PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Belin applaudit également.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 413 milliards d’euros, c’est bien l’effort budgétaire que prévoit ce projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030.

Depuis plusieurs décennies, dans un contexte post-guerre froide bénéficiant des dividendes de la paix, nos forces se sont vu imposer une érosion des moyens budgétaires et une diminution drastique des effectifs.

Cette augmentation de la part du budget de la Nation consacrée à nos armées est la bienvenue. Elle poursuit le mouvement engagé dès 2019 avec l’actuelle LPM, qui avait déjà pour objectifs de porter la part des dépenses militaires à 2 % du PIB en 2025 et de créer 6 000 emplois.

Cette trajectoire budgétaire de croissance visait déjà à régénérer le capital opérationnel des armées pour constituer une première étape vers un « modèle d’armée complet et équilibré ».

En février 2022, l’agression de l’Ukraine par la Russie a constitué un glissement stratégique. La guerre était de retour sur le flanc oriental de l’Europe et il apparaissait nécessaire de revoir notre ambition face à un regain de tensions dans toutes les zones du monde. Ainsi, les risques et les menaces sont plus importants que jamais et pourraient aller jusqu’à un engagement de très haute intensité.

Les travaux en vue de cette nouvelle loi de programmation militaire ont été engagés depuis de nombreux mois. Malheureusement, l’exécutif a préféré faire l’économie d’un Livre blanc au profit d’une revue nationale stratégique à laquelle les parlementaires n’ont été que peu associés, pour ne pas dire pas du tout, ce que nous regrettons.

Cette revue nationale stratégique se limite malheureusement à un inventaire des défis sécuritaires futurs sans les hiérarchiser, alors que nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe, marqué par de nouveaux espaces de conflictualité, mais aussi par la persistance de certains réflexes comparables à ceux des derniers conflits mondiaux.

Nous nous sommes étonnés, en commission, de constater que, malgré une hausse considérable du budget des armées octroyée par cette programmation, certains objectifs sont bien plus étalés que ce qui était initialement prévu. Nous regrettons également certains décalages de programme et révisions à la baisse.

Cependant, nous nous félicitons des avancées majeures désormais introduites dans ce texte, ainsi que des crédits fléchés sur des programmes à effet majeur comme sur des cibles ô combien importantes. Nous nous réjouissons, bien évidemment, de l’engagement du programme consacré au porte-avions de nouvelle génération, qui constituera un élément de crédibilité et de souveraineté, et nous nous félicitons des 5 milliards d’euros d’ores et déjà fléchés dans cette programmation.

Même si l’inflation aura une incidence sur cette trajectoire budgétaire, nous ne pouvons que saluer les efforts réalisés pour nos services de renseignement et la lutte contre l’ingérence, ainsi que pour nos forces spéciales afin de leur permettre d’améliorer encore leurs capacités et leur polyvalence.

Nous saluons aussi les efforts en faveur de notre capacité de dissuasion aérienne et océanique, qui bénéficiera également de crédits de modernisation, ainsi que ceux qui sont consentis pour la consolidation du socle d’entraînement grâce aux capacités de simulation.

Nous saluons également l’effort en faveur des munitions qui permettra aux armées de consolider et de recompléter les stocks, ainsi que les efforts pour favoriser une transition nécessaire vers les futures capacités : feux dans la profondeur ou encore munitions téléopérées.

Enfin, nous saluons les crédits accordés à l’innovation, crédits ô combien vitaux pour affirmer notre supériorité technologique et garantir la maîtrise des nouveaux champs de conflictualité, et nous nous félicitons de l’effort en faveur de notre modèle de ressources humaines, ainsi que de l’attention portée à nos services de soutien.

Dans ce contexte, le groupe Union Centriste approuve le lissage et la consolidation de la trajectoire budgétaire, ainsi que les amendements visant à sécuriser le budget du ministère.

En créant un livret d’épargne souveraineté, notre commission a également répondu à un appel des industriels de la défense et de leurs prestataires, lesquels rencontrent encore trop souvent des difficultés de financement.

En tant que rapporteur pour avis du programme 178 lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, je ne peux m’empêcher d’évoquer quelques points.

L’effort consenti en faveur des crédits de paiement dans le cadre de cette programmation est considérable. Trois chiffres marquent une progression très nette : 69 milliards d’euros bénéficieront à l’entraînement et à l’activité des forces, soit un effort supplémentaire de 20 milliards d’euros par rapport à l’actuelle LPM ; 49 milliards d’euros sont alloués à l’entretien programmé du matériel (EPM), soit 14 milliards d’euros de plus ; 18 milliards d’euros seront consacrés aux services de soutien, soit une hausse de 4 milliards d’euros.

L’effort est là, il était indispensable tant le programme 178 constitue une dimension importante pour répondre à l’hypothèse d’un engagement majeur ou de haute intensité.

Mais les résultats en matière de préparation opérationnelle et de disponibilité technique opérationnelle représentent de forts sujets de préoccupation pour notre commission. En 2023, les indicateurs en la matière sont particulièrement décevants.

La situation s’est dégradée sans que nous ayons de visibilité sur le décrochage qui s’est opéré pendant les quatre premières années de la LPM, faute d’application de l’article 7, qui prévoyait des objectifs annuels dans ces domaines.

Nous nous assurerons également que les indicateurs de l’armée de terre, qui n’atteignent aujourd’hui que 70 % de la norme d’entraînement, ne soient pas sous-estimés.

La consommation de ces crédits ne devra donc pas être repoussée à la deuxième moitié ou au dernier tiers de la LPM. Nous ne pouvons pas accepter, cette fois encore, de ne pas avoir de jalons tout au long de l’exécution de la loi. C’est un débat que nous aurons très certainement en séance.

Nous devons collectivement veiller au capital technique des armées. Nous ne pouvons pas, comme certains de nos alliés, nous retrouver avec une armée qui « présente bien », mais qui s’effrite lors d’un l’examen détaillé.

Le groupe Union Centriste défendra, avec conviction, plusieurs amendements sur le service de santé des armées afin que le ministère des armées s’engage à préserver ses savoir-faire, parfois uniques au monde, ou sur les grands fonds marins, qui constituent un nouvel espace de conflictualité.

Il y a un an, le Sénat a rendu un rapport d’information sur la problématique des grands fonds marins. Il y indiquait que la marine ne disposait en propre d’aucun équipement capable d’atteindre 6 000 mètres de profondeur.

Il est nécessaire que l’objectif d’acquisition d’équipements spécifiques pour mieux connaître, surveiller et agir jusqu’à des profondeurs importantes soit maintenu et atteint. Cela permettrait de couvrir près de 97 % des fonds marins du globe.

Pour la France, dont la superficie maritime représente dix-sept fois la superficie terrestre grâce à ses outre-mer, il s’agit de préserver son rôle historique de grande puissance maritime et scientifique à l’échelon mondial.

Nous avons également déposé de nombreux amendements sur l’importance de la filière stratégique des drones.

Enfin, nous soutiendrons l’amendement visant à consolider notre base industrielle et technologique de défense.

Mon collègue Philippe Folliot insistera, pour sa part, dans quelques instants, sur tous les enjeux liés à nos outre-mer auxquels le groupe Union Centriste est très attaché.

Pour conclure, j’aurai une pensée pour les soldats tombés pour notre drapeau ou qui ont été blessés sur les différents théâtres d’opérations extérieures, particulièrement pour les cinquante-huit soldats qui ont perdu la vie durant l’opération Barkhane.

Monsieur le ministre, durant l’examen de ce texte structurant pour nos forces, nous avons le devoir, ensemble, de déterminer le modèle d’armée que nous souhaitons pour faire face aux enjeux de souveraineté auxquels la France doit répondre, à l’heure où les compétiteurs et les États puissances ne cachent plus leurs ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de dresser un constat qui sonne comme un regret : il a fallu attendre le retour de la guerre sur le sol européen, aux portes de l’Union européenne, pour réaliser et surtout assumer officiellement le fait que l’outil de défense dont nous disposons est, a minima, adapté au seul temps de paix.

Pourtant, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous avons connu de sérieuses alertes. En 2021, deux exercices interarmées de simulation de conflits internationaux organisés avec les Américains et les Britanniques avaient permis de constater les limites capacitaires des forces françaises.

La commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale avait alors rappelé, en février 2022, qu’« en une quinzaine de minutes d’un premier combat, deux frégates avaient été envoyées par le fond et deux autres étaient neutralisées ». Elle poursuivait : « Si nous extrapolions les pertes au regard de certains conflits aériens, il est manifeste que l’aviation de chasse française pourrait être réduite à néant en cinq jours. »

À qui la faute, me direz-vous ? Avouons-le : à tout le monde et à personne à la fois ! Ne voyez pas en cette formule une manière d’excuser une responsabilité, en la noyant dans une impéritie collective.

Nous avons, tous autant que nous sommes, péché par naïveté, persuadés que la construction européenne suffirait à nous préserver. Bercée par cette douce illusion de paix, la Nation a laissé « filer » le budget de la défense, le réduisant à une variable d’ajustement.

Pourtant, selon les derniers classements publiés en mai dernier, la France dispose de la neuvième armée au monde et de la première dans l’Union européenne : quel paradoxe !

Après une LPM 2019-2024 à hauteur de 295 milliards d’euros, qui entendait combler les retards dans tous les domaines, des équipements en passant par la préparation opérationnelle, le renseignement ou encore la condition de la vie militaire, le temps des vaches maigres semble révolu.

Néanmoins, si nous nous accordons tous à dire que l’enveloppe de 413 milliards d’euros à partir de 2024 sur sept ans est substantielle, des incertitudes demeurent sur sa soutenabilité, ainsi que l’a rappelé notre rapporteur. Ainsi, l’étalement des cibles de matériel et la question de l’inflation, dont le coût serait d’ores et déjà estimé à 30 milliards d’euros, incitent à la prudence.

Quoi qu’il en soit, félicitons-nous d’avoir, en commission, réorganisé la variation des crédits dans le temps, sans pour autant modifier le budget global. Ils progresseront ainsi de façon rythmée et régulière, passant de 47 milliards d’euros en 2024 à 69 milliards d’euros en 2030.

Avec ce montant plancher à atteindre, la Nation doit pouvoir garantir la crédibilité dans la durée de notre dissuasion nucléaire, transformer nos armées afin de conforter notre supériorité opérationnelle, renforcer la cohérence, la préparation et la réactivité de nos forces armées et, enfin, poursuivre l’attractivité et la fidélisation des militaires et des civils.

Je ne détaillerai pas les différentes enveloppes ni les nombreuses dispositions, notamment celles qui sont relatives aux opérations extérieures (Opex), avec la mise en place de la solidarité interministérielle, ou les garde-fous entourant le service national universel.

Je me félicite du fait que, au-delà de la prévision de 136 milliards d’euros pour la préparation et l’emploi des forces, l’entretien programmé du matériel et les soutiens, les services de renseignement du premier cercle bénéficieront de 5,4 milliards d’euros. De même, je me réjouis que 15 milliards d’euros soient consacrés uniquement à l’innovation et à la « dronisation » des forces.

Nos forces armées, quant à elles, bénéficieront de cibles de matériels dont nous pourrions élever l’influence au rang de fonction stratégique.

L’effort est notable pour la marine nationale avec les commandes de sept patrouilleurs de haute mer, de trois ensembles de chasseurs de mines et les perspectives d’un porte-avions de nouvelle génération à l’horizon de 2037.

Il en va de même pour l’armée de l’air, avec 137 Rafale d’ici à 2030 – j’espère que les engagements sur les dates seront tenus – et l’achat de six systèmes d’Eurodrone, ainsi que pour l’armée de terre, qui renforce de 2 milliards d’euros son budget munitions.

Il est apparu nécessaire de créer un régime d’apprentissage militaire et de promouvoir le lien nation-armées pour atteindre les objectifs quant à la cible de réserve fixée au plus tard en 2035.

C’est aussi dans le cadre de la promotion de ce lien fort Nation-armées que la commission a créé un livret d’épargne souveraineté, destiné au financement de l’industrie de défense en complément de l’effort budgétaire.

En conclusion, en tant que représentants de la nation, nous nous félicitons des dispositions qui permettront de sacraliser le rôle du Parlement. À cet égard, la commission a renforcé les garanties de l’actualisation dans le temps de la LPM, en prévoyant de passer par le vote d’une loi. Quoi de plus logique ?

La LPM n’est pas seulement un texte égrenant une farandole de chiffres, dont l’accumulation peut rendre perplexe le commun des mortels. Elle appelle des ajustements et des évolutions, qui ne peuvent être les otages des orientations budgétaires.

Il appartient à la représentation nationale de veiller au respect des engagements pris pour la défense. Ensemble, mes chers collègues, nous devons la construire et la consolider.

Monsieur le ministre, c’est donc avec bienveillance que le groupe du RDSE abordera l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 24 février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a brutalement refermé la parenthèse géopolitique ouverte il y a trente ans avec la chute de l’URSS et la fin de la guerre froide.

Balayant les dernières illusions héritées de cette période de confort stratégique, l’agression de Moscou a forcé les Européens à sortir de l’indolence et à regarder en face la nouvelle ère dans laquelle ils étaient entrés.

C’est une ère placée sous le signe de l’incertitude, de la polarisation et de la confrontation, une ère où les mouvements tectoniques de l’ordre international, qui agissaient jusqu’à présent à bas bruit, apparaissent désormais en pleine lumière.

Réveil des impérialismes, affirmation des puissances régionales, multilatéralisme en délitement, recours au fait accompli et à la force, diversification des menaces, contestation de l’influence occidentale : la guerre en Ukraine fait partie de ces événements historiques qui éclairent la bascule du monde autant qu’ils l’accélèrent.

Face à ce séisme géopolitique dont nous avons encore ressenti ce week-end une réplique, la sécurité de notre continent et de notre pays apparaît non plus comme une évidence, mais comme un bien à protéger. Cette réalité nous amène aujourd’hui à examiner ce projet de loi de programmation militaire.

Pour la France, comme d’ailleurs pour les autres États d’Europe, le constat est implacable : après trente ans de désinvestissement massif dans leurs outils de défense, c’est largement démunis, pour ne pas dire désarmés, qu’ils abordent le nouveau paradigme stratégique qui s’impose à eux. Depuis plus d’un an, tous ou presque ont donc affirmé leur volonté de renforcer leurs budgets militaires.

Avec 400 milliards d’euros programmés pour les sept prochaines années, soit une hausse de 13,3 milliards, la France s’inscrit clairement dans ce mouvement global de réinvestissement.

Nous vous en donnons acte, monsieur le ministre, car vous vous êtes battus en ce sens. L’enveloppe est importante, d’autant qu’elle intervient à la suite des réels efforts financiers entrepris depuis 2019 pour restaurer le potentiel militaire de notre pays.

Pour autant, sera-t-elle suffisante pour permettre à nos armées de se hisser rapidement au niveau des enjeux et des défis posés par la guerre à l’est de l’Europe ? Sans doute pas…

C’est bien là le grand paradoxe de la LPM que vous nous proposez aujourd’hui, un paradoxe entre des crédits qui augmentent fortement et des dotations en équipements majeurs qui ne progressent pas. Pour certains programmes, la situation va même se dégrader, puisque les cibles fixées hier pour 2030 ne seront finalement atteintes qu’à l’horizon de 2035.

Nous devons cette vérité aux Français, qui financeront l’effort de défense de la nation. Ce n’est pas tant une affaire de « nombre de véhicules » parqués dans les « hangars », monsieur le ministre, que de remplacement de nos matériels consommés ou envoyés à nos alliés !

Il n’y aura pas davantage d’hommes et de femmes sous les drapeaux : le format des armées restera lui aussi identique à celui qui est visé par la programmation en cours.

Pour compenser cette atonie, le Gouvernement table sur une augmentation spectaculaire des effectifs de la réserve opérationnelle, qui seraient doublés en sept ans. Nous souscrivons, bien sûr, à cet objectif.

Néanmoins, suivant en cela l’analyse du Conseil d’État, il me semble bien difficile de ne pas être sceptique quant à sa réalisation, et pour cause : la lecture de ce texte ne nous permet pas de comprendre comment le Gouvernement entend financer cette montée en puissance ni comment il compte former, équiper et employer les réservistes supplémentaires.

Naturellement, ce projet de loi de programmation militaire préserve, à l’horizon de 2030, des acquis fondamentaux auxquels nous adhérons. En particulier, notre modèle d’armée restera complet et capable d’agir dans quasiment tous les domaines. Il demeurera sous-tendu par une dissuasion nucléaire indépendante, renouvelée et modernisée.

Mais, là encore, nous devons tenir un langage de vérité. Malgré leur qualité unanimement reconnue, malgré les efforts portés sur leur cohérence, nos armées resteront, y compris au sein d’une coalition, sous-dimensionnées pour faire face à l’exigence d’un engagement majeur, nécessairement long et coûteux en vies et en matériels.

Bien sûr, nous comprenons qu’il ne soit pas possible d’effacer en quelques années des décennies de désarmement. Nous comprenons que tout ne puisse pas être financé, a fortiori dans une période où l’inflation fait peser des incertitudes budgétaires inédites.

Permettez-moi, à ce titre, de souligner à quel point l’estimation retenue par le Gouvernement – environ 30 milliards d’euros sur la période – me semble optimiste. Les coûts des grands équipements militaires n’évoluent pas de la même manière que le panier de la ménagère. C’est près du double, soit au bas mot l’équivalent d’une année de programmation, qui pourrait finalement être effacé par l’érosion monétaire.

Nous comprenons enfin qu’une LPM soit contrainte de faire des choix. Mais précisément, ce que nous comprenons moins, c’est l’absence de choix stratégiques forts sur l’orientation de notre modèle d’armée, sur les segments à privilégier face aux menaces les plus prégnantes. Le texte qui nous est soumis donne davantage l’impression de proroger l’existant jusqu’à la prochaine élection présidentielle que de prendre acte des immenses bouleversements stratégiques advenus ces derniers mois. C’est, me semble-t-il, l’une des grandes occasions manquées de cette programmation.

Ce que nous comprenons moins, ensuite, c’est le choix d’affecter au financement de nos armées certaines ressources frappées d’une si grande incertitude. Monsieur le ministre, la fable de la vente des fréquences hertziennes est encore dans toutes les mémoires. Vous comprendrez donc que, après avoir pris connaissance de l’avis du Haut Conseil des finances publiques, le Parlement fasse preuve d’une saine méfiance sur ce sujet.

Nous vous proposons par conséquent, sans alourdir la dette et en respectant le budget défini par le Président de la République, de sanctuariser véritablement ces 413,3 milliards d’euros, et rien que ces 413,3 milliards d’euros, sur lesquels vous avez tant communiqué.

Enfin, ce que nous comprenons moins, c’est le choix de précipiter l’élaboration d’une nouvelle LPM, tout en conservant pour les premières années des efforts budgétaires identiques à ceux qui avaient été décidés avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, c’est-à-dire 3 milliards d’euros par an.

En somme, le texte qui nous est soumis laisse au prochain Président de la République le soin d’accélérer la cadence, alors que c’est maintenant que la guerre fait rage en Europe, maintenant que nos années doivent remonter en puissance, maintenant que nos industriels ont besoin de visibilité, donc de commandes, pour donner un tant soit peu corps à la notion d’« économie de guerre », si chère au Président de la République.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entrerons dans la discussion de ce texte animés avant tout d’un esprit de responsabilité, vis-à-vis tant de nos concitoyens que de nos soldats, de nos marins et de nos aviateurs, qui acceptent de faire de leur vie notre ultime rempart face aux menaces.

Nous n’avons donc pas l’intention d’ajouter des milliards aux milliards. Nous sommes trop conscients de la situation financière déplorable de notre pays pour nous permettre une quelconque désinvolture en la matière.

Notre commission, conduite par notre rapporteur, défendra néanmoins quelques idées simples.

D’une part, nous ne voulons pas laisser subsister le moindre doute sur le fait que les ressources promises à nos armées seront bel et bien au rendez-vous.

D’autre part, nous voulons veiller à ce que le rythme auquel elles seront mises à leur disposition soit crédible et surtout compatible avec l’évolution des dangers qui pèsent sur la France et l’Europe.

Je ne sais pas si une « courbe budgétaire permet de protéger notre nation », monsieur le ministre, mais, devant les menaces, nous ne croyons pas à la stratégie d’une défense en pente douce ! Car, en définitive, cette courbe détermine tout le reste, à commencer par la crédibilité, la sincérité et l’efficacité de la programmation à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. Christian Cambon, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, seul pays de l’Union européenne à disposer d’un modèle d’armée complet, la France est engagée depuis de nombreuses années dans la lutte contre les groupes terroristes, que ce soit en Afrique, au Levant ou en Asie centrale.

Plus qu’aucun de nos partenaires, nous connaissons le prix de la souveraineté et celui du sang. Je veux rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont donné leur vie pour la France, à ceux qui ont été blessés, ainsi qu’à l’ensemble de nos forces. Leur engagement et leur professionnalisme nous permettent d’être libres.

La guerre est de retour sur notre continent. Autant que nous le pouvons, nous devons continuer de soutenir l’Ukraine, qui se bat pour sa survie, pour l’Europe et pour la liberté. Ce soutien ne doit cependant pas obérer la montée en puissance de nos capacités.

La commission, sous la conduite de son président, a veillé à maintenir ce chemin de crête. Il est étroit, mais il est incontournable. Jusqu’en 2030, les besoins de nos armées s’élèvent à plus de 400 milliards d’euros. La commission a fait le choix de lisser davantage l’augmentation du budget de la défense afin de crédibiliser cette hausse.

Un fonds européen destiné à l’industrie de la recherche dans le domaine militaire a vu le jour. D’un montant de 7 milliards d’euros pour la période 2021-2027, ce fonds démontre la prise de conscience unanime de la nécessité d’agir solidairement pour la défense de notre continent. Nous devons pouvoir faire face au réarmement, qui est non seulement français, mais aussi européen et international.

Nos entreprises doivent être à la hauteur de ces enjeux et prêtes à répondre à la demande. Dans mon département, cela va des petites entreprises, comme EM2 à Ancenis – une des très rares entreprises spécialisées dans les emballages d’obus, qui fait face actuellement à une demande exponentielle, voire faramineuse, en raison de la guerre en Ukraine, ce qui témoigne de la gravité de la situation –, aux grandes entreprises, comme Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique, qui seront chargés de construire d’ici à 2038 un porte-avions à Saint-Nazaire pour un budget supérieur à 5 milliards d’euros.

À ce sujet, j’appelle votre attention, monsieur le ministre, car un véritable défi doit être relevé. Une part significative des travaux à Saint-Nazaire sont réalisés par des sous-traitants étrangers pour un coût salarial moins élevé, ce qui nous interpelle. Nous devons d’ores et déjà former du personnel qualifié capable d’assumer la construction du futur porte-avions.

L’État doit être au rendez-vous en matière d’éducation et de formation professionnelle, mais également pour accompagner les petites et moyennes entreprises, qui devront investir pour absorber une demande croissante. La visibilité dans les programmes à venir est essentielle, si nous voulons des acteurs français capables de répondre à des besoins complexes et variés en matière de défense. Leur contribution à la sécurité nationale, européenne et internationale est inestimable.

Notre engagement dans la défense et la sécurité est non seulement un impératif stratégique, mais aussi l’occasion de renforcer notre industrie, de créer des emplois et de stimuler l’innovation.

Nos entreprises sont un atout pour l’économie de nos territoires. Elles constituent une source d’expertise technologique de premier plan et une voie de développement qui contribue non seulement à notre sécurité, mais aussi à notre prospérité.

La dissuasion nucléaire doit rester la clé de voûte de notre stratégie de défense. Il nous faut absolument préserver cet héritage du général de Gaulle, qui a permis à la France d’être libre. Pour demeurer crédibles, nous devons veiller à l’entretien et au développement de nos vecteurs. Cela représente un coût très élevé, mais c’est le prix de notre liberté – il n’est donc pas négociable.

Nos forces conventionnelles doivent également être préparées à être engagées dans des conflits de haute intensité. Contrairement à Poutine, nous ne voyons pas nos soldats comme de la chair à canon. Nous les considérons comme des techniciens très efficaces qui doivent pouvoir servir en bénéficiant du meilleur matériel.

Le projet de LPM prévoit donc pour les années à venir une montée en gamme. La France s’apprête ainsi à moderniser ses équipements, en privilégiant la qualité sur la quantité. Les dernières technologies sont, certes, plus onéreuses, mais elles permettent une précision et une discrétion pouvant faire la différence.

Aujourd’hui comme hier, la patrie a besoin de femmes et d’hommes pour la défendre. Les effectifs de nos armées devront être portés à 275 000 postes en équivalent temps plein (ETP) en 2030. Pour les appuyer, mais aussi pour faire vivre le lien armées-Nation, la programmation prévoit d’accroître le nombre de réservistes à 80 000 à l’horizon 2030. Nous approuvons cette orientation.

Afin de parvenir à nos objectifs, nous avons également besoin de renforcer notre base industrielle et technologique de défense, que j’évoquais tout à l’heure. Le texte simplifie la passation de marchés et adapte les enquêtes de coûts. Plusieurs dispositions ont également pour objet de permettre à la France de disposer des matériels nécessaires à une confrontation. La création d’un livret d’épargne souveraineté est à cet égard pertinente.

Mes chers collègues, l’invasion de l’Ukraine par la Russie marque le début d’une nouvelle ère. D’autres conflits de haute intensité pourraient éclater à l’avenir, impliquant la France ou ses alliés. La guerre est toujours une tragédie. Il est de notre devoir de préparer au mieux notre pays à cette triste éventualité.

Vous connaissez les mots de Clemenceau : « il faut savoir ce que l’on veut ; quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire ». Nous avons dit ce que nous voulions : à nous d’avoir le courage de le faire ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)