M. le président. La parole est à M. Mickaël Vallet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Mickaël Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient d’exposer la position du groupe socialiste concernant les aspects de la politique linguistique, ainsi que les éléments relatifs à la politique de délivrance des visas dans le texte issu des travaux de la commission.

Nous louons l’objectif théorique des dispositions relatives à l’exigence d’un niveau de français, mais nous ne pouvons que regretter les conclusions qu’en a tirées la commission.

Je m’explique.

D’autres pays dans le monde ont adopté un même type d’exigence, bien légitime. Mentionnons le Québec : son gouvernement actuel a récemment relevé le niveau de français exigé, en même temps qu’il a augmenté le nombre d’immigrés à accueillir. Qui peut les en blâmer ? Car, dans leur cas, l’alternative n’offre comme autre malheureuse possibilité au nouvel arrivant que de devenir anglophone, mettant à mal la cohésion nationale.

En France, espérons-le pour encore longtemps, il n’y a qu’une seule langue commune et aucune autre n’est capable de s’imposer à elle. La question du niveau de français des immigrés tient donc moins à la vivacité de notre langue face à celles de chacun d’eux qu’à leur propre capacité à travailler, vivre, avoir des interactions sociales et suivre la scolarité de leurs enfants.

En plus de l’intégration à la québécoise en français, c’est l’idée de l’intégration par le français. C’est donc non pas la langue qui est menacée, mais la facilité pour les immigrés à l’utiliser à des fins d’intégration indispensable.

Or ce qui nous est présenté au moyen de ce texte, c’est-à-dire exiger demain pour un titre de séjour annuel ce que nous exigeons aujourd’hui pour un titre de séjour pluriannuel, ne semble pas tendre vers cet objectif, confondant le but, à savoir parler français, et l’outil, c’est-à-dire le français considéré alors comme critère de tri préalable entre étrangers.

Car cet outil qu’est la langue à la manière d’un outil primaire se forge, se polit et voit affûter le tranchant de sa lame avec le temps. Il faut donc donner le temps et les moyens d’y parvenir. Que voulons-nous pour les nouveaux immigrés, et notamment pour les travailleuses dont vous avez parlé, monsieur le ministre : un examen de bachotage au bout d’un an, ou une vraie maîtrise de la langue sur le temps long ?

Relever le niveau de langue exigé sans s’en donner les moyens concrets ne mène nulle part. C’est ce que nous défendrons au travers de nos différents amendements.

Le deuxième point de mon propos porte sur la disposition introduite en commission consistant à offrir un nouveau motif légal de refus de visa de long séjour, notamment aux ressortissants d’un État délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires. Disons-le clairement, il n’est pas tenable que des États sabotent la mise en œuvre de décisions de la justice française en organisant de manière systémique leur incapacité supposée à reconnaître leurs nationaux.

Mais nous, socialistes, considérons que l’introduction dans la loi de cette politique de rétorsion ne permettra pas d’atteindre l’objectif annoncé, que, je le redis, nous partageons en grande partie.

Il arrive que la diplomatie réclame un peu de finesse, et que cette finesse échappe à la pensée la plus complexe de nos plus hauts dirigeants. Déjà en froid avec nos voisins méditerranéens et avec les opinions africaines, nous enverrions là un signal public bien dommageable.

Si les États, à commencer par le nôtre, ont non seulement des valeurs, mais aussi des intérêts, le travail des chancelleries vaut parfois mieux pour les faire respecter qu’une démonstration de virilité législative contre-productive. Le Gouvernement a d’ailleurs expérimenté cette méthode à compter du printemps 2021 avec les pays du Maghreb, pour constater son échec et y renoncer dès 2022. Eh oui, la diplomatie, comme la préfectorale d’ailleurs, c’est un métier !

Enfin, traitant des aspects internationaux de ce projet de loi, je me dois d’évoquer le cimetière qu’est devenue notre mer commune, la Méditerranée, berceau de civilisations – au pluriel – et matrice de tant de cultures, dont la nôtre, la culture française. On y meurt par centaines dans une indifférence dramatique. Formulons le souhait que notre pays sache, malgré les vents mauvais qui nous agitent et agitent l’opinion, continuer de distinguer les nécessaires débats sur les politiques migratoires – tel celui que nous allons avoir ici – de la nécessité absolue de sauver des vies, quel que soit le contexte et sans aucune condition préalable.

Je tiens à ce propos à faire une remarque. Depuis le début des débats ont été cités le Président Hollande – par vous, monsieur le ministre – et le Président Mitterrand – par la majorité sénatoriale –, mais – il est grand le mystère de la droite – il n’y a personne pour évoquer les déclarations récentes du chef de l’État du Vatican. Peut-être aurons-nous l’occasion de le faire plus longuement au cours des débats, mais c’est en tout cas chose faite pour la discussion générale. Décidément, les socialistes doivent tout faire ici… (Sourires sur les travées du groupe SER. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux d’abord dresser un constat, avant d’expliquer la stratégie que nous souhaitons mettre en œuvre.

Après la crise du covid-19, notre pays a renoué avec des flux très importants d’immigration irrégulière. Selon les chiffres de l’agence Frontex, 232 350 personnes ont franchi irrégulièrement les frontières de l’Union européenne au cours des huit premiers mois de l’année 2023 ; c’est le niveau le plus élevé depuis 2016.

En outre, près de 90 000 personnes ont fait l’objet d’un refus d’entrée à nos frontières en 2022, là aussi un record.

Sur notre sol, le nombre de personnes en situation irrégulière ne cesse de grandir également. Le nombre de bénéficiaires de l’AME – un critère d’appréciation parmi d’autres, qui, naturellement, ne suffit pas – s’élève ainsi à 400 000 en 2022, soit 100 000 de plus qu’il y a dix ans. Et je pourrais continuer longtemps d’égrener des chiffres…

Cette incapacité à maîtriser nos frontières est d’autant plus inquiétante qu’elle s’accompagne d’une difficulté à exécuter les reconduites dans les pays d’origine. En effet, nous le savons, sur les 120 000 OQTF prononcées annuellement au cours des dernières années, seules 10 000 sont exécutées, même si cet indicateur est imparfait, parce qu’il faut tenir compte de la difficulté à obtenir des laissez-passer consulaires.

Même notre politique d’immigration régulière est insatisfaisante. Nous n’avons jamais délivré autant de titres de séjour – 316 000 premiers titres en 2022 –, mais nous intégrons de moins en moins bien – j’y insiste.

Je le rappelle, la plupart des étrangers arrivés sur le territoire parlent ou écrivent mal le français à l’issue de leur première année de séjour et je ne parle même pas des « crises des rendez-vous » dans les préfectures. Tout cela démontre nos difficultés.

La situation de notre politique de l’asile n’est pas différente : l’Ofpra comme la CNDA sont au bord de l’embolie ! Nous enregistrerons pratiquement 140 000 demandes en 2023 et les prévisions du Gouvernement pour l’année 2024 font état de 160 000 demandes. La détérioration des délais complexifiera encore les choses…

C’est dans ce contexte que nous est soumis ce texte.

La question de départ est : de quelle politique migratoire la France veut-elle se doter ? Ensuite, une fois cette politique définie, les mesures devront être claires et compréhensibles pour tout le monde. Cette clarté doit reposer sur trois grands principes.

Premier principe : l’immigration régulière doit être une immigration choisie, c’est-à-dire moins importante et correspondant à une immigration économique qualifiée. J’ai entendu dire précédemment que l’immigration était potentiellement une chance ; sans doute, mais à quelles conditions ? Il suffit pour le savoir de relire le rapport de l’OCDE de 2021. (M. Roger Karoutchi approuve.) D’après ce rapport, la difficulté de la France est liée à son immigration économique non qualifiée. Voilà notre handicap ! Et ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’OCDE ! Nous avons donc besoin de nous recentrer sur une immigration économique qualifiée et dans une proportion beaucoup moins importante qu’aujourd’hui, afin de faciliter l’intégration.

Second principe : l’intransigeance dans la lutte contre l’immigration irrégulière. On ne peut pas continuer ainsi ! Les différentes procédures permettant de contourner les mesures d’éloignement des étrangers sont très complexes et nombreuses : il existe treize ou quatorze moyens pour appuyer une saisine d’un tribunal administratif. Le rapport d’information que nous avons publié voilà un peu plus d’un an sur le sujet montrait bien que les juridictions administratives étaient en situation de saturation totale. Il serait inacceptable de le nier ! Il faut donc simplifier. Tel est l’objectif de ce texte, qui s’appuie en partie sur notre rapport d’information.

Cela rejoint d’ailleurs la nécessité de répondre rapidement aux demandes et aux situations des uns et des autres, ainsi que notre capacité à établir, disons-le clairement, un rapport de force avec les pays d’origine, parce qu’il faudra bien obtenir les laissez-passer consulaires requis. Or cela ne pourra se faire, je crois que tout le monde le sait, que si notre stratégie est parfaitement claire et parfaitement comprise et si l’on se donne les moyens d’établir ce rapport de force, fût-ce difficile, sans quoi nous n’aurons aucun choix possible.

Le troisième principe, enfin, concerne la procédure d’asile. Depuis plusieurs années, cette procédure est détournée de son objectif. Dans leur très grande majorité, les demandeurs n’ont en effet d’autre but que de rester sur le territoire national le plus longtemps possible et de bénéficier éventuellement d’autres moyens de protection.

M. Roger Karoutchi. Très juste !

M. François-Noël Buffet. Par conséquent, celui qui mériterait d’être protégé par l’octroi du statut de réfugié attend des années et des années, tandis que les autres attendent tranquillement la décision, en se disant que plus elle sera tardive, mieux ce sera et qu’ils en tireront un profit ; nous sommes donc victimes deux fois… Ceux qui méritent la protection rapide de la France, que celle-ci a raison d’octroyer – cela concerne environ, si je ne m’abuse, 35 000 personnes par an –, devraient pouvoir l’obtenir vite et ceux qui ne la méritent pas devraient le savoir rapidement afin que l’on puisse les reconduire dans leur pays d’origine.

C’est en se reposant sur ces trois principes que l’on pourra avancer sérieusement et doter notre pays d’une véritable politique migratoire.

Faut-il en conclure que nous sommes durs ? Bien sûr, nous sommes fermes et nous voulons l’être, car le message que nous enverrons sera tout aussi important que les dispositions du texte. Néanmoins, nous devons aussi être responsables, en nous dotant des moyens suffisants pour intégrer ceux que l’on accepte sur notre territoire. La commission des lois a fixé à cet égard un certain nombre de règles, que les rapporteurs ont rappelées.

Récapitulons dans le peu de temps de parole qu’il me reste : pour le groupe Les Républicains, et pour la majorité sénatoriale, me semble-t-il, ce texte vise à établir de la clarté, dans un objectif d’efficacité pour ceux que l’on accueille, qui doivent bénéficier d’une prise en charge de qualité, et de fermeté pour ceux que l’on ne veut pas voir sur notre territoire, qui doivent repartir dans le cadre de procédures respectueuses, mais très rapides.

Tel est l’objet du travail de la commission des lois, que nos débats permettront d’aborder au cours des jours qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà face à un énième texte sur l’immigration. Quelle importance lui accorder ?

Notre premier texte en la matière, qui portait sur la nationalité, les étrangers et l’immigration, date de 1889. Depuis lors, tous les gouvernements, de gauche, de droite, du centre ou d’ailleurs, ont rédigé des textes – avant la guerre de 1914, pendant le Front populaire, dans les années 1950 puis encore aujourd’hui –, tous avec les mêmes fondements : l’immigration est une politique régalienne et elle doit être déterminée par le gouvernement et par l’État, en fonction de sa capacité à intégrer, à maintenir l’unité de la Nation, à laisser la société dans l’état dans lequel elle est.

Ainsi, c’est vrai, voici encore un nouveau texte après celui de 2018, mais la situation a bien changé au cours des quinze ou vingt dernières années !

J’ai la chance et l’honneur de représenter le Sénat au sein de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, et, à plusieurs reprises, je me suis exprimé, au sein tant de la commission des finances que de cet hémicycle, en faveur d’une intégration réussie. Je le dis de manière très calme, mais très sûre : nous n’y parvenons plus ! Un pays qui a plus de 3 000 milliards d’euros de dette, qui a les déficits budgétaires que nous connaissons, qui a les fractures sociales et sociétales qui sont les nôtres éprouve les plus grandes difficultés, matériellement, financièrement, mais également en matière de transmission, pour intégrer.

Les pays qui peuvent intégrer massivement – je pense par exemple à l’Allemagne, dont la chancelière Angela Merkel avait accepté un nombre important de migrants en une seule année – sont dans une situation forte financièrement, économiquement, humainement, ce qui était le cas de l’Allemagne à l’époque. Si Olaf Scholz change aujourd’hui de politique, c’est parce que ce pays n’est plus dans cette situation.

De même, si la France doit aujourd’hui remettre en cause ses mouvements migratoires, c’est parce que notre pays n’est plus dans la situation qui était la sienne voilà trente ou quarante ans.

Bien sûr, la France a très bien intégré, et c’est son honneur, les Italiens et les Polonais arrivés avant la guerre de 1914, les Italiens et les Espagnols venus pendant l’entre-deux-guerres et, après la Seconde Guerre mondiale, les Portugais et les Algériens. Et l’intégration s’est bien passée, il faut le dire très clairement : jusque dans les années 1960 et 1970, elle a été une force de la France.

Néanmoins, elle ne l’est plus aujourd’hui, parce que la société française a changé, parce que, malheureusement – c’est la vie –, l’économie française n’est plus ce qu’elle était, parce que nous n’avons plus la capacité d’intégrer de grands nombres. Je ne sais plus qui en a parlé, oui, l’intégration est facile quand on a un petit nombre, parce que les structures de l’État et des collectivités locales, ce que je reconnais, prennent les choses en main et réussissent cette intégration, mais, lorsque le nombre est trop important, cela ne fonctionne plus.

Je suis de ceux qui, ici, dans cet hémicycle, ont demandé que, à l’issue des cours de français, on fasse passer un examen. En tant que membre de l’Ofii, je suis allé régulièrement dans les salles de cours, j’ai constaté que beaucoup de personnes y venaient, mais que, malheureusement, les hommes imposaient parfois aux femmes de se voiler et leur interdisaient de prendre la parole ; puis, à la fin du cours, on attestait que tous avaient bien été présents quatre-vingts ou cent vingt heures, sans s’assurer qu’ils sachent le moindre mot de français. Ce n’est pas acceptable ! Nous sommes en République, nous défendons la République, la République est là pour tous ! Mais elle est là aussi pour que la société française ne soit pas plus fracturée, car elle l’est déjà suffisamment.

Nous avons tous ici une responsabilité première, en tant qu’élus : faire en sorte que la France reste la nation unique qu’elle a toujours été par rapport à ses opposants, par rapport à la compétition internationale. Si nous ne sommes pas capables d’assurer cela, comment voulez-vous que nous soyons capables d’en intégrer d’autres, de faire en sorte que leur soient transmises les valeurs françaises, républicaines et nationales ? Nous ne sommes même pas capables de faire en sorte qu’elles soient totalement assimilées par la société française…

Nous avons donc tous une introspection à faire, à gauche, à droite, au centre, car tout le monde est responsable de la situation actuelle. Nous n’avons pas vu la société française se fracturer de plus en plus, nous n’avons pas pris conscience de notre quasi-incapacité à intégrer. D’où les territoires perdus, les quartiers difficiles ; en réalité, l’inversion de nos politiques ne s’est pas faite lorsque c’était nécessaire et nous avons cru, peut-être – sûrement ! – avec trop d’angélisme, que nous y parviendrions, puisque nos ancêtres y étaient parvenus des années 1900 aux années 1950.

Or nous ne sommes plus ni dans la France, ni dans l’Europe, ni dans le monde des années 1950. Nous ne parvenons plus à intégrer et nous avons absolument besoin d’une immigration choisie, nous devons maîtriser les flux, faire en sorte qu’il y ait beaucoup moins d’entrées sur le territoire national, afin de pouvoir intégrer ceux qui veulent réellement devenir Français, participer à l’économie et à la société françaises, être fiers d’être français au terme de leur intégration. Nous ne pouvons plus assumer d’avoir des apports tellement massifs qu’ils ne sont pas intégrés, pas assimilés. Nous fabriquons nous-mêmes les anti-France de l’avenir…

La responsabilité de la France et des élus est de définir les moyens dont nous disposons, de déterminer ceux que nous pouvons et ceux que nous ne pouvons pas accepter, et de ne pas aller au-delà, sans quoi nous ne faisons pas de la bonne politique migratoire ni de la bonne politique d’asile.

En effet, cela a été dit, les 140 000 demandes d’asile constituent un détournement manifeste de la procédure. Voilà dix ou quinze ans, il y en avait 35 000 ! On détourne donc clairement l’asile pour faire de l’immigration économique. Nous devons reprendre en main nos structures, parce que, si nous voulons que les immigrés soient fiers d’être Français, il faut qu’ils soient parfaitement intégrés ; pour cela, ils doivent être moins nombreux. Ceux qui entrent sur le territoire de manière illégale doivent donc être reconduits à la frontière ; nous ne pouvons pas accepter que notre système explose en vol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. Mme Solanges Nadille et M. Jean-François Longeot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je tiens tout d’abord à remercier les orateurs qui se sont exprimés, en commençant par ceux qui apportent d’ores et déjà un soutien au texte du Gouvernement : le groupe RDPI, le groupe centriste et le groupe des indépendants. J’ai compris qu’il y avait également des « on va voir », celui du groupe du RDSE et celui du groupe Les Républicains. Enfin, j’ai également compris qu’il y avait des gens qui souhaitaient s’opposer au Gouvernement par nature, même s’ils ne refusent pas la discussion…

Mme Laurence Rossignol. Pas « par nature », non. Vous aurez besoin de nous !

M. Gérald Darmanin, ministre. … – alors par définition ou en introduction –, et qui, sans faire le débat d’avance, sont ouverts à un certain nombre de propositions ; c’est le cas des groupes communiste, socialiste et écologiste.

Je ne répondrai pas à tous les orateurs, je me concentrerai sur quelques-uns, soit parce que leurs propos appellent un complément de la part du Gouvernement, soit pour répondre à des questions, soit pour préciser d’emblée certains termes, puisque nous allons passer quelques jours et peut-être quelques nuits à travailler sur ce texte important.

Monsieur Benarroche, il me semble que nous devons dès le début fonder notre discussion non sur des présupposés ou des postures, mais sur des réalités. Vous reprochez par exemple au Gouvernement de plaider pour l’intégration tout en diminuant les crédits destinés à financer l’ADA, l’aide sociale que nous versons aux demandeurs d’asile. Mais c’est au contraire tout à fait cohérent : si j’inscrivais dans le projet de budget une augmentation de ces crédits, cela signifierait que j’anticipe que le présent texte ne sera pas efficace ! (M. Bruno Sido acquiesce.)

En effet, ce texte a pour objectif de simplifier les procédures afin de pouvoir dire très vite, comme l’a indiqué M. Buffet et comme j’ai essayé de vous le démontrer, oui ou non à un demandeur d’asile. Le versement de l’ADA est automatique, il s’imposera à tous les ministres de l’intérieur qui me succéderont. On ne peut pas discuter du montant de l’ADA inscrit dans le projet de budget avec les parlementaires : le Conseil d’État considère qu’il correspond au nombre de demandeurs d’asile qui se trouveront sur le territoire national, pendant la durée de la demande. Ainsi, si j’avais présenté au Parlement une augmentation du montant de l’ADA, on m’aurait dit, sans doute du côté droit de cet hémicycle : « Cher ami, vous êtes bien sympathique, mais vous prévoyez déjà que votre projet de loi – le vingtième ou le trentième sur la question – ne sera pas efficace ! » Je tâche donc d’être cohérent, monsieur Benarroche.

Cela ne signifie pas pour autant – mais ce n’est pas vraiment ce que vous disiez – que l’on n’a augmenté aucun des crédits consacrés à l’intégration dans le projet de budget que je vous ai présenté pour 2024, puisque tous les autres crédits d’intégration, y compris ceux qui sont relatifs à l’intégration par la langue, augmentent.

Donc, oui, le budget de l’ADA baisse, parce que nous réussirons, j’en suis certain, à aller plus vite dans les procédures de demande d’asile, grâce à ce projet de loi et grâce au travail essentiel des agents de l’Ofpra ; mais, non, les crédits d’intégration, notamment par la langue, ne baissent pas, ils augmentent.

Messieurs Karoutchi et Retailleau, M. Scholz prend en effet des mesures de restriction de l’immigration, mais un peu tard ! Je vous le rappelle, si nous comptons entre 130 000 et 140 000 demandes d’asile au moment où je vous parle – un chiffre stable ou en légère augmentation par rapport à l’année dernière –, l’Allemagne en compte 230 000 ! Quand je suis devenu ministre de l’intérieur, nous avions 120 000 demandes d’asile alors que l’Allemagne en avait 160 000 ; trois ans après, nous en sommes à 130 000 ou à 140 000 – nous verrons à la fin de l’année –, quand l’Allemagne en est à 225 000 ! Ils referment donc après avoir beaucoup ouvert.

M. André Reichardt. Tout à fait.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il faut le dire clairement, sans quoi on ne comprend pas la position de M. Scholz, qui, d’ailleurs, n’est manifestement pas la même que celle des socialistes français.

Monsieur Benarroche, M. Dossus et vous avez également évoqué la protection temporaire que nous offrons aux Ukrainiens. Vous me demandez – j’entends assez fréquemment cette question – pourquoi on ne fait pas comme nous avons fait avec les Ukrainiens. Je serais tenté de vous dire : Chiche ! mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que vous défendiez véritablement.

En effet, en quoi consiste la protection temporaire que tous les ministres de l’intérieur de l’Union européenne ont décidé ensemble d’accorder aux Ukrainiens ? À ne pas leur octroyer l’asile, justement, à leur accorder une protection limitée à une durée de trois ans ! La différence avec la situation d’un Afghan – première nationalité parmi les demandes d’asile en France – est fondamentale : à un ressortissant de cette nationalité, nous accordons l’asile ad vitam æternam, nous ne remettrons pas en cause son asile lorsque la vie démocratique reviendra dans son pays.

En l’espèce, nous pensons que nous allons gagner la guerre contre la Russie en aidant les Ukrainiens, donc, pendant un certain temps, l’ensemble des Européens accueillent les réfugiés sur le territoire européen, mais, en contrepartie, même s’ils peuvent travailler dès le premier jour, ils ne bénéficient pas de l’asile. Certaines associations se sont d’ailleurs élevées à l’époque contre cela en nous demandant pourquoi nous n’accordions pas l’asile aux Ukrainiens. C’est parce que nous pensons qu’ils pourront retourner très rapidement dans leur pays.

Ainsi, si la solution du groupe écologiste consiste à mettre fin à la politique d’asile telle qu’elle existe depuis la Révolution française et les conventions de Genève pour la remplacer par la protection temporaire qu’on offre aux Ukrainiens,…

M. Thomas Dossus. Ce n’est pas ce que nous avons dit.

M. Gérald Darmanin, ministre. … ce n’est pas le ministre de l’intérieur qui s’y opposera, sauf pour vous reprocher d’être beaucoup trop durs avec les demandeurs d’asile…

Monsieur Brossat, sans être d’accord sur le fond de votre intervention en général, j’ai été sensible à certains de vos arguments.

Je peux comprendre la distinction que vous faites entre pays d’accueil et pays d’arrivée pour déterminer ce qui motive le départ de ces personnes. Je pense qu’il y a des raisons extrêmement diverses à ces mouvements. Sans doute, il y a des pays, de grands pays d’Afrique notamment, qui offrent une couverture sociale extrêmement forte à leurs citoyens : logement gratuit, gaz quasi gratuit, essence quasi gratuite, produits de première nécessité quasi gratuits ou encore indemnisation du chômage. Il est donc vrai que leurs ressortissants ne trouvent pas en France la même protection ou en tout cas n’y trouvent pas une protection très différente de celle de leur pays.

Le départ de cette jeunesse, mais également, parfois, de catégories sociales ou professionnelles plus élevées, peut alors s’expliquer par la recherche d’un mode de vie : ils ne viennent pas forcément chercher seulement de la protection sociale – cela peut néanmoins être le cas –, ils cherchent parfois un mode de vie ou une protection en raison de leur orientation sexuelle ou de leur religion, ou bien une protection politique. Il y a diverses motivations. Serait par conséquent fausse l’affirmation selon laquelle les personnes qui viennent en France ou en Europe cherchent uniquement à bénéficier de notre modèle social, qui est effectivement généreux. D’ailleurs, vous avez pris à dessein et à juste titre l’exemple du RSA, parce que, en effet, les personnes en situation irrégulière ne touchent pas cette prestation ; on l’entend beaucoup dire, mais ce n’est pas vrai.

Cela étant, il existe tout de même une forme d’attractivité que vous ne pouvez pas nier, monsieur Brossat ; l’honnêteté intellectuelle oblige à la reconnaître. Si 40 % des demandeurs d’asile qui s’adressent à la France viennent d’autres pays européens, c’est tout de même qu’il y a une forme d’attractivité en comparaison avec leur pays d’arrivée. Sinon, après avoir quitté leur pays en guerre ou dans lequel ils subissaient des persécutions religieuses ou politiques, une fois arrivés en Italie, en Suisse, qui est dans l’espace Schengen, en Belgique ou en Espagne, ils n’auraient pas envie d’aller dans un autre pays de l’espace européen ; là où ils sont, ils ont déjà trouvé un système démocratique, un accompagnement politique et, puisque nous avons à peu près tous signé les mêmes traités qui garantissent les droits de l’homme, l’intégrité de leur existence personnelle. (M. Yannick Jadot proteste.)

Ainsi, si 40 % des demandeurs d’asile enregistrés à l’Ofpra ont déposé leur demande d’asile dans un autre pays que leur pays d’arrivée, c’est bien le signe que quelque chose ne va pas. Soit les demandeurs d’asile multiplient les demandes partout en Europe, et vous savez que ce n’est pas possible eu égard à leurs conditions de vie, soit ils trouvent en France un intérêt linguistique – ils rejoignent une communauté qu’ils connaissent, par exemple –, ce qui est possible, soit ils rejoignent leur famille – ce qui explique qu’une partie d’entre eux vont en Grande-Bretagne, où se trouvent plus d’un million d’irréguliers, pour retrouver leur père, leur mère, leur fiancé ou leurs enfants –, soit ils trouvent en France des moyens de travailler non officiellement – le texte vise justement à lutter contre cet écosystème irrégulier –, soit, enfin, ils y voient une attractivité sociale. Et cela n’est pas péjoratif dans ma bouche, je ferais exactement la même chose à leur place. Simplement, nous devons avoir à cet égard la même position que l’ensemble des pays européens. De fait, le jour où nous aurons une politique sociale analogue, il n’y aura plus de comparaison possible entre pays.

Ainsi, si ce que vous dites est juste dans certains cas, permettez-moi de dire également qu’il y a quand même une partie de ces personnes qui viennent en France pour y trouver des avantages que l’on ne trouve pas dans d’autres pays. Encore une fois, ce n’est nullement un jugement moral, c’est un constat ; ensuite, qu’on l’assume ou non, cela relève de la décision politique.

En revanche – il faut le dire clairement, tâchons d’être honnêtes –, si je ne suis pas tout à fait certain que les gens viennent en France pour notre modèle social, je suis au contraire à peu près sûr que c’est pour celui-ci qu’ils y restent, ce qui est assez différent. Je ne suis pas sûr que l’on vise spécifiquement la France après un voyage long et difficile, même si – je n’en disconviens pas et il faut en effet y remédier – il peut exister des filières de passeurs qui promeuvent le modèle français, mais il est certain – c’est en tout cas ce que je constate depuis que j’ai pris mes fonctions comme ministre de l’intérieur il y a trois ans et demi – que les gens restent parce que notre système n’incite pas suffisamment les personnes à repartir.

Une personne faisant l’objet d’une OQTF confirmée par la justice, qui a donc passé un certain temps sur le territoire national, peut toujours travailler, peut créer sa boîte d’autoentrepreneur sans qu’on lui demande ses papiers d’identité pour livrer des repas ou conduire des personnes dans des voitures. En effet, en l’état du droit, on peut créer son autoentreprise sans avoir à fournir ses papiers d’identité. Une vraie machine à créer de l’irrégularité ! C’est pourtant conforme à la loi française ; d’où la nécessité de ce projet de loi.

Bref, on peut venir irrégulièrement sur le territoire national et, même quand ses demandes de titre de séjour et d’asile ont été refusées, on peut tout de même créer son entreprise – on paie d’ailleurs des impôts et des charges sociales, sans bénéficier de la protection sociale –, on peut accéder à un logement, notamment à un logement social, et on peut accéder à la santé, notamment dans le cadre de l’AME. On bénéficie même, via ce dispositif, d’une couverture à 100 % au bout de neuf mois, pour des raisons que nous pourrons d’ailleurs évoquer lors du débat.

L’AME n’est pas totémique pour moi, ni dans le sens de son maintien ni dans celui de sa suppression, il faut simplement étudier les choses calmement, sereinement, et en discuter.

Il faut évidemment soigner toutes les personnes qui se présentent devant le système français, mais c’est un fait que l’on est plus couvert après neuf mois d’irrégularité qu’avant. Enfin, on peut tout à fait vivre, on l’a évoqué, en ne partageant en aucune manière les valeurs de la République et sans même parler français.

Tout cela n’incite pas les gens à quitter notre pays. En effet, les OQTF reposent pour l’essentiel sur des départs volontaires : je remets un arrêté de reconduite à la frontière à quelqu’un, qui doit l’exécuter lui-même. Le nombre d’OQTF avec départ forcé, prévoyant un accompagnement policier à l’aéroport, est très faible. Il faut que nous tirions les conclusions du fait d’avoir dit non, définitivement, à quelqu’un.