Mme Silvana Silvani. Qui va payer ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Ces réformes ont bien sûr des conséquences pour nos départements, tant en termes d’organisation que pour leurs finances ; vous avez eu raison de le souligner, et nous en sommes parfaitement conscients.

Cela étant, comme je le disais, il faut apprendre à faire différemment pour mieux servir nos objectifs, lesquels sont partagés par nos concitoyens. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE-K.)

Pour autant, j’entends et je comprends les craintes exprimées par les départements quant à l’impact de ces réformes sur leur situation financière dans un contexte que nous connaissons bien de baisse des recettes liées aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et de dégradation de l’épargne de certains d’entre eux.

Nous avons prouvé, au cours des derniers mois, notre plus totale détermination à soutenir financièrement les départements. J’ai même personnellement suivi, en lien étroit avec Départements de France, l’évolution de la situation budgétaire de chacun d’entre eux – j’y insiste. (M. Mickaël Vallet sexclame.)

Nous regarderons au cas par cas les conséquences des choix que nous faisons. Nous serons aux côtés des départements pour continuer de servir ensemble une France plus juste. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé sexclame.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, nous avons besoin de gouvernants et non de communicants.

M. Mickaël Vallet. C’est mal barré !

M. Laurent Burgoa. En ce 14 février, souvenez-vous que, en politique comme en amour, il n’y a que les actes qui comptent ! (Sourires.) Nos départements les attendent. Ils ne sont pas les sous-traitants de l’État !

Notre démocratie le mérite. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

infirmiers sapeurs-pompiers

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.

M. Joshua Hochart. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer. Elle concerne les 8 000 infirmiers sapeurs-pompiers et, plus particulièrement, les 230 infirmiers sapeurs-pompiers du département du Nord, qui se trouvent actuellement dans une situation préoccupante.

Ces derniers réalisent chaque année plus de 8 000 interventions, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, dans le cadre de l’aide médicale d’urgence (AMU). Récemment, sous l’autorité du président du conseil départemental, le conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) du Nord a émis le souhait de supprimer de ses prérogatives toutes les interventions que celui-ci réalise dans le cadre de l’aide médicale d’urgence.

Cette décision entraînerait une perte de chances considérable pour les habitants du Nord, dans un territoire qui souffre déjà énormément et dont les indicateurs de santé sont inférieurs à la moyenne nationale.

Cette mesure budgétaire qui ne veut pas dire son nom est un scandale !

Les infirmiers sapeurs-pompiers, dont le statut a été créé il y a plus de vingt ans, ont largement démontré leur efficacité. D’autres départements s’en sont d’ailleurs inspirés.

Qui, aujourd’hui, pourrait assurer leurs 8 000 interventions, qui plus est dans un contexte où les services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) de la région Hauts-de-France sont obligés de réduire leur activité faute de médecins ?

Au-delà de l’énorme risque qui serait pris à quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques, il en résulterait une perte d’attractivité considérable pour le service de santé et de secours médical du Sdis.

Aussi, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur cette question. Quel rôle souhaite-t-il que les infirmiers sapeurs-pompiers jouent dans la chaîne de secours : auxiliaires de santé au travail ou véritables acteurs de l’urgence préhospitalière ? Plus largement, dans un contexte où les déserts médicaux se multiplient, quelle place entend-il réserver à la paramédicalisation des interventions préhospitalières ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Hochart, le conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) du Nord, sous l’autorité du président du département, a engagé une réflexion sur le recentrage de ses activités de soutien sanitaire pour mieux s’articuler avec le service d’aide médicale urgente (Samu) et tout simplement éviter d’envoyer des infirmiers et des médecins sur des opérations de secours à la personne pouvant être prises en charge, notamment en milieu urbain, par le Samu.

Quoi de mieux qu’une meilleure coordination, notamment entre les « rouges » et les « blancs » ? Nous sommes pour notre part très heureux que le Sdis du Nord conduise cette réflexion.

Je relève que rien n’interdit à un Sdis de faire un tel choix pour son organisation, pour peu qu’il continue à assurer ses missions de secours. Chaque Sdis peut avoir une approche différente du sujet en fonction des réalités territoriales qui sont les siennes.

Dans les territoires ruraux, l’intervention des équipes médicales des Sdis est souvent la plus rapide. Dans les zones plus urbaines, la réponse du Samu est très souvent plus efficace.

Pour ce qui est du Sdis du Nord, les infirmiers et les médecins resteront toujours en soutien des sapeurs-pompiers en opération. Je tiens donc à rassurer les sapeurs-pompiers qui s’en inquiéteraient.

Le Gouvernement reste, comme toujours, très attentif aux conditions d’emploi de nos sapeurs-pompiers. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réplique.

M. Joshua Hochart. Madame la ministre, la coordination se fera les uns avec les autres, et non les uns sans les autres, comme le veut le Sdis du Nord.

Les belles paroles ne suffisent plus. Je me permettrai de faire un parallèle avec ce merveilleux jour de la Saint-Valentin : en politique, comme en amour, seules comptent les preuves ! Alors, au boulot ! (Exclamations amusées. – Mme Christine Herzog applaudit.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 28 février, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise
Discussion générale (suite)

Confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, présentée par M. Louis Vogel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 126, texte de la commission n° 321, rapport n° 320).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis Vogel, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi quau banc des commissions.)

M. Louis Vogel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’honneur de présenter devant vous une proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.

Certains des traits de cette proposition de loi sembleront probablement familiers à plusieurs d’entre vous, puisqu’elle prolonge un amendement déposé par notre collègue Hervé Marseille dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Sans son initiative, je ne serais pas devant vous aujourd’hui ; qu’il en soit remercié, de même que le groupe UC.

Alors qu’une commission mixte paritaire avait consacré l’inscription de ce dispositif dans la loi, le Conseil constitutionnel, par sa décision du 16 novembre 2023, l’a censuré en tant que cavalier législatif. La censure n’a donc pas porté sur le fond : elle est d’ordre technique.

Un nouveau véhicule législatif était donc nécessaire et je remercie mon groupe, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, d’avoir saisi l’occasion de notre niche parlementaire pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Louis Vogel. Le texte qui vous est présenté résulte d’un important travail commun de la commission des lois, dont je salue le président, François-Noël Buffet, ainsi que tous les membres avec lesquels j’ai pu débattre de ce sujet avec sérieux et responsabilité.

Je tiens à remercier également nos collègues Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, et Agnès Canayer de leurs éclairages. Quant à notre rapporteure Dominique Vérien, je la salue, évidemment, pour son investissement et son écoute bienveillante. Les auditions qu’elle a menées l’ont conduite à proposer des amendements qu’elle a pu faire adopter par la commission, et qui ont beaucoup enrichi le texte initial.

Loin d’être un sujet anecdotique ou purement technique, la question de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise concerne, en France, plus de 5 000 sociétés et plus de 20 000 juristes d’entreprise. Il s’agit, après les avocats, de la deuxième profession juridique dans notre pays.

Ce sujet essentiel fait l’objet de discussions depuis plus de trente ans en raison des enjeux économiques et politiques qu’il recouvre.

Il a été abordé sous de multiples angles depuis la publication du rapport remis en 1988 par Daniel Soulez-Larivière, qui préconisait déjà de faire bénéficier les juristes d’entreprise de « règles de confidentialité d’échanges de correspondances ».

Ont suivi les rapports d’Henri Nallet, de Marc Guillaume, de Jean-Michel Darrois, du député Raphaël Gauvain et, enfin, du groupe de travail sur la justice économique et sociale présidé par Jean-Denis Combrexelle.

Tous ces rapports, s’ils ne placent pas le curseur au même endroit, vont dans le même sens, celui de la reconnaissance de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise.

La question sur laquelle vous êtes appelés à vous prononcer, mes chers collègues, n’est donc pas anodine : elle est déterminante et n’a pu trouver, à ce jour, de réponse législative.

Par ce texte, nous proposons une adaptation de notre système juridique qui est plus nécessaire que jamais, en répondant à toutes les critiques qui ont été formulées au fil des années.

Longtemps, les juristes d’entreprise se sont contentés, dans notre pays, de mettre en forme juridique des décisions prises par d’autres – des ingénieurs, des commerciaux… Mais la pratique a évolué : le juriste d’entreprise voit son rôle de plus en plus reconnu. Surtout, l’État lui-même lui délègue désormais des tâches de plus en plus nombreuses. Ce faisant, il fait des juristes d’entreprise de véritables auxiliaires des pouvoirs publics, en les investissant de missions préventives, l’objectif étant d’identifier les risques juridiques avant que d’éventuels problèmes ne se posent.

C’est ce que l’on appelle la « compliance », ou « conformité ». D’origine anglo-saxonne, où elle fait florès, notamment dans les domaines bancaire, financier et de la concurrence, cette notion a pris de l’ampleur en France, en particulier depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.

Cette dernière avait pour objet d’aider les personnes confrontées à la loi à prévenir et à détecter les violations d’intégrité.

Le contrôle de la conformité s’est ensuite étendu, avec l’entrée en vigueur de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, à d’autres domaines de la vie des entreprises – égalité entre les femmes et les hommes, environnement, responsabilité sociétale des entreprises (RSE), etc. – pour lesquels la méthode traditionnelle d’application uniforme des règles à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur économique, et de sanction a posteriori apparaissait peu adaptée.

Le contrôle s’étend désormais des programmes de conformité préconisés par l’Autorité de la concurrence jusqu’aux autoévaluations imposées par la Commission européenne en matière de respect du droit antitrust.

Dans cette conception nouvelle du droit, les rôles de l’État et des entreprises sont modifiés : ce sont les juristes d’entreprise qui élaborent et qui appliquent la norme – codes de conduite, dispositifs d’alerte, cartographie des risques… L’État n’intervient plus que dans un second temps, en cas de non-respect des obligations de conformité.

Le phénomène est aujourd’hui si répandu que, dans de nombreuses grandes sociétés françaises, le directeur juridique porte désormais le titre de « directeur juridique et de la conformité ».

Cette évolution majeure de notre droit implique d’adapter nos règles. Si nous voulons inciter les juristes d’entreprise à dénoncer les comportements déviants à leur direction générale ou à leur direction commerciale et à assumer le rôle préventif qu’on leur demande de jouer, nous devons éviter tout risque d’auto-incrimination.

Pour ce faire, il n’existe qu’un seul moyen : que leurs avis juridiques préventifs soient protégés en cas de contrôle. À défaut, aucun avis ne sera émis, et tous les textes que j’ai évoqués auront été votés pour rien. Tel est précisément l’objet de cette proposition de loi.

Le qui vous est soumis, mes chers collègues, est équilibré ; il répond à l’ensemble des critiques et des inquiétudes qui ont été à juste titre exprimées et permet l’adaptation de notre système juridique aux défis qui l’attendent.

Tout d’abord, cette proposition de loi ne vise pas à entraver – je veux l’affirmer avec force – le travail d’enquête des autorités de contrôle. Celles-ci élaborant elles-mêmes des programmes de conformité et auront besoin de ce texte pour les mettre en œuvre.

Je rappelle que l’avis d’un juriste d’entreprise n’est pas un élément indispensable à défaut duquel une enquête ne pourrait être menée à son terme. Il est même très rare, en cas d’enquête, qu’intervienne l’avis d’un juriste d’entreprise.

Ensuite, la confidentialité de l’écrit du juriste d’entreprise ne sera pas applicable lorsque ce dernier participe, encourage ou facilite la commission d’une infraction.

De plus, en cas de soupçon par les autorités de contrôle, une procédure spécifique de mainlevée de la confidentialité a été prévue, dans le respect des droits de la défense.

J’ajoute que les domaines du droit pénal et du droit fiscal sont exclus du champ d’application de cette proposition de loi.

Ce texte ne crée pas non plus une nouvelle profession réglementée, qui concurrencerait la profession d’avocat. La confidentialité des avis des juristes d’entreprise ne doit pas être confondue avec le secret professionnel des avocats, qui n’a pas le même objet ni n’est soumis au même régime.

La confidentialité n’est pas un secret absolu lié à la qualité de juriste d’entreprise in personam : elle est une protection in rem, liée à un avis spécifique, identifié et traçable. En d’autres termes, il s’agit d’une protection des avis et non des personnes.

Enfin, par cette proposition de loi, nous entendons offrir un cadre juridique compétitif aux entreprises françaises – c’est fondamental ! Applicable, sous diverses formes, en Belgique, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans dix-sept des trente-trois pays membres de l’OCDE, la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise est une arme essentielle en matière d’attractivité économique.

Si la France souhaite disposer de juristes d’entreprise de plein exercice, elle doit à son tour leur reconnaître cette prérogative. L’adoption de ce texte évitera l’installation de services juridiques offshore et constituera une réponse beaucoup plus efficace que les lois de blocage aux injonctions extraterritoriales inadmissibles des juges étrangers, notamment américains.

Je l’ai vécu ! J’ai entendu un juge dire, après avoir engagé une procédure d’injonction de produire tel ou tel document, que s’il avait existé une loi sur la confidentialité il n’aurait pas prononcé une telle ordonnance.

Il convient de placer le droit français à l’avant-garde et d’inspirer les futurs textes européens qui ne manqueront pas d’être adoptés dans les domaines que j’ai cités.

Je tiens à affirmer, car certains ont prétendu le contraire, que la confidentialité française n’est absolument pas en contradiction avec les textes européens. En effet, elle s’appuie sur le principe d’autonomie procédurale des États membres et ne s’oppose aucunement au principe de primauté du droit européen en cas d’enquête européenne.

En définitive, loin d’avoir à craindre je ne sais quelle concurrence nouvelle, les avocats français peuvent se féliciter que ce texte leur ouvre de nouveaux marchés.

Avec cette proposition de loi, nous allons de l’avant : il n’y a aucune crainte à avoir. Il faut y aller, pour nos juristes, pour nos entreprises et pour notre droit ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Hervé Marseille et Olivier Rietmann applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi, déposée par notre collègue Louis Vogel, visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.

La principale vertu du dispositif qui est soumis à notre délibération n’est certainement pas son originalité. En effet, nous avons déjà adopté un dispositif très similaire lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, dont Agnès Canayer et moi-même étions rapporteures.

Cette disposition a néanmoins été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu’elle constituait un cavalier législatif. Je remercie donc notre collègue Louis Vogel de nous donner l’occasion d’achever le travail entamé l’année dernière.

Nous souhaitons, par la présente proposition de loi, clore un débat récurrent sur le statut et les prérogatives des juristes d’entreprise.

Cependant, nous avons bien entendu les inquiétudes de certains avocats et autorités de contrôle ; nous avons tenté d’y répondre en amendant le texte initial.

D’une part, certains avocats craignaient la création d’une nouvelle profession réglementée – je dis bien « certains avocats », car la profession est divisée sur le dispositif ici proposé, le barreau de Paris y étant favorable tandis que le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers s’y opposent.

D’autre part, certaines autorités administratives indépendantes craignaient que la confidentialité ainsi octroyée aux consultations juridiques n’obère leurs pouvoirs d’enquête et de contrôle.

En ce qui concerne la première de ces craintes, il me semble que ce dispositif, qui sera facteur d’attractivité économique pour la place de Paris, ne doit poser aucune difficulté à la profession d’avocat. La commission des lois a porté une attention particulière à ce point, en supprimant la référence à la déontologie dans le contenu des formations que les juristes d’entreprise seraient tenus de suivre et en supprimant la création d’une commission chargée de définir le contenu de cette formation, qui laissait poindre un fonctionnement ordinal.

Dès lors, il est inexact de prétendre que nous créons une nouvelle profession réglementée, d’autant que, je le rappelle, la confidentialité ici définie, contrairement à celle qui est reconnue aux avocats, est attachée seulement au document, et non à la personne du juriste.

Pour ce qui est de la seconde inquiétude, plusieurs amendements déposés sur le texte de la commission nous permettront d’avoir un débat sur les pouvoirs de contrôle et d’enquête de certaines autorités administratives indépendantes.

Le texte de notre commission me paraît pourtant apporter certaines garanties à cet égard.

Il renforce en particulier la procédure de contestation et de levée de la confidentialité via le recours à un commissaire de justice, ce qui permet d’éviter que le document saisi dont la confidentialité est alléguée ne demeure dans les locaux de l’entreprise, laquelle ne pourra ainsi l’altérer.

Par ailleurs, afin de répondre à une critique qui a été formulée contre le dispositif, nous avons prévu une procédure ad hoc pour la contestation ou la levée de la confidentialité d’un document. Les autorités de contrôle trouvaient trop facile pour les entreprises de tout mettre dans un coffre-fort siglé « confidentiel ».

Selon la procédure que nous avons conçue, lorsque la saisie aura lieu, les documents seront mis à l’abri chez un commissaire de justice. Un juge les triera dans le cadre d’une procédure contradictoire et remettra aux autorités ce qui leur revient.

Dans ces conditions, si je peux naturellement comprendre les craintes de ces autorités de contrôle, je ne les partage pas.

Du reste, je constate que nos principaux partenaires économiques garantissent un certain degré de confidentialité aux juristes d’entreprise ou aux avocats en entreprise sans constituer pour autant des Far West de la régulation économique…

Je ne partage pas non plus les arguments constitutionnels et conventionnels parfois invoqués par les détracteurs de ce texte.

Sur le plan constitutionnel, il ne me semble pas que cette proposition de loi méconnaisse les objectifs de sauvegarde de l’ordre public économique ou de recherche des auteurs d’infraction. Il s’agit au contraire, par le présent texte, d’en assurer la conciliation, sur des bases nouvelles, avec d’autres principes à valeur constitutionnelle, dans un objectif d’intérêt général.

Sur le plan de la conformité au droit européen, notre rédaction ne nous paraît pas poser de réel problème, étant entendu que les autorités de contrôle de l’Union européenne ne se verraient pas imposer la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.

S’il apparaissait néanmoins nécessaire d’apporter une précision en la matière pour rassurer les acteurs concernés – tel est du reste l’objet d’un amendement déposé par le Gouvernement –, je n’y serais pas opposée par principe.

Au surplus, le dispositif qui est soumis à votre examen me paraît équilibré et proportionné à l’objectif visé, et ce à deux égards.

Il est proportionné, en premier lieu, au regard du champ d’application que nous avons retenu : toutes les personnes exerçant des fonctions de juriste en entreprise ne pourront pas ab initio revêtir leurs consultations juridiques du privilège de la confidentialité. Ces personnes seront tenues d’être dûment formées à cette fin et devront remplir des conditions de qualification que nous avons renforcées – les juristes qui rédigent des consultations couvertes par la confidentialité devront notamment être titulaires d’un master 2 en droit.

Par ailleurs, toutes les pièces écrites qu’ils produisent ne seront pas confidentielles : seules celles qui auront été spécialement identifiées comme telles et auront fait l’objet d’un classement particulier au sein des fichiers de l’entreprise le seront.

Il est proportionné, en second lieu, au regard des conséquences juridiques qu’il prévoit pour les documents dont la confidentialité serait alléguée : cette confidentialité ne serait pas opposable en matière pénale ou fiscale, ce qui me paraît une garantie importante.

En outre, dans les autres matières, la confidentialité ne sera pas absolue et pourra être soit contestée, dès lors que le document en question n’en respecte pas les critères, soit levée, dès lors que le juriste d’entreprise a facilité ou incité à la commission de manquements.

En d’autres termes, si un juriste d’entreprise outrepasse le rôle d’alerte qu’il s’agit de lui confier et qui est précisément défini par la présente proposition de loi, la confidentialité du document pourra être levée.

Dans ces conditions, à moins de faire peu de cas de nos délibérations passées, il serait particulièrement paradoxal que nous n’adoptions pas un texte dont le dispositif est plus robuste et plus précis que celui de l’amendement que nous avons adopté l’année dernière. (M. le garde des sceaux approuve.) À cet égard, je remercie l’auteur de la proposition de loi, Louis Vogel, de la qualité de nos échanges.

En conséquence, mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Pierre-Antoine Levi et Hervé Marseille applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le sénateur Vogel, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de me retrouver cet après-midi devant vous, car l’examen de cette proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise va nous permettre de poursuivre un travail engagé de longue date – je vous en remercie tout particulièrement, monsieur le sénateur Vogel.

Vous aviez déjà voté une disposition qui représentait une réelle avancée en la matière, voilà à peine quelques mois, dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, sur l’initiative du président Hervé Marseille, que je salue, et avec l’appui décisif des rapporteures Dominique Vérien – déjà ! – et Agnès Canayer. Cette initiative avait trouvé un écho favorable à l’Assemblée nationale, où le dispositif avait été perfectionné par le rapporteur Jean Terlier et le président Olivier Marleix.

M. Laurent Burgoa. Quelles références !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce travail consensuel avait finalement été – nous étions un certain nombre à le craindre – censuré par le Conseil constitutionnel, non pas pour des raisons de fond, mais pour des raisons de procédure, le Conseil ayant estimé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

Monsieur le sénateur Vogel, vous me donnez, par cette proposition de loi, l’occasion de redire avec conviction ma volonté de renforcer la fonction juridique au sein de l’entreprise.

En effet, le constat est simple et unanimement partagé : les entreprises françaises sont soumises à des obligations de conformité de plus en plus exigeantes. Les analyses des juristes d’entreprise portent donc sur des sujets toujours plus nombreux – protection des données personnelles, lutte anticorruption, lutte contre le blanchiment, responsabilité sociale des entreprises.

À défaut d’être protégés par des règles de confidentialité, les juristes d’entreprise sont mis en difficulté s’agissant d’élaborer des stratégies internes claires. Ils amputent souvent leurs analyses écrites et se contentent d’alerter oralement les cadres dirigeants.

Les juristes d’entreprise se trouvent dès lors dans une situation somme toute paradoxale : ils doivent mettre en œuvre des obligations de conformité et alerter les cadres dirigeants des risques juridiques encourus tout en n’auto-incriminant pas leur entreprise. Cette situation singulière ne favorise pas la santé juridique et économique de nos entreprises.

En outre, elle nuit à l’attractivité de la France, de nombreuses directions juridiques choisissant de s’établir dans des pays où elles bénéficient de ce legal privilege. Or, dès lors que la direction juridique se trouve à l’étranger, le droit qui s’applique aux contrats de l’entreprise est un droit étranger.

L’ouverture du bénéfice de la confidentialité aux avis des juristes d’entreprise est donc non seulement un outil efficace au service de la politique de conformité de l’entreprise, mais aussi un levier puissant pour favoriser l’attractivité de notre droit. Il y a bel et bien, derrière le choix du droit applicable, des emplois et de l’attractivité pour notre pays.

Notre objectif est donc simple : faire en sorte que les entreprises françaises disposent des mêmes outils juridiques que les entreprises étrangères en inscrivant dans le droit français une confidentialité dont jouissent depuis longtemps les pays de common law et la plupart des États membres de l’Union européenne. (Mme Agnès Canayer et M. Olivier Rietmann lèvent les bras au ciel.)

Ces arguments en faveur de la reconnaissance d’un legal privilege à la française, je les ai déjà défendus lors des débats sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui reprend les principales caractéristiques du dispositif déjà voté par le Parlement.