PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
 

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Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2024

Discussion d’un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024 (projet n° 127, rapport général n° 128, avis nos 129 à 134).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, cher Thomas Cazenave, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, de saluer la présence dans cet hémicycle de Raphaël Zahiri, qui m’accompagne dans le cadre de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.

Vous savez à quel point nous sommes sensibles – le Gouvernement et l’ensemble de la majorité –, comme du reste vous tous, je le pense, mesdames, messieurs les sénateurs, à la question de l’insertion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail.

Je le dis à Raphaël et, à travers lui, à toutes les personnes porteuses d’un handicap : vous avez – et vous devez avoir – toute votre place dans notre société. Vous pouvez compter sur notre engagement total en la matière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’exprime devant vous aujourd’hui sur le projet de loi de finances pour 2024, dans une période économique complexe.

Chacun voit que la conjoncture internationale ralentit.

Chacun voit que plusieurs de nos partenaires, y compris les plus proches, connaissent un ralentissement de leur croissance et que certains sont même confrontés à la récession.

Chacun mesure également que, même si elle reflue, l’inflation continue de pénaliser nos compatriotes, en particulier les plus modestes, malgré les mesures prises ces derniers mois et le début d’un ralentissement des prix.

Chacun voit que des inquiétudes fortes sont nées de la situation au Proche-Orient et de la persistance de la guerre en Ukraine.

Dans cette période difficile, je veux redire ma confiance dans la capacité de l’économie française à tenir bon et dégager des perspectives positives pour l’avenir.

Tout d’abord, nous avons de la croissance, ce qui n’est pas le cas partout en Europe ni dans la zone euro. Nous aurons 1 % de croissance en 2023, comme je m’y étais engagé. En outre, la Commission européenne vient de réévaluer le taux de croissance de la France pour 2024 à 1,2 %, son estimation étant proche de celle du Gouvernement de 1,4 %.

Ensuite, l’inflation reflue en France et dans la zone euro. Nous sommes donc en train de gagner la bataille contre l’inflation en un peu moins de deux ans, alors que dans les années 1970, dans une situation similaire, nous avions mis dix ans à sortir de la crise inflationniste.

L’emploi marque certes le pas, mais des perspectives de créations d’emplois dynamiques subsistent pour les années qui viennent, des projets industriels d’intérêt national majeur devant encore être mis en œuvre.

J’ai donc l’absolue conviction que si nous prenons les bonnes décisions dans les mois à venir, si nous poursuivons les transformations indispensables de notre modèle économique et social afin d’inciter davantage au retour à l’emploi, la France réussira dans les prochaines décennies.

Encore faut-il tenir une ligne très claire et très ferme, tout d’abord sur les comptes publics.

Ce projet de loi de finances garantit un déficit public de 4,4 % pour 2024, objectif que Thomas Cazenave et moi tiendrons. Nous avons toujours tenu nos objectifs en matière de déficit, sauf pendant la période exceptionnelle du covid-19. Je tiens donc à ce que notre parole conserve la même crédibilité pour les années qui viennent.

Nous tiendrons ces 4,4 % et la réduction des dépenses publiques qui l’accompagne, tout d’abord en sortant des boucliers tarifaires sur l’électricité et sur le gaz.

Je le rappelle, nous continuons à payer aujourd’hui plus de 30 % de la facture d’électricité des ménages. Nous continuons donc de protéger nos compatriotes contre l’augmentation des prix de l’électricité.

Toutefois, dès lors que la situation revient à la normale, il me paraît légitime d’abandonner progressivement les dispositifs de soutien, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages. Nous avons ainsi mis fin au bouclier tarifaire sur le gaz ; nous ferons de même, d’ici au 1er janvier 2025, pour le bouclier tarifaire sur l’électricité.

L’excellent rapporteur général, Jean-François Husson, a proposé d’accélérer la sortie du bouclier tarifaire sur l’électricité. Je le remercie d’avoir fait cette proposition, qui me semble bonne, utile, intéressante et justifiée.

Nous sommes prêts à le faire, à condition que la hausse du prix de l’électricité pour les ménages soit limitée à 10 % en février 2024 et de l’expliquer très clairement à nos concitoyens. J’en ai pris l’engagement auprès d’eux et j’aime tenir mes engagements.

J’ajoute que nous ferons aussi des économies en matière de politique de l’emploi et en supprimant des dispositifs à destination des entreprises.

Ensuite, nous respecterons l’objectif de réduction de la dépense publique grâce aux revues de dépenses voulues par la Première ministre et mises en œuvre depuis plusieurs mois.

Nous avons déjà engagé certaines de ces revues. Elles nous permettront de dégager, à terme, 2 milliards d’euros d’économies sur le dispositif Pinel et sur le prêt à taux zéro (PTZ), ainsi que plusieurs centaines de millions d’euros sur les politiques de l’emploi.

Enfin, nous parviendrons à atteindre cet objectif en réalisant les économies supplémentaires proposées par les parlementaires. Les députés ont fait des propositions, les sénateurs peuvent évidemment à leur tour suggérer de nouvelles économies, comme l’a fait le rapporteur général. Je leur prêterai toujours une oreille attentive.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. À cet égard, je salue le travail réalisé par la majorité à l’Assemblée nationale, notamment par l’autre excellent rapporteur général, Jean-René Cazeneuve, qui a permis de dégager 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires par rapport à la copie du Gouvernement, notamment grâce au gel des allégements de charges sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic et à la reconduction de la contribution sur la rente inframarginale (Crim).

Je veux qu’il n’y ait aucun doute : le temps des économies est venu.

Nous tiendrons l’objectif de 4,4 % de déficit public en 2024, je m’y engage, de même que nous tiendrons celui de revenir sous les 3 % de déficit public en 2027. Nous le devons à nos compatriotes ; nous le devons également à nos partenaires européens. Nous devons inscrire le sérieux budgétaire dans la durée, avec calme, clarté et détermination.

Nous poursuivrons donc les revues de dépenses. Toutes les dépenses publiques seront soumises à évaluation.

Nous commencerons par cibler une dizaine de secteurs d’ici à la fin de l’année 2023. Toutefois, d’ici au printemps 2024, trois revues de dépenses auront lieu – une première revue, annoncée par la Première ministre, est déjà en cours, une deuxième sera lancée en début d’année prochaine et une troisième, au début du printemps – afin d’examiner plus d’une quarantaine de programmes de dépenses publiques.

Il s’agira d’identifier là où l’argent public est utile et efficace – dans ce cas, la dépense doit être conservée – et là où, en revanche, il est mal employé et ne donne pas les résultats attendus – la dépense doit alors être réduite. C’est tout simplement faire preuve de responsabilité.

Au-delà des revues de dépenses publiques, il est indispensable d’engager une réflexion globale sur les missions de l’État, sur le périmètre de l’action publique, sur nos choix fondamentaux de politique sociale et sur l’enchevêtrement des compétences.

Sur ce sujet, une mission a été confiée au député Éric Woerth,…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Lisez le rapport sénatorial, cela vous fera gagner du temps !

M. Bruno Le Maire, ministre. … qui sera auditionné par le Haut Conseil des finances publiques locales sur ses propositions visant à simplifier la vie des collectivités locales et, plus globalement, l’organisation de la gouvernance.

Ce sera l’un des grands enjeux de 2024.

Notre stratégie de réduction de la dépense publique peut donc se résumer ainsi : mettre fin aux dispositifs exceptionnels liés au covid-19, engager des revues de dépenses publiques, interroger plus globalement la structure de l’État et l’organisation administrative de la France afin d’aller vers plus de simplification et plus d’efficacité.

Pour rétablir les comptes publics, il nous faut aussi tenir une ligne très claire et très ferme sur notre stratégie économique et donc sur la croissance.

En effet, le plus important pour réduire la dette et accélérer le désendettement de la France, c’est d’avoir de la croissance, laquelle permet de créer des emplois et de la richesse pour nos compatriotes.

Je refuse l’austérité, car elle n’a jamais permis de rétablir les comptes publics, en tout cas pas de manière constructive. Je crois à la responsabilité, ainsi qu’au soutien à la croissance et à l’activité.

Nous maintiendrons donc la politique de l’offre, qui a fait le succès de notre politique économique et rendu la France attractive pour les investisseurs étrangers ces sept dernières années.

Grâce à cette politique, je le répète, nous avons créé 2 millions d’emplois, dont 100 000 emplois industriels, ouvert 300 usines, relancé des filières industrielles, comme celle des batteries électriques, et fait de la France le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe.

Cette détermination à poursuivre la politique de l’offre se lit d’ailleurs dans le projet de loi de finances pour 2024 au travers de la baisse de 1 milliard d’euros des impôts de production, qui doit nous conduire à supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dans les meilleurs délais possible.

Dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons, la seule baisse d’impôts majeure prévue en 2024 dans le présent projet de loi de finances est à destination des petites et moyennes entreprises (PME), du monde industriel et des entreprises. On ne peut exprimer plus clairement notre détermination à tenir notre ligne économique et notre politique de l’offre.

Par ailleurs, nous renforcerons cette politique de l’offre dans les prochains mois en réalisant un effort massif afin de simplifier la vie des entreprises. J’en appelle à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs : toutes les propositions de simplification de la vie des entreprises, en particulier des plus petites d’entre elles, seront les bienvenues.

Simplifier les règles, simplifier les normes, simplifier les contraintes pour permettre à nos entrepreneurs de tout simplement se concentrer sur la création de valeur et la création d’emplois : c’est la clé absolue du succès de notre politique économique.

Nous devons ensuite continuer à viser aussi, dans les trois prochaines années, le plein emploi.

J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, mais je le répète devant la représentation nationale : la France bute, depuis cinq décennies – un demi-siècle ! –, sur le taux de chômage de 7 %. Quand cela va mal, le taux de chômage atteint 10 % en France, et quand cela va bien, il s’établit à 7 %. Nous naviguons entre ces 7 % et 10 %, sans jamais être parvenus, depuis un demi-siècle, au plein emploi, soit un taux de chômage de 5 %, ce qui est la règle pour d’autres grands pays développés, comme l’Allemagne ou les États-Unis.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un taux de chômage de 7 %. Le plein emploi, c’est 5 % ! C’est l’objectif qui a été fixé par le Président de la République, c’est l’objectif qui doit être atteint.

Cela étant, je vous le dis avec franchise : selon moi, nous n’atteindrons pas un taux de chômage de 5 % à modèle social constant. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Pascal Savoldelli. Ah ! C’est cela !

M. Bruno Le Maire, ministre. Dans le fond, la gigantesque hypocrisie française, c’est d’avoir construit un modèle social où le plein emploi serait atteint avec un taux de chômage de 7 %, non de 5 %.

Je souhaite donc que nous nous donnions collectivement les moyens d’atteindre réellement le plein emploi et de garantir à chaque Français, quel que soit son âge, quelle que soit son origine, quelle que soit sa formation, qu’il trouvera facilement un travail et qu’il n’aura pas à s’inquiéter pour son avenir ou celui de ses enfants.

Pour cela, il faut ouvrir des chantiers et poursuivre, résolument, sur la voie de la transformation de notre modèle économique et social.

Le premier chantier est celui de l’assurance chômage.

La première des discriminations à l’emploi, c’est l’âge. En effet, quand vous avez plus de 55 ans, on vous ferme les portes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il serait temps de le découvrir !

M. Bruno Le Maire, ministre. Cette discrimination est invisible, tacite, sournoise, mais elle est réelle.

Avec toutes sortes de prétextes, de contournements et d’explications plus ou moins fallacieuses, une entreprise vous ferme les portes à partir de 55 ans, considérant que vous coûtez trop cher et que vous feriez mieux de prendre votre retraite.

Voilà la réalité inavouable du modèle social français ! Voilà une réalité à laquelle je ne me résignerai jamais, car je considère, approchant moi-même de cet âge, qu’à 55 ans et bien au-delà, on a des compétences, un savoir-faire, une expérience et une histoire à partager, qui sont précieux pour l’économie française et pour les entreprises.

M. Michel Canévet. C’est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre. Toutefois, il est évident qu’une durée d’indemnisation du chômage de vingt-sept mois pour les plus de 55 ans, contre dix-huit mois pour nos autres compatriotes, est une assez faible incitation à reprendre un emploi. Là encore, de manière hypocrite ou déguisée, on transforme l’assurance chômage en retraite.

Mme Raymonde Poncet Monge. Que faisons-nous alors ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Je refuse de continuer à valider ce modèle, car je considère qu’il prive l’économie française de compétences qui lui seraient précieuses.

Ces règles doivent donc être modifiées. Aussi, je suis favorable à l’alignement de la durée d’indemnisation du chômage des plus de 55 ans sur celle des autres chômeurs.

Je souhaite que les entreprises arrêtent d’expliquer aux seniors qu’ils coûtent trop cher et qu’elles prennent toutes leurs responsabilités en accordant aux plus de 55 ans la place qui leur revient.

Mme Raymonde Poncet Monge. On fait comment ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Peut-être devons-nous pour cela travailler ensemble sur d’autres dispositifs, qui, en plus de l’index seniors, permettraient d’inciter les entreprises à les garder et à les maintenir en activité.

Je vous le dis avec beaucoup de force, de gravité et de détermination : une société qui se prive des compétences des plus de 55 ans est une société hypocrite, qui n’a pas compris les évolutions attendues par tous ceux qui ont de l’envie, des compétences et de l’énergie à faire valoir et à partager.

Mme Raymonde Poncet Monge. Dites-le au Medef !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le deuxième chantier est celui du logement.

Sur ce sujet également, regardons les choses en face et arrêtons avec l’hypocrisie de notre modèle social ! Nombreux sont les jeunes qui ne peuvent pas démarrer dans la vie active et accepter une offre d’emploi aux Herbiers, un coin cher à Bruno Retailleau, faute, tout simplement, de logements disponibles et accessibles. Les entreprises recherchent pourtant désespérément des compétences.

Il faut donc construire plus vite et mieux. Pour cela, nous avons besoin de mesures fortes.

M. Bruno Retailleau. Pas du zéro artificialisation nette !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour ma part, je suis prêt à étudier toutes les propositions qui nous permettront de construire plus rapidement, en particulier dans les zones tendues.

Ce travail passera par une simplification massive et par un échange très approfondi entre les maires et le Gouvernement pour déterminer à qui doit revenir la responsabilité de cette construction, et des financements qui vont avec, afin de nous assurer d’aller plus vite.

M. Bruno Retailleau. Nous avons des idées !

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le président Retailleau, je sais que vous et votre groupe avez des idées.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je serais très heureux que nous puissions les partager. D’autres groupes sont également les bienvenus.

M. Pascal Savoldelli. C’est une réunion de groupe, nous l’ignorions !

M. Bruno Retailleau. Vous êtes les bienvenus !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le troisième chantier est celui de la productivité.

Cessons une fois encore de nous mentir à nous-mêmes, comme nous le faisons au sujet du modèle social, de l’assurance chômage ou du logement.

La productivité européenne est en berne, et c’est un drame économique. Elle est en berne parce que l’Europe n’œuvre pas assez pour l’accroître.

Elle est en berne parce que l’Europe n’a pas encore créé l’union des marchés de capitaux pour laquelle je me bats depuis cinq ans. Or une telle union nous permettrait de lever les fonds nécessaires pour innover plus vite et davantage.

Si nous ne créons pas, dans les trois ans qui viennent, l’union des marchés de capitaux, il n’existera pas d’intelligence artificielle européenne. L’intelligence artificielle sera entièrement aux mains des Américains et des grandes entreprises privées américaines.

Pour gagner en productivité, il faut gagner en innovation. Pour gagner en innovation, il faut gagner en moyens de financement. C’est un chantier majeur pour lequel je veux continuer à me battre : plus d’argent pour l’innovation et plus d’innovation pour la productivité.

L’innovation doit aussi être partagée par tous. Chacun doit pouvoir y avoir accès, quelle que soit son origine, quel que soit le territoire où l’on vit, quel que soit son sexe.

Comment notre Nation peut-elle se résigner à compter aujourd’hui moins d’ingénieurs femmes qu’elle en avait voilà vingt ans ? Comment traiter ce sujet afin de faire en sorte que plus de jeunes femmes s’engagent dans une carrière scientifique et deviennent ingénieurs ?

J’avais proposé la mise en œuvre de quotas dans les classes préparatoires pour les jeunes femmes. Je persiste et je signe : s’il faut passer par l’établissement de quotas pour avoir plus de jeunes femmes ingénieurs, alors faisons-le !

M. Thomas Dossus. Parlez-en au ministre !

M. Bruno Le Maire, ministre. Ne nous résignons jamais à ne compter que 20 % de femmes ingénieurs en moyenne.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Parlez-nous du budget plutôt !

M. Bruno Le Maire, ministre. Tout notre système est organisé pour que ce soit des hommes qui s’orientent vers les sciences et les métiers d’ingénieurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le banc des ministres manque de femmes !

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est en travaillant à cette innovation pour tous que la France redeviendra une grande Nation d’innovation, qu’elle gagnera en productivité et en prospérité.

Le quatrième chantier est celui de la réindustrialisation.

Je le répète, notre ambition est de redevenir une grande nation de production et la première économie décarbonée en Europe à l’horizon 2040.

L’hypocrisie et les mensonges ont, là encore, fait des ravages. À force de promettre aux Français des lendemains qui chantent, en mettant en œuvre une politique de production uniquement centrée sur la consommation et le consommateur, en redistribuant des richesses qui n’avaient pas été créées, nous avons appauvri la France au cours des décennies passées.

En redevenant une Nation de production, avec des usines, des exploitations agricoles et des produits à forte valeur ajoutée, nous aurons des salariés mieux payés, mieux formés et mieux qualifiés, plus de prospérité à partager et un modèle social qui tient.

Aucun modèle social généreux n’est possible sans production de masse. Aucun modèle social ne tiendra à l’avenir si la France ne redevient pas une grande Nation de production industrielle et agricole. C’est une priorité absolue !

Là aussi, nous avons marqué des points. La politique fiscale que nous avons menée – l’abaissement des impôts sur les sociétés, la suppression de certains impôts de production, la simplification pour les entreprises industrielles, le vote de la loi relative à l’industrie verte, le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte (C3IV) – doit nous permettre de gagner cette bataille de la production – des usines, des ouvriers, des ingénieurs –, qui nous permettra demain de financer, non pas à crédit, mais sainement notre modèle social et la solidarité qui va avec.

Pour cela, nous devons nous saisir de l’opportunité historique que nous offre la transition climatique.

À cet égard, la loi relative à l’industrie verte, qui a été largement adoptée, notamment dans cette enceinte, doit nous permettre d’atteindre cet objectif. Elle permettra notamment de réduire les délais d’installation d’usines, de faciliter l’accès au foncier, de mieux flécher les investissements pour produire des éoliennes, des panneaux solaires, des batteries électriques et des pompes à chaleur.

Si nous voulons gagner la bataille de la production, de la relocalisation industrielle et des usines, il faut non seulement investir massivement dans la formation, dans l’innovation et dans l’ouverture de ces usines, mais aussi nous doter des mêmes instruments de protection que ceux dont disposent la Chine et les États-Unis.

Je suis favorable à ce que nous livrions, tous ensemble, la bataille pour le contenu européen dans les règles européennes. L’octroi d’aides, par exemple à la création de batteries solaires et à l’ouverture de champs éoliens offshore, devrait être assorti d’une obligation de contenu européen, à hauteur de 60 % ou 70 %, comme cela se pratique en Chine ou aux États-Unis.

Si nous ne respectons pas les mêmes règles que ces pays et si nous ne créons pas une règle du contenu européen, il y a fort à parier que le marché européen deviendra un supermarché pour les puissances étrangères, mais qu’il ne nous permettra pas de développer notre propre capacité industrielle.

Je suis donc favorable, je le redis, à des règles de contenu européen dans la législation européenne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tout cela suppose – je le répète – des comptes publics bien tenus, le retour à l’équilibre de nos comptes et l’accélération du désendettement. C’est exactement ce à quoi Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des comptes publics, et moi-même nous engageons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Bruno Belin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois tout d’abord vous dire ma joie d’avoir aujourd’hui à mes côtés un commissaire du Gouvernement pour qui c’est une première, M. Santiago Forestier. Il partage nos travaux dans le cadre de la sixième édition de la Journée pour l’inclusion des personnes en situation de handicap, DuoDay 2023. Comme Bruno Le Maire l’a indiqué, notre combat pour une société plus inclusive passe aussi par de telles initiatives. En 2022, le Duoday a permis à près de 35 000 personnes en situation de handicap d’amorcer un parcours d’insertion.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je suis heureux, comme Bruno Le Maire, de vous présenter le projet de loi de finances pour 2024.

Nous avons récemment débattu du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Hier, vous avez voté les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.

Vous ne serez pas surpris, le projet de loi de finances pour 2024 s’inscrit dans la même trajectoire et porte la même ambition que les textes financiers que j’ai déjà présentés et défendus devant vous.

Notre vision est cohérente et claire. Nous souhaitons maîtriser nos finances publiques. Nous souhaitons poursuivre notre soutien à l’emploi et à l’activité. Nous souhaitons investir dans l’avenir.

En ce qui concerne la maîtrise des finances publiques, tout d’abord, le projet de loi de finances pour 2024 confirme la trajectoire que nous avons inscrite dans le projet de loi de programmation. En 2018, nous avions réduit le déficit public, qui était repassé sous la barre des 3 %. Cela nous a permis de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour protéger massivement les Français.

Pendant la crise sanitaire, je tiens à le rappeler, nous avons protégé les emplois avec la mise en place du chômage partiel ; nous avons protégé les entreprises avec le fonds de solidarité ; nous avons protégé les ménages les plus en difficulté avec l’aide exceptionnelle de solidarité.

Face à l’inflation et à la hausse des prix de l’énergie, l’État a pris en charge une grande part des augmentations pesant sur les ménages, sur les entreprises et sur les collectivités grâce au bouclier tarifaire, à l’amortisseur et aux dispositifs de soutien ciblés. Face à la hausse des prix, nous avons continué à soutenir les Français avec la revalorisation des prestations sociales, la prime exceptionnelle de rentrée ou encore la remise carburant.

Ces aides ont permis à notre économie de tenir bon. Notre taux de chômage est historiquement bas. Notre croissance, de 1 %, est solide, supérieure à la moyenne européenne. Les entreprises ont continué de se développer et de produire.

Comme Bruno Le Maire l’a souligné, nous sommes également en train de gagner la bataille de l’inflation.

Grâce à ce choix de la protection, mais aussi et surtout aux réformes structurelles que nous avons menées, nous sommes en train de sortir de ces crises. Néanmoins, cette politique a eu un coût, que nous payons au prix fort du fait de l’augmentation des taux d’intérêt, qui alourdit la charge de la dette.

Il nous faut donc acter la fin du « quoi qu’il en coûte », sans renoncer aux investissements et aux politiques prioritaires. Tel est le sens du projet de loi de finances pour 2024.

La trajectoire que nous nous sommes fixée prévoit un déficit public de 4,4 % pour 2024. C’est une nouvelle étape importante, qui doit nous permettre de repasser sous la barre des 3 % en 2027.

Nous atteindrons cet objectif, car nous ferons des économies. Les dépenses de l’État baisseront en 2024 : 14 milliards d’euros seront économisés grâce à la sortie des dispositifs de crise, 350 millions d’euros le seront également sur la politique de l’emploi grâce à la réduction du chômage, 500 millions d’euros seront encore économisés en améliorant l’efficience de la politique de formation professionnelle et de l’apprentissage.

Ces économies sont ciblées. Effectuer un grand coup de rabot – comme je l’entends dire parfois – dans les dépenses de l’État aurait un effet contre-productif sur notre croissance. J’en ai la conviction. Notre action doit donc être précise et progressive.

Nous atteindrons cet objectif sans augmenter les impôts. C’est notre ligne directrice depuis 2017. Cette politique fonctionne et nous permet d’atteindre les résultats économiques que nous avons aujourd’hui. Nous ne changerons pas de cap, car nous obtenons des résultats !

Pour l’année 2024, nous continuerons de produire davantage. Selon nos prévisions, notre croissance devrait s’établir à 1,4 %. Certains prévisionnistes jugeaient ce taux optimiste. Aujourd’hui, l’OCDE comme la Commission européenne confirment des prévisions comprises entre 1,3 % et 1,2 % de croissance.

Certains nous accusent aussi de faire porter l’effort sur les collectivités. Cessons d’opposer l’État et les collectivités territoriales ! Nous portons ensemble les services publics. Je rappelle que les concours financiers de l’État s’élèveront à près de 55 milliards d’euros en 2024. La dotation globale de fonctionnement (DGF) augmentera de nouveau de 220 millions d’euros, après la hausse de 2023 qui était la première en treize ans.

Pour investir, les élus ont besoin de visibilité et de clarté. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé hier son intention de réformer la dotation globale de fonctionnement et saisi le Comité des finances locales (CFL) de cette mission.

Pour renforcer les capacités d’investissement des collectivités, nous étendons le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) aux dépenses d’aménagement. Cela répond à une demande des élus locaux et représente un effort de 250 millions d’euros.

Nos collectivités territoriales bénéficieront aussi de l’effort inédit accompli en faveur de la transition écologique : le fonds vert est pérennisé à hauteur de 2,5 milliards d’euros, dont 500 millions d’euros pour la rénovation des écoles, comme annoncé par le Président de la République.

Il faut accélérer le verdissement de toutes nos dépenses publiques, qu’elles relèvent de l’État, des collectivités territoriales ou des opérateurs. À cette fin, nous devons nous doter d’une boussole commune.

Cette boussole, ce sont les budgets verts, qui, à la suite des débats de l’Assemblée nationale, seront généralisés pour les plus grandes collectivités territoriales.

Je suis favorable à cette avancée. Lesdits budgets n’ont pas pour but de complexifier la vie des élus ; ils doivent au contraire leur permettre de valoriser la part de leurs crédits consacrée à la transition écologique. Je précise que la même logique doit s’appliquer à la dette, dont la part verte doit être valorisée par les élus.

Ce budget est résolument tourné vers l’avenir. Il assure ainsi la traduction des diverses lois de programmation adoptées par le Parlement, qu’elles concernent nos armées, notre sécurité ou notre justice.

Le contexte international nous le rappelle aujourd’hui plus que jamais : il est essentiel que nous disposions d’une armée de premier ordre. Conformément à nos engagements, le budget de nos armées augmentera de 3,3 milliards d’euros en vertu du projet de loi de finances pour 2024. Ces crédits supplémentaires nous permettront d’assurer l’aide de la France à l’Ukraine ou encore de renforcer nos équipements militaires.

Le budget du ministère de l’intérieur augmentera lui aussi, à hauteur de 1 milliard d’euros. Le recrutement d’agents supplémentaires au service de notre sécurité est indispensable. Grâce à ce budget, nous investirons également dans l’amélioration de l’accueil des victimes de violences.

Conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, nous augmentons le budget de la Chancellerie de 500 millions d’euros. Cet effort doit permettre, en 2024, le recrutement de près de 2 000 fonctionnaires, dont plus de 300 magistrats et plus de 300 greffiers. Afin de garantir l’effectivité des peines, nous renforçons aussi les moyens de l’administration pénitentiaire, au sein de laquelle près de 450 agents seront recrutés.

En parallèle, nous investissons massivement dans l’éducation nationale. Il n’est pas d’investissement plus rentable que l’éducation de nos enfants. La hausse historique de ce budget doit permettre de revaloriser les professeurs, conformément aux engagements du Gouvernement.

En outre, notre investissement pour l’avenir consiste à soutenir massivement la transition écologique. Nous avons deux dettes : la dette financière, bien sûr, et la dette écologique. Chaque investissement que nous repoussons en la matière nous coûtera plus cher demain.

Le projet de loi de finances pour 2024 consacre ainsi un investissement inédit à la transition écologique. Il mobilise 10 milliards d’euros supplémentaires pour assurer la rénovation thermique des logements et des bâtiments publics, décarboner nos transports, accompagner le nouveau modèle agricole, créer une industrie verte et transformer notre modèle énergétique.

Ces dépenses vertes vont aussi permettre d’accompagner les ménages. Les Français ont besoin d’investir dans la transition écologique, que ce soit pour passer à la voiture électrique ou pour isoler leur logement. En les aidant, nous relevons un enjeu, non seulement climatique, mais aussi économique et social.

Sans cet investissement supplémentaire, nous ne tiendrons pas nos objectifs climatiques.

Ce projet de loi de finances marque, enfin, une étape décisive dans la lutte contre la fraude.

La maîtrise des dépenses publiques doit être un effort non seulement partagé, mais juste.