent, sous la contrainte économique due au statut précaire d’intermittent du spectacle, dans une position de grande fragilité à l’égard de celui qui les dirige. Ces mécanismes de domination, d’exploitation et de dépendance constituent de véritables entraves à la liberté de parole.

Il est temps de déconstruire également cette conception très française de l’artiste qui élève le génie créatif au-dessus de toute norme sociale. Notre conception du talent, de l’art et de l’artiste ne doit pas accepter la transgression des lois !

Enfin, j’invite le CNC et l’Afdas, l’organisme de formation du secteur, à veiller au bon déroulement des formations obligatoires sur la prévention des violences pour les équipes de tournage.

Madame la secrétaire d’État, je sais, par votre présence aujourd’hui, l’intérêt que vous portez à la défense du cinéma en France, mais aussi de celles et ceux qui y jouent un rôle, au sens propre comme au sens figuré.

Je compte donc sur vous pour faire inscrire ce texte à l’Assemblée nationale dans les meilleurs délais ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour ne pas être en reste par rapport à mes deux collègues rapporteures, je tiens à rappeler que je viens également d’une terre de cinéma, les Bouches-du-Rhône. Je ne peux pas ne pas citer, par exemple, la Provence filmée par Marcel Pagnol ou encore les rues de Marseille dans French Connection ou Taxi !

J’adresse également un salut amical à ma collègue Céline Boulay-Espéronnier, qui nous fait le plaisir d’être en tribune ce soir et qui n’aurait pas manqué, si elle avait été à ma place, d’évoquer les tournages qui peuvent se dérouler dans une autre grande ville, Paris.

À l’évidence, pour ambitieuse qu’elle soit, cette proposition de loi n’épuise pas le sujet du cinéma, que je traite chaque année comme rapporteur pour avis de la commission de la culture.

Comme l’ont rappelé mes collègues Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp, le cinéma évolue au gré des évolutions technologiques et sociales, et notre rôle est de l’accompagner. Pour emprunter à une référence cinématographique et littéraire, « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Je veux ainsi citer trois grands défis qui nous attendent et auxquels il conviendra de s’attaquer dans les prochains mois.

Le premier défi est celui de la pérennité de notre modèle de financement, qui, comme le rappelait le rapport de la mission d’information, repose sur un équilibre subtil entre flux financiers publics et privés et régulation, avec notamment la chronologie des médias.

Cet édifice patiemment construit a fait la preuve de son efficacité, mais demeure fragile. Il doit sans cesse être défendu et régénéré, en gardant bien en tête la longue histoire qui l’a précédé.

Avec une chronologie en négociation cette année et des plateformes de streaming à mieux insérer, il y aura fort à faire pour promouvoir encore notre filière cinématographique, pourvoyeuse d’emplois et de richesse dans nos territoires.

Je tiens à dire que nous défendrons, au sein de la commission – et, j’en suis persuadé, dans notre assemblée –, un modèle qui a fait ses preuves et contribue à notre économie et au rayonnement de tous nos territoires.

Je tiens également à souligner l’implication des régions dans le financement et le développement du cinéma, comme Catherine Morin-Desailly l’a fort opportunément rappelé en commission.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. Cet engagement, qui transcende les clivages politiques et territoriaux, est une nouvelle preuve des multiples bienfaits du septième art.

Le deuxième défi est l’éternelle question, soulevée par le rapport, de la surproduction qui frapperait notre cinéma.

Le rapport a précisément étayé le constat, sur le temps long, d’une hausse de la production et d’une baisse du financement moyen par œuvre. En conséquence, les films produits sont parfois trop peu travaillés en amont, et pas assez exposés en aval.

Ce débat, qui focalise beaucoup l’attention, est souvent source d’une mauvaise compréhension entre le monde du cinéma et le monde politico-économique, et s’élève comme une petite musique lancinante dès que l’on évoque le cinéma.

Nous avons engagé le dialogue avec le CNC pour parvenir à faire évoluer notre système sans à-coup et préserver le formidable potentiel des jeunes réalisateurs, sans renoncer pour autant à construire de grands succès populaires, qui, d’ailleurs, participent au financement de la création dans son ensemble.

Un film est une œuvre collective qui nécessite des moyens. Comme nous le savons, il n’existe pas de formule magique pour prédire un succès, et personne ne réalise un film en cherchant l’échec.

Tout est donc question d’équilibre, entre l’indispensable recherche artistique et un public qui ne demande qu’à découvrir des œuvres ambitieuses. En témoigne, par exemple, le succès critique et public, sur une thématique pourtant loin d’être évidente, du film de Justine Triet, Anatomie dune chute, en lice dans les plus prestigieuses catégories aux Oscars.

Le troisième et dernier défi est la conclusion d’accords sur les rémunérations minimales dans le secteur du cinéma.

Si de tels accords ont déjà été signés dans le milieu de l’audiovisuel, qui n’est pourtant pas si différent, leur conclusion achoppe encore pour le septième art.

J’échangeais encore récemment avec le syndicat des scénaristes de cinéma. L’inquiétude est réelle. Comme souvent, le discours dominant est qu’un accord devrait être trouvé « avant Cannes » – dans le cinéma, tout doit être résolu « avant Cannes », pour pouvoir peut-être mieux profiter du Festival… Les négociations sont cependant rendues complexes par la pluralité des parties prenantes et la multiplicité de leurs représentations, mais j’ai bon espoir, malgré tout, car cet accord trouverait, dans notre proposition de loi, un puissant relais.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui est donc le résultat d’un travail et de réflexions au long cours. Elle est attendue dans la profession, où elle rassemble une rare unanimité.

Je veux, en conclusion, remercier l’ensemble de nos interlocutrices et interlocuteurs, avec qui les échanges ont été aussi intenses que passionnants, et les services du CNC, qui se sont montrés extrêmement coopératifs, ouverts et transparents auprès de la représentation nationale.

Vive le cinéma ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marina Ferrari, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, monsieur les rapporteurs, madame la sénatrice de La Provôté, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord d’excuser la ministre de la culture, Mme Rachida Dati, qui est actuellement en route vers Abou Dhabi afin de représenter la France à la conférence mondiale sur l’éducation culturelle et artistique de l’Unesco.

La proposition de loi sur laquelle vous allez vous exprimer s’appuie sur deux convictions largement partagées.

La première est que le secteur du cinéma va bien. Il ne connaît pas aujourd’hui de crise profonde liée à son financement. C’est même le contraire : tout l’écosystème a su montrer sa résilience et sa capacité de rebond, notamment après la crise sanitaire de 2020. Pour le cinéma français d’aujourd’hui, il n’est nul besoin d’un quelconque big-bang de la régulation.

Pour autant, notre seconde conviction est que notre cinéma peut profiter d’ajustements ciblés, qui nourriront sa dynamique extrêmement positive tout en lui permettant de répondre à de nouveaux enjeux ou en s’assurant que les dispositifs existants atteignent bien leurs objectifs.

C’est tout l’objet de cette proposition de loi.

Elle est le fruit d’un travail de longue haleine, grâce auquel nous examinons un texte approfondi, fondé sur les attentes du secteur, et qui a été enrichi par des apports venus de tous les bords politiques.

Le rapport remis par l’ancien président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, aux ministres de la culture et de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique au printemps 2023 a dressé un constat clair des enjeux. Il a aussi formulé des préconisations pour moderniser la régulation du secteur du cinéma. Prolongées par le rapport d’information Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de lavenir de la commission des affaires culturelles du Sénat, ces réflexions se concrétisent désormais dans cette proposition de loi.

Elle est donc le résultat d’une réflexion mûrie, sur la base de diagnostics partagés : c’est d’ailleurs ce qui lui a permis de recueillir un large consensus. Je tiens donc avant tout à saluer ce travail exemplaire, en particulier celui de ses différents rapporteurs : M. Jérémy Bacchi et Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp.

Dans le détail, ce texte nous paraît apporter des réponses satisfaisantes à trois enjeux prioritaires.

Le premier enjeu est de donner aux Français l’envie d’aller au cinéma. Le deuxième consiste à assurer à nos œuvres l’exposition qu’elles méritent. Le troisième est de rendre la filière cinématographique française exemplaire.

Concernant le premier enjeu, même si le public est largement revenu dans les salles, cette situation favorable ne doit jamais être tenue pour acquise. Il nous faut accompagner le secteur pour qu’il retrouve et conserve toute son attractivité. D’où la nécessité de permettre aux exploitants de proposer des offres pertinentes : c’est tout le sens des mesures sur les cartes illimitées ou les offres promotionnelles en ligne.

Sur les cartes illimitées notamment, nous avons désormais du recul depuis leur émergence dans les années 2000. S’il est vrai que leur mise en place avait alors suscité des inquiétudes, on constate aujourd’hui qu’elles ont permis de fidéliser nombre de clients et d’amener de nouveaux publics vers le cinéma d’auteur notamment. Cette proposition de loi vise donc à alléger les contraintes pour favoriser des offres bénéfiques pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens amateurs de cet art, afin de garantir l’accès à tous et partout au cinéma, tout en maintenant des garanties essentielles, notamment sur la rémunération des distributeurs et ayants droit de chaque film.

Le deuxième enjeu est de donner à nos œuvres l’exposition qu’elles méritent. Il s’agit d’aider toutes les œuvres à maximiser leur potentiel, en leur assurant une visibilité adéquate. Ainsi, la proposition de loi instaure des engagements de diffusion afin que chaque film puisse trouver son public.

En pratique, l’idée est simple : nous dotons le CNC d’un nouvel outil pour pousser les distributeurs des films les plus porteurs à réserver une partie de leur plan de sortie à des salles situées dans des zones peu denses. C’est par exemple le cas en milieu rural : ce n’est pas parce que l’on habite loin d’un centre urbain que l’on doit voir un film qui fait événement plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après tout le monde. En assurant une meilleure répartition de l’offre de diffusion sur tout le territoire et dès la sortie, nous permettrons à chaque Français de participer pleinement à l’émotion collective des grands succès au cinéma.

Le territoire dont je suis issue, la Savoie – je m’exprime d’ailleurs sous le contrôle du sénateur Cédric Vial ! (Sourires.) –, est très attaché au cinéma et a la chance d’accueillir de nombreux tournages.

Le troisième enjeu, c’est de rendre la filière exemplaire. Le soutien continu au secteur a permis au cinéma d’incarner avec brio l’idée d’exception culturelle française. Il implique logiquement une forme de contrepartie pour que la filière soit exemplaire. Cela concerne les questions propres au cinéma, comme la rémunération des auteurs, mais aussi les enjeux transversaux, à commencer par la transition écologique.

C’est la philosophie de cette proposition de loi, notamment à travers le conditionnement des aides du CNC au respect préalable de certaines exigences. C’est d’ailleurs ce qui se fait déjà hors de nos frontières, notamment dans l’Union européenne.

Désormais, un film qui reçoit un soutien financier du CNC devra respecter des critères environnementaux et proposer des rémunérations au-dessus d’un seuil minimal. C’est un puissant levier pour accélérer les changements.

En votant ce texte, qui va au plus juste pour adapter le secteur du cinéma et son financement aux enjeux contemporains, votre assemblée permettra d’améliorer la diffusion culturelle sur tout le territoire et auprès de tous les Français, tout en encourageant la responsabilité sociale et environnementale du secteur.

Alors que nos concitoyens plébiscitent notre cinéma et que celui-ci fait rayonner la France et sa culture plus que jamais, donnons-lui les moyens de rester un secteur dynamique, que le monde entier nous envie. Que vive le cinéma ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est l’occasion de parler spécifiquement du cinéma pour la première fois depuis la loi du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.

Parler du cinéma aujourd’hui, c’est d’abord rappeler que le cinéma français s’en sort mieux en 2023 que dans d’autres pays qui semblent ne pas se remettre des conséquences de la crise de la covid-19. Nombreux sont les exemples éloquents dans ma circonscription, pourtant à dominante rurale !

Le cinéma Les Korrigans à Guingamp a vu ses entrées bondir de 20 %. À Lamballe, le cinéma Le Penthièvre fait 2 900 entrées de plus en 2023. Le Quai des Images connaît une hausse de 25 % de sa fréquentation à Loudéac, tandis que le festival Films courts de Dinan doublait encore récemment son nombre de spectateurs. Il faut nous en féliciter !

Pour autant, parler du cinéma aujourd’hui, c’est aussi prendre en compte les conditions de production cinématographique.

Ne soyons pas sourds aux revendications qui se font entendre en faveur d’une plus juste rémunération des artistes-auteurs. Regardons à ce titre d’un bon œil le combat des acteurs hollywoodiens qui, après 118 jours de grève, ont obtenu une augmentation de près de 8 % du salaire minimum.

Améliorer les conditions de production, comme le contexte actuel semble nous le rappeler, c’est également faire en sorte que les femmes, actrices, réalisatrices, techniciennes puissent exercer leur métier sans crainte. Nous devons à ce titre combattre toute forme d’omerta et tout mettre en œuvre pour que le monde du cinéma ne soit pas une sphère susceptible de se dérober à l’action de la justice.

Enfin, parler du cinéma, c’est rappeler notre attachement à l’exception culturelle, cette fameuse politique inspirée de Malraux qui consiste à soustraire de la loi du marché les biens culturels.

Parce qu’elles participent de l’émancipation humaine, les œuvres cinématographiques ne sont pas des biens marchands comme les autres. Elles doivent à ce titre être accessibles à tous.

Ainsi, le mécanisme de redistribution du CNC permet de financer, à partir des ventes des billets de blockbusters, la création de « petits » réalisateurs avant qu’ils ne soient connus, et attribue des aides aux « petits » producteurs, distributeurs ou exploitants dont la billetterie est faible. Ce système rend alors accessible la diversité de l’offre cinématographique à l’ensemble des salles de cinéma, jusqu’aux contrées les plus lointaines, construisant ainsi toutes les conditions nécessaires pour que les chefs-d’œuvre du cinéma deviennent de grands films populaires !

Or cette exception culturelle semble aujourd’hui menacée. Écoutons la voix de Justine Triet, citée par le rapporteur à l’instant, qui s’est élevée au Festival de Cannes, et soyons attentifs à ceux dont le cœur penche toujours un peu plus vers la marchandisation du cinéma. Je pense en particulier à ceux qui plaident pour une plus large part de financement privé ou encore à ceux qui voudraient plafonner l’ensemble des taxes affectées au CNC.

Face à ces remises en cause de l’exception culturelle, le texte dont il est question aujourd’hui tend à apporter des éléments de protection. L’assouplissement du système d’agrément du CNC permettra d’assurer une juste rémunération des distributeurs et une équité d’accès pour les exploitants indépendants, favorisant ainsi la diversité culturelle.

L’obligation pour les distributeurs de consacrer une diffusion minimale de l’offre cinématographique dans des lieux à faible densité démographique répondra à l’objectif de démocratisation de la culture.

Enfin, une rémunération minimale des auteurs sera assurée par le conditionnement des aides du CNC au respect des accords de rémunération.

Favorables à ces avancées, nous voterons assurément ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDPI, ainsi quau banc des commissions.)