Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 35.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise (n° 26, 2023-2024).

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir à l’examen du texte, je tiens, en tant qu’élue du Pas-de-Calais, à réaffirmer mon soutien total aux blessés, aux professeurs, à la communauté éducative et aux élèves durement touchés par l’attentat terroriste survenu au lycée Gambetta d’Arras, qui a coûté la vie à Dominique Bernard. (Applaudissements.) L’heure est au recueillement, au respect de la famille de M. Bernard, qui vit des moments dramatiques.

Le présent projet de loi ouvre, par son intitulé, un débat intéressant autour du partage de la valeur créée au sein de l’entreprise.

Entre 1950 et 2021, la part des salaires dans la valeur ajoutée a perdu quatre points, tandis que le taux de marge des entreprises a progressé de deux points.

Cette évolution contraire entre salaires et taux de marge démontre non seulement que la valeur créée dans les entreprises n’est pas mieux répartie et ne bénéficie pas davantage aux travailleurs qui l’ont créée, mais surtout que ce sont les actionnaires et les patrons qui en tirent profit.

Ainsi, en dix ans, le montant des dividendes versés aux actionnaires par les 100 plus grandes entreprises a augmenté de 57 %. Pendant ce temps, les prix flambent et la situation devient insupportable pour des Français, qui se voient contraints de débourser des sommes de plus en plus exorbitantes pour subvenir à leurs besoins vitaux, tels que l’énergie, les carburants et, surtout, la nourriture.

L’inflation a entraîné une perte de 720 euros du pouvoir d’achat des salariés en 2022, avec une facture encore plus salée pour les ménages ruraux et les plus modestes.

La pauvreté augmente : notre pays compte aujourd’hui 9 millions de pauvres. Désormais, 18 % des ménages vivent continuellement à découvert, et 31 % des Françaises et des Français sautent des repas, parce qu’ils n’ont pas les moyens de se nourrir.

Il faut en finir avec le racket de la grande distribution, qui, d’un côté, met la pression sur nos agriculteurs et, de l’autre, fait les poches des familles.

L’inégalité entre le monde du travail et le monde des spéculateurs se renforce dans notre pays.

Ce projet de loi de partage de la valeur aggravera les injustices au lieu de les résorber. Au passage, il sciera la branche de notre pacte social.

Premièrement, les primes, la participation, l’intéressement, l’épargne retraite, l’actionnariat salarié et tous les autres dispositifs dits « de partage » de la valeur reposent sur des déductions fiscales et des exonérations de cotisations sociales qui dégradent les finances publiques.

En 2022, les dispositifs de participation et d’actionnariat salarié ont conduit à une baisse de 1,8 milliard d’euros des recettes publiques, en plus des 3,5 milliards d’euros perdus à cause des exonérations de cotisations sociales.

La fiscalisation des primes imposée par le Conseil d’État ne compensera pas la perte de ces 5 milliards d’euros de recettes à la sécurité sociale.

Ces dispositifs extrêmement coûteux pour les finances publiques s’apparentent d’ailleurs à une subvention déguisée des entreprises sans aucune contrepartie.

Deuxièmement, les dispositifs de participation et d’actionnariat salarié se substituent aux augmentations de salaire.

Selon l’Insee, dans 30 % des cas, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa) est privilégiée par les employeurs au détriment de l’augmentation des salaires. L’Insee en conclut que « les effets d’aubaine semblent […] se traduire par des revalorisations salariales plus faibles » que celles qui étaient attendues sur le salaire de base.

De ce grand remplacement des salaires par des primes découle une perte de droits associés pour les travailleurs. Alors que le Gouvernement a volé deux années de vie à la retraite à l’ensemble des salariés, la constitution de droits futurs devient pourtant une préoccupation pour nombre de nos concitoyens.

Troisièmement, la répartition entre salariés des primes, de la participation, de l’intéressement et de l’épargne salariale est particulièrement inégalitaire : ceux qui en profitent le plus sont en effet ceux qui ont déjà les salaires les plus élevés. Ces dispositifs valorisent les hauts salaires quand la priorité devrait être de relever les bas salaires et de réduire les inégalités au sein des entreprises. Ne parle-t-on pas de plus en plus aujourd’hui des travailleurs pauvres ? N’en côtoyons-nous pas chaque jour dans nos permanences ?

Quatrièmement, de tels mécanismes reposent sur les bénéfices des entreprises. Or ces dernières usent de mécanismes d’évasion fiscale qui permettent d’afficher un bénéfice fiscal net négatif, en plaçant les bénéfices au sein de succursales situées dans des paradis fiscaux.

Selon le Conseil d’analyse économique, la lutte contre le transfert de bénéfices semble être un « instrument de premier ordre pour toute politique de partage de la valeur ».

Par conséquent, ce texte est de la poudre aux yeux des salariés.

Lorsque le Président de la République défend la création d’un « dividende salarié », son projet consiste à nier le lien de subordination qui existe dans l’entreprise en donnant l’illusion que les travailleurs pourront profiter d’une partie du fruit de leur travail.

Monsieur le ministre, à l’Assemblée nationale, vous avez indiqué : « Il s’agit d’œuvrer davantage pour le pouvoir d’achat des salariés, afin de faire face à l’inflation, mais aussi de répondre à une forte demande de participation des salariés dans la marche de leur entreprise, aspiration qui rejoint le désir de démocratie au travail. »

Nous pourrions nous accorder sur une telle vision de l’entreprise, lieu de démocratie sociale où les travailleurs auraient leur mot à dire sur les décisions stratégiques, si votre gouvernement n’avait pas supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), diminué le nombre de représentants syndicaux dans les instances et criminalisé l’action syndicale lors de la mobilisation contre la réforme des retraites.

Il est intéressant de le noter, la seule véritable obligation de ce projet de loi est l’instauration de la prime de partage de la valeur qui sera mise en place par décision unilatérale de l’employeur, au mépris des organisations syndicales.

L’urgence est de relever les minima de quatre-vingt-six branches professionnelles, qui sont inférieurs au Smic.

L’urgence est de conditionner les aides publiques à l’absence de délocalisation des emplois et à l’augmentation des salaires, de garantir l’égalité salariale entre les hommes et les femmes et d’indexer les salaires sur l’inflation.

Pour notre part, nous ne souhaitons pas voir les revenus du travail soumis aux aléas des performances et des contre-performances des entreprises.

Nous avions déposé des amendements en ce sens ; ils ont été déclarés irrecevables par la commission, car jugés trop éloignés du texte. Et nos autres amendements ont tous été rejetés en raison – je cite – de leur « non-conformité » à l’ANI ; évidemment qu’ils ne pouvaient pas y être conformes, puisque nous ne proposons pas le même projet de société !

Le seul véritable partage de la valeur, ce sont les salaires et leur indexation sur l’inflation, qui ne figurent pas dans le projet de loi.

Hier, lors de la conférence sociale, vous avez écarté une fois de plus la question des salaires, la reléguant au second plan.

Ce projet de loi n’améliorera pas le pouvoir d’achat des salariés de façon durable. Par conséquent, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRCE-K vous invitent à voter la présente motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je rejoins ma collègue sur deux points.

D’abord, les primes et la participation ne constituent pas des éléments de salaire.

Ensuite, nous recevons, dans nos permanences ou ailleurs, un nombre croissant de personnes qui perçoivent de bas salaires et qui n’y arrivent plus ; les bas salaires sont un véritable sujet.

Monsieur le ministre, j’ignore si la conférence qui s’est ouverte hier trouvera des issues à ces difficultés, mais nous devons collectivement mobiliser nos forces pour les résoudre ; les Français l’attendent.

C’est en ce sens que je rejoins notre collègue.

Le sujet de savoir si ces primes, et notamment la prime de partage de la valeur, se substituent à d’éventuelles augmentations de salaire. C’est une véritable question, que je n’élude pas ; j’ai toujours été claire à cet égard.

Monsieur le ministre, nous aurons un rendez-vous en 2024, puisque l’article 1er de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat dispose – je le rappelle – qu’en cas de substitutions, le Gouvernement s’engage à combler les pertes éventuelles sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale en particulier.

En quoi consiste le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ? Il s’agit de transposer un accord national interprofessionnel. Les partenaires sociaux nous attendent.

En l’occurrence, nous souhaitons débattre du texte et transcrire les demandes des partenaires sociaux, et notamment l’accord national interprofessionnel.

La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable. (M. le président de la commission des affaires sociales applaudit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Le Gouvernement est rarement favorable à l’adoption de motions tendant à opposer la question préalable à ses propres textes. (Sourires.)

Indépendamment de cela, je souscris aux arguments développés par Mme la rapporteure. J’ajouterai quelques éléments sur le dialogue et les négociations de branche.

La direction générale du travail observe cent soixante et onze branches. Le 1er mai, à l’occasion de la dernière revalorisation du Smic, 145 de ces branches ont vu au moins un des niveaux conventionnels passer en dessous du Smic.

La loi votée en 2022 accorde quarante-cinq jours aux branches pour ouvrir les négociations, contre quatre-vingt-dix jours auparavant.

Contrairement à ce que vous avez indiqué, madame la sénatrice, le nombre actuel de branches ayant un niveau conventionnel inférieur au Smic est de non pas quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix, mais cinquante-six. Et il pourrait être encore plus faible, puisque s’achevait hier soir le recueil de signatures de deux accords supplémentaires, ce qui pourrait ramener ce nombre à cinquante-quatre branches.

Voilà qui témoigne de la vivacité du dialogue de branche depuis un peu plus de deux ans, en période inflationniste.

Avec la Première ministre, nous avons annoncé un nouvel outil. En effet, certaines branches connaissent temporairement et conjoncturellement des niveaux de rémunération conventionnelle inférieurs au Smic, ce qui n’empêche pas les salariés – bien heureusement ! – d’être payés au Smic, mais « tasse » les débuts de carrière. Lorsque la cause est conjoncturelle, cela peut être réparé par les négociations.

Toutefois, certaines branches ont structurellement des niveaux de rémunérations inférieurs au Smic. Nous considérons que la raison est structurelle à partir de dix-huit mois de latence et de délai.

Sur un temps long, environ vingt ans, nous comptions en moyenne entre quinze et vingt branches considérées comme structurellement en non-conformité, contre environ huit branches aujourd’hui, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

Nous avons accordé un délai aux branches structurellement en non-conformité, jusqu’au 1er juin 2024, pour se mettre en conformité. À défaut, nous soumettrons au Parlement un projet de loi permettant, pour les branches structurellement et durablement en non-conformité, de calculer le niveau des exonérations en fonction des minima conventionnels plutôt qu’en fonction du Smic.

Néanmoins, nous faisons confiance au dialogue social, y compris dans les branches que je viens d’évoquer, pour remédier à cette situation d’ici au 1er juin prochain.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Daniel Chasseing. À l’instar de Mme Cathy Apourceau-Poly, j’ai une pensée pour M. Bernard, lâchement assassiné à Arras, et j’exprime toute notre sympathie à sa famille.

Le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise est issu de l’accord conclu avec les partenaires sociaux le 10 février 2023, qui a reçu l’avis favorable de la quasi-totalité des organisations syndicales.

En effet, si 70 % des entreprises de plus de 1 000 salariés ont un tel dispositif, c’est le cas de moins de 50 % de celles qui ont entre 50 à 100 salariés et de 6 % de celles qui emploient entre 11 et 49 salariés.

Contrairement à ce qui a été indiqué, ce projet de loi permet de renforcer le pouvoir d’achat des salariés, de les fidéliser dans l’entreprise et, ainsi, d’avoir des entreprises plus performantes et plus de cotisants pour le maintien de nos acquis sociaux : les retraites, la sécurité sociale ou encore l’Unédic.

Le texte permet aux entreprises de 11 à 49 salariés de bénéficier du dispositif de partage de la valeur pour des régimes d’intéressement, de participation, de plan d’épargne salariale ou de verser la prime de partage de la valeur, ce qui n’existait pas auparavant.

En outre, pour les petites entreprises, c’est une façon de concilier l’apport du capital et du travail ; c’est dans ce sens que nous devons progresser.

Mme le rapporteur a excellemment travaillé et a souhaité, comme vous, monsieur le ministre, respecter scrupuleusement ce qui a été fait par les partenaires sociaux responsables et le Gouvernement.

C’est donc un dialogue social constructif que nous saluons. Nous ne voterons évidemment pas cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous ne pouvons que souscrire au constat de nos collègues du groupe communiste.

Le présent projet de loi n’apporte aucune solution durable au problème de pouvoir d’achat des travailleurs du pays.

Les primes qu’il généralise et pérennise avec la prime de partage de la valeur, qui concurrence l’intéressement et la participation, présentent un réel effet substitutif selon le Conseil d’analyse économique. Ainsi, toute substitution revient à perdre en salaire socialisé ce qui est gagné en partage de profit.

L’outil fondamental du partage de la valeur reste le salaire.

En présentant un document d’orientation qui a contraint dès le départ les négociations entre les partenaires sociaux, comme en pérennisant les primes, le Gouvernement encourage le contournement des salaires, contribue à grever les finances publiques via des primes désocialisées et défiscalisées qui justifieront plus tard ses contre-réformes « austéritaires ».

Nos discussions auraient pu porter sur la revalorisation des grilles salariales pour contrer la boucle prix-profit, par exemple grâce à l’indexation des salaires sur l’inflation.

Alors qu’en France, en dix ans, selon l’OCDE, les salaires réels ont reculé de près de deux points, en Belgique, où le salaire est indexé sur l’inflation, il progressait de près de trois points.

Au lieu de cela, nous discutons d’un texte qui ne transpose d’ailleurs qu’imparfaitement l’ANI et qui est vidé des ajouts effectués par l’Assemblée nationale avec l’accord des partenaires sociaux signataires.

Pour autant, le groupe écologiste considère que, si le Parlement doit pouvoir modifier le texte, il doit aussi partir de l’accord dont certains signataires souhaitent des amendements que, dès lors, nous défendrons. C’est pourquoi il s’abstiendra sur la présente motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je ne retire rien aux propos qui viennent d’être tenus.

Pour notre part, nous souhaitons qu’un débat ait lieu. Nous nous abstiendrons donc sur la motion de nos collègues communistes.

Toutefois, sur le fond, nous nous retrouverons très souvent au cours des débats, car nous considérons que la négociation s’est déroulée dans un cadre trop contraint, en excluant dès l’origine la discussion sur les salaires.

Si ce texte, à la suite de la négociation, comportera finalement quelques avancées, que nous ne nions pas, la véritable arme, gravée dans le marbre, pour défendre le pouvoir d’achat des salariés, n’en reste pas moins le salaire socialisé.

Nous aurons l’occasion d’en discuter au cours du débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.

M. Pierre Jean Rochette. Je rebondis simplement sur les propos de mes collègues sénatrices.

Certains ont, me semble-t-il, une image biaisée du monde de l’entreprise. À mon sens, le grand remplacement des salaires a en réalité eu lieu lorsque notre pays a mis en place la loi sur les 35 heures, aboutissant à une annualisation du temps de travail et, par conséquent, à un lissage annuel de la rémunération, ce qui a nui aux salariés et aux entrepreneurs désireux d’effectuer des heures supplémentaires pour disposer de plus de pouvoir d’achat.

Par conséquent, je soutiens ce texte, qui est véritablement un projet de loi de progrès social et, comme son nom l’indique, de partage de la valeur au sein de l’entreprise. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise
Article 1er (début)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi transpose l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise. Celui-ci a été conclu au mois de février dernier entre syndicats et patronat et vise à mieux associer les salariés aux performances des entreprises.

Le texte peut se révéler technique – nous le verrons dans quelques instants –, ce qui est bien normal, puisqu’il s’inscrit dans un droit du travail qu’il l’est tout autant. Cependant, je ne voudrais pas que l’on en oublie son essence, qui est très politique.

Dans un contexte inflationniste, le partage de la valeur est évidemment un enjeu central et, disons-le, de justice sociale.

En France, les outils de partage de cette valeur sont variés : participation, intéressement, plans d’épargne salariale, opérations d’actionnariat salarié ou, dernièrement, prime de partage de la valeur. Toutefois, force est de constater que l’usage de ces mécanismes reste inégal et se concentre avant tout au sein de grands groupes.

En commission – et je tiens à saluer l’excellent travail de notre rapporteur Frédérique Puissat –, nous avons modifié le projet de loi avec deux objectifs : d’une part, assurer une transposition fidèle de l’accord trouvé ; d’autre part, transposer les seules stipulations nécessitant une modification du code du travail, qui – je le soulignais – est déjà très dense.

Nous avons ainsi supprimé l’article 1er bis, en considérant que le droit actuel était suffisant. A contrario, l’article 2, que nous avons adopté, a du sens, puisqu’il vise à inscrire dans le projet de loi le principe de non-substitution entre salaire et dispositifs de partage de la valeur.

Si les employés d’entreprises de plus de 1 000 salariés bénéficient souvent de l’un de ces dispositifs, ceux des petites et moyennes entreprises, en particulier celles de moins de 50 salariés, sont rares à pouvoir en disposer, non pas parce que ces entreprises ne le souhaitent pas, mais parce que la mise en place de ces outils est très complexe. Et, à l’instar de nos communes rurales, ces entreprises ne disposent pas des ressources suffisantes. Il s’agit alors de leur faciliter la tâche.

Dans cet esprit, l’article 2 permet, à titre expérimental, aux entreprises de moins de 50 salariés, de recourir à une formule de calcul dérogatoire de la réserve spéciale de participation, lorsqu’elles mettent volontairement en place un de ces dispositifs, ce qui, rappelons-le, est obligatoire uniquement pour les entreprises d’au moins 50 salariés.

Une telle formule, qui peut aboutir à un montant de mise en réserve inférieur au droit commun, permet de prendre en compte la spécificité de ces entreprises, et notamment leurs contraintes de trésorerie.

Toujours dans cet esprit, l’article 3 prévoit, à titre expérimental, et pour une durée de cinq ans, que les entreprises de 11 à 49 salariés réalisant durant trois exercices consécutifs un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires instituent, au cours de l’exercice suivant, un régime de participation ou d’intéressement, abondent un plan d’épargne salariale ou encore versent la prime de partage de la valeur.

L’enjeu était de prendre en compte la fragilité économique de certaines PME et du marché dans lequel elles évoluent.

L’ambition affichée étant le développement de la participation dans les entreprises, il était également important de viser particulièrement celles qui atteignent le seuil des 50 salariés. Nous avons ainsi adopté l’article 4, qui prévoit de supprimer le report de trois ans de l’obligation de mettre en place la participation pour les entreprises appliquant déjà un accord d’intéressement.

L’article 5 impose aux entreprises d’au moins 50 salariés disposant d’un délégué syndical de définir, par le biais de leurs accords de participation ou d’intéressement, la notion d’augmentation exceptionnelle du bénéfice, ainsi que leurs modalités de partage.

Dans ce cas, il fallait quelque peu encadrer les critères pouvant être retenus pour cette définition, en l’occurrence la taille de l’entreprise, son secteur et le bénéfice des années précédentes.

Pour les entreprises de moins de 50 salariés, l’article 6 prévoit que la prime de partage de la valeur puisse être attribuée deux fois par année civile, mais aussi, et surtout, que le régime temporaire d’exonérations sociales et fiscales soit prolongé jusqu’à la fin de l’année 2026. En effet, ces petites entreprises, qui – rappelons-le – sont très nombreuses sur notre territoire, sont celles qui ne sont pas tenues de mettre en place un régime de participation. Ces ajustements permettront de les y encourager.

L’article 10 du présent projet de loi vise à sécuriser la possibilité de fixer un salaire plancher et un salaire plafond, en cas de choix d’une répartition de l’intéressement en fonction du salaire, ce qui permet une répartition des primes d’intéressement plus favorable aux bas salaires.

Enfin, et c’est encore une bonne chose, nous avons aussi adopté l’article 14, qui prévoit d’imposer, dans le cadre des plans d’épargne salariale, de proposer aux salariés au moins un fonds « engagé », c’est-à-dire participant au financement de la transition écologique ou socialement responsable.

Mes chers collègues, j’ai bien conscience que mon propos peut paraître indigeste pour qui n’a pas pu suivre nos discussions en commission.

Nicolas Boileau écrivait : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Comme vous, je suis convaincu qu’une autre manière d’encourager le partage de la valeur serait de simplifier davantage encore ces dispositifs et, peut-être plus largement, notre droit du travail. Attention ! Il s’agit non pas d’en faire table rase, mais d’entreprendre un vaste chantier de simplification des normes, comme l’avaient fait les grands juristes qui se trouvent derrière moi.

Un droit que nos concitoyens, salariés ou chefs d’entreprise, ne peuvent pas maîtriser aisément est un droit qui ne protège personne et, pire encore, qui entretient une suspicion des uns vis-à-vis des autres.

Toujours est-il que, dans l’attente de cette refonte ambitieuse, comme mon groupe, je voterai le projet de loi ainsi modifié par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Jean-Luc Brault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le taux de chômage dans notre pays est l’un des plus faibles jamais atteints depuis quarante ans. Chez les jeunes, il est même au plus bas niveau depuis vingt ans. Il faut s’en réjouir. Le recul du taux de chômage est l’une des avancées significatives de ces dernières années qu’il convient de saluer.

Toutefois, si avoir un emploi contribue à être pleinement inséré dans la société, en vivre dignement est indispensable. Ce projet de loi y contribue, en facilitant et en développant les dispositifs de partage de la valeur au sein des entreprises, notamment dans les plus petites.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail de Mme la rapporteure, qui a su restituer avec clarté un texte technique et, surtout, qui a tenu à respecter fidèlement le contenu de l’accord transposé, respectant ainsi le dialogue social.

Le projet de loi est le résultat d’un accord national interprofessionnel conclu le 10 février 2023 et signé par la plupart des organisations représentatives. Après des mois de débats animés entre la réforme des retraites et le projet de loi pour le plein emploi, il est juste de souligner les avancées qui peuvent ainsi naître d’un dialogue social apaisé.

Le partage de la valeur en entreprise est un héritage de la politique du général de Gaulle, qui permet de concilier travail et capital, de valoriser le travail des salariés et de les associer à la réussite de l’entreprise. Il recouvre plusieurs dispositifs : l’intéressement, facultatif, qui permet d’associer les salariés aux résultats et à la performance de l’entreprise ; la participation, obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, qui permet de redistribuer aux employés une partie des bénéfices. Le texte prévoit une extension de ces dispositifs.

Tout d’abord, il permet aux entreprises de moins de 50 salariés de mettre en place la participation, à titre expérimental et dans des conditions plus souples, prenant ainsi en compte les particularités propres aux petites entreprises.

Ensuite, le projet de loi impose aux entreprises de 11 à 49 salariés, à titre expérimental, et à condition qu’elles aient réalisé un bénéfice correspondant à au moins 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs, de mettre en place un des dispositifs suivants parmi la participation, l’intéressement, la prime de partage de la valeur ou un plan d’épargne salariale.

Dispositif dont plus de 5 millions de Français ont pu bénéficier en 2022, la prime de partage de la valeur est également confortée par ce texte. Elle pourra désormais être attribuée deux fois par an, et son régime d’exonérations sociales et fiscales est prolongé jusqu’à fin 2026 pour les entreprises de moins de 50 salariés, ce que nous soutenons pleinement dans le contexte inflationniste que traverse notre pays.

Le dernier dispositif de partage de la valeur est l’actionnariat salarié, que le projet de loi entend aussi développer, notamment en rehaussant l’ensemble des plafonds d’attribution gratuite d’actions aux salariés.

Deux points clés sont également abordés dans le texte : l’augmentation des bénéfices exceptionnels et la prise de valeur de l’entreprise.

Le projet de loi impose désormais aux entreprises d’au moins 50 salariés d’intégrer dans leurs accords de participation ou d’intéressement la définition d’une augmentation exceptionnelle des bénéfices et les modalités de partage de la valeur en résultant.

Enfin, ce projet de loi instaure un nouveau dispositif, le partage de la valorisation de l’entreprise, qui permettra, par le biais d’un accord spécifique, le versement d’une prime aux salariés dans le cas où la valeur de l’entreprise aurait augmenté au cours des trois dernières années.

Nous entendons les craintes que peuvent susciter les dispositifs de partage de la valeur quant au risque de venir remplacer les augmentations de salaire.

Néanmoins, rien ne garantit que leur absence constitue efficacement l’assurance, pour les salariés, de bénéficier de davantage d’augmentations. Or, en l’état, ces dispositifs représenteront avec certitude un gain de pouvoir d’achat effectif pour les salariés. Au demeurant, ces dispositifs ne devront pas empêcher la tenue d’un débat sur les salaires.

Ce projet de loi, qui visait à transposer l’accord national interprofessionnel de février 2023, atteint son objectif. Notre groupe, parce qu’il respecte le travail issu du dialogue social, soutiendra l’esprit du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi quau banc des commissions. – MM. Xavier Iacovelli et Franck Menonville applaudissent également.)