M. le président. La parole est à M. Frédéric Buval. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Frédéric Buval. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour cette première intervention au sein de notre Haute Assemblée, je tiens à exprimer ma fierté de débattre d’une problématique concrète qui se trouve au cœur des préoccupations de nos concitoyens, tant en France métropolitaine qu’en outre-mer, plus spécifiquement encore en Martinique.

Nous subissons tous l’inflation, qui est ancrée dans le quotidien des ménages, des entreprises et des collectivités locales. Elle gangrène l’économie mondiale et n’épargne pas la France, bien que nous y résistions mieux que nos voisins européens.

En dépit de nos divergences politiques, je suis convaincu que nous partageons un objectif commun : préserver le pouvoir d’achat des Français.

Le projet de loi que le Gouvernement nous soumet se veut une réponse simple et rapide à l’urgence que représente l’impact croissant sur les Français de la hausse des prix alimentaires. L’inflation en France a atteint un niveau record depuis 1985 : +5,2 % en 2022, avec une hausse de 8,3 % concernant les produits alimentaires.

Ce contexte inflationniste à l’échelle internationale est inédit. Il résulte d’une succession de facteurs exceptionnels dont les effets se sont accumulés : une crise sanitaire mondiale sans précédent suivie d’une surchauffe économique mondiale engendrée par l’envolée des prix de l’énergie et la pénurie de matières premières, ayant un impact direct sur la commercialisation de tous les produits, agricoles ou transformés.

Nous le savons, les ménages les plus modestes sont les plus touchés par l’inflation, car ils allouent une part significativement plus importante de leur budget à l’alimentation et aux dépenses essentielles.

Le Gouvernement a mis en œuvre plusieurs mesures volontaristes pour en atténuer les conséquences, mais nous sommes conscients que les Français continuent de subir l’inflation et qu’il est impératif d’agir rapidement pour les protéger.

L’objectif de ce texte est bien de ne pas perdre de temps pour faire baisser les prix à la consommation. La mesure proposée est temporaire et porte exclusivement sur les négociations commerciales, afin que les baisses de prix sur les marchés de gros soient répercutées le plus rapidement possible sur les montants payés par le consommateur final.

Cette action est d’autant plus nécessaire que les prix de certaines matières premières diminuent significativement depuis plusieurs mois, sans que les consommateurs en aient encore bénéficié.

Parce qu’il comprend une date butoir, notre modèle français en matière de relations commerciales a souvent pour effet de transformer les négociations annuelles en un moment de tensions entre les différentes parties prenantes, lesquelles devraient pourtant collaborer comme des partenaires.

Par ailleurs, ce processus ne permet pas le plein déploiement de mécanismes essentiels, tels que les clauses de renégociation et de révision automatique des prix. Lorsqu’ils sont correctement mis en œuvre, ces dispositifs bénéficient pourtant aux consommateurs, sans léser ni les producteurs ni les distributeurs.

Ainsi, la mesure phare de ce projet de loi vise à répondre concrètement aux attentes des Français, tant dans l’Hexagone qu’en outre-mer.

Les territoires d’outre-mer, notamment la Martinique dont je suis désormais l’un des représentants au Sénat, ont souffert de l’inflation et en souffrent encore. À ce titre, nous avons besoin de réformes en profondeur, touchant aussi bien les aspects sociaux, économiques, politiques qu’institutionnels, j’ose le dire.

La cherté de la vie dans ces territoires est un problème structurel qui entrave depuis de nombreuses années le développement économique et social, frappant quotidiennement les populations. Ces dernières endurent les conséquences de cette situation, qui se traduit par un coût des produits et des services structurellement supérieur de 20 % en moyenne à celui qui est pratiqué dans l’Hexagone.

Si la dynamique conjoncturelle peut paraître plus faible, nous partons de bien plus haut que dans l’Hexagone et la lutte contre l’inflation demeure pour nous une priorité absolue.

Je tiens à saluer, à ce sujet, le travail de mon collègue député de la Martinique, M. Johnny Hajjar, rapporteur de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Celle-ci a mis en évidence une différence de prix significative, pouvant atteindre 40 % pour les produits alimentaires, entre les produits vendus dans l’Hexagone et ceux qui sont distribués dans les territoires d’outre-mer.

Les causes de cette situation sont multiples et cumulatives : éloignement géographique, étroitesse des marchés, manque de concurrence commerciale. Elles entraînent une grande précarité sociale et une vulnérabilité des filières locales, lesquelles sont peu structurées et insuffisamment financées pour valoriser leurs productions à des prix compétitifs.

La faiblesse de la concurrence est, à mon sens, un facteur clé du coût élevé de la vie. Les marchés des produits et des services dans les territoires d’outre-mer sont souvent dominés par un petit nombre d’acteurs qui fixent des prix élevés malgré les efforts déployés ces dernières années pour augmenter la transparence en la matière dans tous les territoires d’outre-mer. Je proposerai un amendement pour favoriser encore davantage de transparence sur les marges et sur les prix pratiqués en outre-mer.

En conclusion, mes chers collègues, nous entendons les critiques formulées à l’égard de ce texte, mais nous estimons qu’il est urgent de permettre aux Français de bénéficier de baisses de prix, même si ce n’est que pour quelques semaines.

La commission des affaires économiques a retenu le principe de deux dates pour les négociations. Nous estimons que cette différenciation pose problème ; c’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à rétablir une date butoir unique au 15 janvier 2024. Nous y reviendrons, mais nous considérons qu’une date unique protège mieux les petites et moyennes entreprises (PME) et les ETI. De plus, si nous pouvons gagner deux semaines pour la population française, nous devons le faire.

Pour autant, nous sommes également convaincus que le travail sénatorial impose de trouver des compromis et que tout gain pour les Français est bon à prendre. Tel sera le sens de notre vote à l’issue de l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, allons-nous examiner ce matin une énième loi Égalim ? Il s’agirait alors de la quatrième du genre en cinq ans, soit presque un texte par an. Une telle fréquence démontre clairement que ces lois successives, conçues comme des correctifs de la toute première d’entre elles, adoptée en 2018, sont intrinsèquement inefficaces.

Le Gouvernement présente ce texte comme une mesure de lutte contre l’inflation, en proposant d’avancer exceptionnellement la date butoir pour la signature des accords commerciaux entre les distributeurs et les gros fournisseurs au 15 janvier prochain, avec pour objectif de permettre à nos concitoyens de bénéficier plus tôt d’une baisse des prix des matières premières et des produits qui en découle.

Nous estimons pour notre part que ce texte est stérile, qu’il n’emportera pas les conséquences annoncées, voire qu’il pourrait déclencher des effets pervers. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une gesticulation supplémentaire pour donner l’impression que le Gouvernement est dans l’anticipation et dans l’action, alors qu’il demeure dans la tétanie la plus totale.

Ce constat est également valable pour d’autres sujets, comme l’agriculture ou la transition écologique. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les discours du Président de la République, qui craint tant de faire preuve de courage politique qu’il préfère ne rien proposer de nouveau.

Comment ce texte pourrait-il avoir une influence positive sur l’inflation ? Bien que celle-ci semble ralentir, il serait illusoire de penser que nous reviendrons à une situation ex ante. Annoncer une réduction des prix est donc intellectuellement malhonnête ; malheureusement, ceux-ci vont se maintenir à leur niveau actuel, voire augmenter pour certains produits de base comme le beurre ou le sucre.

Ce texte n’est qu’un pari. Avancer la date butoir ne garantit en rien l’issue des négociations, alors même que les industriels se plaignent déjà de ne pas pouvoir répercuter tous les coûts sur leurs prix.

En vérité, ce sont les deux extrémités de la chaîne qui seront probablement touchées : les producteurs, sans lesquels rien n’est possible, et les consommateurs, qui sont censés être protégés par ce texte, mais qui devront de toute façon payer le prix affiché.

Ce n’est pas sans raison que plusieurs syndicats agricoles ont très mal accueilli ce projet de loi : celui-ci présente un risque tangible pour les revenus des agriculteurs. En avançant la date butoir des négociations, on risque d’exercer une pression sur les prix agricoles, alors même que, comme vous le savez bien, madame la ministre, mes chers collègues, les paysans sont confrontés à une hausse significative de la quasi-totalité de leurs charges.

Nous avons donc souhaité déposer des amendements à l’article 1er, qui constitue l’essentiel de ce texte. Nous proposons ainsi une réouverture anticipée des négociations commerciales si l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ou la DGCCRF constataient, au sein d’une filière, une déformation du partage de la valeur entraînant une hausse des prix déraisonnable, répercutée sur le consommateur.

Nous proposons également que les contrats entre distributeurs et fournisseurs intègrent des modalités de révision des prix en fonction d’indicateurs reflétant l’évolution des coûts des matières premières et des facteurs de production. En effet, si ces contrats étaient mieux encadrés, s’ils contenaient des indicateurs rendant compte fidèlement des prix des matières premières agricoles (MPA) et industrielles (MPI), il ne serait pas nécessaire d’avancer les dates des négociations commerciales et les prix en grande distribution pourraient être adaptés plus rapidement.

Madame la ministre, le principal problème que présente votre projet de loi est qu’il ne traite pas de la totalité de la problématique de l’inflation, car il ne permettra pas de réguler les relations commerciales. Plutôt que de nous soumettre un texte comportant des mesurettes, pourquoi le Gouvernement ne veille-t-il pas à la stricte application des lois existantes en la matière ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. C’est ce que j’ai dit !

M. Christian Redon-Sarrazy. Pourquoi ne renforce-t-il pas les contraintes sur la grande distribution et sur les industriels de l’agroalimentaire ?

Le mécanisme de révision des prix est dysfonctionnel, nous le savons tous : la succession des lois Égalim prouve que l’État se contente de compter les points et ne parvient pas à s’imposer face aux différents acteurs.

Sans aller jusqu’à réclamer une économie entièrement sous contrôle, il nous semblerait normal que l’État joue son rôle de régulateur et rééquilibre le rapport de force au sein de la chaîne de production alimentaire, en mettant un terme à la guerre des prix entre les industriels et la grande distribution.

S’il entend préserver le pouvoir d’achat des Français, il ne saurait se contenter de laisser agir le marché, la recherche des intérêts particuliers ne servant jamais, hélas ! l’intérêt général.

Pour autant, en dépit de ses lacunes, nous n’entendons pas voter contre ce texte, parce que nous ne souhaitons pas adresser un mauvais signal aux Français, qui pourraient croire ainsi que la lutte contre l’inflation nous laisse indifférents. Nous ne voulons pas non plus ne pas prendre part au vote, au risque que les sénateurs de la majorité décident seuls du texte finalement retenu.

Tenant à manifester ses doutes profonds sur les capacités de ce projet de loi à atteindre son but, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte s’apparente à une vraie fausse bonne idée, et ce pour plusieurs raisons que notre rapporteure a déjà évoquées.

Certes, l’important travail réalisé à l’Assemblée nationale nous place, nous, sénatrices et sénateurs, dans un piège terrible. Nous avons en effet l’obligation de corriger les dates qui ont été retenues, mais qui sont en total décalage avec la capacité des entreprises – indépendamment de leur taille – à mener à bien dans un tel laps de temps des négociations annuelles.

De plus, ce texte semble ignorer la réalité du niveau d’activité de certains secteurs au mois de décembre.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Non !

M. Daniel Gremillet. Solliciter des chefs d’entreprise, en particulier ceux des plus petites structures, pour des négociations au mois de décembre, alors même que l’activité bat son plein, démontre une méconnaissance de la réalité du terrain.

M. Daniel Gremillet. À mon sens, ce texte est donc en complet décalage avec la vraie vie.

Madame la ministre, le Sénat a toujours été clair dans son analyse des différentes lois Égalim. En 2023, contrairement à ce qui a été avancé, Égalim a porté ses fruits : les clauses de renégociation ont été efficaces lorsque les prix des matières premières ont baissé. (Mme la ministre déléguée fait un signe de dénégation.) Si ! Les auditions menées par le groupe de suivi sur les États généraux de l’alimentation que je préside en attestent : nous avons la preuve que, dans cette configuration, les prix ont bien baissé.

De plus, à ce jour, les indicateurs sur lesquels repose ce nouveau projet de loi Égalim ne sont toujours pas connus.

Nous connaissons tous le terrain et, comme vous, madame la ministre, nous sommes tous interpellés. Récemment, un chef d’entreprise m’a montré des chiffres, en présence de la préfète de mon département, indiquant une augmentation de 314 % des coûts énergétiques en 2023 par rapport à 2021 et une prévision d’augmentation de 272 % pour 2024. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. C’est vrai !

M. Daniel Gremillet. Cette situation n’est pas propre à mon département : elle témoigne de la réalité dans tous les territoires.

Madame la ministre, le Gouvernement a lancé le 16 octobre dernier une conférence sociale sur l’évolution des salaires, reconnaissant ainsi que nous étions entrés dans un contexte d’inflation et qu’il était impératif d’offrir aux salariés des moyens d’améliorer leur niveau de vie. C’était nécessaire.

Pour autant, en ciblant le secteur agroalimentaire, vous démontrez votre méconnaissance de sa situation : le poids de la main-d’œuvre y représente une part très importante du prix final.

Encore un point sur la réalité quotidienne de nos concitoyens : le sujet que nous abordons aujourd’hui ne concerne que 50 % du panier alimentaire des Français, car seuls les produits de marques nationales sont concernés – pas les marques de distributeurs (MDD). Par conséquent, ce débat parlementaire ne porte que sur la moitié des produits alimentaires consommés par nos familles. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Primas applaudit.)

M. Daniel Gremillet. En outre, lors de ses propres travaux, Laurent Duplomb a fait le constat alarmant, preuves à l’appui, que l’assiette quotidienne des Français se vidait progressivement des produits de nos territoires. Nous ne pouvons rester indifférents à cette situation ; nous ne saurions continuer à fragiliser nos concitoyens, alors même que vous avez pour ambition, madame la ministre, avec notre soutien, de relocaliser des productions alimentaires dans nos territoires.

Lors des travaux menés par le Sénat, nous avons observé que les règles propres à la MPA avaient été globalement respectées dans le cadre de la loi Égalim, en ce qui concerne les marques nationales. Une nouvelle perspective s’ouvre pour 2024, car, grâce au Sénat, ces règles concerneront alors l’ensemble des productions, y compris les MDD.

Par ailleurs, les coûts issus de la matière première industrielle ont, quant à eux, été répercutés à hauteur de 30 % à 50 % par les entreprises, quelle que soit la taille de ces dernières. Nous disposons, là encore, d’éléments pour en apporter la preuve.

Cette question illustre la politique à la française : la loi Égalim vise surtout l’avenir, puisqu’elle conduit à élaborer des indicateurs. Prenons l’exemple du lait. Malgré cette loi, à cause de l’envolée des prix, son prix en France a été inférieur de 110 euros par mille litres par rapport à l’Allemagne et de 160 euros par rapport à l’Irlande. Les mécanismes issus de ce texte, qui devaient conduire à adapter le prix versé aux fournisseurs de lait en fonction de la réalité du marché, n’ont donc pas joué leur rôle.

Pour autant, cette situation a emporté une conséquence positive : alors que les prix alimentaires se sont envolés de plus de 20 % en Allemagne en 2022, nous avons réussi à limiter cette hausse à 12 % en France.

Nous étions donc considérés comme les derniers de la classe en Europe en matière de prix du lait ; pourtant, actuellement, la France offre le prix le plus élevé, soit 40 euros de plus. Ces chiffres démontrent objectivement la réalité dans laquelle nous nous trouvons.

Il est essentiel de ne pas fragiliser nos marques, quelle que soit la taille des entreprises concernées ; celles-ci font face à un mur d’investissements afin de décarboner leurs activités et de mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles, notamment en ce qui concerne les emballages. Nous ne disposons pas encore de toutes les solutions pour répondre à ces enjeux.

Pour toutes ces raisons, je considère, au nom du groupe Les Républicains, que ce texte est une fausse bonne idée. Son adoption pourrait se traduire par des hausses plutôt que par des baisses de tarifs. Toutefois, ce serait à ce prix que nous sauverions notre souveraineté alimentaire.

Madame la ministre, la France n’est pas dans une bulle, nous sommes bel et bien entrés dans l’inflation. Il est temps de reconnaître cette réalité.

C’est pourquoi nous soutiendrons les travaux de notre rapporteure. Dans leur majorité, les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte, contraints et forcés. Pour autant, nous estimons que celui-ci ne constitue pas une réponse adéquate pour nos concitoyens. En tant que législateurs, nous avions des missions bien plus importantes à accomplir dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus d’un an, l’hiver allait démarrer et nous nourrissions des inquiétudes et des incertitudes : aurions-nous suffisamment d’énergie pour nous chauffer ? Les prix flambaient, les tarifs des produits de grande consommation s’envolaient ; pour les Français, l’inflation s’amorçait. Notre situation actuelle est légèrement meilleure, mais elle reste toujours fragile.

Le risque inflationniste sur les matières premières est une épée de Damoclès qui plane au-dessus du pouvoir d’achat des Français. Certes, la décrue des prix à la production a commencé, comme nous l’indiquent les chiffres de l’Insee qui se trouvent dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, mais sommes-nous certains que cette tendance va se poursuivre ?

Je tiens, au préalable, à saluer les efforts fournis par le Gouvernement depuis ce fameux hiver 2022 pour protéger au mieux les Français. Renforcer cette action de lutte contre l’inflation est un objectif louable, comme l’est celui d’accélérer le mouvement. Pour autant, des interrogations majeures demeurent.

La première d’entre elles est simple : les dispositions que nous examinons produiront-elles un effet réel ? Sur le papier, avancer la date des négociations commerciales semble une solution intéressante : les Français pourraient ainsi voir baisser les prix plus rapidement et en bénéficier dès le début de l’année.

Pourtant, nous nous interrogeons sur la faisabilité de négociations si rapides pour les distributeurs comme pour les fournisseurs. J’ai en particulier à l’esprit nos PME et les entreprises de taille intermédiaire sur nos territoires. Nous sommes tous concernés par ces enjeux de grande consommation dans nos départements, où les producteurs et industriels sont nombreux, comme c’est le cas dans le Maine-et-Loire.

Le 30 mars dernier, nous avons déjà modifié les règles relatives aux négociations commerciales, et cette révision n’a pas encore eu le temps de produire ses premiers effets. Or un système équilibré est très complexe à mettre en place.

L’intensité des échanges en commission a montré combien il était nécessaire de permettre rapidement à la baisse des prix de production de se répercuter sur le panier des ménages. Pour autant, elle a également illustré les craintes qui se font jour quant à l’utilité réelle de l’outil proposé ici.

Je me félicite du travail de la rapporteure Anne-Catherine Loisier et de la commission des affaires économiques. Cependant, les modifications apportées au texte ne nous semblent pas non plus de nature à répondre à l’objectif affiché. Qu’il s’agisse de l’avancement de quelques semaines de la date prévue dans le droit actuel ou des différences opérées entre fournisseurs en fonction de leur chiffre d’affaires, les répercussions de ces mesures ne sont pas claires.

L’amélioration attendue ne sera donc pas forcément au rendez-vous, mais, si les conséquences de ce texte devaient être neutres, nous aurions alors légiféré pour rien et suscité des espoirs qui seront, une fois de plus, déçus.

Notre priorité est la protection des consommateurs et, à cette fin, nous avons besoin d’un texte à effet positif, offrant de la stabilité à un secteur soumis à de multiples tensions. Or ce projet de loi n’aborde pas cet aspect.

Il nous faut apporter des réponses structurelles importantes, mais, pour le moment, nous peinons à les imaginer. Nous devrions, par exemple, amorcer un travail important sur les marques de distributeurs ou encore relancer l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Ce point est central, s’agissant de la grande consommation et des acteurs qui la construisent.

La grande distribution est confrontée à de nombreux défis, l’inflation a des causes multiples et l’avenir nous laisse entrevoir encore bien des sujets. La décarbonation du secteur fait partie de cette longue liste, comme les enjeux environnementaux en tout genre ou encore les nouvelles formes de consommation.

Mes chers collègues, vous l’avez compris, nous partageons l’objectif de ce projet de loi et nous en comprenons le sens, mais nous restons perplexes quant à ses effets.

La succession de crises que nous connaissons nous contraindra peut-être à repenser notre modèle économique. Nous devons nous y consacrer collectivement.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au mois de septembre 2023, l’inflation atteignait encore 4,9 % dans notre pays. La hausse du prix de l’alimentation se chiffrait, quant à elle, à 20 % en dix-huit mois – un niveau record qui devrait nous inquiéter et nous inviter à agir.

L’inflation a ralenti ces derniers mois, mais le contexte géopolitique actuel rend incertaines les perspectives de baisse du phénomène, notamment en raison du retour de la hausse des coûts de l’énergie.

C’est dans ce contexte préoccupant que le Gouvernement nous présente ce projet de loi.

Discuté dans l’urgence, ce texte s’apparente malheureusement davantage à une opération de communication du ministre de l’économie qu’à une véritable mesure de lutte contre l’inflation.

Ce quatrième texte sur le sujet en cinq ans se borne à détricoter les lois Égalim précédentes, alors même que nous disposons de peu de recul sur leur application. Une telle instabilité législative est particulièrement préjudiciable pour nos TPE, nos PME et nos ETI.

De plus, son utilité reste à démontrer. Ne comportant que des mesures dérogatoires et temporaires, ce texte a vocation à s’appliquer seulement entre trente et quarante-cinq jours, mais présente un véritable risque pour la stabilité des relations commerciales.

Sa mesure phare – l’avancée de la date butoir clôturant le cycle des négociations commerciales – ne comporte aucune garantie en matière de pouvoir d’achat des Français. Son champ d’application est d’ailleurs trop restreint, dans la mesure où elle cible essentiellement les produits de marques.

Par ailleurs, la compression de la durée de la période de négociation pourrait mettre en difficulté certaines de nos entreprises. La date du 31 décembre était ainsi irréaliste et totalement inadaptée au calendrier d’un certain nombre d’établissements, notamment alimentaires, qui font l’essentiel de leur chiffre d’affaires en fin d’année.

Le groupe Union Centriste salue le travail de notre rapporteure de la commission des affaires économiques, Anne-Catherine Loisier, pour améliorer ce texte et assurer la protection de nos entreprises.

Je souhaite quant à moi revenir sur deux mesures qui me semblent importantes.

En premier lieu, le report de la date butoir au 15 et 31 janvier permettra aux PME de bénéficier d’un délai plus adapté dans leurs négociations anticipées. Je relève également l’importance du maintien du principe de différenciation des périodes de négociation.

En second lieu, l’exigence de consolidation des chiffres d’affaires retenus, introduite par l’adoption d’un amendement que j’ai défendu en commission, est un point primordial pour éviter toute distorsion dans les négociations.

J’estime toutefois qu’il aurait été intéressant de mieux sécuriser le cadre légal des clauses de renégociation et de les rendre plus opérantes et plus dynamiques afin de doter les acteurs d’un véritable outil pour répercuter les variations de prix. Le Sénat s’était du reste mobilisé en faveur d’une telle disposition lors de la discussion de ce qui deviendrait la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite Égalim 3.

L’inflation pénalisant lourdement les Français, elle appelle des mesures concrètes et immédiates. Des réponses devront être également apportées lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

Tout en doutant que ce texte permette de répondre à ces attentes, nous le voterons, par souci d’exigence et de responsabilité, dans sa version amendée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation » : quoi de plus important quand, depuis deux ans, nous sommes dans une spirale inflationniste majeure ; quand de nombreuses familles, en particulier les plus vulnérables, n’arrivent plus à se nourrir et doivent choisir entre manger, se chauffer, se soigner ou se déplacer ? Oui, quoi de plus important ?

Et pourtant, il n’y a rien dans ce texte : aucune véritable mesure d’urgence pour lutter contre l’inflation.

Rien sur la question de la spirale prix-profits qui souligne l’échec des politiques de concurrence menées jusqu’à aujourd’hui.

Rien pour encadrer les superbénéfices des entreprises, de l’agroalimentaire ou de la grande distribution, qui profitent de l’inflation pour « se goinfrer » en gonflant leurs marges au détriment des consommateurs.

Rien pour soutenir les produits labellisés « Agriculture biologique » ou les produits qui garantissent l’origine, le respect de l’environnement et le bien-être animal. Nous avons pourtant proposé un amendement visant à rendre ces produits plus accessibles en encadrant les marges, mais celui-ci a été déclaré irrecevable.

Rien, si ce n’est une petite – une toute petite – ambition : l’avancement de six semaines des négociations commerciales entre les distributeurs et les grandes marques, avec l’espoir de peut-être faire baisser les prix au début du mois de février prochain. Une toute petite ambition, alors que l’inflation frappe de plein fouet les plus fragiles d’entre nous.

Je ne citerai que trois données, madame la ministre : 10 % des Français déclarent ne pas pouvoir se chauffer ; 25 % déclarent ne pas pouvoir se payer une semaine de vacances ; 51 %, soit la moitié de la population, affirment se priver occasionnellement ou régulièrement d’un repas.

Ce texte devrait remédier aux files d’attente qui s’allongent devant les points de distribution des Restos du Cœur, où 170 millions de repas ont été servis en un an, soit 30 millions de plus que l’année précédente.

Proposer la charité des millionnaires en lieu et place de politiques publiques ambitieuses d’encadrement des marges et des prix est une erreur indécente, madame la ministre.

Ce texte de loi, rustine supplémentaire, atteste l’absence de volonté du Gouvernement de proposer des mesures structurelles qui répondent à l’urgence sociale à laquelle nous faisons face.

Tout le monde s’entend à dire que ce projet de loi ne va pas grandement changer les prix dans les supermarchés et qu’il aura sans doute peu d’effets.

Il comporte pourtant quelques petites avancées, notamment grâce aux améliorations apportées par les parlementaires. Je remercie à ce titre Anne-Catherine Loisier de son engagement et du travail qu’elle a accompli en tant que rapporteure.

L’une de ces avancées est la différenciation des périodes de négociation des PME et des entreprises de taille intermédiaire de celles des grands groupes de l’agroalimentaire.

Ce texte permettra – c’est sa seule vertu en l’état – aux petites et moyennes entreprises, bien souvent solidement implantées dans nos régions, d’avoir peut-être un petit peu plus de place dans les linéaires de la grande distribution.

Vous l’aurez toutefois compris, mes chers collègues, ce texte – c’est son vice – fait l’impasse sur le problème de pouvoir d’achat des Françaises et des Français, qui est en train de se transformer en problème de pouvoir de vivre.

Ce que nous voulons, nous, écologistes, c’est changer les règles du jeu.

Nous voulons un véritable soutien à une agriculture rémunératrice et écologique.

Nous voulons un véritable soutien à la demande locale, pour des produits de qualité rémunérés équitablement.