Sommaire

Présidence de M. Alain Marc

Secrétaires :

M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.

1. Procès-verbal

2. Culture citoyenne. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi

M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel

M. Gérard Lahellec

Mme Annick Girardin

M. Martin Lévrier

M. Adel Ziane

Mme Sabine Drexler

Mme Laure Darcos

M. Jean Hingray

Mme Mathilde Ollivier

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Pierre Ouzoulias

Amendement n° 1 de M. Adel Ziane. – Adoption.

Amendement n° 2 de M. Adel Ziane. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Après l’article 1er

Amendement n° 4 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.

Article 2

Amendement n° 3 de M. Adel Ziane. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 3

Amendement n° 5 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 4 – Adoption.

Article 5

Mme Cécile Cukierman

Adoption de l’article.

Articles 6 et 7 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

M. Henri Cabanel

M. Adel Ziane

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d’État

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

3. Prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de la loi

M. Alain Duffourg, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

M. André Guiol

Mme Nadège Havet

Mme Nicole Bonnefoy

Mme Marta de Cidrac

M. Cédric Chevalier

Mme Nadia Sollogoub

M. Jacques Fernique

Mme Marie-Claude Varaillas

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Amendement n° 5 de M. Jacques Fernique. – Rejet.

Amendements identiques nos 1 de Mme Marie-Claude Varaillas, 2 de Mme Nicole Bonnefoy et 7 de Mme Nadège Havet. – Rejet des trois amendements.

Après l’article unique

Amendement n° 3 de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 4 de Mme Nicole Bonnefoy. – Rejet.

Amendement n° 6 de M. Jacques Fernique. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

Mme Nathalie Delattre

Mme Nicole Bonnefoy

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

4. Loi de finances pour 2024. – Discussion d’un projet de loi

Discussion générale :

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Question préalable

Motion n° I-1666 de M. Éric Bocquet. – M. Éric Bocquet ; M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances ; M. Bruno Le Maire, ministre ; M. Pascal Savoldelli. – Rejet par scrutin public n° 66.

Discussion générale (suite)

M. Didier Rambaud

M. Thierry Cozic

Mme Christine Lavarde

M. Joshua Hochart

M. Emmanuel Capus

Mme Nathalie Goulet

M. Thomas Dossus

M. Pascal Savoldelli

M. Raphaël Daubet

M. Saïd Omar Oili

Mme Florence Blatrix Contat

M. Stéphane Sautarel

M. Bernard Delcros

Mme Isabelle Briquet

M. Olivier Rietmann

M. Michel Canévet

M. Thomas Cazenave, ministre délégué

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

Organisation des travaux

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Article liminaire

Amendement n° I-2183 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° I-1896 de M. Christian Bilhac. – Retrait.

Adoption de l’article modifié.

Première partie

Article 33 et participation de la France au budget de l’Union européenne

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances

Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. le président de la commission des affaires européennes

Mme Florence Blatrix Contat

Mme Marta de Cidrac

M. Aymeric Durox

M. Emmanuel Capus

M. Jean-Michel Arnaud

M. Jacques Fernique

M. Éric Bocquet

Mme Annick Girardin

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe

Article 33 – Adoption.

Renvoi de la suite de la discussion.

5. Modification de l’ordre du jour

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Marc

vice-président

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Nicole Bonnefoy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne
Discussion générale (suite)

Culture citoyenne

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne (proposition n° 437 [2022-2023], texte de la commission n° 102, rapport n° 101), présentée par M. Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne
Article 1er

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, savez-vous ce qu’est la citoyenneté ?

À cette question, posée dans le cadre d’une enquête que j’ai lancée avec leurs enseignants M. Fonterray et Mme Kindermans, 28 % seulement des 628 jeunes du lycée Henri-IV de Béziers et 218 du lycée professionnel Jean-Mermoz ont répondu oui.

Ce chiffre ferait frémir les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En 1789, ces derniers affichaient ainsi leurs motivations : « Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. »

Deux siècles et demi plus tard, qu’est devenue la notion de bonheur pour tous ?

Alors que la défiance des citoyens envers leurs élus et leurs institutions n’a jamais été aussi exacerbée, il me semblait utile de nous interroger et de nous remettre en question.

En effet, les différentes analyses s’accordent au moins sur les constats : en mars 2023, 75 % des Français interrogés dans le cadre du dernier baromètre Cevipof disaient ne pas faire confiance au Gouvernement.

Nous, parlementaires, ne sommes pas loin derrière : la défiance à notre égard atteignait 68 % à 72 %.

À cela s’ajoutent les agressions des élus – elles ont progressé de 32 % en 2022 – et la place grandissante accordée aux réseaux sociaux.

Comme les élus, les journalistes subissent, eux aussi, une perte de confiance. Selon un sondage Kantar Public-Onepoint pour le journal La Croix, 57 % des Français pensent que, la plupart du temps, il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité.

Dans ce contexte de défiance, comment revenir aux valeurs communes de notre République ?

Le groupe RDSE a bien compris l’enjeu principal de ce travail : se réunir autour de valeurs et aller vers un avenir partagé. Je l’en remercie.

La mission d’information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne ? », présidée par notre collègue Stéphane Piednoir, s’est structurée autour de trois axes principaux : mieux éduquer, encourager une citoyenneté active et repenser les pratiques démocratiques pour rapprocher les citoyens des institutions.

En ce qui concerne le premier axe et partant de ce constat de défiance de la part des citoyens, nous avons opté pour un parti pris : nous préoccuper des jeunes. En effet, la citoyenneté se construit, elle s’enseigne, elle s’apprend.

L’éducation morale et civique (EMC) a donc été le point central de notre travail. De toute évidence, les réformes successives ont en effet entraîné une instabilité de la matière.

En 2018, à l’occasion d’une conférence, Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d’État, indiquait : « Bien que la réforme de l’EMC soit érigée au rang de priorité politique de l’exécutif, la discipline se voit en fait attribuer des moyens limités et garde un statut très secondaire. »

Deux de ses avis formulés à l’époque me semblent essentiels.

Il recommandait, d’abord, de « développer et maintenir des liens réciproques entre les jeunes, les institutions républicaines et les organisations de la société civile ».

Dans cet esprit, j’ai lancé dans mon département un projet d’intervention de binômes d’élus dans les établissements scolaires. Certains m’ont rétorqué que cette pratique était généralisée. Or c’est inexact : si la démarche existe, elle n’est ni structurée ni encadrée.

La convention cosignée récemment avec Sophie Béjean, rectrice de l’académie de Montpellier, et Frédéric Roig, président de l’association des maires du département de l’Hérault, énonce les enjeux : les élus porteront d’une même voix auprès des jeunes scolarisés les valeurs de la République, les droits et les devoirs.

Dans un pays où désormais les enseignants sont les cibles d’actes terroristes engendrés par l’obscurantisme, cette ambition est plus que symbolique.

Jean-Marc Sauvé explique : « La refondation du pacte de citoyenneté devrait passer, en premier lieu, par la réaffirmation des valeurs qui sont à sa racine. La citoyenneté française s’est inscrite dans une vision partagée du bien commun et de l’intérêt général. L’individualisation et l’émiettement de nos sociétés […] abolissent les intermédiations et conduisent les citoyens à se replier sur des choix individuels. »

C’est pourquoi je souscris pleinement à sa deuxième proposition : « Intégrer les jeunes en amont dans la construction des politiques publiques qui les concernent. »

La citoyenneté se construit en effet à l’école. L’égalité des chances n’est pas assurée quand seulement 10 % des Français indiquent que l’orientation dans la voie professionnelle est choisie.

Comment se sentir citoyen, c’est-à-dire partie prenante de la société, quand on vit dans un quartier qui concentre un grand nombre de difficultés ?

C’est pourquoi je travaille sur ce sujet avec une trentaine de jeunes de banlieue – de Vaulx-en-Velin, Paris, Marseille ou encore Toulouse – et en particulier avec Dylan Ayissi, un jeune engagé et motivé, créateur de l’association Une Voie pour tous.

Tout au long de notre mission, nous avons évidemment reçu des experts en audition, mais je suis particulièrement fier d’avoir auditionné des jeunes. Il est vain, en effet, de parler des jeunes sans aller à leur rencontre, sans les écouter, sans se nourrir de leurs réflexions et de leurs idées.

Ainsi, j’ai organisé en particulier un déplacement dans le quartier populaire de La Paillade, à Montpellier. Les sénateurs ont pu entendre les jeunes parler de leur vie, de la vraie vie.

L’un d’eux a dit : « Je me sens exclu de la République. » Comment se sentir citoyen quand on se sent exclu de la République ?

Le deuxième axe de notre mission était d’encourager une citoyenneté active.

Pour faire société, le citoyen doit se sentir acteur de son devenir. C’est dans cet esprit qu’a été créé le service civique, héritier direct du service civil volontaire, lui-même instauré par une loi dont le projet a été déposé – ce point est éclairant – quelques semaines après les violentes émeutes des banlieues de 2005.

Plus récemment, la création du service national universel (SNU) s’est inscrite dans une démarche similaire. Les débats tronqués sur son aspect militaire ne sont que de faux arguments. L’urgence du contexte nous impose d’être unis à ce sujet contre des idées fausses.

Tant le service civique que le SNU sont fondés sur l’idée que l’engagement des jeunes constitue le socle de leur formation citoyenne.

C’est pourquoi je suis favorable à les faire cohabiter. À l’heure de la montée en puissance du SNU, ce serait une erreur d’abandonner le service civique.

Il faut, au contraire, le développer et le voir comme un complément. Le SNU offre les bases, le service civique les développe, les nourrit et apporte au volontaire une expérience à la fois humaine, de solidarité, mais aussi professionnelle.

Dans une récente étude auprès des jeunes volontaires, l’association Unis-Cité, présidée par Marie Tréllu-Kane, pointe l’importance du service civique pour les jeunes décrocheurs scolaires. Elle préconise aussi de se préoccuper de la mobilité en milieu rural.

Enfin, le troisième axe de notre travail vise à repenser les pratiques démocratiques pour rapprocher les citoyens des institutions.

Faire un état des lieux de notre système, c’est bien ; nous remettre en question, c’est mieux.

Les Français n’ont plus confiance. Qu’avons-nous donc raté ? Les partis politiques sont à bout de souffle, mais on continue. Jusqu’à quand ? Jusqu’à quel mur ?

L’abstention est devenue le premier parti de France. Jusqu’où irons-nous dans l’affaiblissement de la légitimité du suffrage universel, quand, en 2020, les maires des grandes villes ont été élus en moyenne par 18 % des inscrits ?

J’aurais souhaité aller plus loin dans les préconisations, mais, vous le savez, pour qu’un rapport soit voté, il faut composer.

J’ai donc composé sur la démocratie contributive, qui me tient à cœur, sur la reconnaissance du vote blanc ou encore sur le vote obligatoire, qu’il faudra bien un jour mettre en débat.

Nous en sommes restés au mode de scrutin. D’autres textes – et demain la réforme institutionnelle annoncée lors du premier mandat du Président de la République – nous forceront peut-être à nous poser les bonnes questions.

Cette proposition de loi est loin de couvrir l’ensemble des problèmes de la citoyenneté et des jeunes.

Adopté à l’unanimité le 7 juin 2022, le rapport de la mission d’information est assorti de vingt-trois recommandations.

Six d’entre elles supposent des modifications de dispositions législatives en vigueur concernant l’EMC, la journée défense et citoyenneté, les centres de l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi (Épide), la double procuration, la profession de foi électronique et le statut de l’étudiant élu.

Cette proposition de loi est donc limitée, car elle a pour seule ambition de faire progresser quelques préconisations.

Je me réjouis néanmoins de son vote à l’unanimité par la commission de la culture et je remercie M. le rapporteur, mon ami et collègue Bernard Fialaire.

Nous avons travaillé ensemble à la réécriture de certains articles, qui augurent, je l’espère sincèrement, une avancée probante.

C’est ainsi que je conçois le travail parlementaire : une coconstruction dans le seul but d’améliorer l’existant, et, surtout, dans le seul but de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. le président de la commission de la culture, Mme Sabine Drexler et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues : « Rien n’est moins naturel que la démocratie, qui consiste à remplacer la violence, verbale ou physique, par des discussions, des compromis et des efforts collectifs. »

Ces propos de Dominique Schnapper témoignent de l’importance d’entretenir la flamme de la culture citoyenne pour que la démocratie reste vivante.

Aussi, je salue les travaux de la mission d’information visant à redynamiser la culture citoyenne, présidée par Stéphane Piednoir et dont Henri Cabanel était le rapporteur.

Celle-ci a identifié un parcours citoyen constitué de cinq étapes clés : l’école, la journée défense et citoyenneté, vestige du service militaire, les dispositions d’insertion sociale et les élections. Ce parcours forme un projet collectif fondé sur des références partagées par chacun.

Or, aujourd’hui, chacune de ces étapes s’effrite. Par conséquent, les références partagées s’étiolent et le projet collectif se délite. Il en résulte une « archipélisation de la société », pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet.

La mission d’information a cherché à identifier les maux dont souffre notre démocratie. Elle a formulé vingt-trois recommandations pour renforcer le lien entre le citoyen et les institutions, la proposition de loi de notre collègue Henri Cabanel reprenant celles dont la portée est législative.

Nous en sommes tous conscients : ce texte ne permettra pas, à lui seul, de réconcilier les citoyens, notamment les plus jeunes, avec la participation à la vie démocratique. Néanmoins, il permet d’agir afin d’éduquer et de former à la citoyenneté et de repenser les pratiques démocratiques. Voilà cent vingt ans déjà, Ferdinand Buisson disait : « Le premier devoir d’une République est de faire des républicains. »

L’article 1er de ce texte vise à recentrer l’enseignement moral et civique sur des objectifs concis. Je ne peux que saluer cette volonté politique.

La commission de la culture n’a eu de cesse, à chaque modification de cet article, de regretter la tendance du législateur à définir dans la loi le contenu des programmes.

Aujourd’hui, l’EMC souffre d’un contenu pléthorique, accentué par l’absence d’heures qui lui sont dédiées. Cela conduit à une perte de valeurs et de références partagées au sein de l’ensemble d’une classe d’âge.

En effet, par manque de temps, l’enseignant pioche des chapitres dans le programme en fonction de ses appétences, de sa maîtrise du sujet ou de ce qu’il estime intéressant pour ses élèves.

Comme le dirait Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur de l’éducation nationale, c’est la volonté collective qui pâtit d’un enseignement dépendant des choix du professeur.

La nouvelle rédaction de l’article L. 312-15 du code de l’éducation répare un oubli, celui de la mention du fonctionnement de la vie démocratique et des institutions. Or il s’agit de l’un des objectifs premiers de cette discipline.

Si la question de la formation des enseignants n’est pas abordée par ce texte, il semble primordial de mieux outiller les enseignants.

La commission de la culture l’a rappelé à de nombreuses reprises, qu’il s’agisse de la formation initiale ou de la formation continue.

Je suis ainsi frappé de voir que les épreuves du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) en histoire-géographie ne comportent aucune épreuve d’EMC.

Cette discipline incombe pourtant quasiment toujours aux professeurs de collège. Du fait de son absence au concours, les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) ne sont pas incités à approfondir cet enseignement lors de la formation initiale.

Il paraît essentiel que l’État joue pleinement son rôle de futur employeur et reprenne ainsi la main sur le contenu de la formation initiale des enseignants.

Par ailleurs, la défense des valeurs de la République ne doit pas être laissée sous la seule responsabilité des professeurs d’histoire-géographie. Elle doit fédérer l’ensemble de l’équipe pédagogique. Nous devons être attentifs à faire de leur transmission un projet partagé par l’ensemble de la communauté éducative.

L’article 2 concerne la journée défense et citoyenneté, qui a connu les mêmes dérives.

Initialement, elle était destinée à être un rendez-vous obligatoire pour l’ensemble d’une classe d’âge avec les personnes participant à la défense du pays. Aujourd’hui, le temps consacré aux questions de défense et d’engagement est inférieur à trois heures.

L’armée est consciente de la nécessité de faire évoluer cette journée et y travaille.

Je rappelle que notre assemblée a adopté, en juillet dernier, lors des débats sur la loi de programmation militaire, un amendement de notre collègue Henri Cabanel reprenant la rédaction de l’article 2 de ce texte.

Cet amendement a d’ailleurs été maintenu dans la suite de la navette parlementaire, avant d’être finalement censuré, car considéré comme un cavalier législatif.

La proposition de loi vise également, à l’article 3, à faciliter l’insertion des jeunes suivis par les centres de l’Épide. Comme un certain nombre d’entre vous, j’ai eu l’occasion de me rendre dans un de ces centres et de constater le travail important qui y est réalisé pour accompagner des jeunes en grande difficulté vers l’insertion.

Nous examinerons dans quelques minutes un amendement de la commission visant à préciser que l’accueil complémentaire de trois mois se fait dans la limite des places disponibles.

En effet, selon les informations qui m’ont été transmises par le ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, le taux d’occupation dans les centres de l’Épide varierait, en fonction des établissements, entre 90 % et 95 %.

Je me réjouis de ce succès. En effet, la mission d’information avait souligné la nécessité de mieux faire connaître ces établissements, qui souffraient d’une visibilité insuffisante parmi les dispositifs proposés aux jeunes sans qualification ni diplôme.

Il me semble également important de renforcer le maillage territorial, en lien avec les collectivités locales, souvent demandeuses de l’installation d’un centre de l’Épide.

La directrice générale de l’Épide soulignait ainsi qu’une dizaine de départements avaient envoyé moins de cinq jeunes en cinq ans, en raison d’un maillage territorial trop faible.

J’en viens maintenant aux articles 4 et 5, qui visent à moderniser le processus électoral.

La société évolue. Aussi, je me félicite que le Sénat puisse débattre, en séance, d’une évolution de notre système électoral.

Force est de constater que nous nous déplaçons de plus en plus. Il faut donc s’adapter, et c’est ce que permet la double procuration.

En ce qui concerne l’envoi dématérialisé de la propagande électorale, je tiens à vous rassurer : il ne s’agit nullement de passer à une dématérialisation généralisée et obligatoire pour les électeurs.

Un tel système aurait au contraire un effet pervers, quatorze millions de Français ne maîtrisant pas le numérique.

En revanche, un certain nombre de nos concitoyens, notamment les plus jeunes, se disent intéressés par la perspective de recevoir ces documents de manière dématérialisée.

Nous sommes également tous conscients des difficultés logistiques que pose la distribution, dans un temps très court, de près de quarante-huit millions de plis.

Dans l’esprit des travaux de la mission d’information, la commission a élargi la possibilité d’un envoi dématérialisé des documents de propagande électorale à l’ensemble des scrutins locaux, ainsi que pour les élections européennes.

Enfin, ce texte vise à mieux reconnaître l’engagement des jeunes dans les mandats électoraux. Il est en effet parfois difficile de concilier l’exercice du mandat avec le déroulement des études. Or, à la différence des élus salariés, il n’existe pas, dans le code électoral, de garanties spécifiques pour les étudiants.

Le code de l’éducation ne prévoit pas non plus d’aménagements d’études en cas d’exercice d’un mandat électoral, alors même que d’autres engagements – associatifs, militaires, civils, professionnels – sont pris en compte.

La commission a donc réécrit l’article 6. Il lui a semblé plus judicieux de s’appuyer sur un dispositif existant qui a fait ses preuves, et qui répond aux besoins spécifiques des étudiants concernés.

Par ailleurs, elle a étendu ce dispositif aux mandats nationaux et européen. Le rajeunissement de la classe politique concerne également nos assemblées. D’ailleurs, deux de nos collègues députés étaient étudiants au moment de leur élection.

Mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans un processus visant à guérir les fractures qui ont vu le jour entre les citoyens et les institutions.

En conclusion, permettez-moi de saluer en votre nom l’engagement de l’ensemble des élus locaux, et notamment des maires présents en tribune, qui sont un maillon essentiel de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat auprès du ministre des armées et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de m’exprimer devant vous pour la première fois depuis ma prise de fonction en tant que secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel, également chargée de la vie associative.

J’aime à qualifier ce ministère de « ministère du lien » : lien entre les générations, lien entre les jeunes eux-mêmes, lien entre eux et la société, lien au sein de la société elle-même.

Ce lien est dans l’ADN de mon secrétariat d’État et des politiques publiques que je conduis. Il sera, j’en suis sûre, au cœur de nos échanges sur la citoyenneté, socle de notre nation.

Je remercie sincèrement le groupe RDSE d’avoir mis à l’ordre du jour du Sénat cette proposition de loi, complète, riche et constructive.

Ce texte est le fruit d’un travail sénatorial transpartisan extrêmement rigoureux et le Gouvernement en partage les constats : le goût des jeunes pour l’engagement, l’urgence de reconstruire la confiance entre citoyens et élus, le danger pour notre démocratie que représente la propagation de fake news sur les réseaux sociaux ou encore le succès du service civique.

Nous en partageons également pleinement la philosophie : oui, l’engagement des jeunes est un véritable enjeu de cohésion nationale et nous devons, aujourd’hui plus que jamais, travailler à le renforcer.

S’engager, c’est rappeler que nous sommes non pas simplement une somme d’individus, mais bien une équipe de citoyens engagés sous un même drapeau et partageant les valeurs qui ornent les frontons de nos mairies et de nos écoles : liberté, égalité, fraternité.

Ces valeurs sont à construire. Il nous faut plus que jamais le faire, dans le cadre d’une société résiliente, plus tolérante et plus unie.

Depuis six ans, la jeunesse est au cœur de nos priorités. Elle est aujourd’hui confrontée à ce que le Président de la République a appelé la « grande bascule ». Et les défis auxquels elle doit faire face sont importants : crise écologique, difficultés économiques et sociales, retour de la guerre en Europe, conflits sociaux et religieux ou encore transformation numérique.

En réaction, la jeunesse, dans sa diversité, est unanime : elle veut être non pas administrée, mais responsabilisée. Nous devons l’écouter et lui permettre de s’engager pleinement, afin qu’elle soit actrice de son destin.

Cette demande de responsabilisation passe par l’émancipation citoyenne de chacun. Nous devons l’entendre et la rendre audible.

En 2019, nous avons lancé, avec Gabriel Attal, le service national universel, auquel 90 000 jeunes ont pu participer. Pour l’année 2024, nous allons ouvrir 80 000 places.

Le SNU fait un pas de plus cette année avec le dispositif « classes et lycées engagés ». Ce dispositif s’inscrira dans le parcours scolaire, dans le cadre d’un projet pédagogique annuel qui sera déployé aussi bien en classe de seconde qu’en première année de certificat d’aptitude professionnelle (CAP).

Preuve de l’engagement de l’ensemble du personnel éducatif, nous avons déjà dépassé nos objectifs de classes labélisées.

La moitié des classes qui ont répondu présent pour cet appel à projets sont issues des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La mixité sociale des jeunes volontaires en séjour de cohésion SNU s’en verra accrue.

Au-delà d’un séjour de cohésion de douze jours, le SNU est aussi un temps d’engagement plus long pour la Nation.

Vendredi dernier, j’ai annoncé le lancement des brigades citoyennes du SNU, qui permettront aux jeunes volontaires de venir en aide, hors temps scolaire et sur la base du volontariat, aux collectivités locales et aux associations dans les territoires sinistrés par les intempéries partout en France. Dès le lendemain, les premiers volontaires étaient déjà sur le terrain, dans le Pas-de-Calais.

Le service civique – nous avons pour ambition de recruter 150 000 volontaires en 2024 – s’inscrit pleinement dans ce temps d’engagement plus long, phase deux du service national universel. Il représente le premier poste de dépenses de mon ministère et son budget annuel s’élève à 518,8 millions d’euros.

Favoriser les échanges intergénérationnels et le vivre-ensemble est aussi l’objectif du service civique solidarité seniors, lancé en 2021. Au travers de ce dispositif, nos jeunes volontaires agissent pour lutter contre l’isolement de nos aînés, tout en prévenant la perte d’autonomie et en participant à tisser une société plus solidaire.

Vendredi dernier, j’ai annoncé le doublement du nombre de jeunes en service civique solidarité senior. Ils pourront agir aussi bien en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qu’en résidences autonomie, avec l’objectif d’accompagner 200 000 personnes âgées d’ici à 2027.

« Redynamiser la culture citoyenne », selon les termes de votre rapport, c’est aussi permettre à nos jeunes de s’engager dans l’école de la citoyenneté que sont nos associations.

Dès 2024, nous allons augmenter le budget du fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), qui permet de soutenir le fonctionnement des associations, en particulier les plus petites structures. De 50 millions d’euros en 2023, ce dernier passera à près de 70 millions d’euros en 2024.

Le secteur associatif n’est bien sûr pas hermétique aux profondes mutations que connaissent nos sociétés. Il est donc de notre devoir de les accompagner, au-delà de l’aspect financier, dans des démarches structurelles autour de quatre grands axes : simplification, reconnaissance, facilitation et accompagnement des acteurs du monde associatif.

J’en viens au texte que nous examinons ce matin.

L’article 1er prévoit de recentrer le contenu de l’enseignement moral et civique sur deux priorités : la connaissance des institutions françaises et européennes, d’une part, la compréhension des grands enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux, d’autre part.

L’éducation morale et civique est un outil remarquable pour saisir le sens des valeurs de notre République. À l’heure où les enjeux d’éducation aux médias sont de taille, la transmission d’une attitude réfléchie et éclairée vis-à-vis de l’information est un véritable besoin démocratique.

C’est pour cette raison que le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal, a annoncé le renforcement, dès la rentrée 2024, de l’enseignement moral et civique à l’école et le doublement des heures d’EMC de la cinquième à la troisième.

Nous partageons également la volonté de repenser le contenu de cette matière. À la demande du ministre, le Conseil supérieur des programmes y travaille en ce moment même.

L’éducation aux médias et à l’information y sera pleinement intégrée. Les premières conclusions de ce travail sont attendues d’ici à la fin du mois de décembre.

Il me semble important d’attendre ces conclusions avant de modifier de nouveau, par la voie législative, l’EMC, qui a déjà fait l’objet de nombreuses modifications ces dernières années.

Par ailleurs, l’objectif de l’enseignement moral et civique ne peut pas se limiter à l’apprentissage de notre histoire, de nos valeurs et de notre culture politique, même si cette dimension est importante. Bien au-delà, il s’agit de conforter le principe républicain, de créer une relation de confiance en la République et en ses valeurs.

En somme, l’enseignement moral et civique doit être autant moral que civique.

Par ailleurs, la « fabrique du citoyen » ne se limite pas à l’école : la journée défense et citoyenneté constitue également une étape importante du parcours de citoyenneté.

Elle doit retrouver sa vocation initiale, qui consiste à être un rendez-vous unique, dans la vie d’un jeune, avec les armées et avec tous ceux qui assurent la défense de notre pays. Cette journée doit être pensée comme une véritable expérience démocratique pour toute notre jeunesse, qu’elle sensibilise aux notions d’engagement, de responsabilité et de fraternité.

Dans cette perspective, le ministère des armées travaille actuellement à la refonte de cette journée pour la recentrer sur ses missions premières : enseigner les enjeux et les principes de la défense nationale ; renforcer le lien entre les armées et la Nation ; et, bien évidemment, accroître l’attractivité des métiers de la défense et la volonté d’engagement des jeunes Français.

Là encore, les travaux sont encore en cours ; c’est pourquoi le ministère des armées est réservé quant à l’article 2, pour des raisons non pas de fond, mais de calendrier.

La proposition de loi vise également à favoriser l’insertion sociale des volontaires accueillis au sein des centres de l’Épide. Ce dispositif de seconde chance présente d’excellents résultats d’insertion au regard de la précarité des volontaires lors de leur entrée dans le dispositif. Le Gouvernement est donc favorable à cet article, sous réserve que l’amendement du rapporteur, à l’article 3, soit adopté.

Le Gouvernement émettra un avis défavorable sur les deux articles suivants, qui concernent le processus électoral.

En effet, le vote par procuration constitue une dérogation au principe du secret du vote. En 2021, dans le contexte de la crise sanitaire, le Gouvernement avait fait le choix de déroger au plafond du nombre de procurations. Le retour d’expérience nous montre qu’en réalité très peu d’électeurs se sont emparés de cette possibilité. Seuls 7 % des mandataires étaient concernés par une double procuration. Par ailleurs, le Gouvernement a assoupli le dispositif pour le rendre plus accessible. Depuis le 1er janvier 2022, un électeur peut ainsi désormais donner procuration à un électeur inscrit sur les listes électorales d’une autre commune que la sienne.

L’inscription dans le marbre de la loi de l’envoi dématérialisé du matériel de propagande électoral semble prématurée, même si nous comprenons les enjeux de simplification et de numérisation. Cette mesure nécessiterait une collecte de données de grande ampleur. En effet, à ce jour, seuls 25 % des électeurs inscrits sur les listes électorales ont renseigné leur adresse électronique.

Enfin, nous devons tout faire pour faciliter la vie des jeunes qui font le choix courageux de s’engager en politique. Ils doivent pouvoir concilier leurs études avec leur mandat, qu’il soit local, national ou européen. Le Gouvernement souscrit donc pleinement à l’objectif de l’article 6, qui vise à leur permettre d’aménager leurs études en tenant compte des obligations liées à leur mandat. Cependant, l’inscription de ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales ne nous semble pas opportune.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que nous puissions poursuivre, au-delà de cette matinée, ce travail sur le renforcement du parcours citoyen tout au long de la vie. Nous devons continuer à avancer ensemble sur ce sujet d’une importance capitale pour notre pays, dans un esprit constructif. Faisons-le ensemble, pour nos jeunes et avec eux.

M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer la volonté des auteurs de cette proposition de loi. Celle-ci répond à un objectif que nous partageons et à une nécessité : le renforcement de la culture citoyenne.

La création d’un statut pour les étudiants élus ou encore le souci de vouloir ancrer dans notre temps le processus électoral en le modernisant constituent des avancées.

L’enseignement moral et civique doit en effet s’attacher à transmettre les valeurs et les principes de la République, qui fondent le pacte républicain. C’est une œuvre d’intégration républicaine et un devoir de l’institution scolaire vis-à-vis de chaque élève : il faut le dire, nous en avons grandement besoin.

Je pense à nos enseignants en général, et à nos professeurs d’histoire et de géographie en particulier, qui sont aujourd’hui en grande souffrance, jusque dans leurs classes…

Oui, il faut enseigner à notre jeunesse le sens profond de notre République, car c’est à cette condition - et seulement à cette condition - qu’elle s’engagera elle-même pour la valoriser et la défendre.

Mais, comme le disait si bien le grand Jaurès dans son discours de 1903 à la jeunesse : « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. »

Nous ne parviendrons pas à relever cet immense défi par quelques mesures symboliques, qui rappelleraient d’ailleurs, par quelques aspects, les heures glorieuses d’un passé où la journée scolaire commençait par la leçon de morale, écrite au tableau noir, et se clôturait parfois par une leçon d’instruction civique à apprendre par cœur.

Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action, qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre. Or cette proposition de loi apparaît moins ambitieuse, précisément sur cette question de la liberté pleinement assumée.

Sachons aussi nous rappeler que notre République n’est pas née de la transposition de ce que fut la République romaine ! Notre République est celle d’un grand peuple qui ne compte que des citoyens et où ceux-ci sont réputés égaux. Notre République issue de la Révolution est aussi celle de la démocratie et du suffrage universel. C’était d’ailleurs une nouveauté magnifique et émouvante. C’est de cette nouveauté magnifique et émouvante qu’il faut instruire notre jeunesse !

Non, nous ne préconisons pas de proposer à notre jeunesse un rêve décevant ou affaiblissant. Nous souhaitons simplement lui enseigner le rêve éveillé de notre République, en lui montrant qu’il faudrait la défendre contre toute menace et toute humiliation.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Gérard Lahellec. En votant cette proposition de loi, nous continuerons donc à nourrir cette grande ambition, qu’il convient d’enseigner et de faire partager à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe RDSE vous présente aujourd’hui une proposition de loi visant à renforcer la culture citoyenne, c’est-à-dire le lien entre le citoyen et les institutions. Elle comporte six mesures d’ajustement législatives, qui se veulent pratiques et pragmatiques. Henri Cabanel, l’auteur de ce texte, vient de vous les présenter.

Voilà plusieurs années, voire des décennies, que nous inventons des dispositifs pour tenter de réaffirmer sans cesse ce qu’est la citoyenneté et l’appartenance à la République.

La France, pays des Lumières, mère patrie de la Révolution, pays des droits de l’homme et du citoyen, a porté au regard du monde des valeurs telles que la laïcité, l’égalité, la fraternité ou encore la liberté. Mais elle fait face aujourd’hui à un problème majeur : les héritiers de cette histoire, de ces combats, de ces victoires s’en détachent et méconnaissent totalement la valeur de cet héritage.

Le constat de la perte de connaissance, de compréhension de la construction de notre République et du fonctionnement de nos institutions, tout comme celui de la défiance envers la politique, n’est pas nouveau. Même la volonté de vivre ensemble et de faire nation est aussi en perte de vitesse.

La citoyenneté ne peut se construire qu’au quotidien et nous pouvons même dire que cette construction doit être continue au travers d’un parcours de vie. Mais encore faut-il en avoir les bases.

Il faut dire que nous ne nous facilitons pas la tâche. À une époque où la synthèse est privilégiée face à l’exhaustivité, nous avons, depuis des années, réussi à complexifier le contenu de nos apprentissages et la capacité d’accéder aux expériences citoyennes. C’est le cas des contenus de l’enseignement moral et civique ; celui-ci aborde de trop nombreux sujets en oubliant la priorité initiale : l’enseignement à la citoyenneté.

C’est aussi le cas pour la journée défense et citoyenneté. Pour rappel, c’est l’ex-journée d’appel, qui visait à remplacer le service militaire. Dans le contexte géopolitique complexe que nous connaissons aujourd’hui, il n’est pas normal que la part consacrée à l’enseignement de la défense et de la sécurité se retrouve diluée dans un saupoudrage conduisant à des messages superficiels et peu audibles.

La citoyenneté, c’est aussi l’expérience et l’engagement. Pour cela, les dispositifs sont nombreux : les conseils de la vie lycéenne, les écodélégués, le service national universel, le service civique, le volontariat international en administration (VIA), le volontariat international en entreprise (VIE), les conseils municipaux des jeunes, les multiples conseils d’administration étudiants, etc.

Alors pourquoi ne sont-ils pas suffisamment plébiscités ? La réponse est sans doute liée au manque d’accompagnement et aux difficultés rencontrées par les jeunes pour y accéder. La réponse est également que certains de ces dispositifs ne sont pas suffisamment complémentaires sur le plan pratique des apprentissages initiaux. J’ai entendu, madame la secrétaire d’État, ce que vous, ainsi que les ministres de l’éducation nationale et de la défense, souhaitez mettre en place. J’espère que l’on pourra répondre effectivement à toutes ces questions. Mais il faut aller vite, très vite.

Être citoyen, c’est aussi faire des choix politiques. Ces choix passent par le vote et par la participation à la décision. La progression de l’abstention – nous serons certainement nombreux à le souligner – lors de toutes les échéances électorales nous oblige à réagir : il convient, par exemple, de permettre la double procuration, de recourir à l’envoi électronique des professions de foi électorales, etc. Il s’agit d’autant de mesures de bon sens que le groupe RDSE vous propose d’adopter aujourd’hui. Avançons !

Voter cette loi, c’est aussi favoriser la participation des jeunes à la vie démocratique, en accordant une protection aux étudiants qui exercent un mandat d’élu local, ou encore accompagner les jeunes sans diplôme dans la consolidation de leur insertion, en prolongeant l’accompagnement de l’Épide. Nous pourrions sans doute nous inspirer du service militaire adapté, dispositif qui est en vigueur dans les territoires d’outre-mer et qui est très en pointe en matière d’engagement. L’outre-mer peut inspirer la Nation davantage.

C’est avec beaucoup de fierté que le groupe RDSE propose et soutient cette proposition de loi, qui, je l’espère, sera aussi votée par l’ensemble de nos collègues ici présents.

Je tiens à saluer le travail de mes collègues Henri Cabanel, auteur de cette proposition de loi, et Bernard Fialaire, qui en est le rapporteur.

Enfin, je pense intimement que ce travail devra se poursuivre par l’élaboration d’un parcours citoyen, qui se déroulerait tout au long de la vie afin de consolider un socle civique commun.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Annick Girardin. Ce parcours pourrait, à terme, prendre la forme d’un passeport et ainsi sceller les droits et les devoirs des citoyens français vis-à-vis de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la culture citoyenne est cruciale pour le renforcement du lien entre les citoyens et les institutions, une préoccupation que nous partageons pleinement au sein du groupe RDPI. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui découle des recommandations émanant de la mission d’information sur le thème : « Comment redynamiser la culture citoyenne ? »

Cette mission avait pour objectif d’explorer les fondements actuels de la culture citoyenne et de trouver des moyens de renforcer l’adhésion des citoyens à un projet commun reposant sur des références partagées.

Elle a identifié cinq étapes essentielles pour permettre aux citoyens de s’inscrire dans un projet collectif à travers un « parcours citoyen » tout au long de la vie. Ces étapes comprennent l’école, la journée défense et citoyenneté, les dispositifs d’insertion sociale, l’engagement citoyen et les élections.

Les auteurs de cette proposition de loi ciblent la formation à la citoyenneté, qu’ils nous proposent d’améliorer, les modalités électorales, qu’ils souhaitent moderniser, et l’engagement des jeunes dans les mandats locaux, qu’ils désirent faciliter.

Permettez-moi de souligner les principales dispositions de cette proposition de loi, dont je considère qu’elles constituent des avancées significatives.

Tout d’abord, la révision de l’enseignement moral et civique prévue par l’article 1er vise à resserrer son contenu, notamment sur une meilleure connaissance du fonctionnement des institutions françaises et européennes. Cela représente un pas essentiel vers la formation de citoyens informés et engagés.

À l’article 2, relatif à la journée défense et citoyenneté, il est proposé un recentrage sur des thèmes spécifiques, tels que la défense, la sécurité, les métiers accessibles aux jeunes qui voudraient servir leur pays, l’orientation des jeunes en difficulté et la présentation des différentes formes d’engagement. Cela contribuera sans aucun doute à une meilleure compréhension des enjeux cruciaux auxquels notre nation est confrontée.

L’article 3 prolonge de trois mois le contrat d’accompagnement de l’Épide, pour offrir aux jeunes volontaires une période supplémentaire pour s’adapter et parfaire leur développement, ce qui facilitera leur intégration dans la société.

Si le rétablissement, à l’article 4, de la double procuration peut représenter pour certains une avancée vers une plus grande participation citoyenne aux scrutins, une partie des membres du groupe RDPI est défavorable à cette mesure, compte tenu de l’importance du caractère dérogatoire du vote par procuration et au regard du principe du secret du vote.

Par ailleurs, la transition vers la propagande électorale électronique reflète une volonté d’adapter nos pratiques démocratiques aux évolutions technologiques. Cette disposition, matérialisée dans un cinquième article, vise à offrir aux électeurs la possibilité de choisir le format qui leur convient le mieux, avec l’espoir de favoriser ainsi une participation accrue. Mais est-il si certain que cela y contribue ? Permettez-moi de rappeler le risque de marginalisation de ceux qui n’ont pas accès à internet ou dont les nouvelles technologies ne sont pas familières. D’après l’Insee, 15,4 % des personnes de 15 ans ou plus résidant en France étaient en situation d’illectronisme.

Enfin, la création du statut de l’élu étudiant, à l’article 6, est une mesure qui mérite d’être saluée. Elle reconnaît l’engagement des jeunes étudiants dans la vie politique locale, régionale et départementale, en leur garantissant les aménagements nécessaires.

Cependant, je tiens à exprimer un regret partagé par bon nombre de sénateurs du groupe RDPI. Alors que le Conseil supérieur des programmes a été consulté sur l’enseignement moral et civique, et que la lettre de saisine l’invite à dépasser le cadre de l’enseignement du fonctionnement des institutions, n’aurait-il pas été nécessaire d’attendre la diffusion de ses travaux pour éclairer encore plus cette proposition de loi ?

Dans cette lettre, le ministre lui demande de réfléchir à la rénovation des programmes de l’enseignement moral et civique, depuis le cours préparatoire jusqu’à la classe de terminale. Il exprime une ambition renouvelée pour cet enseignement et souligne son rôle crucial dans la formation des élèves en tant que citoyens éclairés.

Cette lettre souligne également l’importance de transmettre une conception de la citoyenneté mettant l’accent à la fois sur l’autonomie du citoyen et sur son appartenance à une communauté politique. Cela inclut la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la lutte contre toutes les formes de discrimination. De plus, la connaissance des institutions de la République et de l’Union européenne est mise en avant.

Dans cette logique, elle annonce déjà le doublement de l’horaire de l’enseignement moral et civique au cycle 4 du collège. Elle vise à l’enrichir avec des modules d’éducation aux médias et à l’information, notamment dans l’espace numérique et sur les réseaux sociaux, avec un seul objectif : l’apprentissage du discernement.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, bien que cette proposition soit porteuse d’une vision ambitieuse pour la culture citoyenne, son absence d’articulation avec la lettre de mission du Conseil supérieur des programmes n’est pas sans nous interroger. Par ailleurs, comme nous l’évoquions précédemment, les articles 4 et 5 soulèvent de nombreuses interrogations, qui ne permettent pas à notre groupe d’exprimer un vote unanime.

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Adel Ziane. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous est donné l’occasion aujourd’hui de débattre d’un concept ô combien essentiel pour le ciment de notre République : la citoyenneté. Dans notre pays, celle-ci s’est forgée dans les luttes et les aspirations de notre peuple au cours des siècles.

Souvenons-nous quand même que ce concept de citoyenneté, qui est inspiré de l’Antiquité, qui a été mûri par les Lumières et s’est concrétisé avec la Révolution de 1789, revêtait autrefois un caractère d’exclusion pour l’ensemble des femmes ainsi que pour les hommes qui ne pouvaient pas s’acquitter du cens. Je pense à la classe laborieuse, qui, à la suite d’une longue lutte politique, a dû attendre 1848 pour voir le passage du scrutin censitaire au scrutin dit « universel ». Il n’était d’ailleurs alors qu’imparfaitement universel : il ne le deviendra pleinement que près de cent ans plus tard, à la suite d’une lutte encore plus longue et âpre, avec l’obtention du droit de vote des femmes en 1945.

La construction européenne apportera aussi sa pierre à l’édifice en 1992, avec la citoyenneté européenne et le traité de Maastricht.

Aujourd’hui, en 2023, ce combat, cette lutte, continue. La citoyenneté est bien plus qu’un simple statut administratif. Elle est confrontée à de nouveaux défis et enjeux, dont ce débat nous permet de discuter.

Au concept d’individu citoyen, au sens d’un individu qui détient des droits, des devoirs et participe à la vie politique de la cité, à la recherche d’un idéal commun, tend à se substituer lentement celui de l’individu consommateur, qui délaisse la production d’idées et de convictions, l’engagement, la solidarité, au profit d’un intérêt tourné quasi exclusivement vers sa propre consommation de biens et de services.

La mondialisation, les crises environnementales, les avancées technologiques remettent en question le rôle des individus en tant que citoyens.

L’abstention interroge quant aux failles de notre modèle actuel de citoyenneté. Elle est révélatrice d’un désintérêt complet pour la politique dans toutes ses composantes chez une partie des abstentionnistes, tandis qu’une autre partie d’entre eux ne considère plus que le vote assure un débouché démocratique et s’organise donc en conséquence, utilisant d’autres modes d’action, à l’image du mouvement des « gilets jaunes ».

Dans le passé, notre modèle de citoyenneté a su changer, comme je le disais, et s’adapter aux époques dans lesquelles les acteurs évoluaient.

L’enjeu est majeur, et nous en parlerons aujourd’hui : il s’agit de l’adhésion aux valeurs de la République, d’égalité, de liberté, de fraternité, qui ne peuvent être mises en péril.

C’est le sens de cette proposition de loi, qui, si elle n’apporte pas, de toute évidence, de changements substantiels ou d’avancées significatives dans la promotion de la citoyenneté, doit être saluée, tout comme les propositions qu’elle comporte et qui sont toutes issues des recommandations d’un rapport d’information.

Je remercie notre collègue Henri Cabanel, qui a eu le mérite et la volonté de prendre l’initiative de contribuer à ce débat.

On peut toutefois se demander si cette proposition de loi permettra de répondre aux défis contemporains de la citoyenneté. Malheureusement, elle sera imparfaite et ne sera pas forcément positive, car les enjeux, comme je le disais, nécessitent une approche plus ambitieuse et des mesures plus substantielles pour renforcer l’engagement citoyen.

Toutefois, le groupe socialiste reconnaît les quelques avancées que contient cette proposition de loi.

Les mesures proposées à l’article 1er visent à renforcer l’enseignement moral et civique, afin qu’il soit opérationnel, en replaçant les enjeux institutionnels en son cœur, en permettant aux jeunes apprentis citoyens d’appréhender au mieux les outils démocratiques qu’ils auront en leur possession à leur majorité.

L’article 4 pérennise la double procuration mise en place lors de la pandémie de covid-19, afin d’assouplir les conditions de participation matérielle des électeurs au scrutin. Nous appellerons cependant également à une grande vigilance dans sa mise en œuvre opérationnelle, pour éviter tout usage frauduleux.

Enfin, l’article 6, le plus ambitieux, a pour objet de favoriser la participation des jeunes à la vie démocratique – c’est le cœur du sujet. Il prévoit des aménagements pour les étudiants dépositaires d’un mandat municipal, départemental ou régional, dans le déroulement de leurs études. Être citoyen, c’est aussi avoir la capacité d’exercer des droits. Nous nous réjouissons que la commission ait étendu le champ de cette mesure aux mandats nationaux et européen.

En tant que partisans du progrès et de l’égalité, nous ne pouvons ignorer les possibilités offertes par ce texte pour renforcer la pratique citoyenne, même si, je le répète, elles restent modestes sur un certain nombre de points.

Pour aborder de manière plus approfondie les enjeux de la citoyenneté, il semble dès lors impératif que nous explorions, ici même au Sénat, dans les années à venir, des pistes complémentaires.

Nous devons envisager des réformes éducatives plus audacieuses, afin d’intégrer davantage les questions de citoyenneté et de participation civique dans les programmes scolaires.

De plus, une réflexion sur la représentativité des institutions et la participation citoyenne directe pourrait être envisagée pour renforcer la légitimité démocratique. Hier, lors de notre niche parlementaire, la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Yan Chantrel, visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée, a été examinée et malheureusement rejetée : elle allait dans le sens que je viens d’évoquer et je regrette que nous n’ayons pu l’adopter.

Enfin, dans un monde où la communication et l’information sont omniprésentes, où il devient de plus en plus difficile de traiter et d’analyser les données, nous devons également – j’insiste sur ce point – nous attaquer à la désinformation et promouvoir une éducation aux médias et à la pensée critique.

Ainsi, le groupe socialiste, fidèle à ses principes et à son engagement envers le bien commun, votera la présente proposition de loi. Nous considérons que même les petites avancées peuvent être les premiers pas vers des changements plus importants. Cependant, nous appelons nos collègues à ne pas perdre de vue l’urgence d’une réflexion plus approfondie sur les défis actuels de la citoyenneté, dont nous avons pu débattre hier encore. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 1789, nous sommes tous reconnus comme des citoyens et nous faisons partie d’une même nation, une nation démocratique où la souveraineté appartient au peuple, qui est appelé à donner son avis, à travers son vote, sur les décisions qui le concernent.

Nous vivons de nos jours une profonde crise démocratique, qui se manifeste notamment par une lente érosion de la participation à toutes les élections. L’abstention est même devenue ce que d’aucuns appellent le premier parti de France. Elle a atteint un record en 2021, lors des élections départementales et régionales, avec seulement un tiers de votants.

Cet état des lieux interpelle et inquiète, évidemment. Au Sénat, nous réfléchissons aux causes de ce phénomène, mais aussi aux solutions à apporter pour réenchanter la politique et renouer les fils de la confiance entre les citoyens et leurs représentants.

Faut-il pourtant être défaitiste ? Je ne le pense pas et il ne le faut pas, car les citoyens, en fait, ne demandent qu’à y croire.

Cet état des lieux est la traduction d’un mécontentement, celui des électeurs désabusés, mais aussi le signe d’une méconnaissance des institutions due aux réformes successives, qui ont rendu le paysage institutionnel de notre pays illisible pour les citoyens.

En effet, et c’est regrettable, le problème majeur du système d’administration français est la répartition incohérente et complexe des compétences entre les collectivités territoriales entre elles, d’une part, et entre celles-ci et les services de l’État, eux-mêmes organisés sur plusieurs niveaux, d’autre part. Périodiquement, des lois cherchent à rationaliser la distribution des compétences, mais leur seul résultat est de compliquer encore davantage le paysage institutionnel.

Cet émiettement des responsabilités pour gérer des affaires qui sont fortement interdépendantes présente d’innombrables défauts, à commencer par l’opacité du système pour les citoyens, ce qui contribue à leur démotivation lors des élections et à leur méfiance à l’égard d’un ensemble incompréhensible, avec ses multiples acteurs aux responsabilités mystérieuses.

Cette situation est également le fruit d’une longue dégradation du débat public, qui a vu la parole être remplacée par l’invective.

Cet essoufflement démocratique, nous pouvons l’endiguer par des mesures comme celles qui nous sont aujourd’hui soumises dans cette proposition de loi. Celle-ci constitue une première étape, qui devra en appeler d’autres, pour continuer à retisser les fils de la confiance perdue.

Si je devais qualifier le texte dont nous allons débattre ce matin, je proposerais trois mots : recentrer, faciliter et encourager.

Pourquoi recentrer ?

L’école et l’éducation sont les terreaux qui forgent les citoyens de demain. Mais pour cela, encore faut-il que l’instruction civique dispensée dans les classes de notre République soit, comme autrefois, une discipline à part entière et non un enseignement « strapontin », comme le qualifie très justement notre rapporteur Bernard Fialaire.

L’EMC est devenu un fourre-tout, qui a perdu de vue ses objectifs initiaux. Nous devons le recentrer sur ses fondamentaux : l’esprit républicain, les valeurs démocratiques, mais aussi la morale.

Il est également essentiel – fondamental, même - de former les élèves à la connaissance des institutions, des mécanismes de vote et des élections, au fonctionnement administratif, au fonctionnement de la justice et des instances de gouvernement. Cette refonte devra passer par des supports pédagogiques repensés, recentrés et simplifiés.

La journée défense et citoyenneté, quant à elle, est une occasion de nouer un contact direct avec les militaires, et de sensibiliser aux enjeux de défense mondiaux et nationaux, dans un monde où les conflits armés se multiplient. Il est vraiment nécessaire de recentrer son contenu sur les enjeux de sécurité et de défense, ainsi que sur les différentes formes d’engagement, ce qui contribuera à faire de nos jeunes des citoyens responsables et éclairés, capables de réfléchir et de penser par eux-mêmes, d’avoir un avis personnel sans se laisser manipuler, car ce sont bien l’ignorance ou le déni qui font le lit des guerres, en mobilisant les plus influençables autour de causes qui ne sont pas les leurs.

Et pourquoi faciliter ?

Les centres de l’Épide sont des structures qui, depuis dix-huit ans, ont fait la preuve de leur performance. Avec près de cinquante mille jeunes qui en sont sortis et un taux d’insertion dans l’emploi de plus de 40 %, c’est une solution qu’il faut continuer à développer et à soutenir.

En cela, la proposition qui est faite par le rapporteur d’ouvrir la possibilité de prolonger la durée d’hébergement et l’accompagnement des jeunes travailleurs de trois mois est sans nul doute une excellente chose dans le contexte actuel où l’accès au logement est l’une des principales difficultés rencontrées par les jeunes travailleurs.

J’en arrive aux mesures qui concernent le processus électoral et l’amélioration de l’information délivrée aux électeurs. Là encore, et pour commencer par ce qu’il y a du plus simple, je pense que nous ne pouvons qu’adhérer au principe et à la nécessité de faciliter les démarches pour inciter les électeurs à voter.

Faciliter, c’est aussi encourager.

En ouvrant la possibilité d’une double procuration, nous répondons aux attentes exprimées par les citoyens. De même, ouvrir la possibilité de diffuser la propagande électorale par voie électronique me semble être une réponse qui devrait permettre de faire repartir la participation électorale à la hausse.

Ces deux éléments répondent à une attente forte notamment des jeunes générations et de celles qui sont les plus éloignées du vote dans sa forme traditionnelle, tel que nous l’avons, nous, toujours connue.

Nous élargissons ainsi une technique de vote directe, qui ne nécessitera pas de se déplacer, et nous évitons le gâchis, qui nous questionne tous, de milliers de tonnes de papier et d’encre. Sans même parler de l’organisation logistique qu’implique la mise sous pli de la propagande électorale, par ailleurs chronophage pour les préfectures ou les collectivités, et des difficultés liées à sa distribution – nous avons notamment pu les constater lors des derniers scrutins.

En mettant en place un système mixte d’envoi de la propagande électorale par voie écrite et électronique, nous ne pourrons que davantage inciter les électeurs à voter.

Enfin, pourquoi encourager ?

Nous savons que les jeunes générations se détournent de plus en plus de l’engagement associatif ou politique faute de temps, mais aussi parce qu’il est difficile pour eux de concilier un tel engagement avec leurs études ou le début de leur vie active.

À l’heure où l’engagement politique est de plus en plus chronophage et complexe et où nous vivons une crise profonde des vocations qui se traduit en particulier par un record jamais connu de démissions de maires et d’élus locaux, je me réjouis que l’on puisse ouvrir la voie à ce droit particulier, très incitatif, pour les étudiants. Je ne doute pas qu’ainsi nous inciterons de nouveau une partie de nos jeunes à s’engager dans la vie locale.

Pour finir, mes chers collègues, il me semble que, sur ces sujets, il nous faut dépasser les clivages politiques, car la santé de notre démocratie est en jeu.

Cette première étape, je l’espère, en appellera d’autres et, en tout état de cause, poursuivons ensemble cet objectif ambitieux de proposer des solutions et de susciter de nouveau l’envie : l’envie de s’exprimer, en sachant être entendu ; l’envie de s’engager, en sachant que sa mobilisation a de la valeur et est reconnue en tant que telle ; et, surtout, l’envie et la fierté d’être en toute connaissance de cause un citoyen français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Cabanel et Claude Kern, ainsi que M. le rapporteur, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer mon ami Pierrick Courilleau qui est présent en tribune. Cet élu d’Orsay avec des handicaps lourds va me suivre toute la journée ; élu extrêmement dynamique, il montre qu’on peut apporter beaucoup de choses dans une vie municipale, en ayant des handicaps. Pierrick, je te salue ! (Applaudissements.)

En juin 2022, Henri Cabanel, rapporteur de la mission d’information sur la redynamisation de la culture citoyenne, à laquelle j’ai été heureuse de participer, ouvrait la voie à de nouvelles mesures visant à restaurer le lien entre les citoyens et les institutions.

Les différents articles que nous examinons aujourd’hui constituent la transcription législative de plusieurs préconisations issues de ce rapport d’information. Je félicite l’auteur de ce texte, ainsi que son rapporteur, pour leur excellent travail.

Cette proposition de loi apporte des réponses concrètes au désengagement démocratique des Français, dont témoignent à intervalles réguliers les taux d’abstention lors des élections locales et nationales.

Nous savons à quel point nos concitoyens connaissent mal le fonctionnement de nos institutions et s’en désintéressent.

C’est d’autant plus vrai pour les jeunes qui, pourtant, reçoivent un enseignement moral et civique relativement dense tout au long de leur cursus scolaire.

Nous sommes tous préoccupés par le délitement progressif de nos valeurs communes, qui s’accompagne d’un fossé grandissant entre l’élu et le citoyen. Une certaine fatigue républicaine s’est emparée de notre pays. Ce texte permet de traiter le mal à la racine, en formulant des propositions pertinentes et réalistes.

Dans la droite ligne des conclusions de la mission d’information, deux articles de cette proposition de loi visent à moderniser le processus électoral.

Je salue l’introduction de la double procuration et la création d’un cadre mixte de diffusion de la propagande électorale. Ce cadre permettra aux candidats de transmettre leur profession de foi numérisée aux électeurs qui en font la demande.

Cela représente une vraie avancée sur le plan écologique, bien sûr, mais aussi sur le plan logistique, tant les services de diffusion postale sont engorgés en période électorale. Il arrive même, dans certaines communes, que les habitants reçoivent la propagande électorale après les élections, ce qui est un non-sens démocratique.

Il s’agit également de rapprocher les plus jeunes de la vie citoyenne. La mission d’information invitait à réduire et clarifier les notions abordées en classe d’enseignement moral et civique.

Le texte propose de recentrer le contenu des enseignements sur l’étude des institutions françaises. Cette proposition est judicieuse compte tenu du manque de cohérence d’ensemble qui caractérise les programmes actuels de l’EMC, dont les objectifs sont pour le moins disparates.

De la même manière, la création d’un statut d’élu-étudiant est une excellente mesure. Nous devons encourager ces jeunes vocations destinées au service de l’intérêt général. En cette semaine consacrée aux maires de France, je tiens à saluer tout particulièrement les plus jeunes d’entre eux.

Si la proposition de loi ne propose pas de disposition spécifique sur le service national universel, je voudrais néanmoins l’évoquer, car il s’agit incontestablement d’un moyen de valoriser la citoyenneté, de renforcer la cohésion sociale et de faire découvrir le sens de l’engagement.

Le séjour de cohésion permet en effet, pendant douze jours, un brassage social qui n’existe plus depuis la fin de la conscription.

Quant à la mission d’intérêt général, elle offre aux volontaires du SNU la possibilité de se mettre au service des autres dans une logique désintéressée.

Je salue à ce sujet l’initiative prise par Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel, qui a annoncé le déploiement de brigades citoyennes du SNU auprès des collectivités territoriales des Hauts-de-France touchées par les inondations et des associations venant en aide aux habitants qui sont victimes de ces inondations.

Le SNU est le bon support pour faire grandir les jeunes et les aider à se réaliser en tant que citoyens. C’est pourquoi je suis favorable à son extension à l’ensemble d’une classe d’âge, même si je ne méconnais pas les immenses défis budgétaires, logistiques et d’organisation que cette extension impliquerait.

Dans l’immédiat, nous pourrions dégager quelques marges de manœuvre financières avec un peu de bon sens, en affectant les jeunes volontaires à proximité de leur domicile, en tout cas dans le périmètre régional.

Néanmoins, comme le souligne très justement la mission d’information, la saisine du Parlement sera indispensable pour mettre fin à l’ambiguïté du SNU et trancher enfin sur sa nature militaire ou civique, volontaire ou obligatoire.

En tout état de cause, la proposition de loi qui nous est soumise est pertinente et le groupe Les Indépendants lui apportera son soutien. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, comme ceux qui se sont exprimés avant moi, à féliciter Henri Cabanel pour sa proposition de loi, ainsi que Stéphane Piednoir, qui avait présidé la mission d’information sur ce sujet de la culture citoyenne.

Comme j’ai déjà pu l’exprimer en commission, les sénateurs du groupe Union Centriste sont intimement convaincus que cette proposition de loi va dans le bon sens.

Personne ici ne peut contester qu’un fossé se creuse entre les élus et les citoyens. Le rapport de la mission d’information fait par notre collègue est particulièrement éloquent.

Cette proposition de loi vient donc apporter une traduction législative aux recommandations de la mission.

Sur la réforme du code de l’éducation, d’abord. Nous saluons la volonté de réformer ce code si complexe pour y faire apparaître une formation aux valeurs de la République dans le cadre de l’enseignement moral et civique.

Nous ne pouvons en effet que déplorer la mauvaise connaissance de nos institutions par les plus jeunes, mais également par une part de plus en plus importante de la population, perdue entre les compétences des échelons de collectivités territoriales et le rôle des différentes institutions.

Sacraliser un minimum de pédagogie sur nos institutions et sur le principe de laïcité est une réelle avancée. Nous pouvons faire le vœu que plus les jeunes seront informés du rôle de chaque élu, plus ils participeront aux scrutins.

Introduire une réforme de la journée défense et citoyenneté est également une bonne chose.

Nous partageons la vision d’Henri Cabanel sur le fait qu’un recentrage des thématiques abordées lors de cette journée est absolument nécessaire, tant on voit un éparpillement des sujets traités sur une seule journée. Des sensibilisations sur le thème de l’égalité femme-homme ou sur le don d’organe existent au sein des établissements scolaires.

Recentrer la journée défense et citoyenneté pour promouvoir l’engagement au sein des forces armées, des réserves ou encore des sapeurs-pompiers est une bonne chose : cela pourra naturellement susciter des vocations.

La proposition de loi va aussi permettre – on peut l’espérer ! – de réformer le processus électoral avec le retour à la double procuration. Nous savons que cela est faisable, forts de l’expérience réalisée lors des élections départementales et régionales de 2021.

La double procuration pourrait utilement contribuer à réduire l’abstention, notamment chez les plus jeunes. Ainsi, s’ils sont en études loin du domicile familial, là où ils sont souvent encore inscrits sur les listes électorales, le recours aux doubles procurations pourrait faciliter leur vote.

Toujours pour les jeunes, mais aussi pour l’ensemble du corps électoral, avoir recours à un envoi dématérialisé de la propagande électorale est une démarche encourageante.

Nous ne sommes pas certains qu’arrêter les envois par courrier soit pertinent à ce stade – ce n’est d’ailleurs pas l’objet de la présente proposition de loi.

Un envoi par mail de la propagande serait un bon complément à l’envoi postal. Les documents arriveraient par courriel dès validation par la commission de propagande, gagnant ainsi du temps sur les opérations d’impression, de mise sous pli et d’acheminement postal.

Les électeurs auraient ainsi davantage de temps pour prendre connaissance des différentes candidatures et des programmes de chacun, plutôt que d’en être réduits à le faire quelques heures avant le scrutin comme ce fut le cas en 2021 pour les élections départementales et régionales.

Cette mesure, elle aussi, est à encourager, car elle permet une meilleure information des citoyens et éventuellement d’amorcer une réorganisation de la diffusion de la propagande électorale.

Une autre innovation de cette proposition de loi est la création d’un statut d’étudiant élu sur le modèle de l’étudiant salarié. Ce statut apporterait des facilités aux étudiants disposant d’un mandat électif pour mieux combiner études et mandat via des aménagements dans l’organisation des temps d’études et d’examens.

On imagine aisément que peu de jeunes cherchent à s’engager dans des mandats électifs, s’ils sont encore en études. En cause, notamment, l’éloignement géographique entre le lieu d’élection et le lieu des études, sur lequel il est difficile d’agir, mais aussi sur l’investissement en temps. Ce nouveau statut pourrait apporter des solutions à cette seconde problématique et permettre à des étudiants d’être candidats aux élections et d’exercer ensuite leur mandat.

Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’ensemble des membres du groupe Union Centriste soutient les différentes mesures contenues dans cette proposition de loi et nous encourageons tous nos collègues à aller, avec nous, de l’avant sur tous ces sujets ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je rejoins le constat que pose cette proposition de loi : notre pays est plus fracturé que jamais.

Les explications et causes diverses ne sont pas simples à appréhender. Elles nécessitent forcément nuance et réflexion. Les crises à répétition, les difficultés économiques ou sociales, l’exemplarité même de la classe politique sont autant de raisons qui peuvent expliquer ce fossé entre les citoyens et la citoyenneté.

Chez les écologistes, nous sommes convaincus que le vivre ensemble doit se conjuguer au « faire ensemble ». Nous devons travailler la question du lien, que ce soit dans le travail, dans nos métiers, dans nos vies, dans nos villes ou dans nos villages.

Je souhaite saluer l’esprit de cette proposition de loi qui veut apporter des réponses à notre principe fondamental du « faire société ». Un principe qui va mal, qui se trouve dans une impasse aujourd’hui.

Cependant, je souhaite vous alerter sur certains points.

Vous évoquez à plusieurs reprises, au sujet des premiers articles de la proposition de loi, la forte fluctuation législative de ces dernières années. Je m’interroge alors sur la logique de légiférer, à notre tour, encore et encore sur le cours d’enseignement moral et civique et sur la journée défense et citoyenneté.

Pour l’enseignement moral et civique, nous restons convaincus que c’est la liberté d’enseignement de nos professeurs qui permettra la meilleure compréhension et le meilleur apprentissage de la citoyenneté. Faisons confiance au corps enseignant et apportons-lui les moyens pour faire de ce cours une matière centrale dans le quotidien des élèves !

S’agissant de la journée défense et citoyenneté, je regrette que les mentions liées à la lutte contre les préjugés sexistes et contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles soient supprimées, alors que tous les jeunes n’ont pas accès à de tels modules et que ces questions sont primordiales aujourd’hui.

Nous accueillons positivement les articles sur l’envoi électronique de la propagande électorale – un tournant que nous ne devons plus hésiter à prendre. Nous nous rappelons toutes et tous le fiasco de la distribution des documents électoraux lors des dernières législatives. Cette situation ne doit plus se reproduire. Pour les Françaises et Français de l’étranger, nous fonctionnons de cette manière depuis déjà des années et cela permet de réduire considérablement les risques de dysfonctionnements, mais aussi l’empreinte carbone des impressions papier. Cette disposition est et doit bien sûr rester facultative ; elle ne doit pas aggraver la fracture numérique.

De même au sujet de la double délégation de vote, cet usage fonctionne et a fait ses preuves pour nous, Françaises et Français de l’étranger. Le groupe GEST voit donc positivement cette généralisation. Il reste nécessaire de bien communiquer sur cette possibilité et sur le processus d’établissement de la procuration.

L’une des grandes préoccupations de notre démocratie concerne l’abstention affolante. Une société où tant de personnes ne votent pas, c’est une société malade. Lors de la dernière élection présidentielle, 42 % des 18-24 ans ne se sont pas rendus aux urnes. Aux dernières élections législatives et municipales, plus de 70 % des jeunes se sont abstenus de voter.

Je me félicite que cette proposition de loi s’engage à mieux reconnaître l’engagement des jeunes dans les mandats politiques. C’est l’un des leviers pour lutter contre l’abstention. Concilier vie d’engagement, vie d’études et vie personnelle reste pour de nombreux jeunes citoyens un véritable obstacle.

Le taux de maires de plus de 60 ans a atteint 55,3 % en 2020. Le temps est un critère non négociable dans la démarche d’engagement. Sauter le pas de la représentativité est encore beaucoup trop compliqué pour les jeunes citoyens.

Mais il y a aussi de l’espoir : dans les conseils municipaux ou régionaux, à l’Assemblée nationale, au Sénat, des jeunes sautent le pas. Leur permettre de libérer du temps pour leur mandat, qu’il soit local ou national, est une bonne chose.

Toutefois, demain, il faudra évidemment aller encore plus loin.

Mes chers collègues, combattre le frein à l’engagement politique des jeunes, c’est aussi leur laisser la place et les accompagner dans cette démarche. C’est par l’action qu’on engrange expérience et confiance. Faire et vivre en société, c’est favoriser l’engagement de toutes et tous, quel que soit l’âge, le genre ou le milieu social. La jeunesse est notre pilier, donnons-lui sa chance.

Sur l’ensemble du texte, la démarche nous semble aller dans le bon sens. C’est pour cette raison que le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera en faveur de cette proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 4

Article 1er

L’article L. 312-15 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« Art. L. 312-15. – Outre les enseignements concourant aux objectifs définis à l’article L. 131-1-1, l’enseignement moral et civique a pour objet d’amener les élèves à devenir des citoyens responsables et conscients de leurs droits et de leurs devoirs.

« Il comporte, à tous les stades de la scolarité, une formation aux valeurs de la République et à la laïcité.

« Son objectif est de permettre aux futurs citoyens de connaître le fonctionnement des institutions françaises et européennes. Il vise également à leur faire comprendre les enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain. »

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Je me félicite de cette nouvelle rédaction sobre et efficace de l’article L. 312-15 du code de l’éducation. Je pense qu’elle sera beaucoup plus facile à mettre en œuvre par les enseignants.

Je note, avec une grande satisfaction, que l’obligation de l’enseignement des principes de la laïcité dans les établissements sous contrat sera maintenant d’ordre législatif, alors qu’elle relevait jusqu’alors de textes réglementaires et de circulaires, qui ne sont pas appliqués.

Ainsi, un arrêté pris par le ministère de l’éducation nationale en juillet 2021 prévoit que tous les personnels enseignants sont obligatoirement formés à la laïcité, y compris ceux qui exercent leurs fonctions dans des établissements privés sous contrat.

Or cet arrêté n’est pas appliqué dans tous les établissements privés sous contrat ; certains le refusent même clairement. Madame la secrétaire d’État, j’ai été saisi par des syndicats d’enseignants qui regrettent l’extrême faiblesse du recrutement de formateurs dans le domaine de l’enseignement de la laïcité, malgré – j’y insiste – les consignes du secrétariat général de l’enseignement catholique. Certains responsables d’établissement considèrent qu’ils sont libres d’enseigner ou pas la laïcité.

Avant même l’adoption définitive de cette proposition de loi, adoption que je souhaite, il faudrait que le ministère de l’éducation nationale s’assure de la pleine effectivité de son arrêté de juillet 2021.

M. Patrick Kanner. Très bien !

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Ziane, Mme Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, M. Ros et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

à la

par les mots :

aux principes de la République visés au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution dont celui de

La parole est à M. Adel Ziane.

M. Adel Ziane. Nous trouvons très positif que la proposition de loi permette un toilettage de l’article L. 312-15 du code de l’éducation, qui a beaucoup enflé au fil des modifications législatives de toute nature pour y inclure des sujets de préoccupation certes légitimes – nous en avons parlé –, mais qui n’avaient qu’un lointain rapport avec l’enseignement moral et civique.

Néanmoins, en restreignant les contours de l’EMC au strict minimum, il nous semble que certains sujets d’importance majeure pour permettre aux jeunes d’acquérir les notions essentielles à l’exercice de leur citoyenneté sont supprimés.

Ainsi, s’il est important de rappeler aux jeunes ce que sont les valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité –, il nous paraît tout aussi nécessaire de leur enseigner les principes de la République qui figurent à l’article 1er de notre Constitution, c’est-à-dire le caractère indivisible, laïque, démocratique et social de notre République.

Nous avons eu du mal en commission à comprendre le raisonnement de notre rapporteur, lorsqu’il a donné son avis – défavorable - sur cet amendement : selon lui, les principes de la République seraient contenus dans les valeurs de la République.

Or, pour nous, l’indivisibilité de notre République signifie que les lois s’appliquent de la même manière pour tous. La laïcité découle de l’application de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. La démocratie signifie que le peuple détient le pouvoir qu’il confie à ses représentants élus. Le caractère social de la République sociale, quant à lui, emporte des conséquences multiples et implique un devoir de l’État pour satisfaire les besoins des citoyens en matière d’éducation, de logement ou de santé.

L’État est donc garant des principes de la République. Ceux-ci ne sont pas inclus dans les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Ces valeurs obligent l’État à porter des politiques publiques, mais concernent aussi les citoyens en ce qu’ils doivent, par leur comportement et leurs actions, les respecter et les appliquer.

Ainsi, l’application de l’égalité et de la fraternité implique que les citoyens ne procèdent pas à des discriminations entre eux, organisent de l’entraide ou portent des engagements associatifs.

Il nous semble donc important que l’EMC puisse éclairer les élèves sur ces deux facettes de la vie citoyenne : les principes du ressort de l’État protecteur et les valeurs partagées par toutes et par tous.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. L’esprit de ce texte est justement de rassembler sur les valeurs de la République et de concentrer l’enseignement moral et civique pour qu’il soit moins dispersé.

Je veux aussi rappeler que le groupe RDSE est particulièrement sourcilleux quand il s’agit de défendre les principes de la République, en particulier la laïcité. Or ce sont bien ces principes qui constituent les valeurs de la République. Que serait la liberté sans la laïcité ? Que serait la fraternité sans la solidarité que garantit la laïcité des institutions ? Sans la fraternité, sans la laïcité, nous serions dans le communautarisme ou le corporatisme.

Nous devons donc nous concentrer sur les valeurs de la République, dont participent en tout état de cause les principes républicains. C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Je rappelle tout d’abord que l’enseignement moral et civique est assuré de la classe de CP à la terminale.

Ensuite, le courrier de saisine du Conseil supérieur des programmes, dont j’ai parlé dans mon intervention liminaire, parle bien de « la transmission des valeurs fondamentales et des principes inscrits dans la Constitution ». Je vous rejoins donc sur le fond, monsieur le sénateur, mais ce que vous mentionnez existe déjà dans nos textes.

Il ne me semble pas utile d’écrire quelque chose qui existe déjà. C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Je connais une grande élue du département du Nord qui dit souvent : « Si c’est flou,… » Chacun connaît la suite ! (Sourires.)

Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je ne vois pas pourquoi, après les explications qui ont été données par Adel Ziane, vous refusez de préciser dans la loi l’esprit et la pratique de l’EMC, autour notamment de la valeur de laïcité.

Le texte entend opérer une simplification, je le comprends, mais il ne faudrait pas que ce toilettage réduise à portion congrue ce qui fait notre pacte républicain, notre vivre-ensemble.

Pour notre part, nous pensons qu’il faut inscrire dans la loi les éléments complémentaires que nous proposons. Je ne sais pas de quoi vous avez peur !

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Nous n’avons pas peur !

M. Patrick Kanner. Notre amendement est net, clair, et il faut montrer notre engagement. Je me souviens de textes, y compris de projets de loi – je pense notamment à un texte sur les relations entre l’État et les associations –, dans lesquels la question de la laïcité était parfaitement identifiée.

Nous allons dans le même sens et nous souhaitons que cet article soit précisé, complété, conforté pour qu’il soit pleinement en conformité avec l’objectif qui est le sien.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je vois que Jean-Raymond Hugonet a également demandé la parole et je crois que nous allons tenir le même discours. Je voulais d’ailleurs le citer, parce que, lorsqu’il était membre de la commission de la culture, il nous a justement instruits sur la différence essentielle entre valeur et principe de la République.

Vous me permettrez d’en revenir au latin : la valeur, c’est ce qui vaut, c’est-à-dire ce qui se mesure. Les principes, c’est ce qui est premier. C’est donc quelque chose de totalement différent.

Et je pense que, dans un texte de loi comme celui-ci, faire référence à l’article 1er de la Constitution me semble être une évidence. Je ne comprends donc pas cette opposition.

La Constitution, c’est la loi commune et faire référence aux principes qu’elle énonce, quand on s’adresse aux élèves, me semble essentiel et sensiblement différent d’une référence aux seules valeurs.

Je laisse le soin à Jean-Raymond Hugonet de compléter mon analyse, même si je crois avoir emprunté un certain nombre de ses arguments, ce dont je m’excuse. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.

M. Jean-Raymond Hugonet. Je suis assez heureux de ce débat, parce que, depuis que je suis entré dans cette maison, il y a six ans, je me bats pour que le distinguo subtil, mais évident, entre les valeurs de la République et ses principes soient compris.

Mme Sylvie Robert. C’est vrai !

M. Jean-Raymond Hugonet. Les valeurs de la République sont très claires. Elles sont au nombre de trois et tout le monde en France, je l’espère, les connaît : liberté, égalité, fraternité.

Les principes de la République sont également énoncés dans ce document qu’on a tous oublié, sauf ici, je l’espère, qui s’appelle la Constitution de 1958. La laïcité est l’un de ces principes.

Pendant six ans, j’ai repris deux fois les ministres successifs de l’éducation nationale qui mélangeaient valeurs et principes de la République – je ne veux pas dire qu’ils le faisaient par incompétence, je ne me permettrais pas ; ils le faisaient donc sciemment. Ils n’étaient d’ailleurs pas à l’aise quand je le leur disais, parce qu’ils commettaient tout simplement une erreur fondamentale.

Bien entendu, notre pays est laïque et nous en sommes fiers. Nous avons même inventé cette laïcité. En revanche, il ne faut rien toucher à ce qui existe, qui est clair, qui respecte tout le monde. Les valeurs de la République sont très claires. Les principes en font partie, mais les valeurs sont premières.

Merci à Pierre Ouzoulias d’avoir rappelé les débats homériques que nous avons eus à ce sujet ! Je suis sûr que le président de la commission, Laurent Lafon, s’en souvient lui aussi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Ouzoulias. C’est votre combat !

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

M. Henri Cabanel. J’ai bien entendu ce qui vient d’être dit et, en tant qu’auteur de la proposition de loi, j’y suis assez favorable. Il est important de penser à la laïcité ; c’est encore mieux de l’écrire ! C’est pourquoi je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour explication de vote.

M. Philippe Grosvalet. Lorsque l’on voyage un peu, on nous parle bien évidemment des objets patrimoniaux de la France, mais également de son patrimoine immatériel, à savoir les grands principes de la République, notamment la laïcité.

Ici comme ailleurs, on peut toujours interpréter les valeurs à sa façon, mais les principes, eux, sont intangibles. Si notre pays a quelque chose d’exceptionnel à faire valoir dans notre pays, dans ce monde qui va mal, c’est bien la laïcité, à laquelle nous devons toujours nous référer. Quand un principe est bien énoncé, il s’entend mieux. Aussi, je soutiendrai cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Bien sûr, nous devons en permanence rappeler les valeurs et les principes de notre République. En tant que secrétaire d’État chargée de l’engagement, du SNU et de la vie associative, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire.

Je veux simplement souligner qu’aujourd’hui, dans nos textes, les valeurs et principes de notre République sont déjà inscrits. Le strict respect qu’on leur doit est également consigné de manière claire.

Selon moi, il est utile non pas de répéter ce qui est déjà inscrit, mais bien de faire appliquer strictement les règles écrites – je vous rejoins, monsieur le sénateur. C’est bien ce qui péchait auparavant. Il y avait un flou, et quand il y a un flou…

M. Patrick Kanner. Ce n’est pas clair du tout !

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Laissez-moi finir, monsieur Kanner, et ce sera peut-être plus clair pour vous.

Dès sa nomination en tant que ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal s’est justement efforcé de sortir des zones grises sur l’ensemble des sujets que vous venez d’évoquer. (M. Patrick Kanner proteste.) L’enjeu est non pas de savoir si nous sommes d’accord avec ces principes et valeurs au sein de cet hémicycle – ce n’est plus un débat –, mais de faire en sorte qu’ils soient appliqués à l’extérieur. Aujourd’hui, je pense qu’il y a du mieux.

M. Patrick Kanner. Je ne suis pas convaincu.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Ziane, Mme Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, M. Ros et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Cet enseignement sensibilise les élèves aux dangers de l’internet et de la manipulation de l’information ainsi qu’aux droits et devoirs des enfants et à toute forme de maltraitance et de harcèlement les concernant.

La parole est à M. Adel Ziane.

M. Adel Ziane. Cet amendement s’inscrit également dans le travail de toilettage effectué dans le cadre de ce texte pour resserrer les contours de l’EMC. Il est vrai que faire porter sur cet enseignement tous les sujets de préoccupation légitimes n’ayant qu’un lointain rapport avec la formation d’une citoyenneté responsable n’est ni raisonnable ni réaliste. J’en veux pour preuve les objectifs qui figurent actuellement à l’article L. 312-15 du code de l’éducation : sensibilisation à la maltraitance animale, mise en garde contre les produits fabriqués par des enfants, etc. On se demande d’ailleurs quand les professeurs des écoles ou d’histoire-géographie trouveraient le temps d’aborder la diversité de ces sujets dans le cadre de l’EMC, à raison d’une heure par semaine en primaire et d’une heure toutes les deux semaines au lycée.

Néanmoins, on ne peut pas rayer d’un trait de plume certains sujets s’inscrivant parfaitement dans le cadre d’un apprentissage à la citoyenneté, qui doit demeurer l’objectif de l’EMC. Ainsi, nous souhaitons que demeure du ressort de cet enseignement la sensibilisation des élèves aux dangers de l’internet, à la manipulation de l’information, ainsi qu’aux droits et devoirs des enfants, et à toute forme de maltraitance et de harcèlement les concernant. Ce dernier point, notamment, nous semble fondamental à l’heure où le ministre de l’éducation a décrété grande cause la lutte contre le harcèlement scolaire.

L’apprentissage de ces notions est essentiel à la formation de citoyens libres, égaux et fraternels. Notre rapporteur nous avait indiqué en commission que ces ajouts seraient redondants avec des objectifs de l’enseignement primaire tels qu’énoncés par le code de l’éducation. Un article liminaire dudit code dispose en effet qu’aucun élève ne doit subir de harcèlement. L’affirmation d’un principe est certes positive, mais cela n’implique pas qu’un enseignement sur le sujet soit dispensé.

Quant à l’exigence de sensibilisation à la manipulation de l’information ou d’information sur le droit des enfants, elle ne figure aujourd’hui qu’au titre des enseignements dispensés dans le cadre de l’EMC, un dispositif que cet article supprime. Au regard de l’importance de ces sujets, nous souhaiterions qu’ils restent dans le périmètre de l’EMC et soient gravés dans le marbre de la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. L’avis est défavorable. Le ministre de l’éducation nationale, que nous avons auditionné récemment, nous a dit qu’il voulait faire de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) l’une des priorités des programmes. L’EMC doit revenir sur les valeurs et principes de la République ; tous les sujets et risques que vous évoquez doivent entrer dans l’EMI, très clairement ciblé par le ministre de l’éducation nationale. Appelons un chat un chat !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Si je vous rejoins sur le fond, monsieur le sénateur Ziane, je ne suis pas d’accord avec la forme. Vous le dites justement, aujourd’hui, tout attendre de l’EMC, c’est prendre le risque que celle-ci n’atteigne pas pleinement ses objectifs, qui sont extrêmement importants. Notre débat en apporte la preuve.

Comme l’ont rappelé tant le rapporteur que le ministre de l’éducation nationale, le déploiement de la certification Pix dès la sixième s’inscrit dans la volonté de développer la capacité des jeunes à se saisir des outils numériques de manière encadrée et structurée. Cela participe aussi de la lutte contre les fléaux du harcèlement et du cyberharcèlement, que nous dénonçons tous aujourd’hui.

J’y insiste, je ne m’oppose pas à votre amendement sur le fond, mais j’estime qu’il est satisfait. L’enseignement que vous évoquez est traité sur un temps particulier, à part entière, ce qui assure son efficacité.

J’en demande le retrait ; faute de quoi, l’avis sera défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.

Mme Laure Darcos. Monsieur Ziane, vous êtes maintenant avec nous, en commission, depuis quelques semaines et vous connaissez notre position. Dans l’absolu, au-delà du harcèlement, il faudrait aussi pouvoir parler à l’école du respect du corps, de la sensibilisation à la sexualité, et ce dès le plus jeune âge. Mme Monier, ici présente, en a aussi fait un combat. Cependant, on ne peut pas inscrire tous ces thèmes dans le peu d’heures qui sont consacrées à l’EMC. Comme s’y sont efforcés l’auteur du texte et le rapporteur, il importe de se recentrer sur la citoyenneté et les valeurs de la République.

Pour autant, madame la secrétaire d’État, des sujets primordiaux tenant à la sexualité et aux violences sexuelles dès le plus jeune âge doivent aussi être abordés dans le cadre de l’école.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 2

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par Mme Monier, MM. Ziane et Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, M. Ros et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport de bilan sur l’effectivité de l’organisation de l’enseignement moral complémentaire auquel les élèves des établissements du premier degré dispensés d’enseignement religieux, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, doivent être soumis. Il propose, le cas échéant, des pistes pour rendre plus effectif cet enseignement complémentaire.

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. Si le régime du concordat prévoit l’existence d’un enseignement religieux à l’école publique dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, une dispense est néanmoins prévue pour les familles qui ne souhaitent pas que leurs enfants suivent cet enseignement.

Dans le premier degré, cette dispense est formalisée à l’article D. 481-6 du code de l’éducation, qui prévoit que les enfants dispensés de l’enseignement religieux réglementaire reçoivent en lieu et place un complément d’enseignement moral. Dans le second degré, cette dispense est organisée par voie réglementaire.

Or, s’il est prévu dans les textes, cet enseignement moral n’est pas effectif dans la pratique. Les parents d’élèves de ces départements regrettent que les enfants qui ne suivent pas l’enseignement religieux ne se voient pas délivrer de contenus pédagogiques pendant cette heure de dispense. Ils se voient juste proposer quelques occupations et activités, telles que coloriage, dessin libre ou lecture libre. Cela conduit mécaniquement à une perte de 180 heures d’enseignement obligatoire pour les élèves concernés, devenus majoritaires. En effet, en Alsace comme en Moselle, le taux de participation à l’enseignement religieux serait passé en dessous de 50 % pour l’école primaire.

Nous ne pouvons que déplorer cette situation, a fortiori à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi ayant pour objet d’insister sur le rôle socle que doit jouer l’enseignement moral civique dans l’éducation citoyenne de nos élèves. Afin de faire la pleine lumière sur ce sujet, nous demandons la remise d’un rapport sur l’organisation de l’enseignement moral complémentaire auquel les élèves des établissements du premier degré dispensés d’enseignement religieux dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle doivent être soumis, avec, le cas échéant, des pistes pour le rendre plus effectif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. Ma chère collègue, vous connaissez la position traditionnelle du Sénat, qui est de refuser les demandes de rapport.

En revanche, et M. Ouzoulias ne me démentira pas, ce sujet intéresse la commission de la culture. Je m’étais donc engagé à demander au Gouvernement, à défaut de rapport, une information sur cet enseignement, qui doit se substituer à l’enseignement religieux en Alsace-Moselle aux termes de la loi.

L’avis est défavorable, mais nous attendons une réponse du Gouvernement à cet égard.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Votre défense est un peu courte, madame la secrétaire d’État. J’aimerais rappeler que l’enseignement de la religion, en Alsace-Moselle, est imposé par une loi allemande du 10 juillet 1873. Cela n’a rien à voir avec le Concordat, qu’il faut bien distinguer du droit local.

Cette loi allemande imposée par le Reich aux départements occupés impose d’enseigner la religion, ce qui est très différent de l’enseignement sur les religions, tel que nous le connaissons dans les établissements publics de la France de l’intérieur, pour parler comme les Alsaciens.

Ce que je retiens des chiffres de fréquentation de 2022 - le ministère ne nous a malheureusement pas communiqué des chiffres plus récents -, c’est que, en Moselle, cet enseignement de la religion est suivi par 35 % des élèves en primaire, 7 % au collège et 0 % au lycée. Pour l’Alsace, la part de fréquentation de ces cours au lycée est de 20 %.

Nous sommes donc dans le cas tout à fait particulier d’un enseignement qui est obligatoire, et pour lequel les dispenses d’enseignement sont majoritaires, ce qui pose quand même un problème.

À mon sens, il faudrait que le ministère se pose la question. Je sais qu’il est très difficile de toucher au droit local allemand, mais en l’occurrence, on pourrait peut-être rapprocher l’enseignement de la religion de l’enseignement des faits religieux, tel qu’il est pratiqué dans les autres établissements. À ce sujet, je vous conseille de relire l’excellent rapport de Régis Debray, qui montrait la nécessité d’enseigner les religions, c’est-à-dire une forme de distanciation critique par rapport à la religion elle-même.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais une réponse un peu plus étayée. Nous sommes tous, y compris M. le rapporteur, en train de dire que les choses ne peuvent rester en l’état. Il faut savoir où nous en sommes et ce qui est fait.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Je peux vous proposer de commander une mission de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche pour faire un état des lieux sur la question, ce qui aurait autant de portée que ce que vous proposez.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4. (Mme la secrétaire dÉtat sétonne que lamendement ne soit pas retiré.)

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 4
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Article 3

Article 2

L’article L. 114-3 du code du service national est ainsi rédigé :

« Art. L. 114-3. – Lors de la journée défense et citoyenneté, les Français reçoivent un enseignement présentant :

« 1° Les enjeux et les objectifs généraux de la défense nationale, les moyens civils et militaires de la défense et leur organisation ;

« 2° Les périodes militaires d’initiation ou de perfectionnement à la défense nationale ;

« 3° Les possibilités d’engagement dans les forces armées et les forces de réserve ;

« 4° Le modèle français de sécurité civile et les possibilités d’engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire ;

« 5° Le service civique et les autres formes de volontariat.

« Cet enseignement est adapté au niveau de formation des appelés participant à la journée défense et citoyenneté.

« Ces derniers sont en outre sensibilisés aux droits et aux devoirs liés à la citoyenneté et aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale et de la mixité sociale. La charte des droits et devoirs du citoyen français mentionnée à l’article 21-24 du code civil leur est remise à cette occasion.

« La journée défense et citoyenneté comporte également des tests d’évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française. »

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Ziane, Mme Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, M. Ros et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 9, première phrase

Après le mot :

citoyenneté

Rédiger ainsi la fin de cette phrase :

, aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale, de la mixité sociale et de l’égalité femme-homme ainsi qu’à la lutte contre les préjugés sexistes et homophobes et à celle contre la violence au sein des couples.

La parole est à M. Adel Ziane.

M. Adel Ziane. Cet amendement vise à réintroduire dans le dispositif de l’article du code du service national qui définit les modules dispensés lors de la journée défense et citoyenneté un certain nombre d’exigences qui nous semblent importantes. Dans l’esprit de rationalisation, de toilettage, de nettoyage qui est le nôtre ce matin, il nous semble dangereux, ou à tout le moins dommageable, qu’un certain nombre de thématiques soient exclues de cette journée. Notamment, le respect de l’égalité des sexes doit être un moteur important de l’intégration des femmes dans les armées, surtout à l’heure où elles représentent près 17 % des effectifs et où plus aucun poste ne leur est interdit. Il nous semble important que cette journée axée sur les possibilités d’engagement dans les forces armées et de réserve ne soit pas un moment d’autocensure pour les femmes.

Nous souhaitons également réintroduire dans le programme de la journée défense et citoyenneté une formation sur la lutte contre les préjugés sexistes ou homophobes. Toutes les personnes, y compris homosexuelles, doivent être pleinement intégrées dans le corps militaire qui leur est encore hostile.

Enfin, nous considérons qu’une formation contre les violences conjugales et commises au sein du couple doive faire partie des éléments de réflexion et d’apprentissage dispensés au cours de cette journée.

Selon nous, il importe de sensibiliser les armées à toutes ces causes en trouvant des relais dans tous les organes possibles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. Je suis d’accord, l’égalité hommes-femmes, la lutte contre l’homophobie et les préjugés sexistes, l’information sur les violences au sein du couple sont des sujets très importants. En revanche, je ne suis pas sûr qu’ils aient leur place lors de la journée défense et citoyenneté.

M. Adel Ziane. Nous le pensons !

M. Bernard Fialaire, rapporteur. L’objet de ce texte est de revenir, pendant les trois heures que dure cette formation, à l’essentiel de ce qui doit être transmis en matière de défense et de citoyenneté. Il s’agit notamment de mettre l’accent sur les métiers proposés aux femmes comme aux hommes, sans préjuger l’orientation sexuelle des participants.

Les sujets que vous évoquez seront mieux traités tout au long de la scolarité. Il faut du moins y veiller.

L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 130-2 du code du service national est ainsi modifiée :

1° Les mots : « à l’article L. 117-1, L. 124-2 ou L. 981-1 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 1251-5, L. 6221-1 ou L. 6325-1 » ;

2° Les mots : « au plus » sont remplacés par les mots : « renouvelable une fois ».

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Fialaire, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

et dans la limite des places disponibles

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. Cet amendement a d’abord pour vocation à rassurer le Gouvernement. Il fait suite à une réflexion, lors d’une audition, de notre collègue Stéphane Piednoir, qui s’inquiétait de la possibilité de prolonger de trois à six mois la durée de séjour dans les centres de l’Épide de jeunes ayant obtenu un stage ou emploi et qui n’auraient pas d’hébergement.

Nous souhaitons donc préciser que ce renouvellement de trois mois supplémentaires se ferait dans la limite des places disponibles. Je rappelle qu’il doit y avoir à peu près entre 5 % et 10 % des places qui le sont.

À ce sujet, on peut remarquer que des progrès ont été apportés. Au début, les jeunes qui étaient dans les centres de l’Épide n’étaient pas hébergés le week-end. Certains d’entre eux retournaient donc dormir dans la rue, pour réintégrer leur centre le lundi. Dorénavant, ils peuvent rester le week-end. Avec ce texte, modifié par notre amendement, ils pourront rester trois mois supplémentaires s’ils n’ont pas d’hébergement. C’est une nécessité, si nous voulons que ces jeunes réussissent leur parcours.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. En toute logique, l’avis est favorable.

Monsieur le président, si vous le permettez, en lien avec les thèmes de la citoyenneté au quotidien et la nécessité de promouvoir l’inclusion de nos jeunes – et moins jeunes -, ainsi que la connaissance de nos institutions, locales, nationales, européennes, je tiens à saluer la présence sur les bancs réservés aux commissaires du Gouvernement de Thomas, qui m’accompagne aujourd’hui dans le cadre du DuoDay. Il a ainsi l’occasion de découvrir le fonctionnement du Sénat, et il me suivra cet après-midi à Bruxelles. Je vous remercie de lui réserver un accueil chaleureux. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.

M. Adel Ziane. En effet, le taux d’occupation moyen dans les centres de l’Épide est actuellement compris entre 90 % et 95 %. Nous trouvons que cet amendement est réducteur par rapport à l’ambition du dispositif initial, qui donnait droit à tout volontaire pour l’insertion, apprenti ou en contrat temporaire ou en contrat de professionnalisation, lorsqu’il a trouvé un emploi avant la fin de ce contrat, de bénéficier pendant trois mois supplémentaires des prestations Épide, dont fait partie le logement. Si l’amendement était voté, la précision « dans la limite des places disponibles » affaiblirait de fait la portée de l’obligation de fournir un logement au jeune.

Je comprends la problématique des moyens et des objectifs, mais, si le parc est occupé à 90 % ou 95 %, le dispositif devient juste une déclaration de principes sans utilité. Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

À la fin du premier alinéa de l’article L. 73 du code électoral, les mots : « , dont une seule établie en France » sont supprimés. – (Adopté.)

Article 4
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Article 6

Article 5

I. – Le code électoral est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 165 est ainsi modifié :

a) (nouveau) Les mots : « ainsi que » sont remplacés par le signe : « , » ;

b) Sont ajoutés les mots : « ainsi que les modalités d’envoi électronique des documents de propagande électorale » ;

1° bis (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 166, aux articles L. 212, L. 241, L. 354, au premier alinéa de l’article L. 376 et à l’article L. 558-26, après le mot : « envoi », sont insérés les mots : « , y compris électronique » ;

2° (Supprimé)

II (nouveau). – Au premier alinéa de l’article 17 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, après le mot : « envoi », sont insérés les mots : « , y compris électronique, ».

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Sans vouloir faire offense à nos collègues à l’origine de la rédaction de cet article 5, j’attire néanmoins votre attention sur ce qui pourrait apparaître demain comme une fausse bonne idée. Je veux parler de l’accélération de la dématérialisation de l’envoi de la propagande électorale.

Nous ne cessons de le répéter, nous vivons une crise de confiance envers le politique.

Je veux rappeler ici avec solennité que l’envoi de la propagande électorale ne saurait être assimilé à du démarchage publicitaire encombrant nos boîtes aux lettres.

Avec cette démarche simplement volontariste, un certain nombre de concitoyens, parce qu’ils ne veulent plus entendre parler de tout cela, seront tentés de cocher par facilité et sans réflexion approfondie l’option « dématérialisation de l’envoi de la propagande électorale ».

Nous devons envisager cette possibilité avec prudence. En effet, et j’ai eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, la propagande électorale, de la profession de foi au bulletin de vote, est finalement le dernier élément qui permet à l’électeur de faire son choix à la veille du scrutin.

Nous avons d’ailleurs tous été surpris de l’ampleur de l’émotion ressentie dans le pays en 2021 quand, au moment des élections départementales et régionales, une grande partie de nos concitoyens n’ont pu recevoir ce matériel électoral, pour des raisons très bien expliquées par le président Buffet dans un rapport d’information qui avait suivi.

Nous ne nous opposerons pas à cet article 5, mais nous vous mettons en garde contre une généralisation trop rapide de ces dématérialisations, qui pourrait in fine abîmer encore plus le rapport qu’ont nos concitoyens avec les choix électoraux, donc civiques, et se révéler une fausse bonne idée.

M. le président. Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 est adopté.)

Article 5
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Article 7

Article 6

I A (nouveau). – À l’article L. 611-11 du code de l’éducation, après le mot : « volontaire », sont insérés les mots : « , aux étudiants exerçant un mandat d’élu local, national ou européen ».

I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Après la sous-section 2 de la section 1 du chapitre III du titre II du livre Ier de la deuxième partie, est insérée une sous-section 2 bis ainsi rédigée :

« Sous-section 2 bis

« Garanties accordées dans le déroulement des études supérieures

« Art. L. 2123-10-1. – Dans les conditions prévues à l’article L. 611-11 du code de l’éducation, les établissements d’enseignement supérieur permettent aux étudiants membres d’un conseil municipal de se rendre et de participer aux séances et réunions mentionnées à l’article L. 2123-1 du présent code. » ;

2° Après la sous-section 2 de la section 1 du chapitre III du titre II du livre Ier de la troisième partie, est insérée une sous-section 2 bis ainsi rédigée :

« Sous-section 2 bis

« Garanties accordées dans le déroulement des études supérieures

« Art. L. 3123-8-1. – Dans les conditions prévues à l’article L. 611-11 du code de l’éducation, les établissements d’enseignement supérieur permettent aux étudiants membres d’un conseil départemental de se rendre et de participer aux séances et réunions mentionnées à l’article L. 3123-1 du présent code. » ;

3° Après la sous-section 2 de la section 1 du chapitre V du titre III du livre Ier de la quatrième partie, est insérée une sous-section 2 bis ainsi rédigée :

« Sous-section 2 bis

« Garanties accordées dans le déroulement des études supérieures

« Art. L. 4135-8-1. – Dans les conditions prévues à l’article L. 611-11 du code de l’éducation, les établissements d’enseignement supérieur permettent aux étudiants membres d’un conseil régional de se rendre et de participer aux séances et réunions mentionnées à l’article L. 4135-1 du présent code. »

II. – (Supprimé) – (Adopté.)

Article 6
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 7

Les éventuelles pertes de recettes résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 7
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Henri Cabanel, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Comme j’ai pu le dire lors de mon intervention liminaire, à l’instar d’autres orateurs, cette proposition de loi n’est certes pas très ambitieuse, mais elle a le mérite d’avoir fait l’objet d’un compromis. Il est vrai que nous ne sommes pas tous en phase sur un certain nombre de sujets touchant à la citoyenneté. Pour aller loin, il faut aller doucement, et ce texte représente déjà un premier pas.

Je ne comprends pas bien les arguments de Mme la secrétaire d’État sur un certain nombre de points avec lesquels elle est en désaccord, notamment sur le statut de l’étudiant élu, qui me semble essentiel. Dans la Convention nationale de la démocratie locale, que le Gouvernement a lancée, sous l’autorité de Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, cette question du statut apparaît centrale pour les élus. Cette proposition de loi est tournée vers les jeunes, car nous pouvons tous être d’accord pour admettre que ce sont eux qui se déplacent le moins aux élections. Or, pour favoriser leur engagement, quoi de mieux que de créer un statut de l’étudiant élu ? Madame la secrétaire d’État, vous enverriez un très mauvais signal en restant dans cette attitude, car il s’agit d’une demande forte des jeunes que nous avons rencontrés. C’est d’ailleurs moi qui ai insisté pour que nous leur fassions plus de place dans le cadre des travaux de la mission d’information. Ils ont exprimé ce besoin et nous devons les écouter.

En conclusion, je tiens à remercier tous mes collègues, qui manifestent une belle unanimité pour soutenir ce texte, et plus particulièrement les membres de la commission de la culture, dont son rapporteur, Bernard Fialaire. J’y insiste, c’est une avancée, mais je reste persuadé, comme vous, qu’il va falloir aller plus loin, toujours dans cet esprit de compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.

M. Adel Ziane. Je tiens également à saluer le travail fait en commission, dans le cadre d’échanges toujours respectueux.

Je souhaite aborder trois points en conclusion.

D’abord, il était essentiel pour nous qu’un certain nombre de thématiques, qui nous semblaient disparaître de l’EMC, ne soient pas renvoyées vers d’autres dispositifs dont les contours ne sont pas encore clairs ni formalisés.

Ensuite, la distinction entre les principes et les valeurs de notre République nous tenait particulièrement à cœur. Je remercie l’ensemble des collègues qui ont permis d’en débattre sereinement.

Enfin, sur le statut de l’étudiant élu, qu’il me soit permis de remercier le sénateur Cabanel. Les informations et propositions qui sont ressorties des travaux de la mission d’information dont il a été le rapporteur nous sont très utiles. Ce débat fait bien entendu écho au Congrès des maires, qui se tient actuellement, et à des discussions qui ont eu lieu au sein de diverses enceintes. Nous devons être en mesure de proposer à des étudiants qui souhaitent s’engager aujourd’hui dans un véritable parcours politique et citoyen un statut susceptible de les y aider, ne serait-ce que financièrement.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire dÉtat. Je vous rejoins sur le principe de la création d’un statut dédié aux étudiants élus. Le texte n’en est encore qu’à la première étape de la navette parlementaire : le sujet devra être travaillé en étroite collaboration avec le ministère de l’intérieur.

Je me tiens à votre disposition pour avancer sur cette mesure durant le parcours législatif de ce texte.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures deux.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
Discussion générale (suite)

Prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
Article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen, de la proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (proposition n° 919 [2022-2023], texte de la commission n° 83, rapport n° 82).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de la loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’entrée en vigueur du décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, dit décret Bruits, a modifié l’article R. 1336-6 du code de la santé publique.

Cette modification, qui trouve son origine dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, a fait basculer l’ensemble des activités des sports mécaniques dans le droit commun des bruits de voisinage.

Cette évolution soumet de fait les sports mécaniques à un dispositif d’infractions pénales plaçant de très nombreux circuits et, surtout, la pratique encadrée de ces sports dans l’incapacité de respecter la règle d’émergence.

Elle porte en germe des risques contentieux bien réels qui menacent la pérennité des activités sportives des fédérations françaises du sport automobile et de motocyclisme.

En effet, aucun circuit ne peut raisonnablement respecter ce nouveau cadre réglementaire disproportionné. Celui-ci a malheureusement fait fi de la situation des sports mécaniques, puisque ses acteurs n’ont à aucun moment été associés aux discussions préalables à la mise en œuvre de ce décret d’application.

Par cette proposition de loi, il s’agit de trouver une solution équilibrée, partageant l’objectif ciblé et pragmatique de création d’un régime proportionné contre le bruit, conciliant pratique des sports mécaniques et protection de la tranquillité publique. À aucun moment l’objet de cette proposition de loi n’est d’autoriser un bruit excessif et nuisible à la santé.

Les circuits de sports mécaniques font partie du patrimoine collectif de notre pays. Environ 2 300 épreuves sportives sont organisées chaque année à travers notre territoire, sur plus de 1 000 circuits, dont 37 circuits de vitesse. Ils sont le porte-étendard du savoir-faire français en matière de sports mécaniques. L’aura et la popularité auprès d’un public varié de ces compétitions, telles que les 24 heures du Mans ou le Grand Prix de France de Formule 1, dépassent largement les frontières hexagonales.

La filière des sports mécaniques en France représente 2,3 milliards d’euros annuels d’impact économique et 13 500 emplois directs, ce qui la propulse au rang de troisième filière économique et sportive en France.

Autour de chaque site, c’est tout un écosystème générant des emplois directs et indirects qui s’est tissé, un ferment de cohésion sociale et d’animation de nombreux territoires, tant ruraux qu’urbains.

Nous ne pouvons laisser planer cette épée de Damoclès sur la continuité de ces activités. Nous devons trouver une solution aménageant les contraintes qui pèsent tant sur les fédérations de sports mécaniques que sur les acteurs des circuits automobiles, tout en garantissant le respect des normes de sécurité et de protection de l’environnement.

Aujourd’hui, les fédérations sportives délégataires doivent se conformer à une réglementation complexe rendant l’application de ce décret Bruits d’autant plus excessive. Après obtention d’un arrêté d’homologation de la part du préfet qui se renouvelle tous les quatre ans, après visite et avis de la Commission nationale d’examen des circuits de vitesse ou de la commission départementale de sécurité routière, ces fédérations édictent, dans le cadre de leur mission de service public, les règles techniques et de sécurité, dont les réglementations sonores font déjà partie intégrante.

De nombreux circuits font désormais face à l’impossibilité de respecter la règle d’émergence prévue par le nouveau cadre juridique en vigueur, identique à celle qui encadre les activités industrielles ne relevant pas du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Cette règle limite le bruit à 5 décibels en journée et à 3 décibels en période nocturne. Ainsi, une seule plainte émanant d’un riverain ou d’un collectif suffirait à menacer de fermeture un grand nombre de ces circuits.

Cette menace se renforce à mesure que l’urbanisation se déploie et s’étend à proximité des circuits, pourtant initialement construits en périphérie des centres urbains pour ne pas engendrer de nuisances.

Les inquiétudes sont d’autant plus fortes que l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoit l’opposabilité de l’antériorité de la construction aux activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, ne s’applique pas aux sports mécaniques.

Or cette menace est d’autant plus paradoxale que la filière des sports mécaniques est un vecteur d’innovations technologiques et techniques en matière environnementale.

La France est pionnière en la matière : les émissions sonores à la source des véhicules ont été réduites de plus de 20 décibels en vingt ans. Reconnue pour ses compétences et son excellence dans le domaine de l’ingénierie automobile, de la conception des moteurs aux pneumatiques, la filière a développé de manière significative, grâce à ses fédérations et ses constructeurs, de nouvelles technologies profitant à l’ensemble de l’industrie automobile ainsi qu’à l’ensemble des citoyens.

À l’origine de la motorisation hybride ou électrique et du biocarburant, les compétitions de sports mécaniques catalysent et transposent les avancées technologiques et techniques réalisées sur circuit vers nos véhicules de série.

Entraver leur développement, c’est par conséquent ralentir l’indispensable transition écologique des transports, qui, je le rappelle, restent la première source de gaz à effet de serre sur notre territoire.

Preuve de leur volonté de poursuivre leurs efforts en la matière, la Fédération française du sport automobile (FFSA) et la Fédération française de motocyclisme (FFM) seront les deux premières fédérations sportives françaises à rendre les conclusions du baromètre environnemental qu’elles viennent de mettre en place, au début du mois de décembre prochain.

Par ailleurs, ne pas prévenir la paralysie de l’économie des sports mécaniques, c’est aussi prendre le risque que se développent les rodéos urbains. Dois-je vous rappeler qu’il y a cinquante ans, le gouvernement avait justement décidé le développement de nombreux circuits de sports mécaniques afin de répondre aux problématiques de rodéos urbains et à leurs conséquences tragiques ? Ainsi, le circuit Carole, à Tremblay-en-France, a été ainsi nommé en mémoire de la dernière victime déplorée avant la création du circuit.

Il ne s’est en outre jamais autant vendu de motos que ces dernières années. N’est-il pas préférable d’encourager une pratique encadrée sur circuit plutôt que de voir ces derniers fermer un à un, menant inéluctablement au développement de ces rodéos urbains ? Je suis bien placée, en Gironde, pour en attester !

De nombreux maires, inquiets de perdre leur circuit, m’ont fait part de leur soutien à l’occasion de ma proposition de loi ; je salue d’ailleurs la maire d’Albi, présente dans les tribunes. Ces élus craignent le développement de la conduite hors cadre, qui, comble de la situation, ne serait soumise à aucune mesure de limitation du bruit, puisque la voirie publique, bordée de millions d’habitations, n’est pas concernée par ce décret Bruits !

Cette proposition de loi trouve ainsi son essence dans toutes les raisons que je viens d’évoquer.

Elle ne crée pas un droit à la pollution sonore, pas plus qu’elle ne représente en un retour en arrière ou ne donne un blanc-seing aux sports mécaniques pour faire du bruit.

Elle propose de trouver un compromis entre survie des circuits et santé publique.

Ce compromis se matérialise par l’introduction d’une dérogation à l’article L. 571-6 du code de l’environnement. Celui-ci dispose que les activités bruyantes sportives de plein air, ainsi que « les activités bruyantes, exercées dans les entreprises, les établissements, centres d’activités ou installations publiques ou privées établis à titre permanent ou temporaire, et ne figurant pas à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, peuvent être soumises à des prescriptions générales », voire à une procédure d’autorisation.

La dérogation serait ainsi applicable aux seuls sports mécaniques, prévoyant qu’ils soient soumis à des dispositions particulières, précisées par décret et tenant compte des contraintes propres à leurs activités.

Cette loi permettrait ainsi au pouvoir réglementaire de modifier le décret Bruits de 2017 et d’accompagner la transition écologique et technique des acteurs des sports mécaniques plutôt que de continuer à imposer des normes inapplicables, car disproportionnées, et à plonger cette filière dans le marasme et à mettre la sécurité routière en grand danger.

Enfin, je remercie le rapporteur Alain Duffourg et les services de la commission pour leur travail consciencieux et positif, ainsi que mon groupe, pour avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour de notre niche parlementaire.

Il nous incombe à présent, mes chers collègues, de débattre en conscience, et dans les temps : j’aimerais que ce texte puisse être voté avant treize heures. Sans cela, nous serions obligés de l’inscrire à l’ordre du jour de notre prochaine niche, ce qui serait dommage. Je compte sur vous pour dire l’essentiel – le dire, certes, mais en respectant ce délai. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.)

M. le président. Si nous parvenons en effet à débattre dans le temps imparti, tout en disant l’essentiel, nous pourrons voter cette proposition de loi avant treize heures !

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Duffourg, rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour l’examen de la proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés.

Les sports mécaniques appartiennent au patrimoine de notre pays. Il s’agit de la troisième filière économique sportive nationale, représentant un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros et 13 500 emplois directs et indirects.

Chaque année, sur les 1 000 circuits français, 2 300 épreuves sportives sont organisées. Cette filière joue donc un rôle particulier au sein de l’économie française.

Je peux d’autant plus en parler que mon département, le Gers, a la chance d’accueillir le circuit de Nogaro, qui réunit chaque année de nombreux participants à l’occasion des Coupes de Pâques. Je salue d’ailleurs le maire de Nogaro, qui est à la tribune et qui est venu écouter ce débat avec beaucoup d’intérêt.

La proposition de loi déposée par Nathalie Delattre, que je remercie, vise à assurer la continuité de ces activités tout en luttant contre les nuisances sonores. Elle ne constitue pas une entrave à la sécurité sanitaire que nous défendons tous.

Les premières à être conscientes de ce risque environnemental et sanitaire, ce sont les fédérations sportives mécaniques elles-mêmes. Elles ont engagé depuis longtemps un travail important pour réduire les nuisances sonores générées, en améliorant la technicité des moteurs.

Cette proposition de loi n’a pas vocation, contrairement à ce que j’ai pu entendre, à court-circuiter la prévention des risques liés aux bruits. Au contraire, elle vise à adapter le dispositif législatif.

Avant 2017, les circuits de sports automobiles étaient régis par les fédérations nationales de sport automobile et de motocyclisme. Pour chaque circuit, le préfet pouvait imposer des mesures supplémentaires pour préserver la tranquillité publique.

Toutefois, sans consultation préalable des acteurs de la filière, le décret Bruits de 2017 a soumis les sports mécaniques aux règles générales de lutte contre les bruits de voisinage, que nous connaissons tous. Mais un circuit de vitesse n’est pas un voisin comme un autre ! Ne laissons pas peser une épée de Damoclès sur les circuits et sur les communes qui sont propriétaires ou concessionnaires de ces circuits : l’adoption de cette proposition de loi, au contraire, les sécuriserait.

C’est la raison pour laquelle il faut concilier la pratique de ces activités et la protection de la santé humaine.

La commission, qui partage l’objectif ciblé et pragmatique de ce texte, s’est attachée à sécuriser juridiquement le dispositif et à en clarifier le champ d’application. En résulte un texte pragmatique et adapté, qui propose une réglementation équilibrée entre l’exercice du sport automobile et la protection de la santé humaine.

Ce texte me paraît tout à fait équilibré et adapté. Il enverra un signal fort à l’économie du sport automobile, et il fera vibrer beaucoup de nos concitoyens, car les circuits automobiles sont source de lien social pour nombre de Français qui apprécient la pratique de ces sports.

En conclusion, je remercie Nathalie Delattre d’avoir proposé ce texte, le président de la commission, Jean-François Longeot, qui, dans sa grande bienveillance, m’a nommé rapporteur, ainsi que les services de la commission, qui ont effectué un travail exceptionnel.

Je pense que la majorité de mes collègues présents soutiendront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. André Reichardt applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, monsieur le rapporteur, cher Alain Duffourg, madame la sénatrice, chère Nathalie Delattre, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est une grande nation de sport. Si elle l’est devenue en acclimatant un certain nombre de disciplines, notamment celles qui sont nées outre-Manche, à commencer par le football ou le rugby, elle a également, à plusieurs reprises, été pionnière. C’est le cas du sport automobile, domaine dans lequel elle n’a jamais cessé d’être à la pointe de l’innovation, à la fois technologique, comme en témoignent les moteurs hybrides, mais aussi sociétale, à l’image de la ceinture de sécurité.

C’est ainsi que les sports mécaniques sont devenus une passion et une mythologie bien françaises. Les 1 200 circuits qui accueillent chaque année plus de 2 300 épreuves automobiles et motocyclistes en sont l’illustration, au même titre que les 160 000 licenciés et les 130 000 bénévoles qui, chaque semaine, partout en France, font vivre et rayonner nos territoires, notamment ruraux.

Ce rayonnement a d’ailleurs, de longue date, dépassé les seules frontières de l’Hexagone, tant les circuits de Magny-Cours, Paul Ricard et, bien sûr, des 24 heures du Mans se sont fait une place à part dans la grande épopée du sport mondial.

Aujourd’hui, en envisageant à haute voix de retrouver un Grand Prix de Formule 1 sur le territoire national, c’est cette grande histoire que la France entend poursuivre, avec la ferme volonté de continuer à concilier et à enrichir ces liens entre passion des courses, innovations technologiques, développement durable et protection de la santé publique.

Voilà pourquoi, madame la sénatrice, chère Nathalie Delattre, je tenais à vous remercier d’avoir pris cette initiative parlementaire, avec plusieurs de vos collègues et de manière transpartisane.

Son objectif n’est pas, comme vous l’avez rappelé lors des travaux en commission, de placer les sports mécaniques en dehors de tout cadre de prévention du bruit excessif pour les populations. Il s’agit au contraire de définir le meilleur dispositif juridique possible – c’est-à-dire un dispositif pragmatique, responsable et pleinement applicable – pour permettre à ces activités de continuer à faire rayonner nos territoires, dans lesquels elles sont souvent implantées de longue date, tout en continuant de s’inscrire dans une dynamique de réduction de leur empreinte sur notre environnement, au sens le plus complet du terme.

Or, comme vos travaux l’ont démontré, le cadre juridique actuel – celui qui est issu du fameux décret Bruits du 7 août 2017 – crée une double impasse, dans sa philosophie comme en pratique.

Dans sa philosophie d’abord, ce décret résulte en effet d’une disposition de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, adoptée sans concertation préalable avec les acteurs sportifs ni étude d’impact. Il a ainsi intégré, du jour au lendemain, les sports mécaniques dans le champ des règles d’émergence fixées par le code de la santé publique. Ce nouveau cadre législatif et réglementaire a donc été imposé à l’ensemble des circuits sans mesures transitoires : ceux-ci se trouvent dans une position particulièrement délicate, alors même qu’ils étaient déjà régis par des règles techniques fédérales, mais aussi par des prescriptions relevant de leur homologation par le préfet ou le ministre de l’intérieur.

Ensuite, cette erreur de méthode se double aujourd’hui d’une impossibilité pratique d’application de la réglementation par le secteur. Soumis en droit au respect de la règle d’émergence, soit la différence entre un bruit ambiant – l’activité des sports mécaniques sur circuit – et un bruit résiduel – le bruit sans l’activité hors circuit –, les circuits sont bien souvent, malgré eux, pris au piège.

Ainsi, qu’il se situe en milieu urbain ou à l’écart des habitations, le circuit est rarement en mesure de respecter ce cadre réglementaire.

En pleine ville, l’activité du circuit affecte nécessairement son voisinage immédiat, qui s’est souvent installé postérieurement à la création de l’équipement sportif. Le circuit d’Albi en est le parfait exemple, comme l’a expliqué à plusieurs reprises la maire d’Albi, Stéphanie Guiraud-Chaumeil.

En zone rurale, le bruit résiduel étant particulièrement faible, la règle d’émergence est, mécaniquement, impossible à respecter.

Dans cette soustraction entre le bruit ambiant et le bruit résiduel mesuré dans les logements du voisinage, soit le premier terme est considéré comme trop élevé, soit le second comme trop faible. Les circuits sont donc face à une impossibilité pratique d’appliquer la législation.

De même, certaines courses de premier plan, comme les 24 heures du Mans ou encore le Bol d’Or, ne peuvent respecter les règles d’émergence différentes entre la période diurne et la période nocturne, auxquelles les compétitions sont pourtant assujetties de plein droit par le décret Bruits. Enfin, des circuits les plus modestes jusqu’au Grand Prix moto de France, de nombreuses situations sont confrontées aux mêmes difficultés.

Face à ces règles élargies aux sports mécaniques, nous constatons les difficultés de la filière : le flou juridique dans lequel elle se retrouve pénalise avant tout les autorités publiques, au premier rang desquelles les collectivités territoriales, qu’elles soient propriétaires ou gestionnaires de certains circuits, mais aussi l’État, dont la responsabilité peut être invoquée pour indemniser les exploitants ou les collectivités ayant investi dans ces circuits.

Au quotidien, face à ces difficultés, ce sont nos préfets qui se trouvent dans une position particulièrement complexe, en étant à la fois les autorités homologuant la plupart des circuits et celles qui sont chargées, aux côtés de nos maires, d’assurer la police de l’environnement.

Ces règles ont des conséquences très concrètes : au-delà de la remise en question de l’organisation de nombreuses compétitions, leur non-respect entraîne, pour l’organisateur, des sanctions pénales élevées.

Pourtant, les deux fédérations délégataires de service public – la Fédération française du sport automobile et la Fédération française de motocyclisme – n’ont pas attendu le décret Bruits ni la menace qu’il fait peser sur leurs disciplines pour prendre conscience de leur responsabilité en matière de tranquillité publique et de santé.

Depuis le début des années 2000, ces fédérations travaillent en effet à une réduction du bruit généré par leurs activités.

La FFSA a adopté une politique ferme visant à réduire drastiquement le bruit à la source des véhicules : en a résulté une réduction de plus de 20 décibels dans les deux dernières décennies.

De son côté, la FFM a également engagé un travail important depuis 2009, avec une baisse des émissions sonores qui représentera, en 2024, de 5 à 7 décibels pondérés A, selon les disciplines, étant entendu qu’une réduction de 3 décibels A revient à diviser par deux l’intensité sonore ressentie.

Cet engagement responsable de nos fédérations, auquel je suis particulièrement attachée, place la France à l’avant-garde mondiale de la mutation de la pratique des sports mécaniques.

Ainsi, c’est en France que la première compétition automobile électrique sur circuit s’est déroulée, dès 2009, et qu’un véhicule électrique a participé pour la première fois à une compétition sur route, en septembre 2020. De leur côté, plusieurs disciplines sportives ont, d’ores et déjà, opéré leur mutation énergétique en évoluant vers des carburants décarbonés, à l’instar de la Formule 4.

Plus largement, la FFSA et la FFM se sont engagées dans une démarche plus durable en se fixant un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 et en lançant, dès 2022, le premier baromètre environnemental des sports mécaniques, dont les résultats me seront très prochainement présentés.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je considère qu’il est tout à l’honneur de l’initiative parlementaire de rechercher un nouveau point d’équilibre. L’enjeu est la pérennisation d’un secteur automobile, fleuron de notre paysage sportif et économique national, ainsi que la protection de la tranquillité publique et la santé humaine. Je partage pleinement cet objectif de conciliation.

Le dispositif proposé demeure perfectible, et ce sera tout l’objectif du débat parlementaire. L’intitulé de la proposition de loi et le processus de consultation préalable avant adoption du décret permettant d’en assurer l’application font notamment débat, comme nous le verrons tout à l’heure.

Au-delà de ces deux points, je m’interroge sur la nécessité d’exposer plus explicitement la nature des dérogations ainsi fixées au code de la santé publique, mais aussi de préciser la nature des prescriptions particulières auxquelles devront encore être soumis les sports mécaniques, en renvoyant le cas échéant au pouvoir d’appréciation des autorités préfectorales.

Dans ce cadre, je m’engage à mener un travail spécifique pour qu’ensemble, et aux côtés des deux fédérations délégataires, nous continuions à améliorer le dispositif que vous proposez et que nous trouvions le meilleur équilibre. Pour cela, nous devrons nous appuyer en tant que de besoin sur les préfets directement concernés, tout en tirant parti de l’éclairage supplémentaire qui sera apporté par la remise, en décembre, du baromètre environnemental de la filière des sports mécaniques.

Pour toutes ces raisons, s’agissant du texte aujourd’hui débattu en séance, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en nous appuyant sur votre connaissance inégalable de nos territoires et votre approche du droit, résolument tournée vers la pratique, je suis persuadée que nous parviendrons à concilier de la manière la plus efficace et adaptée possible ces deux impératifs essentiels : la pérennité des sports mécaniques et la protection de la tranquillité et de la santé publiques.

Vous pouvez compter sur moi pour mobiliser l’ensemble des acteurs et appeler chacun à ses responsabilités, en faveur de cet objectif de progrès, appuyé sur un devoir d’exemplarité – deux horizons sur lesquels nous n’avons pas le droit de décevoir nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et UC.)

M. le président. Je salue les nombreux maires présents dans les tribunes, notamment Mme Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi, que je connais et que vous avez nommée.

La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. André Guiol. Monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, l’entrée en vigueur du décret relatif à la prévention des risques liés aux bruits a fait basculer l’ensemble des activités des sports mécaniques dans le droit commun des simples bruits de voisinage.

Certes, il était nécessaire de mieux protéger les populations des risques liés aux bruits générés par l’ensemble des activités humaines et plus particulièrement des nuisances sonores produites par des comportements souvent illicites et agressifs, tels que les rodéos urbains.

Cette proposition de loi déposée par notre collègue Nathalie Delattre vise à aménager les règles qui régissent, en la matière, les fédérations de sports mécaniques et les gérants des circuits automobiles.

En effet, sans distinction ni discernement, ces acteurs des sports mécaniques se trouvent à la portée de plaintes émanant de riverains ou de collectifs associatifs et sont exposés à des poursuites pénales disproportionnées, au regard des services rendus à notre société.

Il pourrait apparaître inopportun de soutenir ou de favoriser la poursuite des sports mécaniques, qui reposent encore aujourd’hui sur la performance des moteurs thermiques, alors que, dans le même temps, la société s’est engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Pourtant, la filière développe une industrie décarbonée, privilégie les transports électrifiés, collectifs ou covoiturés, et nous assistons à la montée en puissance de courses automobiles à propulsion électrique qui contribueront, à leur tour, à faire progresser cette technologie en matière de performance, de sécurité et de fiabilité.

Ces avancées technologiques bénéficieront bien entendu à l’ensemble du parc automobile, qui pèse encore lourdement aujourd’hui dans la production de gaz à effet de serre, tout en contribuant à réduire globalement les nuisances sonores qui nous préoccupent aujourd’hui.

Rappelons que les sports mécaniques, dont la filière génère 13 500 emplois directs et l’impact économique s’élève à 2,3 milliards d’euros, ont jusqu’à ce jour largement contribué à réduire la pollution des moteurs thermiques. Dans le même temps, les performances mécaniques et la fiabilité de ces derniers se sont considérablement accrus, au point qu’ils sont désormais la motorisation par excellence de presque toutes les activités humaines : transports terrestres et maritimes, génie civil, secteur militaire.

Il en est de même pour les groupes électrogènes, eux qui alimentent encore de nombreuses îles et fermes isolées et qui, par leur fiabilité, viennent en secours de l’alimentation électrique des hôpitaux, des centrales nucléaires et de tout le secteur industriel. C’est en grande partie grâce aux progrès technologiques permis par les sports mécaniques et à leurs moteurs thermiques qu’on le doit.

Les progrès réalisés par cette activité, qu’il convient par cette proposition de loi de préserver, ont également considérablement contribué à améliorer la sécurité routière.

Citons l’amélioration de la tenue de route, par la qualité des pneumatiques et par l’efficacité des suspensions, la mise au point des organes de sécurité, comme les ceintures de sécurité, la consolidation et l’indéformabilité des habitacles, le freinage de sécurité ABS, etc.

Mes chers collègues, comme dans beaucoup de domaines, notre aventure humaine est en permanence amenée à arbitrer entre deux objectifs apparemment antinomiques : d’une part, la nécessité de maîtriser l’évolution climatique, à laquelle nous sommes confrontés, d’autre part, celle de faire preuve de courage durant cette période de transition, afin de poursuivre nos utiles activités économiques parfaitement encadrées. C’est l’une des vertus de cette proposition de loi.

Pour traduire cette situation, je rappelle à mon tour la phrase éclairante de Jean Jaurès : « Le courage, […] c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » Soucieux d’honorer cette valeur, la majorité de mes collègues du groupe RDSE approuveront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. Décidément, Jean Jaurès est à l’honneur, ce matin… (Sourires.)

La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre entend aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, en soumettant les sports mécaniques à des prescriptions dérogatoires. Celles-ci devront concilier leur pratique avec la protection de la tranquillité du voisinage et de la santé humaine.

Les modalités d’application seront à préciser par un décret en Conseil d’État.

Pour faire suite à loi de modernisation de notre système de santé, votée en 2016, le décret Bruits du 7 août 2017 a défini l’ensemble des mesures obligatoires visant à protéger l’audition du public exposé à des sons amplifiés à des niveaux sonores élevés dans les lieux ouverts au public ou recevant du public, ainsi que la santé des riverains de ces lieux.

Plus spécifiquement, cette mesure est venue modifier le niveau sonore applicable aux activités des sports mécaniques en soumettant les circuits au droit commun des bruits de voisinage.

Ainsi, les circuits de sports mécaniques sont désormais soumis à deux réglementations complémentaires : d’une part, les règles techniques et de sécurité édictées par les fédérations délégataires qui fixent les niveaux sonores à la source ; d’autre part, les textes précités qui fixent les émergences sonores émises par l’activité des circuits lorsqu’elles atteignent les habitations riveraines.

Un arrêté pris en 2023 est venu à son tour apporter des précisions.

Dans ce cadre nouvellement défini, l’exposé des motifs de la proposition de loi énonce que les circuits de sports mécaniques « se trouvent soumis à des règles disproportionnées, voire parfois inapplicables […] ».

Plusieurs lieux en France se retrouvent ainsi dans l’incapacité de respecter la réglementation en vigueur, y compris le circuit de Nevers Magny-Cours ou encore le circuit des 24 heures du Mans, ce dernier devant s’adapter à deux niveaux d’émergence sonore différents selon que la période est diurne ou nocturne.

Cette situation paraît en effet difficilement conciliable avec les activités concernées.

En outre, le risque évident de contentieux préoccupe les fédérations sportives délégataires, en raison de l’insécurité juridique et technique dans laquelle elles se trouvent désormais.

Pour répondre à cette problématique, le texte propose de soumettre les sports mécaniques à des prescriptions particulières.

Nous rappelons l’impératif de lutter contre la pollution sonore, ainsi que la Commission européenne l’a encore récemment rappelé.

S’il votera majoritairement en faveur du dispositif proposé, le groupe RDPI souhaite évidemment que les efforts des constructeurs et des organisateurs se poursuivent et que le décret prévu par la proposition de loi fixe une trajectoire, certes praticable, mais ambitieuse, en matière de gestion du bruit. J’ai d’ailleurs pu prendre connaissance de certaines avancées en la matière, notamment dans le domaine du motocyclisme, qui a accompli d’importants progrès pour réduire les nuisances sonores.

Je profite de l’examen de ce texte pour saluer l’engagement des professionnels du spectacle vivant, qui font eux aussi face à d’importantes contraintes en la matière et à une réglementation sonore ambitieuse. En effet, quelque 3 000 festivals musicaux sont concernés en France.

Alors que les professionnels de la filière doivent relever un grand nombre de défis techniques, des expérimentations sont menées afin de concilier la qualité de l’expérience sonore et le respect de l’environnement. Ces démarches complexes, mais volontaristes, préfigurent les festivals de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté ce matin par notre collègue Nathalie Delattre vise à déroger au droit commun en matière de prévention des risques liés aux bruits émis par des circuits automobiles.

Pour rappel, le décret Bruits du 7 août 2017, pris dans la continuité de l’article 56 de la loi de Marisol Touraine sur la modernisation de notre système de santé, permettait de renforcer la protection des riverains exposés au bruit. L’impact des nuisances sonores sur la santé et son coût social sont clairement démontrés par une récente étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Cet impact est à prendre en compte en termes de santé environnementale et de santé humaine.

Comme beaucoup, nous avons été alertés par la difficile application du décret Bruits aux festivals. Je note à mon tour les efforts des fédérations sportives pour s’adapter : organisation de compétitions de véhicules électriques ou encore mise en place d’un baromètre environnemental des sports mécaniques. Il est impérieux d’aller plus avant dans cette voie, car ces activités de loisirs automobiles ont de forts impacts en matière de consommation d’énergie fossile.

Sans méconnaître l’importance de ce secteur, il est nécessaire d’encadrer le dispositif qui nous est proposé, afin que les riverains se sentent suffisamment protégés de toute dérive sonore ouverte par un nouveau décret.

En outre, si nous pouvons entendre l’objectif des auteurs de la proposition de loi, il ne faudrait pas que notre assemblée s’empêche de veiller à ce que des garde-fous soient clairement posés.

À ce titre, nous avons déposé trois amendements dont l’objet est de garantir un meilleur encadrement du dispositif.

Premièrement, il s’agit de rendre obligatoire la consultation du Conseil national du bruit (CNB) dans le cadre de l’élaboration du décret. Celle-ci nous paraît en effet indispensable dans la mesure où cette instance est composée de représentants des collectivités locales, des organisations syndicales, des personnalités qualifiées et des représentants des différents groupements, associations et professions concernés par les problèmes de lutte contre le bruit et d’amélioration de l’environnement sonore.

Certes, le Conseil national du bruit détient un pouvoir d’autosaisine, mais les choses vont mieux en le disant, mes chers collègues ! Cela est d’autant plus vrai que texte laisse peu de marges de manœuvre aux parlementaires que nous sommes, puisqu’il renvoie au pouvoir réglementaire le soin de réviser le décret de 2017.

Deuxièmement, dans le but de sécuriser le dispositif, nous défendons l’insertion d’un nouvel article, qui permettra d’évaluer, au moyen d’un rapport remis au Parlement, la dérogation permise par cette proposition de loi.

Il me semble très important que nous puissions assurer le suivi des décisions que nous prenons ici, car le sujet concerne non pas uniquement la filière des sports mécaniques, mais aussi les riverains. Un rapport d’évaluation permettra de veiller à la bonne application du texte et à un équilibre entre les besoins de l’ensemble des parties prenantes.

Troisièmement, nous proposerons de modifier l’intitulé de la proposition de loi, dans le but d’en clarifier l’objectif.

Ces amendements tendent donc tous à trouver un meilleur équilibre entre la préservation de la filière des sports mécaniques, la préservation de la santé humaine et la protection du voisinage.

Monsieur le rapporteur, j’avoue ne pas comprendre les positions rigides que vous avez exprimées en commission à l’endroit de ces amendements. Vous avez déclaré tout à l’heure avoir cherché à concilier tous les avis : ce n’est pas tout à fait ce que j’ai perçu. J’espère que la discussion qui s’ouvre permettra d’améliorer ce texte, qui, à ce stade, n’exige aucune contrepartie des bénéficiaires de la dérogation prévue.

Par ailleurs, à la suite d’une question écrite de l’un de nos collègues, le ministère a indiqué qu’un groupe de travail avait été mis sur pied. Une réunion interministérielle s’est tenue au mois d’octobre 2021 en présence de la Fédération française de motocyclisme et de la Fédération française du sport automobile.

Madame la ministre, pourriez-vous nous en dire plus sur les avancées de ce groupe de travail ? Avez-vous d’ores et déjà prévu des aménagements au décret ? Si oui, dans quel sens ? Où en sont les conclusions ? (M. Jacques Fernique applaudit.)

Ces éléments auraient sans doute été très utiles pour éclairer notre débat et auraient peut-être rendu cette proposition de loi inutile au regard des évolutions réglementaires envisagées par le Gouvernement.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous demeurons circonspects face au manque de souplesse du rapporteur en commission. Si nos amendements devaient être rejetés en séance publique, nous n’aurions d’autre choix que de nous opposer à cette proposition de loi telle qu’elle nous est soumise. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Mme Elsa Schalck applaudit.)

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant qu’ancien membre du Conseil national du bruit, je ne peux que me réjouir de l’examen de cette proposition de loi, qui nous donne l’occasion de nous exprimer sur le bruit, sujet ô combien sensible pour la majorité de nos concitoyens.

D’emblée, je partage avec vous ma conviction que mieux différencier et mieux encadrer les risques liés aux bruits est une bonne initiative. Ce n’est certainement pas créer un droit à la pollution sonore.

La filière des sports mécaniques en France concerne des technologies au service d’une recherche industrielle de pointe, qui s’intéresse au développement de la sécurité automobile et, bien sûr, au développement économique. Elle représentait, il y a cinq ans encore, environ 13 000 emplois et 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Biocarburants, hybridation, motorisation électrique, remplacement du carbone par le chanvre, télémétrie, aérodynamique, toutes ces technologies viennent initialement de la course automobile et sont maintenant érigées comme d’incontournables standards pour réussir la transition écologique.

Pour saisir l’opportunité de ces innovations, il est essentiel qu’à tous les niveaux et dans toutes les disciplines les sports mécaniques tiennent compte des évolutions de notre société et conservent un écosystème d’infrastructures dynamique. À ce titre, je salue l’emblématique circuit Jean-Pierre-Beltoise de mon département, acteur engagé dans le domaine de la sécurité routière.

Cependant, cette dynamique est aujourd’hui fragilisée ; c’est la raison pour laquelle nous sommes réunis. En effet, depuis 2017, les sports mécaniques pâtissent de l’application d’un régime général sur la sanction des nuisances sonores. Même si l’intention qui en est à l’origine est parfaitement compréhensible, prenons garde de menacer l’existence même d’une activité dynamique dans les territoires.

À terme, en effet, cette règle pourrait devenir néfaste pour toute une filière et priver la France d’opportunités favorisant son rayonnement sportif et industriel.

En appliquant le droit existant, même les très vertueuses formules électriques, pourtant érigées en modèle de la compétition automobile durable, seraient en infraction. En effet, une monoplace électrique a un niveau sonore d’environ 85 décibels ; or un tel seuil de bruit d’activité est suffisant pour contrevenir à la loi. Il s’agit d’un exemple parmi tant d’autres des incohérences qui se glissent parfois dans notre droit et qui pénalisent ce qui est devenu un véritable laboratoire pour une industrie automobile durable et responsable.

Au-delà de l’urgence climatique, les objectifs européens vers lesquels cette industrie doit tendre en matière de transition écologique et de mobilités durables nous rappellent que le temps presse.

En renvoyant les sports mécaniques à un régime différencié du droit commun, nous ferions donc œuvre utile et de bon sens. Il n’est nullement question d’autoriser sans contrôle une pollution sonore active ; il s’agit seulement de mieux encadrer les pratiques. Particulièrement sensible à la problématique du bruit, je souhaite qu’un chemin de crête équilibré soit trouvé. Nos concitoyens et riverains des circuits ont, à l’instar de chaque Français, droit à la tranquillité publique.

Le sport mécanique n’est pas le seul domaine où la lutte contre la pollution sonore peut se concilier avec des objectifs économiques et écologiques. Bien qu’étant en dehors du champ de la loi de 2016, le transport aérien connaît lui aussi des adaptations aux réalités locales, en cas de survol à basse altitude de zones habitées. C’est un problème que le département des Yvelines connaît bien et j’ai d’ailleurs plusieurs fois interrogé le Gouvernement sur la mise en œuvre de trajectoires d’approches aériennes dites « en descente douce ». Cette solution semble convenir à tous les acteurs, preuve que s’adapter à certaines réalités sectorielles est souvent une solution de bon sens.

Malgré tout, le bruit est devenu l’un des maux du monde moderne. L’intensification des transports routier, aérien, ferroviaire, le bruit des activités économiques, la généralisation des casques et écouteurs audio, tout cela fait peser sur notre système auditif de fortes contraintes.

Par ailleurs, la pollution lumineuse est souvent associée au bruit. Tout cela n’est pas sans conséquence sur notre santé, sur la biodiversité ou sur les milieux naturels. Prenons conscience que l’audition est l’une des fonctions de l’organisme qui ne cesse jamais.

Le bruit entraîne pour l’homme des troubles du sommeil, engendre des pathologies cardiovasculaires sérieuses et des dommages auditifs parfois irréversibles. Cette problématique doit être considérée avec le plus grand sérieux.

Plus généralement, je salue le travail de tous les acteurs qui se mobilisent dans le domaine de la lutte et de la prévention contre les nuisances sonores. Je sais les élus locaux et les services de l’État particulièrement engagés, notamment au travers des plans d’exposition au bruit.

Reste que le problème n’est pas que politique ou administratif : il y a un travail de sensibilisation important à mener auprès de nos concitoyens ; de même, certains secteurs comme celui de la construction devront prendre leur part. On entend beaucoup parler de l’isolation thermique des bâtiments, mais peu de l’isolation sonore. Comme la performance thermique, la résilience acoustique d’un bien fait partie du diagnostic immobilier, on l’oublie trop souvent.

Mes chers, collègues, ce texte améliorera la prévention et la lutte contre les nuisances sonores issues des sports mécaniques. Comme cela a été à plusieurs reprises souligné, il ne vise nullement à créer une exception juridique ; il s’agit bien plutôt d’adapter un dispositif trop large, qui ignore la réalité des contraintes sonores liées aux sports mécaniques. Le droit à la différenciation ne rime nullement avec l’octroi de privilèges.

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’avez deviné, nous voterons cette proposition de loi. Nous devons rester vigilants sur son application réglementaire, car le double enjeu économique et sanitaire de ce texte devra être respecté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier.

M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’ensemble de nos territoires, les courses automobiles sont de réels lieux d’échanges et de rencontres. Bien sûr, la Formule 1 ou encore les 24 heures du Mans sont les vitrines de ces sports mécaniques, mais nous avons tous, dans nos départements, un rallye ou des compétitions auto et moto sur les nombreux circuits automobiles que compte la France. C’est une partie intégrante de notre culture.

Sans vouloir paraître chauvin, je vous citerai, pour ma part, le célèbre circuit de Gueux, proche de Reims, classé au patrimoine monumental français, le rallye Épernay-Vins de Champagne, qui a vu débuter Sébastien Loeb dans cette catégorie, ou le passage, certaines années, dans notre beau département, du rallye Monte-Carlo historique.

À titre personnel, j’ai été bercé par les exploits de mon arrière-grand-père, Charles Delfosse, constructeur automobile et pilote automobile dans les années 1920, qui a notamment affronté les 6 heures des routes pavées avec des voitures dont il avait conçu les châssis.

Aujourd’hui, comme l’ont déjà évoqué les orateurs précédents, les sports mécaniques sur circuit sont soumis à de strictes restrictions en matière sonore qui ne correspondent pas à la réalité de ces pratiques, alors même que, depuis de nombreuses années, les fédérations sportives automobiles œuvrent à la réduction de toutes formes de pollutions, y compris sonores.

Les progrès sont sous nos yeux et cette proposition de loi en tire les conséquences. J’en profite pour saluer le travail de l’auteur de ce texte, ainsi que celui du rapporteur et de notre commission.

Nous avons, en effet, été très attentifs aux développements et aux orientations que nous souhaitions engager pour le secteur automobile. De manière générale, nous avons voulu instaurer un cadre permettant à la fois de réduire les nuisances que provoquent les véhicules routiers tout en laissant aux inventeurs la possibilité d’innover en la matière.

Parce qu’il est essentiel de desserrer l’étau quand il exerce une pression trop forte ou qu’il le fait inutilement, nous avons voulu mettre en place des dispositions pragmatiques pour les sports automobiles. Comme cela a été souligné, il n’est pas question de mettre en place un droit à la pollution sonore ; il s’agit au contraire de trouver une voie équilibrée en permettant le développement et la pratique de ce sport tout en tenant compte des contraintes extérieures et des nuisances possibles.

Permettez-moi de relever que les circuits automobiles ne sont pas sortis de terre ces dernières années. En effet, la plupart d’entre eux existent depuis un certain temps. Que les riverains se plaignent maintenant des niveaux sonores peut paraître surprenant… On n’est pas dans un film d’Yves Robert où des quadras achètent une maison de campagne aux abords d’un aéroport un jour de grève des avions ! (Sourires.)

Plus sérieusement, ce texte soulève une question plus profonde. Alors que nous sommes en pleine transition et, particulièrement, en pleine réflexion sur nos modes de transport, il faut rappeler que les avancées techniques développées dans le sport automobile se répercutent sur l’ensemble de l’industrie automobile et servent à tous les conducteurs.

Je ne reviendrai pas sur les données économiques de la filière, pas plus que sur les milliers d’emplois pérennes créés. J’évoquerai simplement l’excellence de la France dans ce domaine, elle qui est reconnue, à travers le monde, pour son savoir-faire en la matière.

Je vous rappelle que le moteur turbo a été développé grâce à la Formule 1. Il en est de même du système d’antiblocage des roues, plus connu sous le nom d’ABS, qui sauve bien des vies depuis qu’il est sur nos voitures de série. Le système de récupération d’énergie cinétique vient également tout droit des circuits de F1. Quant aux freins à disque, ils ont été d’abord présentés lors des 24 heures du Mans.

M. Cédric Chevalier. Bref, ce qui se passe sur nos circuits de sports mécaniques est un véritable accélérateur d’innovation et le travail sur les nuisances sonores en fait partie.

Il faut donc trouver une position équilibrée entre la pratique de ces sports mécaniques et les nuisances sonores qu’ils provoquent. Je rappelle que les filtres intelligents placés au niveau des moteurs réduisent les bruits. De nombreuses améliorations ont été réalisées de ce côté.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants, investi dans le progrès et l’innovation, trouve ce texte équilibré et votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Nadia Sollogoub. « Dans cet univers plein de bruit et de fureur, c’est le bruit des uns qui provoque la fureur des autres. » Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, difficile de trouver plus approprié que cette citation d’Antoine Blondin pour introduire l’examen du texte qui nous occupe aujourd’hui.

Pour autant, bruit et fureur sont relatifs à des lieux et à des circonstances : un bruit insupportable ici peut être jugé tout à fait acceptable là-bas. C’est cette réalité à géométrie variable qui est aujourd’hui interrogée.

Dans un souci de protection de la santé publique, le législateur a souhaité, par un décret pris le 7 août 2017, établir une règle de protection des riverains « des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés ».

Ce texte définit des niveaux sonores à respecter par des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés. Il détermine également des mesures de protection individuelle des risques auditifs, telles que l’information du public, la mise à disposition de protections auditives et la mise en place de dispositions permettant le repos auditif. Les seuils sont fixés en décibels dits « pondérés », des niveaux de pression acoustiques maximums, sur une durée déterminée.

Ces dispositions concernent les activités impliquant la diffusion de sons à des niveaux sonores élevés, tels les festivals.

Le décret comporte également un volet concernant les lieux hébergeant des activités susceptibles d’occasionner la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés, en prenant cette fois en compte un critère d’émergence de bruit, c’est-à-dire la différence entre le niveau de bruit ambiant « comportant le bruit particulier mis en cause » et le niveau de bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels.

Curieusement, on trouve dans ce décret des dérogations pour les bruits provenant des infrastructures de transport et des véhicules qui y circulent, des installations particulières de la défense nationale, des installations nucléaires de base, des installations de transport et de distribution d’énergie, des mines, des carrières, et de certaines installations classées pour la protection de l’environnement, de même, pour une raison qui m’est inconnue, des lieux hébergeant des activités bruyantes situées à Saint-Barthélemy !

Ce cadre, qui se veut de bon sens, prévoit évidemment des dérogations, lesquelles induisent des incohérences. Ainsi, le bruit émis par un véhicule sur une infrastructure routière n’est pas plafonné – comme si l’on considérait qu’il ne représentait pas de risque pour la santé des riverains. Depuis la parution du décret Bruits de 2017, le même bruit émis par le même véhicule peut être interdit s’il est produit dans l’enceinte d’un circuit automobile, et ce pour protéger la santé de ses riverains – comme si la santé des riverains d’une autoroute comptait moins que la santé des riverains d’un circuit automobile…

Ce n’est pas anecdotique en effet, au-delà d’être incohérent, puisque ce système a de graves conséquences pour le sport automobile. Il représente une menace certaine pour les manifestations et, par conséquent, les circuits, qui se trouvent désormais dans une situation juridique fragile.

Nous sommes plusieurs sur ces travées à mesurer le rayonnement des circuits automobiles et leur effet d’entraînement sur les entreprises locales, qui se constituent souvent en pôles techniques, économiques et de formation, véritables creusets de recherche pour nos territoires.

Nous constatons également, pour le pratiquer au quotidien, qu’un fonctionnement dynamique régulier entraîne une attraction touristique et « ruisselle » sur tous les lieux d’hébergement touristique.

Je vous en parle savamment, car, étant élue de la Nièvre, département rural peu connu, combien de fois ai-je constaté que l’unique moyen de faire identifier mon territoire consistait à citer le circuit de Nevers Magny-Cours – et aussi le vin de Pouilly, je dois bien l’avouer… (Sourires.)

Ainsi, certaines populations sont venues s’installer chez nous en raison des occasions professionnelles induites par le circuit. Personne n’a acheté une maison sans remarquer sa présence à proximité. Tous les riverains sont là en connaissance de cause. Le maire me confirme que le circuit tout proche est un atout inestimable pour sa commune et non pas une source de conflits ou de tensions : il a fait venir plus d’habitants qu’il n’en a fait partir.

Il me livre même deux anecdotes révélatrices.

Habitué qu’il est à entendre des moteurs, il me dit reconnaître à l’oreille une F1 des années 1970, tant celle-ci est plus bruyante qu’une voiture contemporaine ! Voilà qui en dit long sur les progrès réalisés dans ce domaine par le sport automobile en général.

Il me dit aussi que le mât de mesure de bruit installé sur le bâtiment de sa mairie lui a permis de constater que les nuisances provenaient surtout des fortes circulations sur l’autoroute toute proche…

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tout état de cause, il faut de la mesure. Citation pour citation, je conclus avec Sénèque : « Ayez le souci de séparer les choses du bruit qu’elles font. » C’est ce que nous faisons en autorisant la circulation sur les axes routiers et le fonctionnement d’équipements industriels pourtant bruyants.

Considérons l’apport indéniable du sport automobile, ses retombées économiques, les avancées technologiques qu’il nous offre. Permettons à nos préfets de reprendre la main et de pouvoir localement, avec discernement, autoriser ce qui peut l’être. Permettons aux acteurs locaux, élus et dirigeants d’équipements sportifs, de mettre en place une solution qui vaut mieux que tous les décrets : la discussion, l’écoute et le travail en bonne intelligence.

Merci donc à notre collègue Nathalie Delattre d’avoir déposé ce texte et à mon collègue du groupe Union Centriste Alain Duffourg d’en avoir été un si bon rapporteur. Mes chers collègues, vous l’aurez compris le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi le pied au plancher ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la pollution sonore est sans doute l’une des pollutions les plus négligées. Pourtant, ses impacts sanitaires sont bien démontrés.

L’Organisation mondiale de la santé nous apprend que le bruit est le second facteur environnemental provoquant le plus de dommages sanitaires, derrière la pollution atmosphérique. Environ 20 % de la population européenne, soit plus de 100 millions de personnes, se trouve exposée de manière chronique à des niveaux de bruit préjudiciables pour la santé.

Cette pollution affecte non seulement la santé humaine, mais aussi presque toutes les branches du vivant. La biodiversité et les espèces animales subissent des perturbations comportementales, de reproduction et de communication en raison du bruit intense. Dans un contexte global déjà délétère pour la faune, il y a urgence à faire moins de bruit.

Selon une étude conjointe du Conseil national du bruit et de l’Ademe, le coût social total du bruit est estimé en France à 147 milliards d’euros chaque année. Rendez-vous compte !

La proposition de loi que nous examinons, qui vise à accorder aux sports mécaniques sur circuit une dérogation à la réglementation antibruit, va donc à contre-courant des préoccupations environnementales, des préconisations issues des rapports scientifiques, du droit européen, de notre code de l’environnement et de celui de la santé publique. Aujourd’hui, ce dernier protège les personnes exposées au bruit des circuits : quoi que l’on en dise, l’adoption de cette proposition de loi serait un recul de leur droit à la santé.

Le groupe écologiste s’y opposera donc. Il est essentiel de maintenir des normes sérieuses. Elles s’imposent au regard des problèmes de santé que provoque l’exposition à des niveaux élevés de bruits : hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires, mortalité prématurée. Cela affecte significativement la santé physique, mentale, en particulier des riverains vivant à proximité des circuits de vitesse qui voient leur bien-être altéré.

À Biltzheim, en Alsace, face au vacarme des bruits de moteurs, d’accélération et de freinage provenant du circuit de l’Anneau du Rhin, mais aussi en raison des effets collatéraux des voitures et motos qui traversent sans retenue les villages voisins du circuit jusqu’à Pfaffenheim, nombre de riverains sont contraints de cocher régulièrement le calendrier des événements du circuit pour quitter à chaque fois leur domicile. Dans ces conditions, monsieur le rapporteur, où est la création du lien social que vous avez vantée ?

Il paraît intolérable de ne pas protéger nos concitoyens par des normes sérieuses. Le décret Bruits de 2017 en contient !

Bien sûr, les circuits suscitent de la ferveur populaire, de la passion, de l’engouement. Nous reconnaissons l’importance économique, sociale et culturelle des sports mécaniques pour les territoires concernés. Cependant, ces sports ne doivent pas être pratiqués au détriment de la santé publique et de la protection de l’environnement.

L’argument – encore entendu ce matin - selon lequel ces circuits existaient avant l’installation des riverains, qui seraient donc venus en connaissance de cause, relève d’une logique à laquelle nous, écologistes, sommes habitués à nous confronter depuis des décennies. Il témoigne, lorsqu’on y réfléchit, d’une conception singulière des principes républicains et de la valeur accordée aux codes de la santé publique et de l’environnement.

Un ancien pilote, directeur d’écurie, ancien responsable de circuit, a récemment affirmé sans ambages que « la moitié de l’intérêt de ce sport vient du bruit du moteur ». Par ces propos, il nous fait crûment comprendre que les sports motorisés doivent se transformer, à l’heure où les engins thermiques sont engagés dans une transition inéluctable vers l’électrique,…

M. Alain Duffourg, rapporteur. Eh oui !

M. Jacques Fernique. … que la culture qu’ils véhiculent doit se remettre en question, évoluer. Les sports mécaniques ont aussi leur propre transition à conduire, et certains en sont parfaitement conscients. Si nous votons cette proposition de loi, nous ne les y aiderons pas.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas. (M. Pierre Barros applaudit.)

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la prévention des risques liés au bruit est un enjeu important, notamment en matière de santé publique. Le bruit peut causer des troubles du sommeil, des maladies cardiovasculaires, des pertes d’audition, mais aussi, tout simplement, dégrader la qualité de vie de nos concitoyens.

Un rapport de l’ONU, publié en 2022, estime que l’exposition durable au bruit ambiant contribue à 48 000 nouveaux cas de cardiopathie et provoque 12 000 décès prématurés par an en Europe, où 22 millions de personnes souffrent de nuisances sonores chroniques. Ces chiffres illustrent bien cette préoccupation importante, qui a poussé certaines communes à expérimenter les radars antibruit.

Si la plupart des réponses apportées s’intéressent à la source du bruit, ce sont aussi les politiques d’aménagement, notamment en favorisant la présence d’arbres et de parcs en ville, ou l’isolation des bâtiments qui permettent d’agir efficacement contre la pollution sonore. Nous devons avancer ensemble en ce sens, vers un apaisement des ambiances, en ville comme à la campagne. L’amélioration de la qualité de vie de tous nos concitoyens est une boussole qui doit guider notre action.

La proposition de loi, selon son intitulé, a pour objet d’aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, mais elle tend en fait à réduire la prévention de ces risques, en particulier au détriment des riverains des circuits automobiles.

Nous comprenons bien l’enjeu, qui est de permettre aux sports automobiles et motocyclistes de vivre. Ceux-ci contribuent à l’attractivité de nombreuses communes et à leur économie, nous n’en doutons pas. La technologie mécanique, l’enjeu des courses et l’agilité des pilotes en font un spectacle pour beaucoup de Françaises et de Français, y compris pour certains riverains de ces circuits.

Toutefois, nous pensons que, puisque des règles régissent les courses, en termes de poids des véhicules, de taille, de carburant, rien n’empêche que des règles régissent aussi les niveaux de bruit. Ces règles-là peuvent tout à fait faire partie du jeu, et être prises en compte par les fédérations. Elles seront même une opportunité pour les fabricants de véhicules et pour les écuries de courses automobiles et motocyclistes d’apporter des innovations aux moteurs, de les rendre plus silencieux tout en étant plus performants.

Ces courses sont un loisir, souvent une passion, et les passions de quelques-uns ne doivent pas constituer une nuisance pour toutes et tous.

La proposition de loi vise à modifier le droit en vigueur pour qu’un décret du Conseil d’État permette à ces courses d’avoir lieu au-delà des normes fixées par le décret Bruits. Nous présenterons tout à l’heure un amendement qui tend à ce que ce décret tienne compte de l’avis du CNB. Le rôle de ce conseil est justement de sensibiliser à ces enjeux, qui semblent malheureusement ignorés par les auteurs de la proposition de loi.

Si cet amendement n’est pas adopté en séance – il ne l’a pas été en commission -, notre groupe, pour préserver la santé et la qualité de vie des riverains des circuits, qui tolèrent déjà des nuisances sonores importantes en l’état actuel du droit, votera contre cette proposition de loi. (M. Pierre Barros applaudit.)

M. le président. La discussion générale est close. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
Insérer un article additionnel après l'article unique - Amendement n° 3

Article unique

Après l’article L. 571-6 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 571-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 571-6-1. – Les sports mécaniques sont soumis à des prescriptions particulières permettant de concilier la pratique de ces activités sportives avec la protection de la tranquillité du voisinage et de la santé humaine.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale d’examen des circuits de vitesse, précise les modalités d’application du présent article, en particulier les valeurs limites pouvant être atteintes par l’émergence du bruit issu des activités de sports mécaniques ainsi que les mesures de prévention des risques pour la santé humaine. »

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par MM. Fernique, Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. J’ai présenté cet amendement au cours de la discussion générale, monsieur le président. Pour terminer dans les temps, nous devons aller vite – mais sans faire trop de bruit ! (Sourires.) Nous pouvons donc considérer que cet amendement est défendu. (Mme Nathalie Delattre et M. André Guiol applaudissent.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Duffourg, rapporteur. Il est défavorable, monsieur le président. Ce texte a trouvé un équilibre pour permettre l’exercice des sports mécaniques tout en protégeant la santé humaine et en préservant les espèces.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, il est nécessaire d’avoir un débat parlementaire sur ce sujet. Le dispositif actuel soulève toute une série de difficultés pour les sports mécaniques et les circuits. Nous devons mieux concilier la pérennité de ces sports avec les impératifs liés à la tranquillité publique et à la santé. Dans cette optique, je considère que la proposition de loi apporte des éléments de réponse, mais qu’elle pourrait encore être améliorée. Nos réflexions doivent se poursuivre.

L’objectif est d’éviter les effets de bord sans remettre en question tout l’édifice mis en place depuis 2016. Il s’agit de trouver une réponse adaptée et proportionnée à la question des circuits automobiles, sans démanteler ce qui a été établi jusqu’à présent. Ainsi, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur cet amendement, tout en souhaitant, je le répète, que le débat se poursuive et que des réflexions puissent être menées afin de trouver les bons équilibres.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.

Mme Nathalie Delattre. Le groupe RDSE ne votera pas cet amendement de suppression, bien sûr : nous souhaitons faire vivre le débat et prospérer cette proposition de loi. Mais je salue la courtoisie de mon collègue Jacques Fernique, qui veille à ce que nous aboutissions dans les temps.

M. le président. La courtoisie est la règle, au Sénat ! (Sourires.)

La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.

M. Jacques Fernique. Permettez-moi tout de même de faire remarquer que le décret date de 2017, et que nous sommes à la fin de 2023. Je comprends la préoccupation de trouver un équilibre et d’éviter toute mesure inapplicable ou disproportionnée, mais existe-t-il vraiment une volonté d’avancer en ce sens ? Nicole Bonnefoy évoquait la réponse du Gouvernement à Patrice Joly sur ce sujet en 2021 : on nous avait dit qu’un groupe de travail était en place pour réfléchir sur ces questions. À quoi a-t-il abouti ?

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 1 est présenté par Mme Varaillas, MM. Barros, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 2 est présenté par Mme Bonnefoy, MM. Gillé et Kanner, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 7 est présenté par Mme Havet.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Après le mot :

vitesse

insérer les mots :

et du Conseil national du bruit

La parole est à M. Pierre Barros, pour présenter l’amendement n° 1.

M. Pierre Barros. Comme Jacques Fernique, je veillerai à être bref, pour nous permettre d’aboutir dans les temps.

Nous ne pouvons pas légiférer au cas par cas. Chaque problème entraîne une loi et cela génère un cycle incessant de sollicitations. Ce que nous proposons avec cet amendement, c’est de prendre en premier lieu l’avis du CNB. Certes, le travail législatif a toute sa place, mais les instances compétentes dans ces domaines doivent être consultées et il faut travailler avec elles. Cette proposition a d’ailleurs été saluée par l’Association AntiBruit de Voisinage, qui lutte contre les effets collatéraux des sports mécaniques.

Le bruit est un sujet sensible, et très technique dès qu’on envisage l’isolation et la correction acoustique. L’échelle n’est pas logarithmique : une augmentation de 3 décibels double la pression acoustique. Les stratégies pour réduire la pollution sonore sont souvent très coûteuses et contraignantes. Certes, les sports mécaniques contribuent à l’évolution technologique et proposent des moteurs moins bruyants, mais des mesures conséquentes devront être prises pour garantir une correction acoustique adéquate et réduire les nuisances sonores. Les constructeurs et les gestionnaires de circuits seront confrontés à de nombreux défis.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour présenter l’amendement n° 2.

Mme Nicole Bonnefoy. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure dans la discussion générale, nous souhaitons une consultation obligatoire du CNB. Cette instance est parfaitement compétente pour traiter le sujet que nous évoquons. Certes, elle a la faculté de s’autosaisir, comme je l’ai souligné précédemment, mais il serait mieux que sa consultation soit prévue dans la proposition de loi. Le CNB rassemble des représentants des collectivités territoriales et des organisations syndicales, des personnalités qualifiées ainsi que des représentants des différentes associations et professions impliquées dans la lutte contre le bruit et l’amélioration de l’environnement sonore : autant de personnes compétentes sur ce sujet. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pourrions pas inscrire dans la loi sa consultation obligatoire.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 7.

Mme Nadège Havet. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Duffourg, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces amendements, car le ministère de l’environnement peut saisir le CNB – qui peut aussi s’autosaisir.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Il s’en remet à la sagesse du Sénat. Le texte prévoit déjà la consultation pour avis de la Commission nationale d’examen des circuits de vitesse, et cette commission est consultée en amont de l’homologation des circuits. Elle dispose d’une expertise avérée dans ce domaine. Le code du sport dispose qu’elle a pour mission de vérifier que les circuits respectent les règles techniques de sécurité et de proposer les dispositions qu’elle estime justifiées pour la sécurité et la tranquillité publiques, ce qui prend en compte la lutte contre les nuisances sonores.

Ainsi, il me semble que l’objectif visé par ces amendements est déjà pleinement atteint, sans qu’il soit besoin d’ajouter la consultation obligatoire d’une autre instance. Je ne remets aucunement en question la légitimité du CNB, mais il est inutile d’alourdir la procédure.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 2 et 7.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article unique.

(Larticle unique est adopté.)

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
Intitulé de la proposition de loi

Après l’article unique

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Gillé et Kanner, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de la mise en œuvre du décret prévu au deuxième alinéa de l’article L. 571-6-1 du code de l’environnement et de ses conséquences sur les activités mécaniques, l’environnement, la santé et la tranquillité des riverains.

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Par cet amendement, nous demandons la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de la présente loi dans les deux ans suivant sa promulgation. Nous regrettons en effet que cette proposition de loi pose le principe général d’une dérogation sans contrepartie réelle pour les sports mécaniques et sans aucune disposition permettant d’accompagner les collectivités territoriales dans la mise en place de futurs aménagements. Ce texte met ainsi sur un même plan la pratique des activités mécaniques sportives et la protection du voisinage et de la santé humaine.

En d’autres termes, la question économique et sportive devra s’apprécier au même titre que celle de la santé et des nuisances sonores. En renvoyant à un décret le soin de fixer le cadre de ces nouvelles règles, ce texte prive le législateur que nous sommes de la possibilité de veiller à trouver un équilibre qui satisfasse toutes les parties prenantes. Nous estimons donc nécessaire d’y introduire une sorte de clause de revoyure.

Nous savons que le Sénat tente de limiter au maximum le nombre de rapports, mais certains sont nécessaires ! Celui-ci présente un intérêt important, et il sera certainement apprécié et attendu par les nombreux riverains de circuits automobiles.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Duffourg, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, car, fidèle à sa jurisprudence, le Sénat n’est guère enclin à faire droit aux demandes de rapport.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Il est défavorable.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Cet amendement peut sembler intéressant, mais, traditionnellement, les demandes de rapport ne sont pas notre tasse de thé… De fait, il est rare que les gouvernements nous fournissent les rapports demandés.

L’application des lois fait l’objet d’une réunion annuelle, à laquelle je participe en tant que président de la commission de l’aménagement du territoire. Je serai très vigilant, car le sujet soulevé par Nicole Bonnefoy est pertinent.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Insérer un article additionnel après l'article unique - Amendement n° 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 4, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Gillé et Kanner, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Ouizille, Uzenat, M. Weber et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi l’intitulé de la proposition de loi :

Proposition de loi visant à instaurer un régime dérogatoire applicable aux sports mécaniques en matière de prévention des risques liés aux bruits

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Cet amendement de bon sens vise à rendre l’intitulé de la présente proposition loi conforme à son contenu. Nous sommes attachés à la bonne intelligibilité de la loi et à sa clarté. Le titre actuel ne semble pas en lien avec le dispositif proposé. Pis, nous avons le sentiment qu’il vise à dissimuler quelque peu la vraie nature de ce texte, puisqu’il ne fait pas référence aux sports mécaniques.

Nous proposons donc de renommer cette proposition de loi comme suit : « Proposition de loi visant à instaurer un régime dérogatoire applicable aux sports mécaniques en matière de prévention des risques liés aux bruits. »

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par MM. Fernique, Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi l’intitulé de la proposition de loi :

Proposition de loi visant à court-circuiter la prévention des risques liés aux bruits pour les sports mécaniques.

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. L’objet de cet amendement est non pas de débattre pour ou contre la proposition de loi, mais simplement de rectifier une erreur de rédaction, ce qui devrait faire consensus… Les auteurs de la proposition de loi nous indiquent qu’à ce jour, les circuits de sports mécaniques « se trouvent soumis à des règles disproportionnées, voire parfois inapplicables, mettant en péril l’avenir de ces sports en France ». L’intitulé de la proposition de loi ne reflète donc pas l’objectif visé.

Or il convient d’être précis dans l’intitulé des textes soumis au vote du Parlement. Le présent amendement vise à remettre en cohérence l’intitulé et l’objet de la proposition de loi, de manière claire et précise. Nous avons formulé deux propositions, entre lesquelles nous pourrons choisir la rectification appropriée. Il s’agit à notre sens d’une proposition de loi visant à court-circuiter la prévention des risques liés aux bruits dans les sports mécaniques.

Jean Jaurès a été cité tout à l’heure – j’ignorais sa passion pour les voitures de course ! (Sourires.) Je répondrai en citant Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Duffourg, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 4, car la proposition de loi n’exclut pas les sports mécaniques de la prévention des risques liés au bruit. Au contraire, elle aménage cette prévention pour la leur rendre pleinement applicable.

Avis défavorable aussi sur l’amendement n° 6, car l’expression « court-circuiter » ne serait pas non plus appropriée dans l’intitulé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Il s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 4. Sur l’amendement n° 6, il émet un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.

Mme Nathalie Delattre. Je tiens à remercier une fois de plus le rapporteur et son équipe pour le travail accompli, ainsi que tous les groupes qui soutiennent cette proposition de loi, et même ceux qui ne sont pas en accord avec elle, car leurs interventions ont permis des échanges constructifs. Je me réjouis de voir qu’elle est en passe d’être adoptée par le Sénat. J’ai confiance en la suite du processus législatif, pour que ce texte réponde aux attentes de chacune et de chacun d’entre nous.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.

Mme Nicole Bonnefoy. Je voudrais exprimer un regret : nos amendements, constructifs, n’ont pas été adoptés. J’ai bien pris note de l’intérêt exprimé par le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable quant à la mise en œuvre de ce texte. Je le lui rappellerai, si besoin ! (Sourires.) La question du bruit est en effet majeure. La majorité des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront contre cette proposition de loi ; quelques-uns parmi nous la soutiendront.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Cédric Chevalier et Thierry Cozic applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Je voudrais remercier l’auteure de cette proposition de loi, ainsi que le rapporteur, et vous remercier toutes et tous – même ceux qui ont voté contre. Ce fut en effet un débat très intéressant, qui nous a permis de nous exprimer. Le bruit est une question qui doit réellement nous interpeller, et nous devons être particulièrement vigilants à ce sujet.

Je connais Nicole Bonnefoy, et je sais qu’elle ne lâchera rien. Je m’engage, également auprès de Jacques Fernique, à assurer le suivi de ce texte. En tant que président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, il est important pour moi de garder une oreille attentive, si j’ose dire, aux effets néfastes du bruit. (Sourires.)

Nous avons travaillé rapidement, en quelques semaines à peine. J’espère que ce texte sera tout aussi bien suivi à l’Assemblée nationale pour une application rapide.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce temps d’échanges. Je félicite Nathalie Delattre pour sa volonté de trouver les meilleurs équilibres possible. Je suis heureuse que le débat puisse à présent se poursuivre et être approfondi dans le cadre de la navette parlementaire.

Nous devons, d’un côté, préserver les sports mécaniques, et, de l’autre, ne rien lâcher en matière de santé publique et dans la défense de l’environnement. Nous avons besoin du législateur et de la loi pour avancer.

Le groupe de travail a montré sa portée et ses limites, comme vous l’avez dit à plusieurs reprises. Aujourd’hui, pour poser les curseurs aux bons endroits, c’est au niveau de la loi que nous avons besoin d’agir. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits
 

4

 
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2024

Discussion d’un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024 (projet n° 127, rapport général n° 128, avis nos 129 à 134).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, cher Thomas Cazenave, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, de saluer la présence dans cet hémicycle de Raphaël Zahiri, qui m’accompagne dans le cadre de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.

Vous savez à quel point nous sommes sensibles – le Gouvernement et l’ensemble de la majorité –, comme du reste vous tous, je le pense, mesdames, messieurs les sénateurs, à la question de l’insertion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail.

Je le dis à Raphaël et, à travers lui, à toutes les personnes porteuses d’un handicap : vous avez – et vous devez avoir – toute votre place dans notre société. Vous pouvez compter sur notre engagement total en la matière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’exprime devant vous aujourd’hui sur le projet de loi de finances pour 2024, dans une période économique complexe.

Chacun voit que la conjoncture internationale ralentit.

Chacun voit que plusieurs de nos partenaires, y compris les plus proches, connaissent un ralentissement de leur croissance et que certains sont même confrontés à la récession.

Chacun mesure également que, même si elle reflue, l’inflation continue de pénaliser nos compatriotes, en particulier les plus modestes, malgré les mesures prises ces derniers mois et le début d’un ralentissement des prix.

Chacun voit que des inquiétudes fortes sont nées de la situation au Proche-Orient et de la persistance de la guerre en Ukraine.

Dans cette période difficile, je veux redire ma confiance dans la capacité de l’économie française à tenir bon et dégager des perspectives positives pour l’avenir.

Tout d’abord, nous avons de la croissance, ce qui n’est pas le cas partout en Europe ni dans la zone euro. Nous aurons 1 % de croissance en 2023, comme je m’y étais engagé. En outre, la Commission européenne vient de réévaluer le taux de croissance de la France pour 2024 à 1,2 %, son estimation étant proche de celle du Gouvernement de 1,4 %.

Ensuite, l’inflation reflue en France et dans la zone euro. Nous sommes donc en train de gagner la bataille contre l’inflation en un peu moins de deux ans, alors que dans les années 1970, dans une situation similaire, nous avions mis dix ans à sortir de la crise inflationniste.

L’emploi marque certes le pas, mais des perspectives de créations d’emplois dynamiques subsistent pour les années qui viennent, des projets industriels d’intérêt national majeur devant encore être mis en œuvre.

J’ai donc l’absolue conviction que si nous prenons les bonnes décisions dans les mois à venir, si nous poursuivons les transformations indispensables de notre modèle économique et social afin d’inciter davantage au retour à l’emploi, la France réussira dans les prochaines décennies.

Encore faut-il tenir une ligne très claire et très ferme, tout d’abord sur les comptes publics.

Ce projet de loi de finances garantit un déficit public de 4,4 % pour 2024, objectif que Thomas Cazenave et moi tiendrons. Nous avons toujours tenu nos objectifs en matière de déficit, sauf pendant la période exceptionnelle du covid-19. Je tiens donc à ce que notre parole conserve la même crédibilité pour les années qui viennent.

Nous tiendrons ces 4,4 % et la réduction des dépenses publiques qui l’accompagne, tout d’abord en sortant des boucliers tarifaires sur l’électricité et sur le gaz.

Je le rappelle, nous continuons à payer aujourd’hui plus de 30 % de la facture d’électricité des ménages. Nous continuons donc de protéger nos compatriotes contre l’augmentation des prix de l’électricité.

Toutefois, dès lors que la situation revient à la normale, il me paraît légitime d’abandonner progressivement les dispositifs de soutien, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages. Nous avons ainsi mis fin au bouclier tarifaire sur le gaz ; nous ferons de même, d’ici au 1er janvier 2025, pour le bouclier tarifaire sur l’électricité.

L’excellent rapporteur général, Jean-François Husson, a proposé d’accélérer la sortie du bouclier tarifaire sur l’électricité. Je le remercie d’avoir fait cette proposition, qui me semble bonne, utile, intéressante et justifiée.

Nous sommes prêts à le faire, à condition que la hausse du prix de l’électricité pour les ménages soit limitée à 10 % en février 2024 et de l’expliquer très clairement à nos concitoyens. J’en ai pris l’engagement auprès d’eux et j’aime tenir mes engagements.

J’ajoute que nous ferons aussi des économies en matière de politique de l’emploi et en supprimant des dispositifs à destination des entreprises.

Ensuite, nous respecterons l’objectif de réduction de la dépense publique grâce aux revues de dépenses voulues par la Première ministre et mises en œuvre depuis plusieurs mois.

Nous avons déjà engagé certaines de ces revues. Elles nous permettront de dégager, à terme, 2 milliards d’euros d’économies sur le dispositif Pinel et sur le prêt à taux zéro (PTZ), ainsi que plusieurs centaines de millions d’euros sur les politiques de l’emploi.

Enfin, nous parviendrons à atteindre cet objectif en réalisant les économies supplémentaires proposées par les parlementaires. Les députés ont fait des propositions, les sénateurs peuvent évidemment à leur tour suggérer de nouvelles économies, comme l’a fait le rapporteur général. Je leur prêterai toujours une oreille attentive.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. À cet égard, je salue le travail réalisé par la majorité à l’Assemblée nationale, notamment par l’autre excellent rapporteur général, Jean-René Cazeneuve, qui a permis de dégager 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires par rapport à la copie du Gouvernement, notamment grâce au gel des allégements de charges sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic et à la reconduction de la contribution sur la rente inframarginale (Crim).

Je veux qu’il n’y ait aucun doute : le temps des économies est venu.

Nous tiendrons l’objectif de 4,4 % de déficit public en 2024, je m’y engage, de même que nous tiendrons celui de revenir sous les 3 % de déficit public en 2027. Nous le devons à nos compatriotes ; nous le devons également à nos partenaires européens. Nous devons inscrire le sérieux budgétaire dans la durée, avec calme, clarté et détermination.

Nous poursuivrons donc les revues de dépenses. Toutes les dépenses publiques seront soumises à évaluation.

Nous commencerons par cibler une dizaine de secteurs d’ici à la fin de l’année 2023. Toutefois, d’ici au printemps 2024, trois revues de dépenses auront lieu – une première revue, annoncée par la Première ministre, est déjà en cours, une deuxième sera lancée en début d’année prochaine et une troisième, au début du printemps – afin d’examiner plus d’une quarantaine de programmes de dépenses publiques.

Il s’agira d’identifier là où l’argent public est utile et efficace – dans ce cas, la dépense doit être conservée – et là où, en revanche, il est mal employé et ne donne pas les résultats attendus – la dépense doit alors être réduite. C’est tout simplement faire preuve de responsabilité.

Au-delà des revues de dépenses publiques, il est indispensable d’engager une réflexion globale sur les missions de l’État, sur le périmètre de l’action publique, sur nos choix fondamentaux de politique sociale et sur l’enchevêtrement des compétences.

Sur ce sujet, une mission a été confiée au député Éric Woerth,…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Lisez le rapport sénatorial, cela vous fera gagner du temps !

M. Bruno Le Maire, ministre. … qui sera auditionné par le Haut Conseil des finances publiques locales sur ses propositions visant à simplifier la vie des collectivités locales et, plus globalement, l’organisation de la gouvernance.

Ce sera l’un des grands enjeux de 2024.

Notre stratégie de réduction de la dépense publique peut donc se résumer ainsi : mettre fin aux dispositifs exceptionnels liés au covid-19, engager des revues de dépenses publiques, interroger plus globalement la structure de l’État et l’organisation administrative de la France afin d’aller vers plus de simplification et plus d’efficacité.

Pour rétablir les comptes publics, il nous faut aussi tenir une ligne très claire et très ferme sur notre stratégie économique et donc sur la croissance.

En effet, le plus important pour réduire la dette et accélérer le désendettement de la France, c’est d’avoir de la croissance, laquelle permet de créer des emplois et de la richesse pour nos compatriotes.

Je refuse l’austérité, car elle n’a jamais permis de rétablir les comptes publics, en tout cas pas de manière constructive. Je crois à la responsabilité, ainsi qu’au soutien à la croissance et à l’activité.

Nous maintiendrons donc la politique de l’offre, qui a fait le succès de notre politique économique et rendu la France attractive pour les investisseurs étrangers ces sept dernières années.

Grâce à cette politique, je le répète, nous avons créé 2 millions d’emplois, dont 100 000 emplois industriels, ouvert 300 usines, relancé des filières industrielles, comme celle des batteries électriques, et fait de la France le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe.

Cette détermination à poursuivre la politique de l’offre se lit d’ailleurs dans le projet de loi de finances pour 2024 au travers de la baisse de 1 milliard d’euros des impôts de production, qui doit nous conduire à supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dans les meilleurs délais possible.

Dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons, la seule baisse d’impôts majeure prévue en 2024 dans le présent projet de loi de finances est à destination des petites et moyennes entreprises (PME), du monde industriel et des entreprises. On ne peut exprimer plus clairement notre détermination à tenir notre ligne économique et notre politique de l’offre.

Par ailleurs, nous renforcerons cette politique de l’offre dans les prochains mois en réalisant un effort massif afin de simplifier la vie des entreprises. J’en appelle à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs : toutes les propositions de simplification de la vie des entreprises, en particulier des plus petites d’entre elles, seront les bienvenues.

Simplifier les règles, simplifier les normes, simplifier les contraintes pour permettre à nos entrepreneurs de tout simplement se concentrer sur la création de valeur et la création d’emplois : c’est la clé absolue du succès de notre politique économique.

Nous devons ensuite continuer à viser aussi, dans les trois prochaines années, le plein emploi.

J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, mais je le répète devant la représentation nationale : la France bute, depuis cinq décennies – un demi-siècle ! –, sur le taux de chômage de 7 %. Quand cela va mal, le taux de chômage atteint 10 % en France, et quand cela va bien, il s’établit à 7 %. Nous naviguons entre ces 7 % et 10 %, sans jamais être parvenus, depuis un demi-siècle, au plein emploi, soit un taux de chômage de 5 %, ce qui est la règle pour d’autres grands pays développés, comme l’Allemagne ou les États-Unis.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un taux de chômage de 7 %. Le plein emploi, c’est 5 % ! C’est l’objectif qui a été fixé par le Président de la République, c’est l’objectif qui doit être atteint.

Cela étant, je vous le dis avec franchise : selon moi, nous n’atteindrons pas un taux de chômage de 5 % à modèle social constant. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Pascal Savoldelli. Ah ! C’est cela !

M. Bruno Le Maire, ministre. Dans le fond, la gigantesque hypocrisie française, c’est d’avoir construit un modèle social où le plein emploi serait atteint avec un taux de chômage de 7 %, non de 5 %.

Je souhaite donc que nous nous donnions collectivement les moyens d’atteindre réellement le plein emploi et de garantir à chaque Français, quel que soit son âge, quelle que soit son origine, quelle que soit sa formation, qu’il trouvera facilement un travail et qu’il n’aura pas à s’inquiéter pour son avenir ou celui de ses enfants.

Pour cela, il faut ouvrir des chantiers et poursuivre, résolument, sur la voie de la transformation de notre modèle économique et social.

Le premier chantier est celui de l’assurance chômage.

La première des discriminations à l’emploi, c’est l’âge. En effet, quand vous avez plus de 55 ans, on vous ferme les portes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il serait temps de le découvrir !

M. Bruno Le Maire, ministre. Cette discrimination est invisible, tacite, sournoise, mais elle est réelle.

Avec toutes sortes de prétextes, de contournements et d’explications plus ou moins fallacieuses, une entreprise vous ferme les portes à partir de 55 ans, considérant que vous coûtez trop cher et que vous feriez mieux de prendre votre retraite.

Voilà la réalité inavouable du modèle social français ! Voilà une réalité à laquelle je ne me résignerai jamais, car je considère, approchant moi-même de cet âge, qu’à 55 ans et bien au-delà, on a des compétences, un savoir-faire, une expérience et une histoire à partager, qui sont précieux pour l’économie française et pour les entreprises.

M. Michel Canévet. C’est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre. Toutefois, il est évident qu’une durée d’indemnisation du chômage de vingt-sept mois pour les plus de 55 ans, contre dix-huit mois pour nos autres compatriotes, est une assez faible incitation à reprendre un emploi. Là encore, de manière hypocrite ou déguisée, on transforme l’assurance chômage en retraite.

Mme Raymonde Poncet Monge. Que faisons-nous alors ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Je refuse de continuer à valider ce modèle, car je considère qu’il prive l’économie française de compétences qui lui seraient précieuses.

Ces règles doivent donc être modifiées. Aussi, je suis favorable à l’alignement de la durée d’indemnisation du chômage des plus de 55 ans sur celle des autres chômeurs.

Je souhaite que les entreprises arrêtent d’expliquer aux seniors qu’ils coûtent trop cher et qu’elles prennent toutes leurs responsabilités en accordant aux plus de 55 ans la place qui leur revient.

Mme Raymonde Poncet Monge. On fait comment ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Peut-être devons-nous pour cela travailler ensemble sur d’autres dispositifs, qui, en plus de l’index seniors, permettraient d’inciter les entreprises à les garder et à les maintenir en activité.

Je vous le dis avec beaucoup de force, de gravité et de détermination : une société qui se prive des compétences des plus de 55 ans est une société hypocrite, qui n’a pas compris les évolutions attendues par tous ceux qui ont de l’envie, des compétences et de l’énergie à faire valoir et à partager.

Mme Raymonde Poncet Monge. Dites-le au Medef !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le deuxième chantier est celui du logement.

Sur ce sujet également, regardons les choses en face et arrêtons avec l’hypocrisie de notre modèle social ! Nombreux sont les jeunes qui ne peuvent pas démarrer dans la vie active et accepter une offre d’emploi aux Herbiers, un coin cher à Bruno Retailleau, faute, tout simplement, de logements disponibles et accessibles. Les entreprises recherchent pourtant désespérément des compétences.

Il faut donc construire plus vite et mieux. Pour cela, nous avons besoin de mesures fortes.

M. Bruno Retailleau. Pas du zéro artificialisation nette !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour ma part, je suis prêt à étudier toutes les propositions qui nous permettront de construire plus rapidement, en particulier dans les zones tendues.

Ce travail passera par une simplification massive et par un échange très approfondi entre les maires et le Gouvernement pour déterminer à qui doit revenir la responsabilité de cette construction, et des financements qui vont avec, afin de nous assurer d’aller plus vite.

M. Bruno Retailleau. Nous avons des idées !

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le président Retailleau, je sais que vous et votre groupe avez des idées.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je serais très heureux que nous puissions les partager. D’autres groupes sont également les bienvenus.

M. Pascal Savoldelli. C’est une réunion de groupe, nous l’ignorions !

M. Bruno Retailleau. Vous êtes les bienvenus !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le troisième chantier est celui de la productivité.

Cessons une fois encore de nous mentir à nous-mêmes, comme nous le faisons au sujet du modèle social, de l’assurance chômage ou du logement.

La productivité européenne est en berne, et c’est un drame économique. Elle est en berne parce que l’Europe n’œuvre pas assez pour l’accroître.

Elle est en berne parce que l’Europe n’a pas encore créé l’union des marchés de capitaux pour laquelle je me bats depuis cinq ans. Or une telle union nous permettrait de lever les fonds nécessaires pour innover plus vite et davantage.

Si nous ne créons pas, dans les trois ans qui viennent, l’union des marchés de capitaux, il n’existera pas d’intelligence artificielle européenne. L’intelligence artificielle sera entièrement aux mains des Américains et des grandes entreprises privées américaines.

Pour gagner en productivité, il faut gagner en innovation. Pour gagner en innovation, il faut gagner en moyens de financement. C’est un chantier majeur pour lequel je veux continuer à me battre : plus d’argent pour l’innovation et plus d’innovation pour la productivité.

L’innovation doit aussi être partagée par tous. Chacun doit pouvoir y avoir accès, quelle que soit son origine, quel que soit le territoire où l’on vit, quel que soit son sexe.

Comment notre Nation peut-elle se résigner à compter aujourd’hui moins d’ingénieurs femmes qu’elle en avait voilà vingt ans ? Comment traiter ce sujet afin de faire en sorte que plus de jeunes femmes s’engagent dans une carrière scientifique et deviennent ingénieurs ?

J’avais proposé la mise en œuvre de quotas dans les classes préparatoires pour les jeunes femmes. Je persiste et je signe : s’il faut passer par l’établissement de quotas pour avoir plus de jeunes femmes ingénieurs, alors faisons-le !

M. Thomas Dossus. Parlez-en au ministre !

M. Bruno Le Maire, ministre. Ne nous résignons jamais à ne compter que 20 % de femmes ingénieurs en moyenne.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Parlez-nous du budget plutôt !

M. Bruno Le Maire, ministre. Tout notre système est organisé pour que ce soit des hommes qui s’orientent vers les sciences et les métiers d’ingénieurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le banc des ministres manque de femmes !

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est en travaillant à cette innovation pour tous que la France redeviendra une grande Nation d’innovation, qu’elle gagnera en productivité et en prospérité.

Le quatrième chantier est celui de la réindustrialisation.

Je le répète, notre ambition est de redevenir une grande nation de production et la première économie décarbonée en Europe à l’horizon 2040.

L’hypocrisie et les mensonges ont, là encore, fait des ravages. À force de promettre aux Français des lendemains qui chantent, en mettant en œuvre une politique de production uniquement centrée sur la consommation et le consommateur, en redistribuant des richesses qui n’avaient pas été créées, nous avons appauvri la France au cours des décennies passées.

En redevenant une Nation de production, avec des usines, des exploitations agricoles et des produits à forte valeur ajoutée, nous aurons des salariés mieux payés, mieux formés et mieux qualifiés, plus de prospérité à partager et un modèle social qui tient.

Aucun modèle social généreux n’est possible sans production de masse. Aucun modèle social ne tiendra à l’avenir si la France ne redevient pas une grande Nation de production industrielle et agricole. C’est une priorité absolue !

Là aussi, nous avons marqué des points. La politique fiscale que nous avons menée – l’abaissement des impôts sur les sociétés, la suppression de certains impôts de production, la simplification pour les entreprises industrielles, le vote de la loi relative à l’industrie verte, le crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte (C3IV) – doit nous permettre de gagner cette bataille de la production – des usines, des ouvriers, des ingénieurs –, qui nous permettra demain de financer, non pas à crédit, mais sainement notre modèle social et la solidarité qui va avec.

Pour cela, nous devons nous saisir de l’opportunité historique que nous offre la transition climatique.

À cet égard, la loi relative à l’industrie verte, qui a été largement adoptée, notamment dans cette enceinte, doit nous permettre d’atteindre cet objectif. Elle permettra notamment de réduire les délais d’installation d’usines, de faciliter l’accès au foncier, de mieux flécher les investissements pour produire des éoliennes, des panneaux solaires, des batteries électriques et des pompes à chaleur.

Si nous voulons gagner la bataille de la production, de la relocalisation industrielle et des usines, il faut non seulement investir massivement dans la formation, dans l’innovation et dans l’ouverture de ces usines, mais aussi nous doter des mêmes instruments de protection que ceux dont disposent la Chine et les États-Unis.

Je suis favorable à ce que nous livrions, tous ensemble, la bataille pour le contenu européen dans les règles européennes. L’octroi d’aides, par exemple à la création de batteries solaires et à l’ouverture de champs éoliens offshore, devrait être assorti d’une obligation de contenu européen, à hauteur de 60 % ou 70 %, comme cela se pratique en Chine ou aux États-Unis.

Si nous ne respectons pas les mêmes règles que ces pays et si nous ne créons pas une règle du contenu européen, il y a fort à parier que le marché européen deviendra un supermarché pour les puissances étrangères, mais qu’il ne nous permettra pas de développer notre propre capacité industrielle.

Je suis donc favorable, je le redis, à des règles de contenu européen dans la législation européenne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tout cela suppose – je le répète – des comptes publics bien tenus, le retour à l’équilibre de nos comptes et l’accélération du désendettement. C’est exactement ce à quoi Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des comptes publics, et moi-même nous engageons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Bruno Belin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois tout d’abord vous dire ma joie d’avoir aujourd’hui à mes côtés un commissaire du Gouvernement pour qui c’est une première, M. Santiago Forestier. Il partage nos travaux dans le cadre de la sixième édition de la Journée pour l’inclusion des personnes en situation de handicap, DuoDay 2023. Comme Bruno Le Maire l’a indiqué, notre combat pour une société plus inclusive passe aussi par de telles initiatives. En 2022, le Duoday a permis à près de 35 000 personnes en situation de handicap d’amorcer un parcours d’insertion.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je suis heureux, comme Bruno Le Maire, de vous présenter le projet de loi de finances pour 2024.

Nous avons récemment débattu du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Hier, vous avez voté les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.

Vous ne serez pas surpris, le projet de loi de finances pour 2024 s’inscrit dans la même trajectoire et porte la même ambition que les textes financiers que j’ai déjà présentés et défendus devant vous.

Notre vision est cohérente et claire. Nous souhaitons maîtriser nos finances publiques. Nous souhaitons poursuivre notre soutien à l’emploi et à l’activité. Nous souhaitons investir dans l’avenir.

En ce qui concerne la maîtrise des finances publiques, tout d’abord, le projet de loi de finances pour 2024 confirme la trajectoire que nous avons inscrite dans le projet de loi de programmation. En 2018, nous avions réduit le déficit public, qui était repassé sous la barre des 3 %. Cela nous a permis de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour protéger massivement les Français.

Pendant la crise sanitaire, je tiens à le rappeler, nous avons protégé les emplois avec la mise en place du chômage partiel ; nous avons protégé les entreprises avec le fonds de solidarité ; nous avons protégé les ménages les plus en difficulté avec l’aide exceptionnelle de solidarité.

Face à l’inflation et à la hausse des prix de l’énergie, l’État a pris en charge une grande part des augmentations pesant sur les ménages, sur les entreprises et sur les collectivités grâce au bouclier tarifaire, à l’amortisseur et aux dispositifs de soutien ciblés. Face à la hausse des prix, nous avons continué à soutenir les Français avec la revalorisation des prestations sociales, la prime exceptionnelle de rentrée ou encore la remise carburant.

Ces aides ont permis à notre économie de tenir bon. Notre taux de chômage est historiquement bas. Notre croissance, de 1 %, est solide, supérieure à la moyenne européenne. Les entreprises ont continué de se développer et de produire.

Comme Bruno Le Maire l’a souligné, nous sommes également en train de gagner la bataille de l’inflation.

Grâce à ce choix de la protection, mais aussi et surtout aux réformes structurelles que nous avons menées, nous sommes en train de sortir de ces crises. Néanmoins, cette politique a eu un coût, que nous payons au prix fort du fait de l’augmentation des taux d’intérêt, qui alourdit la charge de la dette.

Il nous faut donc acter la fin du « quoi qu’il en coûte », sans renoncer aux investissements et aux politiques prioritaires. Tel est le sens du projet de loi de finances pour 2024.

La trajectoire que nous nous sommes fixée prévoit un déficit public de 4,4 % pour 2024. C’est une nouvelle étape importante, qui doit nous permettre de repasser sous la barre des 3 % en 2027.

Nous atteindrons cet objectif, car nous ferons des économies. Les dépenses de l’État baisseront en 2024 : 14 milliards d’euros seront économisés grâce à la sortie des dispositifs de crise, 350 millions d’euros le seront également sur la politique de l’emploi grâce à la réduction du chômage, 500 millions d’euros seront encore économisés en améliorant l’efficience de la politique de formation professionnelle et de l’apprentissage.

Ces économies sont ciblées. Effectuer un grand coup de rabot – comme je l’entends dire parfois – dans les dépenses de l’État aurait un effet contre-productif sur notre croissance. J’en ai la conviction. Notre action doit donc être précise et progressive.

Nous atteindrons cet objectif sans augmenter les impôts. C’est notre ligne directrice depuis 2017. Cette politique fonctionne et nous permet d’atteindre les résultats économiques que nous avons aujourd’hui. Nous ne changerons pas de cap, car nous obtenons des résultats !

Pour l’année 2024, nous continuerons de produire davantage. Selon nos prévisions, notre croissance devrait s’établir à 1,4 %. Certains prévisionnistes jugeaient ce taux optimiste. Aujourd’hui, l’OCDE comme la Commission européenne confirment des prévisions comprises entre 1,3 % et 1,2 % de croissance.

Certains nous accusent aussi de faire porter l’effort sur les collectivités. Cessons d’opposer l’État et les collectivités territoriales ! Nous portons ensemble les services publics. Je rappelle que les concours financiers de l’État s’élèveront à près de 55 milliards d’euros en 2024. La dotation globale de fonctionnement (DGF) augmentera de nouveau de 220 millions d’euros, après la hausse de 2023 qui était la première en treize ans.

Pour investir, les élus ont besoin de visibilité et de clarté. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé hier son intention de réformer la dotation globale de fonctionnement et saisi le Comité des finances locales (CFL) de cette mission.

Pour renforcer les capacités d’investissement des collectivités, nous étendons le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) aux dépenses d’aménagement. Cela répond à une demande des élus locaux et représente un effort de 250 millions d’euros.

Nos collectivités territoriales bénéficieront aussi de l’effort inédit accompli en faveur de la transition écologique : le fonds vert est pérennisé à hauteur de 2,5 milliards d’euros, dont 500 millions d’euros pour la rénovation des écoles, comme annoncé par le Président de la République.

Il faut accélérer le verdissement de toutes nos dépenses publiques, qu’elles relèvent de l’État, des collectivités territoriales ou des opérateurs. À cette fin, nous devons nous doter d’une boussole commune.

Cette boussole, ce sont les budgets verts, qui, à la suite des débats de l’Assemblée nationale, seront généralisés pour les plus grandes collectivités territoriales.

Je suis favorable à cette avancée. Lesdits budgets n’ont pas pour but de complexifier la vie des élus ; ils doivent au contraire leur permettre de valoriser la part de leurs crédits consacrée à la transition écologique. Je précise que la même logique doit s’appliquer à la dette, dont la part verte doit être valorisée par les élus.

Ce budget est résolument tourné vers l’avenir. Il assure ainsi la traduction des diverses lois de programmation adoptées par le Parlement, qu’elles concernent nos armées, notre sécurité ou notre justice.

Le contexte international nous le rappelle aujourd’hui plus que jamais : il est essentiel que nous disposions d’une armée de premier ordre. Conformément à nos engagements, le budget de nos armées augmentera de 3,3 milliards d’euros en vertu du projet de loi de finances pour 2024. Ces crédits supplémentaires nous permettront d’assurer l’aide de la France à l’Ukraine ou encore de renforcer nos équipements militaires.

Le budget du ministère de l’intérieur augmentera lui aussi, à hauteur de 1 milliard d’euros. Le recrutement d’agents supplémentaires au service de notre sécurité est indispensable. Grâce à ce budget, nous investirons également dans l’amélioration de l’accueil des victimes de violences.

Conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, nous augmentons le budget de la Chancellerie de 500 millions d’euros. Cet effort doit permettre, en 2024, le recrutement de près de 2 000 fonctionnaires, dont plus de 300 magistrats et plus de 300 greffiers. Afin de garantir l’effectivité des peines, nous renforçons aussi les moyens de l’administration pénitentiaire, au sein de laquelle près de 450 agents seront recrutés.

En parallèle, nous investissons massivement dans l’éducation nationale. Il n’est pas d’investissement plus rentable que l’éducation de nos enfants. La hausse historique de ce budget doit permettre de revaloriser les professeurs, conformément aux engagements du Gouvernement.

En outre, notre investissement pour l’avenir consiste à soutenir massivement la transition écologique. Nous avons deux dettes : la dette financière, bien sûr, et la dette écologique. Chaque investissement que nous repoussons en la matière nous coûtera plus cher demain.

Le projet de loi de finances pour 2024 consacre ainsi un investissement inédit à la transition écologique. Il mobilise 10 milliards d’euros supplémentaires pour assurer la rénovation thermique des logements et des bâtiments publics, décarboner nos transports, accompagner le nouveau modèle agricole, créer une industrie verte et transformer notre modèle énergétique.

Ces dépenses vertes vont aussi permettre d’accompagner les ménages. Les Français ont besoin d’investir dans la transition écologique, que ce soit pour passer à la voiture électrique ou pour isoler leur logement. En les aidant, nous relevons un enjeu, non seulement climatique, mais aussi économique et social.

Sans cet investissement supplémentaire, nous ne tiendrons pas nos objectifs climatiques.

Ce projet de loi de finances marque, enfin, une étape décisive dans la lutte contre la fraude.

La maîtrise des dépenses publiques doit être un effort non seulement partagé, mais juste.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous demandons des efforts pour maîtriser nos comptes ; en contrepartie, nous devons tout mettre en œuvre pour lutter contre les fraudes. (M. Michel Canévet acquiesce.)

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C’est un enjeu de cohésion sociale, c’est un enjeu de justice et de consentement à l’impôt.

Plusieurs mesures de ce projet de loi de finances nous permettront d’être beaucoup plus efficaces en la matière.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je pense tout d’abord au renforcement des effectifs dédiés à la lutte contre la fraude : avec 250 agents supplémentaires dès l’année prochaine, nous nous donnons les moyens de nos ambitions.

Je pense ensuite à l’arsenal législatif mis à disposition de ces services. Nous le renforçons, notamment en créant une sanction administrative générale pour lutter contre tous les types de fraudes aux aides publiques.

À l’Assemblée nationale, les débats ont permis d’enrichir largement ce texte. Au total, 515 amendements ont été repris, issus de la majorité comme des oppositions.

Derrière ce chiffre, supérieur à celui de l’année dernière, il y a une méthode et un engagement : le dialogue.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Les dialogues de Bercy nous ont permis de partager nos différents points de vue sur ce budget. Dans ce cadre, nous avons bien sûr exprimé nos divergences, mais nous avons également relevé des sujets de préoccupation communs, sur lesquels nous pouvons travailler ensemble.

La première lecture à l’Assemblée nationale a permis d’adopter des mesures très concrètes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Mais il n’y a pas eu de lecture !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je reviendrai sur quelques-unes d’entre elles.

Sur l’initiative de vos collègues députés, nous avons ainsi accepté de prolonger en 2024 la contribution sur les rentes inframarginales. Ce faisant, nous pourrons continuer de capter les profits exceptionnels des énergéticiens.

De même, afin de donner de plus grandes marges de manœuvre et davantage d’autonomie fiscale aux collectivités territoriales, nous avons soutenu la décorrélation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cette mesure va dans le sens des nouvelles relations que nous souhaitons bâtir avec les collectivités territoriales. Elle répond, du reste, à une attente exprimée par de nombreux élus.

Nous avons également souhaité renforcer le soutien de l’État aux collectivités d’outre-mer. Au total, les crédits de la mission concernée augmentent de 90 millions d’euros. Entre autres mesures, nous avons soutenu une aide exceptionnelle pour le financement des infrastructures du quotidien, ainsi que des fonds dédiés à l’assistance technique qui permettra de réaliser ces projets.

Pour la collectivité de Mayotte, nous avons retenu un fonds dédié à l’eau. L’accès à une eau de qualité doit être garanti partout sur le territoire : c’est une priorité.

Je vous rappelle d’ailleurs qu’hier soir nous avons adopté définitivement le projet de loi de finances de fin de gestion, qui, sur l’initiative des élus du groupe RDPI, accorde 113 millions d’euros supplémentaires à la collectivité de Mayotte.

Lors de nos débats des prochains jours, c’est la même méthode que j’entends appliquer.

M. le président. Je vous invite à conclure, monsieur le ministre.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je conclus, monsieur le président.

Nous sommes et resterons ouverts aux propositions venant des sénateurs de tous les groupes,…

Mme Nathalie Goulet. Et des sénatrices !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … dans un esprit de dialogue.

Cela étant, nous ne saurions perdre de vue la nécessité absolue de redresser nos comptes publics. Aussi, nous ne renoncerons pas à la maîtrise de nos prélèvements obligatoires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai confiance dans le sérieux qui guide toujours vos travaux et qui nous permettra d’aboutir, j’en suis certain, à une version enrichie, mais équilibrée, du présent texte, qui ne dégrade pas notre trajectoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Sénat engage aujourd’hui l’examen du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale après une nouvelle utilisation de l’article 49, alinéa 3, de notre Constitution.

Avant tout, je tiens à formuler quelques observations de méthode, car, en la matière, les choix retenus par le Gouvernement sont problématiques à plusieurs égards.

Messieurs les ministres, personne ne conteste évidemment le 49.3 en tant que tel ; mais vous avez choisi d’en faire usage à l’Assemblée nationale, non pas pour clore une discussion parlementaire en proposant une solution de compromis, non pas après avoir écouté les uns et les autres et arbitré entre leurs propositions, mais avant même l’examen de tout amendement de la première partie du projet de loi de finances pour 2024.

J’y insiste : aucun amendement sur la première partie n’a été discuté en séance publique par nos collègues députés. Quant au débat sur la seconde partie, il a été tout simplement tronqué.

On aurait pu croire que, dans ces conditions, c’est le texte de 60 articles que vous aviez déposé à l’Assemblée nationale qui serait soumis au Sénat : pas du tout ! Votre copie est passée de 60 à 235 articles : le projet de loi de finances a quadruplé de volume sans aucun débat devant nos collègues députés. C’est la grande inflation ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ce sont donc 175 articles nouveaux qui arrivent au Sénat sans avoir jamais été examinés par le Conseil d’État, sans avoir fait l’objet de la moindre étude d’impact, pour lesquels nous ne disposons d’aucune évaluation préalable…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … et qui n’ont même pas été discutés en séance publique à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Vous ne pouvez pas faire n’importe quoi en vous abritant derrière le 49.3. Les rencontres baptisées « dialogues de Bercy » ne sauraient remplacer le débat parlementaire, que vous prenez soin d’éviter. Vous organisez la démocratie à l’envers et je le regrette. (Applaudissements sur les mêmes travées. – M. Thomas Dossus applaudit également.)

Messieurs les ministres, vous êtes ici au Sénat et, pour notre part, nous vous proposons de débattre. D’ailleurs, ici, il n’y a pas de 49.3 ! Je vous invite aussi à bien vous saisir de nos propositions et à mieux en tenir compte que l’an dernier.

Venons-en au budget prévu pour l’année 2024. J’ai repris mes notes de l’an passé et, je vous l’assure, je pourrais vous dire la même chose aujourd’hui au mot près : on a l’impression que le temps s’est figé. (M. le président de la commission des finances sourit.)

Je déclarais alors : « Le budget de l’État présente des niveaux de dépenses et de déficit que le Gouvernement ne parvient plus, voire ne cherche même plus à faire redescendre des sommets atteints depuis 2020. » J’ajoutais : « Des mesures d’économies devraient être engagées dès 2023 », ou encore : « La trajectoire des dépenses n’annonce ainsi aucune inflexion pour les années à venir » : bis repetita.

Vous n’agissez pas. Est-ce par manque de courage ? Par manque d’audace ? Êtes-vous en panne d’idées, en manque de solutions ? Vous nous le direz peut-être…

Nous arrivons en 2024 et que s’est-il passé depuis un an ? Rien ! Les mêmes constats s’imposent.

L’année prochaine, si j’en crois les chiffres fournis par le Gouvernement lui-même, le déficit public devrait atteindre 4,4 % du PIB. Encore s’agit-il – j’y reviendrai – d’une estimation optimiste : si la croissance est plus faible que prévu, les recettes publiques le seront évidemment aussi.

Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), la France affichera en 2024 le deuxième déficit public le plus élevé de la zone euro.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Alors que les autres pays profitent de la sortie de crise pour se désendetter, vous laissez dériver encore et toujours la dette française : ces mauvais résultats, ce sont les vôtres.

L’endettement public se maintiendrait autour de 110 % du PIB, en hausse de près de 12 points par rapport à 2017. Là encore, la France devrait désormais figurer sur le podium des pays les plus endettés de la zone euro en 2024, derrière la Grèce et l’Italie. Une telle position est peu enviable, reconnaissez-le.

La France n’a pourtant pas été soumise à des chocs économiques plus violents que ses partenaires européens.

Et, de grâce, ne nous faites pas le coup des collectivités territoriales,…

M. Albéric de Montgolfier. On y a déjà eu droit !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … en prétendant que ces dernières seraient responsables des déficits.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. On nous l’a souvent dit !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. En effet, on nous l’a souvent dit !

Je rappelle que les budgets de nos collectivités territoriales sont presque tous à l’équilibre : ils ne présentent qu’un léger déficit, limité à 0,3 % du PIB, soit quinze fois moins que celui de l’État. Vous nous épargnerez donc ces considérations.

Le déficit budgétaire de l’État devrait s’élever à 144,5 milliards d’euros en 2024, soit 45,7 % des ressources nettes sur le périmètre du budget général.

Vous connaissez ce triste constat : en 2024, la France entrera dans sa cinquantième année de déficit budgétaire consécutive. Mais je note que, depuis cinq ans, nous avons changé d’ère : nous vivons désormais une époque de déficits extrêmes, comparables à ces froids extrêmes qui paralysent l’économie autant que les organismes.

La crise sanitaire semble avoir établi un nouveau socle de déficit, de l’ordre de 150 milliards d’euros par an. Il y a cinq ans, c’est-à-dire avant l’épidémie de covid-19, le déficit s’élevait à 90 milliards d’euros et il nous préoccupait déjà.

Vous ne cessez d’annoncer la sortie du « quoi qu’il en coûte » ; mais ce sont autant d’annonces sans lendemain, qui ont abouti à l’accumulation d’un surcroît de déficit de 400 milliards d’euros en cinq ans. Telle est la triste réalité des chiffres.

Cette accumulation de déficits a une conséquence simple et directe lorsqu’on ne dispose pas de recettes exceptionnelles : l’accroissement de la dette et de sa charge.

Selon vos propres chiffres, la charge de la dette bondirait ainsi de 48 milliards d’euros en 2023 à 84 milliards d’euros en 2027, ce qui représente très exactement une augmentation de 75 %. Cette hausse considérable est particulièrement préoccupante.

Ainsi, en 2027, nous devrons trouver 36 milliards d’euros de plus qu’en 2024 ; et, dès 2026, les engagements financiers seront de loin le premier poste de dépenses de l’État, pour un montant égal aux budgets cumulés des armées et des forces de sécurité – c’est dire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Dans ce contexte, comment trouver les recettes nécessaires pour relever les défis qui nous attendent ? Comment financer la transition écologique quand nos ressources sont à ce point amputées par les remboursements ?

Ce constat, messieurs les ministres, et sa répétition depuis cinq ans témoignent de votre impuissance coupable, de votre incapacité à agir.

Vous avez beau multiplier les déclarations optimistes, comme autant de paravents censés masquer vos faiblesses, vos paroles sont contredites par vos propres chiffres.

Vos comptes ne sont pas tenus et cette situation est évidemment dommageable pour la France.

Bien sûr, vous enchaînez les belles formules. J’en ai encore entendu un certain nombre à l’instant : « revues de dépenses », « 16 milliards d’euros d’économies », « prélèvements dans la trésorerie des opérateurs », « stabilisation de l’emploi public », « poursuite du désendettement du pays », etc. Vous parlez beaucoup, mais vous faites si peu !

À ce stade, les revues de dépenses n’ont accouché d’aucune économie dans le présent texte. Vous ne cessez d’en parler, mais elles sont invisibles.

Vous avez annoncé 16 milliards d’euros d’économies : on ne les voit nulle part. La seule chose qui baisse, ce sont des dépenses de crise : la crise étant passée, par définition, elles disparaissent…

Vous avez annoncé au moins 1 milliard d’euros de prélèvements sur les 2,5 milliards d’euros de trésorerie excédentaire des opérateurs. Où sont-ils ? Quels sont ces opérateurs ? Vous n’avez pas su nous répondre.

Vous avez annoncé et même fait adopter par le 49.3, dans votre loi de programmation des finances publiques, la stabilité des emplois de l’État. J’ai vérifié les chiffres : en 2024, vous créerez encore 8 273 équivalents temps plein (ETP). Depuis 2017, la masse salariale de l’État a progressé de 10 % en volume.

Je le dis et je le répète : vous parlez beaucoup, mais faites bien peu. Or, faute de vouloir regarder la vérité en face, vous vous interdisez de trouver les solutions aux problèmes de notre pays.

Je pense, par exemple, à la situation dramatique du logement : vous l’avez évoquée vous aussi, mais nous ne formulons pas le même diagnostic.

Dans ce secteur, tous les indicateurs sont aujourd’hui au rouge, et c’est d’autant plus grave que les problèmes sont d’ordre structurel. Chacun en convient : les dispositions du projet de loi de finances que vous présentez ne sont pas à la hauteur de la crise que connaît le logement, secteur pourtant très important, et même décisif, pour notre économie.

Certes, les prévisions économiques sur lesquelles vous vous fondez vous aident à vous voiler la face. Vous prévoyez ainsi une croissance de 1,4 % en 2024, quand le consensus des économistes converge plutôt vers 0,8 %. L’hypothèse que vous retenez est vraiment très optimiste et ce constat ne peut que renforcer nos doutes.

À l’évidence, vous sous-estimez les effets de la politique monétaire. Je rappelle que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé, en quatorze mois, à une augmentation de 450 points de base de ses taux d’intérêt directeurs. C’est le plus sévère durcissement de sa politique jamais observé dans l’histoire.

Or, en règle générale, les politiques monétaires produisent un effet retard de l’ordre d’une année. Le plein effet de ces restrictions monétaires risque donc se faire sentir d’ici à la fin de l’année 2024, alors que vous feignez de croire qu’il est déjà majoritairement derrière nous. Je voudrais bien qu’il en soit ainsi, mais cela ne me semble pas très crédible.

Vous anticipez également des créations d’emplois en 2024, quand d’autres, comme la Banque de France, que l’on ne saurait suspecter d’être excessivement pessimiste ou optimiste, prévoient des destructions d’emplois, voire une remontée du chômage. Conjuguée à la hausse des taux, cette perspective rend de fait peu probables vos hypothèses relatives à l’investissement et à la consommation des ménages.

Lors de son audition au Sénat, le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) l’a lui-même reconnu : les hypothèses sur lesquelles se fonde la prévision du Gouvernement sont absolument toutes favorables, sans exception.

Monsieur le ministre de l’économie, un tel choix ne me paraît guère raisonnable. J’ai d’ailleurs relevé les bémols que vous venez d’ajouter, en insistant notamment sur l’instabilité du contexte international.

Si ces hypothèses de croissance vous aident à embellir la réalité, les chiffres sont et restent têtus.

Votre problème majeur, c’est la dépense publique, dont la dérive donne aujourd’hui le vertige.

À rebours de vos discours, les dépenses de l’État continueront d’augmenter, en 2024, de près de 6 milliards d’euros, hors mesures de crise. C’est proprement irresponsable.

En 2024, la plupart des missions du budget général voient leurs crédits augmenter ; sept d’entre elles grossissent même de plus de 1 milliard d’euros chacune. À cet égard, la Commission européenne a lancé un signal d’alerte il y a quelques jours. De telles mises en garde ne nous honorent pas.

Messieurs les ministres, si vous voulez que la France retrouve les premières places, il va falloir faire beaucoup d’efforts. Il va falloir travailler pour redresser nos comptes publics.

Travailler, c’est précisément ce que nous avons fait, ici, au Sénat. Nous ne nous sommes pas contentés de déplorer une situation inquiétante et de formuler des critiques : nous avançons des propositions.

Vous parlez de faire des économies ? Nous vous prenons au mot et nous vous proposons un certain nombre de mesures.

Notre commission des finances a voté plus de 5 milliards d’euros d’économies sur de nombreuses politiques publiques : réduction des effectifs des opérateurs, meilleur ciblage de l’apprentissage, fin des surbudgétisations qui font croire aux gestionnaires publics que l’argent continue de couler à flots, réforme de l’aide médicale de l’État (AME), réforme de l’audiovisuel public, révision du bouclier électricité, etc.

Certaines de ces pistes sont sans cesse évoquées par votre majorité, qui, malheureusement, laisse tout en plan. Nous, nous vous proposons d’agir.

Voilà désormais trois ans que vous parlez de la fin du « quoi qu’il en coûte » et, « en même temps », vous proposez encore à la représentation nationale, dans ce projet de loi de finances, une baisse d’impôts non ciblée de 10 milliards d’euros sur les tarifs de l’électricité. Une telle mesure est insoutenable pour les finances publiques, d’autant qu’elle est indifférenciée, quel que soit le revenu des ménages. Nous vous demandons de cibler cette aide pour la réserver aux foyers à bas revenus et aux classes moyennes.

Vous parlez de bien gérer l’argent public et, « en même temps », vous proposez dans votre texte – écoutez bien, mes chers collègues – d’exonérer les fédérations sportives olympiques de tous les impôts : leurs salariés seraient même exonérés d’impôt sur le revenu pendant cinq ans. Comment pouvez-vous parler de bonne gestion de l’argent public en assumant une telle mesure devant les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus applaudit également.)

Nous proposerons de supprimer cette disposition. Si j’en crois les quelques échanges auxquels elle a donné lieu en commission des finances, je crains que vos oreilles ne sifflent… (M. le ministre délégué sourit.)

Enfin, le Président de la République annonce qu’il financera le Centre national de la musique (CNM), mais, « en même temps », le Gouvernement ne fait rien ; il ne propose rien. Nous, nous proposons un financement et un avenir pour le CNM.

Messiers les ministres, il est quinze heures passées : l’heure du réveil a sonné ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le « quoi qu’il en coûte » vous a anesthésiés. Il est devenu un fardeau dont vous n’arrivez pas à vous défaire.

Le « quoi qu’il en coûte » signe, en réalité, votre incapacité à tenir certaines de vos promesses, comme la suppression de la CVAE.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le « quoi qu’il en coûte » met en cause votre crédibilité politique, faisant craindre aux ménages et aux chefs d’entreprise des hausses d’impôt prochaines, lesquelles semblent déjà se dessiner en filigrane.

Mes chers collègues, la commission des finances vous proposera un certain nombre de mesures pour mener à bien le redressement de notre pays en rétablissant les comptes publics. La France et les Français en ont grand besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous engageons aujourd’hui l’examen en séance publique du projet de loi de finances pour 2024.

En ma qualité de président de la commission des finances, je rappelle que, depuis plus d’un mois déjà, M. le rapporteur général et l’ensemble des rapporteurs spéciaux procèdent à l’analyse de ce nouveau budget, recettes et dépenses confondues.

Je remercie d’ailleurs tous les membres de la commission de leurs travaux riches et approfondis ; ils ont permis de dresser des constats, de formuler des propositions et d’établir des avis sur l’ensemble des missions, budgets annexes et comptes spéciaux qui composent le budget de l’État. Nous avons ainsi passé ensemble trente-sept heures en commission depuis le début d’octobre dernier !

À l’instar des commissions saisies pour avis et de leurs rapporteurs, que je salue, nous avons conduit un nombre considérable d’auditions.

Dès lors, messieurs les ministres, à l’heure où s’ouvre l’examen du projet de loi de finances en séance publique, nous sommes en mesure de vous dire clairement ce que nous inspire votre texte.

Comme l’an dernier, nos débats viennent après une séquence un peu particulière : compte tenu de l’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale, très peu de dispositions du projet de loi de finances ont été débattues. Mme la Première ministre a même déclenché cette procédure avant l’examen du premier article de la première partie…

Cette situation ne vous a pas pour autant empêchés – peut-être vous a-t-elle même facilité la tâche – d’insérer 115 articles additionnels en première partie, puis 60 autres en seconde partie. M. le rapporteur général l’a déjà souligné : le nombre d’articles a quadruplé, passant de 60 à 235.

Nous aurons l’occasion de revenir sur tous les dispositifs prévus dans ce projet de loi de finances et de les discuter. Aussi, je saisirai l’occasion de cette discussion générale pour développer certaines idées qui me tiennent à cœur et qui, à mon sens, méritent d’être rappelées.

Une fois n’est pas coutume, je parlerai d’abord de dépenses publiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ah !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. En effet, la dépense publique, monsieur le rapporteur général, n’est pas un gros mot. À cet égard, je m’efforcerai de combattre certaines facilités un peu lassantes, comme celle qui consiste à retenir systématiquement l’indicateur de la dépense publique rapportée au PIB.

Après avoir atteint 61,4 % du PIB en 2020, en raison de la crise sanitaire, la dépense publique représenterait 55,8 % du PIB en 2023 et 55,4 % du PIB en 2024. Ainsi exprimée, elle paraît très élevée et la diminution de ce ratio est systématiquement interprétée comme une bonne nouvelle.

Monsieur le ministre, vous le disiez vous-même en ouvrant cette discussion générale : « Ne soyons pas hypocrites. » Cette observation vaut pour tous.

Ces chiffres ne signifient en aucun cas, comme on nous l’explique pourtant sans arrêt, que le public capterait 55 % du PIB. Certains éléments de cet indicateur, comme la consommation et l’investissement public, sont effectivement des parts du PIB, mais d’autres non ; les divers transferts sociaux sont ainsi d’une tout autre nature.

Prendre le PIB, qui est une somme de valeurs ajoutées, comme point de comparaison avec des montants qui n’ont rien à voir avec ces dernières, c’est semer la plus grande confusion dans les esprits. Si l’on créait un tel indicateur pour les dépenses privées, ces dernières dépasseraient 200 % du PIB !

Que nous dit le chiffre élevé obtenu par ce mode de calcul très imparfait ? Tout simplement que nous avons collectivement choisi, et ce depuis longtemps, de socialiser une grande partie des dépenses des ménages.

Les Américains n’ont pas fait le même choix : leur dépense publique représente l’équivalent de 45 % du PIB ; mais – vous le savez – l’essentiel de leurs dépenses de santé sont privées. Elles ne sont donc pas incluses dans cet indicateur, alors qu’elles représentent 18 % du PIB aux États-Unis, contre 12 % en France. (M. Bernard Jomier acquiesce.) Si notre pays désocialisait les dépenses de santé, il rejoindrait le niveau américain ; mais, sauf erreur de ma part, personne ici n’exprime un tel souhait. (M. Vincent Éblé le confirme.)

De même, si l’on compare la France à l’Allemagne, dont le niveau de dépenses publiques approche les 50 % du PIB, on constate que l’écart tient essentiellement à des dépenses plus élevées en France pour la protection sociale. En 2021, ce poste représentait 34 points de PIB en France contre 29,5 en Allemagne.

Au total, la France est une économie de marché où la puissance publique assume une redistribution élargie permettant de réduire fortement les différences de revenus entre ménages pauvres et aisés. L’Insee nous le rappelle dans une note récente : cette politique générale de redistribution resserre l’écart de dix-huit à trois ; et c’est bien elle qui tient la société française aujourd’hui.

M. Vincent Éblé. Bien sûr !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Certains le déplorent ; pour ma part, je m’en réjouis. Il me paraît essentiel de préserver ce système, tout en essayant bien sûr de faire toujours mieux.

M. Victorin Lurel. Très bien !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Cependant, je ne méconnais évidemment pas la nécessité d’assurer un meilleur équilibre de nos finances publiques.

La charge de la dette progresse, sous l’effet notamment de la hausse des taux : personne ne peut le nier. On ne saurait encore moins s’en réjouir.

Or, messieurs les ministres, je ne parviens décidément pas à comprendre votre entêtement à réduire les recettes de l’État en période de crise.

FMI, Haut Conseil des finances publiques, Cour des comptes ou encore Banque de France : tous vous disent et vous répètent que l’heure n’est pas à la réduction des prélèvements obligatoires.

J’étais certes, comme vous, convaincu de la nécessité de réduire l’impôt sur les sociétés, dont le taux a été abaissé de 33 % à 25 % ; mais je ne vous suis plus depuis longtemps.

Au fil des années, vous avez supprimé non seulement l’impôt sur la fortune, mais aussi la taxe d’habitation, y compris pour les plus riches, la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises et même la contribution à l’audiovisuel public.

Une cinquantaine de milliards d’euros se sont évaporés chaque année depuis 2017, ceux-là mêmes que vous recherchez désespérément aujourd’hui afin de ramener notre déficit en dessous des 3 % du PIB en 2027.

Messieurs les ministres, je vous rappelle que, en 2018 – vous vous en souvenez, monsieur Le Maire, vous étiez alors ministre –, grâce à la politique menée par vos prédécesseurs, la France n’était plus soumise à une procédure pour déficit excessif, car nous vous avions laissé un déficit de 3 % en 2017. Malheureusement, si l’on en croit les services de la Commission, la France est de nouveau sous la menace d’une telle procédure en 2024. Très belle réussite !

Tout cela pour quel résultat ? Une hausse de l’épargne des ménages les plus aisés, quand vous aimeriez que la consommation redémarre, et une augmentation des résultats des entreprises, que ces dernières utilisent malheureusement davantage pour racheter des actions que pour investir dans leur outil productif.

N’aurait-il pas été plus utile que l’État conserve ces moyens pour soutenir les Français et les entreprises, comme vous l’avez fait durant la pandémie, en limitant l’appel à l’endettement ? Je crains que la réponse ne soit dans la question.

Le projet de loi de finances pour 2024 est à peu près en ligne avec la loi de programmation et le programme de stabilité ; en 2025, nous savons que l’exercice sera bien plus compliqué : il ne reste quasiment plus de reliquat du plan de relance et la revue de dépenses n’a produit que des résultats décevants. Je rappelle que le groupe de députés chargé de trouver des solutions n’est même pas parvenu à identifier 1 milliard d’euros d’économie.

J’ai bien peur que, malgré vos propos, il ne faille rapidement trouver des recettes nouvelles et remettre en cause les nombreuses lois de programmation que le Gouvernement nous a soumises. Je ne vois pas bien comment on pourrait résoudre autrement l’équation alors que ces textes visent à augmenter les dépenses.

Le retour sur terre ne fait que commencer, messieurs les ministres. Pour conclure, permettez-moi de vous donner un conseil amical : attachez bien vos ceintures ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – MM. Bruno Belin et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion n° I-1666 tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° I-1666.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 127, 2023-2024).

La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons donc le débat sur le projet de budget pour l’année 2024. Alors que nous allons beaucoup parler de chiffres au cours des prochaines semaines – cela paraît logique –, nous faisons pour notre part le choix aujourd’hui de consacrer le temps de parole qui nous est alloué pour défendre cette motion à la vie des gens, au quotidien de nos concitoyens, à qui ce budget devrait apporter des réponses concrètes et efficaces.

Le mardi 14 novembre, le Secours catholique a publié son rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France, dont les données sont absolument saisissantes : après la crise du covid, plus de 550 000 personnes ont basculé dans la pauvreté ; depuis, l’inflation galopante et la hausse des prix des denrées alimentaires ont encore aggravé la situation. Le taux de pauvreté atteint désormais 14,5 %, en progression de 0,9 point.

À ce moment du débat, nous souhaitons évoquer le cas concret de Chantal, dont l’histoire est relatée dans un article du journal Le Monde daté du jeudi 16 novembre dernier.

Âgée de 60 ans, Chantal raconte son existence. Elle fait partie des millions de personnes aidées chaque jour par les bénévoles du Secours catholique, du Secours populaire, des banques alimentaires, des Restos du cœur ou encore des épiceries solidaires.

Il s’agit pour nous non pas de sombrer dans le populisme ou dans la démagogie, mais bien de rendre compte de la réalité quotidienne de millions de nos concitoyens.

Quand Chantal a payé ses frais fixes, il lui reste 17 euros par jour pour vivre. Elle ne se plaint pas : « Je me dis toujours qu’il y a pire que moi », confie-t-elle. Comme 95 % des personnes aidées par le Secours catholique, elle se situe en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, soit à environ 1 210 euros par mois.

Son parcours de vie est un peu chaotique : séparation d’avec son mari, cancer du sein. Après un licenciement et plusieurs années d’incapacité, elle a pu reprendre un emploi, à la condition de faire peu d’heures. Elle s’accorde quinze jours de congé par an, car cela signifie perdre une partie de ses 1 200 euros mensuels obtenus en cumulant pension d’invalidité, salaire, indemnité au titre de son assurance prévoyance et aide personnalisée au logement.

Chantal, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille, reconnaît effectuer quelques heures de travail au black : « si je les déclarais, ma pension diminuerait », indique-t-elle. Son avenir l’inquiète aussi. Si elle prend sa retraite à 62 ans, sa pension ne dépassera pas 826 euros par mois : « Tant que je peux, je travaille. » Chaque sortie et chaque rentrée d’argent sont notées dans un carnet.

Examinons dans le détail les chiffres d’une vie précaire.

Chantal doit assumer 682 euros de frais fixes chaque mois : 242 euros de loyer pour son logement social, une fois déduite l’aide personnalisée au logement, 109 euros d’électricité, 77 euros de mutuelle, 52 euros d’assurance de sa voiture, 30 euros d’internet… Il lui reste 17 euros par jour pour assumer toutes les autres dépenses.

Elle attend les promotions, fait durer ses dix steaks hachés surgelés tout le mois ; elle a renoncé au poisson et aux fruits. Avec les quelques dizaines d’euros gagnés au noir, elle s’offre du tabac à rouler et des parties de loto le dimanche – l’on s’étonne parfois, mes chers collègues, de la fréquentation en hausse des lotos organisés par les associations dans nos communes.

Elle continue de verser les 21 euros mensuels de son assurance décès : « Comme ça, mes enfants ne paieront pas », dit-elle. En revanche, elle n’a pas les moyens de se payer un dentier, alors que les treize dents qui lui restent – conséquence de la chimiothérapie – la font atrocement souffrir. Elle se bourre de Doliprane bien au-delà des doses autorisées, mais Chantal est résiliente et force l’admiration. « Je ne suis pas à plaindre quand même : j’ai un toit et je suis entourée. »

Il y a quelque temps, sa voiturette sans permis est tombée en panne ; l’association l’a aidée à payer les réparations, d’autant qu’elle a perdu deux semaines de salaire, faute de pouvoir se rendre chez son employeur.

Chantal sait qu’elle n’a pas droit à l’erreur : « Une fois, j’ai fait ma déclaration pour la pension d’invalidité deux jours trop tard. Je n’ai rien touché pendant trois mois. » Aujourd’hui, elle a rejoint les bénévoles de la permanence alimentaire.

Je veux saluer la journaliste du Monde qui a écrit ce récit : Mme Claire Ané. Cette histoire singulière évoque d’autres cas, ils sont nombreux et nous en connaissons tous ; elle illustre parfaitement ce qu’est dans notre société une vie précaire.

Le pacte des solidarités présenté par le Gouvernement a fait réagir les associations de lutte contre la pauvreté : celles-ci dénoncent un manque d’ambition et déplorent l’absence de dispositions fortes pour lutter efficacement contre la pauvreté. Elles y voient un simple catalogue de mesures, dont beaucoup étaient déjà connues, assorties d’une petite rallonge budgétaire – heureusement ! – pour couvrir les besoins des associations alimentaires.

Malgré ce contexte de difficultés aggravées pour une très grande partie de la population, vous confirmez votre volonté de réduire la dépense publique à tout prix et vous persistez dans vos choix dogmatiques en refusant d’agir sur la fiscalité des plus aisés de notre pays, alors que les dividendes explosent. Ces options réduisent les capacités de l’État à agir pour répondre aux grands défis de notre temps.

À l’autre pôle de notre société, le paysage est très différent : quand notre témoin, Chantal, totalise 682 euros de frais fixes par mois, l’homme le plus riche du monde, notre compatriote Bernard Arnault, consomme 657 litres de gasoil par heure avec son mégayacht, lequel bénéficie, fort heureusement, d’une TVA à 0 % grâce aux contrats de transport internationaux.

Votre prédécesseur, monsieur le ministre, répétait à l’envi que la France n’était pas un paradis fiscal pour les plus riches. Même le magazine Challenges contestait cette affirmation dans son numéro annuel de juillet établissant le classement des 500 premières fortunes professionnelles de notre pays.

Pour la quasi-totalité de la population, le système fiscal français est progressif : le taux d’imposition augmente avec les revenus. En revanche, pour le sommet de la pyramide, à partir des 0,1 % les plus riches, il devient dégressif, chutant à 26 % pour les 0,000 2 % les plus fortunés, soit les 75 milliardaires identifiés.

L’essentiel des revenus de ces derniers provient des profits de leurs entreprises, taxés à un taux plus faible que celui de l’impôt sur le revenu. S’ils avaient été taxés à ce dernier taux, ces 75 milliardaires auraient payé 59 % d’impôt.

M. Jean Pisani-Ferry, inspirateur du programme économique du candidat Emmanuel Macron en 2017, prône la taxation du patrimoine des plus aisés pour financer notamment la lutte contre le changement climatique.

Monsieur Le Maire, vous semblez avoir enfin compris ce que sont les superprofits ; nous vous encourageons à progresser encore en décidant enfin de les taxer à la bonne hauteur.

Cette motion visant à opposer la question préalable doit également être entendue comme un appel à mener un combat résolu et déterminé à la recherche de recettes nouvelles, alors que vous ne vous intéressez qu’aux économies dans la dépense publique.

Deux rapports récents soulignent le manque de volonté politique pour lutter contre l’évasion fiscale.

Le premier, issu de l’Assemblée nationale, revient notamment sur les moyens humains nécessaires et relève la suppression de 2 500 emplois dans le contrôle fiscal entre 2013 et 2021.

Demandez aussi des comptes à nos partenaires européens, au Luxembourg, notamment, qui héberge 55 000 sociétés offshore, ou encore à Chypre, qui accueille volontiers, au sein de l’Union européenne, l’argent sale des oligarques russes en leur offrant avantages fiscaux, tolérance judiciaire et visas dorés.

Dans le second rapport, la Cour des comptes s’interroge sur l’efficacité de l’action de plus en plus importante de l’intelligence artificielle. Elle livre également une charge contre les indicateurs censés mesurer l’efficacité du contrôle fiscal, mais qui présentent « l’inconvénient de ne pas faire de lien entre modalités de ciblage, motifs de programmation et résultats ».

Messieurs les ministres, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, il est grand temps de chausser les bottes de sept lieues !

Sur le sujet des recettes, la Cour des comptes a rendu un autre rapport fort intéressant en juillet dernier sur le pilotage et l’évaluation des dépenses fiscales, plus communément appelées niches fiscales.

On dénombre dans notre pays pas moins de 465 dispositifs fiscaux visant à réduire l’impôt, dont le coût total dépasse les 94 milliards d’euros. La Cour des comptes indique : « Leur concentration sur l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA (90 % du montant des dépenses fiscales) affecte fortement le rendement de ces derniers, contribue à l’érosion des bases fiscales et fragilise la trajectoire de consolidation des finances publiques. »

En conclusion, la Cour indique : « Les programmes d’évaluation fixés par les dernières lois de programmation des finances publiques n’ont pas été respectés. Ainsi, aucune évaluation sur les onze prévues dans le programme de travail pour 2022 n’a été réalisée. Certains dispositifs, y compris à fort enjeu, n’ont en outre pas fait l’objet d’évaluation depuis dix ans. » On pourrait probablement inclure dans ces dispositifs le pacte Dutreil.

Certaines niches ont sans doute leur utilité, pour d’autres, il y a matière à investigation. Messieurs les ministres, quelles suites le Gouvernement entend-il donner à ce rapport, riche en propositions de recettes nouvelles ?

Notre motion tendant à opposer la question préalable vise à faire surgir dans nos débats l’état réel de notre société. Elle est aussi un appel à explorer des pistes nouvelles de recettes fiscales, qui pourraient nous éviter un recours massif à l’aggravation de la dette publique.

Le PLF 2024 doit, selon les mots de Bruno Le Maire, dégager 16 milliards d’euros d’économies « afin de permettre à la France d’entamer le processus de désendettement ».

Monsieur le ministre, qui peut sérieusement croire à cette fable, alors que vous avez d’ores et déjà décidé d’emprunter 285 milliards d’euros l’an prochain et que le total de notre dette a dépassé les 3 000 milliards d’euros ?

Non, décidément, ce projet de budget ne s’attaque pas radicalement aux grands maux de notre société. (M. Pascal Savoldelli et Mme Nathalie Goulet applaudissent.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cher collègue, une bonne partie des dix minutes de votre intervention, soit une bonne moitié, a été l’occasion d’évoquer la « vraie vie » de certains de nos concitoyens. Vous avez à juste titre indiqué que chacun d’entre nous pourrait évoquer des situations similaires. Dans un second temps, vous avez replacé cet exemple dans une perspective plus large et ainsi contribué à notre débat.

Après vous avoir entendu, toutefois, je me réjouis que le Sénat ait choisi de débattre. Si votre motion était adoptée, le débat serait clos et ce projet de loi de finances ne ferait l’objet d’aucune discussion au Parlement. Nous ne pouvons nous permettre de prendre un tel risque pour notre démocratie.

Messieurs les ministres, ici, nous aimons travailler et nous travaillons sérieusement, même si nous ne partageons pas toutes vos positions – c’est le propre du débat public. Aussi, nous vous demandons de retenir plus de propositions du Sénat que cela ne fut le cas l’année dernière ; à défaut, la démocratie en sortirait diminuée et nous serions tous perdants. Le pouvoir exécutif national serait affaibli et la voix du Parlement ne serait pas entendue. Nous ne pouvons pas, je le répète, nous permettre de prendre un tel risque.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur la motion du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je comprends l’argument du rapporteur général : si nous votions cette motion de procédure, il n’y aurait aucun débat sur le projet de loi de finances.

Cependant, de quel débat parlons-nous ? Nous faisons face à un niveau d’endettement record de 285 milliards d’euros et à un déficit de 145 milliards d’euros. Nous acceptons cet état de fait, mais nous allons débattre d’un projet de loi de finances auquel 175 articles ont été ajoutés, sans véritable discussion, le texte ayant été adopté après recours au 49.3.

Il est, certes, de tradition au Sénat de respecter le travail de l’Assemblée nationale, mais quoi que nous décidions ici, le texte sera finalement adopté à l’Assemblée nationale, avec 175 articles supplémentaires, sans débat, grâce à l’article 49.3. Notre motion n’est donc pas un mouvement d’humeur ou une opposition de principe : simplement, les dés sont pipés.

Le rapporteur général a évoqué à juste titre l’examen au Sénat des précédents projets de loi de finances. À la fin, il n’est pas resté grand-chose de nos débats et des amendements que nous avions adoptés.

C’est parce que nous ne disposons pas au Sénat des moyens de censure de l’Assemblée nationale que nous avons déposé cette motion, afin de marquer un coup d’arrêt.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-1666, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2024.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 66 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 260
Pour l’adoption 18
Contre 242

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Organisation des travaux

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les jeux Olympiques et les jeux Paralympiques ont leurs épreuves de marathon ; au Sénat, nous avons le nôtre : le marathon budgétaire. Cette année, les sentiers s’annoncent escarpés et le parcours quelque peu rallongé.

Dans un contexte d’inflation, pas uniquement législative, alors que le taux de croissance pour 2024 est estimé à 1,4 %, les recettes de l’État pourraient connaître une hausse de 14 milliards d’euros par rapport à 2023. Cela témoigne d’un certain dynamisme et d’une bonne résistance de l’économie française face aux crises. Cette situation est non pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence de décisions politiques prises depuis plus de cinq ans.

Ce dynamisme se poursuivra en 2024.

Avec une économie en essor, l’imposition minimale à l’impôt sur les sociétés rapportera 1,5 milliard d’euros par an à partir de 2026 et permettra de limiter la concurrence fiscale internationale. Il s’agit d’une victoire décisive pour la réindustrialisation de la France, grâce à l’engagement du Gouvernement.

Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé ce matin à la radio : ce budget représente la fin d’une époque, celle du « quoi qu’il en coûte ». S’il marque indéniablement une étape décisive dans la réduction du déficit, il n’en demeure pas moins que ses dépenses en font un projet résolument engagé pour le financement des services publics prioritaires, pour la transition écologique et, surtout, pour nos collectivités.

Nous le constatons tous : nos concitoyens ont des attentes fortes en matière de services publics.

Ce projet de loi de finances prévoit 3,3 milliards d’euros de plus pour l’armée, une augmentation de 5 % du budget de la justice et le recrutement de plus de 7 000 agents publics supplémentaires, dont 3 000 pour accompagner les élèves en situation de handicap, 1 900 dans les tribunaux et 2 600 dans la police.

Ce texte prévoit surtout 3,9 milliards d’euros en plus pour un secteur qui me tient à cœur en tant que fils d’instituteur : l’éducation nationale.

Face aux multiples difficultés, à commencer par le problème d’attractivité du métier d’enseignant, le projet de loi de finances pour 2024 permet de concrétiser la revalorisation historique de la rémunération des enseignants, mise en œuvre dès la rentrée scolaire 2023.

Cet effort inédit et sans condition se traduit par une augmentation de 100 euros net mensuels pour tous les enseignants, par une rémunération minimale de 2 100 euros en début de carrière, par la réforme du lycée professionnel ou encore par la hausse de la valeur du point d’indice de la fonction publique décidée par le Gouvernement en juillet dernier, dont les effets se feront ressentir en 2024.

L’année prochaine marquera donc une hausse historique de ce budget de 3,9 milliards d’euros, soit 6,5 % de plus par rapport à cette année, au service de la jeunesse de notre pays.

Mes chers collègues, Antoine de Saint-Exupéry l’écrivait avec sa limpidité singulière : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Face à l’urgence du dérèglement climatique, notre pays doit montrer l’exemple en agissant davantage, ce qui nécessite des moyens financiers supplémentaires.

En cohérence avec Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, qui estiment les besoins d’investissements à 60 milliards d’euros d’ici à 2030 dans leur rapport intitulé Les incidences économiques de laction pour le climat, le Gouvernement fait sa part en consacrant un effort inédit de 7 milliards d’euros supplémentaires à la planification écologique, pour la seule année 2024.

Ces crédits supplémentaires permettront de financer, entre autres, la rénovation des logements et des bâtiments de l’État, des investissements dans le réseau ferroviaire, le développement de haies, les moyens dédiés au renouvellement forestier, le fonds vert, dont une partie sera consacrée au recyclage des friches.

N’oublions pas l’une des mesures fiscales les plus importantes de la première partie de ce PLF : la création du crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte. Cet outil, qui est attendu depuis l’examen de la loi relative à l’industrie verte, devrait permettre environ 23 milliards d’euros d’investissements et créer plus de 40 000 emplois directs sur le territoire national d’ici à 2030.

La planification écologique est en cours. Affirmer que rien n’est fait en ce sens relève, dans le meilleur des cas, de la mauvaise foi, dans le pire, d’un inquiétant déni de réalité.

Alors que notre institution est souvent surnommée la chambre des territoires et que le congrès des maires de France touche à sa fin, je dirai à présent un mot sur la situation financière des collectivités territoriales.

Si ce projet de budget marque la fin du « quoi qu’il en coûte », il ne signifie pas pour autant la fin de l’accompagnement de nos collectivités. Après avoir connu en 2023 sa première hausse depuis douze ans, la dotation globale de fonctionnement augmentera de nouveau de 220 millions d’euros.

L’assiette du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée a été élargie aux dépenses d’aménagement de terrains des collectivités territoriales. Le Gouvernement répond ainsi favorablement à une demande forte des élus locaux en consentant un effort supplémentaire bienvenu de 250 millions d’euros.

Enfin, mes chers collègues, la France doit avoir un budget, mais le Sénat peut l’affiner. C’est pourquoi, au nom du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, je défendrai plusieurs amendements concernant des sujets essentiels, notamment le dispositif de soutien à l’aide alimentaire.

Nous élargirons le dispositif de soutien aux éleveurs bovins. Nous proposerons d’abaisser le prélèvement sur les fonds de roulement des chambres de commerce et d’industrie (CCI) pour préserver leurs ressources ; de renforcer le dispositif d’aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales ; d’élargir le taux réduit de TVA et la créance d’impôt sur les sociétés pour le logement locatif intermédiaire ; de réduire, enfin, le taux de TVA à 5,5 % sur les préservatifs masculins et féminins.

Mes chers collègues, nous sommes prêts pour un débat enrichissant, respectueux et sans langue de bois. À ce sujet, j’ai en particulier à l’esprit la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises : on ne saurait à la fois regretter devant les chefs d’entreprise que celle-ci soit trop lente, et, devant les élus locaux, la déplorer ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen du deuxième projet de loi de finances de cette législature, sans que plane au-dessus de nous la menace de débats avortés par le recours au 49.3, ce dont je me félicite.

Ce projet de budget constitue un exercice vertigineux d’équilibriste, tant il mêle de problématiques presque antagonistes. Sa construction fait ressortir un « trilemme » entre transition écologique, cohésion sociale et austérité budgétaire.

Ce triangle d’incompatibilités démontre trois choses, tout d’abord que votre volonté chronique de baisser les impôts entre en collision avec celle de réduire le déficit public ; ensuite, que les investissements verts proposés sont loin de répondre aux objectifs de décarbonation ; enfin, que les baisses de dépenses publiques, à travers plusieurs pistes d’économies, fragilisent notre modèle social, en particulier pour les classes populaires.

Ce budget est aussi celui de tous les renoncements. L’année 2023 a été marquée par des débats de fonds structurels dans notre société : quelle place donner à l’héritage dans la lutte contre les inégalités de patrimoine ? Comment taxer de manière plus équitable les multinationales ? Comment lutter de manière plus efficiente contre la fraude fiscale ?

À nos questions hebdomadaires au Gouvernement, une même phrase nous a sempiternellement été répondue : « Nous traiterons ces sujets dans le prochain budget à l’automne. » Nous y sommes, et la déception est à la hauteur de l’espérance que vos plans de communication avaient suscitée !

Il est des renoncements qui sonnent comme des aveux, et que nous partageons avec vous : il en va ainsi de la suppression totale prévue dès cette année de la CVAE, finalement décalée à la fin du quinquennat, en 2027. Ce renoncement est la preuve que votre obstination dogmatique à baisser les impôts de production s’arrête net face au mur des réalités budgétaires ; il est symptomatique de la contradiction qui vous anime en la matière.

Disons-le franchement : soit l’on considère que cette suppression est nécessaire, car il s’agit d’un outil de relance économique, comme vous nous le répétez depuis six ans, et, dans ce cas, il ne faut pas perdre de temps.

M. Didier Rambaud. Mauvaise idée !

M. Thierry Cozic. Soit cette suppression est inutile et inefficace, et l’on peut donc attendre quatre années de plus.

Force est de constater que le choix qui est le vôtre fait office d’aveu, monsieur le ministre, car si, avec cette suppression, vous commencez à esquisser un début de prise de conscience de l’inanité de votre politique de l’offre, d’autres, rapport après rapport, se chargent de vous l’indiquer frontalement.

De France Stratégie à la Cour des comptes, tous aboutissent aux mêmes conclusions : maintenir l’impôt sur la fortune (ISF) aurait rapporté 6,3 milliards d’euros en 2022.

Si nous ne contestons pas que les entreprises sont là pour créer de la richesse, nous sommes au regret de vous rappeler que l’État est là pour créer de la justice, monsieur le ministre.

Cet argent pourrait financer de grands chantiers, car il n’en manque pas ! Nous estimons par exemple que la bifurcation écologique pour atteindre l’objectif de neutralité carbone devrait être au cœur du budget.

Les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, que le Président de la République a lui-même nommés, estiment qu’un investissement public à hauteur de 34 milliards d’euros est nécessaire. Au regard d’un tel montant, les 7 milliards d’euros supplémentaires que vous proposez d’allouer à la transition écologique dans ce budget semblent bien dérisoires.

Pour notre part, nous souhaitons contribuer à la recherche de financements. Nous vous proposerons donc d’émettre un avis favorable sur notre amendement visant à instaurer un ISF vert, comme le préconise d’ailleurs le rapport que je viens d’évoquer.

Votre incapacité à résoudre ce triangle d’incompatibilités vous pousse à l’improvisation constante. Vous aviez prévu 16 milliards d’euros d’économies, mais, au dernier moment, vous avez demandé aux oppositions et à votre majorité parlementaire relative de trouver 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires.

Improvisation toujours, quand, à la défaveur d’une hausse des prix des carburants, la Première ministre a annoncé, sans avoir mené la moindre concertation, que les distributeurs vendraient le carburant à perte. Les enseignes ont beau se livrer à une virulente guerre des prix, leurs patrons ont opposé une fin de non-recevoir à la Première ministre. (Marques dapprobation.)

Le besoin en financement est colossal, et nous devons nous donner les moyens de trouver des recettes supplémentaires.

À cet égard, qu’en est-il de la lutte contre l’évasion fiscale ? Malgré un vaste plan antifraude annoncé en grande pompe avant l’été, les mesures sont loin d’être à la hauteur des enjeux. Cette cause devrait être prioritaire et donc massivement dotée de moyens humains, matériels et financiers, car elle recèle de colossales recettes potentielles.

M. Thierry Cozic. Nous défendrons des amendements en ce sens, car la politique fiscale visant à faire contribuer tout le monde à la hauteur de ses facultés contributives n’est pas votre mantra, monsieur le ministre.

L’exemple quasi caricatural en est votre volonté d’exonérer d’impôts les fédérations sportives. Alors que la Fédération internationale de football association (Fifa) a réalisé un chiffre d’affaires record de 7,6 milliards de dollars et qu’elle dispose de moyens substantiels, il ne paraît pas justifié qu’elle bénéficie d’une telle exemption.

Le Gouvernement ayant souhaité « responsabiliser les oppositions dans la construction du budget » en leur demandant de trouver 1 milliard d’euros d’économies, le groupe socialiste du Sénat tient à vous aider, monsieur le ministre, à trouver, non pas des économies, mais des recettes supplémentaires. Pour ce faire, nous avons besoin de vous.

Nous vous invitons donc à émettre des avis favorables sur les amendements de notre groupe visant à instaurer un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 40 %, un ISF vert, une taxation des superprofits… La liste est si longue que je ne peux pas être exhaustif.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera à ce projet de budget, que nous jugeons inique, car il fait peser les efforts exclusivement sur les classes moyennes tout en favorisant les plus aisés de notre pays.

Seul un budget empreint de justice fiscale et sociale pourrait emporter notre vote. En l’état, nous en sommes très loin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Selon le dossier de presse du Gouvernement, le projet de loi de finances pour 2024 répond aux défis de demain. Il met l’accent sur la lutte contre l’inflation, la protection du pouvoir d’achat des Français, la baisse du déficit public et les investissements pour préparer l’avenir, tout particulièrement la transition écologique.

Or c’est bien connu, monsieur le ministre : qui trop embrasse, mal étreint.

Mme Christine Lavarde. Non, ce PLF ne permet pas de faire face à l’urgence écologique.

La forte baisse des dépenses défavorables en 2024 s’explique uniquement par l’extinction progressive des dispositifs de soutien aux consommateurs. Moins de 7 % des dépenses de ce projet de budget soutiennent la transition écologique de notre pays.

Les trois quarts des dépenses sont considérées comme neutres, ce qui, au regard du poids des transferts sociaux et des charges de personnel dans le budget de l’État, est tout à fait logique. Si l’État était moins omnipotent dans la vie des Français, la part des dépenses « évaluables » serait nécessairement plus élevée.

Une part aussi faible de dépenses « notables » suscite des interrogations sur la portée opérationnelle du rapport sur l’impact gouvernemental du budget de l’État, dit budget vert. D’ailleurs personne, ni l’administration ni les parlementaires, ne se réfère jamais à ce document.

Surtout, le Gouvernement oublie de l’actualiser dans le cadre de la loi de règlement. En 2021 comme en 2022, et bientôt en 2023, les dépenses vertes exécutées sont nettement inférieures à celles qui ont été votées.

Je n’en donnerai qu’un exemple : MaPrimeRénov’. Le projet de loi de fin de gestion pour 2023, qui a été définitivement adopté hier, a annulé 0,4 milliard d’euros d’autorisations d’engagement et 1 milliard d’euros de crédits de paiement alloués à ce dispositif. (M. Christian Bilhac acquiesce.)

Ce budget vert cache l’absence d’un cadre de financement pluriannuel qui permettrait de faire converger la trajectoire environnementale et la trajectoire des finances publiques. Les investissements que l’État, les ménages et les entreprises devront financer étant considérables, ils doivent être anticipés.

Les cinquante sites industriels les plus émetteurs de CO2 nécessiteront par exemple des investissements dont le montant s’établit entre 50 milliards et 70 milliards d’euros. Les collectivités devront pour leur part débourser 80 milliards d’euros en 2030, contre 55 milliards d’euros aujourd’hui.

Nous ne pouvons donc que saluer l’introduction, au cours de la navette parlementaire, d’un article dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) obligeant le Gouvernement à transmettre chaque année une stratégie pluriannuelle fixant les financements de la transition écologique et de la politique énergétique.

Il importe qu’une telle réflexion soit menée, car la transition énergétique aura des conséquences significatives sur nos équilibres financiers.

Prenons l’exemple du financement de la politique de l’eau. La sobriété a entraîné une baisse de 10 % de la consommation sur une année, mais, dans le même temps, les recettes ont reculé dans la même proportion. Or le besoin d’investissements pour adapter nos réseaux au changement climatique est estimé à près de 3 milliards d’euros pendant cinq ans.

Ce projet de loi de finances n’apporte, hélas ! aucune réponse.

Pour reprendre les mots du rapporteur général, l’article 49 undecies s’apparente – pardon de le dire, monsieur le ministre – à un simple coup de peinture.

La possibilité désormais offerte aux collectivités de joindre un « état des engagements financiers concourant à la transition écologique » à leur budget primitif ne changera rien ni au coût ni au poids de la dette sur leurs finances. Du reste, rien aujourd’hui n’interdit que les rapports budgétaires contiennent des graphiques permettant d’illustrer l’endettement des collectivités.

L’action des collectivités est d’autant plus difficile que le Gouvernement continue d’allouer des financements par à-coups. La communication sur la flexibilité du fonds vert et son adaptation aux réalités locales se heurte aux faits : les crédits pour 2024 sont en effet massivement réorientés, à hauteur de 500 millions d’euros, vers la rénovation du bâti scolaire, les dossiers devant de plus être déposés dans un délai très bref.

Dans ce contexte, pourquoi ne pas mettre en place, à l’instar de ce qui existe pour la politique du tourisme, une fiscalité affectée avec une obligation de budget dédié ? Comme chaque année, le Sénat vous fera des propositions en ce sens, monsieur le ministre.

Plus généralement, notre système de financement marche sur la tête. Près de 2 milliards d’euros d’aides de l’État visant à titre principal la transition écologique des entreprises ont été versées par cinq opérateurs au travers de 340 dispositifs différents. Ces aides ont été créées par stratification progressive, sans réelle réflexion sur la cohérence d’ensemble.

Alors que l’inspection générale des finances appelle dans son rapport en tout premier lieu à une discipline d’évaluation, demain, deux ministres dévoileront une plateforme dédiée à un accès simplifié des entreprises à ces aides, avant toute réflexion sur le fond.

Il est pourtant urgent d’agir pour la décarbonation de notre économie. À défaut, notre système financier pourrait en pâtir demain.

En effet, comme le souligne la Banque de France dans une note, les fonds d’investissement et, par là même les compagnies d’assurances, sont fortement exposés au risque associé au changement climatique, en particulier aux risques climatiques de transition.

Pour notre groupe, l’écologie ne doit pas rimer avec la décroissance. Nous estimons que l’écologie doit coïncider avec une meilleure croissance et une véritable souveraineté industrielle. Or non, ce PLF ne garantit pas la souveraineté de la France dans tous les domaines.

En la matière, nous commençons à peine à réagir. Les modalités d’attribution du bonus automobile évoluent certes en 2024 – je regrette que le ministre Bruno Le Maire ne soit plus présent pour m’entendre (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) –, mais alors que les premiers véhicules électriques abordables des constructeurs français produits dans l’Union européenne arriveront prochainement sur les chaînes de production, les crédits accordés au bonus et à la prime à la conversion en 2024 seront inférieurs aux crédits exécutés en 2023.

Cette année, une part très significative des 1,9 milliard d’euros consacrés à ce bonus a contribué à soutenir l’industrie chinoise. (MM. André Reichardt et Stéphane Sautarel acquiescent.) C’est d’autant plus scandaleux que nous vous avions prévenu, monsieur le ministre, et que, pour réduire leurs coûts de fabrication, Tesla et les marques chinoises conçoivent des batteries non recyclables.

Je pourrais poursuivre avec d’autres exemples. Entre 2015 et 2020, les importations de pompes à chaleur chinoises ont augmenté de 17 % par an dans l’Union européenne. Quant aux pompes à chaleur assemblées en France, elles sont produites avec des composants électroniques et des matières premières très largement importées d’Asie. MaPrimeRenov’ et les certificats d’économies d’énergie (C2E) ont financé en 2022 près de 1,4 milliard d’euros d’équipements et de matériaux de rénovation énergétique importés.

Comme certains, monsieur le ministre, j’estime que la communication gouvernementale sur le Black Friday aurait dû inciter les consommateurs à acheter français et à acheter durable plutôt qu’à ne pas acheter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.) Malheureusement, on ne peut ni consommer ni exporter ce que l’on ne produit pas.

La part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée totale a baissé de près d’un tiers en vingt ans.

Mais la réindustrialisation ne doit pas se faire à tout prix. Les observations de la Cour des comptes sur le volet relatif à la relocalisation de l’industrie du plan France Relance sont sévères. La juridiction relève en effet que les objectifs pluriannuels de l’instrument ont nui à la qualité du ciblage des subventions, sur lesquelles repose pourtant l’efficacité de la politique de réindustrialisation.

Si la souveraineté est industrielle, elle est aussi financière. À cet égard, de grands défis nous attendent. À la fin de l’année 2022, 47 % de la dette publique française était détenue par des étrangers, contre 39 % pour l’ensemble des principaux pays émetteurs de la zone euro et contre 23 % aux États-Unis. Comment cette part évoluera-t-elle à la suite du désengagement progressif de la Banque de France, qui détient aujourd’hui 709 milliards d’euros d’encours de dette ?

Au cours des prochaines années, la France va entrer dans un cycle infernal : il lui faudra refinancer à hauteur de plus de 200 milliards d’euros par an, en 2025 et en 2026, des dettes arrivant à échéance.

Selon les estimations de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), la part du coût de la dette dans le déficit budgétaire, qui s’établissait à 13 % en 2019, s’élèvera à 50 % en 2027.

Compte tenu de cette estimation de la charge de la dette en 2027, l’urgence devrait être de parvenir à l’équilibre primaire des comptes le plus vite possible en agissant prioritairement sur les dépenses.

Alors que le Gouvernement a peiné à trouver des économies pour 2024, appelant les parlementaires à proposer 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires, il faudra trouver 12 milliards d’euros en 2025 pour tenir la trajectoire de réduction du déficit public.

J’ai cru comprendre que le Gouvernement plaçait beaucoup d’espoir dans les revues de dépenses publiques. Vous vous souvenez sans doute, monsieur le ministre, que j’ai réalisé un bref état des lieux de la première version de ce document et de ses résultats très mitigés lors de la discussion générale de la LPFP.

Au regard des échos que j’ai eus de la réunion qui s’est tenue mardi matin sur le sujet, je crains que la deuxième version ne soit pas meilleure.

Avec votre collègue Bruno Le Maire, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué avoir trouvé une recette miracle, la vente des bijoux de famille. C’est, hélas ! un fusil à un coup.

Le levier des recettes fiscales ne pouvant pas être actionné sans détruire notre compétitivité, il ne reste qu’un seul levier, celui des économies. Tout au long de la discussion de ce PLF, nous aurons l’occasion de vous démontrer que la trajectoire des finances publiques votée par le Sénat dans la LPFP n’était pas irréaliste et qu’il est possible de réaliser plus de 5 milliards d’euros d’économies dès 2024.

À la clarté des enjeux, la communication budgétaire préfère souvent, hélas ! l’obscurité des mesures relatives.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

Mme Christine Lavarde. Vous parlez en points de PIB. Cette grandeur permet certes d’entretenir le flou, mais elle n’est pas pratiquée par les Français, qui lui préfèrent le mètre, le kilo et l’euro.

C’est du reste une grandeur absurde, comme Vincent Delahaye le rappelait en début de semaine : 30 % du PIB n’est rien d’autre que de la dépense publique.

Il faut toutefois reconnaître que tout passe mieux en points de PIB. Le déficit s’améliore, passant de 4,9 % à 4,4 %, alors qu’il est stable en euros – de 150 milliards d’euros à 150 milliards d’euros…

Le taux de prélèvements obligatoires passe de 44 % en 2023 à 44,4 % en 2027. Ce petit chiffre après la virgule cache pourtant une hausse de 10 %, soit des milliards d’euros supplémentaires !

La charge de la dette passera de 1,3 % du PIB en 2023 à 2,6 % en 2027. Cette hausse en apparence minime dissimule pourtant une multiplication par plus de deux de cette charge, portant son coût de 37 à 84 milliards d’euros.

Quand les ménages parlent en euros, monsieur le ministre, le Gouvernement, lui, parle en points de PIB, ce qui lui permet de ne pas dire que ses dépenses seront de 30 % supérieures à ses recettes.

Cette fragilité de nos finances nous rend moins forts pour discuter sur la scène européenne de la réforme du pacte de stabilité et de croissance.

Les critères, pourtant plus souples, proposés par la Commission européenne feraient très certainement consensus parmi les États membres, s’il n’y avait pas les cancres que sont l’Italie et la France.

Notre souveraineté repose aussi sur notre image auprès de nos partenaires européens.

Si ce projet de loi de finances comprend des mesures immédiates de soutien des Français face à l’inflation, nous remarquons que celles-ci sont encore empreintes de la philosophie du « quoi qu’il en coûte ».

L’objectif de souveraineté nous impose pourtant d’adopter sans faillir le mantra du « combien ça coûte ». Telle est la raison de la révision du dispositif de soutien des particuliers face au niveau des prix de l’électricité, visant à cibler celui-ci pour partie sur les ménages les plus modestes. C’est beaucoup moins populaire que l’arrosage tous azimuts, mais c’est beaucoup plus respectueux des générations futures.

Non, ce PLF ne soutient pas les Français, monsieur le ministre.

Les récentes discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale illustrent à quel point les générations futures sont les grandes oubliées de la politique, peut-être parce que ce ne sont pas celles qui seront appelées aux urnes dans quelques mois.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

Mme Christine Lavarde. Ce sont pourtant ces générations qui devront financer la charge de la dette. Ce sont elles aussi qui auront à porter le vieillissement de la population. Selon l’iFRAP, le seul coût des allocations versées pour soutenir financièrement les personnes âgées qui perdront en autonomie pourrait dépasser 10 milliards d’euros à l’horizon 2040, soit une hausse de 80 % par rapport à 2020. Les finances des départements n’y suffiront pas.

Par les enjeux financiers qu’elle emporte, la loi de programmation relative au grand âge est une urgence, au même titre qu’une loi de financement de la transition écologique. Je n’ose rappeler qu’il s’agissait d’une promesse de campagne du président Macron en 2017.

Six ans ont passé, et la situation est désormais catastrophique. Les deux plus grandes entreprises cotées du secteur de la dépendance ont eu besoin d’un plan de sauvetage. La majorité des 2 000 établissements privés membres du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) finiront l’année en perte. Et quelque 100 millions d’euros ont dû être débloqués en urgence cet été.

La ministre Aurore Berger reconnaît elle-même qu’il faut se poser des questions sur le financement à plus long terme de la branche autonomie.

La part de la contribution sociale généralisée (CSG) désormais attribuée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à hauteur de 0,15 point, servait jusqu’à présent au remboursement de la dette de la sécurité sociale via la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Celle-ci, je le reconnais, est censée disparaître en 2033, mais la persistance des déficits conduit à s’interroger sur sa prolongation et donc, sur son financement.

Selon le FMI, le coût de la lutte contre le réchauffement climatique, de l’effort supplémentaire de défense, rendu nécessaire par l’accroissement des tensions géopolitiques et du vieillissement démographique, pourrait atteindre 7,5 % du PIB pour les pays de l’OCDE.

Ces enjeux qui sont devant nous appellent à davantage de rigueur dans la gestion des deniers publics.

Pour conclure, je citerai Napoléon, qui fait actuellement la une de nombreux journaux : « Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non pas les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. […] L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain. »

Monsieur le ministre, mes chers collègues, méditons ces paroles à l’aune de notre dette. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que l’intervention de M. le ministre Bruno Le Maire, qui a depuis déserté cet hémicycle, ressemblait au discours de campagne d’un candidat qui aurait oublié qu’il était au pouvoir depuis six ans.

« Parfois, les gens ne veulent pas entendre la vérité parce qu’ils ne veulent pas que leurs illusions soient détruites », disait Nietzsche. C’est bien un budget d’illusion que vous présentez au Sénat, monsieur le ministre.

Bilan de votre politique et de celle de vos prédécesseurs, qui siègent largement sur ces travées, la France affiche un triste bilan, la dette dépassant les 3 000 milliards d’euros.

Pour faire passer la pilule, vous fondez votre projet sur une croissance illusoire, reconnue unanimement comme optimiste, pour ne pas dire fantaisiste, par les plus hautes instances macroéconomiques du pays.

Notre pays a atteint un taux record de prélèvements obligatoires et d’impôts qui, selon Eurostat, représentent 47 % du produit intérieur brut. La France détient le triste record du pays européen le plus imposé, après le Danemark.

Les Français consentent encore à l’impôt et souhaitent participer à l’effort national, mais peuvent-ils espérer un retour sur investissement ? Malheureusement, la réponse est non.

Les Français assistent chaque jour au délitement du service public et subissent la pression délirante d’une administration – la vôtre, monsieur le ministre –, tatillonne et procédurière : toujours moins de services publics et une complexité administrative croissante pour faire avancer le moindre projet.

L’hôpital et les soignants sont à bout de souffle. Plus d’un tiers des Français, qui refusent d’ailleurs de plus en plus souvent de se soigner, vivent dans des déserts médicaux.

Nos territoires d’outre-mer sont abandonnés, particulièrement Mayotte, où l’accès à l’eau est une difficulté de tous les jours et la sécurité de nos concitoyens mahorais une préoccupation de chaque instant.

Des enseignants, notre école républicaine, pilier de notre État, ou encore le pacte républicain, qui représente nos valeurs intemporelles de liberté, d’égalité et de fraternité, sont remis en cause par un fondamentalisme islamique qui gangrène notre vivre ensemble.

L’immigration non contrôlée met à rude épreuve nos ressources et notre capacité d’assimilation. Nous devons lier nos valeurs d’humanité à l’harmonie de notre Nation.

Alors que la situation financière de la France est sensiblement dégradée, ce qui suscite des interrogations sur sa soutenabilité à moyen terme, vous camouflez à coups de 49.3 la gravité de l’état de nos comptes publics. Vous êtes dans l’autosatisfaction permanente, monsieur le ministre.

Vous voulez jouer les bons élèves de l’Union européenne, Union à laquelle les Français ont donné en 2023 plus de 24 milliards d’euros. Sur ce montant sans cesse croissant, vous présentez – quel hasard ! – une baisse de 3 milliards d’euros de cette dîme bruxelloise, écran de fumée électoraliste de la Macronie pour éviter un désastre électoral le 9 juin prochain. C’est pourtant peine perdue.

Les Français ne sont pas dupes. Ils ont l’espoir, avec Marine Le Pen, d’une alternance prochaine.

M. Laurent Burgoa. Cela faisait longtemps !

M. Joshua Hochart. Il faudra vous y habituer !

D’année en année et de déficit en déficit, celle-ci s’impose comme une nécessité toujours plus urgente.

Dans le cadre de l’examen de ce projet de loi de finances, les sénateurs du Rassemblement national proposeront et soutiendront tous les amendements de bon sens visant à faire payer ceux qui le doivent, et surtout, à rendre leur argent aux Français.

Nous proposerons notamment la baisse urgente de la TVA sur l’énergie et sur les produits de première nécessité, pour enfin desserrer l’étau qui pèse sur nos compatriotes les plus modestes.

Nous agirons aussi pour augmenter le pouvoir d’achat, en proposant notamment la mesure vitale qu’est le gel des cotisations patronales, en échange d’une augmentation de 10 % des salaires.

Enfin, la natalité, pilier central de toute prospérité, sera défendue et encouragée par le rétablissement de l’universalité des allocations familiales, honteusement spoliées par la gauche aux familles françaises. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Conscient de la situation dégradée de nos finances publiques, le Rassemblement national vous proposera également des mesures pour faire rentrer dans nos caisses cet argent qui manque tant.

Nous défendrons ainsi la taxation du patrimoine immatériel et des superprofits. Le capital, qui a toutes les faveurs du Gouvernement, doit aussi contribuer à l’effort national, monsieur le ministre.

Nous demanderons en outre que la honteuse contribution financière au profit de l’Union européenne soit diminuée.

Monsieur le ministre, la chambre haute ne peut pas être muselée comme l’a été l’Assemblée nationale par le 49.3, seul nombre qui semble avoir grâce à vos yeux ! Dans cette chambre, cet article ne peut pas être « dégainé ».

Nous appelons tous les sénateurs à entendre nos propositions et à soutenir celles qui vont dans le bon sens. L’intérêt national doit transcender les petits intérêts électoraux comme les calculs d’écuries politiques discréditées.

M. Jean-Michel Arnaud. Et les vôtres ?

M. Joshua Hochart. Redonnons espoir et espérance au peuple de France en dépassant nos divergences partisanes, mes chers collègues. (M. Aymeric Durox applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre qui reste (Sourires.), mes chers collègues, « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer. » Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Sylvain Tesson, et je crois qu’il a raison.

M. Emmanuel Capus. Il est effectivement difficile de convaincre les Français, singulièrement certains sénateurs, qu’ils ne vivent pas en enfer.

Qu’est-ce que l’enfer d’un point de vue budgétaire, mes chers collègues ?

L’enfer, c’est quand les prélèvements obligatoires atteignent des niveaux confiscatoires. C’est quand la dette explose. C’est quand l’inflation s’emballe. C’est quand les services publics ne fonctionnent plus, alors même qu’ils n’ont jamais bénéficié de moyens financiers aussi importants. C’est quand le pays semble au bord de l’implosion. C’est ça, l’enfer. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Nous y sommes !

M. Emmanuel Capus. Au contraire, qu’est-ce que le paradis d’un point de vue budgétaire ?

Le paradis, c’est quand les impôts sont suffisamment bas pour permettre aux gens de vivre dignement de leur travail et aux entreprises d’être compétitives et innovantes. C’est quand les services publics se modernisent. C’est quand les comptes sont maîtrisés et que la signature de l’État inspire confiance.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est donc pas la France !

M. Pascal Savoldelli. Peut mieux faire !

M. André Reichardt. Vous ne croyez pas au paradis…

M. Emmanuel Capus. Sylvain Tesson a-t-il raison, mes chers collègues ? À mon avis, c’est fort probable.

Il n’est bien sûr pas difficile de trouver des éléments prouvant que la France est effectivement un enfer budgétaire – notre collègue Lavarde en a cité abondamment. C’est du reste peut-être l’opinion qui domine chez nos concitoyens et chez certains d’entre vous, mes chers collègues.

Avec plus de 3 000 milliards d’euros de dette publique, un déficit chronique, une balance commerciale structurellement déficitaire, un taux d’inflation supérieur au taux de croissance, une dépense publique représentant 55 % du PIB, un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés du monde, des services publics sous tension, un taux de chômage qui pourrait repartir à la hausse, il y a de quoi dresser un tableau alarmant.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est la dèche !

M. Emmanuel Capus. Mais la France semble aussi, sur le plan budgétaire, un paradis sur terre. Pour s’en convaincre, le plus simple est sans doute de s’intéresser à ce que les étrangers pensent de notre pays.

Selon le prix Nobel d’économie Paul Krugman, la France est le pays qui a le mieux géré la crise. Alors que l’économie peine à redémarrer outre-Rhin, Der Spiegel estime que la France, c’est l’Allemagne en mieux.

La France, c’est le pays qui attire en Europe le plus d’investissements étrangers. Les notations restent excellentes. Le taux de chômage n’a jamais été aussi bas depuis un demi-siècle. L’inflation reflue, doucement certes, mais elle reflue, en passant de 4,9 % cette année à 2,6 % l’an prochain.

Mes chers collègues, je n’irai pas plus loin dans l’exégèse de Sylvain Tesson. L’important n’est pas là, me semble-t-il. Au-delà du tableau que chacun pourra dresser aujourd’hui, il importe de déterminer le cap que nous souhaitons fixer pour la suite.

L’exercice est difficile, car les nuages s’amoncellent au-dessus de notre avenir. J’identifie au moins trois types de menaces.

La première, qui est aussi la plus évidente, est la menace sécuritaire. Elle s’affirme à l’extérieur de nos frontières, mais aussi à l’intérieur.

Partout dans le monde, les attaques contre les démocraties redoublent. En France, l’explosion de la délinquance inquiète jusque dans nos campagnes.

Nous faisons aussi face à la menace du déclassement économique et à celle du délitement social.

Ces trois menaces, sécuritaire, économique et sociale, sont bien évidemment liées. C’est pourquoi nous devons y apporter une réponse claire et cohérente.

À mon sens, la solution tient en trois mots : un État, non pas omnipotent, chère Christine Lavarde, mais fort. Notre objectif doit donc être de renforcer l’État. Je crois, mes chers collègues, que le budget pour 2024 y contribue.

Un État fort est d’abord et surtout un État puissant dans l’exercice de ses missions régaliennes : justice, forces de l’ordre, forces armées. Sur ces trois volets, les moyens mobilisés augmentent considérablement. C’est une excellente nouvelle.

Ces augmentations s’inscrivent dans les trajectoires définies par les trois lois de programmation que nous avons votées, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

Au-delà de ces trois fonctions régaliennes clés, le PLF contient plusieurs mesures de lutte contre la fraude fiscale. Elles sont bienvenues.

L’État doit être fort, fort avec tous les citoyens et pas seulement avec les faibles, ou alors il n’y a plus de justice.

Notre groupe vous proposera d’ailleurs d’affermir ces mesures, par exemple en rendant automatique l’application de la peine complémentaire en cas de fraude fiscale aggravée.

Tout ce qui renforce l’État dans ses missions régaliennes est bienvenu. A contrario, mes chers collègues, tout ce qui l’empêche est malvenu.

C’est pourquoi notre groupe reste fidèle à sa ligne budgétaire. Il faut continuer à mettre de l’ordre dans nos comptes. Un État en déficit chronique, dont les recettes représentent à peine plus de la moitié des dépenses, ne peut pas être l’État fort que nous appelons de nos vœux.

Le rapporteur général a annoncé plusieurs milliards d’euros d’économies. C’est ambitieux. Le groupe Les Indépendants partage cet objectif et y prendra toute sa part.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

M. Emmanuel Capus. Sur les crédits de la mission « Travail et emploi », dont je suis rapporteur avec Ghislaine Senée, nous vous proposerons en effet de faire 1 milliard d’euros d’économies sur les 5 milliards d’euros que propose la commission des finances. Ce n’est certes pas suffisant au regard des 144 milliards d’euros de déficit public, mais c’est un début.

Notre groupe vous proposera d’autres mesures d’économie dès la première partie de ce PLF.

Il est toutefois des dépenses qui peuvent rapporter gros, monsieur le ministre, mes chers collègues. Pour répondre à la menace de déclassement économique, l’État doit se faire stratège. Il doit indiquer par des orientations claires les secteurs stratégiques dans lesquels nous devons investir massivement pour préparer notre avenir.

À cet égard, notre groupe a soutenu toutes les initiatives prises par le Gouvernement pour accélérer la réindustrialisation du pays. Nous continuerons de le faire et nous serons force de propositions en la matière.

Fidèles à la position que nous avons défendue dans le passé, nous nous interrogeons cette année encore sur le report de la suppression de la CVAE.

Monsieur le ministre, le plus difficile avait été fait, à savoir garantir aux collectivités locales une ressource pérenne et dynamique. Nous craignons que, en revenant sur le calendrier, vous ne brouilliez une stratégie qui avait le mérite de la clarté.

Au même titre que le crédit d’impôt en faveur des investissements dans l’industrie verte ou le plan d’épargne avenir climat, toutes les dépenses qui accélèrent la réindustrialisation de notre pays permettront un retour sur investissement rapide et massif. Nous améliorerons notre bilan carbone global, nous rétablirons notre balance commerciale et nous continuerons à créer de l’emploi et à innover.

Surtout, nos territoires en profiteront pleinement. Miser sur la réindustrialisation, c’est leur offrir, notamment aux plus ruraux d’entre eux, des perspectives nouvelles.

M. Bruno Belin. Elles en ont besoin !

M. Emmanuel Capus. C’est leur faire une promesse d’attractivité et de compétitivité. Là se trouve la réponse à la menace de désagrégation sociale.

Miser sur les territoires, c’est renforcer la cohésion sociale de notre pays. Pour cela, vous avez, monsieur le ministre, des alliés que vous auriez tort de négliger, car ils seront toujours au rendez-vous lorsque les solutions fonctionnent sur le terrain : il s’agit des collectivités locales.

Leur message est clair. Elles veulent des politiques frappées au coin du bon sens, ainsi qu’une relation de confiance avec l’État. Le Congrès des maires leur offre, comme chaque année, une caisse de résonance en pleine séquence budgétaire.

Aussi, l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement, à hauteur de 220 millions d’euros, est une excellente nouvelle pour les élus locaux. Après la crise sanitaire et le pic inflationniste, une stagnation de leurs moyens aurait été malvenue.

Plusieurs autres mesures devront renforcer leur relation de confiance avec l’État. Je pense notamment à la redéfinition des zones de revitalisation rurale (ZRR), dont nous aurons l’occasion de débattre longuement, ainsi qu’à la rétrocession aux collectivités territoriales des amendes prélevées dans les zones à faibles émissions (ZFE), ou encore au renforcement du pacte de stabilité au profit des communes nouvelles.

Sur tous ces sujets, mes chers collègues, je ne doute pas que le Sénat sera force de propositions. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires aborde sereinement ce projet de loi de finances pour 2024. Il le fait muni d’une boussole dont l’orientation est très claire : un État fort sur ses missions régaliennes, qui agit en confiance avec les collectivités locales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste souhaite aider le Gouvernement à équilibrer ce budget et lui propose pour cela de renflouer les caisses grâce à la lutte contre la fraude fiscale.

Les chiffres sont astronomiques, puisqu’il manque entre 80 milliards et 120 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Le groupe Union Centriste a fait de ce sujet un axe fort de sa réflexion.

Je salue tout d’abord les dispositions des articles 19, 20 et 21 et ne manque pas d’éprouver une sorte de tendresse – si j’ose le dire ainsi – pour les dispositions de l’article 22 relatif aux prix de transfert.

Durant l’examen de ce PLF, nous aurons l’occasion de vous faire des propositions non seulement en première partie, mais aussi dans le cadre de l’examen des différentes missions.

Dans son rapport de novembre 2023 sur la détection de la fraude fiscale des particuliers, la Cour des comptes écrit que « de manière regrettable et persistante, la France ne dispose à ce jour d’aucune estimation statistique de la fraude fiscale ». J’ajouterai que cette absence d’outil d’évaluation est anormale.

Certes, sur l’excellente initiative de Gabriel Attal, vous avez réuni un groupe de travail sur le sujet, mais il n’existe toujours pas d’instance permanente pour cette évaluation. Et pendant ce temps, les voleurs courent toujours.

Monsieur le ministre, chacun sait pourtant qu’un fraudeur heureux est un fraudeur qui revient.

Le document de politique transversale (DPT) qui nous a été remis, autrement appelé « orange budgétaire », ne remplit pas intégralement son rôle. Par exemple, l’explication des crédits du programme 156 reste insuffisante.

De plus, le document ne mentionne pas les différents acteurs et services qui concourent à la lutte contre l’évasion fiscale en étant financés par d’autres programmes, alors que cela correspond précisément à la fonction technique qui lui revient.

Il omet, par exemple, de citer le service Tracfin, qui dépend du programme 218, « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières », ou encore la brigade nationale de la répression de la délinquance fiscale (BNRDF) qui relève du programme 176, « Police nationale » de la mission « Sécurités ». Le budget du parquet national financier (PNF) qui est porté par le programme 166, « Justice judiciaire » de la mission « Justice » ne figure pas non plus dans le DPT.

Il est important de pouvoir disposer d’un document de politique transversale, mais s’il est incomplet, cela rend sa consultation peu opérante.

J’en viens à présent à deux sujets de fond. Premièrement, on estime que, entre 2000 et 2020, le montant de la fraude à l’arbitrage des dividendes représentait 150 milliards d’euros à l’échelle mondiale et 33 milliards d’euros à l’échelle nationale.

Le groupe Union Centriste vous proposera un amendement qui, même s’il a été rejeté à plusieurs reprises au cours des années précédentes, n’en reste pas moins nécessaire. J’espère que la vague de perquisitions lancée par le PNF au printemps dernier, dans le cadre du scandale dit « CumCum », vous motivera. Gabriel Attal, qui exerçait précédemment vos fonctions, monsieur le ministre, annonçait des redressements à hauteur de 2,5 milliards d’euros.

Deuxièmement, nous devons mener une lutte en bonne et due forme contre la délinquance financière et les paradis fiscaux, ainsi qu’un travail de fond sur les conventions fiscales internationales.

En la matière, tout scandale est suivi d’une annonce. Ainsi, Nicolas Sarkozy de lancer à Deauville : « Les paradis fiscaux, c’est fini ! ». Force est de constater qu’ils ne se sont jamais aussi bien portés.

Preuve en est, la Suisse, malgré ses promesses, mais aussi le Luxembourg et les ports francs aux portes de l’Europe et en Europe, le Liechtenstein, Jersey, ou bien encore nos amis de Dubaï, qui brassent des milliards en roubles ou en euros : aucun de ces États ne figure sur la liste noire des juridictions fiscales non coopératives établie par l’Union européenne.

Quant à la liste grise de celles qui font l’objet d’un suivi attentif par l’Union européenne, elle n’est guère plus satisfaisante : on y retrouve des pays amis comme l’Arménie et Israël, mais Dubaï n’apparaît nulle part, non plus que la Grande-Bretagne post-Brexit.

Monsieur le ministre, les règles qui permettent de sortir de la liste des territoires non coopératifs n’ont rien de sérieux. Il suffit de signer une convention et peu importe qu’elle soit suivie d’actes ou pas. Dans un autre domaine, chacun s’accorde à dire : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. » Il faudrait appliquer le même raisonnement en matière de coopération fiscale.

Laissez-moi vous donner un exemple. L’oligarque, que nous appellerons M. T., s’est acheté un Falcon 2000 pour 28 millions de dollars – une paille ! Il l’a revendu pour acheter un Falcon 900 LX à 38 millions de dollars – une paille ! Puis, il a fini par acheter un Falcon 7X pour 48 millions de dollars – toujours une paille ! Ces appareils, produits par Dassault, ont été livrés à l’aéroport du Bourget sans que M. T. paie la moindre TVA, ces achats ayant été effectués par des sociétés-écrans enregistrées dans l’île de Man.

Mme Nathalie Goulet. En achetant ces avions, M. T. a fraudé la TVA à hauteur de 18,5 millions d’euros, ce qui représente beaucoup d’argent.

M. Michel Canévet. C’est énormément d’argent !

Mme Nathalie Goulet. La prolifération des jets privés est synonyme de fraude fiscale. Il en est de même pour les yachts, grâce au fameux procédé dit « leasing maltais », et tout cela a lieu au nez à la barbe des contribuables européens.

Saisissons-nous régulièrement de ces sujets pour en débattre au lieu de nous contenter d’avaliser sans pouvoir les amender les conventions fiscales dont l’entrée en vigueur est soumise à notre autorisation.

Par exemple, en octobre dernier, nous avons examiné le projet de loi autorisant l’approbation de conventions fiscales avec le Danemark et la Grèce. Or, Éric Bocquet a fort bien démontré que, en dépit de leur apparence anodine, ces conventions ouvraient, en réalité, des avantages nombreux pour les plus gros acteurs du trafic maritime.

Monsieur le ministre, j’aurais encore beaucoup à vous dire, notamment sur les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), qui constituent un dispositif insupportable.

J’aurais aussi mille questions à vous poser sur les enquêteurs européens, sur la formation de l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux, sur la création d’une mission budgétaire sur la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que sur l’installation d’un ministre – ou plutôt d’une ministre – chargé de la lutte contre les fraudes aux finances publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je dirai quelques mots sur le contexte politique, encore une fois très particulier, dans lequel nous examinons ce projet de loi de finances pour 2024.

C’est après un énième recours du Gouvernement au 49.3, intervenu très tôt dans le cours des débats à l’Assemblée nationale, que le projet de loi de finances pour 2024 nous parvient. Le texte fera donc ici l’objet de son premier véritable examen démocratique dans une chambre parlementaire.

Nous nous apprêtons à travailler pendant trois semaines sur ce texte, à faire des propositions et à confronter nos visions de l’avenir non seulement de nos finances publiques, mais aussi de notre pays.

Toutefois, personne n’est dupe. Le Gouvernement, incapable de construire un compromis autour de sa vision budgétaire, fera une nouvelle fois usage du 49.3 à l’Assemblée nationale, balayant au passage les fruits de notre travail. L’esprit Shadok n’est pas mort et ainsi va le débat parlementaire dans notre pays.

Une formule suffit à résumer le mot d’ordre du Gouvernement : « À l’Assemblée nationale, taisez-vous ; au Sénat, cause toujours ! »

Pourtant, les débats qui commencent aujourd’hui sont cruciaux. Les crises auxquelles notre pays doit faire face se nourrissent les unes des autres, qu’elles soient de nature écologique, sociale ou institutionnelle. Monsieur le ministre, vos œillères et votre dogmatisme budgétaire les renforcent et fragilisent notre contrat social, faisant le lit des profiteurs de haines et entretenant l’anxiété face à l’avenir.

Oui, ce projet de budget traduit une insouciance, notamment sur la question climatique, alors même que notre pays est durement frappé par le chaos des phénomènes climatiques. Dans le Pas-de-Calais, la décrue des cours d’eau est à peine amorcée, laissant tout juste entrevoir un retour à la normale lointain, après plus de deux semaines de crues historiques, et nous peinons encore à mesurer les conséquences financières de la catastrophe. Certaines familles ont tout perdu et ne savent pas si elles seront indemnisées. Certains agriculteurs voient leur exploitation et leurs récoltes menacées ou détruites. Certaines entreprises ont dû fermer, leur outil productif ayant été réduit à néant.

Cette catastrophe s’inscrit dans un contexte d’accélération des phénomènes climatiques extrêmes. Or ce sont les populations les plus précaires et ceux qui, parmi les Français, sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre, qui sont le plus durement frappés par ces catastrophes, qui n’ont rien de naturelles. Ce qui se passe en ce moment concrétise parfaitement ce que les économistes et les experts du climat disent depuis plus de vingt ans : « Plus nous tardons à engager des changements, plus les coûts exploseront. »

Par conséquent, nous devons, en responsabilité, inscrire l’avenir de notre pays, donc son budget, dans une double obligation. D’une part, il faut engager notre économie dans le virage de la décarbonation et de la sobriété, conformément aux engagements de la France en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, nous devons adapter la France, son outil productif, son modèle agricole, ses villes et ses villages pour faire face à l’accélération des catastrophes et au nouveau régime climatique dans lequel nous entrons.

Le mur d’investissement qui découle de cette double obligation, non seulement pour l’État, mais aussi pour les collectivités territoriales, est colossal.

Le rapport que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont rendu à la Première ministre a le mérite de poser les ordres de grandeur. Pour amorcer la transition de notre pays dans le respect de nos engagements, « l’ensemble des investissements supplémentaires, tous secteurs confondus, s’élèverait à environ 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030, soit 2,3 points de PIB ».

Pour ce qui est de la part publique de ces investissements, les auteurs du rapport préconisent de « recourir pour partie à l’emprunt et à une taxation provisoire des plus hauts patrimoines financiers ».

Le ministre Le Maire a balayé ces deux propositions et l’ensemble de ce rapport dans un geste d’insouciance climatique qui frise le déni. Concentré sur un retour à la normale de la rigueur budgétaire, il est resté sourd à ces suggestions, fragilisant une nouvelle fois la parole de la France sur la scène de la diplomatie climatique, mais aussi notre contrat social, qui fait peser l’effort sur les plus fragiles, quand les plus gros pollueurs sont préservés.

Le besoin de recettes nouvelles et celui de repenser la répartition de l’effort entre les plus gros pollueurs et ceux qui n’en ont pas les moyens reste l’impensé majeur de ce projet de budget.

La crise sociale à laquelle doit faire face notre pays reste forte. L’inflation se maintient à un niveau élevé, avec un taux proche de 5 %. Le Gouvernement table sur une baisse de ce taux à 2,6 %, l’année prochaine, tout en reconnaissant que ce scénario est incertain et que les aléas sont élevés. Dans le même temps, l’évolution des salaires reste en moyenne inférieure à l’inflation, ce qui signifie que les Français s’appauvrissent.

Mais, là encore, la tendance n’est pas homogène et votre dogmatisme budgétaire accélère la dynamique qui oppose les grands gagnants aux grands perdants.

En effet, durant les dernières années, le Gouvernement s’est attaqué avec constance à nos amortisseurs sociaux. Les minima sociaux sont stables ou augmentent trop peu, vos mauvais coups contre l’assurance chômage ou les retraites se poursuivent, l’État a abandonné la lutte contre l’extrême pauvreté et le résultat est dramatique.

De nombreux étudiants ne mangent pas à leur faim. Des milliers de personnes, dont des enfants, dorment toujours dans la rue, malgré les promesses qu’on leur avait faites. Même les foyers des classes moyennes sont fragilisés par votre refus de lutter de manière affirmée contre l’inflation, notamment des prix alimentaires.

Pour faire face aux conséquences sociales de votre politique économique, nos collectivités locales, notamment les communes et les départements, sont au front pour tenir tous les bouts d’une société qui se tend et se fracture.

Certes, la dotation globale de fonctionnement augmente de 0,8 %, mais alors que le taux d’inflation est de 5 % et que les missions des collectivités sont toujours plus variées et complexes, le compte n’y est pas.

Nous sommes à un moment charnière de notre histoire et ce projet de loi de finances pour 2024 devrait pouvoir enfin mettre en œuvre un changement de paradigme. Disons-le clairement, nous en sommes très loin. Avec ce Gouvernement, année après année, le processus reste le même : un discours volontariste, des annonces chocs, une bonne dose d’autosatisfaction – nous avons encore pu le constater aujourd’hui – et, pour finir, une traduction budgétaire décevante et des résultats en dessous de nos obligations.

Pourtant, au-delà d’une obligation de moyens, la situation exige une obligation de résultat. Or ils ne sont pas là. La faute en revient à un dogme, une loi d’airain pour ce Gouvernement : toujours moins d’impôts pour les plus aisés, quel que soit le résultat, et pas de dette supplémentaire.

Cette idéologie est profondément incompatible avec le respect de nos engagements climatiques, la préservation de notre modèle social et la mobilisation des leviers institutionnels pour y parvenir.

Monsieur le ministre, vous vous refusez obstinément à trouver de nouvelles recettes. Pourtant, les sources de financement ou d’économies sont là. Ainsi, les entreprises reçoivent plus de 150 milliards d’euros d’aides directes ou indirectes, souvent de manière non conditionnelle. En outre, le patrimoine des Français ultrariches ne cesse de s’accumuler et de se concentrer, année après année, entretenu par vos réformes.

Que reste-t-il donc à un Gouvernement qui refuse de se donner les moyens d’agir, sinon de l’austérité, du saupoudrage et beaucoup de communication ?

Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires regrette votre manque d’ambition et vous proposera un ensemble cohérent d’amendements pour un projet de loi de finances réaliste au regard des enjeux de notre époque. Il le fera sur les trois volets que j’ai mentionnés, écologique, social et institutionnel.

Tout d’abord, sur le volet écologique, nous vous proposerons de supprimer un certain nombre de niches fiscales anti-écologiques ou de procéder à un rééquilibrage fiscal entre les comportements ultra-polluants et ceux qui sont plus vertueux.

Ainsi, nous vous proposerons de renforcer les capacités d’investir des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans l’ensemble de nos territoires et pas uniquement en Île-de-France.

Nous souhaitons muscler considérablement le crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte pour qu’il remplisse ses objectifs.

En matière de rénovation énergétique, nous adapterons les moyens à l’ampleur des enjeux, non seulement pour le patrimoine immobilier de l’État et des collectivités territoriales, mais aussi pour le dispositif MaPrimeRenov’.

Ensuite, sur le volet social, nous favoriserons l’égalité et la solidarité, en privilégiant la redistribution. Les mesures ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’ISF climatique, de la contribution sur les hauts revenus et sur le patrimoine ou de l’élargissement de la taxe sur les transactions financières, pour rééquilibrer les inégalités et développer des politiques transversales ambitieuses ayant pour objectif un changement de modèle.

Nous proposerons un panel de mesures en faveur du logement, principale source de préoccupation financière pour des millions de Français. Il s’agira de lutter contre l’habitat indigne, de prévoir la taxation des compléments de loyer et de mettre en œuvre des mesures structurantes en faveur de la construction de logements sociaux.

Enfin, sur le volet institutionnel, nous renforcerons la République des territoires, c’est-à-dire que nous donnerons aux collectivités territoriales les moyens et la possibilité d’agir. Pour cela, il faudra préserver leurs finances et les doter d’une fiscalité orientée vers la transition écologique.

Nous proposerons ainsi de revaloriser la DGF, de compenser réellement la hausse du point d’indice des fonctionnaires ou encore d’adapter la dotation aux départements pour qu’ils puissent revaloriser le revenu de solidarité active (RSA) et faire face au ralentissement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

La situation est urgente. Nous le savons, les collectivités territoriales sont souvent l’échelon charnière pour agir face aux catastrophes climatiques dues à l’activité humaine. Les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) doivent, dès à présent, voir leurs ressources fortement augmenter, puisque la sécurité civile sera en première ligne face aux conséquences de notre inaction collective.

Pour conclure, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous abordons l’examen de ce projet de loi de finances de manière extrêmement critique. Nous restons toutefois convaincus que cet exercice budgétaire peut et doit être l’occasion de tracer les contours d’un avenir souhaitable et atteignable.

L’époque ne demande rien de moins que des mesures exceptionnelles. À quelques jours de l’ouverture de la COP28, le secrétaire général de l’ONU a été clair : « Les dirigeants doivent redoubler d’efforts de façon spectaculaire, avec des ambitions records, des actions records, et des réductions des émissions records. » Faisons de ce PLF celui de l’ambition climatique record. Il est encore temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ou plutôt devrais-je m’adresser au seul ministre Cazenave en le félicitant d’avoir respecté son périmètre de responsabilités lors de son intervention, à savoir celui d’un ministre délégué chargé des comptes publics. En revanche, l’intervention de votre collègue Le Maire était insupportable – et ce n’est pas la première fois – car c’est un candidat permanent. Voilà qui est dit. (M. Éric Bocquet sen amuse.)

Nous avions proposé de rejeter le budget d’un bloc. Vous décidez qu’il nous faut en débattre, dont acte. Nous y sommes prêts. Nous présentons devant le Sénat un budget d’initiative citoyenne, constitué de 200 propositions.

Mais comment appréhender la discussion d’un projet de budget non financé ? Alors que le déficit s’élève à 145 milliards d’euros et l’endettement à 280 milliards d’euros, nous atteignons des niveaux records. Il faut donc parler de dépendance aux marchés financiers.

De fait, la bulle créée par les intérêts de cette dette entraîne une fragilité de l’État. Il n’est pas seulement question de l’appréciation des agences de notation ou des injonctions de l’Union européenne, pour qui le niveau de nos dépenses ne sera jamais trop bas. Cette dernière a fixé à 2,3 % la limite pour la croissance des dépenses primaires nettes quand vous prévoyez que celle-ci atteindra 2,6 %. Dans les deux cas, l’inflation sera supérieure. Les dépenses publiques diminueront donc en volume. C’est factuel.

La Commission européenne menace d’engager contre la France une procédure pour déficit excessif. Que répondrez-vous ? Le Gouvernement continuera-t-il de discréditer l’impôt et les cotisations ? L’imperceptible croissance pourra-t-elle réduire mécaniquement les déficits ?

La crédibilité économique et financière de la France, ses principes républicains aussi, comme l’égalité, sont menacés par ces décisions budgétaires.

Pour rester un bon élève de l’Europe, la France met fin au bouclier énergétique. Celui-ci coûtant trop cher à l’État, on voudrait nous faire croire que l’énergie serait devenue bon marché. En réalité, ce n’est pas le constat que font les Français.

Dans sa déclinaison française, le bouclier énergétique a représenté un coût net de 32 milliards d’euros. Monsieur le ministre, vous avez limité la hausse des prix de l’énergie, mais vous savez bien qu’un rattrapage est en cours. Cette année, les prix ont augmenté de 15 % en février et de 10 % en août et ils devraient encore augmenter de 10 % au mois de février prochain, et ce alors que les usagers sont censés être protégés par le bouclier énergétique.

Selon votre collègue Agnès Pannier-Runacher, un tiers de la facture serait pris en charge par l’État. Toutefois, à ma connaissance, les salaires et les pensions n’augmentent pas d’autant !

Nous sommes donc face à une appropriation budgétaire par les marchés financiers et par l’Union européenne, qui reste assise sur une logique de comptabilité. Cela pèse en plus de la pratique gouvernementale d’un 49.3 solitaire sur ce budget.

Quand l’Assemblée nationale perd sa voix, c’est la démocratie qui est aphone. L’intervention citoyenne est ignorée, voire réprimée.

Monsieur le ministre, la menace d’un shutdown à l’américaine en cas de rejet du budget est un argument qui n’est ni sérieux sur le fond ni respectueux sur la forme.

L’article 47 de la Constitution est clair, qui prévoit dans son troisième alinéa : « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. » Permettez-moi donc de vous rappeler, si besoin en était, que la Constitution ne commence pas à l’article 49, alinéa 3.

Une partie de nos concitoyens ne mange plus à sa faim. Pour subvenir à leurs besoins primaires, ils doivent piocher dans leurs petites économies. Ils veulent se nourrir, se loger et se chauffer. La dernière étude de l’Insee montre ainsi que 500 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, alors que celle-ci se fait plus intense et incisive.

Témoignant de cette réalité, les associations d’aide alimentaire menacent et s’indignent « de devoir trier les pauvres ».

Dans un autre registre, on a constaté, le mois dernier, une décollecte record depuis 2009 sur les livrets d’épargne réglementés, à hauteur de 4,4 milliards d’euros.

Quant aux prix de l’alimentation, ils poursuivent leur ascension vertigineuse, en augmentation de 21,3 % entre août 2021 et août 2023. Pourtant, le ministre et candidat permanent Le Maire affirme que « la crise inflationniste est derrière nous ». C’est absolument indigne !

En effet, nous savons désormais, grâce à des analyses étayées, que plus d’un tiers de la hausse des prix alimentaires provient de la dynamique des coûts salariaux, le reste s’expliquant entre autres par les marges des entreprises agroalimentaires.

Toutefois, M. Le Maire, dont chacun a pu remarquer l’absence au banc des ministres, persiste à expliquer « qu’il n’y a pas eu de profiteurs de l’inflation dans l’alimentaire ». Je vous laisse juges…

Le chômage augmente. L’illusion du plein emploi à coups de boutoir sur la démocratie sociale, sur les travailleuses et les travailleurs, porte un bilan sombre. La croissance, dont le taux augmentera de 1 % en 2023 à 1,4 % en 2024, ne permettra pas de résorber le chômage. Elle créera de l’intérim, faute de mieux, du RSA – les présidents des conseils départementaux apprécieront – et de la misère, y compris pour les retraités, car l’augmentation du montant des pensions ne suffira pas face à l’inflation.

En voulant poursuivre le démantèlement de notre modèle social, à travers notamment le dispositif de l’assurance chômage, le Gouvernement met en danger la cohésion nationale. La boussole perd donc le nord, quel que soit le cap fixé, financier, économique ou social.

Une politique de l’offre soutient non pas l’économie, mais l’accumulation primitive de capital. Nous risquons une paralysie de l’économie sous la double conjonction de l’inflation et de l’augmentation du coût de l’accès au capital. Si nous ne relançons pas la demande, donc la satisfaction des besoins, en prélevant sur la spéculation, toute politique est vaine dans un tel contexte.

Il faut reconnaître toutefois que le Gouvernement, qui subit la pression de la démocratie sociale et qui est bien forcé de constater l’impasse de ses choix politiques, a concédé quelques prélèvements sur certaines richesses. Des organismes sérieux préconisaient depuis longtemps ce type de mesures, qui correspond – vous le savez, monsieur le ministre – à une aspiration forte de nos concitoyens. Je rappelle toutefois que c’est grâce à la gauche du Parlement que vous avez pu procéder à de telles ouvertures et certainement pas grâce à l’extrême droite.

La transposition de l’accord sur l’imposition mondiale sur les multinationales est intéressante. Toutefois, monsieur le ministre, est-il bien sérieux de fixer le seuil à 15 % ? Et combien y aura-t-il d’exemptions ou de motifs de non-imposition ? Il faudra vraiment être un gros poisson pour être pris dans vos filets. Cette « révolution fiscale », comme certains la qualifiaient, s’apparente à une adaptation du moins-disant fiscal.

Nous défendrons plusieurs amendements sur l’article 4 qui viseront à donner toute sa force à cet accord historique, car si nous en restons là, c’est notre modèle de société qui risque d’être menacé.

Après de multiples tergiversations, le Gouvernement consent à taxer les concessionnaires d’autoroutes et les grands aéroports. Depuis 2004, les parlementaires communistes demandent la nationalisation de ces équipements déjà payés par le contribuable, afin d’aller chercher les bénéfices des concessionnaires, qui représentent entre 30 milliards et 35 milliards d’euros.

En réalité, votre mesure ne permettra d’en récupérer qu’une petite partie, car vous fixez un seuil de rentabilité supérieur à 10 % avant de pouvoir prélever le moindre euro. Certes, l’entreprise Vinci menace d’attaquer l’État, mais affirmons-le haut et fort : les lois qui doivent primer sont celles de la République et pas celles des grands actionnaires. À travers la représentation nationale, le peuple fait la loi sans céder au chantage.

Ce budget sera marqué par la suppression de la CVAE, certes échelonnée, mais bel et bien réelle. Toutefois, si les entreprises peuvent continuer de payer cette contribution pendant quatre ans de plus, c’est qu’il ne devait pas être si urgent de la supprimer.

Monsieur le ministre, vous nous parlez de stabilité fiscale, mais je regrette que vous n’en appliquiez pas les principes. Renoncez à cette césure entre l’activité économique et les territoires, qui sont liés par l’impôt.

En somme, il n’y a que quelques éclaircies dans un ciel bien sombre. Vous tenez le cap envers et contre tout, envers et contre tous.

Nous irons plus loin que le Gouvernement dans la lutte contre la fraude fiscale. En effet, nous proposerons d’interdire toute forme de justice négociée qui permet aux fraudeurs de s’en tirer avec une amende en lieu et place d’une condamnation pénale.

Ainsi, lorsque nous avons rencontré les représentants de l’entreprise Google pour leur présenter notre proposition, ils nous ont confirmé que l’entreprise avait pu, en toute légalité, négocier de payer 1 milliard d’euros au lieu de 8 milliards d’euros. Personne d’autre n’a droit à ce genre de faveur.

Monsieur le ministre, où sont passées les entreprises dans vos mesures contre la fraude fiscale ? Les avez-vous oubliées ? Nous défendrons la sanction d’indignité fiscale pour celles qui commettent des délits fiscaux.

Nous proposerons donc un contre-budget d’initiative citoyenne, dont le déficit sera significativement réduit. Si l’on veut faire preuve de responsabilité, il faut aller chercher les profits indus, les rachats d’actions et les versements de dividendes par milliards d’euros.

Face à la concentration des richesses, nous proposons de supprimer les niches fiscales. Le simulacre de discussion que vous avez lancé sur le sujet, pour aboutir à une économie de 1 milliard d’euros, n’aura trompé personne.

Face à la pauvreté, nous proposons de bloquer les prix. Chacun prendra ses responsabilités.

Face à la crise du logement, nous proposons la relance de la construction dans le parc social grâce au rétablissement du taux de TVA à 5,5 %. Là encore, chacun prendra ses responsabilités.

Face à la crise des services publics locaux, nous proposons de consacrer le principe de la liberté des communes dans la fixation de leur imposition. De nouveau, chacun prendra ses responsabilités.

Notre budget d’initiative citoyenne est juste socialement et réalisable. Les 200 propositions qui le composent sont le réceptacle du travail que les députés ont réalisé, même s’ils ont été empêchés par le 49.3. Elles font aussi écho aux alertes qu’a lancées l’opinion publique au cours des derniers mois.

Donner la parole à la Nation tout entière, voilà ce que nous proposerons dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous saluons la présence dans nos tribunes des maires et des élus de Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements.)

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est impossible d’aborder ce budget sans dire qu’il s’agit en réalité d’un exercice d’équilibriste.

Monsieur le ministre, je dois reconnaître que vous n’avez pas manqué de souplesse pour exécuter ce grand écart entre des exigences contradictoires : d’un côté, réduire le déficit budgétaire et l’endettement de notre pays, de l’autre, soutenir le pouvoir d’achat des Français et investir dans la transition écologique ou le régalien.

Pour le dire autrement, puisqu’il faut poser le cadre de cet exercice budgétaire, reconnaissons avec lucidité que, d’une certaine façon, nous sommes confrontés à la quadrature du cercle.

Il en résulte un budget que je crois pouvoir résumer en trois mots : inquiétant, engagé, mais subi.

Si j’évoque un budget inquiétant, c’est parce que l’on a envie de vous suivre, monsieur le ministre, mais qu’en même temps on n’est pas sûr d’avoir confiance dans les hypothèses sur lesquelles il se fonde.

Vos hypothèses sont jugées trop optimistes par tous les experts : vous vous appuyez sur une croissance à 1,4 % du PIB, un reflux marqué de l’inflation, qui chuterait à 2,6 %, une baisse des dépenses de l’État, alors que ce n’est jamais arrivé depuis 2015, une amélioration du solde budgétaire à hauteur de 27,6 milliards d’euros, un déficit public qui passerait de 4,9 % à 4,4 % du PIB, une hausse de la consommation et de l’investissement des ménages, malgré des taux d’intérêt élevés et alors que de nombreux Français se tournent en priorité vers l’épargne.

Certes, vos prévisions macroéconomiques pour 2023 se sont révélées justes – je pense notamment à la croissance. Certes, les bons résultats économiques obtenus jusqu’à présent en termes d’emploi et d’activité ont débouché sur un réel dynamisme des recettes fiscales. Certes, la nouvelle démarche des revues de dépenses devrait être un outil de bonne gestion, avec, à la clé, sûrement des économies et des gains d’efficience.

Mais ce budget s’apparente à une architecture complexe, qui reposerait sur une poutre dont on mesure mal la résistance. J’espère que nos débats viendront étayer cette impression et apporteront des réponses concrètes à nos inquiétudes.

Il s’agit également, pour le groupe du RDSE, d’un budget qui se veut engagé. Je dis bien « qui se veut » parce que, si la volonté du Gouvernement de soutenir le pouvoir d’achat, d’accélérer la transition écologique et d’investir dans les fonctions régaliennes est louable, il n’en demeure pas moins que les marges de manœuvre sont limitées et que les mesures réelles ne seront à l’évidence pas à la hauteur des effets d’annonce.

Ainsi, l’indemnité carburant pour les plus modestes n’est qu’une mesure purement symbolique : 100 euros par an quand vous faites vingt ou trente kilomètres par jour pour vous rendre au travail, c’est une somme dérisoire.

Il convient d’aborder avec prudence la question des transports dans le monde rural. L’abandon des énergies fossiles et la transformation de nos habitudes doivent faire l’objet d’un accompagnement des pouvoirs publics, y compris à destination des classes moyennes. Attention aux bonnes idées vertes qui déclenchent des colères noires et finissent sur des ronds-points jaunes. (Sourires.)

M. Christian Bilhac. Très bien !

M. Raphaël Daubet. De la même façon, écarter nombre de communes du prêt à taux zéro est une erreur funeste. Une fois de plus, ce sont les territoires ruraux qui sont oubliés. Justifier cette mesure par la maîtrise de l’artificialisation des sols ne peut que faire bondir les élus locaux, englués dans la coûteuse et interminable élaboration de plans locaux d’urbanisme intercommunaux qui sont déjà censés viser cet objectif.

On nous dit que ces territoires ne sont pas en tension. Mais bien sûr qu’ils le sont ! Seulement, les tensions sont bien différentes : dans ces secteurs, combien d’entreprises, parfois des fleurons de notre industrie, peinent à honorer leurs carnets de commandes, faute de main-d’œuvre ? Sans compter que l’enjeu démographique et celui du vieillissement menacent nos services publics, nos écoles, nos commerces…

En revanche, l’indexation des prestations sociales et des retraites sur l’inflation, de même que la lutte contre la fraude fiscale, sont évidemment d’excellentes mesures.

Le groupe du RDSE salue aussi l’effort en faveur des collectivités locales même si, à notre avis, il reste très insuffisant au regard des besoins.

Les communes et communautés de communes font face à un défi majeur. Alors qu’elles doivent s’engager dans une nouvelle ère à travers leurs investissements sur le terrain, qu’elles sont les seuls maîtres d’ouvrage de la transformation du pays, de la rénovation des infrastructures sportives, des écoles, des monuments, qui sont parfois à bout de souffle, du remplacement des réseaux en fin de vie, qu’elles ont la charge de concrétiser la transition dans les territoires, elles sont confrontées, dans le même temps, à un affaiblissement de leurs marges de manœuvre en raison du relèvement du point d’indice de la fonction publique territoriale et des effets de l’inflation.

L’augmentation de 220 millions d’euros de la DGF, tant attendue, est bienvenue, mais largement insuffisante.

Sur le papier, l’engagement pour la transition écologique est remarquable : 10 milliards d’euros. Mais là encore, les résultats seront-ils au rendez-vous des prévisions ?

Cette semaine, 800 millions d’euros de crédits non consommés dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov’ ont été annulés pour 2023. Et pourtant, on décide d’augmenter ces mêmes crédits de 1,6 milliard d’euros pour 2024. Est-ce pertinent ? Nos dispositifs sont si complexes et exigeants qu’ils détournent finalement les Français de la rénovation énergétique au lieu de les encourager à l’entamer sérieusement.

En définitive, nous nous retrouverons, en fin d’année 2024, à réaffecter des sommes colossales à de tout autres actions.

En revanche, la bascule vers la fiscalité verte et le crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte auront sans doute des effets concrets sur l’accélération de la transition écologique.

Le groupe du RDSE appelle à la prudence s’agissant de la généralisation des budgets verts. Certes, la valorisation des projets vertueux est souhaitable, mais prenons garde à la tentation de coter la vertu des actions municipales dans des tableurs Excel.

M. Raphaël Daubet. Quelle interprétation les institutions et la population feront-elles à terme de ces données ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !

M. Raphaël Daubet. Le groupe du RDSE salue également l’effort en faveur de l’école de la République, qui traverse une crise d’identité très profonde, alors même qu’elle doit contribuer à l’émancipation de nos enfants, au retour de l’ordre républicain, à la lutte contre les communautarismes et apporter une solution aux problématiques d’intégration. Rien que cela ! (M. Christian Bilhac applaudit.)

J’attire encore une fois votre attention sur l’enjeu majeur que constituent la recherche et l’enseignement supérieur. Il faut plus encore pour préparer l’avenir.

En outre, ce budget consacre des augmentations de crédits pour soutenir les fonctions régaliennes : défense, intérieur, justice. Il s’agit de choix stratégiques qui correspondent, pour nous, à une saine décision du Gouvernement.

J’en terminerai par là, in cauda venenum ! Ce budget est un budget subi, autrement dit un budget qui s’inscrit dans la continuité, ou pis, dans la continuation. C’est le budget d’un pays qui peine visiblement à se réformer, qui ne parvient pas à remettre en cause son organisation administrative.

À la lecture de ce projet de loi de finances pour 2024, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la pesanteur de l’héritage, des habitudes et du conservatisme dans nos politiques publiques, sur le poids de la dépense publique et l’obésité d’une partie de nos administrations qui grèvent le déficit public.

Quelle rationalisation administrative nous propose-t-on ? Ce projet n’est pas lisible. Il est grand temps que la simplification, que vous appelez de vos vœux, monsieur le ministre, se concrétise.

On observe en outre que les prévisions en termes d’embauches, dont certaines sont bien sûr utiles et attendues – mais d’autres moins –, sont en contradiction avec la loi de programmation des finances publiques. On s’appuie, pour investir, sur un tas d’opérateurs et d’agences, qui coûtent cher en fonctionnement et qui ne sont, au fond, que des interfaces entre l’État et les territoires.

L’ambition du plan France 2030 et le cap clair et volontariste de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 impliquent des investissements massifs et rapides, des courroies de transmission raccourcies et un délestage courageux de tout ce qui pèse inutilement sur l’organisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. le rapporteur général applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément des propos de mon collègue Didier Rambaud, je souhaiterais livrer le point de vue de notre groupe sur les crédits alloués aux territoires d’outre-mer.

Je tiens à saluer l’effort du Gouvernement en direction de nos territoires, qui souffrent d’un retard important par rapport à l’Hexagone.

Les crédits destinés à ces territoires doivent faire l’objet d’un décompte global, toutes missions confondues, et non d’une prise en compte dans la seule mission « Outre-mer ».

En ce qui concerne ladite mission, les crédits sont notoirement en hausse, au-delà du rythme de l’inflation.

Je tiens plus particulièrement à saluer l’augmentation des compensations des exonérations de cotisations sociales, qui atteignent 123 millions d’euros, et la hausse des moyens visant à garantir la continuité territoriale, qui s’élèvent à 23 millions d’euros et qui contribueront notamment à pallier l’augmentation du coût des billets d’avion.

J’ajoute que le montant des crédits destinés à soutenir le logement sera historiquement élevé : il s’établira à 291 millions d’euros, en hausse de plus de 20 % par rapport à l’an dernier.

Bien entendu, on pourrait estimer, au regard de la situation concrète de nos territoires, qui cumulent les indicateurs de chômage et de pauvreté les plus préoccupants de la République, qu’il en faudrait encore plus. Et je partage ce constat.

Toutefois, il faut reconnaître que nos territoires ne sont pas oubliés par le Gouvernement, monsieur le ministre. J’en veux pour preuve les deux aides exceptionnelles votées cette semaine dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 : 50 millions d’euros de crédits pour l’aide à l’enfance accordés au conseil départemental de Mayotte et 63 millions d’euros pour combattre la crise de l’eau dans cet archipel.

Notre groupe défendra bien évidemment, au cours de la discussion budgétaire, un certain nombre d’amendements tendant à compléter les dispositions figurant dans ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous entamons l’examen de ce projet de budget, nous apprenons que, selon le programme des Nations unies pour l’environnement, notre planète serait sur une trajectoire de réchauffement, au regard des engagements pris, de près de 3 degrés Celsius d’ici à la fin du siècle. C’est un scénario catastrophe…

En tant que parlementaire, il nous incombe d’agir résolument. Dans le contexte de ce projet de loi de finances, chaque mission, chaque programme, chaque action revêt une importance particulière, car chaque tonne de CO2 évitée compte.

À l’Assemblée nationale, en recourant à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement décide finalement de tout, tout seul. Nous, membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, restons fermement convaincus qu’il faut maintenir un débat parlementaire exigeant sur la place accordée à la transition écologique dans ce texte. Nous continuerons de défendre un modèle de société plus durable, centré sur une nouvelle relation au vivant et ne laissant personne de côté.

La transition écologique doit être à la fois ambitieuse et juste. Le caractère social de cette transition est la condition sine qua non de sa réussite.

À cet égard, nous refusons catégoriquement les politiques publiques qui accablent les ménages les plus précaires. Alors que l’empreinte carbone des ménages les plus riches est la plus élevée, ce sont pourtant les revenus des ménages les plus modestes qui sont les plus pénalisés par la transition écologique. C’est la raison pour laquelle il est impératif de favoriser une répartition plus équitable des responsabilités.

Vous admettrez, mes chers collègues, que, de ce point de vue, le Gouvernement n’est pas au rendez-vous.

Le projet de budget proposé met l’accent sur le désendettement et la réduction des impôts. Alors que dans le rapport que leur a commandé Mme la Première ministre, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz préconisent des investissements publics supplémentaires de l’ordre de 34 milliards d’euros par an d’ici à 2030 pour réussir la transition énergétique, le Gouvernement ne prévoit que 10 milliards d’euros, dont 7 milliards d’euros pour le ministère de la transition écologique.

Un budget de 10 milliards d’euros au lieu de 34 milliards : comment pourrons-nous élaborer une transition écologique ambitieuse et juste avec des moyens aussi limités ?

Parallèlement, il faut s’attendre à ce que les recettes issues des taxes sur les énergies fossiles diminuent progressivement dans les années à venir et à ce que le ralentissement de la croissance – que nous voyons poindre – entraîne une perte de recettes fiscales et sociales pour l’État.

Nous en appelons par conséquent à un sursaut politique exceptionnel. Si le Gouvernement manque d’idées, qu’il prête une oreille attentive aux propositions que le groupe socialiste formulera au travers de ses amendements au cours de l’examen de ce projet de loi de finances.

Car, oui, nous entendons prendre l’argent là où il se trouve, en créant de nouvelles recettes indispensables pour relever ces défis. Nous prônons également une politique franche d’aides directes et des efforts de redistribution, qui placent les ménages modestes au centre de nos préoccupations.

Nous entendons aussi construire une société beaucoup plus sobre grâce au développement d’une économie de la réparation, qui créera des emplois verts, favorisera la réparation durable des produits et stimulera l’activité économique, tout en réduisant notre empreinte écologique.

France Stratégie l’affirme : la sobriété est le moyen le plus sûr d’économiser de l’argent public en permettant, par exemple, le développement du covoiturage, des transports en commun et du vélo. Demain, les infrastructures de mobilité douce devront faire l’objet d’un accompagnement plus intensif.

Nous entendons enfin réduire les inégalités territoriales. Pour ce faire, nous continuons de défendre un grand plan ferroviaire permettant la reconnexion des territoires ruraux et le désengorgement des zones urbaines denses.

En faisant de la réindustrialisation un levier, nous aspirons à transformer en profondeur notre paysage économique, afin de recréer des bassins d’emploi au cœur de nos territoires et de revitaliser nos villes. Cette démarche, associée à la transition vers une industrie décarbonée, constitue une aventure collective dont nous avons grand besoin.

Par ailleurs, nous pensons que les collectivités territoriales doivent être considérées comme des accélérateurs de la transition. Pour garantir ce rôle moteur et éviter l’inertie dans la mise en œuvre concrète des politiques climatiques, il est impératif de garantir leurs capacités financières – ma collègue Isabelle Briquet y reviendra.

Selon l’Institut de l’économie pour le climat, il est temps de briser les tabous de l’endettement des collectivités et du soutien insuffisant de l’État à leur égard. Il est essentiel de mieux cerner le mur de dépenses climatiques des collectivités, de les intégrer dans une stratégie pluriannuelle et de renforcer leur dialogue avec l’État pour éviter une transition qui aggraverait les disparités sociales et territoriales.

En ce sens, nous regrettons que le fonds vert proposé par le Gouvernement reste insuffisant. Pour une transition réussie, il est indispensable de prévoir un budget plus important.

En conclusion, mes chers collègues, je concède volontiers que la transition écologique a un coût, mais reconnaissons également que l’inaction se révélera encore bien plus coûteuse sur le long terme. Trouver les moyens de financer cette transition est une nécessité, mais ne sera pas suffisant. Il faudra aussi avoir le courage d’interdire et de réguler pour limiter les atteintes à l’environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances constitue un rendez-vous majeur de la vie démocratique de notre pays, qui doit fixer le cap d’une politique.

Les élus locaux le savent parfaitement quand ils présentent leur budget, nos dirigeants nationaux semblent au contraire l’avoir parfois oublié. Un budget traduit une orientation politique, une volonté, un chemin qui, s’il est balisé par notre système institutionnel, est surtout soumis à la sanction des citoyens.

Ainsi, ce projet de loi de finances, comme celui de l’année passée, interroge d’abord notre démocratie. Adopté par le Gouvernement avec le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, le texte ne permet plus qu’un débat limité, même s’il sort augmenté de 175 articles.

Si cette situation est juridiquement et constitutionnellement licite, elle est démocratiquement contestable. Heureusement, le bicamérisme contribue à ce que le débat de fond ait lieu ici, au Sénat, même si le Gouvernement ne retient trop souvent qu’une faible part des travaux que nous réalisons. Ce fut largement le cas il y a un an avec le projet de loi de finances pour 2023. Ne préjugeons pas, monsieur le ministre, de ce qu’il en sera pour 2024, et espérons. (M. le ministre délégué acquiesce.)

J’en viens maintenant au fond, à ce que signifient les chiffres qui nous sont soumis.

Le projet de loi de finances pour 2024 célèbre cinquante ans de déficits publics. Et de quelle manière, si je puis dire, tant l’ampleur du déficit semble déraisonnable !

La Commission européenne vient encore de signaler à la France qu’elle était parmi les derniers élèves de la classe.

Le présent projet loi de finances nous livre un « déficit extrême », comme le dit notre rapporteur général, en raison de la hausse des taux d’intérêt que nous subissons et de la charge de la dette qui est en train d’exploser sous le triple effet de l’inflation, de l’augmentation des taux d’intérêt et, surtout, de l’accroissement de la dette elle-même.

Pis encore, en 2024, l’État prévoit d’émettre une dette record de 285 milliards d’euros. Notre addiction à la dépense publique, à la dette souscrite pour fonctionner, et non pour investir, reste bien réelle. Cela risque de très mal se terminer pour tous les Français. Je veux ici, une nouvelle fois, vous alerter, les alerter.

Rappelons quelques caractéristiques fondamentales de la copie que vous nous présentez pour 2024.

Il s’agit d’un projet de loi de finances triplement inquiétant, qui continue à précipiter notre pays dans les abîmes.

D’abord, on ne peut que constater l’optimisme des prévisions macroéconomiques : une hypothèse de croissance très favorable, supérieure à toutes celles qui ont été émises par les organismes économiques, et des indicateurs pour lesquels on retient toujours le meilleur scénario. Cette posture met en cause la sincérité même de ce budget, qui pourrait se dégrader davantage compte tenu du resserrement de la politique monétaire et d’incertitudes grandissantes au niveau géopolitique.

Ce projet de loi de finances se caractérise par un déficit public, qui est le deuxième plus élevé de la zone euro – 4,4 % du PIB – et qui représente 45,7 % des ressources de l’État. La France reste en outre le troisième pays le plus endetté de la zone euro – 109,7 points du PIB –, avec une dette en hausse de près de 12 points depuis 2017, quand la dette de l’Allemagne se situe à peine au-dessus des 60 points.

La charge de la dette – 84 milliards d’euros – sera le premier poste budgétaire de l’État en 2027. Elle atteindra déjà 56 milliards d’euros dès 2024. Et encore, on peut raisonnablement considérer que l’ensemble de ses facteurs d’évolution pourraient la faire grimper encore davantage.

Rappelons que le stock de la dette publique française dépasse désormais les 3 000 milliards d’euros : chacun doit s’imprégner de ce montant. Même la Grèce rembourse sa dette par anticipation ; la France, elle, la laisse gonfler, au point que même l’économiste Olivier Blanchard s’en inquiète désormais.

Enfin, ce projet de loi de finances acte des dépenses publiques toujours en augmentation : celles-ci représenteront 100 milliards d’euros en deux ans, malgré le retrait des mesures prises pour faire face à la crise.

Je profite de cette occasion pour rappeler que seul l’État est responsable du déséquilibre des comptes publics, puisque les collectivités sont tenues de voter leur budget à l’équilibre et que les dépenses sociales pèsent bien moins.

Le maintien de la dérive toxique du « quoi qu’il en coûte » et la hausse constante des dépenses de l’État – + 22,3 % depuis 2017 – se confirment dans presque tous les ministères.

Ce qui est peut-être encore plus frappant dans ce projet de loi de finances, c’est la création de 8 500 emplois publics supplémentaires, sans qu’une réelle réflexion de fond ait été engagée sur nos politiques publiques. Nous devrions nous interroger sur cette problématique au vu de l’efficacité de nos services publics dans tous les secteurs.

Ce manque de réflexion avait été largement dénoncé dans les hôpitaux publics durant l’épisode le plus aigu de la crise de la covid-19, mais il semble également souvent valable dans l’éducation nationale, sans parler des agences et des autorités indépendantes que le Gouvernement a multipliées au cours de ces dernières années.

Pour réduire le déficit et limiter le recours à l’emprunt, deux voies peuvent être empruntées.

Pour ma part, je considère que le niveau de nos prélèvements obligatoires – 45,6 % –, le plus élevé de l’OCDE après le Danemark, nous interdit d’accroître la pression fiscale ; par ailleurs, l’absence de réformes structurelles ne nous permet pas encore de diminuer nos ressources fiscales.

Aussi, nous vous proposerons plusieurs pistes d’économies pour plus de 5 milliards d’euros, et ce afin de respecter la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques que nous avons votée au Sénat.

Je me concentrerai sur trois d’entre elles.

Tout d’abord, je proposerai des amendements visant à réduire la dépense fiscale, c’est-à-dire les niches fiscales, dont le montant cumulé atteint près de 200 milliards d’euros lorsqu’on y intègre les niches sociales. Et vous ne cessez d’en ajouter, monsieur le ministre, alors que la Cour des comptes s’interroge sur leur efficacité.

Il convient aussi d’être attentif aux effectifs publics qui créent durablement de la dépense publique. Il faut s’engager vers une réduction draconienne des effectifs de l’administration « administrante », cette administration qui gère, contrôle, édicte des normes, mais qui ne produit pas de service public, afin de tendre vers un rapport 80-20 : 80 % de la masse salariale devant les élèves, les patients, les citoyens à protéger, et 20 % au plus pour gérer les services.

La dernière piste d’économies consiste à réaliser une revue drastique et volontariste de nos dépenses publiques, loin de toute politique de rabot, en commençant par les dérives nées de l’agencification de la sphère publique et de la multiplication des doublons administratifs dus en partie à une décentralisation ou à une déconcentration non aboutie.

À cet égard, la liberté et la lisibilité de l’action doivent être retrouvées, et un nouvel équilibre entre l’État et des collectivités autonomes et responsables peut et doit être rapidement établi. J’aurai l’occasion d’y revenir au cours du débat.

Continuer à rogner l’autofinancement des collectivités constituerait une faute. Après le logement social, ne faites pas tomber les collectivités, les départements, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les infrastructures de mobilité.

Ces quelques pistes – et nous vous en proposerons d’autres – nous donneraient une boussole ; elles permettraient de tendre vers une sphère publique plus libre, plus responsable, plus efficace, plus pragmatique, plus proche, engagée dans les transitions et la souveraineté, une sphère publique telle que les Français sont en droit de l’attendre.

C’est un cap qui protège, mais aussi qui autorise et qui permet d’espérer.

Pour finir, j’évoquerai un motif de satisfaction, l’article 7 portant réforme des zones de revitalisation rurale. La mise en place de zones France ruralités revitalisation (FRR), un dispositif amendé de manière concertée et partagée, doit contribuer à répondre à l’attente de nos territoires ruraux. Il s’agit d’un message d’espoir pour lequel le Sénat a toujours œuvré. Si vous savez y répondre, en intégrant avec pragmatisme, c’est-à-dire avec efficacité, les amendements attendus, nous saurons vous accompagner et saluer cette action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général et M. Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la position du groupe Union Centriste en matière budgétaire est claire : réduire le poids de la dépense publique et davantage actionner le levier des recettes fiscales en vue de réduire les déficits, mais aussi d’atteindre la justice fiscale.

Évidemment, la voie est étroite entre la nécessité de réduire notre déficit et celle tout aussi impérative de répondre aux besoins du pays dans des domaines essentiels où tant reste à faire : la santé, l’éducation, la justice, le grand âge, la lutte contre le réchauffement climatique, la défense, la sécurité.

Ne nous y trompons pas, nous ne répondrons pas durablement aux besoins du pays si nous continuons à laisser filer la dette et les déficits.

M. Bernard Delcros. Monsieur le ministre, votre projet de loi de finances tente d’aboutir à ce difficile équilibre : la prévision de déficit est ramenée à 4,4 % en 2024, mais des crédits supplémentaires sont prévus dans des domaines où ils sont absolument nécessaires.

Notre groupe considère cependant que, pour tenir cette ligne de crête, nous devons agir davantage sur le levier des recettes.

Nous pensons que, au moment où beaucoup d’efforts sont demandés à nos concitoyens, le budget de la France doit se distinguer par davantage de justice fiscale et par l’exigence d’une plus grande solidarité de la part des plus fortunés.

Nous proposerons donc une série de mesures concernant, par exemple, l’exit tax, pour éviter que certains détenteurs d’entreprises échappent à l’impôt en se délocalisant à l’étranger, parfois seulement deux ans après avoir bénéficié d’aides publiques massives ; les programmes de rachats d’actions, qui ont explosé ces trois dernières années ; les superprofits ; la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), afin que les bénéficiaires de superdividendes contribuent davantage à la restauration des grands équilibres budgétaires ; la rationalisation de plusieurs niches fiscales dans un double objectif de préservation de nos ressources et d’égalité devant l’impôt – Michel Canévet aura l’occasion de vous détailler ce point – ; le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, chère à notre collègue Nathalie Goulet ; le report de la suppression de la deuxième part de CVAE.

Au total, nous proposerons près de 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires.

Par ailleurs, vos prévisions reposent sur des données macroéconomiques parfois considérées comme incertaines. Mais comment pourrait-il en être autrement dans un contexte international aussi instable ? Certains les jugeront peut-être trop optimistes. Mais serait-il opportun pour notre pays d’afficher des prévisions macroéconomiques pessimistes ? Je ne le crois pas.

Au sujet des collectivités locales, nous savons bien que derrière les moyennes mises en avant, parfois flatteuses, se cachent en réalité de fortes disparités. C’est pourquoi notre groupe défendra non pas une augmentation uniforme de la DGF, mais une hausse ciblée sur les collectivités les plus fragiles. C’est d’ailleurs le choix que le Gouvernement a fait en circonscrivant les 220 millions de hausse de la DGF sur la péréquation communale et intercommunale, ce que nous approuvons.

Cependant, alors que la hausse de la DGF était de 320 millions d’euros en 2023, elle ne sera plus que de 220 millions d’euros pour 2024, soit une chute de 100 millions d’euros au seul détriment de la dotation de solidarité rurale (DSR), dont la hausse est réduite de moitié.

M. Jean-Michel Arnaud. Inacceptable !

M. Bernard Delcros. Nous proposerons donc de corriger cette injustice, en rétablissant le montant de la hausse de la DSR au niveau de 2023.

M. Bernard Delcros. Par ailleurs, je tiens à saluer la réforme de la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité et pour la valorisation des aménités rurales que vous proposez. Les crédits seront plus que doublés et portés à 100 millions d’euros en 2024, les critères d’éligibilité seront étendus à toutes les aires protégées et les superficies concernées seront réellement prises en compte.

Il s’agit là d’avancées importantes, réclamées depuis longtemps par le monde rural, désireux que les services qu’il rend à notre société soient mieux reconnus. D’autres marches resteront toutefois à gravir dans les prochaines années pour progresser encore vers cette reconnaissance.

Nous approuvons également la réintégration des dépenses d’aménagement de terrains des collectivités territoriales dans le périmètre des dépenses éligibles au FCTVA, ainsi que la reconduction du fonds vert, dont les crédits sont portés à 2,5 milliards d’euros. Enfin, la décorrélation des taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires est une bonne mesure, qui doit cependant être assouplie, car trop restrictive.

Par ailleurs, je m’associe pleinement aux propos de notre collègue Raphaël Daubet sur la nécessité de rétablir le prêt à taux zéro dans les zones B2 et C, c’est-à-dire dans les zones rurales.

Enfin, nous nous réjouissons du maintien des zones de revitalisation rurale, devenues des zones France ruralités revitalisation, annoncé dans le plan France Ruralités et concrétisé dans ce projet de loi de finances. Ce dispositif essentiel pour les territoires ruraux était régulièrement menacé de disparition ; il est enfin pérennisé.

Toutefois, monsieur le ministre, nous n’approuvons pas certains des critères qui ont été retenus, comme la référence au trente-cinquième centile du revenu médian, qui exclut injustement de très nombreuses communes aujourd’hui bénéficiaires, ou encore l’exclusion du dispositif des reprises d’activité.

Comme l’a indiqué mon collègue Stéphane Sautarel, il appartient désormais au Sénat, dans le cadre du présent projet de loi de finances, d’aboutir à un projet calibré pour répondre aux besoins de nos territoires ruraux les plus fragiles. Notre groupe contribuera à ce projet.

Monsieur le ministre, vous le voyez, le groupe Union Centriste aborde l’examen de ce projet de budget de manière positive, en ayant pour seule volonté de trouver les meilleures solutions pour notre pays et pour ses territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Maryse Carrère, ainsi que MM. Emmanuel Capus et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2024 s’inscrit à l’évidence dans le droit fil des budgets précédents et traduit un ancrage profond dans une perspective néolibérale. (M. le ministre délégué le conteste.)

Certes, quelques mesures sont prises pour lutter contre l’inflation. Elles ne sauraient cependant suffire à éviter la précarisation d’une part toujours plus importante de notre société ni réduire la fracture territoriale.

Dans un contexte économique et social dégradé, l’État a toujours pu compter sur les collectivités territoriales. Ces dernières doivent, elles aussi, pouvoir compter sur l’État.

Depuis 2017, le Gouvernement n’a cessé de souffler le chaud et le froid. Alors que les collectivités territoriales portent 70 % de l’investissement public en France, leur rôle est sans cesse sous-estimé et leur gestion remise en question.

Il convient de le rappeler : les élus locaux ne sont pas responsables de notre dette et de nos déficits publics. La dette des collectivités territoriales ne représente que 8 % de la dette publique totale, ce qui rend d’autant plus questionnable la contrainte budgétaire imposée par l’État.

Pourquoi cette méfiance envers nos collectivités locales et les élus locaux ? Rien ne la justifie. Pourtant, il semble que du côté de Bercy, il y ait méfiance. Contraindre les dépenses à un rythme inférieur à celui de l’inflation, c’est ce que j’appelle de la méfiance.

La mesure des 0,5 %, cette règle d’airain, est tout aussi dure que les contrats de Cahors. Elle peut être perçue comme une externalisation de la rigueur budgétaire sur le dos des collectivités, les obligeant à adopter des politiques d’austérité.

La baisse des impôts de production, la suppression de la taxe d’habitation et d’autres réformes fiscales coupent les élus locaux de l’indispensable lien avec leur territoire.

Le processus de mitage fiscal engagé par le Gouvernement depuis 2017 transforme progressivement les impôts locaux en compensations et dotations. En conséquence, les collectivités locales sont éloignées de la gestion de leurs propres ressources et ne conservent qu’une marge de manœuvre réduite. Le projet de loi de finances pour 2024 s’inscrit parfaitement dans cette logique en plafonnant la progression des dépenses de fonctionnement, ce qui réduit la liberté d’action des collectivités.

Les 220 millions d’euros supplémentaires de DGF accordés pour 2024 représentent moins de 1 % de l’inflation, alors qu’une indexation sur l’inflation aurait conduit à une augmentation comprise entre 1 milliard d’euros et 1,3 milliard d’euros.

Cette situation met en lumière le déséquilibre entre les attentes et les ressources disponibles pour les élus locaux. Ces derniers dénoncent d’ailleurs, à raison, une attaque contre l’autonomie financière des collectivités.

Le groupe socialiste du Sénat défendra par voie d’amendement l’indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation, afin de rétablir une certaine équité financière.

Au total, nous pouvons estimer que ce PLF pour 2024 entraîne, pour les collectivités territoriales, une perte de ressources de plus de 2,2 milliards d’euros.

Cette perte résulte de divers facteurs, dont la fin des dispositifs de protection contre la hausse des prix de l’énergie, la ponction de 67 millions d’euros sur diverses dotations et l’absence de compensation de la revalorisation, amplement justifiée, de 1,5 % de la valeur du point d’indice de la fonction publique.

Ces chiffres mettent en évidence la nécessité de reconsidérer la trajectoire budgétaire actuelle, afin de préserver la capacité des collectivités à répondre aux besoins de leurs territoires.

Monsieur le ministre, le panier fiscal des collectivités est aujourd’hui quasiment nationalisé. En 2023, celles-ci devraient percevoir 53 milliards d’euros de fraction de TVA, soit près du quart de la TVA nette. Que se passera-t-il lorsque les recettes de TVA seront moins dynamiques ? (M. le ministre délégué lève les bras au ciel.)

Le cas se présentera dès 2024. J’imagine mal l’exécutif accorder alors un pouvoir de taux sur la TVA aux collectivités.

La question de l’impact des taux de TVA sur les finances locales mérite un débat. Avec le transfert croissant des recettes de TVA aux collectivités locales, ces dernières financent de plus en plus fréquemment, de facto et sans avoir leur mot à dire, des décisions de politique économique sectorielle prises par l’État. Les élus dépendent de ce fait des fluctuations et des orientations de la politique fiscale du Gouvernement.

Imaginez seulement – c’est une pure supposition !– que le Gouvernement décide de diminuer le taux de TVA sur les activités des poneys-club et des établissements équestres. (M. le ministre délégué sourit.) Les conséquences de ce choix assez particulier pèseraient sur les finances de l’État et sur celles des collectivités.

L’année 2024 s’annonce compliquée, du fait du ralentissement des recettes de TVA ou de la hausse des dépenses, en particulier sociales, des départements. Les élus locaux seront confrontés à des choix difficiles pour équilibrer leurs budgets et maintenir les services essentiels à la population.

Dès lors, de quelles marges de manœuvre les collectivités disposeront-elles, dans un contexte de besoins d’investissements accrus, pour honorer les engagements en matière de transition écologique ? Soyez toutefois assuré, monsieur le ministre, qu’elles y prendront tout de même toute leur part.

Il est urgent de rétablir une véritable autonomie financière et de reconnaître le rôle clé des collectivités dans le développement de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canévet applaudit également.)

M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Tout le temps passé sur l’administratif, c’est du temps qu’on vous fait perdre. » Ces mots, je dirai même cette consigne, sont ceux du Président de la République. Il les a prononcés voilà deux jours, lors du lancement du programme ETIncelles, qui doit faire rayonner nos PME.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Quelle comédie !

M. Olivier Rietmann. Ayant fait de cette question le fil rouge de mon mandat de président de la délégation sénatoriale aux entreprises, je souscris à 100 % à son constat et à son appel : contre la charge administrative, menons la lutte !

Pourtant, en préparant l’examen de ce texte, je me suis demandé comment lire ce projet de budget pour 2024 tant il est dépourvu de mesures visant à simplifier la vie de nos entrepreneurs.

Sa lecture m’a laissé dubitatif également s’agissant de l’amélioration de l’efficacité des politiques et de la dépense publiques.

Je suis frappé au plus haut point par l’absence de vision de long terme pour notre économie et par le défaut de cap clair pour nos entreprises, comme en témoigne le report de la suppression de la CVAE, qui a pourtant été votée par le Parlement il y a seulement un an.

Je comprends l’impératif qui est le vôtre, monsieur le ministre, au regard de l’état des finances publiques de notre pays. Mais quand le Gouvernement tiendra-t-il compte de l’ardente obligation de stabilité, législative et fiscale, pour les entreprises ? (M. Didier Rambaud proteste.) Quand pourrez-vous enfin offrir un cap clair, solide et de long terme, comme on le demande à tout dirigeant, de la très petite à la grande entreprise ?

La délégation sénatoriale aux entreprises plaide pour une meilleure prise en compte des difficultés et des défis de nos entreprises dans la fabrique de la loi.

Parmi ces difficultés figurent bien sûr l’instabilité législative que je viens d’évoquer, mais aussi, nous le savons tous, le niveau de nos impôts de production. Ils sont en effet quatre fois plus élevés qu’en Allemagne et deux fois plus hauts que la moyenne de la zone euro !

Il y a surtout, comme l’a admis devant nous cette semaine le chef de l’État, ce handicap français, sur lequel nous pouvons agir sans jamais le faire : la complexité administrative, qui représente pour nos entreprises une charge de 60 milliards d’euros par an, soit 3 % du PIB.

Alors que le Gouvernement lançait en grande pompe vendredi dernier les Rencontres de la simplification, je découvre dans ce projet de loi – et ce n’est qu’un exemple – l’augmentation du nombre d’entreprises concernées par l’obligation dite de documentation.

Cette mesure est proposée sans étude d’impact, son seul objectif étant – cela vaut son pesant de cacahouètes ! – de faciliter la mission de contrôle de l’administration fiscale en matière de prix de transfert. Comment a-t-on pu en arriver à pareille inversion des priorités ? Si notre pays se soucie dorénavant davantage de faciliter la tâche des services administratifs que d’aider nos entreprises à créer de la valeur, c’est que la situation est grave !

Concrètement, une telle mesure revient à demander à des milliers d’entreprises de débourser des centaines de milliers d’euros pour produire une documentation qui, dans 99 % des cas, ne sera pas lue par l’administration fiscale. Je rappelle au passage que cette dernière peut déjà solliciter des informations complémentaires au cas par cas.

Comment expliquer une telle méfiance à l’égard de nos entreprises ? Cette présomption de culpabilité de votre administration à l’égard des entreprises est injustifiable, monsieur le ministre !

Enfin, vous le savez, je serai particulièrement attentif à la conservation de l’équilibre actuel du pacte Dutreil. Ce dispositif est essentiel à la pérennité de notre tissu économique, constitué à plus de 50 % d’entreprises familiales. La moitié d’entre elles seront en situation de transmission d’ici à 2030, un dirigeant sur quatre étant âgé de plus de 60 ans. Il faut anticiper et encourager la transmission. À défaut, nous favoriserons les rachats d’entreprises françaises par des fonds étrangers ou, pis, leur fermeture pure et simple.

Toucher au pacte Dutreil serait tout simplement un non-sens économique et politique. La délégation aux entreprises plaide de longue date pour renforcer et développer son utilisation. Je suis d’ailleurs heureux de voir que les députés de votre majorité ont repris à leur compte notre proposition de relever le seuil de l’abattement fiscal en cas de reprise par des salariés. (M. le ministre délégué acquiesce.)

En conclusion, je vous appelle, monsieur le ministre, à entendre les messages : celui du Président de la République, bien sûr, mais aussi ceux que nous porterons au cours de ce débat budgétaire.

Je vous invite à mieux prendre en compte l’effet réel de vos propositions sur les entreprises françaises et à remettre ce projet de budget pour 2024 en cohérence avec nos grands objectifs économiques.

Ne renoncez pas à combattre cette inflation – celle des obligations administratives – contre laquelle Montesquieu prévenait déjà par une formule que je vous invite à méditer (M. le ministre délégué sen amuse.) : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Bernard Delcros a exposé la ligne du groupe Union Centriste : elle est constructive, mais exigeante. Tout au long de l’examen de ce projet de loi de finances, nous nous y tiendrons, tant il est nécessaire de rétablir les finances de notre pays.

Donnons d’abord crédit au Gouvernement sur la question de la croissance. Ce dernier avait affiché un objectif de 1 % pour 2023 et le pari sera tenu.

Pour 2024, le taux de 1,4 % est ambitieux, mais il est bon d’avoir de l’ambition pour l’économie française. Nous partageons donc totalement cet objectif.

Cela étant, il nous faut dès à présent nous rendre compte de l’état réel de nos finances publiques.

Mardi dernier, nous avons examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Pour rappel, le déficit de la sécurité sociale s’élève, pour 2023, à 8,8 milliards d’euros. Il atteindra 10,7 milliards d’euros en 2024 et 17,5 milliards d’euros en 2027.

C’est dire l’effort que nous devrons faire pour que nos finances de protection sociale retrouvent un équilibre ! Et malgré l’ampleur de ce déficit, nous percevons toujours de nombreuses insatisfactions de la part de l’ensemble des acteurs du secteur.

Pour ce qui concerne l’État, la situation en 2024 sera particulièrement grave, d’abord, parce que nous aurons à emprunter 285 milliards d’euros sur les marchés financiers, soit un montant tout à fait colossal, ensuite parce que le déficit public – près de 172 milliards d’euros cette année – restera, selon les prévisions, de 145 milliards d’euros l’année prochaine. C’est dire, là encore, le chemin qui reste à parcourir – M. le rapporteur général a largement développé ce point – pour revenir à l’indispensable équilibre des finances publiques.

Cette semaine, la Commission européenne nous a placés dans la « bande des quatre », avec la Belgique, la Croatie et la Finlande. Nous sommes les quatre pays de l’Union européenne – nous sommes le plus grand d’entre eux – dont la croissance des dépenses est la plus importante. Cela n’est pas acceptable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est la bande des chenapans !

M. Michel Canévet. Nous sommes encore, avec la Belgique, Malte et la Slovaquie, dans la bande des quatre pays dont le déficit par rapport au PIB est le plus important. Cela non plus n’est pas acceptable.

Il nous faut d’autant plus restaurer l’équilibre de nos finances publiques qu’un certain nombre de signaux doivent nous alerter.

Le taux de chômage, d’abord, connaît une légère remontée. Certes, la réforme engagée par le Gouvernement autour de France Travail – nous la soutenons – doit apporter un certain nombre de réponses, mais nous devons aller plus loin, car le retour à l’emploi de nos concitoyens doit demeurer un objectif impératif.

Par ailleurs, Pascal Savoldelli et d’autres collègues ont rappelé combien la pauvreté dans notre pays nous préoccupe. Une part croissante de la population vit sous le seuil de pauvreté et les associations caritatives nous alertent régulièrement sur l’augmentation des besoins.

Cela doit nous conduire, me semble-t-il, à mieux flécher les actions de solidarité publique vers ceux qui en ont véritablement besoin. Cessons les mesures généralisées et mettons en place, au sein de chaque politique publique, des mesures ciblées sur les populations les plus en difficulté.

La situation du logement est également très préoccupante. Sans logement, il n’y a pas d’intégration dans la société, pas plus qu’il n’y a d’insertion professionnelle ou de vie sociale.

Nous le constatons tous, les indicateurs relatifs à la production ou à la vente de logements sont au rouge et les perspectives pour 2024 ne sont pas bonnes. Nous devons donc conduire une politique volontariste.

Certes, nous comprenons la position du Gouvernement, qui entend réduire les dépenses fiscales liées au logement. Nous partageons, nous aussi, l’idée que le dispositif Pinel représente pour l’État une charge trop lourde qu’il faut alléger.

Il est néanmoins souhaitable de favoriser l’accession à la propriété, notamment des primo-accédants, sur l’ensemble du territoire national et pas simplement dans les zones tendues.

M. Michel Canévet. Cet enjeu nous semble tout à fait crucial. Si nous voulons, demain, réduire le parc locatif et favoriser la mobilité en son sein, il est nécessaire que ceux qui le souhaitent puissent accéder à la propriété.

Dans cette perspective, le prêt à taux zéro est un outil intéressant, car il est financé par des recettes de TVA qui permettent d’améliorer la situation budgétaire de notre pays. N’hésitons pas à y consacrer quelques moyens, le retour sur investissement sera tout à fait intéressant.

Monsieur le ministre, nous devons aussi – Bernard Delcros nous y a invités – remettre de l’ordre dans les niches fiscales.

L’exercice est difficile et mécontentera à coup sûr leurs bénéficiaires. Affichons néanmoins la volonté de les réduire et de ne retenir que les plus essentielles.

Voilà les quelques considérations qui témoignent de la manière dont le groupe Union Centriste engage l’examen de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Merci à chacune et chacun d’entre vous de vos interventions et de vos questions, auxquelles je m’efforcerai de répondre de la manière la plus complète.

Je commencerai par répondre à M. le rapporteur général.

Notre trajectoire, monsieur le rapporteur général, est crédible. Nous avons restauré la crédibilité de nos finances publiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Eh non !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous avons ramené le déficit public sous la barre des 3 % du PIB, mais c’était avant les trois crises que nous avons rencontrées.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Vous l’avez enfoncé !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous avons sorti la France de la procédure pour déficit excessif et réduit le déficit public – je le rappelle – à 2,3 % en 2018.

Je le redis également, car l’information est passée relativement inaperçue : alors que nous avions anticipé pour cette année un déficit à 5 %, nous serons à 4,9 %, malgré les difficultés et les récessions qu’ont connues nos partenaires européens.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Merci aux autres !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Notre croissance a tenu. Je réaffirme donc notre objectif de 4,4 % de déficit. Le plus important à l’égard des Français et de nos partenaires est de tenir nos engagements.

Je préfère une trajectoire moins agressive, mais crédible, à une trajectoire par trop volontariste sur le papier, mais inatteignable. Voilà ce qu’est le sens des responsabilités.

Monsieur le rapporteur général, ne regrettons pas la politique du « quoi qu’il en coûte » au moment de la crise.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous devrions pourtant.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je sens dans vos propos une remise en cause de cette politique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Elle était trop lâche !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Si nous avons aujourd’hui 1 % de croissance, c’est parce que nous avons protégé le pays. Quand je vois que nos partenaires allemands sont entrés en récession, je me dis, au contraire, que nous devons nous féliciter d’avoir mené cette politique.

Plus que l’attention portée à la dépense, les meilleurs alliés du redressement des finances publiques ont toujours été la croissance et l’emploi. Cela nous aurait coûté beaucoup plus cher de réparer un tissu économique abîmé et de résoudre une crise sociale si nous avions laissé le chômage s’emballer, si nous avions laissé un certain nombre d’entreprises partir au tapis.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas ce que nous avons dit.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Assumons que cette stratégie était la bonne. Elle a d’ailleurs été reconnue comme telle par la plupart des économistes.

Maintenant que nous avons fait ce constat et que les crises, énergétique et du covid-19, sont – je l’espère – derrière nous, nous devons à présent redresser nos finances publiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Et la crise du logement ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. N’ayons pas de regrets.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Si, il faut en avoir.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Tous les observateurs ont reconnu la crédibilité de notre démarche.

Monsieur le président Raynal, vous dites que la dépense publique n’est pas taboue. Vous avez raison et je pense que cette idée est très largement partagée quand je regarde notre modèle social. De la même façon d’ailleurs, le terme « économies » ne doit pas être tabou. Comme vous, nous sommes très attachés à notre modèle social. Toutefois, il n’y a pas de modèle social pérenne sans modèle social financé. (M. Thomas Dossus proteste.) Nous devons donc restaurer nos marges de manœuvre et réduire nos déficits publics.

Monsieur Rambaud, je vous remercie d’avoir mis en avant l’investissement colossal en faveur de la transition écologique que représente le projet de budget pour 2024. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.) Je réponds également par anticipation à Christine Lavarde : il s’agit du budget le plus vert de notre histoire. (M. le rapporteur général sexclame.)

Certes, nous pouvons sans doute aller beaucoup plus loin et ce débat est légitime.

M. Thierry Cozic. On est loin du rapport Pisani-Ferry !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Monsieur Cozic, je reviendrai plus tard sur le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz.

Vous pointez les prétendues insuffisances de notre politique en matière de lutte contre la fraude et contre l’évasion fiscale. (M. Thierry Cozic sexclame.) Vous pourriez pourtant vous féliciter des dispositions que prévoit ce projet de loi de finances. Mme Goulet les a saluées. Elles ne sont pas moins de vingt, qui viennent renforcer notre arsenal, permettent de mieux traquer la fraude sous toutes ses formes – celle des entreprises, des particuliers, sur internet –, de pénaliser ceux qui incitent à la fraude fiscale et qui en font le commerce, de contrôler les frais de transfert, ce qui vient d’être présenté comme un risque et une charge administrative.

Vous pourriez dire, tout de même, que tout cela va dans le bon sens !

La DGFiP comptera, d’ici à 2027, 1 500 personnes supplémentaires qui seront affectées au contrôle fiscal. Cela ne va-t-il pas dans le bon sens ?

Les caisses de sécurité sociale compteront également mille personnes de plus, la lutte contre la fraude sociale étant aussi l’une de nos priorités.

Vous auriez pu dire aussi, monsieur Cozic, que l’instauration d’un taux minimum de 15 % d’impôt sur les sociétés est une manière de s’assurer qu’aucune multinationale n’échappe à l’impôt sur les sociétés.

M. Thierry Cozic. Il faut donc vous remercier…

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C’est une conquête majeure, une initiative franco-allemande de 2018, qui trouve pour la première fois sa traduction dans un texte national. Il s’agit d’une sacrée avancée, même si nous devons aller plus loin.

M. Thierry Cozic. En effet !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous devons certes aller plus loin pour resserrer les mailles du filet, mais tout de même ! (M. Rémi Féraud sexclame.)

Madame la sénatrice Lavarde, vous n’avez pas été tendre. (Sourires.)

Sur les budgets verts, je ne partage pas votre analyse. Je les défends avec ferveur, y compris au sein de l’État. Nous devons en effet en faire un outil de pilotage. Nous augmentons les dépenses dites vertes de plus de 7 milliards d’euros. Certaines dépenses sont, il est vrai, difficiles à classer et vous avez raison de soulever ces difficultés.

Pour autant, il faut aller plus loin. Nous vous proposerons d’étendre les budgets verts aux opérateurs, dans un format négocié avec des associations d’élus.

Nous nous donnerons ainsi une boussole commune avec les collectivités territoriales, non pas sur l’ensemble des dépenses, mais sur les dépenses d’investissement : quelle est la part des investissements des collectivités territoriales qui participent à la transition écologique ?

L’objectif n’est pas de classer les collectivités ou de conditionner telle ou telle aide. Nous avons la transition écologique en partage, il faut bien que nous ayons quelques boussoles communes. Les budgets verts en font partie. (Mme Christine Lavarde sexclame.)

En outre vous auriez pu souligner – peut-être l’avez-vous fait d’ailleurs (Mme Christine Lavarde acquiesce.) – que nous allons enfin nous doter d’une stratégie pluriannuelle du financement de la transition écologique. C’est le fruit d’un travail étroit entre le Parlement et le Gouvernement. Je suis très heureux de cette avancée et me réjouis de voir qu’elle vous semble aller dans la bonne direction.

Je partage complètement votre analyse sur le versement des aides aux entreprises. Nous avons d’ailleurs lancé à cet effet une revue de dépenses, la première de celles qu’a lancées la Première ministre.

Je m’interroge par exemple sur le fait que des aides du fonds de solidarité sont mises en œuvre par la DGFiP, quand d’autres le sont par l’Agence de services et de paiement (ASP). On le voit : notre champ est complètement éclaté. Nous devons le rationaliser, afin de faire des économies, de mieux lutter contre les erreurs et contre la fraude.

Enfin, aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a jamais remis en question comme vous le faites l’idée d’exprimer le déficit public en pourcentage du PIB. (Mme Christine Lavarde et M. Stéphane Sautarel sourient.)

Mme Christine Lavarde. En valeur absolue, c’est bien aussi !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Il n’est pas choquant de rapporter les dépenses à une richesse. Il me semble que le parti auquel vous appartenez n’a jamais souhaité casser ainsi le thermomètre.

On peut discuter du caractère insuffisamment ambitieux ou non de notre trajectoire, …

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. En effet !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … mais pas remettre en cause ce thermomètre, qui est communément admis. Il a probablement des faiblesses, mais tous les partis politiques s’y retrouvent, me semble-t-il.

La fin de votre intervention souligne la difficulté de redresser les finances publiques. Alors que vous nous enjoignez d’aller plus loin et plaidez pour une politique plus volontariste, vous concluez votre intervention sur la loi tant attendue de programmation sur le grand âge. Vous nous enjoignez d’engager des dépenses supplémentaires !

Vous dites aussi qu’il faut aider davantage les départements…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est ce qu’a demandé Bruno Le Maire.

Mme Christine Lavarde. C’est dans votre dossier de presse ! C’est vous qui dites que vous protégez les Français !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je ne vous fais aucun reproche, madame la sénatrice. J’essaie simplement de vous faire toucher du doigt le fait que nous faisons face, parfois, à des injonctions contradictoires dont vous pourriez, vous aussi, être les victimes. (Mme Christine Lavarde et M. Laurent Somon protestent.)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. C’est pour cela que vous ne faites rien sur le grand âge ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Monsieur le sénateur Capus, je partage naturellement la position du groupe Les Indépendants – République et Territoires sur les questions régaliennes, sur lesquelles vous avez beaucoup insisté.

Le projet de budget qui vous est soumis donne la priorité à ces questions.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Et à la charge de la dette !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Des moyens importants sont alloués à la police et à la justice, au travers notamment du recrutement de greffiers et magistrats.

Vous avez insisté sur la confiance entre l’État et les collectivités, qui doit en effet être continuellement cultivée.

Nous sommes prêts à avancer sur deux sujets que vous avez évoqués : sur les ZRR, d’une part ; sur les communes nouvelles, d’autre part. Ces dernières constituent un très bon dispositif. Aucune commune ayant choisi d’entrer dans un tel mécanisme ne doit se trouver pénalisée, à un moment ou à un autre : voilà qui enverrait un signal contradictoire. Il faut plutôt qu’on les soutienne. Il est très courageux pour des élus de s’engager dans ce type de dispositif. Il ne faut pas qu’ils aient le sentiment d’y avoir perdu. J’espère que nous parviendrons à améliorer le texte sur ces deux sujets au cours de nos échanges.

J’ai bien noté les propositions de Nathalie Goulet sur la fraude. Je lui proposerai de s’associer à la poursuite de nos travaux.

Monsieur le sénateur Dossus, permettez-moi de revenir sur l’excellent rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz, que tout le monde ne cesse de nous opposer, au motif que notre budget n’y serait pas conforme… Ce n’est pas du tout le cas ! Le projet de budget 2024 est parfaitement en ligne avec ce rapport.

M. Thomas Dossus. Vous taxez les hauts revenus ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il est même calqué dessus !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Pourquoi ? Les auteurs de ce rapport estiment, après avoir réalisé un travail extrêmement fin, à environ 30 milliards d’euros par an le besoin d’investissements publics pour réaliser la transition climatique. Regardons dans le détail : la part attendue de l’État s’élève entre 7 et 10 milliards d’euros, selon que l’on raisonne en crédits de paiement ou en autorisations d’engagement. La part attendue des collectivités territoriales, qui réalisent 70 % de l’investissement public civil, – elles ont d’ailleurs envie d’investir dans cette thématique, c’est leur compétence – représente plus de deux tiers de l’effort. Si j’ajoute les dépenses de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), les certificats d’économies d’énergie (C2E), la copie que nous vous soumettons avec ce projet de loi de finances pour 2024 est parfaitement en ligne avec les recommandations de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. (M. Thomas Dossus proteste.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ne changez rien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous avons un rendez-vous, comme je le disais à l’instant à Christine Lavarde, celui de la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Celle-ci nous permettra de préciser les ordres de grandeur. Elle correspond d’ailleurs, je pense, à une attente des écologistes qui a été fortement exprimée lors des dialogues de Bercy, auxquels votre groupe a participé, et lors de l’examen du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale.

Monsieur Savoldelli, en ce qui concerne le shutdown à la française, j’indique, puisque certains orateurs ont critiqué l’emploi de l’article 49.3 à l’Assemblée nationale, que notre responsabilité est de doter le pays d’un budget. Je ne reprocherai jamais aux oppositions de ne pas le voter.

M. Thomas Dossus. Vous les en empêchez !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Non, non, pas du tout.

Mais comment faire, avec une majorité relative, sans recourir au 49.3 ? Le risque est de ne pas avoir de budget.

À vous entendre, il n’y aurait aucun problème, il suffirait d’appliquer l’article 47 de la Constitution. Mais ce n’est que repousser le problème… Si le budget est pris par voie d’ordonnance, alors autant dire adieu aux dépenses pour financer la transition écologique et aux grands investissements ! En effet, comme certains d’entre vous l’ont dit, les collectivités ont besoin de visibilité : ce ne sera pas le cas si le budget est mis en œuvre par douzièmes…

De plus, en tout état de cause, si le Gouvernement en est réduit à mettre en vigueur les dispositions du budget par ordonnance, il faudra que celle-ci soit ratifiée par le Parlement. Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, celle-ci ne sera pas ratifiée, faute de majorité. Votre problème est immense…

M. Pascal Savoldelli. Notre problème ? Franchement !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je termine ma réponse, monsieur Savoldelli, mais je sens un peu de mauvaise foi… (M. Pascal Savoldelli proteste.) Pardonnez-moi, je suis allé trop loin ! (Rires.)

Je reprends mon propos. Le problème demeure, la situation est bloquée, car l’ordonnance ne peut pas être ratifiée. Nous revenons donc au point de départ : il faut un budget et, pour cela, il faut passer par le 49.3.

En revanche, je suis très satisfait de la manière dont l’examen du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 s’est déroulé. On a discuté, y compris avec les oppositions : celles-ci ont défini les conditions dans lesquelles elles pourraient s’abstenir.

Mais ces groupes sont-ils capables de faire de même lors de l’examen d’un projet de loi de finances ? Peuvent-ils indiquer les conditions dans lesquelles ils peuvent s’abstenir, afin de laisser une chance à un budget d’être voté ?

M. Thierry Cozic. Cela se négocie en amont !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Voilà un sacré engagement ! Il faut être ouvert à la discussion. Pour ma part, j’y suis tout à fait disposé. Mais je ne sais pas si les groupes d’opposition sont prêts, d’un point de vue politique, à nous dire qu’ils sont d’accord pour discuter et qu’ils s’abstiendront sur le budget. Voilà qui serait une première ! Mais ma porte est ouverte…

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Elle l’a d’ailleurs toujours été.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il y a des courants d’air…

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Enfin, monsieur Savoldelli, l’instauration d’un taux minimal de l’impôt sur les sociétés constitue une avancée historique, qu’il convient de saluer. Les mailles du filet vont se resserrer progressivement au fil du temps.

Monsieur Daubet, j’ai déjà répondu sur la généralisation des budgets verts.

Notre budget est-il celui d’un pays qui peine à revoir son organisation administrative ? Le Président de la République a confié une mission à Éric Woerth sur le sujet…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Et aussi à Catherine Vautrin et à Boris Ravignon, c’est le grand bazar…

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Il est chargé d’une réflexion sur l’empilement des structures de l’État, des collectivités territoriales, etc. Nous devons aussi évaluer combien coûte cet empilement. Les Français ont besoin de le savoir, parce que c’est leur argent.

Merci, monsieur Omar Oili, de souligner les aides exceptionnelles que le Gouvernement met en place pour Mayotte. La situation dans ce département l’exige. Nous sommes à ses côtés.

Mme Florence Blatrix Contat, il ne faut pas oublier le fonds vert qui sera doté de 2,5 milliards d’euros. J’entends que cela peut vous paraître insuffisant, mais un tel fond n’existait pas jusqu’à présent. L’effort en matière de soutien à l’investissement des collectivités n’a jamais été aussi important, j’y insiste. Certes, on pourrait souhaiter qu’il le soit encore plus.

Toutefois, en tant que ministre des comptes publics, je me dois de vous rappeler que nous avons un déficit et que la question de la soutenabilité de notre modèle est posée. La charge de la dette représentera plus de 75 milliards d’euros en 2027 : tous les euros qui y seront consacrés ne peuvent pas être investis dans nos politiques publiques. Nous avons dû trouver un équilibre.

Cela étant, nous n’avons absolument pas renoncé à notre ambition en matière de transition écologique, bien au contraire : la déclinaison de notre stratégie à travers les COP territoriales, animées par Christophe Béchu, en témoigne.

Monsieur le sénateur Sautarel, j’ai déjà répondu sur l’emploi de l’article 49.3 de la Constitution, je n’y reviens pas.

J’en viens aux prévisions de croissance. Le FMI estime que la croissance de la France s’élèvera à 1,3 % du PIB l’an prochain ; pour la Commission européenne, elle devrait être de 1,2 %. Nous maintenons notre prévision de 1,4 %, en dépit des incertitudes liées à la situation internationale, que vous connaissez aussi bien que nous.

Je vous rejoins totalement sur la nécessité de travailler sur les doublons, sur les coresponsabilités. C’est la raison pour laquelle j’ai cité le travail en cours sur ce sujet. Celui-ci me semble indispensable. Là encore, nous sommes ouverts aux propositions. Nous le sommes également sur le nouveau zonage des ZRR : certains d’entre vous ont fait des propositions à cet égard et je suis convaincu que nous trouverons un accord – c’est mon souhait en tout cas.

Vous m’avez aussi interrogé sur la création de 8 500 emplois publics supplémentaires : 2 700 sont destinés à la sécurité intérieure, 2 000 à la justice. Est-ce trop ? Il s’agit de la traduction de lois de programmation que vous avez votées. Nous renforçons aussi l’éducation nationale et la transition écologique. En contrepartie, nous devons identifier, c’est important, les secteurs où faire des économies d’ETP.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Tenez votre promesse de stabilité !

M. Stéphane Sautarel. C’est l’administration administrante.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je ne vous comprends pas. Je parle de policiers, de magistrats, de greffiers : ce n’est pas l’administration administrante !

Monsieur le sénateur Delcros, attention aux impôts ! Selon les données que vient de publier Eurostat il y a quelques semaines, la France est le pays d’Europe qui a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé ! Personne ne nous dépasse…

Utiliser la piste fiscale pose deux problèmes, de pouvoir d’achat et d’attractivité du territoire. (M. Thierry Cozic le conteste.) Si nous continuons de créer de l’emploi et de la croissance, c’est parce que la France est devenue un territoire très attractif, où les entreprises peuvent se développer. Ne cassons pas ce modèle qui fonctionne. Il reste notre meilleur allié pour redresser les finances publiques.

J’entends vos inquiétudes sur la DGF. La Première ministre vient d’annoncer, il y a quelques heures, que la DGF serait augmentée de 100 millions d’euros : son montant sera donc non pas de 220 millions d’euros, mais de 320 millions d’euros. J’espère que cette annonce permettra, monsieur le sénateur, de répondre à vos interrogations et à vos attentes.

Madame Briquet, les élus locaux ne sont pas responsables du déficit de l’État, c’est vrai, mais nous sommes tous comptables du redressement des finances publiques. Nous en partageons tous la responsabilité. (M. Laurent Somon proteste.)

J’indique en outre, pour vous rassurer, que les concours financiers aux collectivités territoriales augmenteront de 1 milliard d’euros.

Monsieur Rietmann, vous avez raison sur la simplification. Sur la CVAE, j’avoue ne plus comprendre le positionnement du groupe Les Républicains : souhaite-t-il la supprimer ? Souhaite-t-il maintenir un lien fiscal entre l’activité économique et les territoires ? C’est difficile à lire, il faut bien le dire… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Et inversement ! Tenez vos promesses !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Le contrôle des prix de transfert est très important si l’on veut lutter contre la fraude. Lorsque les entreprises fabriquent des prix de transferts, elles doivent pouvoir les décrire. Nous demandons simplement que l’administration fiscale ait connaissance de ces informations. Cette obligation nous semble donc tout à fait accessible. Nous parlons d’entreprises qui ont des filiales à l’étranger, pas de la TPE du coin…

Monsieur Canévet, le travail est la clé pour générer des recettes, pour redresser les finances publiques. Toutes nos réformes doivent être orientées en ce sens. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de quelques minutes afin que la commission des finances puisse se réunir et examiner l’amendement que le Gouvernement a déposé sur l’article liminaire.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures douze, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Organisation des travaux

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Article liminaire

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Le nombre d’amendements déposés cette année sur la première partie du projet de loi de finances s’élève à 2 259, soit 500 de plus que l’année dernière, où un record avait déjà été atteint.

Je rappelle que nous devons respecter les exigences constitutionnelles prévues pour l’examen du budget. Ce nombre d’amendements record nous impose donc de revoir l’organisation de nos travaux. Il ne paraît ainsi plus possible de ne pas siéger le dimanche 26 novembre.

La commission demande en conséquence l’ouverture de la séance dimanche, l’après-midi, le soir et la nuit.

Ainsi, nous siégerons demain soir jusqu’à minuit et demi, puis samedi à partir de neuf heures trente, quatorze heures trente, le soir et la nuit jusqu’à environ deux heures du matin, voire plus tard, en fonction de l’avancée de nos travaux. Nous reprendrions l’examen du texte dimanche à quatorze heures, jusqu’à une heure trente du matin lundi.

J’espère que M. le ministre sera heureux de passer autant de temps avec nous ! (Sourires.)

L’ouverture de dix heures de séance dimanche ne nous dispensera pas, pour autant, de devoir conserver un rythme soutenu de discussion des amendements en séance, afin que nous puissions achever l’examen de la première partie du projet de loi de finances jeudi prochain – nous n’avons pas le choix à cet égard.

Alors que 1 035 amendements avaient été déposés sur le projet de loi de finances 2019, soit une hausse significative par rapport aux 617 amendements déposés en 2018, mon prédécesseur Vincent Éblé avait parlé d’une « inflation substantielle ». Cette année, le nombre d’amendements ayant doublé, je n’ai plus de mots ! (Sourires.)

Je vous indique que j’ai demandé aux chefs de file des différents groupes politiques de réfléchir en interne à la meilleure manière de traiter cette situation afin que nous puissions ne pas perdre trop de temps, tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits de chaque sénateur.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous confirme que c’est avec plaisir que je participerai aux travaux du Sénat dimanche ! (Sourires.)

M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Nous passons à la discussion de l’article liminaire.

projet de loi de finances pour 2024

Organisation des travaux
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Première partie

Article liminaire

Les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, les prévisions de solde par sous-secteur, la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique, de l’objectif d’évolution en volume et la prévision en milliards d’euros courants des dépenses des administrations publiques, les prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations pour l’année 2024, les prévisions pour 2024 de ces mêmes agrégats du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, ainsi que les données d’exécution pour l’année 2022 et les prévisions d’exécution pour l’année 2023 de ces mêmes agrégats, s’établissent comme suit :

 

(En points de produit intérieur brut, sauf mention contraire)

Loi de finances pour 2024

PLPFP 2023-2027

2022

2023

2024

2024

Ensemble des administrations publiques

Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel)

-4,2

-4,1

-3,7

-3,7

Solde conjoncturel (2)

-0,5

-0,7

-0,6

-0,6

Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel)

-0,1

-0,1

-0,1

-0,1

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-4,8

-4,9

-4,4

-4,4

Dette au sens de Maastricht

111,8

109,7

109,7

109,7

Taux de prélèvements obligatoires (y compris Union européenne, nets des crédits d’impôt)

45,4

44,0

44,1

44,1

Taux de prélèvements obligatoires corrigé des effets du bouclier tarifaire

45,6

44,4

44,4

44,4

Dépense publique (hors crédits d’impôt)

57,7

55,8

55,4

55,3

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

1 523

1 573

1 623

1 622

Évolution de la dépense publique hors crédits d’impôt en volume (en %) *

-1,1

-1,4

0,5

0,5

Principales dépenses d’investissement (en milliards d’euros) **

25

30

30

Administrations publiques centrales

Solde

-5,2

-5,3

-4,7

-4,7

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

625

629

639

639

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

-0,1

-3,9

-1,3

-1,4

Administrations publiques locales

Solde

0,0

-0,3

-0,3

-0,3

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

295

312

322

322

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

0,1

1,0

0,9

0,9

Administrations de sécurité sociale

Solde

0,4

0,7

0,6

0,6

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

704

730

761

761

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

-2,4

-0,5

1,7

1,7

* À champ constant.

** Au sens de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

*** À champ constant, hors transferts entre administrations publiques.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° I-2183, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

(En points de produit intérieur brut, sauf mention contraire)

Loi de finances pour 2024

PLPFP 2023-2027

2022

2023

2024

2024

Ensemble des administrations publiques

Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel)

-4,2

-4,1

-3,7

-3,7

Solde conjoncturel (2)

-0,5

-0,7

-0,6

-0,6

Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel)

-0,1

-0,1

-0,1

-0,1

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-4,8

-4,9

-4,4

-4,4

Dette au sens de Maastricht

111,8

109,7

109,7

109,7

Taux de prélèvements obligatoires (y compris Union européenne, nets des crédits d’impôt)

45,4

44,0

44,1

44,1

Taux de prélèvements obligatoires corrigé des effets du bouclier tarifaire

45,6

44,4

44,4

44,4

Dépense publique (hors crédits d’impôt)

57,7

55,8

55,4

55,3

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

1 523

1 574

1 624

1 622

Évolution de la dépense publique hors crédits d’impôt en volume (en %) *

-1,1

-1,4

0,6

0,5

Principales dépenses d’investissement (en milliards d’euros) **

25

30

30

Administrations publiques centrales

Solde

-5,2

-5,3

-4,8

-4,7

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

625

630

640

639

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

-0,1

-3,8

-1,1

-1,4

Administrations publiques locales

Solde

0,0

-0,3

-0,3

-0,3

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

295

312

322

322

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

0,1

1,0

0,9

0,9

Administrations de sécurité sociale

Solde

0,4

0,7

0,6

0,6

Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros)

704

730

762

761

Évolution de la dépense publique en volume (en %) ***

-2,4

-0,5

1,9

1,7

* À champ constant.

** Au sens de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

*** À champ constant, hors transferts entre administrations publiques.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cet amendement vise à mettre à jour les prévisions sous-jacentes au projet de loi de finances pour 2024, en ce qui concerne le déficit et les grands agrégats de finances publiques présentés dans l’article liminaire.

La mise à jour résulte de la coordination avec les différents textes financiers en discussion au Parlement : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 et le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, que l’Assemblée nationale et le Sénat ont définitivement adopté hier.

Il est important de souligner que les prévisions de solde public restent inchangées, pour 2023 comme pour 2024 : le solde s’établirait respectivement à –4,9 % et à –4,4 % du PIB, conformément à la trajectoire adoptée dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Pour 2023, l’amendement prend en compte le résultat des discussions du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.

Pour 2024, certains éléments dégradent le solde public : je pense à l’impact de l’accord national interprofessionnel 2023-2026 pour l’Agirc-Arrco, qui réduit le solde public de 2024 de 1 milliard d’euros. À l’inverse, la mesure de gel des barèmes des allègements généraux de cotisations sociales, introduite par voie d’amendement dans le PLFSS lors de son examen à l’Assemblée nationale, permet d’améliorer le solde public de 500 millions d’euros.

Au total, la prévision de solde public pour 2024 s’établirait toujours à –4,4 % du PIB. Elle reste donc, j’y insiste, inchangée par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale, et conforme aux orientations définies dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

M. le président. L’amendement n° I-1896, présenté par MM. Bilhac et Daubet, est ainsi libellé :

Alinéa 2, tableau, douzième ligne

Rédiger ainsi cette ligne : 

 Dépense publique (hors CI, en Md€)

1624 

1673 

1722 

1698 

La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° I-1896 est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° I-2183 ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit d’un amendement de coordination. J’émets un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-2183.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article liminaire, modifié.

(Larticle liminaire est adopté.)

Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Article 33 (début)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles de la première partie.

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE IER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

M. le président. Nous allons tout d’abord examiner, au sein du titre Ier de la première partie du projet de loi de finances pour 2024, l’article 33, relatif à l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

ARTICLE 33 ET PARTICIPATION DE LA FRANCE AU BUDGET DE L’UNION EUROPÉENNE

M. le président. Dans la discussion, la parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme chaque année, il nous revient d’examiner l’évaluation du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne présentée dans le projet de loi de finances. Il s’agit d’un exercice complexe, dans la mesure où le montant inscrit dans le projet de loi de finances est seulement prévisionnel.

Les négociations entre le Conseil et le Parlement européen sur le budget européen pour 2024 ont touché ces derniers jours à leur fin. Le 11 novembre dernier, ces deux institutions se sont accordées sur un montant de 189 milliards d’euros en crédits d’engagement et de 143 milliards d’euros en crédits de paiement.

Le 20 novembre, le Conseil a adopté ce compromis et le Parlement européen a fait de même hier. Comme il est d’usage, le Gouvernement devrait déposer prochainement un amendement prenant en compte le montant du budget européen pour déterminer la contribution française. Je regrette, pour la clarté de nos débats, que nous ne disposions pas aujourd’hui d’une évaluation révisée du prélèvement sur recettes.

Pourriez-vous, madame la ministre, nous indiquer quand sera déposé cet amendement ? Pourriez-vous d’ores et déjà nous indiquer quel serait le montant révisé de l’évaluation du prélèvement sur recettes ?

En tout état de cause et dans l’attente de cette actualisation, l’article 33 du projet de loi de finances évalue le montant du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne à 21,61 milliards d’euros.

Ce montant représente une diminution de près de 2,287 milliards par rapport à la prévision actualisée pour 2023. À mon sens, cette baisse relative, qui s’explique par des facteurs conjoncturels, ne saurait refléter une stabilisation ou un ralentissement de la contribution française à moyen terme. Le montant du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne s’élèverait en effet en moyenne à 26,9 milliards d’euros sur la période 2023-2027.

Je souligne toutefois que l’évaluation du prélèvement sur recettes et de la contribution française au budget de l’Union pour les années à venir pourrait être affectée par les négociations en cours sur la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

La Commission européenne a ainsi présenté, en juin 2023, ses propositions pour renforcer le budget pluriannuel de l’Union à hauteur de 66 milliards d’euros. Celles-ci prévoient notamment la mise en place d’une plateforme européenne des technologies stratégiques. La Commission recommande également la mise en place d’une facilité pour l’Ukraine, à hauteur de 50 milliards d’euros, sans que l’on sache qui en apportera la garantie.

Certains États membres plus frugaux ont d’ores et déjà fait part de leur réticence à une telle augmentation du budget de long terme de l’Union.

Madame la ministre, pourriez-vous nous préciser la position de la France dans les négociations sur la révision du cadre financier pluriannuel ? À quelle date espérez-vous parvenir à un accord ? Comment cette révision devrait-elle affecter le montant de la contribution française au budget de l’Union ?

La révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel devrait également s’accompagner de l’adoption de nouvelles ressources propres.

La Commission européenne a formulé des propositions actualisées en ce sens. Je ne peux pas, toutefois, m’empêcher de m’interroger, mes chers collègues, sur le montant des recettes tirées de ces nouvelles ressources. En effet, il n’est pas certain qu’elles soient suffisantes pour couvrir les besoins de financement du remboursement du plan de relance et de ses intérêts, d’une part, et du Fonds social pour le climat, d’autre part.

Or je rappelle que l’engagement financier de la France au titre de Next Generation EU est de l’ordre de 75 milliards d’euros. Un défaut d’adoption de ces nouvelles ressources signifierait ainsi un surcroît de 2,5 milliards d’euros annuels pour la contribution française au budget de l’Union. Par ailleurs, cette évaluation ne tient pas compte des différentes garanties que la France serait susceptible d’accorder au soutien à l’Ukraine en application des articles 46 à 48 du présent projet de loi de finances.

Il serait ainsi opportun, madame la ministre, au vu des engagements pris par la France, de disposer d’une évaluation précise des montants que notre pays serait susceptible d’être appelé à verser à l’Union européenne à moyen terme, au-delà du seul prélèvement sur recettes.

Pour terminer, je tenais à interroger le Gouvernement sur l’état d’avancement des versements du plan de relance européen. Pour rappel, la France a déposé une deuxième demande de paiement le 31 juillet 2023 pour un montant de 10,3 milliards d’euros. La Commission a publié un projet de décision de validation le 17 novembre.

Madame la ministre, à quelle date pensez-vous que la France pourrait percevoir ce nouveau versement ?

En guise de conclusion, mes chers collègues, la commission des finances avait proposé, lors de son examen de l’article 33, le 31 octobre, de l’adopter sans modification. Telle est la position que je vous recommande de suivre aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. le président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de Jean-François Rapin, qui se trouve actuellement en Allemagne.

Nous sommes confrontés à un paradoxe : la contribution de la France au titre du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne va diminuer l’année prochaine ; pourtant, dans le même temps, nous savons que le budget de l’Union va fortement monter en puissance au cours des années à venir. Financer les transitions écologique et numérique ainsi que les conséquences de la guerre en Ukraine, dans un contexte de forte inflation et de taux d’intérêt élevés et avec le devoir de rembourser l’emprunt européen levé au sortir de la pandémie : tout cela impose que la trajectoire du budget européen soit à la hausse.

À mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP) 2020-2027, la Commission européenne propose déjà de rallonger celui-ci de 66 milliards d’euros et, même si, parallèlement, elle met sur la table de nouvelles ressources propres, force est de constater que le compte n’y est pas.

Ce nouveau train de ressources propres n’a en réalité qu’un seul wagon : la création d’une ressource statistique temporaire fondée sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises. Surtout, cette ressource propre n’en est pas une : il s’agit plutôt d’une nouvelle forme de contribution nationale, à l’image de la ressource assise sur le revenu national brut (RNB) ou de la contribution plastique.

Or il y a urgence : sans nouvelles ressources propres, les dépenses supplémentaires de l’Union alourdiront mécaniquement les contributions des États membres. Selon la Cour des comptes, en l’absence de nouvelles ressources propres, la contribution de la France augmenterait ainsi de 2,5 milliards d’euros par an pendant trente ans à partir de 2028 et, attention, ce n’est qu’une projection à Union européenne constante, mais il est peu probable qu’elle reste à vingt-sept si longtemps !

En effet, nous ne pouvons ignorer qu’un élargissement à neuf nouveaux États membres augmenterait le budget européen de plus de 20 %. Madame la secrétaire d’État, quel en serait l’impact pour la contribution française ? Comment la France envisage-t-elle durablement le financement du projet européen et où en sont les négociations sur les ressources propres ?

Par ailleurs, s’il nous faut voir loin, nous devons aussi veiller dès aujourd’hui au bon usage du budget européen. Or, sur ce sujet, la Cour des comptes européenne s’est récemment montrée très critique : en 2023, pour la quatrième année consécutive, elle a émis une opinion défavorable sur la légalité et la régularité des dépenses de l’Union de l’exercice précédent. Elle estime ainsi le taux d’erreur des paiements à 4,2 % des dépenses.

À propos du plan de relance et de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), elle a émis une opinion avec réserves, soulignant que onze des treize subventions versées aux États membres dans ce cadre présentaient des problèmes de régularité.

Lutter contre ces irrégularités s’impose avant même d’envisager de nouvelles hausses, d’autant qu’elles se répètent d’année en année. Comment expliquer ces trop nombreuses irrégularités ? Serait-ce la trop grande complexité des règles d’attribution des aides européennes ? Madame la secrétaire d’État, que propose le Gouvernement sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de souligner l’importance de la participation française au budget de l’Union européenne. En tant que deuxième contributeur net, la France assume une responsabilité significative au sein de l’Union.

Pour l’exercice budgétaire 2024, la contribution française connaît une légère baisse, de 4 milliards d’euros. Cette diminution découle principalement d’un décalage dans l’exécution des crédits de la politique de cohésion, des effets de l’inflation sur l’évolution du RNB des États membres et de l’augmentation des droits de douane en raison de la reprise du commerce international.

Malgré cette baisse ponctuelle, la contribution française connaît une augmentation constante depuis vingt ans. Ce constat m’amènera d’ailleurs à évoquer la nécessité d’accroître l’autonomie budgétaire de l’Union européenne par la recherche de nouvelles ressources propres.

D’abord, cette discussion sur la contribution française au budget de l’Union européenne nous amène inévitablement à évoquer la question pressante de la révision du cadre financier pluriannuel de l’Union qui doit avoir lieu à mi-parcours. Les récents événements, tels que la guerre en Ukraine et la hausse significative de l’inflation et des taux d’intérêt, soulignent la pression croissante sur le budget de l’Union européenne et la complexité de la planification à moyen terme. La Commission européenne, confrontée à cette réalité, a présenté en juin dernier une proposition de révision du CFP incluant 66 milliards d’euros supplémentaires.

Cependant, nous regrettons que cette proposition ne soit pas à la hauteur des besoins, n’intégrant pas suffisamment les nouvelles réalités telles que les implications du programme américain Inflation Reduction Act (IRA) et la nécessité d’un soutien massif à la transition écologique. Il est impératif que l’Europe ne fléchisse pas dans la course à la décarbonation et que non seulement elle investisse dans l’innovation et la recherche, mais également qu’elle amplifie la production à grande échelle des technologies existantes.

La révision du cadre financier pluriannuel doit donc être plus ambitieuse, prenant pleinement en compte les enjeux de la transition écologique et de la compétitivité. Cette nécessité, soutenue par les conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), est indéniable : la transition écologique coûtera cher, mais bien moins que l’inaction.

Malheureusement, lors de la réunion du Conseil européen d’octobre dernier, les Vingt-Sept ont exprimé leur opposition à la rallonge de 66 milliards d’euros demandée par la Commission européenne, privilégiant l’idée de redéploiements. Cette position nous inquiète et souligne la nécessité de développer de nouvelles ressources propres pour l’Union européenne.

Dans cette perspective, les propositions de nouvelles ressources, telles que le marché carbone européen, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ou le pilier 1 de l’accord sur la fiscalité internationale du G20 et de l’OCDE, représentent une avancée cruciale pour renforcer les moyens financiers de l’Union européenne. Il est donc inacceptable que le Conseil retarde toute décision sur ce paquet, pourtant proposé par la Commission européenne il y a presque deux ans.

De même, nous nous réjouissons de la proposition d’une nouvelle ressource statistique temporaire fondée sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises. Il s’agit d’une première étape significative vers la réalisation de ce qui pourrait constituer un impôt européen sur les sociétés, même si, à ce stade, il s’agirait en fait d’une contribution des États.

Il est impératif d’aller plus loin et plus rapidement dans cette direction. Telle est la position du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui, en outre, propose la taxation des profits exceptionnels des entreprises au-delà du seul secteur de l’énergie, la mise en place d’un ISF vert européen et une augmentation du taux de la taxe sur les multinationales.

Enfin, mes chers collègues, il est essentiel d’évoquer la nécessité d’une révision équilibrée du pacte de stabilité et de croissance, soutenant les investissements publics dans les transitions climatiques et numériques, tout en assouplissant les contraintes budgétaires imposées aux États membres. Cette révision doit impérativement intégrer des règles budgétaires transparentes prenant en considération la spécificité des situations nationales. Sans une transparence adéquate de la part de la Commission européenne, il sera difficile d’évaluer la nouvelle méthode de calcul annoncée, notamment en ce qui concerne la prise en compte des spécificités nationales. De plus, il est crucial de garantir la possibilité d’exclure certains investissements du solde structurel ; c’est ce que nous proposons pour les investissements dans la transition écologique.

Mes chers collègues, l’Union européenne se trouve à la croisée des chemins, elle est appelée à faire des choix décisifs : ne rien changer reviendrait à renoncer à notre idéal européen, alors que relever le défi du financement des enjeux de demain est le seul chemin pour répondre aux doutes d’une partie de notre population.

Il est impératif que la France assume son rôle moteur sans céder aux « frugaux », ces États « austéritaires » qui freinent les dépenses nécessaires à la compétitivité et à la transition écologique. Dégager de nouveaux financements est désormais une nécessité absolue pour préparer l’avenir de notre continent. À ma place l’an dernier, mon collègue Patrice Joly évoquait la citation de Jean Monnet, affirmant que l’Europe se construirait au fil des crises. Une fois de plus, nous sommes témoins de cette réalité et nous devons en tirer les conséquences.

En accord avec les engagements de la France, notre groupe votera en faveur de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le prélèvement sur les recettes (PSR) du budget général de l’État en faveur de l’Union européenne est constitué de plusieurs composantes : une ressource TVA, qui correspond à un prélèvement de 0,3 % sur une assiette harmonisée pour tous les États membres ; une contribution calculée sur le revenu national brut ; et une nouvelle ressource créée en 2021 sur les emballages plastiques non recyclés, dite ressource plastique.

En 2023, le montant du PSR était de 24,6 milliards d’euros. Pour 2024, il est estimé en légère diminution, à hauteur de 21,6 milliards d’euros. En ajoutant au PSR les ressources propres traditionnelles que constituent les droits de douane, collectés directement au profit de l’Union européenne, l’ensemble constitue la contribution de la France au budget européen. À titre d’information, les ressources propres traditionnelles représentaient en 2023 environ 3 milliards d’euros. Depuis 2010, seul le PSR fait formellement l’objet d’un vote du Parlement. C’est le sens même de cet article 33 du PLF 2024.

Le budget européen pour 2024 est le quatrième du cadre financier pluriannuel portant sur les années 2021 à 2027. Ce cadre pluriannuel a prévu un plafond global de dépenses de plus de 1 200 milliards d’euros en crédits d’engagement sur sept ans. Il doit notamment permettre à l’Union européenne de répondre aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de covid-19, grâce au plan de relance européen Next Generation EU d’un montant de plus de 750 milliards d’euros. Il dote également l’Union européenne de moyens d’action élargis en matière de politique étrangère, ce qui s’avère précieux dans l’aide apportée à l’Ukraine depuis bientôt deux ans.

Nous sommes donc réunis aujourd’hui pour discuter de ce budget européen, mais la marge d’action des parlements nationaux est – vous l’imaginez bien – faible. Sauf à vouloir « casser la baraque » européenne, nous voterons cet article 33, tant l’exercice est convenu. Cependant, cela ne nous dispense pas de certaines remarques.

Avec 24 milliards d’euros en 2023, la France est, derrière l’Allemagne, le deuxième contributeur d’un budget de l’Union européenne de plus de 180 milliards d’euros. Sans rien remettre en question de nos engagements auprès de nos partenaires européens, il est permis de s’interroger sur le ratio coût-bénéfice de notre contribution.

Ce débat est ancien et comporte de nombreux biais, j’en suis consciente. Notre pays fait partie des plus importants contributeurs nets. Dans la période d’endettement et de déficit record que nous traversons, un delta de 10 milliards d’euros entre le montant que nous donnons par rapport à celui que nous recevons n’est pas anodin. Il n’est pas anodin, car il faut tenir compte du contexte national et de l’inflation. Il est perçu par le contribuable français comme une sorte de double peine : au niveau national, assommé de taxes et peinant à en voir les effets ; au niveau européen, large contributeur net pour des retombées somme toute peu visibles. Nos concitoyens se questionnent sur le sens d’une telle disparité et il faut être capable non seulement de l’entendre, mais aussi de l’expliquer.

Un point positif cependant : le soutien que nous recevons de l’Union européenne est investi dans deux spécificités françaises qu’il convient de défendre. Il s’agit d’une part des aides de la politique agricole commune (PAC) versées à hauteur de 9 milliards d’euros par an jusqu’en 2027. Première puissance agricole de l’Union européenne, il est essentiel que la France en soit la première bénéficiaire. C’est un soutien vital pour nos agriculteurs. Je me permets d’insister sur ce point, car nous ne devrons pas l’oublier lorsqu’il s’agira d’aborder le dossier de l’élargissement. Il s’agit d’autre part des aides apportées aux régions ultrapériphériques (RUP) que sont nos territoires d’outre-mer. La Commission européenne s’est engagée dans un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec ces régions. Il s’agit d’un soutien substantiel, la France détenant le deuxième espace maritime mondial via ses territoires ultramarins.

Mes chers collègues, dans un exercice assez convenu, il nous est demandé de nous prononcer sur cet article 33. En Européenne convaincue, je voterai pour. Néanmoins, restons attentifs aux interrogations légitimes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « La droite et la gauche sont deux détaillants qui ont le même grossiste, l’Europe. » C’est ainsi que s’exprimait Philippe Séguin à propos de l’Union européenne, lui qui fustigeait l’abandon de la souveraineté nationale, pourtant consubstantielle de notre nation, au profit d’une putative souveraineté européenne, abandon accompagné avec ardeur par la gauche et la droite depuis trente ans.

Nous discutons ce jour de la participation de la France au budget de l’Union européenne, participation injuste à tous égards, qui s’élève donc à 21,6 milliards pour 2024.

Injuste d’abord, car la France a toujours payé rubis sur l’ongle sa participation, incitée à le faire sans contrepartie aucune par les dirigeants les plus européistes du continent, alors que le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas ou encore le Danemark ont bénéficié pendant des décennies d’un rabais ou d’un rabais sur le rabais, simplement parce qu’ils étaient gouvernés par des politiques soucieux de leur intérêt propre, laissant reposer sur la France le poids de l’utopique construction européenne. Ce sont des milliards d’euros que les contribuables français ont payé et continuent à payer pour les autres, alors que nous sommes déjà le pays le plus taxé au monde !

M. Aymeric Durox. Injuste ensuite, car la contribution nette de la France au seul budget de l’Union européenne de 2000 à 2023 aura coûté plus de 175 milliards d’euros à notre pays. C’est l’équivalent du coût de construction d’une dizaine d’EPR (European Pressurised Reactors), dont nous aurions tant besoin aujourd’hui, après que l’État a laissé détruire notre filière nucléaire pour faire plaisir aux Verts (M. Thomas Dossus ironise.). C’est aussi l’équivalent d’une bonne soixantaine de gros hôpitaux ou d’une cinquantaine de porte-avions nucléaires.

Pis, l’argent que l’Union européenne daigne nous redonner est fléché et nous ne pouvons pas l’utiliser comme nous le souhaitons. C’est donc la double peine – cette expression a déjà été utilisée – qui nous est appliquée. L’Union européenne nous coûte « un pognon de dingue » pour des résultats économiques par ailleurs médiocres !

Après 175 milliards d’euros, que nous a apporté l’Union européenne ? Notre agriculture se porte-t-elle mieux ? Notre accès, dit privilégié, au marché unique a-t-il protégé nos entreprises ? A-t-il empêché les délocalisations ou le dumping social provoqué par les travailleurs détachés ? Notre sécurité aux frontières est-elle mieux assurée ? Après 175 milliards d’euros, il est temps de faire le bilan et celui-ci est sans appel pour le camp des européistes béats…

Pourtant, cette contribution ne va qu’augmenter dans les années à venir en raison de deux facteurs. D’une part, il y aura l’intégration probable et souhaitée par le Président Macron et les instances européennes de nombre de pays des Balkans et du Caucase. Ces adhésions feront nécessairement augmenter la note pour la France, comme après l’entrée des pays de l’Est. D’autre part, le départ définitif de Londres ainsi que le remboursement du plan de relance covid-19 adopté par les Vingt-Sept en 2020 et qui a été mal négocié pourraient alourdir la note pour notre pays à partir de 2028 de plus de 2,5 milliards d’euros par an pendant trente ans, selon la Cour des comptes.

Bref, il faut mettre fin à ce tonneau des Danaïdes européen sans cesse comblé par le contribuable français. Il faut une contribution plus juste et plus respectueuse de nos intérêts, ce que votre gouvernement, madame la secrétaire d’État, est incapable d’assurer.

Vous pourrez compter sur les sénateurs du Rassemblement national pour défendre l’intérêt de notre pays et les prochaines élections européennes feront office de juge de paix sur la question. Vox populi, vox dei ! (M. Joshua Hochart applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la participation de la France au budget de l’Union européenne pour 2024 est en forte baisse par rapport à 2023 : plus de 3 milliards d’euros, avant notre examen. La justification conjoncturelle ne nous a pas échappé.

La France, c’est environ 18 % des contributions des États membres. Nous sommes contributeur net. Là encore, je ne vous apprends rien. En revanche, je formule le vœu qu’un jour nous puissions quantifier ce que l’Union nous rapporte en retour de manière directe et indirecte. Cela tordrait le cou à bien des idées reçues ; nous venons d’en entendre plusieurs…

Je le répète à chaque examen de l’article du PLF relatif à la contribution française, l’Union européenne n’est pas une option, c’est un levier indispensable pour répondre aux enjeux qui sont devant nous, et ils sont nombreux !

Est-ce que la révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027 nous fait craindre des hausses de contributions pour les prochaines années ? Oui, comme tout le monde dans cet hémicycle.

Est-ce que nous accueillons favorablement le nouveau panier de ressources propres proposé par la Commission européenne en juin dernier, dont celle qui repose sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises ? Oui, et nous souhaitons des ressources propres renforcées en prévision des prochains efforts que l’Union européenne devra fournir.

Est-ce que l’augmentation des rabais d’autres États membres, au premier rang desquels l’Allemagne, nous indigne ? C’est une troisième fois oui, et la solution n’est certainement pas d’obtenir nous-mêmes un rabais ; c’est plutôt de convaincre les autres d’abandonner les leurs. Quand on est Européen, on l’est entièrement, pas au rabais !

Pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires, la réponse à toutes ces questions, c’est l’Union européenne. J’évoquais la solidarité l’an dernier. Cette année, je pense que le mot qui devrait qualifier notre action d’Européens, c’est « puissance ». En effet, si nous acceptons de contribuer, il est temps de nous poser la question : pour quoi ? Que décidons-nous de faire en Européens ? C’est à nous, et seulement à nous, de donner l’impulsion à l’Europe.

À ce titre, je vous invite tous à suivre avec attention la prochaine réunion du Conseil européen, en décembre. Le menu est appétissant, avec entre autres la renégociation du CFP – on parle d’une hausse de 66 milliards d’euros – ou encore les questions de l’élargissement et de la réforme de notre système. La Commission européenne vient de se prononcer en faveur de l’ouverture formelle des négociations d’adhésion avec l’Ukraine. Sommes-nous prêts ?

Au-delà de la restauration de notre indépendance, de la reconstruction de nos industries, il va falloir que l’Union européenne se pense en puissance. Les conflits récents, à nos portes, nous y exhortent. Nous devons impérativement réformer l’Union européenne. Les peuples européens méritent mieux. Soyons enfin ce que nous devons être ! Que notre contribution y participe !

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 33 du projet de loi de finances pour 2024 porte sur la contribution de la France au budget de l’Union européenne. Ce prélèvement sur recettes du budget de l’État représente un montant de 21,6 milliards d’euros auquel il faut ajouter les droits de douane. Ces derniers étant estimés à 2,33 milliards d’euros net des frais de perception, la contribution française serait donc de 23,94 milliards d’euros environ pour l’année 2024.

Si nous pouvons constater une baisse relative de cette contribution entre 2023 et 2024, il s’agit, en réalité, d’une stabilisation conjoncturelle en vue de futurs engagements financiers, notre pays demeurant d’ailleurs le deuxième contributeur derrière l’Allemagne.

Néanmoins, ces données, en apparence intéressantes, ne doivent pas occulter certains facteurs politiques et économiques favorisant la hausse systématique, voire systémique, de la contribution française par rapport au cadre financier pluriannuel précédent. Il y a, par exemple, les difficultés pour analyser l’impact de la nouvelle taxe plastique mise en place en 2021 ou encore les effets des différents rabais négociés par cinq États membres – l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, l’Autriche et le Danemark. Ce dernier point doit particulièrement faire l’objet de notre attention. À une époque où l’idée de solidarité européenne est usée à tout-va, ces dérogations budgétaires tendent toujours à favoriser la défiance, voire la mésentente entre les États membres.

Le budget de l’Union européenne pour l’année 2024 s’élève, quant à lui, à 142,6 milliards d’euros en crédits de paiement et à 189,4 milliards d’euros en crédits d’engagement. Pour rappel, ce budget s’inscrit dans un cadre pluriannuel fixé pour sept ans. Il permet de prévoir à moyen terme là où l’Union européenne doit concentrer ses dépenses ; il fixe ainsi les montants maximaux sur lesquels elle peut s’engager chaque année pour financer ses politiques. Pour la période 2021-2027, ce plafond a été fixé à 1 074,3 milliards d’euros et s’accompagne d’un plan de relance inédit de 750 milliards d’euros intitulé Next Generation EU afin de répondre aux conséquences économiques de la pandémie de covid-19.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté, le 20 juin 2023, ses propositions pour une révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Cette proposition s’explique en partie par la hausse des dépenses découlant du conflit ukrainien, par la tendance inflationniste actuelle dans l’ensemble de l’Europe, mais également par les besoins en matière de transition énergétique et numérique.

Pour tenir compte de ces effets, la Commission européenne a proposé une révision à la hausse du cadre financier pluriannuel de l’ordre de 66 milliards d’euros en crédits d’engagement sur la période 2024-2027. Ces nouveaux crédits devraient permettre de financer notamment deux dispositifs : une nouvelle facilité pour l’Ukraine, absolument nécessaire compte tenu de l’enlisement de ce conflit, et une plateforme de technologies stratégiques pour l’Europe (Step). Le premier dispositif vise à participer à la reprise, à la reconstruction et à la modernisation de l’Ukraine, qui subit toujours les assauts de l’armée russe dans l’est de son territoire. Le groupe Union Centriste réaffirme le soutien indéfectible de la France à l’Ukraine contre l’agresseur russe. Quant à la plateforme de technologies stratégiques pour l’Europe, elle a pour objectif de décarboner le secteur industriel afin d’atteindre la neutralité climatique de l’Union européenne à l’horizon de 2050.

Comme tout exercice budgétaire, le budget de l’Union européenne pour 2024 s’accompagne d’un lot de défis à relever.

Tout d’abord, l’instauration de nouvelles ressources propres est un impératif absolu. La Commission européenne a présenté, en juin dernier, une proposition relative à la nouvelle génération de ressources propres. Toutefois, il n’est pas certain que les recettes tirées desdites ressources soient suffisantes pour couvrir, à la fois, le remboursement du plan de relance et de ses intérêts et l’abondement du Fonds social pour le climat, un fonds absolument nécessaire pour accompagner la transition énergétique et climatique.

Je souhaite insister sur ce point. L’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre dans le territoire de l’Union européenne d’ici à 2030 se financera par l’affectation d’une partie des recettes tirées des nouvelles ressources propres au Fonds social pour le climat. Ces dernières seront donc parallèlement fléchées vers deux initiatives ambitieuses. C’est pourquoi la viabilité budgétaire et financière de cette architecture budgétaire doit susciter la vigilance de la Haute Assemblée.

En adoptant un prisme plus global, le budget de l’Union européenne doit être un outil au service des aspirations européennes ; je pense notamment à deux d’entre elles.

En premier lieu, il s’agit de renforcer la cohésion entre les États. Récemment, la Commission européenne a rappelé à l’ordre quatre États membres, dont la France, en raison du niveau élevé de leurs dépenses publiques. Le respect des règles budgétaires communes est l’un des piliers de la solidarité européenne.

En second lieu, cette solidarité s’entretient également par une convergence politique dans des secteurs stratégiques. À titre d’illustration, la nouvelle PAC a posé les fondations d’une agriculture différenciée entre les États, source de disparités économiques, tout en s’inscrivant dans une réduction de la production agricole, alors que la souveraineté alimentaire est un enjeu stratégique pour l’avenir des populations d’Europe.

Il y a donc encore du travail, même si dans d’autres domaines les efforts produisent des résultats. Je pense notamment à la future réforme du marché de l’électricité.

Comme le disait Jacques Delors après la crise des subprimes : « Après les pompiers, l’Union européenne attend les architectes ! » On assiste plutôt, pour l’instant, à la montée des populismes. Les derniers résultats constatés hier à l’occasion des élections législatives aux Pays-Bas démontrent le danger qui nous guette et qui risque de fragiliser et de fracturer l’Union européenne.

Il est temps que nous réaffirmions fermement nos convictions européennes ; contrairement à ce que j’ai entendu à cette tribune il y a quelques instants, l’Union européenne a agi : elle a garanti la paix, ce qui est extrêmement précieux quand on voit l’agression russe en Ukraine ou la situation au Moyen-Orient. Ne l’oublions jamais ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contribution de la France au budget de l’Union européenne représente un triple enjeu.

Tout d’abord, elle intervient au moment de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Elle intervient aussi avant les élections européennes. Enfin, elle doit prendre en compte le retour annoncé des règles du pacte de stabilité et de croissance. Ce débat vital autour du prélèvement européen, nos collègues députés en ont été privés, puisqu’ils ont été muselés par le 49.3.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour cet article 33 ; notre engagement européen reste résolu. Cela étant dit, le débat d’aujourd’hui doit nécessairement prendre en compte les enjeux que j’ai énoncés.

L’Union européenne a été confrontée à des crises imprévisibles : la pandémie, l’inflation, la remontée des taux d’intérêt, l’approvisionnement difficile en énergie et évidemment la guerre en Ukraine. Ces crises lui ont certes permis de se renforcer – elles ont par exemple abouti au plan de relance et à un endettement commun résolu –, mais ces avancées reposent sur un financement instable, précaire : les contributions nationales.

Même un Européen résolu peut se demander où va l’Union et, avec l’élargissement, quels choix seront nécessaires pour faire évoluer les institutions et le budget. Bientôt, nous serons peut-être trente-six. Les défis, notamment climatiques, à relever sont immenses. Seul un projet européen ambitieux sera capable de les relever, mais un tel projet a un coût. On ne peut pas attendre toujours plus de l’Union européenne sur la santé, le soutien à l’Ukraine, le climat, la réindustrialisation, les politiques sociales, etc., tout cela à budget constant !

C’est vrai, la France ne bénéficie d’aucun rabais. Notre pays est même le principal financeur des rabais des autres. On sait aussi que, lorsque l’on rapporte l’ensemble des politiques d’aides européennes à la population de chaque pays, elle se situe à la vingt-troisième place. On sait également que le Fonds européen d’aide aux plus démunis est sous-consommé en France, alors qu’il y a urgence, notamment pour les Restos du cœur et les banques alimentaires. Dans un contexte où de nombreux ménages peinent à joindre les deux bouts, on comprend que notre contribution importante au budget européen puisse faire grincer des dents…

Non, la capacité budgétaire de l’Union ne peut pas reposer pour l’essentiel sur des contributions nationales instables, impopulaires et sans cesse marchandées. Une autre voie est possible et elle est plus que nécessaire, alors que dorénavant quasiment chaque élection en Europe enregistre des avancées de l’extrême droite anti-européenne.

Pour enrayer cette déconstruction de l’Union qui avance, il faut développer ses ressources propres. Aujourd’hui, elles représentent moins de 20 % du budget européen, contre plus de 70 % pour les contributions des États.

Avec les accords de libre-échange conclus depuis des décennies, la part des ressources douanières a considérablement diminué.

La France aurait tout à gagner à l’activation des ressources propres. Nous sommes le pays dont le solde net s’est le plus creusé et cela n’ira pas en s’arrangeant. Certes, notre contribution pour 2024 baisse et ne s’élèvera qu’à 21,6 milliards d’euros, mais cette légère diminution n’est que temporaire ; notre contribution est amenée à augmenter au cours des prochaines années au regard du cadre financier pluriannuel. Notre enveloppe au titre du plan de relance européen a diminué de 2 milliards d’euros, tandis que le remboursement représentera 2,4 milliards d’euros par an. En outre, alors que nous sommes le second contributeur net au budget de l’Union, notre déficit aggravé nous expose au risque de sanctions de la Commission européenne, qui souhaite imposer le retour aux règles du pacte de stabilité.

Pourtant, le Gouvernement ne pousse pas, au sein du Conseil, pour développer les ressources propres, loin de là. Par exemple, la taxe sur le numérique a été abandonnée par peur de représailles américaines, de même que la taxe sur les transactions financières, et il n’y a toujours pas d’avancée majeure sur le front de l’harmonisation fiscale ou de la définition d’une assise commune de l’impôt sur les sociétés. Que fait le Gouvernement au sein du Conseil pour hâter la mise en œuvre de ressources propres suffisantes ? Rien que la taxe sur les Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (Gafam) pourrait rapporter 4 milliards d’euros par an…

Vous l’aurez compris, faute de ressources propres, le plan de relance aggravera la dette des États membres, y compris celle de la France. L’austérité budgétaire serait donc l’horizon imposé aux peuples européens ! Grandes entreprises du numérique, transactions financières, assiette commune d’impôt sur les sociétés : les citoyens contribuables attendent de vous que vous fassiez participer au budget européen ceux qui profitent de l’Europe et des crises sans prendre part à l’effort collectif. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme du budget européen est une impérieuse nécessité. Tel est le cri des parlementaires européens, qui s’inquiètent de l’avenir des finances de l’Union, et pour cause : le cadre financier pluriannuel proposé par la Commission européenne en juin 2023 est au point mort, supplanté par les discussions autour du conflit au Proche-Orient.

Sans entrer dans les détails, disons que la Commission européenne propose d’amender à la marge le cadre financier en cours pour renforcer les aides à l’Ukraine, mettre en place une plateforme de technologies stratégiques pour l’Europe et apporter 18 milliards d’euros de ressources supplémentaires afin de faire face aux migrations et de financer les traitements des fonctionnaires européens indexés.

Pourtant, même avec ces moyens supplémentaires, la contribution de la France au budget de l’Union européenne diminuerait de 3,38 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2023. C’est, mes chers collègues, ce que l’on appelle dans le jargon budgétaire une baisse conjoncturelle. J’y vois pour ma part une baisse en trompe-l’œil, qui saura se rappeler à nous en temps voulu.

C’est un trompe-l’œil, d’abord, parce que cette baisse correspond aux retards importants dans la mise en œuvre de la politique de cohésion. Ces retards de déploiement se traduisent par une baisse des paiements de 37 milliards d’euros du Fonds européen de développement régional (Feder), du Fonds de cohésion, du Fonds social européen (FSE) et par une baisse de 3 milliards d’euros du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Les documents annexés sont clairs, il y aura un rattrapage ! Le sentiment anti-européen fustigeant les institutions est nourri par ces reculs, par ces tergiversations et par l’impression que la solidarité européenne est au point mort.

C’est un trompe-l’œil, ensuite, parce que les ressources budgétaires consacrées au remboursement de l’emprunt du volet subvention du plan Next Generation EU, pour la bagatelle de 390 milliards d’euros, avaient été financées sur la base d’hypothèses de taux d’intérêt aujourd’hui dépassées. En quelque sorte, la question du financement était mise sous le tapis et l’endettement apparaît comme une sorte de fuite en avant. Les taux ne s’étalent plus de 0,55 % en 2021 à 1,15 % en 2027 : ils sont déjà supérieurs à 3 % ! Et que dire des financements indispensables au Fonds social pour le climat, qui permettrait une transition écologique socialement juste, alors qu’un nouveau marché carbone heurtera de plein fouet les ménages, avec une forte hausse des coûts des transports et du chauffage dans les bâtiments ? Sans contrepartie sociale, la transition écologique sera vaine.

D’ailleurs, les choses pourraient se compliquer dans cinq ans. Un chercheur estime que, en l’état des émissions, « en 2032, la Commission devrait engager des procédures d’infraction contre près de vingt États membres » pour se conformer aux objectifs du Pacte vert. C’est un véritable séisme social qui s’annonce, et non pas de simples secousses.

En vérité, c’est au moment du débat, le 4 février 2021, sur l’approbation de la décision du Conseil portant sur les ressources propres, que vous avez votée, mes chers collègues, que se posait l’avenir financier de l’Union. Une contribution sur le plastique pour solde de tout compte et ce furent 1,5 milliard d’euros de moins à verser ; pour le reste, seulement des promesses de travail, si bien qu’en juin 2023 la Commission européenne rendait une nouvelle copie avec des solutions à la marge…

Il faut que la France revienne sur la règle de l’unanimité. C’est impératif pour ne pas voir le projet européen mourir et pour empêcher les blocages systématiques.

Au passage, où en est-on de la taxation des transactions financières, qui pourrait singulièrement soulager les contributions des États membres en créant une ressource assise sur la spéculation, qui va toujours bon train ? Il y a ce qui relève des mécanismes institutionnels et ce qui relève de l’ambition politique, les deux n’allant pas toujours de pair. La Commission européenne le proposait dans la décision sur les ressources propres que vous avez votée, je le répète. N’ayez pas la mémoire courte, l’impasse budgétaire est proche. Il faut changer de direction, sinon l’Union courra un grave péril.

Le groupe CRCE-K votera contre ces crédits, qui empêchent d’assumer l’exigence climatique du Pacte vert et de concrétiser la cohésion européenne, en l’absence de toute taxation sur le capital. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au détour d’un seul article, ce sont presque 22 milliards d’euros qui sont budgétés dans ce projet de loi de finances 2024, au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Nos collègues l’ont rappelé : la baisse de cette contribution par rapport à celle de 2023 n’est que provisoire au regard des engagements à venir, que ce soit dans le cadre du plan de relance européen ou pour tirer les conséquences de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel en cours.

L’évolution tendancielle habituellement à la hausse de cette clé de contribution fait souvent débat. Pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, profondément attaché au projet européen, la question ne se pose pas, ni sur le principe ni sur le fond.

Sur le principe, je rappelle que le prélèvement européen est bien plus qu’un acte financier : il est une déclaration tangible en faveur d’une Europe résiliente, solidaire et souveraine. La gestion collective du covid-19, le soutien partagé à l’Ukraine et l’effort concerté de réduction de la dépendance énergétique en sont l’illustration.

Sur le fond, faut-il rappeler que, si notre pays est le deuxième contributeur net, il est aussi depuis toujours l’un des principaux bénéficiaires des dépenses de l’Union ? Ces dépenses irriguent bon nombre de nos politiques publiques, en particulier dans un secteur dit traditionnel. Je pense, bien entendu, à la PAC, sans laquelle notre modèle agricole n’aurait peut-être pas fait sa mue structurelle pour viser l’objectif incontournable de transition écologique. Je n’oublie pas non plus l’importance des instruments de gestion de crise, même si, bien entendu, on peut toujours faire mieux. Je pense en particulier à la pêche : sans doute celle-ci devrait-elle être plus soutenue, mais l’Europe est intervenue pour qu’elle soit plus durable, dans les régions côtières et dans les régions ultrapériphériques.

Pour autant, tous les citoyens européens ne mesurent pas les efforts des institutions européennes pour gérer les crises et relever les grands défis de long terme que chacun des États membres ne pourrait pas affronter seul. Depuis deux ans, pour un total de 490 milliards d’euros, le Conseil européen a validé vingt-cinq plans de relance, dont notre fameux plan national de relance et de résilience (PNRR) et celui des Pays-Bas en 2022…

À cet égard, la menace de l’organisation, dans ce pays, d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne se précise avec la percée hier, aux législatives, du parti pour la liberté de Geert Wilders ; cela doit soulever des questions. Est-ce un manque de pédagogie ? Oui, le règlement de Dublin n’est pas parfait ; oui, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) n’a pas forcément les moyens de ses missions ; mais quel État membre peut-il prétendre mieux régler tout seul l’immense défi migratoire qui est devant nous ? Il n’y a qu’à observer le Royaume-Uni se débattre avec cette question depuis trois ans… Est-ce un manque de moyens ? Sans doute, mais pourra-t-on faire plus que les 1 824 milliards d’euros du CFP 2021-2027, augmentés du plan Next Generation EU ?

Par ailleurs, nous voyons bien que la question de la dette de l’Union européenne refait surface, avec une échéance de début de remboursement à l’horizon de 2028. Allons-nous assister une nouvelle fois à la pression des « frugaux » pour un retour à l’orthodoxie budgétaire ? Cet axe fragiliserait une reprise européenne déjà bien atone. La seule issue – le groupe RDSE l’a toujours défendue –, c’est celle de la recherche de ressources propres. Allons chercher l’argent là où il se trouve !

Je me réjouis de voir que la Commission européenne a présenté en juin dernier un projet de nouvelles ressources propres qui pourraient alimenter le budget européen à hauteur de 36 milliards d’euros par an. Oui aux mécanismes d’ajustement carbone aux frontières ! Oui au levier fondé sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises ! Et je n’oublie pas l’accord multilatéral de l’OCDE et du G20 sur la fiscalité internationale arraché après des années de lutte.

Pour conclure, j’émettrai un reproche : tout cela est bien long et bien lent ! Le Conseil européen avance à petits pas, au risque de voir le paysage politique européen se fracturer encore un peu plus au fil des années. Néanmoins, notre groupe votera pour l’article 33, en faveur d’une Europe que nous voulons toujours plus solidaire et plus convaincante. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Grégory Blanc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, point de suspense inutile : le groupe RDPI votera unanimement en faveur de l’article 33 du projet de loi de finances pour 2024. Cet article est peut-être un peu méconnu de nos concitoyens, mais il est fondamental à maints égards pour notre pays et l’Union européenne.

Ce vote positif est motivé par une profonde conviction européenne et par une volonté de cohérence politique. Nous sommes viscéralement attachés à la construction européenne et nous pensons que l’avenir de notre pays est indissociable de la capacité des pays de l’Union européenne à affronter solidairement les défis économiques, sécuritaires, énergétiques et écologiques auxquels ils sont confrontés. Il ne s’agit pas d’une création ex nihilo. J’ai en tête les mots du grand penseur Denis de Rougemont : « L’Europe unie n’est pas un expédient moderne, économique ou politique, mais c’est un idéal qu’approuvent depuis mille ans tous ses meilleurs esprits, ceux qui ont vu loin. »

Sur la cohérence politique, je dirai d’abord que nous sommes encore et toujours les défenseurs de ces deux lettres, U et E, pour Union européenne, au moment où elles sont le bouc émissaire commode de certains. Nous l’avons encore vu cette semaine avec les élections aux Pays-Bas, qui ont beaucoup tourné autour du sujet migratoire. C’est le moment de dire que, justement, la révision du cadre financier pluriannuel prévoit le renforcement du budget de l’UE à hauteur de 18 milliards d’euros pour faire face aux dimensions externe et interne de ces migrations et conclure des partenariats avec des pays tiers clés. C’est bien aussi à cette échelle-là que nous aurons les moyens de traiter les racines profondes de cette question.

Cohérence politique aussi, ensuite, parce que nous avons toujours plaidé pour un changement de dimension de l’Union européenne, qui doit devenir plus stratégique, avec des moyens renforcés. Souvenons-nous de l’énergie que le Président de la République a dû déployer pour obtenir le plan de relance européen, qui acte un premier changement, avec un recours pour partie à l’emprunt. Grâce à cela, nous ne sommes plus l’Europe des naïfs. Nous avons les moyens de nous doter d’un certain nombre d’instruments pour bien figurer au premier rang de la compétition mondiale.

Certes, la France contribuera à hauteur de 21,6 milliards d’euros en 2024, mais songez à l’effet de levier qui agira en retour sur nos politiques publiques. C’est considérable : ainsi, sur 100 milliards d’euros du plan de relance français, 40 milliards proviennent de l’UE, 30 % étant consacrés à l’action en faveur du climat. L’Europe nous entraîne ainsi dans une logique de transformation tout à fait opportune.

Enfin, s’il y a ce qui se voit, il y a aussi ce qui ne se voit pas dans le budget. Beaucoup de dépenses européennes contribuent ainsi au meilleur fonctionnement de nos territoires, de notre pays. Je pense naturellement à la PAC, mais aussi à un certain nombre de fonds de cohésion. À cet égard, nous devons faire un effort de communication pour que tout un chacun voie que l’Europe près de chez lui est une réalité tangible et accessible. Aucun canton de France n’est privé des vertus des crédits européens !

Pour conclure, je veux saluer, dans la proposition de révision du cadre financier pluriannuel, le renforcement de l’action au soutien de l’Ukraine, avec la facilité de 50 milliards d’euros, ainsi que le projet de plateforme Step, qui nous permet d’avancer dans la maîtrise de technologies critiques. Vous le voyez, l’adoption de ce budget est essentielle pour nous donner les moyens d’influer plus efficacement sur la marche du monde et pour relever tous ensemble les défis de long terme auxquels nous sommes confrontés.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la commissaire des affaires européennes, monsieur le rapporteur spécial, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de saluer le travail de M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial pour la participation de la France au budget de l’Union européenne, et du rapporteur général, ainsi que la qualité des débats en commission des finances, le 31 octobre dernier.

C’est évidemment toujours un plaisir de me retrouver ici, au Sénat, pour vous demander, au nom du Gouvernement, d’autoriser le prélèvement sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne pour l’année 2024. Vous l’avez souligné, il s’élèverait à 21,6 milliards d’euros, un montant inférieur à celui de 2023. Il est très proche de celui que nous connaissions avant la pandémie de covid-19.

La France étant deuxième contributeur au budget de l’Union, sa participation est évidemment clé pour la mise en œuvre de l’accord entre le Conseil et le Parlement européen sur le budget 2024. Plus largement, et plus gravement, alors que la France et l’Europe font face à une somme inédite de défis, elle est essentielle pour permettre à l’Union européenne d’avancer et de répondre aux priorités que sont les crises géopolitiques, les flux migratoires et les défis de la transition écologique. La contribution française n’a d’autre vocation que de permettre la réalisation de ce projet global.

Monsieur le rapporteur spécial, monsieur Capus, monsieur Fernique, vous avez mentionné la révision en cours du cadre financier pluriannuel. C’est bien par ce biais que nous allons assurer la pérennisation d’aides à l’Ukraine, au travers de la proposition de facilité pour l’Ukraine sur la période 2024-2027. À ce sujet, vous vous êtes inquiétés d’éventuels amendements au projet de loi de finances pour le prélèvement sur recettes. Je vous rassure, il n’y en aura pas, parce que les négociations du cadre financier pluriannuel sont toujours en cours. À ce stade, il demeure encore trop d’incertitudes, la seule certitude étant que l’effet de cet accord sera mineur sur le budget 2024.

Vous m’avez aussi interrogée sur les priorités de la révision du CFP. Je viens de le dire, le soutien à l’Ukraine est la première d’entre elles. Je rappelle à cet égard que nos prêts à ce pays sont garantis par le budget de l’Union européenne.

Ensuite, le budget européen permettra également de financer la réponse européenne aux défis migratoires. Ces financements doivent permettre la mise en œuvre du Pacte sur la migration et l’asile, au sujet duquel un accord doit impérativement être trouvé avant la fin de la législature actuelle du Parlement européen. Ils doivent également servir à renforcer nos partenariats avec les pays tiers, notamment les pays d’origine et de transit des flux migratoires.

Je veux aussi rappeler ce que signifie en pratique notre contribution au budget européen. Celle-ci permet à l’Europe de disposer des moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques communes, qui agissent directement au service de notre pays et de nos concitoyens. Je pense d’abord à la politique agricole commune, mais aussi aux programmes pour la jeunesse ou au financement de la transition écologique.

Avec le budget européen, nous finançons la PAC. Vous avez été nombreux à le rappeler, nous sommes de loin le premier bénéficiaire de cette politique, qui représente 31 % du budget de l’Union européenne et assure à la France un retour de près de 9,5 milliards par an. Financer le prélèvement sur recettes, c’est donc aussi financer notre agriculture. Et c’est mieux qu’un rabais, puisque nous en sommes les premiers bénéficiaires ! Pour mémoire, je précise que l’Allemagne paie deux fois plus, contribue à 25 % du budget européen et reçoit, en net, deux fois moins que la France. Cela s’appelle la solidarité…

Avec le budget européen, nous renforçons aussi la résilience de notre économie, notamment grâce à la politique de cohésion et au plan de relance qui a été adopté lors de la crise sanitaire. Le plan de relance européen assure ainsi à la France 40,3 milliards d’euros de subventions jusqu’en 2026. La Commission européenne vient en outre d’approuver, vendredi 17 novembre dernier, le versement, avant la fin de l’année, de 10,3 milliards d’euros au titre de la deuxième demande de décaissement. Ces financements, vous ne l’ignorez pas, monsieur Fernique, monsieur Arnaud, contribueront grandement à accélérer la transition verte en France.

Plus largement, le budget européen est un levier essentiel pour atteindre nos objectifs de souveraineté européenne, comme l’a rappelé le Président de la République lors du sommet de Versailles, et comme vient aussi de le faire M. le sénateur Lemoyne, que je veux remercier. La mise en œuvre de l’agenda de Versailles doit permettre de réduire nos dépendances dans tous les secteurs critiques en renforçant la production et la puissance européennes, avec des objectifs chiffrés à l’horizon 2030. Nous pouvons nous réjouir à ce titre de l’accord obtenu en trilogue, le 13 novembre dernier, sur l’une des législations issues de l’agenda de Versailles, le Critical Raw Materials Act.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ses 440 millions de citoyens, l’Europe est un moyen pour la France de peser beaucoup plus dans le monde quand il s’agit de négocier des accords commerciaux ou des investissements stratégiques tels que le Critical Raw Materials Act.

Par ailleurs, j’ai entendu vos remarques et inquiétudes sur la capacité de l’Union à trouver de nouvelles ressources propres. Vous avez été nombreux à évoquer ce problème, notamment M. le rapporteur spécial, ainsi que Mmes les sénatrices Girardin, Blatrix Contat et Lavarde.

La France est favorable, vous le savez, à la mise en place de ces nouvelles ressources. Sur le plan politique, elles nous permettront de sortir de la logique délétère d’examen des taux de retour et, sur le plan financier, elles nous mettraient à l’abri d’un ressaut de nos contributions nationales pour rembourser le plan de relance européen. La présidence espagnole poursuit en ce moment des travaux à cet égard.

Les nouvelles ressources, notamment celles qui concernent le marché carbone européen (EU Emission Trading System, ou ETS) et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, sont estimées en moyenne à 36 milliards d’euros par an à partir de 2028, ce qui serait suffisant pour le remboursement du plan de relance et pour le Fonds social pour le climat.

Il faut s’en féliciter, la France est leader dans la construction d’une Europe puissante et souveraine. Elle a à cœur de défendre les intérêts de l’UE et a su jouer un rôle essentiel au cœur des crises, notamment, comme vous l’avez rappelé, pour le plan de relance Next Generation EU.

Je veux désormais m’adresser à M. Durox. Vous me peinez, monsieur le sénateur, car vous cachez à vos électeurs les enjeux auxquels nous devons faire face, qui ont été maintes fois rappelés : menaces russes, ingérence chinoise, repli possible des États-Unis. Il est évident que l’Union européenne nous apporte des bénéfices en matière de sécurité, car la défense ne peut être que nationale.

Nous retirons également des bénéfices en matière commerciale – à 440 millions de citoyens, nous sommes bien plus forts qu’à 60 millions –, ainsi qu’en matière de climat, la transition énergétique ne pouvant pas se faire isolément, car elle serait à la fois plus difficile et plus coûteuse. Et il y aurait tant d’autres bienfaits de l’Europe à énumérer. Comme l’a dit M. le sénateur Capus, l’Europe est un levier pour nous rendre plus forts, plus souverains et plus puissants. (M. Joshua Hochart sexclame.)

En conclusion, je me réjouis que l’examen de notre contribution au budget européen soit l’occasion d’avoir ce débat démocratique sur les priorités européennes et sur la manière dont la France entend y répondre et y contribuer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de l’article 33.

Première partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Article 33 (interruption de la discussion)

Article 33

Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2024 à 21 609 624 014 €.

M. le président. Je mets aux voix l’article 33.

(Larticle 33 est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 33 (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Discussion générale

5

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du lundi 18 décembre, sous réserve de sa transmission par l’Assemblée nationale, de la proposition de loi visant à prolonger en 2024 l’utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

Il demande également l’inversion de l’ordre d’examen de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie et de celle sur la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, prévues le même jour.

En outre, il complète l’ordre du jour du jeudi 21 décembre le matin, avec l’inscription, sous réserve de leur dépôt, de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire ou de la nouvelle lecture sur la proposition de loi relative au titre-restaurant.

Acte est donné de cette demande.

En conséquence, pour ce texte, nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements en séance le vendredi 15 décembre à douze heures et le délai limite d’inscription des orateurs dans la discussion générale sur ce texte le même jour à quinze heures.

Par ailleurs, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à prolonger en 2024 le dispositif exceptionnel d’utilisation des titres-restaurants pour soutenir le pouvoir d’achat seraient retirés de l’ordre du jour du mardi 12 décembre.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 24 novembre 2023 :

À seize heures et le soir :

Suite du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (texte n° 127, 2023-2024) ;

Suite de l’examen des articles de la première partie.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER