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Situation au Proche-Orient

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la situation au Proche-Orient.

La parole est à Mme la Première ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ces dernières semaines ont été marquées par un retour brutal et tragique de la violence au Proche-Orient. Un retour aux conséquences lourdes, qui inquiète beaucoup de nos concitoyens.

Dans ce contexte, vos interrogations sont légitimes et débattre de la situation était un impératif démocratique.

Je voudrais insister sur le caractère extrêmement évolutif de la situation, ce qui est évidemment le cas avec le déplacement, en ce moment même, du Président de la République.

Comme je l’ai fait hier à l’Assemblée nationale, je ne peux pas m’exprimer devant vous sans commencer par revenir sur les faits.

Le 7 octobre dernier, une attaque terroriste barbare a été menée par le Hamas et le Djihad islamique contre l’État d’Israël.

Des crimes odieux ont été commis. Des centaines de civils ont été massacrés. Des jeunes ont été sauvagement assassinés lors d’une fête. Des actes monstrueux ont été perpétrés dans des kibboutz, comme à Be’eri, Kfar Aza ou Réim. Avec une brutalité sauvage, des femmes, des hommes, des personnes âgées, des enfants ont été enlevés ou assassinés.

Au total, près de 1 400 personnes ont été tuées dans les attaques terroristes de ce mois d’octobre. Et si quatre otages ont été libérés, plus de deux cents personnes sont encore retenues. Parmi les victimes, trente de nos compatriotes ont été tués et neuf sont encore retenus en otage ou portés disparus.

Cette attaque n’était en rien comparable aux épisodes de violence, comme il y en a malheureusement eu d’autres dans l’histoire de cette région. Ce déchaînement de barbarie, commandité et mis en œuvre par le Hamas, montre un changement de nature et d’échelle.

Il s’agissait d’une action complexe et préméditée, qui visait à atteindre Israël et sa population en son cœur.

Avant de poursuivre mon propos, je tenais à rappeler ce bilan.

Tout comme le Président de la République a eu l’occasion de le faire encore ce matin, et comme je l’ai déjà fait devant vous, je veux exprimer, une nouvelle fois, ma solidarité envers le peuple israélien dans cette épreuve.

Je veux avoir une pensée particulière pour nos ressortissants, notamment pour les victimes françaises et les disparus, pour leurs proches et leurs familles.

Dès son arrivée en Israël ce matin, le Président de la République a rencontré individuellement les familles des victimes et des disparus pour les assurer de notre plein soutien comme de notre accompagnement dans le deuil et l’inquiétude.

Nous sommes à leurs côtés. Nous partageons leur peine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, minimiser, justifier voire absoudre le terrorisme, c’est accepter qu’il frappe de nouveau demain, en Israël, en France ou partout ailleurs.

Nous ne devons faire preuve d’aucune ambiguïté face à de tels crimes.

Le Président de la République l’a encore affirmé avec force tout à l’heure aux côtés du Premier ministre israélien : Israël a droit à la sécurité, Israël a le droit de se défendre dans le respect du droit international.

Ceux qui confondent le droit du peuple palestinien à disposer d’un État et la justification du terrorisme commettent une faute morale, politique et stratégique.

Soyons très clairs : le Hamas ne porte pas la cause palestinienne. L’Autorité palestinienne est notre interlocuteur légitime, qui se bat depuis des années pour la paix et qui a besoin de notre soutien. Le Président de la République s’entretient d’ailleurs, en ce moment même, avec le président Mahmoud Abbas à Ramallah.

En agissant comme il l’a fait, le Hamas a exposé délibérément, de manière criminelle et cynique, toute la population de Gaza. Il utilise les populations civiles comme bouclier humain. Il met en péril les espoirs de paix dont le peuple palestinien a tant besoin.

Si je souhaitais commencer par rappeler le bilan tragique des attaques terroristes de ce mois d’octobre, si je m’apprête à évoquer les milliers de victimes civiles de Gaza et la situation humanitaire épouvantable dans la zone, c’est parce que nous ne devons pas perdre de vue l’ampleur et la gravité de la crise qui se joue.

Il y a des morts. Il y a des familles brisées.

C’est une tragédie.

Je l’ai dit clairement hier : il n’y a pas de victimes qu’il conviendrait de pleurer moins que d’autres.

Il n’y a pas de vies qui valent moins que d’autres.

Nous sommes aussi aux côtés des familles palestiniennes endeuillées.

Dans chacune de nos interventions, nous aurons l’occasion de faire entendre nos sensibilités politiques et nos différences. Mais face à la gravité de la situation, j’ai confiance dans le Sénat pour débattre en responsabilité, avec la mesure et la hauteur de vue qui caractérisent cette assemblée et que la situation exige.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le 7 octobre, le Président de la République a été en contact très étroit avec les autorités israéliennes.

Il a porté un message clair, qu’il a encore répété tout à l’heure : Israël a évidemment le droit de se défendre face au terrorisme. Les civils doivent être épargnés. La réponse militaire doit se faire dans le respect du droit international, notamment du droit international humanitaire. Les populations ne doivent pas payer pour les crimes des terroristes.

Notre pays ne connaît que trop bien le lourd tribut des attentats. Nous devons l’affirmer avec force : dans la lutte contre le terrorisme, il ne s’agit jamais de se renier. Si le terrorisme doit être combattu, la réponse des démocraties doit être juste.

Même dans les combats les plus durs, les plus âpres, nous ne devons jamais perdre de vue ce qui fait de nous des démocraties. Notre amitié et notre solidarité avec le peuple israélien nous obligent à formuler cet appel : Israël ne doit pas tomber dans le piège du Hamas.

Plusieurs milliers de Palestiniens sont morts à Gaza, dont plus de 2 000 enfants. Des journalistes et plusieurs dizaines d’employés des Nations unies ont été tués. Les deux millions d’habitants de Gaza sont dans une situation d’une extrême gravité. Ces milliers de vies fauchées nous touchent au cœur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce contexte, le Gouvernement est mobilisé sur plusieurs fronts et nous avons pris ces derniers jours les mesures urgentes et immédiates qui s’imposaient.

Tout d’abord, nous agissons depuis la première heure pour la sécurité de nos ressortissants.

Une cellule a immédiatement été activée au centre de crise du ministère des affaires étrangères. Les services du Quai d’Orsay, notre ambassade, notre consulat général à Tel-Aviv et notre consulat général à Jérusalem travaillent jour et nuit pour assurer un soutien aux familles de nos compatriotes portés disparus ou tués dans les attaques.

Bien sûr, nous accordons une attention particulière aux familles des disparus. Je l’ai dit, le Président de la République s’est entretenu avec elles ce matin, dès son arrivée en Israël. Nous sommes en lien permanent avec ces familles pour répondre à leurs inquiétudes.

S’agissant des otages, le Président de la République a rappelé aujourd’hui que notre première priorité était leur libération. Nous mettons tout en œuvre pour l’obtenir au plus vite et sans condition.

Nous sommes par ailleurs en lien avec la communauté française qui est sur place pour lui apporter le soutien nécessaire.

En deux semaines, la France a permis à 3 600 de nos compatriotes de rejoindre le territoire national depuis Israël, grâce à l’affrètement de moyens civils et au soutien de nos armées.

Je n’oublie pas les dizaines de Français bloqués à Gaza, dans des conditions extrêmement précaires. Nous gardons un contact très régulier avec eux. Nous poursuivons nos efforts pour qu’ils puissent quitter la zone.

Permettez-moi de rendre une nouvelle fois hommage aux diplomates, aux militaires, aux fonctionnaires français, engagés sans compter dans cette situation très éprouvante.

Ensuite, la France est mobilisée pour venir en aide aux populations de Gaza.

À Gaza, nous devons regarder en face l’ampleur de la catastrophe humanitaire en cours. Plus d’un million de personnes ont été déplacées. L’accès aux services essentiels est quasiment interrompu. La nourriture et le fioul manquent. Les civils n’ont plus d’eau. Les hôpitaux sont saturés. Personne ne peut rester insensible face à ce drame humanitaire.

Derrière l’ampleur des bilans macabres, il y a des femmes et des hommes. Il y a des familles. Il n’y a pas de nationalité, d’origine ou de religion qui vaille pour mesurer la gravité des événements quand des civils meurent.

Chaque vie civile perdue est un échec pour la communauté internationale. Les populations palestiniennes ne peuvent être abandonnées à leur propre sort. Notre solidarité avec elles ne saurait être mise en doute.

C’est pourquoi nous demandons une trêve humanitaire qui permette un accès sûr et immédiat pour l’acheminement d’eau, de nourriture, de fioul, ainsi que d’aide humanitaire et médicale à Gaza. Cet accès doit se faire sous l’égide des Nations unies et la sécurité des personnels humanitaires doit être garantie.

Même si plusieurs convois ont désormais pu franchir la porte de Rafah, entre l’Égypte et la bande de Gaza, c’est encore insuffisant. Nous appelons à ce que la porte de Rafah reste ouverte pour qu’une aide à la hauteur de la situation puisse être fournie aux populations civiles.

Comme l’a souligné la ministre Catherine Colonna au Caire ce week-end, la distribution d’aide exige une trêve humanitaire qui pourra mener à un cessez-le-feu.

Nous demandons cette trêve au plus vite.

C’est un point important, et je le répète face aux contrevérités diffusées notamment par la propagande russe : au Conseil de sécurité des Nations unies, la France a soutenu le projet de résolution présenté par le Brésil dans cet objectif.

La ministre des affaires étrangères est aujourd’hui à New York, précisément pour faire avancer les négociations au Conseil de sécurité. Nous appelons à mettre fin le plus vite possible à cette période de violence.

De plus, comme le Président de la République l’a affirmé tout à l’heure, l’urgence est à rétablir l’électricité dans les hôpitaux.

La France a toujours soutenu les populations civiles palestiniennes. Elle a ainsi fourni près de 100 millions d’euros d’aide pour les Palestiniens en 2022. Cette aide est concentrée sur des secteurs vitaux : l’eau, la santé, l’éducation, l’agriculture.

Face à la situation actuelle, comme l’a annoncé le Président de la République, nous avons décidé d’une aide supplémentaire de 10 millions d’euros et nous enverrons prochainement un avion de fret humanitaire pour soutenir la population de Gaza.

En outre, face à l’urgence, l’Union européenne a répondu présent : le montant de son aide humanitaire à Gaza a été triplé et deux vols ont permis d’acheminer plus de cinquante tonnes d’aide à la frontière.

Le Conseil européen de cette fin de semaine sera l’occasion de revenir sur le sujet et de faire un point sur le soutien que l’Europe peut apporter.

Puisque j’évoque l’aide que nous apportons à la population palestinienne de Gaza, je voulais en profiter pour revenir sur certaines questions soulevées ces derniers jours.

Il est légitime de s’interroger et de veiller à ce que notre aide humanitaire ne puisse pas tomber entre de mauvaises mains. Pour autant, gardons-nous de jugements hâtifs et définitifs, qui ne se fondent que sur une vision biaisée des faits.

Comme je l’ai dit hier, les procédures mises en place pour éviter tout détournement de notre aide par le Hamas ou le Djihad islamique sont strictes et scrupuleusement respectées.

D’abord, notre aide bilatérale, comme pour tous nos partenaires, est fournie avec l’accord de la communauté internationale, dont Israël, selon des procédures agréées.

Ensuite, notre aide est mise en œuvre par des agences de l’ONU et porte sur des projets concrets, comme je l’ai évoqué.

Enfin, les aides sont contrôlées par l’administration israélienne elle-même. C’est le cas pour nous, comme pour nos partenaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le troisième pilier de l’action de la France, c’est la mobilisation pour éviter un embrasement régional.

Depuis la première heure, le Président de la République, la ministre des affaires étrangères et le ministre des armées ont multiplié les échanges avec leurs homologues de la région.

Le Président de la République est aujourd’hui en Israël, où il a pu marquer notre solidarité envers les familles et faire entendre la voix singulière de la France en faveur d’un processus politique permettant d’éviter l’escalade.

Le Président de la République a été clair sur la responsabilité attendue de certains acteurs de la région, afin d’éviter un embrasement régional.

Il a également proposé de bâtir une coalition régionale et internationale pour lutter contre les groupes terroristes qui nous menacent tous. Nous y travaillerons activement avec nos partenaires internationaux.

Mais nous le savons, la lutte implacable contre le terrorisme ne peut remplacer la recherche de la paix.

La France plaide – et plaidera – pour un règlement durable du conflit, autour d’une solution à deux États. Les conditions sont claires : des garanties indispensables pour la sécurité d’Israël et un État pour les Palestiniens. C’est la ligne que la France défend avec constance et qu’elle continuera de porter.

La sécurité durable d’Israël, la lutte résolue pour l’éradication du terrorisme dans la région et le respect des aspirations légitimes de chacun forment un ensemble indissociable.

Les États de la région ont, à ce titre, une responsabilité particulière. La dynamique de normalisation des relations entre Israël et plusieurs des États de la région est souhaitable. Elle doit s’accompagner d’une relance décisive du processus politique pour répondre aux aspirations légitimes des Palestiniens et des Israéliens.

Notre responsabilité est grande et nous l’assumons.

La France est capable de parler à tout le monde. Le Président de la République se rendra d’ailleurs ce soir à Amman.

Cette position indépendante, nous l’avons toujours assumée. Une position qui nous donne un rôle pivot pour aider à tracer le chemin de la paix.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation au Proche-Orient est complexe, elle est difficile. Elle conduit à des drames épouvantables, comme nous avons encore pu le mesurer ces derniers jours. Elle a des conséquences lourdes sur la sécurité internationale. Elle trouve un écho particulier dans chaque pays.

Dans ce contexte, la France a une voix singulière. Une voix issue d’une longue histoire qui nous confère une responsabilité. Une voix qui ne méconnaît aucune des souffrances et défend toujours l’exigence de justice et le respect du droit humanitaire.

Cette voix, la France continuera inlassablement de la porter. Nous n’avons pas le droit de renoncer. La seule solution, c’est la paix. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE-K.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, finalement, c’est non pas l’examen d’une proposition de résolution, mais un débat sans vote… En cela, je souscris au rappel au règlement de mon collègue Hervé Marseille en début de séance.

La différence entre l’examen d’une proposition de résolution et un débat, c’est le vote, qui permet à chacun de s’engager. Mais surtout, la raison d’être d’une assemblée et du Parlement, c’est la délibération.

Nous allons donc débattre.

Entre-temps, un professeur de français est mort. Il a été frappé par la bête immonde islamiste sur le sol de France, sur le sol sacré de l’école républicaine.

Cet événement monstrueux – parce que c’est un événement monstrueux – renforce encore davantage la nécessité pour notre assemblée de débattre et, surtout, de s’exprimer sur ces événements qui sont liés.

Pourquoi ? Parce que, d’une part, comme je l’indiquais, tout est lié et ce qui se passe là-bas nous concerne, ici, en même temps.

Parce que, d’autre part, notre réponse ne peut souffrir la moindre ambiguïté ni la moindre hésitation.

Pourquoi sommes-nous directement concernés par ce qui se passe là-bas ? Nous le sommes pour trois raisons, je crois.

D’abord, nous partageons avec le peuple juif, comme avec tous les peuples du monde, la même condition humaine.

Ce qui est inhumain ne doit pas nous être étranger. Comment ne pas être horrifié par les images qui nous sont parvenues ? Comment ne pas être horrifié par ces familles brûlées vives, par ces femmes enceintes éventrées, par ces enfants – symbole de l’innocence –, nouveau-nés, décapités, parce que juifs ? Comment ne pas être horrifié par ces exactions qui constituent – oui, Hervé Marseille – un crime contre l’humanité ? Comment ne pas voir, dans cette violence paroxystique, la poursuite de l’entreprise génocidaire par d’autres moyens ? Rappelez-vous, les Tutsis ont été massacrés à l’arme blanche, à la machette.

Nous sommes donc concernés et ce lien réside, d’abord, là, dans notre humanité commune.

Il réside ensuite dans cette alliance, dans cette amitié, autant de liens avec Israël, qui sont irrévocables : des liens historiques, forgés dans le creuset de nos racines judéo-chrétiennes, des liens culturels et des liens civiques, parce que nous partageons avec Israël les valeurs communes de la démocratie, si rare au Proche-Orient.

C’est au nom de cette amitié à la fois spirituelle et civique que les terroristes nous visent et veulent nous détruire, comme ils veulent détruire Israël, tout simplement parce que nous figurons tous deux – si j’ose dire – au sommet de l’échelle de la mécréance : nous, en raison de notre laïcité et Israël, parce que c’est le peuple juif.

Enfin, nous sommes liés par le sang versé, par le sang français versé.

Madame la Première ministre, au moment où je vous parle, trente de nos compatriotes sont morts et Dominique Bernard a été lâchement assassiné.

Le sang français versé.

Les images insoutenables que nous avons découvertes nous en rappellent d’autres qui nous hantent encore : celles des attentats.

À mon sens, plus qu’aucun autre peuple sur la planète, le peuple français doit de se tenir aux côtés du peuple juif, car nous avons connu la même morsure sanglante du terrorisme, du totalitarisme islamiste.

Alors que faire, désormais ? D’abord, bien sûr, nous tenir aux côtés d’Israël.

Je soulignerai simplement un point qui me paraît fondamental et que vous avez abordé, madame la Première ministre, dans votre intervention.

Cette violence inouïe n’est pas l’expression désespérée de la cause palestinienne ; c’est la résurgence du totalitarisme islamiste. Que ce soit bien clair !

Le Hamas ne défend pas la cause palestinienne, il l’instrumentalise, il la défigure en l’islamisant, en la talibanisant, en la déshumanisant.

Je ferai quelques rappels à l’adresse de tous les islamo-gauchistes qui se déshonorent en refusant de qualifier de terroristes les crimes qui ont été commis.

Le Hamas n’est pas un mouvement de libération ; c’est un acronyme qui signifie d’ailleurs « mouvement de résistance islamique ».

Le credo de son inspirateur, le cheikh Yassine, qui n’est plus, est non pas de libérer, mais de soumettre la Palestine à la charia, à la loi islamiste.

Il existe des écrits et des dires : les choses doivent être claires !

Depuis des années, tous les efforts du Hamas ont très clairement consisté à saboter tous les efforts de paix, y compris les accords d’Oslo.

Aujourd’hui, ce crime contre l’humanité vise évidemment à empêcher toute réconciliation, notamment entre Riyad et Tel-Aviv, sans doute au bénéfice de l’Iran.

Personne ne le dit – mais je le dis – : l’Iran est vraisemblablement derrière cette opération grâce à différents moyens. Les choses doivent être très claires.

Mais, pour ce qui nous concerne, nous devons être très fermes et tirer tous les enseignements de cette situation.

Tout d’abord, en matière d’antisémitisme, ce doit être la tolérance zéro, même lorsque l’antisémitisme avance masqué derrière l’antisionisme.

Je rappellerai des propos oubliés du grand philosophe Jankélévitch selon lequel l’antisionisme était en réalité bien pratique, car il permettait l’antisémitisme sans le racisme ; c’est exactement cela.

Madame la Première ministre, je vous demande de faire preuve d’une tolérance zéro à l’égard des nouvelles formes d’antisémitisme. En effet, l’antisémitisme a muté en France, dans ses ressorts aussi bien politiques que religieux. Il faut absolument en tenir compte.

Ensuite, deuxième élément – là encore, vous l’avez indiqué, madame la Première ministre –, pas un euro ne doit aller à une organisation de type terroriste comme le Hamas. Pas un euro !

Bien sûr, nous ne pouvons pas retenir les fonds humanitaires, mais nous devons tout vérifier au moyen d’un travail de contrôle extrêmement rigoureux, aussi bien nos aides que les aides européennes, qui constituent un paquet important. C’est absolument fondamental.

Enfin, il est parfaitement possible d’être aux côtés d’Israël et de reconnaître à cet État le droit de se défendre tout en rappelant que les victimes civiles sont toujours un drame. Bien sûr que la vie des uns vaut la vie des autres ! Riposter, c’est éradiquer le Hamas dans le cadre du droit international, parce que l’honneur des démocraties, c’est de ne jamais renier nos valeurs, de ne jamais s’abaisser jusqu’à ceux qui voudraient précisément nous tirer vers le bas.

J’ai écouté, moi aussi, les propos du Président de la République, il y a quelques heures. Se tenir aux côtés d’Israël, fermement et de façon déterminée, cela signifie lui reconnaître le droit de se défendre et d’éradiquer le Hamas. Mais c’est aussi lui tenir un langage de vérité, en rappelant que, depuis trente ans, aucune guerre n’a été gagnée sans solution politique. Les Américains l’ont appris en Afghanistan et en Irak. Nous autres, Français, nous l’avons appris en Afrique, au Sahel. Nous devons le redire : s’il faut, bien sûr, éradiquer le Hamas, il conviendra également de trouver une solution politique pour que le peuple palestinien voie lui aussi se lever une espérance.

Cette espérance – nous l’avons toujours proclamé, fidèles à la ligne de la diplomatie française, qui est aussi celle du Sénat –, c’est la solution à deux États. Bien évidemment, cette perspective, telle que je l’évoque aujourd’hui, depuis cette tribune, ne peut que nous paraître terriblement éloignée, totalement illusoire et utopique. Mais il faut la rappeler, car après toutes ces années où le conflit était en quelque sorte gelé, nous voyons bien que la violence est revenue.

Encore une fois, Israël a le droit de se défendre. Certes, nous voulons qu’il y ait le moins de victimes civiles possible, mais gardons à l’esprit que c’est le Hamas qui a déclenché les hostilités et qui a aboli toute distinction entre les civils et les militaires, en prenant les civils comme des boucliers.

Il faut rappeler cette évidence et, en même temps, déployer tous nos efforts diplomatiques dans les mois à venir pour que la France puisse promouvoir cette solution à deux États, car nous avons un rôle et une responsabilité particulière, que vous avez rappelée, madame la Première ministre.

Pour conclure, ce combat est de nouveau celui sans cesse recommencé contre le terrorisme islamiste. Au moment où je vous parle, le totalitarisme islamiste ne s’est jamais aussi bien porté dans le monde – jamais ! – malgré les interventions occidentales. Il règne à Kaboul ; il revient en Irak ; il s’étend et se répand en Afrique, au Sahel, et il frappe en France. Bien sûr qu’il faut être intraitable ! Notre réponse, que nous adressons aussi au terrorisme islamiste, doit être judiciaire, policière et peut-être législative. Elle doit en tout cas être totale et globale.

Cela peut paraître très paradoxal, mais en nous désignant comme leurs ennemis et en ciblant l’école et la laïcité, les terroristes islamistes nous montrent un chemin de résistance. Ils nous montrent la voie d’une réponse possible, celle de l’idéal républicain, qui s’incarne par exemple dans la laïcité. L’école est un creuset qui sert à transmettre non pas seulement des connaissances ou des compétences individuelles, mais aussi une grammaire collective qui permettra demain à des citoyens d’intégrer pleinement le destin national. L’école est le creuset de cet idéal français qu’est l’idéal républicain.

Madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour l’heure, n’oublions pas les victimes – car il me semble que l’on passe trop vite par pertes et profits les victimes en Israël – et réaffirmons solennellement, ici, au Sénat, dans notre Haute Assemblée, le soutien indéfectible et la solidarité de la France envers la nation israélienne et le peuple juif, qui porte aujourd’hui le flambeau de la démocratie au prix du sang, dans cette région du Proche-Orient. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, permettez-moi de commencer ce propos par une citation : « La violence, il faut la dénoncer, il faut la vomir, il faut l’isoler. Ce n’est pas la voie des démocraties. » Ces mots, prononcés par le Premier ministre Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, lors du grand meeting pour la paix, place des rois d’Israël, à Tel-Aviv, résonnent en nous, dans cette terrible actualité. Quelques minutes plus tard, Yitzhak Rabin était assassiné.

Les heures sombres de l’obscurantisme sont de retour. Les actes terroristes qui ont été perpétrés le 7 octobre dernier doivent nous révolter. Je vous invite à écouter les mots du colonel Weissberg, chargé de l’opération d’identification des victimes – je vous prie par avance de m’excuser pour la dureté de cette description – : « Que dire lorsque vous découvrez le corps d’une femme enceinte, tuée par un terroriste, qui lui a ouvert le ventre, puis en a extrait le fœtus avant de leur couper la tête à tous les deux ? Et que dire encore face aux corps de mères ou de grands-mères qui ont été violées sauvagement ? »

Mes chers collègues, le massacre de femmes, d’hommes et d’enfants dans les kibboutzim du sud d’Israël doit nous révolter. De la même manière, des enfants qui meurent sous des bombardements, des civils privés d’eau, d’électricité et de nourriture, toute une population prise en étau, cela doit nous révolter.

De telles atrocités doivent être nommées et dénoncées. Ne pas le faire serait insupportable et inexcusable, même si nous avons identifié le fait générateur, celui d’une organisation terroriste qui, depuis 2007, pratique la tyrannie, y compris contre le peuple qu’elle est censée représenter.

Israël a le droit et le devoir absolu d’éliminer cette émanation sanguinaire de l’hydre islamiste qu’est le Hamas.

J’ai entendu, ce matin, les mots du Président de la République, visant à créer une coalition internationale, à l’instar de celle qui existe contre Daech.

Madame la Première ministre, nous avons besoin de précisions sur cette annonce, son périmètre exact et son opérationnalité.

Les actes qui ont été commis par le Hamas sont souvent qualifiés d’indicibles, mais, pour moi, ils doivent être nommés de manière très claire : ces monstruosités constituent les pires horreurs que le monde ait connues depuis les années 1990, durant lesquelles eurent lieu le génocide rwandais et le massacre de Srebrenica. Ici, c’est l’acte génocidaire le plus important contre le peuple juif depuis la Shoah et le temps des pogroms.

Et les milliers de civils palestiniens, morts en raison des représailles israéliennes contre le Hamas, sont tout aussi insupportables. Toute vie sacrifiée est un drame pour l’humanité. Tout crime contre l’humanité mérite une réponse.

Mais la sidération ne doit pas nous paralyser, mes chers collègues. Au contraire, nous devons nous élever et constituer de véritables remparts contre les forces obscurantistes. Le Hamas n’est pas une représentation politique. C’est une organisation terroriste qui vise l’islamisation totale en détruisant notre modèle de société. Il cherche non pas à exterminer l’État d’Israël, mais à exterminer tout juif, comme toute personne qui n’accepterait pas de se soumettre à sa loi. Pour vous en convaincre, je vous invite à lire ou à relire les 36 articles de la charte du Hamas. (Lorateur brandit un exemplaire de cette charte.)

Aucune solution politique n’est envisageable avec une telle organisation, qui refuse toute forme de négociation diplomatique. Après les attentats de Paris et de Nice, notre lutte contre Daech comporte bien des similitudes avec la situation présente.

Et pourtant, pour les civils et les otages, il faut avoir du courage et garder pour seuls mots d’ordre : pacifier, protéger, obtenir un cessez-le-feu humanitaire ou, à défaut, assurer un couloir humanitaire solide. Nous supposons que c’est l’objet du déplacement du Président de la République, même si nous aurions préféré, madame la Première ministre, que cette nécessaire visite puisse se dérouler après la fin du débat au Parlement. Croyant à la parole de la France, nous espérons ne pas être déçus par les résultats effectifs de cette visite.

Le Hamas nous replonge dans toute la noirceur de la guerre, ravivant la mémoire des pires épisodes de notre Histoire. Comme Daech, le Hezbollah, le Djihad islamique, Al-Qaïda ou Boko Haram, le Hamas est l’un des bras armés d’une conquête internationale au profit d’un régime totalitaire. C’est la résurgence – mon collègue Retailleau l’a dit – du mouvement islamiste qui parvient à se réinventer chaque jour avec les soutiens que sont le Qatar ou l’Iran. Israël – ne nous y trompons pas –, quelles que soient nos réserves sur les moyens militaires utilisés, représente le premier bouclier contre ce projet politique liberticide et vient d’en être de nouveau la première victime.

À cet instant, j’ai une pensée pour nos compatriotes. Le bilan des victimes françaises est terrible. On en recense au moins trente, ainsi que neuf disparus, otages présumés. Jamais autant de Français n’ont été victimes du terrorisme depuis les attentats de Nice en 2016.

Pour autant, ne faisons pas d’amalgame, mes chers collègues. Dans notre pays, les partisans de la création d’un État islamique ne sont qu’une extrême minorité, mais chaque acte terroriste est un traumatisme national, et cela à juste titre. Je tiens à le rappeler et à le souligner : dans cette période où les tensions communautaires sont exacerbées, le conflit en cours au Proche-Orient ne doit pas être importé sur notre territoire comme un conflit entre religions. Notre responsabilité en tant que politiques est de veiller à ce qu’aucune discrimination ni aucun amalgame ne soit admis.

Pas d’amalgame, mais pas d’angélisme non plus : la tolérance zéro doit s’appliquer face à l’antisémitisme comme face à toute discrimination à l’encontre de nos compatriotes de confession musulmane.

Le principe de laïcité, qui est au cœur de notre République et que nous faisons nôtre, impose le respect et la protection de l’attachement des croyants à la Bible, au Coran ou à la Torah, mais aucun des préceptes de ces livres sacrés ne peut être considéré comme supérieur à la loi de la République. Aristide Briand résumait cela en proclamant – et vous le rappelez souvent, monsieur le président – que « la loi protège la foi tant que la foi ne dicte pas sa loi ».

Transiger avec ces principes, c’est affaiblir durablement notre pacte républicain. Transiger avec ces principes, c’est faire mourir une deuxième fois Samuel Paty et Dominique Bernard.

L’assassinat de ce dernier, il y a onze jours, à Arras, moins d’une semaine après les attaques du Hamas, témoigne des risques qui pèsent dans notre pays. Cet attentat doit nous alerter sur l’absence de risque zéro face à la menace terroriste, mais nous oblige également sur notre devoir de mettre en place des mesures de protection et de prévention.

La sanction est nécessaire, mais quels sont nos moyens de lutter contre la radicalisation, notamment chez les jeunes ? Exclure des élèves de nos établissements scolaires pour comportement inacceptable lors de la minute de silence à la mémoire de Dominique Bernard, bien sûr ! Mais j’ai envie de dire : et après ?

La prévention du poison totalitaire qui infecte des cerveaux perméables à cette idéologie mortifère doit être au cœur de notre action républicaine.

Mes chers collègues, s’il existe des proies dans nos villes et dans nos quartiers, c’est qu’il existe aussi des prédateurs. N’oublions jamais que 75 % des attentats islamistes commis sur notre territoire l’ont été par des Français.

Notre République ne peut s’accommoder de devoir protéger des compatriotes du fait même de leur religion, érigée en identité. Le faire pour des raisons évidentes de sécurité, c’est reconnaître en creux que notre pacte républicain et notre principe du vivre-ensemble sont menacés, voire niés.

C’est la même chose lorsque l’on s’attaque à l’un de nos compatriotes parce qu’il est professeur et qu’il représente notre institution nationale, porteuse d’émancipation et chargée d’éclairer et de forger les esprits critiques. Les semeurs de terreur ont horreur de nos lumières, de la démocratie, de la laïcité, de la liberté d’expression ou encore du droit absolu des femmes à disposer de leur corps.

J’en reviens, pour terminer, à la situation du conflit israélo-palestinien.

Depuis trente ans, la solution à deux États n’est toujours pas mise en œuvre. Depuis 1995 et l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un ultranationaliste israélien, l’esprit des accords d’Oslo n’est qu’un vague souvenir qui se dissipe progressivement dans les vapeurs de l’escalade des violences.

La politique du gouvernement israélien en place n’est pas exempte de critiques. La tendance actuelle est en effet inquiétante et répond à une réelle radicalisation politique à vocation ultranationaliste. Il nous faut condamner avec fermeté les choix opérés depuis de trop nombreuses années, qui mettent en péril toute résolution du conflit. Ces choix contribuent à exacerber les tensions et empêchent toute perspective pour la jeunesse palestinienne, privée de tout espoir d’émancipation. Les réactions désespérées de cette jeunesse, que je condamne, confortent ensuite l’extrême droite israélienne dans sa politique d’annexion. L’engrenage est sans fin.

Ce cercle vicieux condamne toute avancée sur le chemin de la paix. J’ai été horrifié d’entendre, il y a quelques jours, à la radio, ces mots d’un père vivant dans un village dirigé par le Hezbollah, dans le sud du Liban, qui venait de perdre son fils lors d’une incursion en Israël : « La Palestine a besoin du sang de ses martyrs. » Des mots qui font peur, mais qui nous obligent à agir.

En tant que socialistes, nous soutenons la reconnaissance de deux États souverains : c’est le seul chemin que nous devons emprunter, collectivement.

Les progressistes palestiniens comme la gauche israélienne, qui reste puissante, doivent œuvrer dans le sens d’une résolution durable de ce conflit et il est de notre rôle de soutenir toute initiative de leur part. Nous devons relayer ces démarches positives, appelant à combattre la surenchère, favorisant le dialogue et apaisant les tensions intercommunautaires. Je pense aux Guerrières de la paix, au mouvement Women Wage Peace et à tous ces organismes qui proposent de tisser des liens et de créer des ponts plutôt que des murs entre les deux côtés.

Ces militants de la paix sont souvent combattus férocement par les forces extrémistes des deux camps. Cela témoigne de la pertinence de leur combat.

Oui, il faut favoriser une reprise du dialogue. Pour cela, du côté palestinien, une véritable force démocratique et une construction politique tournant le dos notamment à la corruption sont nécessaires. Ne pas encourager cette évolution et ne pas la favoriser, cela reviendrait, de fait, à fragiliser la démocratie israélienne. Sans ces prérequis, aucune négociation n’est possible.

La France et l’Europe doivent insuffler une dynamique. Nous devons collectivement tout mettre en œuvre pour installer un climat de désescalade. Le rapport d’information présenté en décembre 2022 par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et son président de l’époque, Christian Cambon, que je salue, est très inspirant, tant dans son diagnostic que dans ses perspectives et recommandations. Après s’être rendus sur place, les auteurs du rapport ont voulu s’interroger sur les chances de reprise d’un dialogue autour de la solution à deux États. Les conditions d’une nouvelle feuille de route ont été clairement définies. Nous devons les relire et nous les approprier.

En attendant un retour sur le chemin de la raison, ce sont les peuples d’Israël et de Palestine qui sont pris en otages. Cette prise d’otages idéologique est lourde de conséquences mortifères. Ce sont les enfants de ces deux peuples qui subissent les foudres de la violence. Ce sont les enfants de ces deux peuples qui seront marqués dans leur chair, au fer rouge de la guerre. Et pourtant, mes chers collègues, ce sont les enfants de ces deux peuples qui ont la lourde charge de mettre un terme à cette guerre sans fin.

Les solutions existent. Elles reposent sur l’esprit de raison, le respect mutuel et la foi inébranlable en un avenir de paix. Shalom, salam. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST, UC et Les Républicains.)