Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais votre mesure coûte plus cher !

M. Bruno Retailleau. L’AME évolue très fortement à la hausse depuis plusieurs années, qu’il s’agisse du nombre de ses bénéficiaires ou de son coût pour la collectivité.

M. Hervé Gillé. Mais cela coûtera plus cher !

M. Bruno Retailleau. Par ailleurs, le panier de soins actuel inclus dans l’AME est quasiment équivalent à celui des résidents : il ne manque que l’aide médicale à la procréation et la prise en charge des cures… C’est sans équivalent en Europe !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas vrai !

M. Bruno Retailleau. J’ai entendu certains développer l’argument de la santé publique. Mais est-ce que, en Allemagne, en Suède, au Danemark ou en Italie, il y a des problèmes de santé publique, alors que le panier de soins y ressemble à celui que nous proposons ? Non ! Est-ce que, avant 1999, alors que l’AME n’était pas encore créée en France, il y avait de graves problèmes de santé publique, avec des pandémies ? Pas plus !

M. Bruno Retailleau. Ce que je veux vous dire, c’est qu’il y a un lien entre notre capacité à maîtriser et à réguler l’immigration, d’une part, et la préservation de notre modèle social, de l’autre.

M. Xavier Iacovelli. Un peu de solidarité !

M. Bruno Retailleau. Pourquoi, au Danemark, un gouvernement social-démocrate a-t-il voulu restreindre l’immigration ? Tout simplement parce que les socialistes danois ont pris conscience que, entre les frontières et le système de protection sociale, il fallait choisir. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le temps de parole est terminé !

M. Bruno Retailleau. Pour notre part, nous avons choisi : l’AME sera transformée en AMU, et nous soignerons les immigrés en situation clandestine. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Le débat est complexe, puisque nous devons assister en direct aux séances de psychothérapie de Stéphane Ravier, ce qui est toujours pénible… (Sourires sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Ravier commet sans cesse une erreur méthodologique en nous disant que le nombre de clandestins équivaut à la taille d’une ville comme Toulouse : concentrée sur un seul lieu, une donnée statistique donne l’impression d’un phénomène très important, alors que, répartie sur l’ensemble du territoire national, elle semble quantité négligeable.

En ce qui concerne l’AME, tout a été dit : il n’y a pas de fraude, ou très peu, et pas d’appel d’air en matière migratoire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur Retailleau, je regrette que vous ayez établi mécaniquement et immédiatement un lien entre l’AME et l’immigration, alors que, de fait, aucune relation n’a été prouvée entre ces deux phénomènes. Le problème, c’est ce lien que vous faites automatiquement.

Il n’y a pas de fraude, seule la moitié des bénéficiaires potentiels y a recours, il y a des risques de santé publique, il y a des exemples étrangers en sens contraire et il y a les problèmes que cette proposition, si elle est acceptée, va causer.

La vraie difficulté – peut-être pourrons-nous nous mettre d’accord sur ce point –, c’est que, dans cet hémicycle, nous parlons non plus de l’AME, mais d’un totem politique, d’un symbole. Il n’est absolument pas question du dispositif soumis au vote ; là est le drame.

Nous sortons complètement de la rationalité, ainsi que de notre rôle de législateur, me semble-t-il. Nous disposons de tous les éléments objectifs, qui ont notamment été rappelés par Mme la ministre. Il est dommage de se contenter d’un totem politique, car des gens comme vous et nous paieront les conséquences du mauvais choix qui risque d’être fait. Cette attitude est regrettable.

Pour être législateur, il faut prendre du recul et de la hauteur ; il me semble que nous en manquons singulièrement.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Sans revenir sur les motifs de ces amendements, je voudrais rappeler que le taux de non-recours à l’AME, d’après Médecins du monde, s’élèverait non à 50 %, mais à 80 %. S’il y avait un appel d’air, si des gens venaient en France pour bénéficier de l’AME, ils deviendraient donc amnésiques sitôt arrivés et oublieraient d’y recourir… (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Madame la ministre, je souhaite revenir sur un point : seul M. Patriat semble avoir compris comment, après votre exposé comportant de nombreux points de vue que nous partageons, vous parvenez logiquement à émettre un avis de sagesse. Il faudra qu’il m’explique comment il a fait…

Mme Laurence Rossignol. C’est qu’il a beaucoup d’expérience ! (Sourires.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, pour reprendre une formule célèbre, de quoi cet avis de sagesse est-il le nom ? Caché, il y a là le prix de la promesse.

Mme Raymonde Poncet Monge. Quelle est cette promesse ? Il faut être logique : l’affaire n’est pas celle d’un désaccord entre ministres ; nous parlons de santé, non d’immigration, et nous devrions retenir l’avis du ministre de la santé, qui est opposé à cette mesure, me semble-t-il.

J’aimerais donc que vous nous expliquiez quelles promesses faites à la droite vous conduisent à émettre un avis de sagesse, plutôt qu’un avis défavorable ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Yan Chantrel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. Monsieur le président Retailleau, il y a quelques jours, dans cet hémicycle, vous lanciez un appel solennel afin que le Gouvernement soutienne les Arméniens dans le Haut-Karabagh, et nous vous avions applaudi. Vous convoquiez alors l’immigré, le réfugié Missak Manouchian, mort pour la France.

Aussi, faut-il être mort pour la France pour mériter votre respect ou votre reconnaissance ? (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. C’est nul !

M. Yannick Jadot. Celles et ceux qui nous nourrissent, qui construisent nos bâtiments, qui ramassent nos poubelles, qui nous soignent, qui cuisinent, qui nous livrent, ceux que vous avez applaudis pendant la crise de la covid et qui ont eu un taux de mortalité bien plus élevé que le reste de la population pendant cette épidémie,…

M. André Reichardt. Pourquoi dit-il cela ?

M. Yannick Jadot. … ces travailleurs sans-papiers, ces caissières et ces caissiers, toutes ces personnes ne méritent-elles pas, elles aussi, même si elles ne sont pas mortes pour la France, votre respect et votre reconnaissance ?

M. Max Brisson. C’est honteux !

M. Yannick Jadot. Avant de voter la suppression de l’AME et de réduire l’accès aux soins de ces personnels de première ou de deuxième ligne, pensez à ce qu’ils ont fait pendant la covid, et peut-être changerez-vous votre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrick Kanner applaudit également.)

M. André Reichardt. Quel sketch !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. J’ai été à plusieurs reprises interpellée au sujet de l’avis de sagesse émis par le Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sans doute avez-vous été attentif à mes propos, mais peut-être ne les avez-vous pas tous entendus.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Je vous le redis : j’ai clairement déclaré que le Gouvernement était très attaché au maintien de l’AME.

M. Hussein Bourgi. Soyez cohérente jusqu’au bout !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Vous parlez de cohérence.

M. Hussein Bourgi. Vous n’en avez pas ! (Marques dagacement sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Permettez-moi donc de développer mon raisonnement jusqu’à son terme.

Je le répète, le Gouvernement est très attaché à l’AME. En outre, puisque ce sujet est arrivé dans le débat sur le présent projet de loi – dans lequel, je le redis pour que les choses soient très claires, il n’a pas sa place –, Gérald Darmanin, Aurélien Rousseau et moi-même avons confié, sans aucun dogmatisme, à MM. Patrick Stefanini et Claude Évin – cela répondra à la remarque de M. Retailleau – une mission sur le sujet.

Or, monsieur le sénateur, quand on lance une mission sur un sujet, être cohérent, c’est attendre les conclusions de celle-ci, sans préjuger de leur contenu. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Nous aurons donc ce débat à l’Assemblée nationale, puisque, j’y insiste de nouveau, nous avons demandé à Patrick Stefanini et à Claude Évin de nous rendre leurs conclusions avant le début du débat au Palais-Bourbon.

Voilà pourquoi, afin de ne pas préjuger des conclusions de cette mission, nous nous en remettons, sur ces amendements, à la sagesse du Sénat.

Mme Raymonde Poncet Monge. Mais cela relève de l’article 45 de la Constitution !

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Madame la ministre, nous partageons totalement votre démonstration : la suppression de l’AME n’a rien à voir avec ce projet de loi.

Vous avez commandé un rapport, qui montrera précisément ce que nous avons déjà tous indiqué. En effet, d’après le prérapport, l’AME ne constitue pas un appel d’air ; sa suppression serait donc dangereuse pour la santé publique et coûteuse pour les finances publiques. Tout cela, nous l’avons développé.

Par conséquent, en quoi consiste la sagesse, madame la ministre ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. En la cohérence !

M. Guy Benarroche. À dire au président de la commission des lois du Sénat et aux rapporteurs qu’il convient, parce que c’est préférable, de revenir sur la suppression de l’AME, qui n’a rien à faire dans ce projet de loi, et que vous comptez sur eux pour accepter les amendements de suppression.

Nous verrons ensuite le contenu du rapport, et il sera toujours temps de rétablir cette disposition dans un autre texte, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans un projet de loi de santé qui aborderait cette question.

Monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, reconnaissez donc qu’il est normal et rationnel, pour la commission des lois et pour le Sénat, et sauf à considérer que notre vote n’a aucune importance, de revenir sur la suppression de l’AME que vous avez décidée en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 25 rectifié, 167, 329 rectifié et 433 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 23 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 140
Contre 191

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

L’amendement n° 624, présenté par Mme M. Jourda et M. Bonnecarrère, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I.- Alinéa 1

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

I.- Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

…° Au 3° de l’article L. 111-2, au 2° de l’article L. 121-7, au second alinéa de l’article L. 132-1 et au troisième alinéa de l’article L. 264-2, les mots : « de l’État » sont remplacés par les mots : « d’urgence » ;

…° Le titre V du livre II est ainsi modifié :

II.- Alinéa 5

Après le mot :

sociale

insérer les mots :

depuis plus de trois mois

III.- Alinéa 6

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Dans ce cas, la prise en charge des dépenses mentionnées à l’article L. 251-2 peut être partielle.

IV.- Après l’alinéa 7

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Chaque année, un rapport présente au Parlement l’activité réalisée au titre du présent chapitre par les organismes d’assurance maladie, son coût, ainsi que les données générales recueillies en matière de santé publique.

V.- Alinéa 18

Remplacer cet alinéa par six alinéas ainsi rédigés :

2° Le chapitre II est ainsi modifié :

a) L’article L. 252-1 est ainsi modifié :

- à la première phrase du premier alinéa et au quatrième alinéa, la première occurrence des mots : « de l’État » est remplacée par les mots : « d’urgence » ;

- au troisième alinéa, la seconde occurrence des mots : « de l’État » est remplacée par les mots : « d’urgence » ;

b) À l’article L. 252-2, les mots : « de l’État » sont remplacés par les mots : « d’urgence » ;

c) Au premier alinéa de l’article L. 252-3, la première occurrence des mots : « de l’État » est remplacée par les mots : « d’urgence » ;

VI.- Alinéas 19 à 26

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

3° À la première et à la seconde phrase de l’article L. 253-1, les mots : « de l’État » sont remplacés par les mots : « d’urgence » ;

VII.- Après l’alinéa 27 :

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

bis. - Au 1° du I et au premier alinéa du III de l’article L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale, ainsi qu’au 3° du III de l’article L. 162-20-1 et à l’article L. 174-20 du même code, les mots : « de l’État » sont remplacés par les mots : « d’urgence ».

VIII.- Alinéa 28

Rédiger ainsi cet alinéa :

II.- Le présent article entre en vigueur le 1er juin 2024.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s’agit d’ajuster le dispositif d’aide médicale d’urgence, introduit par la commission, afin de garantir que celui-ci soit opérationnel. Nous proposons notamment d’aligner ses conditions d’éligibilité sur celles de l’AME, en citant en particulier l’obligation de résidence en France depuis au moins trois mois.

Par ailleurs, puisque même les meilleures règles ont leurs exceptions (Sourires.), nous souhaitons également demander un rapport – la commission des lois n’en est pas coutumière ! –, dont l’idée nous a été soufflée par le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et qui porterait sur les données recueillies en matière de santé publique via l’AMU, afin d’ajuster au mieux nos dispositifs sanitaires.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. S’agissant d’une demande de rapport, et en cohérence avec mes propos antérieurs sur la mission confiée à MM. Évin et Stefanini, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 624.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 506 rectifié, présenté par Mme Souyris, M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 6

Après les mots :

état de santé

insérer les mots :

physique et psychique

II. – Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Les soins psychiatriques.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Je souhaite tout d’abord vous faire part de ma grande tristesse à la suite de l’avis de sagesse du Gouvernement sur les amendements de suppression de l’article. On pouvait tout à fait conserver l’AME en attendant les résultats de cette mission. Mais l’affaire est faite…

Je suis triste également de constater, peu après mon arrivée au Sénat, que l’humanisme n’est finalement pas au rendez-vous dans cette chambre. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Néanmoins, puisque je suis bien obligée de prendre acte de cette situation, je vous propose un amendement de repli portant sur cette AMU.

Jeudi dernier, j’ai visité le centre de rétention administrative de Paris, situé dans le bois de Vincennes et hébergé dans des bâtiments vétustes et inadaptés à la garantie de la dignité humaine dans l’incarcération. On y retient 235 étrangers en attente de leur renvoi forcé ; quatre infirmiers, un médecin et un psychologue y prodiguent des soins.

Savez-vous l’avis unanime qui m’a été donné par le personnel du centre et par les personnes retenues elles-mêmes ? Sans entrer dans le détail, une dimension est revenue systématiquement dans leurs propos : il y a de plus en plus de problèmes psychiatriques lourds. Tous ont donc insisté sur la nécessité de disposer d’un psychiatre et de dispenser des soins psychiatriques.

Aussi cette AMU devra-t-elle conserver la notion d’accès aux soins psychiatriques, et pas uniquement d’urgence. De plus en plus de personnes se retrouvent à la rue à cause de ces problèmes. Il s’agit d’une question de dignité, de santé publique et de sécurité publique.

M. le président. L’amendement n° 484 rectifié, présenté par Mme Aeschlimann, MM. Belin et Khalifé, Mme Canayer, M. Duffourg, Mme Devésa, M. Klinger, Mme Belrhiti, MM. Reynaud, Laugier et Bas, Mme Berthet, MM. Brisson, Genet et Favreau, Mmes Jacques et Bellurot et MM. Somon, Tabarot, Gremillet et Menonville, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« … Les soins psychiatriques d’urgence.

La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Cet amendement a pour objet d’étendre la liste des soins pris en charge par la nouvelle aide médicale d’urgence aux soins psychiatriques d’urgence – c’est la différence fondamentale avec l’amendement qui vient d’être présenté –, c’est-à-dire portant sur les troubles mentaux qui nécessitent une surveillance constante et des soins immédiats.

L’objectif de l’AMU est en effet de centrer la prise en charge des soins sur les pathologies les plus graves. Toutefois, la pathologie psychotique d’un forcené qui peut passer à l’acte est-elle une pathologie grave ? Le risque serait grand de négliger à cet égard les soins psychiatriques.

Certes, le nouvel article 1er I mentionne, parmi les motifs de prise en charge, « la prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës ». Il me paraît néanmoins essentiel de préciser de manière explicite, dans un nouvel alinéa, que le caractère de gravité ne peut se limiter aux seuls soins somatiques et doit être étendu aux soins psychiatriques d’urgence.

Au-delà de l’enjeu de santé publique, cette extension présente aussi un enjeu de sécurité publique. Le ministre de l’intérieur s’est absenté, mais je citerai malgré tout l’Observatoire international des prisons, selon lequel plus de 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques.

Mieux vaut prévenir que guérir, disiez-vous, madame la ministre. Eh bien, au fond, la prise en charge des soins psychiatriques d’urgence vise surtout à prodiguer des soins aux personnes potentiellement dangereuses, afin de prévenir les risques de trouble à l’ordre public, en particulier à la sécurité publique, ainsi que le risque d’atteintes aux personnes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je répondrais volontiers que la France entière, Français et étrangers confondus, attend des soins psychiatriques, car, personne ne l’ignore, il existe une véritable difficulté en la matière dans notre pays !

J’en viens à ces deux amendements.

Les dispositions de l’amendement n° 484 rectifié de Mme Aeschlimann me paraissent coller davantage au sujet, c’est-à-dire mieux s’inscrire dans l’esprit de l’aide médicale d’urgence, puisqu’il y est question de soins psychiatriques d’urgence. Toutefois, nous n’avons pas souhaité, dans cette rédaction, énumérer de façon exhaustive les soins auxquels on pourrait prétendre au travers de l’AMU. Il a simplement été indiqué la raison d’une prise en charge : l’urgence.

Ainsi, bien que cette proposition me semble mieux convenir que celle de Mme Souyris, il me paraît préférable d’en rester à la rédaction proposée par la commission, qui ne doit pas contenir plus de précisions, car, en prétendant être exhaustifs, nous risquerions d’exclure certains soins urgents.

La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 506 rectifié. Par ailleurs, elle demande le retrait de l’amendement n° 484 rectifié ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le Gouvernement émettra un avis de sagesse sur tous les amendements visant à modifier le panier de soins de l’AMU, en cohérence avec sa position sur les amendements de suppression.

Je le répète, le Gouvernement est favorable à l’AME. Il l’a prouvé depuis 2017. Enfin, il a confié à MM. Stefanini et Évin une étude sur cette question, en demandant à disposer de ses conclusions avant le début du débat à l’Assemblée nationale.

Ainsi, par cohérence, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur les modifications du panier de soins de l’AMU.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Eh bien, nous n’aurons pas attendu longtemps !

À peine cette histoire d’AMU est-elle adoptée que des amendements sont déposés, tandis que vous vous rendez compte que le champ d’application de la mesure n’est pas correct et qu’il y a trop de trous dans la raquette ! Avec l’amendement n° 484 rectifié de Mme Aeschlimann, nous avons la preuve que votre dispositif ne fonctionne pas !

Cela dit, pour ma part, j’ai confiance dans l’Assemblée nationale. J’imagine donc que ce qui a été adopté aujourd’hui au Sénat n’ira pas au-delà de l’examen du texte par les députés et que l’AME sera rétablie.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Ce n’est pas sûr !

Mme Laurence Rossignol. Cela dit, si nous devons choisir, je propose à mon groupe de voter pour l’amendement de Mme Souyris. En effet, madame Aeschlimann, la psychiatrie – il y a beaucoup de médecins au Sénat, mais je ne sais pas s’il y a beaucoup de psychiatres – ne consiste pas à intervenir juste au moment où le gars a un couteau entre les mains et s’apprête à égorger tout le monde ! C’est un processus bien plus long.

L’idée consistant à étendre l’AMU à la psychiatrie d’urgence dans un souci de sécurité publique, pour protéger les Français des étrangers psychotiques, n’a pas de sens.

En matière psychiatrique, il faut prendre en charge les gens en amont ; c’est d’ailleurs l’un des écueils terribles de votre aide médicale d’urgence. Par exemple, le suicide, qui ne concerne que la personne qui met fin à ses jours, relève-t-il de l’urgence ? Et à quel moment du processus – pensées suicidaires, premières tentatives de suicide… – faut-il intervenir ? Tout cela n’a aucun sens.

Si nous devons choisir, l’amendement de Mme Souyris doit donc avoir notre préférence. Le vôtre, madame Aeschlimann tend à montrer que non seulement le système retenu ne fonctionne pas, mais que, en outre, vous ignorez la manière dont doivent être pris en charge les troubles psychiatriques.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. Je m’associe aux propos de Mme Rossignol. En effet, l’urgence n’a pas de sens en l’espèce.

Reprenons l’exemple du centre de rétention administrative dans lequel je me suis rendue la semaine dernière. Voilà quelques mois, il y a eu un suicide ou, plus exactement, quelqu’un est mort après avoir subi des crises psychiatriques graves ; on n’a pas su réagir à temps, il n’a pas reçu les soins nécessaires. Quand était-ce urgent ? Personne ne l’a su à l’époque et personne ne le sait aujourd’hui encore.

Par ailleurs, quand on m’a parlé des problèmes psychiatriques dans ce centre de rétention administrative, un infirmier m’a raconté que l’on adressait certains malades à l’hôpital, qui les renvoyait immédiatement ; in fine, leur situation psychiatrique empire. Si le problème d’urgence est traité, le problème chronique ne l’est donc pas.

Le manque est chronique, et il est important d’y répondre au moyen d’une véritable prise en charge.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. J’ai signalé précédemment que vous aviez vous-même, madame la rapporteure, inséré une énumération dans le texte de la commission – vous visez par exemple les douleurs aiguës et non les douleurs chroniques, je n’y reviens pas –, et vous dites maintenant qu’il ne faut pas ouvrir la porte aux énumérations !

C’est évident, parce que ce n’est pas au Parlement que l’on peut dresser une telle liste ! Nous sommes le législateur, nous n’avons pas à établir des référentiels en santé.

Au reste, je n’ai pas compris si, dans votre réponse, vous estimiez que les soins psychiatriques relevaient ou non de l’aide médicale d’urgence. J’ai compris que vous préfériez l’amendement de Mme Aeschlimann parce qu’elle avait employé le mot « urgence ». (Mme Laurence Harribey rit.) Où est la cohérence de votre position ?

Je suis désolé de le dire, on abaisse le niveau de la Haute Assemblée !