Mme Muriel Jourda, rapporteur. Au travers de cet article, nous souhaitons instaurer l’aide médicale d’urgence. Je me permets de relire le dispositif qu’il prévoit, car sans en avoir connaissance, on pourrait en effet croire que nous mettons la santé des étrangers comme des Français en péril ; or tel n’est pas le cas.

En quoi consistera le panier de soins que cet article permet de délivrer aux personnes en situation irrégulière ? La prise en charge, assortie de la dispense d’avance des frais, concerne la prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës – notion un peu floue sur laquelle nous reviendrons –, les soins liés à la grossesse et ses suites, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Il n’y a donc nul abandon des étrangers en situation irrégulière en France, mais une prise en charge à la fois de la médecine préventive et des soins urgents, qui sont aussi liés à la grossesse ou aux maladies contagieuses. Nul délaissement, donc, de la santé des étrangers en France. Nul risque pour les Français face à des épidémies qui seraient incontrôlées, faute de soins de la part de notre système.

Il faut remettre les choses à leur place en rappelant précisément le dispositif prévu : il s’agit d’un panier de soins tout à fait convenable.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Pourquoi créer ce panier de soins plutôt que de conserver l’AME telle qu’elle existe ? Beaucoup de motifs peuvent être invoqués. L’aspect financier n’est pas neutre au vu de la situation financière de la France, dont la dette publique s’élève à plus de 3 000 milliards d’euros ; cet argument peut être entendu.

Par ailleurs, l’AME entraîne-t-elle un effet d’appel d’air ? Le président Buffet pourrait le dire, s’il était là, car nous en avons discuté à l’instant. Peut-être, peut-être pas ; mais il est certain que lorsqu’on a bénéficié du système de santé de l’État, on a bien envie de continuer à y avoir droit… (Protestations sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Xavier Iacovelli. Personne ne fait exprès d’être malade !

M. Jean-François Husson. Laissez la rapporteure poursuivre !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. C’est en tout cas un motif de maintien sur le territoire. (Mme Laurence Rossignol sexclame.)

M. Yannick Jadot. Une incitation à être malade ?

M. Xavier Iacovelli. N’importe quoi !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ce n’est pas n’importe quoi, monsieur Iacovelli, vous le verrez. Il ne s’agit évidemment pas de vouloir être malade, mais de se dire que si on l’est, on bénéficiera d’une très bonne prise en charge, qui n’est pas la même dans beaucoup d’autres pays d’Europe.

Cette motivation doit donc être prise en compte. Il y en a peut-être une autre ; j’espère que vous me laisserez l’exposer, car vous jugerez sans doute que cette motivation manque de fraternité, d’empathie, ou qu’elle est profondément égoïste.

Mme Mathilde Ollivier. Tout à fait !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. C’est en tout cas une motivation que j’ai souvent entendue, et il ne faut pas la minimiser.

Vous parlez souvent de cohésion, de communauté, d’acceptation des autres. Beaucoup de Français, qui, alors qu’ils paient des cotisations, ne sont pas toujours très bien remboursés en raison des franchises médicales et des déremboursements, ont du mal à comprendre que des personnes en situation irrégulière sur le territoire, qui ne paient pas de cotisations, soient mieux prises en charge qu’eux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Vous trouverez sans doute cet argument peu fraternel, mais c’est une réalité dans la population française.

Si vous voulez des politiques qui soient réellement acceptées, rendez-les acceptables : c’est aussi la raison pour laquelle nous avons mis en place l’aide médicale d’urgence. C’est également pour cela que nous avons émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Ces amendements identiques visent à supprimer l’article 1er I, qui a été ajouté lors des travaux en commission et qui prévoit la transformation de l’aide médicale de l’État, l’AME, en aide médicale d’urgence, dite AMU.

Pour éclairer au mieux le débat, je vais essayer d’apporter des arguments factuels, rationnels, sans dogmatisme aucun, mais avec lucidité, en cinq temps.

Premièrement, l’AME est bien un dispositif de santé publique, qui est d’ailleurs inscrit dans le code d’action sociale et des familles – c’est l’article L. 251-1 qui définit cette prise en charge autour d’un triptyque humanitaire, sanitaire et économique.

Le débat autour de la transformation de l’AME en AMU, selon le Gouvernement, ne concerne pas ce texte de loi qui, je le rappelle, porte sur le contrôle de l’immigration et l’amélioration de l’intégration. Ne créons pas de confusion inutile. (Marques dassentiment sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Deuxièmement, contrairement aux fantasmes ou aux idées reçues qu’elle suscite, l’AME en tant que telle n’est pas un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)

Ce n’est pas non plus un facteur de tourisme médical, comme nous pouvons parfois l’entendre. Cela a été dit : 50 % des personnes susceptibles de bénéficier de l’AME n’y ont pas recours. En outre, les bénéficiaires de cette aide qui sont pris en charge le sont en très grande majorité pour des pathologies aiguës, c’est-à-dire pour des maladies qui n’étaient pas déclarées avant l’entrée sur le territoire. C’est pourquoi le fait de mélanger à la fois les débats sur l’AME et sur le contrôle de l’immigration est un non-sens.

Troisièmement, je l’affirme devant vous : le Gouvernement est attaché à l’AME.

C’est d’abord une conviction forte que nous défendons avec le ministre de la santé et de la prévention, parce que l’AME est bien un dispositif de santé publique que le Gouvernement défend de façon constante depuis 2017.

En 2019, nous avons déjà réformé l’aide médicale de l’État, en modifiant le panier de soins et en faisant évoluer ce dispositif. Aujourd’hui, l’AME est encadrée, maîtrisée et ne donne pas lieu à des dérives spectaculaires ou à des soins de confort, comme nous l’entendons parfois. C’est même aujourd’hui la prestation gérée par l’assurance maladie dont le taux de contrôle est le plus élevé.

Quatrièmement, la transformation de l’AME en AMU n’est pas un simple changement sémantique. Elle emporterait de vrais risques pour notre système de soins et pour la santé de nos concitoyens. Il nous faut être collectivement conscients de ces risques. Quels sont-ils ?

Tout d’abord, en matière de santé, il existe une règle assez simple que nous connaissons tous : il vaut mieux prévenir que guérir. Autrement dit, il est préférable de prendre en charge une maladie bénigne avant qu’elle n’évolue en pathologie grave ou même avant qu’elle ne se propage.

Transformer l’AME en AMU, ce serait aussi prendre le risque d’une forte augmentation de la pression sur notre système hospitalier et sur les urgences. En 2011, un droit de timbre avait été instauré pour l’admission à l’AME ; la conséquence a été une augmentation de 18 % des consultations aux urgences et de 7 % de la fréquentation du système hospitalier.

En effet, au-delà des considérations théoriques, ce qui se passerait en réalité, c’est que les personnes malades se rendraient aux urgences, où elles seraient prises en charge, fort heureusement, parce que nos professionnels de santé et nos soignants soignent.

Cette mesure aurait donc pour conséquence d’accroître les coûts pour le système de santé, une prise en charge à l’hôpital coûtant bien plus cher qu’une prise en charge en ville.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Cela revient-il à dire que nous ne pouvons pas améliorer le dispositif de l’AME ? Non, bien sûr : il nous faut continuer d’explorer toutes les pistes. Nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer : tous les sujets peuvent être mis sur la table.

M. Jean-François Husson. Il faut le faire alors !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Débattre de l’AME relève pleinement des prérogatives du Parlement, mais ce projet de loi ne constitue pas le bon véhicule, je le redis.

Le Gouvernement n’est pas du tout fermé au sujet de l’AME. Nous sommes prêts à explorer d’autres pistes d’évolution, comme nous l’avions fait en 2019, sans aucun dogmatisme, mais avec humanité et pragmatisme.

C’est pourquoi, sous l’autorité de la Première ministre, Gérald Darmanin, Aurélien Rousseau et moi-même avons confié à Claude Évin et à Patrick Stefanini la mission de dresser un état des lieux du dispositif de l’AME et d’étudier de nouvelles pistes envisageables. Nous leur avons demandé de nous transmettre les conclusions de ce rapport au début du mois de décembre prochain ; bien sûr, nous les partagerons.

Aussi, sans préjuger des préconisations de cette mission, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat à propos de ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Marques de déception sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. Yannick Jadot. Après tout ce que vous avez dit !

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Au terme de ce premier échange, je remercie la rapporteure Muriel Jourda, qui a au moins présenté des arguments de fond.

Toutefois, la rédaction proposée par la commission illustre l’inadaptation totale de son dispositif. Dans la liste que vous dressez des actes inclus dans l’aide médicale d’urgence, madame la rapporteure, vous prévoyez par exemple la prise en charge des « douleurs aiguës ». Qu’entendez-vous par là ?

Les douleurs de quelqu’un souffrant des dents depuis quelques heures seraient prises en charge, mais les douleurs chroniques ne le seraient pas ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous allons changer cela…

M. Bernard Jomier. Les douleurs chroniques peuvent pourtant être le symptôme d’une pathologie bien plus grave que des douleurs aiguës. Les premières sont souvent soulagées par un simple Doliprane, alors qu’il y a fréquemment de graves problèmes de santé derrière les secondes.

Nous percevons bien l’inconséquence et l’incohérence de votre rédaction. Elles montrent que votre dispositif, lequel n’est pas travaillé, ne constitue pas un dispositif de santé.

Je ne vous ferai pas injure en remarquant que vous ne répondez pas aux arguments selon lesquels ce dispositif n’a pas d’effet sur l’immigration, comme c’est largement établi, qu’il n’a rien à faire dans ce texte et devrait être discuté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et qu’il n’est pas non plus conforme à l’objet visé, c’est-à-dire à la prise en charge de la santé des personnes en situation irrégulière.

Il répond donc à un autre motif : j’ai entendu certains d’entre vous avancer qu’il s’agissait d’un « marqueur fort ». Mais un marqueur de quoi ? Je ne fais le procès à personne, dans la majorité sénatoriale, d’être xénophobe, car nous avons débattu ensemble de longues années – M. Ravier n’était pas là, car, pour lui, c’est autre chose…

M. Stéphane Ravier. Vous me flattez !

M. Olivier Bitz. Il n’est pas dans la majorité sénatoriale !

M. Bernard Jomier. Je ne vous fais donc pas ce procès. Mais rendez-vous compte que, pour établir ce « marqueur », vous pensez toucher des étrangers en situation irrégulière, alors que vous visez en réalité une valeur fondamentale des soignants et de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Madame la rapporteure, nous essayons de faire non de la morale, mais de l’éthique.

Nous avons été interpellés par de nombreux soignants, qui sont profondément perturbés dans leur éthique par cette suppression de l’AME, remplacée par l’AMU. Je remercie notamment, dans mon département, le collectif des personnels hospitaliers de Saint-Denis, qui m’a adressé un très bon argumentaire, qui rejoint les propos tenus sur ces travées à la gauche de l’hémicycle.

Sans reprendre ces arguments, s’en remettre à l’urgence, j’y insiste, revient à submerger encore davantage l’hôpital public, alors que la Seine-Saint-Denis, comme 90 % du territoire français malheureusement, est un désert médical sous-doté. Vous augmentez encore le fardeau de ces hôpitaux, qui ne parviennent pas toujours à traiter leur charge de travail actuelle.

Puisque vous souhaitez parler des Français qui s’interrogent sur les étrangers soignés, tandis qu’eux-mêmes n’auraient pas accès à des soins adéquats, donnons-nous rendez-vous la semaine prochaine, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), pour parler des déserts médicaux.

En effet, ce n’est pas en retirant des droits aux étrangers que vous résoudrez le problème de l’accès aux soins pour tous les Français. Ce n’est pas ainsi que vous surmonterez les difficultés réelles rencontrées par nos concitoyens en la matière.

Madame la ministre, je regrette que votre excellent plaidoyer…

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Corinne Narassiguin. … ne vous conduise pas à approuver les amendements de suppression de l’article : c’est incompréhensible.

M. le président. Mes chers collègues, il y a de très nombreuses demandes d’explication de vote. Je vous demande donc de respecter scrupuleusement votre temps de parole.

La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote. (M. Philippe Bas fait signe quil ne souhaite pas prendre la parole.)

M. Bernard Jomier. Dommage ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. J’aurais bien aimé entendre M. Bas se prononcer : nous avons beaucoup apprécié ses prises de paroles sur d’autres grands sujets de société, en particulier quand il s’agissait des libertés…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Peut-être va-t-il déposer un amendement ? (Sourires.)

M. Patrick Kanner. Il n’est pas habituel de voir cinq groupes politiques du Sénat, sur huit au total, demander la suppression d’un même article. C’est pourtant la seconde fois que cela arrive cette après-midi, illustrant l’existence d’une cohérence en matière de bienveillance à l’égard de populations qui vivent sur notre territoire et qui demandent simplement de la solidarité.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez décidé de marquer très à droite votre réflexion politique, au moyen de cette transformation de l’AME en AMU. Je le regrette.

Madame la ministre, après avoir entendu attentivement votre argumentaire, qui est d’ailleurs extrêmement bien rédigé et que nous pourrions reprendre à notre compte, je m’étonne de votre conclusion : vous soulignez que le dispositif relève pleinement de l’article 45 de la Constitution et qu’il s’agit d’un cavalier législatif qui, quoi qu’il arrive, serait censuré par le Conseil constitutionnel s’il était amené à prospérer. (Marques dapprobation sur les travées du SER.)

Chère madame, vous pourriez vous montrer une fois de plus solidaire avec votre groupe politique dans cet hémicycle, le RDPI. J’ai bien entendu que votre posture, rappelée par le ministre Gérald Darmanin, était celle de la sagesse, mais cette attitude revient à laisser la droite être majoritaire lors du vote d’articles qui méritent d’être combattus.

Au nom de mon groupe, et je crois que cette demande sera largement appuyée, j’ai sollicité un scrutin public. Nous vous demandons de réagir de façon moins politique, chers collègues de la droite sénatoriale, et avec un peu plus de conscience et de responsabilité. (Mme Valérie Boyer proteste.)

Je fais appel à un sentiment de bienveillance : nous en avons bien besoin pour les populations qui nous demandent un peu de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Comme Bernard Jomier, je ne ferai pas l’insulte de dire aux sénateurs qui s’apprêtent à voter cette transformation de l’AME en AMU qu’ils sont xénophobes ou racistes.

Toutefois, chers collègues, votre préoccupation n’est pas la santé publique. Depuis hier, je trouve qu’il y a beaucoup trop de politique dans ce débat.

Mme Valérie Boyer. Faire de la politique, c’est tenir compte de la réalité !

Mme Laurence Rossignol. Je vous le concède.

Nous sommes là pour trouver, ensemble, les moyens de faire vivre dans les meilleures conditions les étrangers en situation régulière en France, pour lutter contre l’immigration clandestine et pour protéger notre pays des étrangers qui sont hostiles aux valeurs républicaines.

Or nous en sommes très loin avec cet article : vous courrez derrière l’extrême droite, mes chers collègues ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Ravier n’a pas de surmoi,…

M. Stéphane Ravier. Cela se mérite !

Mme Laurence Rossignol. … donc, avec lui, on connaît exactement les enjeux qui sont derrière la suppression de l’AME. Ce ne sont pas des enjeux de santé publique : c’est un message envoyé aux Français, pour dire que l’on peut lutter toujours plus contre les étrangers.

Or, mes chers collègues, cela ne correspond pas à votre projet, qui est de défendre la cohésion de la République, laquelle comporte le fait de traiter les étrangers présents en France selon nos valeurs.

Aujourd’hui, vous le savez, nous sommes engagés dans un combat de valeurs ; et dans ce combat, en réalité, vous cédez.

Une dernière chose : vous pourrez toujours renchérir sur les propositions de M. Ravier, mais que constateront les Français demain matin ? Qu’il y a toujours des étrangers dans la rue ! De toute façon, on ne peut pas distinguer les étrangers de ceux qui sont là depuis trois générations…

Pour qui travaillez-vous, avec ce genre de mesures ? Pour l’extrême droite ! De grâce, cessez d’agir de cette façon, comportez-vous en républicains et menez réellement une politique conforme aux valeurs de la France et à ses exigences d’aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Il me semble que cette question n’est pas une affaire de morale. Je ne pense pas non plus que les positions défendues dans ce débat soient dogmatiques. Je crois qu’il s’agit d’un devoir d’humanité.

J’ai écouté les débats. Sur toutes les travées, tout le monde n’a pas dit la même chose, mais j’ai entendu des propos assez terribles. À un moment, il faut se poser cette question : certaines vies ont-elles plus de valeur que d’autres ? C’est cette question que pose la suppression de l’AME. Il faut y répondre. La réponse est dure, mais il faut l’assumer, les yeux dans les yeux.

Je vous le dis avec solennité : nous savons ce qu’est la France. Chacun connaît ses origines, ses cultures et la place de l’immigration. En ouvrant ce débat, nous sommes en train de fracturer, d’opérer des divisions entre ceux que l’on nomme « les Français » – il s’agit d’ailleurs d’un beau mot – et « les autres » – cette expression a été prononcée plusieurs fois.

Je vous le dis franchement : il est dans l’ADN de la nation française, qui n’est pas celui de toutes les nations, de considérer que toutes les vies ont la même valeur.

J’ajouterai un mot sur les dépenses. L’AME représente 0,5 % des dépenses de santé, soit 1,2 milliard d’euros. Je ne souhaite pas faire de la provocation, mais nous avons choisi d’accorder 89,7 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales ! Certains chiffres sont d’une tout autre grandeur…

Enfin, l’AME ne peut pas être une question dogmatique ou idéologique. Il revient aux médecins de déterminer la politique de soins ! Aujourd’hui, je constate que la majorité des membres du corps médical s’est exprimée publiquement pour maintenir l’AME.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Savoldelli. C’est à eux de déterminer les soins et les critères d’accès. Ce n’est pas le rôle du législateur ou du Gouvernement que de se substituer à ceux qui apportent les soins. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.

M. Stéphane Ravier. Chers collègues de gauche (Ah ! sur les travées des groupes SER et GEST.), je suis plutôt assez d’accord avec le dispositif de l’article. Même si l’on peut et doit aller plus loin, il constitue une amélioration.

Au travers de votre acharnement féroce à défendre l’AME, c’est-à-dire, je le rappelle, des soins gratuits réservés à des clandestins, à des hors-la-loi, dont le nombre s’élève à 423 000 personnes,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas sûr !

M. Stéphane Ravier. … soit l’équivalent de la population de la ville de Toulouse, à 423 000 clandestins, donc, qui ne cotisent rien et perçoivent tout, quel est en réalité le message que nous devons entendre ?

Vous prenez acte de la présence irréversible de ces clandestins sur notre territoire. Jamais vous n’envisagez des mesures pour qu’ils rentrent à terme dans leurs pays d’origine. Le message que vous envoyez représente donc un formidable appel d’air.

M. Mickaël Vallet. C’est faux !

M. Stéphane Ravier. Il est entendu par ces clandestins, qui le feront savoir à leurs familles et à leurs amis, et il est entendu par les candidats à l’émigration. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Ceux-ci savent pouvoir trouver en France des parlementaires ou des élus de tous les bords de la gauche qui s’évertueront à leur permettre de rester sur le territoire, et qui iront même à leur rencontre pour leur faire connaître leurs droits, en tant que clandestins (MM. Victorin Lurel et Michaël Weber protestent.), alors qu’ils n’ont qu’un seul devoir : rentrer dans leur pays d’origine, là où ils doivent être soignés !

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.

M. François Patriat. Madame la ministre, vous avez appelé à la sagesse. J’y souscris, car l’appel à la sagesse représente pour moi l’appel à la réflexion, à la responsabilité, et non aux postures et à la facilité.

En souhaitant que l’on tienne compte des conclusions du groupe de travail Évin-Stefanini que vous mentionniez, vous appelez à la raison.

À gauche, mes chers collègues, vous connaissez M. Évin ; à droite, vous connaissez M. Stefanini.

M. Bruno Retailleau. Très bien, même !

M. François Patriat. Pensez-vous que ces deux personnalités politiquement opposées pourraient concocter un rapport allant à l’encontre de l’intérêt du pays, des malades de demain ou de l’image de la France ?

Le dispositif proposé est inutile, puisqu’il revient à réaliser un transfert du financement de l’AME sur la sécurité sociale.

En fin de compte, vous afficherez réaliser des économies, alors que votre dispositif coûtera plus cher. Xavier Iacovelli a indiqué que vous commettiez une triple faute, à la fois éthique, car aucun médecin n’abandonnera un malade, sanitaire, car les risques de contagion seront amplifiés, et économique, car cela coûtera en définitive plus cher.

Aussi, je vous demande de tenir compte de ces effets et de ne pas céder à ceux qui, tous les jours, disent que ces gens coûtent cher ou que l’AME constitue un appel d’air. J’ai entendu les pires arguments, et je ne souhaite même pas y répondre.

Je vous demande de faire appel à la raison, à la sagesse et à un peu d’humanité pour voter en faveur de ces amendements de suppression de l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.

Mme Véronique Guillotin. Je m’exprime à titre personnel, mais aussi, je pense, au nom de mon groupe. De manière très pragmatique, sans chercher à donner des leçons après que chacun a exposé ses arguments, je vais expliquer mon vote en faveur de ces amendements.

Je crois sincèrement que conserver cet article et la transformation de l’AME en AMU reviendrait à prendre une mauvaise décision.

Cette décision ne répond pas à un défi économique : de toute façon, les malades seront soignés, que ce soit au titre de l’AME ou de l’AMU. Ils pousseront la porte des hôpitaux, surchargeant les services, ce que l’on essaie d’éviter dans nos politiques de santé. Aucun médecin, dans aucun service d’urgence, ne demande à voir une carte Vitale avant de soigner ! Les patients seront soignés, et l’hôpital ne sera pas payé. Il ne s’agit donc pas d’une bonne mesure d’un point de vue économique.

Il s’agit ensuite d’une mauvaise décision, car l’AME ne constitue pas un appel d’air non maîtrisé. Un rapport, qui est en train d’être rédigé par MM. Évin et Stefanini, le prouve.

Enfin, c’est une mauvaise décision pour la santé publique. Prenons un cas concret. J’ai pratiqué en cabinet comme à l’hôpital. Un patient fragilisé par une bronchite se voit prescrire six jours d’antibiotiques, et le problème est réglé. Si on laisse traîner la prise en charge de ce patient, il pourra bénéficier effectivement de l’AMU et intégrer un service de réanimation, mais cela coûtera beaucoup plus cher.

De manière très pragmatique, il me semble que la bonne solution est de voter en faveur de ces amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Tout d’abord, j’observe que, au banc du Gouvernement, deux ministres n’ont pas le même avis. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

M. Bruno Retailleau. Vous avez votre avis, madame la ministre, mais j’ai cru comprendre que M. le ministre de l’intérieur avait le sien, qui était différent.

Ensuite, j’y insiste, nous n’avons aucune leçon d’humanité à recevoir de quiconque. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur des travées des groupes SER et GEST.) Bien sûr, une vie vaut une vie, et l’égalité ontologique des êtres humains est fondatrice de nos valeurs.

Enfin, la semaine prochaine, nous examinerons le PLFSS. Le Gouvernement demandera aux Français qui cotisent un effort plus de 800 millions d’euros pour réduire les dépenses courantes de soins. Il est normal que nous nous penchions sur un certain nombre de coûts.