M. le président. La parole est à M. le ministre. (Mme Nicole Duranton et M. André Guiol applaudissent.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sous le contrôle du président Perrin, je souhaite faire un point sur l’attaque subie par la Fremm Languedoc ce week-end.

Comme vous vous en souvenez peut-être, j’ai évoqué longuement, lors des débats sur la loi de programmation militaire, la nécessité de garantir la liberté d’accès à l’ensemble de nos zones maritimes, dans nos territoires ultramarins, mais également au Moyen-Orient.

À l’époque, je ne pouvais prévoir le tragique attentat du 7 octobre dernier ni ses conséquences. Cette région est particulièrement instable, en raison des nombreux défis posés par l’Iran et ses différents proxies.

Ce week-end, deux drones en provenance du Yémen ont délibérément ciblé notre frégate multimissions Languedoc, qui effectuait une patrouille en mer Rouge, sous l’autorité de l’amiral pour l’océan Indien, basé à Abou Dhabi, dans le cadre d’une mission de sûreté maritime.

Dans cette zone, près de 20 000 navires circulent chaque année, dont de nombreux navires français, et nos frégates opèrent notamment souvent aux côtés des navires de la compagnie CMA CGM.

Des missiles Aster 15 ont été tirés en légitime défense pour détruire les deux drones, permettant ainsi de protéger à la fois le navire et son équipage. Je tiens donc à exprimer, mesdames, messieurs les sénateurs, un message de sympathie, d’encouragement et de soutien à la marine nationale, pour avoir accompli cette mission dans le cadre des contrats opérationnels qui lui sont confiés sous l’autorité du Président de la République et avec les moyens que vous avez bien voulu lui allouer. (Applaudissements nourris.)

Cette attaque témoigne des différentes menaces auxquelles la France, ses alliés et ses intérêts peuvent être confrontés. Nous aurons l’occasion d’y revenir, monsieur le président Perrin, peut-être lors d’une audition ad hoc au sein de la commission.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour vos prises de position majoritairement favorables à l’adoption des crédits pour l’année 2024. Ces débats s’inscrivent dans le cadre plus large des discussions concernant la programmation militaire et des débats budgétaires devant la commission, durant lesquels j’ai déjà pu répondre à plusieurs de vos questions.

Je vous demande la permission de ne pas revenir sur l’ensemble des interventions, mais je souhaite aborder quelques points politiquement saillants qui ont été soulevés.

En ce qui concerne les indicateurs de performance et leur degré de publicité, il convient de souligner que, en comparaison d’autres États, nous étions l’un des rares pays à en divulguer autant. C’est un fait.

Il n’est pas possible que chaque intervention demande à tirer des conclusions de la compétition entre les grandes puissances, alors que nous continuons à rendre publics tant d’indicateurs qui révèlent des éléments de notre format d’armée.

Par conséquent, un arbitrage a été rendu : sans priver les parlementaires de ces informations, nous n’en discutons plus devant le grand public. J’assume cette décision.

Cependant, le rapporteur spécial Dominique de Legge a exprimé le souhait que les tendances – favorables, stagnantes ou défavorables – puissent faire l’objet d’une communication, notamment lors de l’examen des lois de règlement et d’exécution budgétaire. Cette approche me semble intéressante et nous aurons l’occasion d’en discuter avec les présidents des commissions compétentes.

Nous sommes en démocratie. Par définition, nous devons donc fournir le maximum d’éléments, tout en préservant certains équilibres de sécurité. Si un chemin se dessine en ce sens, je suis prêt à l’emprunter.

Sur le fond, je remarque qu’un certain nombre de termes n’ont pas été employés dans vos interventions, je vais donc commenter ce qui n’a pas été dit ! Ainsi, le mot « inflation » a été peu cité et rarement détaillé. C’est légitime : cette question a été traitée.

M. Rachid Temal. Grâce à la loi de programmation militaire !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela fait maintenant un an et demi que j’occupe le poste de ministre des armées et que, grâce à l’engagement du Gouvernement, j’ai eu l’occasion de démontrer, messieurs les sénateurs Cambon et Temal, la présence de mécanismes de traitement de l’inflation dans la loi de programmation militaire. C’est le cas de toutes les LPM, y compris de celles qui prévoient des baisses de crédits, en raison d’une particularité propre au ministère des armées, dont les autres ministères de la République ne disposent pas.

Ainsi, vous pouvez constater, dans le document qui vous est présenté ce soir, que les effets de l’inflation sont correctement pris en compte, et corrigés.

Un point important n’a pas été mentionné : les crédits que vous avez votés dans la loi du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023, ajoutant 2,1 milliards d’euros pour l’année 2023. Je vous en remercie, cela permet de réaliser un tuilage entre la fin de la loi de programmation militaire précédente et celle qui débute.

La première marche de la LPM atteint donc 5,1 milliards d’euros pour les armées en 2023, au lieu des 3 milliards d’euros initialement prévus. Cette augmentation permet d’entrer en programmation, conformément aux engagements pris devant le rapporteur de la LPM, Christian Cambon, et de garantir un niveau correspondant à ce qui avait été annoncé. Je tenais à le rappeler, car les sommes en cause sont colossales, au regard des efforts consentis par les contribuables pour notre appareil de défense.

J’insiste, de plus, sur le soin accordé à l’activité, donc à l’entraînement, des forces, comme vous l’aviez demandé lors de la commission mixte paritaire. Sur la marche de 3,3 milliards d’euros – le Sénat avait ajouté 300 millions d’euros –, 1,4 milliard d’euros seront consacrés à cet objectif, auquel je m’étais engagé à affecter ces fonds.

Dans le détail, 324 millions d’euros seront alloués à l’activité opérationnelle, 745 millions d’euros à l’entretien programmé du matériel et 305 millions d’euros au matériel, y compris aux munitions. Ainsi, il ne s’agit pas simplement d’une affaire de marche, mais bien de l’affectation de ces crédits. Je tenais à rappeler cet engagement à ce moment de la discussion.

Je remercie l’ensemble des rapporteurs pour leurs contributions ; ces travaux sont précieux pour les services du ministère des armées et entretiennent une saine pression démocratique.

Pour autant, j’ai quelques interrogations quant à certaines formulations du rapport pour avis sur le programme 146 « Équipement des forces », qui nécessitent quelques clarifications. Je ne souhaite pas laisser passer des contresens qui ont déjà été repérés par la presse.

La première citation concernée est la suivante : « La nouvelle LPM accentue […] un déclassement de notre pays dans les armements lourds. » Il faudrait justifier ces mots, car ils ne sont pas exacts. Ils ne sont d’ailleurs pas conformes au rapport de Christian Cambon sur la loi de programmation militaire elle-même.

De plus, il est rare qu’une augmentation des crédits s’accompagne d’une diminution du nombre d’équipements majeurs. J’ai d’ailleurs souligné à plusieurs reprises que, lorsque les crédits diminuaient, les rapports étaient parfois plus doux que lorsque les crédits augmentaient. L’affirmation que je viens de relever est fausse, à défaut d’éléments venant la justifier.

Pour autant, ce n’est pas tout. Selon la deuxième citation en cause, le « volume [du modèle d’armée] ne permettra pas à la France de garantir au meilleur niveau la sécurité des Français ». Il me semble qu’il s’agit là d’une affirmation qu’il est grave d’inclure dans un rapport ; j’aimerais donc que l’on me dise quel contrat opérationnel confié aux forces armées – et que vous avez voté dans le rapport annexe de la loi de programmation militaire – ne serait pas en mesure d’être exécuté. La commission a eu la possibilité d’entendre les chefs d’état-major, en particulier le chef d’état-major des armées (Cema), et il serait bienvenu de dissiper toute confusion à ce sujet.

Un point me semble plus sérieux encore, mais je le relève sans esprit polémique. Vous connaissez mon caractère : je ne voudrais pas qu’on laisse ainsi à penser à nos concitoyens qu’un problème se poserait. Il est écrit, dans le rapport pour avis en cause : « Nous n’avons aujourd’hui pas la capacité [de défendre le territoire national], faute de matériels en quantité suffisante. » Cette phrase ignore complètement la dissuasion nucléaire, laisse de côté les contrats opérationnels que nos armées exécutent, etc.

Reprenons l’ensemble de l’architecture de la loi de programmation militaire. Tout va-t-il bien ? La réponse est non. Si nous n’avions pas besoin de réparations, nous n’aurions pas besoin d’augmenter les crédits.

Cependant, il est exagéré de pointer du doigt de tels éléments. Si j’étais taquin, je dirais que certains industriels ont intérêt à ce que nous commandions davantage de matériel ; cela ne m’a pas échappé.

Si nous revenons aux contrats opérationnels et aux menaces, nous constatons que ces trois affirmations ne sont pas exactes ; en tout état de cause, je demande qu’elles soient justifiées et dûment documentées ; à défaut, nous enverrions un signal stratégique à nos compétiteurs qui ne me paraît ni raisonnable ni responsable. La Haute Assemblée ne peut énoncer de telles choses si légèrement.

Ensuite, plusieurs points ont été soulevés, qui me semblent importants. Vous aviez pris certains engagements dans le cadre de la loi de programmation militaire, que j’avais largement accompagnés, mais le Conseil constitutionnel, saisi par La France insoumise, a censuré plusieurs cavaliers.

M. Rachid Temal. Nous l’avons regretté.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Or ces articles étaient importants pour l’intérêt général, pour le format des forces ou pour la BITD.

Je souhaite en mentionner deux en particulier. Le premier avait été relayé par le sénateur Cambon, il prévoyait la cession à titre gratuit de matériel aux associations patriotiques et aux collectivités territoriales. Cette disposition a été réintroduite dans le texte qui vous est proposé.

Le deuxième point, mentionné par le sénateur Temal, concerne le financement global de la BITD. Le président Perrin s’est également mobilisé sur cette question. Tout à l’heure le ministre chargé des comptes publics sera présent au banc : je tiens à dire combien la rédaction de la commission mixte paritaire concernant l’épargne de la BITD était bonne et combien elle mérite, à mon sens, de continuer à vivre. À bon entendeur !

J’en viens à l’aide à l’Ukraine, qui me semble être un point clé. Vous avez pu constater que le fonds de 200 millions d’euros a été approuvé de nouveau par l’Assemblée nationale. Vous l’avez également appelé de vos vœux.

Monsieur le sénateur Temal, vous avez soulevé la nécessité d’une réflexion plus globale sur la soutenabilité de cette aide. Malheureusement, le temps me manque, mais il faudra revenir sur ce sujet en commission, car nous sortons du cadre de la loi de programmation militaire. En outre, cette question concerne également l’économie de guerre.

À ce sujet, monsieur le sénateur Saury, vous avez affirmé que, pour ce qui nous concernait, il s’agissait d’une notion encore virtuelle. Ce n’est pas exact.

Allez dire cela aux salariés des usines Nexter de Roanne, qui fabriquent les canons Caesar, à ceux de Thales, qui ont accéléré les cadences de production des radars ou à ceux de MBDA qui fabriquent plus rapidement les missiles Mistral. Rien de tout cela n’est virtuel : les délais de production ont été réduits de moitié. C’est cela, l’économie de guerre.

On ne peut donc pas dire que rien n’a été mis en œuvre en la matière. Beaucoup reste à faire, cela a été souligné, car il s’agit d’un travail de chaque instant, qui n’incombe pas seulement au Gouvernement, mais également aux différents acteurs industriels.

Force est de constater que les efforts déployés varient considérablement d’un acteur à l’autre, en fonction de ce qui a été convenu avec les uns et les autres. Je ne cherche pas à créer une polémique, je dis simplement qu’il reste du travail à accomplir, mais que les choses évoluent. Le canon Caesar est un bon exemple des progrès réalisés récemment, qu’il faut accompagner pour qu’ils restent soutenables.

Nos succès à l’exportation posent question : de plus en plus d’États amis et alliés, outre les capacités technologiques et les prix, font valoir des exigences très précises en termes de délais de livraison.

L’armée française a parfois fait preuve d’une grande patience en la matière, mais nos clients et alliés à l’exportation ne seront pas aussi tolérants. L’économie de guerre concerne donc également la survie de notre modèle d’exportation, et il est évident que nous devons nous mobiliser pour le défendre. Je pourrais venir en cours de programmation devant vous pour vous présenter des indicateurs concrets, car les choses évoluent dans la bonne direction.

Les questions relatives aux ressources humaines sont essentielles. À la fin du mois d’octobre, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) a été pleinement déployée ; elle s’accompagne de diverses primes, notamment la prime du combattant terrestre dans l’armée de terre. Elle produit ses effets.

Des stratégies sont également mises en œuvre en ce qui concerne la fidélisation des personnels. Cela est particulièrement vrai s’agissant des grilles indiciaires, pour lesquelles nous réalisons des avancées significatives.

Par ailleurs, il convient de souligner les enjeux budgétaires liés à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), à la direction du renseignement militaire (DRM) et à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). J’ai eu l’occasion de répondre à certaines questions à ce sujet devant la délégation parlementaire pour le renseignement.

L’année n1 de la loi de programmation militaire correspond au contenu des débats que nous avons eus il y a quelques semaines et à la version publiée de la loi, comme en témoigne le faible nombre d’amendements déposés sur ce texte.

Cette loi épuise-t-elle pour autant tous les enjeux, défis et sujets ? Non. Votre génération de parlementaires sera condamnée à connaître une forme de programmation permanente dont je serai le ministre.

Se pose encore la question de l’Otan, celle des menaces hybrides et des sauts technologiques. Je reviendrai sur ce dernier point dans les semaines à venir : l’intelligence artificielle à fins militaires est un enjeu qui exigera de nous vivacité et mobilité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Rachid Temal applaudit également.)

défense

Défense
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
État G (début)

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Défense », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission / Programme

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Défense

67 841 121 341

56 755 730 543

Environnement et prospective de la politique de défense

2 198 423 067

1 967 619 198

Préparation et emploi des forces

16 569 476 955

13 562 508 731

Soutien de la politique de la défense

24 680 312 287

24 634 250 116

dont titre 2

23 205 361 658

23 205 361 658

Équipement des forces

24 392 909 032

16 591 352 498

M. le président. L’amendement n° II-171, présenté par MM. Durox, Hochart et Szczurek, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

100 000 000

100 000 000

Préparation et emploi des forces

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

Équipement des forces

100 000 000

100 000 000

TOTAL

100 000 000

100 000 000

100 000 000

100 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Mes chers collègues, au vu du contexte international, il apparaît légitime de ne pas sous-estimer d’éventuelles difficultés futures d’approvisionnement en munitions de petit calibre. Nous ne disposons en effet plus de filière souveraine en la matière.

Cet amendement vise donc à abonder les crédits en autorisations d’engagement et en crédits de paiement d’un montant de 100 millions d’euros pour relancer cette filière, une somme indispensable pour ne pas dépendre de puissances étrangères.

Rappelons ainsi que, au début de la crise en Ukraine, la République tchèque a cessé d’approvisionner nos forces de l’ordre en munitions de petit calibre, ce qui a posé de graves problèmes et suscité des inquiétudes en haut lieu.

Nous sommes la seule puissance, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, à ne pas disposer d’une filière nationale de munitions de petit calibre. À ce titre, cet amendement me semble être de bon sens, et son adoption indispensable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Cet amendement tend à abonder les crédits du programme « Équipement des forces » à hauteur de 100 millions d’euros pour la relance d’une filière de munitions de petit calibre.

Il est vrai que nos fournisseurs sur ce segment sont, pour l’essentiel, étrangers. Je relève cependant que, s’agissant des munitions de moyen et gros calibres, autrement plus stratégiques sur le plan technologique, nos armées s’approvisionnent auprès d’industriels français, ainsi que le ministre nous le confirmera sans doute. Le petit calibre ne représente tout de même pas les mêmes enjeux de souveraineté.

Dans notre contexte budgétaire contraint, tâchons d’abord d’atteindre les objectifs fixés par la LPM dans les segments autrement plus stratégiques, comme les munitions téléopérées ou le remplacement des systèmes de lance-roquettes unitaires, pour lesquels l’exemple de l’Ukraine nous a montré combien il était important d’être autonomes.

En outre, la LPM prévoit une enveloppe de 16 milliards d’euros consacrés aux munitions pour la période 2024-2030, soit un effort d’environ 7 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la période précédente.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous avons beaucoup débattu de ce sujet lors de l’examen de la loi de programmation militaire. J’avais pris quelques engagements devant vous, et cet amendement me donne l’occasion de faire un point de situation.

J’ai confié au délégué général pour l’armement (DGA), il y a quelques semaines, la mission de documenter le coût de recréation d’une filière dans ce domaine.

M. Rachid Temal. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il devra travailler de concert avec des représentants de l’ensemble des environnements concernés par les munitions de ce calibre : le ministère de l’intérieur et des outre-mer, les douanes et la Fédération française de tir, parce que la question des débouchés civils se pose.

Il lui faudra documenter également le contexte que recouvre le petit calibre : le modèle économique du 9 millimètres peut différer de celui du .45, par exemple.

Ce travail est en cours ; toutefois, comme l’a souligné le rapporteur, une telle évolution emportera nécessairement un coût, qu’il est nécessaire de documenter. Après tout, si cette filière n’existe plus, c’est parce qu’elle ne trouvait plus de modèle économique.

Votre amendement tend à prévoir 100 millions d’euros, je ne sais pas comment vous avez atteint ce chiffre, mais la direction générale de l’armement (DGA) est en train de faire le calcul de son côté.

Je reviendrai devant le Parlement, probablement d’ici à la mi-2024, pour donner une orientation définitive sur ce sujet bien connu et intéressant ; pour autant, je me refuse à avancer à l’aveugle, car recréer une filière sans modèle économique clair et sans débouchés avérés reviendrait à prendre le risque de gaspiller des fonds publics, ce que personne ne souhaite.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.

M. Pascal Allizard. Travailler à la recréation d’une filière de munitions de petit calibre est une idée tout à fait intéressante. Les propos du ministre, qui font suite à de nombreux échanges que nous avons déjà eus sur le sujet, me conviennent, sous réserve que le modèle économique tienne.

En revanche, en tant que rapporteur pour avis du programme 144, je tire la sonnette d’alarme : n’opposons pas les moyens ! La somme de 100 millions d’euros que vous souhaitez prélever est colossale. On ne peut pas, pour financer du petit calibre, se priver des efforts dont nos armées ont absolument besoin dans l’innovation et le renseignement. Je suis donc en profond désaccord avec cet amendement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Cette question est récurrente et légitime. Depuis bien longtemps, malheureusement, on se demande comment produire plus et vite. Comme Pascal Allizard, je pense néanmoins qu’il ne faut surtout pas opposer les crédits entre eux. Je rappelle que le programme 144, ce sont d’abord les crédits amont : 1 milliard d’euros attribués à nos entreprises pour la R&D, afin d’innover et de progresser technologiquement ; ce sont également les crédits affectés au renseignement, c’est-à-dire à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui demandent aussi un effort particulier. Bref, il est inimaginable de couper dans le programme 144.

M. le ministre a rappelé tout à l’heure la performance réussie par la marine voilà quelques jours en détruisant des drones avec des Aster 15. Un missile de ce type coûte 1 million d’euros – je parle sous le contrôle du ministre –, et il faut trois ans pour le fabriquer. Forcément, cette attaque va diminuer la quantité de munitions disponibles et il faudra reconstituer notre arsenal.

Nous en sommes tous parfaitement conscients, il y a un effort considérable à faire en matière de munitions, tout comme pour réindustrialiser notre pays, et ce en accompagnant les projets, notamment financièrement et administrativement. Monsieur le ministre, je travaille dans mon territoire, depuis quasiment un an et demi, à la création d’une usine de fabrication de munitions de petit calibre et cela n’avance pas. En effet, toutes les banques sollicitées pour le financement ont refusé, parce qu’il s’agissait de la défense. Nous aurons l’occasion d’en reparler ce soir à la faveur de la discussion de l’amendement sur le livret A.

En tout cas, j’y insiste, c’est principalement la manière dont est financé cet amendement qui me pose problème.

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox, pour explication de vote.

M. Aymeric Durox. Je suis ravi de constater que nous sommes d’accord, sinon sur la forme, du moins sur le fond. Cet amendement, que l’on peut considérer comme un amendement d’appel, a permis un débat sur cette question stratégique de la création d’une filière souveraine de production de munitions de petit calibre. Nous serons attentifs aux suites que vous voudrez bien y donner.

Pour rebondir sur les propos de M. le rapporteur spécial, la guerre en Ukraine nous a rappelé que la guerre, c’était aussi un affrontement direct entre soldats, qui ont malheureusement besoin de munitions de petit calibre. Je maintiens mon amendement pour le principe.

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je suis d’accord avec ce qu’ont dit MM. Allizard et Perrin. Dans mon intervention à la tribune, j’ai avancé l’idée d’un projet de loi destiné à accélérer les choses.

Il y a d’abord le problème du financeur. Aujourd’hui, on pourrait imaginer que Bpifrance, via le livret d’épargne souveraineté, par exemple, propose des outils financiers. C’était plus simple à l’époque des entreprises nationalisées.

Il est vrai qu’un certain nombre de freins sont aussi administratifs. Si l’on veut vraiment produire, il y a un certain nombre de verrous à faire sauter. Avec les conflits qui se multiplient, il faut que nous ayons un régime spécial sur cette question, sinon nous serons toujours en retard.

Je me réjouis que M. le ministre ait missionné la DGA pour étudier la possibilité de création de filières souveraines. J’ai surtout entendu son engagement à faire en sorte que la LPM soit vivante. Dès lors que la DGA sera de retour, il faudra aussi des mesures permettant d’avancer, sans attendre un prochain budget. Je souhaite qu’avant l’été prochain nous puissions voter un texte permettant de lever l’ensemble des verrous, que ce soit sur les petites munitions, les obus ou autre chose. Les industriels ne peuvent plus se contenter d’attendre des commandes. Il faut qu’ils puissent anticiper. Il y a aussi des emplois à la clé, ce qui double les avantages à attendre d’une telle politique : souveraineté en matière de défense et réindustrialisation de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour explication de vote.

M. Ludovic Haye. En tant que sénateur d’un département, le Haut-Rhin, limitrophe de celui de M. le président Perrin, et qui a vu naître Manurhin, je veux souligner le savoir-faire français en matière d’industrie munitionnaire. Plus de 90 % des munitions de petit calibre sont fabriquées dans le monde par des machines Manurhin. Nous avons encore le potentiel humain. Aujourd’hui, nous ne partons pas de zéro. Si la volonté politique suit, avec le ministre, la DGA, nous avons tous les atouts pour réussir.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vous remercie d’avoir fait vivre ce débat fondamental, qui nous avait déjà occupés lors de la discussion de la LPM.

Il y a la programmation et ses sous-jacents, qui peuvent être budgétaires, mais aussi stratégiques et industriels.

Démocratiquement et politiquement, il me semble essentiel d’avoir un débat approfondi à ce sujet, enrichi notamment d’auditions d’industriels. Comme je le disais au sénateur Saury, l’économie de guerre n’est pas un concept uniforme. En fonction des gammes de produits ou des entreprises, les comportements et les réponses peuvent être complètement différents. Il ne s’agit pas de décerner de bons points ou de mauvais points, mais je pense qu’il est utile que la représentation nationale soit informée de cette réalité.

Il y a des éléments qui évoluent, d’autres non. Cela n’a pas été formulé, mais, en tant que ministre de tutelle de la BITD, j’assume de le dire : nous avons aussi besoin d’un changement culturel. Je ne sais pas si un projet de loi dédié serait suffisant, mais le seul fait de l’évoquer ici même permet de mesurer le chemin parcouru en dix ou quinze ans.

La notion de prise de risque est absolument fondamentale en l’espèce. Il y va de la survie de notre modèle à l’export. Nous y reviendrons en évoquant les grands projets de coopération, comme le Scaf ou le MGCS, qui sont aussi les sous-jacents de prises de risque européennes, face à la concurrence chinoise, américaine ou russe.

Il y a aussi le sujet de la relocalisation, notamment de la filière poudre. Avant même de se poser la question de la taille des munitions, il y a l’enjeu de la poudre, avec Eurenco notamment. C’est l’objet du projet de Bergerac, qu’il faut mener à son terme.

Je le répète, j’ai donné une mission à la DGA sur les munitions de petit calibre. Il faut savoir que ce domaine n’est pas uniforme, mais je suis persuadé qu’il y a quelque chose à faire sur le calibre 9 millimètres. C’est la raison pour laquelle je prends l’engagement de revenir devant vous avec le résultat de l’étude. J’ai d’ailleurs demandé que le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, la pilote personnellement, compte tenu de la sensibilité du sujet. La représentation nationale aura ainsi une idée de ce que cela peut coûter. Il n’y aurait rien de pire que de faire des annonces ronflantes et de constater trois ans plus tard qu’il faut faire machine arrière, la filière n’étant pas équilibrée et ne trouvant pas ses débouchés. Le message envoyé serait très négatif pour notre image de puissance souveraine.

Ensuite, le président Cédric Perrin a raison, il y a un énorme enjeu sur les missiles. Je salue ce que MBDA a pu faire sur le Mistral, qui est essentiel pour la défense sol-air. Nous le voyons d’ailleurs en Ukraine. Pour les autres missiles, notamment la gamme Aster, qu’il s’agisse des engins à vocation navale ou des SAMP/T, c’est un problème d’économie de guerre. Ce n’est pas une affaire de commandes, comme j’ai pu l’entendre ici ou là : en matière de défense sol-air (DSA), force est de constater que les entreprises ont bien de la visibilité. Il est vrai que, pendant dix ou quinze ans, la DSA a été le parent pauvre des lois de programmation successives. Désormais, nous remettons du carburant budgétaire, beaucoup de pays étant demandeurs.

Je reviens à l’opportunité d’un projet de loi dédié. Je ne sais pas si c’est vraiment utile.

Pour visiter des entreprises de vos territoires, vous connaissez tous les types de problèmes. Je ne pense pas que le groupe socialiste du Sénat demande un droit du travail spécifique pour les salariés des industries de défense… (Sourires.)