compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

M. Mickaël Vallet.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article additionnel après l'article 50 E - Amendement n° II-192 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Deuxième partie

Loi de finances pour 2024

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales - Engagements financiers de l'État - Participations financières de l'État - Accords monétaires internationaux - Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics - Remboursements et dégrèvements

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (projet n° 127, rapport général n° 128, avis nos 129 à 134).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Engagements financiers de l’État

Compte d’affectation spéciale : Participations financières de l’État

Compte de concours financiers : Accords monétaires internationaux

Compte de concours financiers : Prêts et avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics

Remboursements et dégrèvements

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Engagements financiers de l'État

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics », ainsi que de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, 3 000 milliards d’euros de dettes : voilà ce que nous allons examiner en moins de deux heures. C’est dire l’importance du sujet. Si je devais résumer en quelques mots ce qui caractérise ces crédits, je dirais que c’est le coût de l’accoutumance à une dépense publique qui n’est pas maîtrisée, et à des comptes publics qui ne sont pas équilibrés.

C’est bien ce que montre l’évolution des crédits de la mission « Engagements financiers de l’État ». Malheureusement, le Gouvernement n’arrive pas à sortir de la politique du « quoi qu’il en coûte », ce qui se traduit par un alourdissement de la dette publique en 2022, qui se confirme en 2023 et devrait se poursuivre au cours des prochaines années.

Pour 2024, les crédits de la mission devraient s’élever à 60,8 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) et à 54,2 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE). En apparence, ces montants sont stables par rapport à 2023, mais ils se maintiennent à un niveau historiquement élevé.

L’absence totale – je pèse mes mots – de maîtrise de la dépense publique par le Gouvernement a donc un coût, qui reflète le niveau abyssal de la dette de l’État. Celle-ci atteindra 2 560 milliards d’euros en 2024 ; plus largement, la dette publique dépassera 3 000 milliards d’euros.

Alors que les crédits de cette mission représentent aujourd’hui le deuxième poste de dépenses du budget de l’État, après ceux de la mission « Enseignement scolaire », ils pourraient devenir le premier poste d’ici à 2027. Cela signifierait que la totalité du produit de l’impôt sur le revenu servirait uniquement à payer les intérêts de notre dette. On se rassure souvent en se disant qu’on ne remboursera jamais le capital, mais il s’agit là des intérêts seulement…

Le temps des taux d’intérêt négatifs est malheureusement révolu ; c’est sans doute une des principales causes de cette situation alarmante. Tous instruments confondus, à l’exception des titres indexés, le taux moyen de financement de l’État est passé de –0,3 % en 2021 à +3,1 % pour les dix premiers mois de 2023. Pendant six ans, en tant que rapporteur général de la commission des finances, je n’ai eu de cesse d’avertir du risque d’un accident. Bruno Le Maire en riait et se moquait de moi, arguant que nous empruntions à des taux de plus en plus bas.

Malheureusement, l’accident est arrivé, avec la hausse brutale des taux. De ce fait, le coût de gestion de la dette devrait s’élever à 50,86 milliards d’euros en 2024. En incluant la dette de SNCF Réseau reprise par l’État, soit 800 millions d’euros, la charge de la dette représentera 51,7 milliards d’euros en 2024, soit 8,9 % des dépenses du budget général.

Il y a bien une avancée, certes partielle, concernant le périmètre de la mission, avec l’intégration du programme 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État », précédemment rattaché à la mission « Écologie ». Nous avions dénoncé cet artifice budgétaire. Un autre subsiste, le maintien du programme 369 « Amortissement de la dette de l’État liée à la covid-19 », avec 6,5 milliards d’euros de CP. Aucun argument économique ne justifie le maintien d’une prétendue « dette covid ». Le Gouvernement cherche simplement à donner l’impression qu’il gère la dette. La commission des finances vous proposera donc d’amender les crédits de la mission afin de supprimer ce programme artificiel.

Nous avons appris hier soir, vers 23 heures, le maintien de la note de la dette française au niveau AA par Standard and Poor’s. Mais l’agence l’assortit d’une perspective négative, « dans un contexte de déficit budgétaire élevé […] et d’une dette publique élevée ». On ne peut être plus clair ! Quoi qu’il en soit, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 3 000 milliards d’euros de dette !

D’ailleurs, les hypothèses très optimistes sur lesquelles le Gouvernement fonde ses projections pourraient être remises en cause, notamment s’agissant des perspectives de croissance.

Les incertitudes pesant sur l’évolution de la conjoncture économique invitent à la vigilance quant aux crédits appelés en garantie, dont le montant est censé diminuer. Nous devons porter la plus grande attention aux prêts garantis par l’État (PGE), dont l’encours s’élève toujours à 76,5 milliards d’euros, soit 53 % du montant total octroyé.

À la lumière de ces différentes observations, la commission propose d’adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », sous réserve de l’adoption de son amendement n° II-1, et d’adopter sans modification les crédits des comptes spéciaux « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics », rattachés à la mission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits du compte d’affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l’État » nous donne l’occasion d’étudier la politique du Gouvernement en matière de participations publiques.

Force est de constater que le Gouvernement n’a pas fait les efforts nécessaires de formalisation d’une doctrine et utilise le levier économique des participations publiques par à-coups, sans stratégie d’ensemble.

Nous avons auditionné le commissaire aux participations de l’État, qui nous a fourni un inventaire à la Prévert des priorités de l’agence : responsabilité sociale et environnementale, transition énergétique, innovation, disruption, réindustrialisation verte, résilience, achat responsable et local, etc.

Je ne remets pas en cause l’importance de ces éléments, mais il faut impérativement que l’État actionnaire se dote d’une feuille de route. Le philosophe Alain, dans ses Propos sur les pouvoirs, écrivait : « La tâche d’un ministre n’est pas du tout de porter à sa perfection le service dont il a charge, mais tout au contraire, de résister à des ambitions en elles-mêmes raisonnables, d’après un regard continuel sur l’ensemble des besoins et sur l’ensemble des moyens. L’utile peut nuire. »

Oui, madame la ministre, l’utile peut nuire. Il vous faut faire des choix, fixer un cap ; en un mot, mener une politique.

Les participations financières de l’État doivent aujourd’hui être mobilisées comme un levier de politique économique à part entière. Je considère que l’État doit être clair et déterminé, notamment pour faire face aux défis des transitions écologique et numérique, mais aussi pour défendre notre souveraineté et se tenir prêt à intervenir, en particulier lorsque des acteurs aussi stratégiques que l’entreprise Atos se trouvent en difficulté.

Je m’étonne d’ailleurs des réserves du Gouvernement dans ce dossier, alors que la doctrine d’intervention de l’État actionnaire de 2017 visait en premier lieu à recentrer les interventions en capital sur les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays, notamment dans la défense et le nucléaire. Ce sont précisément les secteurs dans lesquels les activités stratégiques d’Atos s’exercent ! Il n’y a pas de souveraineté si tous les maillons ne sont pas protégés, surtout en matière de calcul et de sécurité informatique.

Néanmoins, la doctrine de 2017 n’est pas à jour. Les interventions en capital de l’État durant la crise sanitaire ont conduit à faire évoluer profondément l’action de l’Agence des participations de l’État (APE). La Cour des comptes qualifiait même en 2022 cette doctrine d’obsolète.

Cette situation se manifeste de plusieurs façons.

Tout d’abord, le CAS n’est plus alimenté que par des versements du budget général. L’année prochaine, près de 10 milliards d’euros de recettes sont envisagés, mais les recettes de cession du compte, c’est-à-dire les recettes normales, si tant est que ce terme ait encore un sens, ne représenteront que 45 millions d’euros, soit 0,5 % des recettes totales du compte.

Ensuite, la principale opération sur le compte en 2023 a concerné EDF. L’offre publique d’achat simplifiée a été menée à son terme, pour 9,7 milliards d’euros, et a donné lieu, le 8 juin dernier, au retrait de la cote. Elle laisse néanmoins entièrement ouverte la question de la situation financière du groupe, dont la dette se situe autour de 65 milliards d’euros et dont les besoins d’investissements sont évalués entre 20 et 25 milliards d’euros par an.

Ces deux constats montrent qu’il n’y a plus vraiment de pilotage des participations publiques, qui répondent en fait à des objectifs politiques fixés par le Gouvernement, sans cohérence d’ensemble. De ce point de vue, l’APE est passée du statut de gestionnaire actif du portefeuille des participations publiques à celui de simple courtier passant les ordres d’achat de l’exécutif.

La commission des finances n’a néanmoins pas souhaité remettre en cause les crédits du CAS, afin de maintenir la capacité d’interventions en capital de l’État.

Enfin, nous n’avons que trop dénoncé dans notre commission le programme 732 « Désendettement de l’État et d’établissements publics de l’État », qui constitue un pur effet d’affichage. Le remboursement qui apparaît sur le CAS creuse par ailleurs le déficit. La commission des finances a donc déposé un amendement n° II-6 rectifié visant à supprimer les crédits de ce programme.

Sous cette réserve, la commission des finances vous propose d’adopter les crédits du CAS « Participations financières de l’État ».

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l’application de dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements et des restitutions d’impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique – ce n’est pas un détail – que les crédits de la présente mission sont évaluatifs.

Par ailleurs, cette mission est la première en volume de crédits, tous budgets confondus. Ses crédits s’élèvent en effet à plus de 140 milliards d’euros. Ils ont augmenté en vingt ans de 76 milliards d’euros, soit une hausse de 117 %, ce qui s’explique par la hausse des recettes fiscales brutes de l’État, mais surtout par les modifications des politiques fiscales, qui, au gré de la multiplication des exonérations, contribuent à la perte de recettes fiscales.

Concernant les remboursements et dégrèvements d’impôts, les dépenses sont évaluées, pour 2024, à 135,9 milliards d’euros, soit une hausse de 8,9 milliards d’euros sur un an.

On assiste à une hausse des restitutions de TVA, qui devraient atteindre plus de 79 milliards d’euros en 2024. En dix ans, les remboursements de TVA ont augmenté de près de 32 milliards d’euros. Si le contexte inflationniste explique cette augmentation, ce niveau historiquement haut doit conduire à des interrogations sur le niveau de fraude. Certes, des avancées notables sont constatées dans la lutte contre ce fléau, mais il est nécessaire d’aller plus loin, alors que la TVA finance différentes politiques publiques – la sécurité sociale, l’audiovisuel public et, largement, les collectivités territoriales, à hauteur de 55 milliards d’euros en 2024.

À l’inverse, le niveau des remboursements d’impôt sur les sociétés baisse de 3 milliards d’euros, ce qui résulte d’une prévision d’accélération du bénéfice fiscal en 2023. L’imposition des bénéfices semble en berne, même si, dans un contexte inflationniste incertain, il convient d’être prudent sur ces prévisions. L’année dernière, j’avais déjà alerté sur le fait que le niveau des remboursements d’impôt sur les sociétés pourrait s’avérer supérieur à la prévision. L’inflation des profits de quelques grands groupes doit être mise en regard de la dette privée, qui explose pour atteindre 162 % du PIB.

Par ailleurs, les remboursements liés à des contentieux de série continuent de peser lourd, ce qui appelle à renforcer les moyens de la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Les remboursements liés à des politiques publiques enregistrent pour leur part une baisse de l’ordre de 800 millions d’euros. Cela s’explique par le fait que la montée en puissance du crédit d’impôt contemporain est beaucoup plus lente que prévu. En revanche, le montant du crédit d’impôt recherche (CIR) continue à croître, pour atteindre 7,6 milliards d’euros. Malgré cette hausse continue, les dernières évaluations de ce dispositif datent de 2021 et se basent sur des données allant jusqu’en 2018. Or le CIR, première niche fiscale, doit être, sinon révolutionné ou repensé, au moins réformé pour en réduire le coût et s’assurer de son utilité sociale, au service d’une recherche stimulée et orientée vers les grands défis du siècle.

Concernant les remboursements et dégrèvements d’impôts locaux, les crédits pour 2024 s’élèvent à 4,3 milliards d’euros, soit une baisse de 6,45 % par rapport à la loi de finances pour 2023. Cette diminution poursuit la tendance entamée depuis 2021 en raison de la suppression de la taxe d’habitation, de la réforme des impôts dits « de production » et de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Les remboursements et dégrèvements d’impôts économiques enregistrent quant à eux une baisse de près de 20 %, pour se limiter à 1,6 milliard d’euros. Cette baisse s’explique par la suppression partielle en 2023, puis totale en 2027, de la CVAE, compensée, comme d’autres suppressions d’impôts locaux, par l’allocation d’une fraction du produit de la TVA. Je m’interroge sur les baisses de ressources pour les collectivités territoriales qui résulteraient d’une baisse du produit de la TVA une fois l’inflation revenue à la normale.

De manière plus générale, chaque suppression d’impôt est désormais compensée par le versement d’une fraction du produit de la TVA aux collectivités territoriales. Cette pratique pose, d’une part, la question de l’autonomie fiscale de ces dernières et, d’autre part, celle de la pérennité de ce système de financement. En effet, le Gouvernement ne peut pas continuer à diminuer ses propres ressources et à exposer les collectivités territoriales à des retournements de conjoncture.

Enfin, les remboursements et dégrèvements de taxe foncière augmentent chaque année, de sorte que, entre 2018 et 2024, ils ont enregistré une hausse de 707 millions d’euros, soit près de 66 %. La hausse des taux appliqués par les collectivités territoriales explique une partie de cette évolution, qui résulte surtout de la revalorisation des valeurs locatives cadastrales. Cette tendance est assez révélatrice de la perte d’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Ces dernières utilisent leur dernier levier fiscal, avec pour conséquence une hausse des taxes annexes à la taxe foncière, comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom), fortement affectée par l’inflation.

Il me paraît donc nécessaire de mener une réflexion plus profonde sur le financement des collectivités territoriales et sur les marges de manœuvre qu’elles ont dans leurs ressources.

Cela étant dit, je vous propose d’adopter ces crédits.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits du CAS « Participations financières de l’État ».

Certes, le portefeuille coté de l’État actionnaire a retrouvé son dynamisme en 2023, avec un rythme de valorisation similaire à celui du CAC 40, tandis que les dividendes en numéraire sont estimés à 2,2 milliards d’euros, niveau le plus élevé depuis 2017.

Néanmoins, la commission déplore le manque de clarté de la stratégie de l’État actionnaire et les lacunes dans l’information du Parlement, qui amoindrissent considérablement la portée de l’autorisation parlementaire.

L’année 2023 a été marquée par l’achèvement d’une opération structurante pour l’État actionnaire, d’un montant de 9,7 milliards d’euros : la finalisation du rachat de 100 % du capital d’EDF. Il est salutaire que l’État garde dans son giron les entreprises stratégiques pour sa souveraineté. En revanche, les perspectives de l’État actionnaire pour EDF, entreprise confrontée à des défis immenses, sont floues : avec une dette qui avoisine les 65 milliards d’euros, comment financer les 20 à 25 milliards d’euros d’investissements annuels nécessaires au grand carénage et à la construction d’au moins six réacteurs pressurisés européens (EPR) de deuxième génération ?

Ce flou concernant l’avenir d’EDF est commun à tout le portefeuille de l’État actionnaire. Certes, l’APE a identifié des priorités – souveraineté économique et réindustrialisation, environnement, numérique – tandis que l’axe relatif au soutien aux entreprises frappées par la crise a été abandonné, trois ans après la crise sanitaire. Mais la doctrine officielle de l’État actionnaire n’a toujours pas été mise à jour par le Gouvernement. Or celle de 2017, qui allait vers un désengagement progressif de l’État, est totalement obsolète. Le Gouvernement doit fixer un cap clair.

De plus, l’information du Parlement sur les opérations en capital est toujours aussi lacunaire. En 2024, 45 millions d’euros de produits de cession sont censés alimenter en recettes ce CAS. Or nous n’avons aucune information sur le détail de ces cessions. De même, en dépenses, un montant de plus de 1,8 milliard d’euros consacré aux opérations en capital relevant du périmètre de l’APE ne peut être détaillé pour des raisons de confidentialité.

C’est pourquoi notre commission appelle fortement l’APE et le Gouvernement à revenir devant le Parlement, sans attendre l’examen du prochain budget, afin de nous expliquer si des opérations en capital sont prévues dans un futur proche.

Enfin, comme chaque année, la commission des affaires économiques rejoint les critiques de la commission des finances sur la contribution totalement artificielle du CAS à la réduction de la dette publique. Le programme 732 « Désendettement de l’État et d’établissements publics de l’État » est ainsi doté de 6,5 milliards d’euros, soit deux fois plus de crédits que le programme 731, dédié aux opérations en capital.

C’est pour toutes ces raisons que la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur l’adoption de ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quatre ans, lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2020, M. Le Maire nous prédisait l’effondrement, indiquant que notre ratio de dette sur PIB approchait dangereusement de la barre des 100 %. Nous étions alors à 98,5 %, je crois. Six mois plus tard, nous étions à 117 %, et la France ne s’est pas effondrée.

Surgit aujourd’hui une nouvelle barre fatidique, celle des 3 000 milliards d’euros de dette publique – 3 013 milliards au premier trimestre 2023, pour être précis –, accompagnée des habituels discours catastrophistes et culpabilisateurs. Il nous faut trouver 16 milliards d’euros d’économie, il y va de la survie de l’État, du pays ! C’est le ministre qui nous le dit : « Sans les transformations indispensables de notre modèle économique et social afin d’inciter davantage au retour à l’emploi, la France ne réussira pas dans les prochaines décennies. » Il dit aussi : « Il faut être très ferme sur les comptes publics. » Mais nous ne savons ce que le terme de « réussite » recouvre. Surtout, il a déjà décidé d’emprunter 285 milliards d’euros l’an prochain et le total de notre dette a dépassé les 3 000 milliards d’euros !

Ce que nous savons, c’est que le temps de payer la facture est arrivé : en effet, le 15 avril 2020, le FMI nous rappelait qu’en période de pandémie, « la politique budgétaire est essentielle pour sauver des vies et protéger les populations ». Selon lui, « les pouvoirs publics doivent prendre toutes les mesures nécessaires, mais ils doivent veiller à en garder une trace » – conserver les factures, en d’autres termes. De fait, les politiques publiques sont essentielles pour sauver des vies et protéger la population, non seulement en période de crise, mais en tout temps !

Or l’état d’abandon de nos hôpitaux et les drames quotidiens de non-prise en charge de certains malades, voire de tri des patients, nous le rappellent cruellement, alors même que la pandémie est, fort heureusement, derrière nous. La population se paupérise, quoique notre pays soit encore la septième puissance économique mondiale.

Vos choix, madame la ministre, risquent d’approfondir ce phénomène de paupérisation, par exemple en alignant la durée d’indemnisation du chômage des plus de 55 ans sur celle des autres chômeurs, ce qui est à rebours des objectifs que devrait viser une politique publique et budgétaire véritablement adaptée aux besoins du pays.

Et pourtant, vous confirmez votre volonté de réduire la dépense publique à tout prix ; vous persistez dans vos choix dogmatiques en refusant d’agir sur la fiscalité des plus aisés de notre pays, alors que les dividendes explosent et que les patrimoines prospèrent. Ces options réduisent la capacité de l’État à agir pour répondre aux grands défis de notre temps.

Le FMI nous recommandait aussi d’« apporter en priorité une aide aux ménages pour leur garantir un accès aux biens et services de base et à un niveau de vie décent ». Il ajoutait que, « pour éviter des séquelles permanentes », nous devions « privilégier un soutien aux entreprises viables, afin de limiter les licenciements et les faillites ».

Ainsi, s’il fallait intervenir massivement pour atténuer la crise de la covid-19 et la crise énergétique qui a suivi, il aurait sans doute fallu mieux cibler et contrôler les aides massives dont les entreprises ont bénéficié sans conditionnalité réelle ni suivi sérieux.

Le FMI nous appelait enfin à « renforcer les principes de bonne gouvernance à la hauteur de l’ampleur des mesures prises » et à « avoir une comptabilité précise, divulguer l’information fréquemment, complètement et en temps opportun et adopter des procédures permettant une évaluation a posteriori et une responsabilisation ». En bref, les dirigeants devraient prendre toutes les mesures nécessaires, mais veiller à en garder une trace. Nous en sommes loin, au vu de l’opacité qui règne sur le bouclier tarifaire, de l’amortisseur et d’autres suramortisseurs, pour lesquels nous ne disposons pas d’une évaluation fine à ce jour.

Les programmes d’évaluation fixés par les dernières lois de programmation des finances publiques n’ont pas été respectés. Ainsi, sur les onze évaluations prévues dans le programme de travail pour 2022, aucune n’a été réalisée. Certains dispositifs, y compris à fort enjeu, n’ont en outre pas fait l’objet d’évaluation depuis dix ans. C’est la Cour des comptes qui le disait, en juillet dernier… (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au départ de l’étape 2024, la mission « Engagements financiers de l’État » est dans le peloton de tête. Elle occupe actuellement la deuxième position dans le classement général des dépenses de l’État, après l’enseignement scolaire. Mais, au pied du col qui s’annonce, que certains ont baptisé « hausse des taux d’intérêt », la pente va être difficile à escalader. Les observateurs sont nombreux à penser que cette mission va bientôt rattraper la mission « Enseignement scolaire » et s’emparer du maillot jaune !

L’objet de la présente mission est aride, mais crucial. Elle reflète le coût de la dette de l’État, qui emprunte désormais à des taux d’intérêt de plus de 3 %.

Les crédits du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l’État » atteignent désormais 51,4 milliards d’euros – une hausse relativement faible, de 1,08 %, mais qui vient après celle enregistrée lors de la loi de finances pour 2023, qui était de 31,5 %.

En attendant, on pédale, madame la ministre, et ce n’est qu’un début, car la ligne d’arrivée est encore loin ! Après un faux plat bienvenu, dû à l’inflation, la pente va bientôt se raidir et l’effort à fournir va se durcir avec la montée des taux d’intérêt. De plus, dans cette ascension, il y a un épais brouillard, dissimulant la dette liée au covid-19, qu’on ne voit pas trop, et une partie de celle de SNCF Réseau.

La dette covid n’apparaît pas, cachée dans la brume du programme 369, mais rien ne justifie cette échappée d’information. Je suis réservé sur le fait même d’imputer cette dette à un programme budgétaire spécifique. Comme je l’ai déjà dit à cette tribune, l’argument de la meilleure lisibilité ne peut pas faire oublier un principe : les mêmes règles s’appliquent en ce qui concerne le remboursement du capital et le paiement des intérêts.

Pour ce qui est de la dette de SNCF Réseau, elle a été transférée au programme 355 alors qu’elle relevait l’année dernière de la mission « Écologie ». Mais une partie, figurant dans le programme 117, est, elle aussi, cachée par la brume. Il ne faut pas fausser les données, madame la ministre ! Il y va de la sincérité budgétaire sur l’ensemble des dettes publiques qui, tôt ou tard, finiront par apparaître, car le brouillard finit toujours par se dissiper.

Permettez-moi, à cette occasion, de vous faire part de ma perplexité en constatant, ici et là, des transferts de programme, d’une mission à l’autre ou d’une année sur l’autre. Cela réduit notre capacité à comparer l’évolution des crédits.

Pour conclure, madame la ministre, je ne crains pas la crevaison, parce que le Gouvernement a démontré sa maîtrise dans la pose de rustines.

Mon tempérament optimiste me fait penser que, si nous sommes vigilants, nous pourrons, par la suite, éviter la sortie de route !

Avec mes collègues du groupe RDSE, je voterai donc les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Serge Mérillou applaudit également.)