M. Bruno Retailleau. Bien sûr que non ! (Nouveaux sourires.)

M. Sébastien Lecornu, ministre. … je rappelle que, jadis – vous savez d’où je viens –, c’est en basculant d’euros courants en euros constants que le budget global des armées a été diminué, grignoté par l’inflation.

Christian Cambon a raison d’émettre un avis défavorable sur cet amendement. Son adoption viendrait en effet caper l’ensemble des efforts consentis en ignorant totalement les effets de l’inflation, dont nous prendrions le mur de plein fouet. Par conséquent, le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour explication de vote.

M. Cédric Perrin. Monsieur le ministre, cette discussion embrouille un peu plus les sénateurs.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Non !

M. Cédric Perrin. La genèse de ces débats, c’est le discours de Mont-de-Marsan, le 20 janvier dernier, à l’issue duquel j’ai tweeté qu’à moins de 420 milliards d’euros…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Non, 430 milliards d’euros !

M. Cédric Perrin. Vous avez raison, monsieur le ministre, 430 milliards d’euros, mais je vais vous expliquer pourquoi je mentionne le montant de 420 milliards d’euros.

Donc, j’ai tweeté qu’à moins de 430 milliards d’euros, on ne pouvait pas, selon moi, avoir un modèle d’armée complet. J’assume, je l’ai dit, je l’ai écrit.

Aujourd’hui, compte tenu de l’état de nos finances publiques, nous sommes tous conscients qu’il faut faire des efforts. Nous voulons maintenir ce budget à 413 milliards d’euros. Je rappelle qu’à l’origine il était question de 460 milliards d’euros, montant estimé nécessaire pour parvenir à un modèle d’armée complet.

Bercy voulait 375 milliards d’euros, le Président de la République, 400 milliards d’euros, et vous vous êtes battu, monsieur le ministre, je le sais, pour obtenir le plus possible : vous avez obtenu 400 milliards d’euros plus 13 milliards d’euros.

Depuis le début, à grand renfort de communication auprès de l’ensemble des médias, vous avancez la somme de 413,3 milliards d’euros. Si c’est vraiment le cas, il faut les inscrire dans le marbre de la loi. Pour notre part, ce que nous voulons aujourd’hui, c’est a minima que l’on respecte la trajectoire et la cible capacitaire définies dans la loi de programmation militaire de votre prédécesseure, Mme Parly.

Par ailleurs, depuis que nous avons entamé l’examen de ce texte, nous avons oublié la courbe, qui est pourtant un paramètre essentiel pour nous.

M. Christian Cambon, rapporteur. Oui, 600 millions d’euros !

M. Cédric Perrin. En effet, c’est elle qui déterminera notre capacité à investir, dans les années qui viennent, 600 millions d’euros de plus que les 3 milliards d’euros que vous avez prévus. Cette somme nous permettra d’atteindre la cible capacitaire en 2025, puisque c’est l’objectif qui a été voté à 98 % au Sénat en 2018. Or, monsieur le ministre, compte tenu de ce que vous nous annoncez aujourd’hui et malgré une augmentation de 40 % du budget, on ne risque de l’atteindre qu’en 2035.

C’est la raison pour laquelle je suis pleinement favorable à l’adoption de l’amendement n° 6 qui vise à modifier la trajectoire budgétaire. Cela nous permettra d’acquérir beaucoup plus de matériels, puisqu’un euro de 2023 ne vaudra pas un euro de 2030.

Mme le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, je n’entrerai pas dans le débat sur le détail du budget, pas plus que je ne reviendrai sur votre démonstration très complexe, qui ne nous a pas vraiment convaincus. En effet, le dépassement dont vous parlez n’est pas le fait du lissage budgétaire qui a été voté en commission : il est la conséquence d’ajouts auxquels certains de vos amendements ont d’ailleurs pour objet de participer.

Votre gouvernement a choisi de parler d’« économie de guerre ». Ce sont des termes forts. Dans le même temps, vous proposez de reporter l’effort budgétaire à plus tard, alors que c’est maintenant que les besoins en équipement se font sentir.

Nous comprenons le dilemme de Bercy, qui cherche à faire des économies – le ministre Bruno Le Maire a d’ailleurs annoncé des économies de près de 5 % pour l’ensemble des ministères –, mais il faut aller dans le sens de l’annonce présidentielle et l’opinion publique est aujourd’hui prête à accepter cet effort substantiel en matière de défense. Pour notre part, nous pensons qu’il faut dépenser cet argent maintenant pour des équipements dont nous avons besoin dans cet effort de guerre.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le ministre, vous voyez bien que la discussion est nécessaire.

Comme je l’ai souligné en présentant l’amendement n° 66, c’est vous qui, avec le Gouvernement, avez fait une large communication autour des 413 milliards d’euros et lancé le débat. C’est d’ailleurs pour ces raisons que j’ai déposé cet amendement, ainsi que l’amendement n° 67.

Naturellement, je les retire, mais ils auront permis de lancer la discussion et d’essayer de comprendre. Vous affirmez que les propositions du Sénat ont pour conséquence de dépasser les 413 milliards d’euros prévus, mais certains des amendements que vous avez déposés au nom du Gouvernement aggraveront, eux aussi, la facture. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Mme le président. Les amendements nos 66 et 67 sont retirés.

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le ministre, nous avions très bien compris votre propos, et votre comparaison avec le surbooking est parfaite. C’est d’ailleurs un aveu : le propre du surbooking, c’est que tout le monde n’entre finalement pas dans l’avion !

M. Rachid Temal. Et le passager est alors indemnisé ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. En d’autres termes, nous n’obtiendrons pas la totalité de ce que vous avez affiché en termes de capacité.

La marge frictionnelle est une définition élégante de crédits qui n’existent pas.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme depuis cinquante ans !

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. Ayant été davantage convaincu par les arguments du rapporteur que par les vôtres – ne m’en veuillez pas, monsieur le ministre (Sourires.) –, je retire l’amendement n° 6.

Mme le président. L’amendement n° 6 est retiré.

La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Pour notre part, nous ne voterons aucun de ces amendements – ceux qui resteront ! –, car nous n’avons pas envie d’arbitrer ce débat qui ressemble au bal des hypocrites.

En vérité, il y a un large consensus sur les 413 milliards d’euros, mais le Gouvernement a du mal à assumer ce choix, car les arbitrages budgétaires sont complexes. En effet, un arbitrage politique doit être fait avec la Nation sur la part des richesses disponibles que nous sommes capables de consacrer aux dépenses militaires.

Nous le savons, des arbitrages contradictoires se sont succédé au sein même du Gouvernement, car la charge est lourde et pèsera très fortement.

Dans ces compromis budgétaires, l’affichage des 413 milliards d’euros permet au Gouvernement de passer la rampe.

Par ailleurs, la majorité sénatoriale s’acharne à sécuriser cette trajectoire – elle va le faire tout au long du débat –, en invoquant entre autres la sincérité budgétaire – j’en passe et des meilleures… Or, dès que nous allons entamer l’examen du projet de budget, les mêmes redeviendront des champions de l’orthodoxie budgétaire et de la lutte contre la dette publique ! Après avoir sécurisé le budget de la défense, ils massacreront tous les autres budgets !

Nous sommes en train de passer à côté d’un débat politique avec la Nation sur une question qui mérite pourtant une réponse : quelle part réelle des véritables richesses du pays voulons-nous consacrer à la défense, mais aussi à d’autres priorités nationales, tout aussi stratégiques, y compris en termes de souveraineté ? Je pense par exemple à la souveraineté industrielle, à la souveraineté énergétique dans le contexte de la transition climatique. Je pourrais citer de nombreux autres exemples, mais nous n’avons pas de panorama global sur ces questions.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Laurent. Ce débat, je le répète, c’est un peu le bal des hypocrites.

Mme le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Laurent. Pour notre part, nous ne trancherons pas ce débat.

Mme le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Les 413 milliards d’euros que le Président de la République a annoncés lors de sa visite à Mont-de-Marsan – pour notre part, nous avions refusé de nous y rendre et de figurer sur la photo, car le Parlement n’avait pas été consulté – sont à la fois une force et un boulet pour le Gouvernement. Aujourd’hui, tout tourne autour de cette question et personne ne parvient à en sortir.

Je rappelle qu’une élection présidentielle aura lieu en 2027 et que la trajectoire prévue dans la loi de programmation des finances publiques ne s’étend pas au-delà de cette année-là. On voit bien qu’il va y avoir un problème, comme l’a d’ailleurs relevé le président du Haut Conseil des finances publiques : le projet de loi de programmation militaire tient jusqu’en 2027, mais personne ne sait exactement quelle sera la trajectoire des finances publiques au-delà, entre 2027 et 2030. Nous entrons là dans un tunnel…

J’ai envie de dire à Jojo, monsieur le ministre, que nous pensons qu’il vaut mieux dépenser maintenant pour les programmes, parce que les crédits sont sécurisés, parce qu’on neutralise le risque inflationniste, enfin, parce que personne ne peut dire réellement et sincèrement quelle sera la trajectoire des finances publiques après 2027.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons maintenir à ce stade la trajectoire. Nous débattrons ensuite des 7 milliards d’euros. Notre groupe participera à ce débat, avant la réunion de la commission mixte paritaire. Nous parviendrons à garder l’essentiel et à mettre l’accessoire de côté.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes sur un point dur du texte.

Lors de son discours à Mont-de-Marsan, le Président de la République a annoncé une enveloppe de 413 milliards d’euros. Le problème, ce sont les 13 milliards. Seuls 5,9 milliards d’euros sur ces 13 milliards sont sécurisés, le président Cambon l’a très bien dit. On bute sur 7,4 milliards d’euros.

Ces 7,4 milliards d’euros, monsieur le ministre, ne sont pas destinés à accumuler du matériel neuf dans des hangars rouillés : ils doivent servir à accroître l’activité opérationnelle de nos armées.

J’essaie de suivre votre raisonnement, monsieur le ministre, ce qui n’est pas simple, car il n’est pas clair, sur les reports de charges et les marges frictionnelles. Un report de charges, mes chers collègues, c’est une dépense différée ; une marge frictionnelle, si je ne me trompe pas, c’est un crédit qui ne sera pas consommé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Exactement.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord.

Le problème, monsieur le ministre, c’est que vous comptez aussi bien le report de charges, donc la dépense différée, et la marge frictionnelle, donc les crédits non consommés, comme des ressources. Le compte ne peut donc pas y être !

L’enveloppe est donc sans doute d’un peu plus de 400 milliards d’euros, mais certainement pas de 413 milliards d’euros, mes chers collègues. J’invite le Sénat à tenir bon sur cette base. Il y va de l’avenir de nos soldats, de nos armées, de leur fidélisation.

L’image du surbooking qu’a reprise Dominique de Legge à l’instant est pertinente : l’avion compte 400 places, vous en surbookez 13, mais vous n’y ferez entrer de toute façon que 400 passagers, point final. (M. Rachid Temal sexclame.) Notre point de vue est bien le bon.

Monsieur le ministre, je suis sincère, et vous le savez. Nous avons eu ensemble une discussion sur cette question – j’essaie d’être droit dans la vie publique comme dans la vie privée – et je ne vous prends pas en traître : nous avons inscrit au premier alinéa de l’article 3 une enveloppe de 413 milliards d’euros. Voilà !

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Cambon, rapporteur. Je suis désolé de poursuivre sur ce sujet, mais il est absolument central dans notre discussion.

Je pense, comme Bruno Retailleau vient de le dire, que tout provient de la présentation, certes excessivement communicante, des 413 milliards d’euros.

Prenons le problème à l’envers. Si vous aviez annoncé 400 milliards d’euros budgétés, plus 5,9 milliards d’euros de ressources extrabudgétaires bien identifiées, les sénatrices et les sénateurs étant des gens raisonnables, ils auraient trouvé cela sérieux, même si l’on peut concevoir que des incertitudes puissent peser sur des ressources extrabudgétaires, même bien identifiées, ou que des prévisions puissent être un peu généreuses.

Il eût donc fallu annoncer 405 milliards d’euros. C’était déjà un effort considérable, supérieur de 100 milliards d’euros à la précédente LPM. Ce sont les 7 milliards d’euros qui, dès le premier jour, dans la presse et dans les commentaires entendus ici ou là, ont fait naître des suspicions.

Vous nous parlez des reports de charges, monsieur le ministre. J’évoquerai à cet égard l’exemple de la loi de programmation de votre prédécesseure, Mme Alliot-Marie. Pour 2008, elle prévoyait 28 % de reports de charges. On a alors cru que l’annuité budgétaire de la défense allait exploser. Les industriels, qui, dites-vous, tirent des bénéfices de cette affaire, étaient au bord de la dépression et se demandaient quand ils allaient être payés. C’est facile de leur dire qu’ils seront payés l’année prochaine et qu’ils percevront des intérêts, mais ce que veut un industriel quand il livre un matériel, c’est recevoir le paiement correspondant.

Je pense que l’on peut concevoir un report de charges et des marges frictionnelles, mais pas d’un tel montant : 7 milliards d’euros, c’est énorme ! Il fallait ne pas en parler et dire que l’enveloppe s’élevait à 400 milliards d’euros, plus 5 milliards d’euros de recettes identifiées.

Cédric Perrin aurait peut-être réclamé plus, d’autres peut-être moins, chacun se serait fait un avis, mais tout le monde aurait reconnu un effort réellement substantiel de plus de 100 milliards d’euros et tout se serait bien passé.

La polémique qui perdure est liée aux recettes extrabudgétaires. Tous ceux qui, ici, ont été maire ou conseiller départemental le savent : l’argent, on l’a ou on ne l’a pas. Si on ne l’a pas, on peut escompter le gagner à la loterie et prévoir de le dépenser, mais ce n’est pas ce qu’on fait, me semble-t-il, dans un projet de loi de programmation militaire ! Dans un tel projet de loi, on doit au contraire bien identifier les ressources et les dépenses.

Nous vous demandons des recettes supplémentaires non pour le plaisir de vous mettre en difficulté, monsieur le ministre, mais parce que le diagnostic de la commission, qui peut être partagé par l’ensemble de cette assemblée, c’est que c’est maintenant qu’il faut financer des entraînements. Les pilotes ne parvenant pas à faire 160 heures d’entraînement, alors que la norme en impose 220, ils fichent le camp et s’engagent chez Transavia ! (M. le ministre manifeste sa surprise.)

J’évoque un exemple qui permet de bien identifier les problèmes…

Voilà le sujet : nous voulons plus d’entraînements pour notre armée, notamment pour notre armée de terre. Nous avons déjà évoqué, notamment, la question des chars Leclerc.

Il y a un véritable problème, dont nous sommes prêts à discuter – nous avons jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire pour cela –, mais je pense que le Sénat doit rester sur sa position : sans prévision budgétaire stricte, ou en tous les cas bien comprise, il n’est pas possible de dire que l’on dépensera 413 milliards d’euros. Sinon, ce n’est que de la communication.

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Retailleau, pour revenir sur l’aspect personnel que vous avez évoqué, je connais votre sincérité, que je ne me permettrai jamais de mettre en doute.

Cela étant, j’ai l’impression qu’il est parfois difficile pour certains de créditer le Président de la République de l’augmentation des crédits militaires et que l’on cherche à amoindrir l’effort consenti. Je ne parle pas de vous. (M. Bruno Retailleau sexclame.) Je pensais à l’autre hémicycle où a été examiné le même projet de loi.

M. Rachid Temal. Il y a des LR là-bas aussi !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je dirai cinq choses, avec la même bonne foi. Je veux vraiment qu’elles soient comprises.

Premièrement, vous examinez un projet de loi dont le rapport annexé prévoit 413 milliards d’euros de besoins militaires. Enfin, ce n’est plus vrai, j’y reviendrai dans mon quatrième point, car l’enveloppe a été portée à 416,2 milliards d’euros, le Sénat ayant alourdi la note. Personne n’est revenu sur ce point, mais il va falloir corriger ce montant à un moment donné, sinon, cela signifie que le Sénat propose des évictions et des renoncements sur certaines autres cibles qu’il n’a pourtant pas modifiées. Les amendements adoptés en commission ont en effet entraîné une augmentation de l’enveloppe de 3,2 milliards d’euros !

M. Rachid Temal. Et ce avant la fin de l’examen du texte !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Deuxièmement, ne dites pas, en quelque sorte pour circonscrire le débat, que nous faisons du surbooking, monsieur de Legge : toutes les lois de programmation militaire ont toujours prévu des marges frictionnelles. J’ai voulu cette fois, par souci de transparence, en faire état au Parlement, mal m’en a pris. Je vous avoue que je le regrette un peu. Néanmoins, je pense que c’est une bonne chose de les montrer.

Sur sept ans, il y aura inévitablement un certain nombre de retards, même si on ne les espère pas. Ils sont donc déjà intégrés dans la copie. C’est pour cela que lorsque vous passez de 400 milliards à 407 milliards, ça ne vient pas les écraser, ça les additionne.

Il y a deux manières de procéder dans une loi de programmation. Soit vous intégrez les marges frictionnelles en disant : « Je prends 103 pour avoir 100 », ce que d’ailleurs le sénateur de votre groupe ancien ministre de la défense a fait, et je revendique cette méthode, car c’est une bonne méthode ; soit, et c’est ce que vous proposez in fine, vous dites : « Pour avoir 97, je prends 100 », mais je ne vois pas en quoi le ministère des armées serait gagnant dans cette affaire. Je revendique de nouveau les marges frictionnelles. Elles sont bonnes pour le fonctionnement du ministère.

Troisièmement, les reports de charges prévus par Michèle Alliot-Marie en 2008 – pardon d’être cruel et de revenir à 2008 – n’ont pas été une bonne nouvelle pour les industriels, c’est sûr : ils étaient en euros constants et s’inscrivaient dans un contexte de forte diminution du format des armées !

Les reports de charges que nous prévoyons interviennent dans un contexte différent, les commandes étant nombreuses pour nos propres besoins, mais aussi hélas ! pour l’Ukraine. De ce fait, la base industrielle et technologique de défense y trouve un intérêt différent.

J’ai suivi de près vos débats et je peux vous dire, pour être très clair, que les industriels ne se plaignent jamais des reports de charges aujourd’hui. Et pour cause ! S’il y a bien un sujet qui ne leur pose pas de problème, c’est bien celui-là.

Au passage, si j’étais sénateur « dans mon opposition », comme dirait l’autre, je demanderais quels sont les coûts de ces reports de charges.

M. Rachid Temal. Alors, allons-y : quels sont les coûts ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. N’étant pas mon propre opposant, je vous répondrai que, l’inflation étant forte, les gains que procurent les reports de charges seront bien supérieurs à leur coût pour les industriels,…

M. Christian Cambon, rapporteur. Pour les milliers de sous-traitants ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. … comme j’en ai fait la démonstration au sénateur de Legge dans un courrier.

Cela étant, si, pour ne pas se déjuger, on finit par écraser des dispositifs qui sont bons pour le ministère des armées, je le regretterai, mais, c’est promis, je ne le ferai pas dans Le Figaro. (Sourires.)

Enfin, et M. Laurent a raison sur ce point, si l’on n’intègre pas les marges frictionnelles dans la loi de programmation, il y a des risques d’éviction, soit dans d’autres politiques publiques de l’État – vous l’avez dit dans un autre argumentaire, monsieur Laurent, et techniquement, ce n’est pas faux –, soit au sein même des éléments du programme du ministère des armées. Il me semble important de le rappeler, alors que vous serez appelés, mesdames, messieurs les sénateurs, à examiner un projet de loi de programmation des finances publiques dans le futur.

Quatrièmement, j’y reviens : à ce stade, le texte prévoit 3,2 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, lesquelles ne sont pas documentées par le Sénat. On en est donc non plus à 400, 407 ou 413 milliards d’euros, mais à 416,2 milliards d’euros ! M. Retailleau, en sa qualité de président du groupe Les Républicains, a dit qu’il ne fallait pas aller au-delà de 413 milliards d’euros, ce qui signifie qu’il y a des renoncements quelque part dans la copie. (M. Bruno Retailleau sexclame.)

Si l’on ajoute l’achat de matériel, on dépasse les 413 milliards d’euros. C’est facile à comprendre ! Le raisonnement est implacable…

Les opérations de maintien en condition opérationnelle, c’est différent. Le débat n’est pas le même que sur les marches. Débattre des marches, pour en revenir à la conversation que nous avons eue tous les deux, monsieur Retailleau, c’est dire qu’il semble urgent de faire certaines choses dès à présent, en 2024, sans attendre 2027 ou 2028. Pour autant, elles sont prévues dans les 413 milliards d’euros. Ou dans les 400 milliards d’euros, comme vous voulez…

Vous, vous ajoutez des cibles nouvelles sur toute la programmation. Vous ne les faites pas glisser de la période 2027-2030 à la période 2024-2027. Or elles ne sont ni documentées ni financées. Si vous vous en tenez à l’enveloppe globale, cela signifie, je le répète, qu’il y a des renoncements, pour un montant de 3,2 milliards d’euros. C’est beaucoup d’argent.

Merci, en tout cas, de ces échanges et de ce débat. Ce que j’en retiens, c’est que personne ne veut aller au-delà de 413 milliards d’euros. C’est clair et l’honnêteté me commande de le dire. Je renvoie à d’autres cadres et à d’autres formats l’occasion de nous mettre d’accord.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 282.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 148, présenté par M. P. Laurent, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 4, qui prévoit que la « trajectoire de ressources budgétaire s’entend comme un minimum ».

Les crédits sont sécurisés dans le tableau tel qu’il a été modifié en commission. En outre, ils sont d’un montant supérieur à ceux qui sont indiqués, sachant que certaines dépenses, notamment celles qui sont en faveur de l’Ukraine, mais d’autres également – je ne reviens pas sur la liste dressée par le ministre lui-même précédemment –, ne sont pas comprises dans l’enveloppe. Nous sommes donc au-delà de 413 milliards de dépenses militaires.

Je pense donc que l’alinéa 4 est une source d’ambiguïté. Certains comprennent qu’il est une façon de sécuriser les crédits, mais on peut le lire autrement : on peut aussi considérer que la trajectoire de ressources est un minimum qui est appelé à augmenter encore.

Pour notre part, nous souhaitons supprimer cette ambiguïté, alors que les chiffres, je l’ai dit, sont sécurisés dans le tableau nouvellement adopté.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. L’alinéa que cet amendement vise à supprimer avait été introduit par le rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Il prévoit que la trajectoire de ressources budgétaires est un minimum.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé à plusieurs reprises devant les commissions parlementaires que les marches proposées étaient des planchers et non des plafonds. Compte tenu de l’état de nos finances, cette disposition n’est peut-être pas très opérante, mais, étant donné à la fois les incertitudes qui pèsent sur la situation géostratégique et le niveau de l’inflation, la précision qui a été introduite nous semble opportune.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis pour les mêmes raisons.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 148.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 191 rectifié, présenté par MM. Gontard, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Ces ressources budgétaires n’ont pas d’impact sur les autres missions du budget général.

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à garantir le financement de la LPM par le recours à de nouvelles recettes.

Les écologistes sont favorables aux projections budgétaires des quatre lois de programmation examinées par le Parlement ces deux dernières années concernant les aides publiques au développement, le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice. Elles permettent de renforcer les moyens des pouvoirs publics, de donner de la visibilité et de programmer des investissements pluriannuels. D’une manière générale, nous sommes favorables au renforcement des moyens de la puissance publique.

En d’autres circonstances, les écologistes, profondément pacifistes, n’auraient sans doute pas approuvé une augmentation aussi massive des moyens de la défense, mais la démocratie étant plus que jamais menacée à l’est de l’Europe et l’Ukraine ayant besoin d’un soutien indéfectible, les efforts militaires auxquels la nation consent sont à nos yeux justifiés.

Toutefois, par cet amendement, nous voulons nous assurer que les dépenses financières considérables prévues dans le projet de loi de programmation militaire ne conduiront pas à réduire celles des autres missions du budget général.

Le risque est en effet que les programmations budgétaires ambitieuses, s’agissant notamment des missions régaliennes de l’État, conjuguées au dogmatisme du Gouvernement, qui refuse de faire contribuer les plus aisés à l’effort collectif, et à la promesse irréaliste et discutable du Président de la République de ramener le déficit budgétaire sous la barre des 3 %, ne conduisent mécaniquement à faire peser l’effort financier prévu pour la défense sur les autres missions du budget de l’État, comme l’éducation nationale, la santé, la transition écologique, la culture. Ce ne serait pas acceptable.

Le présent amendement vise donc à garantir un financement de la LPM assuré au moyen de nouvelles recettes et non par des transferts de crédits susceptibles d’affaiblir des services publics déjà amoindris ou par amputation de nos ambitions en matière de transition écologique.