M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chacune et chacun le sait bien : les flux migratoires se sont accélérés ces dernières années à l’échelle mondiale. Instabilité politique, évolutions démographiques, inégalités de toutes sortes et changement climatique provoquent une mobilité croissante des populations. Ainsi, selon l’OCDE, l’immigration dans les pays riches a atteint des niveaux records en 2022.

Cette progression rapide trouve bien évidemment sa traduction en Europe et dans notre pays. En 2022, 320 000 autorisations de séjour ont été délivrées par la France alors que, dans le même temps, 131 000 demandes d’asile y ont été enregistrées. Bien évidemment, les entrées clandestines viennent s’ajouter à ces chiffres déjà considérables.

À l’évidence, cette trajectoire n’est pas soutenable dans la durée pour notre cohésion nationale. Elle ne correspond pas à la capacité d’accueil de notre pays, encore moins à sa capacité d’intégration.

Certes, l’échelle européenne est pertinente pour réguler les phénomènes migratoires, et nous nous réjouissons de l’élan donné l’année dernière par la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour aboutir à l’adoption prochaine du pacte européen sur la migration et l’asile. La dimension européenne du sujet ne nous empêche cependant pas de muscler notre droit interne.

En effet, nous devons mieux nous outiller sur le plan juridique pour faire face à l’évolution de la situation. L’état de notre droit ne nous permet pas aujourd’hui d’agir assez efficacement pour réduire les flux migratoires, mieux protéger nos concitoyens des délinquants étrangers et affirmer avec force notre attachement aux principes et valeurs de la République.

La loi du 10 septembre 2018 avait déjà fixé le cap ; il s’agit maintenant d’accélérer, à la fois sur les moyens juridiques donnés à l’État pour mener une politique plus ferme, mais aussi, en parallèle, sur les moyens financiers qui lui sont confiés pour atteindre cet objectif. À cet égard, la cohérence entre la volonté politique du Gouvernement et les moyens qu’il a demandés et obtenus avec l’adoption de la Lopmi doit être soulignée. Un seul exemple : pour améliorer l’exécution des décisions d’éloignement, l’objectif de 3 000 places en centres de rétention administrative d’ici à 2027 est d’ores et déjà programmé et financé.

La nécessité d’une évolution plus rigoureuse de notre droit est une conviction largement partagée. Sur la méthode, je me réjouis de constater à quel point ce projet de loi a été enrichi par les travaux de la commission des lois, et de la reprise par le Gouvernement de la quasi-totalité des propositions émises. Il s’agit d’un bel exemple d’un processus de coconstruction qui devrait nous permettre d’avancer, et je salue tout particulièrement la volonté de dialogue et d’échange du ministre de l’intérieur.

Ne pas adopter ce projet de loi reviendrait in fine à se satisfaire de l’état du droit actuel. Ce serait prendre une lourde responsabilité, car notre pays a besoin de renforcer les exigences concernant l’intégration, en demandant aux demandeurs d’une carte de séjour pluriannuelle la connaissance d’un niveau minimum de français, mais aussi un engagement à respecter les principes de la République.

Pour protéger nos concitoyens, la menace grave pour l’ordre public doit devenir un motif de non-renouvellement ou de retrait de la carte de résident. Dans le même sens, le projet de loi facilite l’éloignement des étrangers qui représentent une menace grave pour l’ordre public.

Il s’agit aussi de mettre à l’honneur la valeur travail en faisant de l’activité économique un facteur d’intégration mieux reconnu, au moment même où nombre de nos entreprises souffrent de ne pas trouver la main-d’œuvre qui leur est nécessaire.

On a pu entendre un peu tout et n’importe quoi sur ce désormais célèbre article 3, alors même qu’il ne s’agit que d’un dispositif expérimental, limité dans le temps, permettant seulement de délivrer un titre temporaire d’un an renouvelable, sous conditions, à des personnes se trouvant déjà sur le territoire depuis au moins trois ans et exerçant un métier en tension. Cela ne mérite pas tous les excès entendus.

Par ailleurs, en tant que sénateur de l’Orne, territoire rural, qui, comme bien d’autres, est un désert médical, je me réjouis des mesures facilitant la situation des médecins diplômés à l’étranger au regard de leur droit au séjour.

Enfin, la simplification du contentieux des étrangers est très attendue : elle a pour objectif d’accélérer les procédures tout en conservant l’effectivité du droit au recours.

M. Olivier Bitz. Sans surprise, le groupe RDPI soutiendra la volonté du Gouvernement…

M. Rachid Temal. Nous voilà rassurés !

M. Olivier Bitz. … de muscler notre droit en faisant preuve de pragmatisme et d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « contrairement à ce que certains disent, nous ne sommes pas aujourd’hui confrontés à une vague d’immigration. […] Les composantes de ce mouvement migratoire sont multiples. Elles sont, en premier lieu, le résultat du regroupement familial. Cette pratique demeure marginale et doit être préservée […].

« Ces mouvements migratoires comptent aussi des étudiants, des demandeurs d’asile, dont le nombre a certes un peu augmenté, mais dans des proportions qui n’ont rien de comparable à ce que l’on constate chez nos voisins. Le sujet de l’immigration ne devrait donc pas inquiéter la population française. Et pourtant… »

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Et pourtant !

Mme Corinne Narassiguin. « Pourquoi fait-il débat ? Parce qu’il est source à la fois de confusions, de malentendus, d’une forme d’inquiétude ou, comme le diraient certains auteurs, d’insécurité culturelle. Mais les racines d’un tel sentiment résident dans la question de l’intégration, pas dans le fait migratoire.

« […] Nous ne devons pas mentir à nos concitoyens : l’immigration n’est pas quelque chose dont nous pourrions nous départir. De surcroît, l’immigration se révèle une chance d’un point de vue économique, culturel, social. […] Mais à condition de savoir la prendre en charge. Quand on sait les intégrer, les former, les femmes et les hommes renouvellent notre société, lui donnent une impulsion nouvelle, des élans d’inventivité, d’innovation.

« Les démocraties qui réussissent l’intégration bénéficient d’une croissance supérieure à la nôtre. Mais la question de l’intégration reste un problème en France. Nous ne parvenons plus à nous départir d’une défiance à l’égard des migrants. »

Monsieur le ministre, ces premiers mots de mon propos sont ceux d’Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, en février 2017.

Que s’est-il passé depuis lors ? Que s’est-il passé, monsieur le ministre, pour que vous nous présentiez le vingt-neuvième projet de loi sur l’immigration depuis les années 1980, en faisant croire à nos concitoyens qu’il résoudra enfin tous leurs problèmes ?

Que s’est-il passé pour que vous « assumiez » être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme aussi régulièrement ?

Que s’est-il passé pour que vous présentiez « le texte le plus ferme avec les mesures les plus dures depuis ces trente dernières années », comme vous le proclamez ?

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est bien heureux !

Mme Corinne Narassiguin. Que s’est-il passé pour que le Président de la République renie ses positions antérieures sur la question migratoire ?

La France d’aujourd’hui est l’héritière d’une histoire complexe, qu’elle doit apprendre à assumer. Elle est de fait un pays d’immigration et une terre d’accueil : l’immigration et une réalité structurelle que nous devons embrasser.

Nous, socialistes, considérons qu’une immigration réussie passe par l’intégration. Cette intégration compte trois composantes essentielles : le travail, l’apprentissage de la langue ainsi que la mixité à l’école et dans le logement.

Quand je lis l’expression « améliorer l’intégration » dans le titre de votre projet de loi, je dis : « Pourquoi pas ? »

Un premier enjeu est l’apprentissage de la langue. Monsieur le ministre, vous vous vantez partout que ce projet de loi facilitera l’apprentissage du français. Quand on y regarde de plus près, c’est faux. La vérité, c’est que vous utilisez la maîtrise de la langue française comme un obstacle à l’entrée et à l’installation durable, au lieu de vous inquiéter des moyens de son apprentissage.

Autre volet essentiel pour s’intégrer : le travail. Quoi de mieux pour s’intégrer que le travail, à condition qu’il soit digne, émancipateur et porteur de sens ?

Il y a un an, quand vous souhaitiez être « gentil avec les gentils » aux côtés de M. Dussopt, qui a d’ailleurs disparu des radars depuis lors, c’était la mesure phare de votre texte : le travail. Vous le savez, nous soutenons l’article 3, qui vise à régulariser les travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. La mesure est très insuffisante, mais il s’agit d’un premier pas fait dans la bonne direction.

Les Français ne sont pas dupes et voient bien que les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie, du bâtiment-travaux publics (BTP), de l’aide aux personnes, de la propreté ou encore du numérique fonctionnent grâce à de nombreux travailleurs sans-papiers, travailleurs de l’ombre qui font tourner notre pays. Ils étaient celles et ceux qui sortaient chaque jour en risquant leur vie pendant la covid-19. Ne vous en déplaise, mes chers collègues, ils sont ceux qui épluchent vos légumes et font la plonge au restaurant du Sénat.

Au-delà de cette vision très utilitariste de l’article 3, nous sommes pour la régularisation de l’ensemble des travailleurs sans-papiers sur le territoire français.

Mme Corinne Narassiguin. Il s’agit d’en finir avec une forme d’hypocrisie, et de leur permettre de vivre légalement sur le territoire sans avoir la peur au ventre et sans courir le risque d’être contrôlés à tout moment pour être renvoyés dans leur pays. Ils contribuent à la vie économique, sociale et culturelle de notre pays, ils doivent pouvoir y vivre en toute légalité.

Nous proposerons donc que l’ensemble des travailleurs puissent être régularisés après six mois de CDI, de CDD ou d’intérim. Nous souhaitons également que cette mesure s’applique aux travailleurs des plateformes, qui, par milliers, participent à notre économie. Nous soutiendrons également la possibilité de travailler dès le dépôt de la demande d’asile.

Nous soutenons votre mesure, mais sans illusion, car nous avons bien compris que vous négociez de manière privilégiée avec la droite extrême représentée dans cet hémicycle par M. Retailleau (M. Roger Karoutchi soupire.), qui veut supprimer cet article 3, seul élément de votre texte relatif à l’intégration.

Le second volet de ce projet de loi vise à « mieux contrôler l’immigration ». Il s’agit en réalité de la partie la plus importante du texte.

Je le dis sans détour : nous, socialistes, pensons qu’une organisation des politiques migratoires fidèle aux valeurs de la République est nécessaire, pour mieux accueillir et mieux intégrer.

Votre projet de loi aura au contraire pour effet d’ajouter du désordre au désordre.

À la suite du dramatique attentat d’Arras, vous instrumentalisez la crainte du terrorisme islamiste afin de multiplier les amalgames, de faire le lien entre immigration, insécurité et terrorisme, ainsi que de justifier le durcissement de votre texte, mais sans porter de véritable vision de l’immigration, et sans même aucune notion d’efficacité. La sûreté de l’État et la sécurité de nos concitoyens méritent mieux que de la démagogie : elles exigent un discours de vérité.

Parce que nous sommes lucides sur la réalité des menaces sécuritaires, nous sommes prêts à aller au bout du débat et à dresser votre bilan en matière de contrôle de l’immigration. À chaque fois que vous essaierez d’embrouiller les Françaises et les Français, nous serons là pour rappeler les faits.

Il n’est pas besoin de modifier les régimes de l’expulsion et de l’éloignement, que vous confondez au mépris des mises en garde du Conseil d’État.

L’enjeu, c’est la bonne application du droit existant. Plutôt que de multiplier les OQTF, accordez des moyens aux préfectures et à l’administration pour le suivi des individus véritablement dangereux, cessez les effets de manche et agissez efficacement ! (M. Roger Karoutchi soupire.)

Nous nous opposerons également à la fin de la collégialité au sein de la Cour nationale du droit d’asile, où l’oralité et l’intime conviction tiennent une place décisive. Une décision de la CNDA peut parfois renvoyer des personnes vers la mort ; pour être la plus juste possible, il est essentiel que cette décision ne soit pas individuelle.

Enfin, nous combattrons les mesures nauséabondes de la droite de cet hémicycle, qui n’a plus de républicaine que le nom. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Il ne faut pas exagérer, quand même !

Mme Corinne Narassiguin. Nous combattons ces mesures que vous faites vôtres, comme vous le dites si bien, monsieur le ministre : suppression de l’aide médicale de l’État, restriction du regroupement familial, remise en cause du droit du sol. Sur ce dernier point, nous sommes choqués du silence du Gouvernement. Le droit du sol est une composante fondamentale du droit de la nationalité et de l’intégration républicaine. Réveillez-vous, supprimez les articles 2 bis et 2 ter !

Monsieur le ministre, vous vouliez une loi Immigration qui porte votre nom. Finalement, c’est approprié. Ce projet de loi est une opération de communication, qui, au mieux, ne servira à rien ou à pas grand-chose, au pire, sera néfaste.

M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai…

Mme Corinne Narassiguin. Avec ce texte, vous voulez faire passer l’agitation pour de l’action, l’effet d’annonce pour de l’efficacité, la fanfaronnade pour de l’autorité.

Vous ne vous souciez plus des droits fondamentaux, de notre Constitution, de la Convention européenne des droits de l’homme. Face à ces dérives illibérales, nous serons les garants de notre État de droit.

Nous serons celles et ceux qui ne mentent pas aux Français. Pour remettre de l’ordre dans notre République, il faut une immigration organisée, un accueil organisé, une intégration organisée et pensée, une politique claire, applicable et appliquée.

Votre projet de loi, c’est mille et une nuances des politiques d’exclusion. (M. André Reichardt sindigne.)

Nous serons de celles et de ceux qui considèrent que l’immigration représente une chance pour notre pays. Nous serons de celles et de ceux qui pensent l’intégration plutôt que l’exclusion. Nous serons de celles et de ceux qui rappellent que ces personnes sont avant tout des êtres humains : des hommes, des femmes et des enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les désordres migratoires actuels ne sont sans doute que les prémices de secousses telluriques bien plus violentes à venir, en raison des dérèglements climatiques comme géopolitiques, ainsi que des déséquilibres démographiques.

Dans le monde occidental, beaucoup de gouvernements, de droite comme de gauche, durcissent considérablement leur législation nationale. Dernier en date, M. Scholz a présenté un projet de loi en tenant cette déclaration fracassante, que je cite mot à mot : « Nous devons expulser à grande échelle ceux qui n’ont pas le droit de rester en Allemagne. »

M. Gérald Darmanin, ministre. Pourtant, il est socialiste !

M. Bruno Retailleau. Joe Biden poursuit l’œuvre de M. Trump, si j’ose dire, puisqu’il a décidé de maintenir la construction du mur à la frontière mexicaine. Je rappelle que M. Biden est démocrate et que M. Olaf Scholz est social-démocrate.

M. Mickaël Vallet. Et nous, nous sommes socialistes !

M. Bruno Retailleau. Dans tous les pays d’Occident, la demande de fermeté provient en réalité des classes populaires, et non des classes aisées qui ont les moyens de se protéger des conséquences du désordre migratoire en mettant leurs enfants dans les bonnes écoles et en habitant les beaux quartiers ! (Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Lauriane Josende applaudissent.)

La réalité, elle est là. Monsieur le ministre, vous aviez déclaré il y a quelques semaines dans Le Journal du dimanche que, sur l’immigration, vous n’aviez « aucun tabou ». Je ne demande qu’à vous croire sur parole, mais j’éprouve quelques doutes. Pourquoi autant d’atermoiements, pourquoi un accouchement aussi difficile, avec un texte tant de fois promis, mais tant de fois remis à plus tard ?

Je pense au contraire que, pour votre majorité, l’immigration demeure un tabou. C’est à la fois un tabou politique, le « en même temps » débouchant sur un double jeu, un tabou numérique, car la question du nombre reste fondamentale, et un tabou sur le plan du droit, question également absolument essentielle.

La question du nombre, tout nous y ramène : l’échec de l’immigration provient du fait que, si l’on peut intégrer les petits nombres et les individus, comment intégrer des populations souvent peu désireuses d’adhérer à nos principes républicains et à nos modes de vie ? (M. Bruno Sido approuve. – M. Rachid Temal proteste.)

Ici, qui peut sérieusement dire qu’il n’y a pas de lien entre tous ces échecs et l’insécurité ? Entre tous ces échecs d’intégration et la multiplication des territoires perdus de la République ? (M. Rachid Temal sexclame.)

Qu’elle soit légale ou illégale, l’immigration bute sur la loi des grands nombres. C’est la première raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de l’article 3, qui a pris, certes, une dimension un peu totémique, mais sur laquelle je souhaite revenir quelques instants.

On ne peut pas, dans un même texte, prétendre à la fois lutter contre l’immigration illégale et ouvrir une brèche pour celle-ci. La fraude ne peut pas être une voie de régularisation, parce que cette facilité reviendrait à créer un appel d’air. (MM. Rachid Temal et Mickaël Vallet protestent.)

Deuxième raison : c’est une formidable capitulation que d’aller chercher une main-d’œuvre bon marché, au lieu de mobiliser l’extraordinaire réserve de travail que l’on trouve déjà en France. Au moment où je vous parle, il y a plus de 560 000 étrangers en situation régulière, mais qui sont au chômage ! (Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Marie-Carole Ciuntu et Jacqueline Eustache-Brinio applaudissent.)

Au moment où je vous parle, plus d’un million de jeunes ne sont ni en emploi ni à l’école, 1,9 million de Français touchent le RSA, et 3 millions sont au chômage. Qu’est-ce qu’on en fait ?

Je termine au sujet de l’article 3, en ajoutant que l’activité professionnelle ne constitue en rien une condition permettant d’éviter une radicalisation. J’en veux pour preuve la dimension symbolique de l’attentat perpétré à Rambouillet, par Jamel Gorchene, pourtant en situation de travail en tant que chauffeur-livreur.

Ce que nous voulons, c’est que le préfet, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, contrôle bien sûr la dimension réelle de l’activité professionnelle, mais également la capacité des individus à intégrer nos propres valeurs. C’est ce qui est fondamental, et c’est ce qui nous distingue au sujet de ce fameux article 3.

Il y a aussi le tabou du droit. Depuis des années, nous avons abandonné les instruments juridiques nous permettant de réguler l’immigration, avec comme conséquence l’impuissance extraordinairement coupable que les Français constatent à chacun de ces événements qui ne sont plus des faits divers.

Cette impuissance était organisée par le législateur, qui a multiplié les protections et les exceptions à la règle. Les exceptions ont tué la règle, et la règle peut tuer des Français, comme on l’a vu à Arras ! Si cet individu originaire du Caucase avait été expulsé, le professeur Dominique Bernard serait toujours en vie ! Et qu’importe si cette personne était arrivée en France avant l’âge de 13 ans !

Ce que nous voulons, ce n’est pas multiplier les exceptions aux exceptions, comme vous le proposez ; c’est anéantir les exceptions, pour qu’il y ait une règle vis-à-vis des expulsions et des OQTF, et que l’on puisse rétablir le délit pour séjour irrégulier, défait par Hollande, pour bien marquer qu’un pays, une nation, une communauté nationale, un corps politique, c’est un dedans et un dehors, tout simplement.

Au sujet de cette impuissance, revenons sur un certain nombre de jurisprudences choquantes, surtout lorsqu’elles font prévaloir, sinon systématiquement, en tout cas parfois, la protection des droits individuels sur l’intérêt général, le cadre collectif et le besoin d’un peuple de se protéger.

Prenons l’exemple, parmi de nombreux autres, de la condamnation de la France par la CEDH à la suite de l’expulsion de deux Tchétchènes radicalisés et dangereux. Nous avons été condamnés parce que l’expulsion de ces individus ne permettait pas de leur garantir un procès équitable dans leur pays. Que fallait-il faire : protéger les Français ou protéger ces individus dangereux ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Le choix a été fait !

M. Bruno Retailleau. Vous avez préféré payer une amende, et vous avez bien fait, monsieur le ministre.

Ce que je veux dire par là, monsieur le rapporteur, c’est qu’il faut trouver un juste équilibre entre l’État de droit, le respect des textes, l’interprétation parfois très créative des traités, et la démocratie, la souveraineté populaire. Retourner systématiquement les droits individuels contre la souveraineté populaire, cela n’est pas, cela n’est plus l’État de droit !

C’est la raison pour laquelle nous voulons un référendum et une révision de la Constitution, pour rendre aux Français cette capacité de décider par eux-mêmes de la politique migratoire française. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le Président de la République a fait un pas, mais il y a loin de la coupe aux lèvres ; nous ne sommes pas des perdreaux de l’année, et nous attendrons de voir ce qu’il va advenir de cette révision constitutionnelle.

Un mot, enfin, sur le tabou politique et le « en même temps ». Je disais qu’il s’agit d’un double jeu : le non-dit de ce texte, c’est le contexte de son élaboration. Il aura fallu que vous soyez écartelé entre votre aile droite et votre aile gauche pour le défendre, mais le problème, c’est qu’en matière migratoire le « en même temps » n’existe pas.

Les signaux que vous enverrez au monde entier, que les filières percevront très bien, devront être d’une grande fermeté. Tout laxisme sera interprété comme un appel d’air. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Bruno Retailleau. Vous savez qu’en France ces appels d’air sont une réalité. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous parlerons du regroupement familial.

M. Mickaël Vallet. Quelles sont vos statistiques ?

M. Éric Kerrouche. C’est faux !

M. Bruno Retailleau. Un ouvrage a été rédigé par un spécialiste de ces questions, Didier Leschi, qui n’est d’ailleurs pas rattaché à une succursale de la droite !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il ne dit pas cela !

Mme Laurence Rossignol. C’est de la manipulation de la pensée de Didier Leschi !

M. Bruno Retailleau. Pour terminer mon propos, monsieur le ministre, je veux dire que l’heure est grave. Jamais les risques ou les menaces de partition, de fragmentation communautaire n’ont autant fragilisé l’unité française. Nous en sommes parfaitement conscients. Pour cette raison, nous ne nous abandonnerons ni aux postures de ceux qui défendent le « y a qu’à, faut qu’on », aux slogans ou aux expédients, pas plus qu’à l’imposture de ceux qui appellent avec ambiguïté aux demi-mesures, à un « en même temps ».

Nous voulons un texte efficace, un texte utile. Nous verrons comment son examen se déroulera : soit ce projet de loi est durci à l’aide de l’adoption de nos amendements, selon la conviction intime d’aller dans le sens supérieur de l’intérêt de la Nation – les Français, notamment ceux d’en bas, et non ceux d’en haut, demandent cette fermeté –, et nous pourrons alors voter en sa faveur ; soit nous demeurons persuadés qu’une ambiguïté subsiste, auquel cas nous ne tricherons pas ni ne jouerons avec les faux-semblants, et nous nous opposerons alors à son adoption.

M. Bruno Retailleau. Voilà notre position : elle est claire, elle est très simple, elle consiste à dire la vérité aux Français. L’enjeu est énorme : faire en sorte que, demain, la République soit partout chez elle en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’immigration est aussi une problématique de premier ordre dans les outre-mer.

La réalité des outre-mer, en matière d’immigration, impose d’être humbles face à l’immensité géographique. La réalité, pour la Guyane, ce sont 500 kilomètres de frontière fluviale dans la forêt amazonienne avec le Suriname, dont le PIB par habitant est dix fois inférieur à celui de la France, et 700 kilomètres de frontière avec le Brésil. La réalité, pour les Antilles, c’est d’avoir pour seule frontière la mer des Caraïbes, où le tourisme de masse jouxte la grande délinquance et la misère d’États insulaires en déliquescence. La réalité, c’est dans l’océan Indien une étendue maritime de 102 kilomètres, qui ancre Mayotte à son destin français.

Les ordres de grandeur dans les outre-mer sont donc loin d’être les mêmes que dans l’Hexagone. Il faut le savoir : les deux territoires français les plus touchés par l’immigration sont Mayotte et la Guyane, où, respectivement, plus de la moitié et du tiers de la population est étrangère.

Ainsi, un bon nombre de mes collègues et moi-même estimons indispensable la tenue d’un débat au Parlement au sujet des adaptations à apporter en matière de gestion de l’immigration dans les outre-mer. C’est le sens d’un amendement que j’ai déposé – un amendement identique a été déposé par des collègues siégeant sur d’autres travées –, qui vise à supprimer l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.

D’ailleurs, monsieur le ministre, j’ai le sentiment que le Gouvernement n’est pas complètement opposé à cette démarche, puisque certains amendements spécifiques aux outre-mer déposés par mes collègues de Mayotte, ou par ma collègue de Guyane et moi-même, ont été travaillés avec votre cabinet.

Je pense notamment à l’amendement ayant pour objet de répondre au défi que représente la filière d’immigration par laquelle des visas humanitaires accordés par le Brésil sont utilisés pour entrer en Guyane, avec l’Hexagone pour destination finale. En attendant son adoption, Cayenne et sa maire doivent faire face à un afflux de migrants qui, en raison du manque de places d’hébergement, occupent l’espace public et cristallisent les mécontentements.

Pour autant, le texte déposé par le Gouvernement au Sénat au début de février était relativement équilibré. Il apportait des réponses pragmatiques et courageuses, notamment en ce qui concerne le travail des étrangers. Ainsi les articles 3 et 4 sont-ils essentiels, car ils améliorent l’accès au travail des migrants ou des réfugiés, alors que le travail est le premier facteur d’intégration.

De plus, il faut cesser de faire croire aux Français que nous pourrions nous passer des immigrés. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) révélait dans une étude de juillet 2021 que 22 % des emplois en Île-de-France étaient occupés par des immigrés. Les métiers dans lesquels ils sont surreprésentés sont ceux où les conditions de travail sont les plus pénibles et les difficultés de recrutement les plus fortes.

À ce jour, tout un pan de notre économie tourne grâce à une foule de travailleurs sans-papiers qui viennent pallier le déficit de main-d’œuvre. Ce projet de loi va enfin permettre à ces personnes et à leurs employeurs de rentrer dans la légalité, toute la société bénéficiant de retombées positives.

Ce projet de loi comporte également d’autres mesures qui auront un impact positif important dans les outre-mer, comme la création, à l’article 7, d’une nouvelle carte de séjour pour les médecins provenant de pays en dehors de l’Union européenne. Cette nouvelle carte de séjour devrait permettre d’améliorer le recrutement des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), indispensables à nos établissements de santé. Malheureusement, la commission des lois a supprimé une partie du dispositif ; j’espère que les débats permettront de revenir à sa version d’origine.

Dans le même ordre d’idées, j’ai déposé un amendement visant à autoriser en Guyane le recrutement d’infirmières provenant de pays en dehors de l’Union européenne, comme cela se fait déjà à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Vous l’aurez compris, ce texte comporte des évolutions positives, et même indispensables. Cependant, l’actualité récente a tendu les esprits et durci les positions. J’espère que nous parviendrons à tenir un débat serein sur ces questions, et que le bon sens l’emportera. La nécessité d’adapter en permanence la loi aux évolutions de l’immigration justifie ce projet de loi. La posture et l’affichage de fermeté de certains ne doivent pas nous empêcher d’apporter une réponse plus humaine et plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Michel Masset applaudit également.)