M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, infatigable défenseur de la mobilité longue des apprentis en Europe, Jean Arthuis aime à rappeler que les apprentis doivent, eux aussi, pouvoir parler une autre langue que leur langue maternelle, aller à la rencontre du monde, découvrir d’autres cultures et développer une capacité d’adaptation, ainsi qu’une plus grande indépendance.

Créé en 1987, le programme Erasmus est certainement l’un des grands symboles de la construction européenne. Depuis trente-six ans, il a permis à des millions de jeunes Européens de partir dans un autre pays d’Europe pour y effectuer des études ou un stage. Dans ce cadre, près de 600 000 étudiants partent à l’étranger chaque année : c’est indéniablement un succès.

En revanche, bien qu’ils puissent théoriquement accéder à ce programme depuis 1995, les apprentis sont bien trop peu nombreux à en bénéficier, et nous savons pourquoi.

Tout d’abord, la mobilité internationale des alternants se heurte à des obstacles juridiques : pour ce qui concerne les contrats d’apprentissage, il existe autant de législations que de pays européens.

Ensuite, les freins sont d’ordre financier : au-delà de quatre semaines, l’apprenti perd son salaire. Dans ces conditions, il peut difficilement assurer son autonomie.

Par ailleurs, ils sont académiques : on déplore un manque de reconnaissance des acquis dans les établissements d’accueil à l’étranger.

Enfin, ils sont psychologiques : les jeunes dont il s’agit sont souvent inquiets de partir dans un pays dont ils ne maîtrisent pas la langue.

Le présent texte vise à lever un certain nombre de ces obstacles pour favoriser les mobilités longues, qui sont sans aucun doute les plus bénéfiques. C’est une très bonne chose.

Grâce à une immersion de plusieurs mois, les apprentis découvrent d’autres cultures, se donnent la possibilité de maîtriser une autre langue, acquièrent une certaine maturité et prennent confiance en eux.

Pour reprendre les mots de Thierry Marx, la mobilité internationale « offre aux jeunes une clé sur le monde ». Au-delà de l’expérience humaine, elle leur permet de développer des compétences transversales, des savoir-faire et des savoir-être utiles dans de nombreux métiers.

Il n’y a pas si longtemps, l’apprentissage était encore considéré en France comme une voie de garage ; et, bien qu’il ait fait ses preuves, il pâtit encore trop souvent d’une mauvaise image, même s’il faut saluer une nette amélioration.

Cette filière a toujours été le chemin de l’excellence de l’art. Elle a toujours été un véritable tremplin vers l’emploi.

Donner à ces jeunes les moyens de partir à l’étranger, c’est leur permettre d’acquérir une valeur ajoutée indéniable.

Comme le rappelle l’inspection générale des affaires sociales dans son rapport de décembre 2022, le cadre juridique de la loi du 5 septembre 2018 a très fortement limité les mobilités supérieures à quatre semaines. En effet, au terme de cette période, l’apprenti cesse d’être rémunéré : il ne peut donc plus compter que sur ses propres ressources. À l’inverse, en Allemagne ou au Danemark, l’apprenti ne subit pas de perte de salaire. Cette situation est d’autant plus regrettable que les apprentis sont majoritairement issus de milieux modestes.

Aussi, je me félicite que cette proposition de loi rende optionnelle la mise en veille de certaines clauses du contrat d’apprentissage jusqu’à présent obligatoire pour les mobilités de plus de quatre semaines. Il fallait corriger ce point.

Par ailleurs, le présent texte assouplit l’obligation de signer une convention individuelle de mobilité dans le cas où une convention de partenariat préexiste entre les organismes de formation français et étranger.

Il permet également aux apprentis de bénéficier d’une couverture minimale gratuite, quel que soit le pays.

De surcroît, je me félicite que l’Assemblée nationale ait permis aux apprentis originaires d’un État membre de l’Union européenne effectuant une mobilité en France de déroger à la limite d’âge de 29 ans.

Madame la ministre, vous l’avez rappelé : la mobilité internationale de nos apprentis ne peut être envisagée au seul prisme du droit national.

Je n’oublie pas que seul un faible nombre d’apprentis luxembourgeois effectuent une mobilité en France, notamment en zone frontalière. C’est là un sujet que vous connaissez parfaitement.

On peut regretter que le mouvement se fasse presque exclusivement de la France vers le Luxembourg.

Nombre d’employeurs français, comme Renault à Batilly, qui assure l’assemblage du master E-Tech, ou encore Le Bras Frères, entreprise d’exception qui réalise la charpente de Notre-Dame, auraient beaucoup à offrir aux apprentis luxembourgeois. Nous aurions tout à y gagner : nous pourrions valoriser nos entreprises et nos savoir-faire tout en garantissant des flux plus équilibrés entre nos deux pays.

Ce texte est une étape importante pour le développement de la mobilité internationale des apprentis. Il faudra poursuivre les efforts, notamment – je le souligne à mon tour – en améliorant le financement et en poursuivant la professionnalisation des référents mobilité, personnages clés pour atteindre l’objectif de mobilité.

Dans cet esprit, les élus du RDSE apporteront un soutien sans réserve à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l’apprentissage ».

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, je remercie notre rapporteure, Patricia Demas, de la qualité de ses travaux et du souci de précision avec lequel elle a mené ses recherches et auditions ; un grand merci, ma chère collègue !

Je remercie également les services de notre assemblée, qui ont travaillé dans des conditions parfois difficiles ; merci de leur implication !

Madame la ministre, cette proposition de loi ayant désormais été votée conforme, il revient au Gouvernement et aux organisations professionnelles de la faire vivre !

Il s’agit de déployer les référents mobilité dans l’ensemble du territoire national, mais également d’informer partout en France les jeunes apprentis sur les possibilités offertes par les mobilités internationales, au moyen d’une véritable communication. C’est essentiel !

Nous avons adopté le texte, à vous d’en appliquer les dispositions, de sorte que dans un an ou deux la commission des affaires sociales puisse en évaluer les résultats.

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-deux, est reprise à seize heures cinquante-quatre.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage »
 

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Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants
Discussion générale (suite)

Respect du droit à l’image des enfants

Adoption en nouvelle lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants (proposition n° 27, texte de la commission n° 199, rapport n° 198).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes de nouveau réunis pour débattre d’un sujet primordial : la protection et le respect du droit à l’image des enfants.

Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de préserver leur vie privée dans une société où l’image et les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante. Nous faisons tous également le même constat, aujourd’hui, du tsunami que le développement du numérique a représenté, et dont nous n’avons pas mesuré toutes les implications.

Avant ses 13 ans, un enfant apparaît en moyenne sur le compte de ses parents ou de ses proches sur 1 300 photographies publiées en ligne. Dans le même temps, les parents d’enfants de 0 à 13 ans partagent en moyenne 71 photos et 29 vidéos par an sur les réseaux sociaux. Un cinquième des parents ont des profils Facebook et la moitié d’entre eux partagent des photos avec des amis virtuels, qu’ils ne connaissent pas vraiment.

En ce qui concerne le fléau de la pédocriminalité, je rappelle que, en 2020, 50 % des images qui s’échangent sur les sites pédopornographiques ont été initialement publiées par les parents.

Parallèlement, les données personnelles des enfants mises en ligne par leurs parents posent la question du droit à l’oubli et de l’identité numérique.

À la lumière de ces éléments, on comprend immédiatement l’urgence de voter enfin cette proposition de loi ; et je remercie de nouveau le député Bruno Studer d’en avoir pris l’initiative.

Nous avons tous saisi l’intérêt pédagogique du texte qu’il propose. Celui-ci vise non pas à bouleverser l’état du droit, mais à sensibiliser les parents sur les effets nocifs d’une mauvaise utilisation des images de leurs enfants déversées sur internet et sur leur rôle primordial de préservation de cette image, au même titre que la sécurité ou la santé.

Ce qui fait débat aujourd’hui est non pas l’objectif que l’on vise, mais les modalités qui doivent entourer la protection de la vie privée des enfants.

Après une lecture devant chaque chambre, et la commission mixte paritaire n’ayant pas abouti à un compromis au mois de mai dernier – cela arrive (Sourires.) –, la proposition de loi a été adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale de manière transpartisane le 10 octobre dernier. En dépit d’efforts des deux chambres pour parvenir à une rédaction commune, quelques points de discordance demeurent.

Permettez-moi un instant de saluer l’important travail de convergence menée par la rapporteure Isabelle Florennes, que je suis particulièrement heureux de retrouver sur les travées de votre Haute Assemblée après avoir eu la chance de travailler avec elle à l’Assemblée nationale.

Il s’agit de son premier rapport en tant que sénatrice et elle démontre d’emblée son attachement au dialogue parlementaire constructif dans le sérieux qu’impose le travail législatif. Qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Venons-en à l’examen plus précis du texte.

Tout d’abord, l’article 1er avait un objet clair : rappeler qu’il appartient aux parents de s’assurer non seulement de la sécurité, de la santé et de la moralité de l’enfant, mais également de la protection de leur vie privée.

Être parent au XXIe siècle n’est pas la même chose qu’être parent au siècle dernier. À une époque où les contenus numériques peuvent être diffusés ou conservés facilement et indéfiniment, les adultes que nous sommes doivent avoir conscience que diffuser des images ou des vidéos de leurs enfants dès leur plus jeune âge expose leur vie privée, dès aujourd’hui et pour longtemps. Aussi, je regrette que votre commission ait fait le choix de supprimer cet article.

À l’article 2, votre commission des lois a retenu une partie de la nouvelle rédaction de l’article 372-1 du code civil, proposée par les députés, en ne gardant que le rappel du principe selon lequel les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant.

Si votre proposition permet d’introduire dans le code civil le droit à l’image comme les députés l’ont proposé, il me semble cependant dommage d’abandonner le renvoi à l’article 9 du code civil et au respect du droit à la vie privée.

Je retiens, par ailleurs, votre argument selon lequel il n’est pas inutile de rappeler que les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image selon son âge et son degré de maturité, car cela est déjà prévu à l’article 371-1 du code civil.

L’article 3 de la proposition de loi ne comporte plus qu’un II, puisque vous avez pris acte de la suppression par l’Assemblée nationale en deuxième lecture d’un dispositif inapplicable en pratique. Il s’agissait en effet de subordonner à l’accord des deux parents la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l’enfant. C’est un choix pragmatique qui permet d’éviter les difficultés auxquelles n’auraient pas manqué d’être confrontés les parents, mais aussi les écoles, associations sportives et autres lieux d’accueil des enfants chaque fois qu’ils auraient publié des images des enfants sur leur site.

La seconde partie de l’article 3 est en voie de stabilisation. Néanmoins, elle a été modifiée par la commission des lois pour permettre la saisine du juge aux affaires familiales même sans désaccord des deux parents sur la diffusion au public d’un contenu relatif à la vie privée de l’enfant. Cela aura pour conséquence de permettre une intervention du juge aux affaires familiales en dehors d’un conflit parental.

Or je vous alerte sur ce point : le juge aux affaires familiales n’est pas le juge des enfants. Certes, il veille à la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant ; toutefois il intervient non pas pour protéger l’enfant, mais pour résoudre un conflit sur l’exercice de l’autorité parentale. Il n’est donc pas opportun, à mon sens, d’apporter une confusion quant à l’office du juge aux affaires familiales.

Enfin, la commission des lois a de nouveau supprimé l’article 4, qui propose une nouvelle rédaction de l’article 377 du code civil. Il s’agissait pourtant de compléter les conditions dans lesquelles l’autorité parentale peut faire l’objet d’une délégation totale ou partielle. Actuellement, la délégation forcée a lieu en cas de désintérêt pour l’enfant, de crimes d’un parent sur l’autre parent ou d’impossibilité d’exercer tout ou partie de l’autorité parentale.

Il serait aussi dorénavant prévu qu’une délégation partielle pourrait être prononcée lorsque la diffusion de l’image de l’enfant porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.

Ce nouveau dispositif, porté avec conviction par l’auteur de cette proposition de loi, apportait une protection concrète et proportionnée à l’enfant confronté aux risques d’atteintes graves à son image. Il constituait une avancée significative. Aussi, je regrette que cet article ne soit pas conservé par votre Haute Assemblée.

L’article 5 a également été modifié par votre commission des lois, afin d’étendre à l’outre-mer le champ d’application de cet article de la proposition de loi. Cela permettra d’uniformiser le nouveau régime visant à assouplir les conditions de saisine du juge des référés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Je suis réservé sur l’introduction de ce nouveau régime, mais s’il doit voir le jour, il faut bien entendu l’étendre à l’outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en dépit de ces quelques réserves, je ne doute pas que vos deux assemblées puissent trouver prochainement un compromis rédactionnel sur chacun de ces articles,…

Mme Audrey Linkenheld. C’est facile…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … car nous avons, mesdames, messieurs les sénateurs, une ambition commune : mieux protéger nos enfants en adaptant nos règles à la société, car c’est elle qui fait le droit et pas l’inverse ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire dÉtat auprès de la Première ministre, chargée de lenfance. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, les droits de l’enfant ne sont pas toujours respectés dans le monde réel ; malheureusement, ils ne le sont pas plus dans le monde numérique, où ils sont trop souvent virtuels.

La surexposition des enfants sur les réseaux sociaux porte trop souvent atteinte à leur sécurité, à leur santé, à leur moralité ainsi qu’à leur vie privée. Parfois c’est de leur fait, d’autres fois, c’est parce que les parents n’ont pas adopté des usages raisonnés de ce monde numérique.

Pourtant, dans la vie réelle, dans chacune des activités de nos enfants mineurs, le lycée, le club de sport, ou le conservatoire nous demandent de signer une autorisation d’exploitation de leur droit à l’image.

Dans la vie réelle, aucun d’entre nous n’aurait l’idée de distribuer des photos de nos enfants à des inconnus dans la rue ni même de les présenter à de potentiels pédocriminels !

C’est pourtant de cela qu’il s’agit aujourd’hui.

Le monde numérique est une chance pour nos enfants, si, et seulement si, comme dans le monde physique, il est régi par le droit, en ce compris le droit des enfants et particulièrement le droit à l’image.

Parce qu’aujourd’hui, la question du droit à l’image des enfants est fondamentale, la responsabilité des parents doit être considérée comme primordiale sur ce point.

Vous avez la possibilité de répondre à cet enjeu de la meilleure des manières, en insérant au travers de cette proposition de loi dans le cœur de notre droit national, le code civil, le droit à l’image numérique des enfants, et en intégrant une des notions les plus essentielles de notre droit, l’autorité parentale, qui est « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », selon l’article 371-1 du code civil.

Des droits et des devoirs : voilà, en résumé, l’enjeu du texte que vous examinez aujourd’hui !

Le numérique, les réseaux sociaux donnent aux parents l’impression, l’illusion que leurs droits sont infinis : le droit d’être fiers de leurs enfants – c’est tout à fait positif –, mais aussi malheureusement le droit de se moquer ou de rire de ses enfants, de jouer avec l’image de ses enfants, ou encore le droit de gagner de l’argent avec l’image de ses enfants.

Or les parents ont aussi la responsabilité et le devoir d’éduquer et de protéger leurs enfants. En ligne, beaucoup sont encore trop imprudents, voire abusent !

Je suis effarée – et je sais que vous l’êtes - par le nombre de parents influenceurs qui utilisent l’image de leurs petits enfants pour obtenir toujours plus de likes, toujours plus d’abonnés.

Pourquoi ? M. le garde des sceaux l’a rappelé : en moyenne, plus de 1 300 images de chaque enfant de 13 ans circulent sur internet ! Ces photos sont publiées, partagées, repartagées dans une communauté de parents. Or 50 % des images d’enfants retrouvées sur les ordinateurs des personnes mises en cause pour pédocriminalité sont des images du quotidien, détournées ou utilisées en images pédopornographiques !

Cela signifie que l’image de nos enfants peut être utilisée à des fins illicites et très concrètement abominables.

Nous avons pu le mesurer le 20 novembre dernier avec la Première ministre et le ministre de l’intérieur, lors de la visite du nouvel Office mineurs (Ofmin). L’exposition des images issues des réseaux sociaux, détournées par les pédocriminels et diffusées sur des sites à caractère pédophile, est une prise de risque réelle que les parents ne mesurent pas.

Exposer son enfant lorsqu’il n’a pas l’âge de prendre des décisions de façon autonome contrevient parfois clairement à son intérêt ; bien que moins grave, ce problème demeure très important !

Aucun enfant devenu adolescent ne peut se réjouir de retrouver des photos de lui ridicules de son anniversaire de 4 ans. Aucun enfant n’est protégé, comme nous l’avons dit, de ces images détournées. Aucun enfant n’est à l’abri de négligence quand ses parents l’utilisent comme un objet de communication.

Grâce à l’adoption de cette proposition de loi, les abus pourront donc être sanctionnés, les différends entre les parents tranchés.

Face à l’évolution des usages numériques et des réseaux sociaux, nous devons encore renforcer notre entreprise en faveur de la protection des enfants, et je compte sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous avons travaillé sur le contrôle parental par défaut, encadré le travail des enfants dits « influenceurs », fixé la majorité numérique à 15 ans et avancé sur le contrôle de l’âge à l’entrée des sites pornographiques.

Le Sénat est de tous les combats, soyez également de celui-ci, mesdames, messieurs les sénateurs !

Par cette proposition de loi, renforcez une nouvelle fois l’autorité parentale au sein d’une société qui a choisi de faire du numérique l’un des piliers de notre vie en communauté.

En cohérence avec les principes que vous avez soutenus depuis 2020, vous contribuerez à la défense d’une cause, qui plus que toute autre, rassemble dans cet hémicycle et même en dehors : la protection des enfants dans la vie réelle comme dans la vie virtuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Michel Masset et Mme Olivia Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’avait relevé notre collègue Valérie Boyer, rapporteure de ce texte en première lecture, l’ouverture du monde numérique aux enfants est un défi majeur, à la fois pour les familles et pour les institutions, en particulier en matière d’éducation et de santé publique.

Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse s’est d’ailleurs récemment inquiété de l’émergence d’une catastrophe sanitaire et éducative.

Dans ces conditions, nous regrettons l’absence d’une initiative gouvernementale d’envergure ; nous n’avons à examiner qu’une succession de propositions de loi cantonnées à diverses thématiques, le droit à l’image n’en étant qu’une parmi d’autres.

Cela étant rappelé, le Sénat a choisi d’adopter en première lecture une approche constructive vis-à-vis de la présente proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, approche que la commission des lois vous invite à conserver, mes chers collègues.

En commission mixte paritaire, comme vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, les divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat se sont cristallisées sur deux points principaux.

Le premier point de désaccord portait sur l’exigence d’un accord des deux parents pour toute diffusion de contenus relatifs à la vie privée de leur enfant sur internet. Par l’introduction de cette disposition, à l’article 3, Valérie Boyer avait souhaité inciter les parents à réfléchir ensemble avant de poster une photo de leur enfant sur un réseau social, compte tenu des risques de réutilisation ultérieure, que vous avez relevés, madame la secrétaire d’État.

Le second point de divergence concernait l’article 4, qui, dans le texte initial, instaurait une délégation forcée à un tiers de l’exercice du droit à l’image de l’enfant, en cas d’atteinte grave à la dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci. Le Sénat avait supprimé cet article, les députés souhaitant pour leur part son maintien.

Si l’Assemblée nationale a légèrement fait évoluer son texte en nouvelle lecture pour tenir compte, à la marge, de certaines remarques du Sénat, elle a toutefois maintenu sa position sur des dispositions problématiques à nos yeux.

En conséquence, la commission des lois a fait le choix, en nouvelle lecture, de prendre acte de ces désaccords de fond et de recentrer le texte sur la protection du droit à l’image des enfants.

Elle a tout d’abord supprimé l’article 1er, car elle ne souhaite pas ériger le respect de la vie privée de l’enfant au même niveau que la protection de sa sécurité, de sa santé et de sa moralité. Cette suppression paraît d’autant plus justifiée que l’article 9 du code civil consacre d’ores et déjà le droit de chacun au respect de sa vie privée.

À l’article 2, la commission a accepté de faire figurer dans le code civil, sous une formulation simple et pédagogique, l’obligation des parents de protéger en commun le droit à l’image de leur enfant, afin de les sensibiliser aux dangers qu’emporte l’exposition de leurs enfants sur les réseaux sociaux.

Je note que serait ainsi inscrite pour la première fois dans le code civil la notion de « droit à l’image », qui n’est aujourd’hui qu’une construction jurisprudentielle.

À l’article 3, la commission a renoncé à réintroduire l’exigence d’un accord des deux parents pour la diffusion publique d’un contenu relatif à la vie privée d’un enfant.

Il s’agit d’un choix cohérent avec la position exprimée par le Sénat lors de l’examen de la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Ce texte dispose en effet que l’accord d’un seul titulaire de l’autorité parentale suffit pour qu’un enfant de moins de 15 ans puisse s’inscrire sur un réseau social, cet acte étant considéré comme usuel. Il ne nous a pas semblé logique de créer une différence de traitement entre ces deux situations, sachant que l’inscription à un réseau social n’est souvent que le préalable à la diffusion de photos.

La commission a en revanche accepté de préciser les pouvoirs du juge aux affaires familiales, qui pourra interdire à un parent la diffusion d’un contenu relatif à l’enfant sans l’accord de l’autre parent ; nous avons inscrit dans le texte que ces pouvoirs devraient s’exercer dans le but d’assurer la protection du droit à l’image de l’enfant. En effet, le rôle des parents n’est pas tant d’exercer le droit à l’image de leur enfant que de le protéger.

La commission a supprimé l’article 4, maintenant ainsi la position adoptée par le Sénat en première lecture. Non seulement la délégation forcée de l’exercice du droit à l’image de l’enfant lorsque la diffusion de l’image de celui-ci porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale ne paraît pas opérante, mais elle soulève des difficultés juridiques.

Enfin, l’article 5, introduit en première lecture par le Sénat, a été conservé par la commission dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Cette nouvelle rédaction précise la disposition, adoptée par le Sénat, permettant à la Cnil d’agir en référé pour protéger plus efficacement les données personnelles des mineurs.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à adopter le texte issu des travaux de notre commission, qui expriment la préoccupation du Sénat à assurer la protection du droit à l’image des enfants sur internet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)