M. Laurent Duplomb. Avec impatience !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Je dis pour conclure un mot des zonages : il en existe une multiplicité, vous le savez ; un travail a été entamé afin de remettre à plat cette question et de rechercher, là aussi, les voies et moyens d’une simplification.

M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Lucien Stanzione. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le monde agricole français et européen traverse une crise profonde. Le mécontentement des agriculteurs est immense.

Pour leur part, les viticulteurs nous ont alertés sur l’ampleur de la crise viticole et sur l’urgence qu’il y a à déployer des mesures d’accompagnement pour ceux d’entre eux qui sont en difficulté.

Durant des mois, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’ont eu de cesse d’interpeller le Gouvernement en multipliant les interventions à cette tribune. Les échanges ont même parfois été très tendus… Hélas ! le Gouvernement a rejeté chacune de nos propositions.

Alors qu’il était jusqu’à présent resté sourd aux demandes des viticulteurs, le ministre de l’agriculture, confronté à leur mouvement de revendication, change désormais de paradigme et multiplie les annonces pour éteindre les braises de la colère.

Ainsi un fonds d’urgence doté de 80 millions d’euros a-t-il été subitement mis en place pour accompagner les viticulteurs en difficulté. Nous prenons acte de ce geste, même s’il vient bien tardivement et s’il reste insuffisant.

Par exemple, seuls 4,8 millions d’euros sont annoncés pour mon département de Vaucluse pour indemniser les producteurs de 1,2 million d’hectolitres de côtes-du-rhône, sur un total de 3 millions d’hectolitres en cuve à l’échelon national, malgré trois distillations successives. Nous demandons que tous les besoins de distillation soient totalement et immédiatement pris en compte.

Nous prenons également acte de la volonté du Gouvernement en matière de restructuration du vignoble, mais quelles perspectives nous offre-t-il ? Espérons que les démarches entreprises auprès de la Commission européenne permettront de sortir très vite du carcan des règles de minimis et de la moyenne olympique.

Nous attendons encore des réponses concernant l’aide au stockage privé, le déploiement de l’année blanche bancaire et le rééchelonnement des prêts garantis par l’État (PGE) pour les caves coopératives.

Nous réclamons des actes très forts et courageux pour nos viticulteurs en détresse.

Autre source de mécontentement : la lavandiculture. Comment comprendre que le reliquat de 4 millions d’euros, sur les 10 millions d’aides votées par le Sénat, n’ait toujours pas été versé aux lavandiculteurs ?

Quant à la filière française de cerises de bouche et d’industrie, elle est en péril absolu ! La protection par filet n’est pas une véritable méthode alternative pour lutter contre les ravageurs, comme vous le savez, madame la ministre. Il faut agir vite, car la filière se meurt : un savoir-faire va disparaître.

M. Laurent Duplomb. C’est vrai, mais apparemment tout le monde s’en fout !

M. Lucien Stanzione. Par ailleurs, le Vaucluse est le premier département producteur de truffes. Cette culture est aléatoire, capricieuse et peu structurée. Pourquoi ne pas soutenir son développement, notamment en promouvant un projet de statut des exploitants ?

La filière du pastoralisme, quant à elle, manque de moyens – sa survie est en jeu – et le nouveau plan Loup ne répond pas pleinement aux attentes de nos éleveurs en matière de lutte contre les prédations.

Madame la ministre, je suis à l’écoute des organismes de recherche dans mon territoire : tous mettent en avant la nécessité de développer la recherche de solutions de remplacement des produits phytosanitaires qui ont été retirés trop rapidement du marché, qu’il s’agisse de l’Institut technique interprofessionnel des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (Iteipmai) ou des centres de l’Inrae, à Avignon-Montfavet comme à Sophia-Antipolis.

Aussi, madame la ministre, je me permets de vous demander une nouvelle fois de débloquer des crédits massifs de recherche pour nos filières agricoles, comme le réclament ces instituts de recherche et le monde agricole.

Une politique agricole beaucoup plus ambitieuse est nécessaire dans tous ces domaines !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Stanzione, permettez-moi de revenir un instant sur la viticulture, dont le Gouvernement ne découvre pas la situation.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Du reste, Jean Castex, alors Premier ministre, s’était fortement impliqué lors d’un épisode de gel en œuvrant pour le déploiement de 600 millions d’euros de soutien à la viticulture.

Ce sujet n’est donc pas nouveau, il est traité depuis plusieurs années. Nous ne restons pas les bras croisés à regarder ce secteur se transformer et faire face au dérèglement climatique.

Récemment encore, en 2023, je le rappelle, 200 millions d’euros ont été déployés pour la distillation et 38 millions d’euros pour l’arrachage. En outre, nous venons d’annoncer la création d’un fonds d’urgence doté de 80 millions d’euros, ainsi qu’un appui structurel de l’État, à hauteur de 150 millions d’euros, en complément des 250 millions d’euros de crédits du programme national vitivinicole.

Nous prenons donc à la fois des mesures d’urgence et des mesures structurelles pour accompagner la profession et lui apporter des solutions. Nous mesurons les effets du dérèglement climatique sur ce secteur et nous prenons en compte la nécessité pour les viticulteurs de transformer leur activité et de diversifier l’utilisation de leurs surfaces agricoles ; nous les projetons ainsi dans le futur.

Enfin, monsieur le sénateur, vous demandez que des crédits importants soient alloués à la recherche de solutions permettant de remplacer les produits phytosanitaires. Or de tels crédits sont bel et bien inscrits dans le plan Écophyto : 250 millions d’euros vont ainsi être déployés pour financer la recherche et développement de l’Inrae et pour trouver des solutions autres que les molécules dont il est désormais établi qu’elles ont des effets sur la santé humaine et sur la biodiversité.

Je rappelle que l’effondrement de la biodiversité est aussi un problème pour les agriculteurs.

M. Laurent Duplomb. C’est pour cela que nous mangeons des cerises turques !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C’est pour cela que nous déployons ces financements importants.

M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « on marche sur la tête ! » : le mot d’ordre du mouvement de protestation du monde agricole que notre pays vient de connaître est à mon avis loin d’être un slogan anecdotique.

Une partie non négligeable des revendications des agriculteurs a tourné autour de l’idée de simplification administrative, une nouveauté marquante de ce mouvement. Autant vous le dire d’emblée : en tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises, cela ne m’a pas réellement surpris !

Le secteur agricole est le plus touché par cette frénésie normative, ce réflexe de tout régler par la loi, le décret et l’arrêté, ce même réflexe qui obère notre potentiel productif.

Quel secteur, madame la ministre, connaît des contrôles aussi fréquents que la profession agricole ? Le respect des critères d’éligibilité aux dispositifs surfaciques de la PAC, tels que la vérification du couvert déclaré sur les parcelles, fait l’objet d’observations par relevé satellitaire tous les trois jours : tous les trois jours, vous ne rêvez pas !

Quelle profession, madame la ministre, est ainsi sommée de ne jamais revenir en arrière, de ne pas même faire un pas de côté, y compris lorsqu’on s’aperçoit que la direction choisie n’était pas la bonne ? C’est l’histoire du fameux ratio de prairies permanentes ou des règles applicables aux haies, qui pénalisent les bons élèves pour s’être engagés dans des pratiques vertueuses. À force de sanctuariser ces dernières, les agriculteurs vont-ils bientôt devoir se cacher quand ils les mettent en œuvre ?

Instaurer de la conditionnalité pour s’assurer du bon emploi des deniers publics est une chose, et même une très bonne chose, mais créer des usines à gaz qui coûtent parfois plus à la société qu’elles ne lui rapportent en est une autre.

Parce que les normes sont en apparence non coûteuses, elles sont souvent préférées aux subventions ou aux taxations. Pourtant, leurs effets distorsifs sur l’économie sont nombreux et souvent pires que ceux de la fiscalité : parce que les normes favorisent la recherche de rente, parce qu’à force de tout faire reposer sur la norme et sur la contrainte, on décourage les motivations intrinsèques et la volonté de bien faire.

Soyons clairs : la simplification administrative et le toilettage normatif ne signifient pas l’abandon de toute ambition en matière environnementale ni l’imposition d’un modèle agricole unique ; mais il est temps de faire un peu de ménage dans nos codes.

À cet égard, reconnaissons-le, les annonces du Premier ministre vont plutôt dans le bon sens, notamment sur le curage des cours d’eau, les délais de recours contre les projets agricoles ou les projets de gestion de l’eau et les seuils d’évaluation environnementale dans l’élevage.

Mais force est d’admettre que certaines zones d’ombre subsistent. Par exemple, on ne comprend pas très bien en quoi pourra consister concrètement l’unification du régime applicable aux haies. Plus inquiétant encore, les syndicats se sont plaints, ces derniers jours, du fait que les dossiers de simplification qui devaient être réglés d’ici au salon de l’agriculture n’avançaient pas au rythme attendu.

Quant à nous, parlementaires, nous devrons nous montrer vigilants lors de l’examen des textes à venir sur la simplification et sur le renouvellement des générations, car il n’est pas rare que des intentions de simplification se traduisent par des réalisations en définitive encore plus complexes que l’existant.

Or je suis persuadé que l’avenir de notre modèle agricole dépend avant tout de notre capacité à libérer les initiatives individuelles et à faire confiance à nos 400 000 agriculteurs, notamment aux plus jeunes d’entre eux, pour qu’ils inventent leur propre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Rietmann, je vous sais particulièrement attentif à l’exigence de simplification, en tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises et, vous l’avez rappelé, en tant qu’auteur d’une proposition de loi visant à s’assurer que les normes sont pensées, conçues et évaluées en tenant compte des impératifs de compétitivité de nos entreprises. Je dois dire que je considère avec beaucoup de bienveillance cette approche, non seulement à l’échelon national, mais également à l’échelon européen.

M. Laurent Duplomb. Là encore, il y a du travail !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. La simplification est aussi une attente qu’ont distinctement exprimée les agriculteurs lors de leur mobilisation. Vous le savez, à ce sujet, nous avons un programme de travail, sur lequel le Premier ministre a été extrêmement clair.

M. Laurent Duplomb. L’agriculture au-dessus de tout !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Les simplifications attendues figureront dans le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles ; je pense en particulier à la simplification du cadre juridique applicable à la gestion des haies ou au traitement des contentieux relatifs aux projets d’ouvrage hydraulique agricole et d’installation d’élevage, ou encore à la sécurisation juridique des travaux agricoles et forestiers.

Il arrive parfois que deux réglementations se contredisent,…

M. Laurent Duplomb. Allons, ce n’est pas bien grave… (Sourires.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … que l’une prévoie l’obligation de débroussailler quand une autre interdit d’attenter aux nids de telle ou telle espèce protégée.

M. Laurent Duplomb. Ça, l’OFB s’en charge !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Tout ce qui relève du réglementaire est également important : un travail est en cours dans ce domaine afin de traduire les annonces faites par le Premier ministre en Haute-Garonne, notamment sur la simplification du contentieux, la suppression de degrés de juridiction dans certains types de contentieux et la réduction des délais de recours contre les projets agricoles, afin d’aller plus vite.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous annonce que nous venons de transmettre les projets de texte aux parties prenantes agricoles ; ainsi allons-nous pouvoir continuer de travailler et faire en sorte que tout soit prêt avant l’ouverture du salon international de l’agriculture,…

M. Laurent Duplomb. C’est la semaine prochaine !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … conformément au calendrier fixé par le Premier ministre.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Enfin, la démarche que j’ai décrite s’inscrit dans la durée. Cela signifie, d’un point de vue méthodologique, qu’il nous faut éviter, dans la fabrique de la loi, de compliquer en cherchant à simplifier. En défendant la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, j’ai eu l’occasion de constater qu’il n’était pas si simple de simplifier la loi.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Pour Notre-Dame-des-Landes ! (Sourires.)

Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les agriculteurs ne sont plus sur les routes, ils sont retournés travailler, mais nous savons tous ici que rien n’est réglé. Les paysans français restent enserrés dans le double corset de réglementations nationales contraignantes et de stratégies européennes décroissantes.

À l’échelon national, l’empilement des lois, des normes et des décrets contraint notre pays, pourtant premier pays agricole d’Europe, à importer la moitié de ses fruits et légumes.

À titre d’exemple, dans mon département, en Loire-Atlantique, terre de maraîchage, les producteurs de radis subissent les atermoiements liés à l’application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec).

En 2021, un premier décret a formalisé l’interdiction des emballages en plastique ; ce décret a été invalidé par le Conseil d’État. L’administration française a ensuite publié un deuxième décret ; la Commission européenne est alors intervenue pour demander sa suspension, dans l’attente de la mise en œuvre d’une loi à l’échelon européen. Et l’administration française a donc publié un troisième décret, en juin dernier ! (M. Laurent Duplomb sesclaffe.) Trois décrets, trois changements de pied : tout cela pour attendre une réglementation européenne à venir.

M. Laurent Duplomb. Et encore : tous ces décrets, ce n’est pas la loi !

Mme Laurence Garnier. Ladite réglementation européenne s’inscrira vraisemblablement dans la stratégie Farm to Fork, qui s’apparente de plus en plus à un suicide annoncé pour notre agriculture.

En moins de cinq ans, quatre études ont été menées pour évaluer les conséquences de cette stratégie agricole : une étude du département américain de l’agriculture, deux études universitaires – l’une allemande, l’autre néerlandaise – et une étude du Centre commun de recherche (JRC, Joint Research Centre), qui dépend de la Commission européenne elle-même. Notre collègue François-Xavier Bellamy a obtenu la publication de ce dernier document, malgré les réticences de la Commission.

Toutes ces études résonnent comme autant de signaux d’alerte que vous avez ignorés. Elles convergent pour souligner trois risques majeurs de la stratégie Farm to Fork à l’horizon 2050.

Le premier risque, c’est une baisse globale de la production agricole européenne, de l’ordre de 12 % à 15 % selon les études. Le deuxième, c’est une forte hausse des prix des produits agricoles, évaluée entre 12 % et 17 %. Le troisième, c’est une division par presque deux du volume de nos exportations.

La mise en œuvre de cette stratégie aura trois conséquences.

Elle aura tout d’abord des conséquences pour nos agriculteurs : beaucoup d’exploitations ne survivront pas à la paupérisation annoncée qui les guette. Je rappelle que 125 000 exploitations agricoles en France réalisent moins de 25 000 euros de chiffre d’affaires par an.

Elle aura ensuite des conséquences pour les consommateurs français. Nous allons tout droit vers « une alimentation à deux vitesses, avec du local pour les riches, et des produits importés pour les pauvres », selon les termes du think tank bruxellois FarmEurope.

Enfin, cette stratégie aura des conséquences pour la population mondiale dans son ensemble : selon l’étude américaine que j’ai précédemment mentionnée, l’insécurité alimentaire pourrait toucher près de 200 millions de personnes supplémentaires.

Tout cela, madame la ministre, n’est pas tenable.

Nous ne ferons pas la transition écologique contre les agriculteurs ; nous ne la ferons pas contre les Français les plus modestes ; nous ne la ferons pas non plus contre les plus pauvres des pays d’Afrique ou d’Asie.

Une voix sur les travées du groupe SER. En gros, il ne faut pas la faire !

Mme Laurence Garnier. Il est encore temps d’agir ! Battons-nous pour l’avenir de notre agriculture, battons-nous pour l’avenir de nos agriculteurs. Tous les chiffres sont sur la table, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Garnier, vous avez évoqué la stratégie de la ferme à la table. Cette stratégie a pour objet de répondre à la question du juste équilibre entre la nécessité de produire, pour les Français, mais aussi – et c’est très important, en effet – pour le reste du monde, et la nécessité d’accompagner la transition.

Nous savons que l’alimentation peut être une arme de guerre, comme l’est l’énergie, on l’a vu ; à cet égard, je pense évidemment à l’Afrique et au Maghreb.

Mais nous savons aussi que les questions de l’effondrement de la biodiversité et du dérèglement climatique ne sont pas des questions théoriques : elles font peser sur nos populations et sur nos agriculteurs une menace certaine. Je l’ai d’ailleurs entendu dans votre propos, madame la sénatrice : vous-même recherchez ce juste équilibre entre accompagnement de la transition écologique – il y va en réalité de transitions multiples – et défense du revenu et de la production des agriculteurs.

Il me semble que nous nous sommes pleinement emparés de ce sujet. À cet égard, je le rappelle, la France, par la voix de son ministre Fesneau, vient de remporter un succès auprès de la Commission européenne en obtenant une dérogation aux obligations de jachères pour la campagne 2024. Je le rappelle également, la présidente de la Commission européenne a reconnu que le règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR) n’était pas mature, qu’il ne correspondait pas à l’état de la situation en Europe, et elle l’a retiré pour le retravailler.

M. Laurent Duplomb. Et nous, on continue !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Nous continuons…

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … de travailler à l’échelon européen pour que les États membres puissent à la fois poursuivre ce processus d’accompagnement des filières agricoles dans leur transition, mais également lutter contre la concurrence déloyale d’autres pays. Tel est l’enjeu des clauses miroirs et des différentes négociations que nous menons avec l’Ukraine. Tel est aussi le sens de la création d’une force européenne de contrôle sanitaire et agricole pour éviter la concurrence déloyale en agriculture aux frontières de l’Union européenne.

Enfin, j’en viens au cas particulier de la filière maraîchère. Oui, les décrets ont été modifiés, mais nous faisons tout pour que ce que nous avons fait se reflète dans le droit européen.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. J’indique par ailleurs que cinq guichets d’accompagnement de la filière fruits et légumes, dotés de 100 millions d’euros, ont été ouverts le 21 décembre.

Il s’agit là de mesures concrètes permettant d’accompagner nos agriculteurs.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si rien ne change, nos agriculteurs auront pour prochains interlocuteurs les huissiers de justice.

Si vous faisiez campagne autre qu’électorale, vous auriez senti venir le mouvement de contestation, le ras-le-bol actuel. Ce mouvement n’est pas le fruit d’un sentiment ni ne procède de la défense de privilèges, il est le dernier cri du cœur de la paysannerie française, qui ne veut pas mourir.

Il n’y a plus de trésorerie dans les caisses des fermes. La propriété réelle se réduit comme peau de chagrin : les matériels appartiennent à la banque, tandis que l’État applique une imposition abusive sur les transmissions d’exploitation.

En France, l’agriculture est nourrie par la générosité de ses nappes phréatiques, mais elle est asséchée par une chape de plomb administrative et pseudo-environnementale.

Notre pays a tout ce qu’il faut pour produire, mais vous faites le choix, madame la ministre, par la voix de vos députés européens et aux côtés de la Commission européenne, de la déproduction !

En trente ans, l’écolo-gauchisme, systématiquement suspicieux à l’égard de nos entrepreneurs, a eu raison de notre civilisation paysanne.

À Bruxelles comme à Paris, nos gouvernants ont ligoté les paysans à grand renfort de normes, de restrictions, de contrôles satellitaires et, désormais, de quotas de jachères et de hausse de la taxe sur le GNR, tout cela pour donner libre cours aux traités de libre-échange avec l’extérieur de l’Union européenne, à la concurrence déloyale à l’intérieur par la surtransposition et à la dépossession des petits fermiers par les agro-industriels.

L’agriculture a connu le plus grand plan social de ces trente dernières années. Nous sommes passés de 1,6 million d’agriculteurs dans les années 1980 à moins de 400 000 aujourd’hui. Parmi ces dépossédés, combien ont perdu la vie au champ, au champ d’honneur de la détresse et de l’épuisement ?

Pour faire face à l’urgence, il faut impérativement reporter les échéances bancaires des agriculteurs sur l’année en cours et refuser la hausse de la redevance pour pollutions diffuses et de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau.

Appliquons la politique de la chaise vide à Bruxelles pour récupérer les 11 milliards d’euros que nous versons à la Commission sans en revoir la couleur. Il y a des milliards pour l’Ukraine ;…

Mme Sophie Primas. Parlez-en à Jordan Bardella…

M. Stéphane Ravier. … il en faut d’abord pour la survie de nos paysans !

Madame la ministre, depuis mai 2022, l’intitulé du ministère de l’agriculture s’est vu adjoindre l’objectif de « souveraineté alimentaire ». En même temps, le nouveau chef du Gouvernement prône la souveraineté européenne à Berlin. Doxa et paradoxe : aucune cohérence, aucune émancipation à l’égard de la doxa ! Vous jouez la montre électorale, mais les paysans sont de retour, car ils ont compris que vous les aviez trompés.

Et pourtant, s’il existait une vision pour l’avenir de notre modèle agricole, elle anticiperait les formidables défis de souveraineté, de prospérité et d’influence que représente la maîtrise des big data agricoles. Or cette bataille, dont les enjeux sont colossaux, est en train de nous échapper.

Parlons d’avenir, madame la ministre : que pensez-vous, sur les plans sanitaire et environnemental, des viandes de synthèse, dont le ministre de l’économie a fait la publicité ?

Madame la ministre, vous qui faites partie d’un gouvernement en marche permanente et qui n’êtes donc attachée à aucun territoire, vous qui, où que vous soyez, en Corrèze ou au Zambèze, ne considérez la terre des hommes que comme une simple parcelle du marché mondialisé, soyez convaincue qu’une large majorité de Français enracinés restent très attachés au triptyque « pays, paysans, paysages », indissociable de la devise « liberté, égalité, fraternité »… à laquelle j’ajoute « souveraineté ».

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Ravier, j’ai relevé dans votre propos un certain nombre d’énoncés faux.

Vous dites que la redevance pour pollutions diffuses est en augmentation. C’est faux : la perspective d’une telle augmentation a été bloquée.

M. Laurent Duplomb. Une hausse de 47 millions était bien prévue…

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Votre demande est donc satisfaite ; vous mentionnez des choses qui n’existent pas, mais ce n’est pas la première fois.

Vous plaidez par ailleurs pour que nous pratiquions la politique de la chaise vide à Bruxelles. Or la France, je l’ai dit, vient de remporter des victoires auprès de l’Union européenne, notamment sur la question des jachères. (Mme Sophie Primas sexclame.) Je ne reviens pas sur les autres exemples que j’ai donnés.

Dans un autre registre, je me souviens de la force avec laquelle vous disiez que nous ne serions pas capables d’obtenir un accord sur la réforme du marché de l’énergie. Or nous y avons bel et bien réussi, quand bien même nous n’avons pas donné à cet accord tout l’écho qu’il eût mérité. Malheureusement pour vous, nous sommes donc une force de proposition en Europe !

Je tiens à dire ici qu’il ne faut pas croire que la France sera forte dans une Europe faible. Elle sera forte dans une Europe forte, qui sache s’imposer aussi aux autres zones géographiques, aux États-Unis, à la Chine et à d’autres. Dire le contraire, c’est mentir aux Français. En l’occurrence, c’est mentir aux agriculteurs !

Dans le domaine agricole, nous avons contribué à la réforme de la PAC, à la création des écorégimes et à la mise en place des paiements pour services environnementaux. Des choses peuvent certainement être améliorées, et nous sommes à votre écoute à cet égard, mais je ne peux pas laisser dire le faux.

Enfin, vous m’interrogez sur la viande cellulaire. Sur ce sujet également, nous avons pris position, dans le sens d’une opposition de principe, récemment réaffirmée par Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, lors du Conseil agriculture et pêche du 23 janvier 2024. Nous nous sommes associés à ce propos, aux côtés de l’Italie, au document présenté par l’Autriche.