M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Votre amendement, monsieur Montaugé, vise à exclure le secret des affaires des secrets pouvant être opposés au CSA lors de ses contrôles des algorithmes.

Cet amendement nous semble satisfait par le droit en vigueur. Nous avons déjà eu ce débat en commission lors de la première lecture et, de nouveau, pour cette nouvelle lecture. Or notre position n’a pas changé : le 1° de l’article 19 de la loi relative à la liberté de communication, dite loi Léotard, ne prévoit qu’une seule limite au pouvoir de contrôle du CSA, celle du libre exercice de l’activité des partis et groupements politiques.

Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. Je profite de ce moment, monsieur Montaugé, pour saluer le travail que vous avez mené sur la souveraineté numérique.

En ce qui concerne cet amendement, le Gouvernement partage l’avis de la commission. Vous souhaitez modifier les dispositions de la loi complétant l’article 19 de la loi de 1986 pour préciser que le secret des affaires ne peut être opposé au CSA. Or cet article 19 prévoit déjà que le CSA ne peut se voir opposer le secret des affaires lorsqu’il met en œuvre les pouvoirs qu’il tient de cet article même. La précision apportée par cet amendement ne nous semble donc pas utile.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(Larticle 4 est adopté.)

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Chapitre IV

Amélioration de la lutte contre la diffusion de contenus haineux en ligne

Article 4
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Article 6 bis AA

Article 6

(Non modifié)

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée est ainsi modifiée :

1° Au 8 du I de l’article 6, les mots : « , à défaut, à toute personne mentionnée » sont supprimés ;

2° Après l’article 6-1, il est inséré un article 6-4 ainsi rédigé :

« Art. 6-4. – Lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne dont le contenu relève des infractions prévues au premier alinéa du I de l’article 6-2, l’autorité administrative, saisie le cas échéant par toute personne intéressée, peut demander aux personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6, et pour une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par celle-ci, d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant le contenu du service visé par ladite décision en totalité ou de manière substantielle.

« Dans les mêmes conditions, l’autorité administrative peut également demander à tout exploitant de moteur de recherche, annuaire ou autre service de référencement de faire cesser le référencement des adresses électroniques donnant accès à ces services de communication au public en ligne.

« L’autorité administrative tient à jour une liste des services de communication au public en ligne mentionnés au premier alinéa du présent article qui ont fait l’objet d’une demande de blocage d’accès en application du même premier alinéa ainsi que des adresses électroniques donnant accès à ces services et met cette liste à la disposition des annonceurs, de leurs mandataires et des services mentionnés au 2° du II de l’article 299 du code général des impôts. Ces services sont inscrits sur cette liste pour la durée restant à courir des mesures ordonnées par l’autorité judiciaire.

« Lorsqu’il n’est pas procédé au blocage ou au déréférencement desdits services en application des deux premiers alinéas du présent article, l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux contenus de ces services. » – (Adopté.)

Article 6
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Article 6 bis A

Article 6 bis AA

(Non modifié)

Pendant toute la durée de l’inscription sur la liste mentionnée à l’article 6-4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, les annonceurs, leurs mandataires et les services mentionnés au 2° du II de l’article 299 du code général des impôts en relation commerciale avec les services mentionnés, notamment pour y pratiquer des insertions publicitaires, sont tenus de rendre publique au minimum une fois par an sur leurs sites internet l’existence de ces relations et de les mentionner au rapport annuel s’ils sont tenus d’en adopter un.

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Assouline, Montaugé, Durain, Kanner, Jacques Bigot et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour et Antiste, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable, Mmes Monier, S. Robert et Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les annonceurs publient en ligne et tiennent à jour au minimum mensuellement les informations relatives aux emplacements de diffusion de leurs annonces qui leur sont communiquées par les vendeurs d’espace publicitaire sur internet en application de l’article 23 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

Le fait de ne pas respecter l’obligation définie au premier alinéa du présent article est puni de la peine prévue au 1° de l’article 25 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 précitée et dans les conditions prévues au même article 25.

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. L’article 6 bis AA, introduit au Sénat en première lecture, avait pour objet de tarir le financement des sites à caractère haineux par la limitation de la publicité susceptible d’y être diffusée.

Il prévoyait que les annonceurs devaient publier en ligne et tenir à jour, au moins mensuellement, les informations relatives aux emplacements de diffusion de leurs annonces, communiquées par les vendeurs d’espaces publicitaires.

Le manquement à cette obligation était passible d’une amende administrative de 30 000 euros au maximum, sous le contrôle des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

L’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement, a considérablement limité la portée de ce dispositif en prévoyant que l’obligation de transparence ne concernerait que les sites faisant l’objet d’une décision de blocage judiciaire ou administratif.

La transparence des dépenses publicitaires ne serait donc plus générale, contrairement à l’objectif de responsabilisation du secteur publicitaire, des annonceurs ou des intermédiaires du web. On peut entendre les inquiétudes des annonceurs et prendre en compte la complexité de la chaîne des acteurs de la diffusion publicitaire comme on a entendu les inquiétudes exprimées par les grandes plateformes. Toutefois, il importe d’insister sur la nécessité de lutter contre la publicité sur des sites diffusant des discours de haine pour tarir, par ce biais, la source de leur financement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’adoption de cet amendement, qui tend à instaurer des obligations de transparence à la charge de certains acteurs de la publicité en ligne, et relève, en français correct, de l’approche dite follow the money (Sourires.), reviendrait à rétablir l’article dans la rédaction issue des travaux du Sénat en première lecture.

Or cette disposition a fait l’objet de nombreux ajustements au cours de la navette. Dans le dernier état de sa rédaction, la transparence des dépenses publicitaires ne serait plus générale, mais concernerait uniquement les sites faisant l’objet d’une décision de blocage judiciaire ou administrative. Les acteurs de la publicité en ligne seraient destinataires des listes de sites faisant l’objet d’une demande de blocage et devraient alors rendre publique, au moins une fois par an, sur leur site internet, l’existence de ces relations et en faire mention dans leur rapport annuel.

Les auteurs de cet amendement souhaitent aller encore plus loin en généralisant cette transparence à tous les acteurs de la publicité en ligne. La commission vous propose d’en rester au compromis trouvé avec l’Assemblée nationale, raison pour laquelle elle émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, nous avons discuté, hier, à l’Assemblée nationale, en commission des affaires économiques, avec le député Éric Bothorel, qui était à l’initiative d’un amendement visant à introduire la même disposition lors de la discussion de la présente proposition de loi. Je pense qu’il faut poursuivre une réflexion sur ce sujet.

J’ai beau émettre un avis défavorable sur cet amendement, ce n’est pas tout à fait la fin de l’histoire. Je vous invite, monsieur Courteau, à vous rapprocher de M. Bothorel pour continuer de travailler avec le Gouvernement sur ces questions. Je suis assez favorable à la philosophie de ces dispositions, encore reste-t-il à préciser plusieurs éléments techniques.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6 bis AA.

(Larticle 6 bis AA est adopté.)

Chapitre IV bis

Renforcement de l’efficacité de la réponse pénale à l’égard des auteurs de contenus haineux en ligne

Article 6 bis AA
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Article 6 bis B

Article 6 bis A

(Non modifié)

Après l’article 15-3-2 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15-3-3 ainsi rédigé :

« Art. 15-3-3. – Un tribunal judiciaire désigné par décret exerce une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application des articles 43, 52 et 382 du présent code pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits prévus au 6° du III de l’article 222-33 du code pénal, lorsqu’ils sont commis avec la circonstance aggravante prévue à l’article 132-76 du même code, au 4° de l’article 222-33-2-2 dudit code, lorsqu’ils sont commis avec la circonstance aggravante prévue à l’article 132-76 ou 132-77 du même code, et à l’avant-dernier alinéa du I de l’article 6-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, lorsqu’ils ont fait l’objet d’une plainte adressée par voie électronique en application de l’article 15-3-1 du présent code. » – (Adopté.)

Article 6 bis A
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Article 6 bis C

Article 6 bis B

(Non modifié)

I et II. – (Non modifiés)

III. – (Supprimé) – (Adopté.)

Article 6 bis B
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Article 7

Article 6 bis C

(Supprimé)

Chapitre IV ter

Prévention de la diffusion de contenus haineux en ligne

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Chapitre V

Dispositions finales

Article 6 bis C
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Article 9

Article 7

(Non modifié)

Un observatoire de la haine en ligne assure le suivi et l’analyse de l’évolution des contenus mentionnés à l’article 1er de la présente loi.

Il associe les opérateurs, associations, administrations et chercheurs concernés par la lutte et la prévention contre ces infractions et prend en compte la diversité des publics, notamment les mineurs.

Il est placé auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui en assure le secrétariat.

Ses missions et sa composition sont fixées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. – (Adopté.)

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Article 7
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 9

Les articles 1er, 2 et 3 ainsi que les I, I bis A et I bis de l’article 4 entrent en vigueur le 1er juillet 2020. Le 2° du I ter du même article 4 entre en vigueur le 1er janvier 2021. – (Adopté.)

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M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la nouvelle lecture.

Vote sur l’ensemble

Article 9
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Claude Malhuret, pour explication de vote.

M. Claude Malhuret. Je ne me trompais pas en discussion générale, ma tentative était désespérée. (Sourires.) Notre groupe s’abstiendra sur ce texte. Nous ne voterons pas contre, car il ne sera pas néfaste, seulement inopérant.

J’ai expliqué voilà quelques instants que le cœur du texte initial créant le délit de non-retrait ne constituait en aucun cas une atteinte à la liberté d’expression, laquelle ne doit pas être confondue avec la liberté de déverser des torrents de boue délictueux. Je n’y reviens donc pas.

Je voudrais seulement répondre à deux ou trois arguments que j’ai entendus au cours du débat, à commencer par l’argument d’autorité, utilisé larga manu depuis longtemps, selon lequel la version initiale du texte serait inconstitutionnelle et inconventionnelle.

Le Conseil d’État, que l’on sollicite un peu trop, souligne pourtant que ce délit « ne viendrait que donner une portée effective aux dispositions actuelles de la directive e-commerce » et de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et « ne soulèverait pas de difficulté au regard du droit constitutionnel et des obligations conventionnelles de la France ». Il faut tout de même le dire à un moment ou à un autre.

De la même façon, en ce qui concerne la non-conformité au droit européen, je rappelle que la loi allemande, qui prévoit le même délit et va beaucoup plus loin que la loi française, a fait l’objet des mêmes critiques, mais n’a subi aucune censure de la part des instances européennes.

Comme M. Ouzoulias, je m’étonne de l’exclusion des moteurs de recherche du dispositif. Les plateformes publient les contenus haineux, les moteurs dirigent vers ces contenus ; ne sanctionner que les premiers revient à vouloir punir les producteurs de drogue sans inquiéter les dealers. Tout l’écosystème est concerné.

Je voudrais terminer sur une réflexion qui pourrait nous rassembler tous. J’entends les critiques expliquant que l’efficacité du texte initial est sujette à caution – l’avenir nous le dira. De la même façon, je reste convaincu que le texte du Sénat ne sera pas opérant. Nous pouvons toutefois nous accorder sur la certitude que le combat contre la dégradation de plus en plus inquiétante de ce magnifique outil que pourrait être internet sera long, difficile et incertain. Il nécessitera beaucoup d’autres propositions et beaucoup d’autres séances comme celle-ci. Arriverons-nous un jour à faire cesser les deux menaces fondamentales auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui : la diffusion généralisée de la haine et la déstabilisation inquiétante de notre démocratie ? La réponse précise, nette et définitive à cette question est : « Dieu seul le sait », mais cela ne doit pas nous empêcher de tenter ensemble de progresser. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur plusieurs travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Nous partageons un certain nombre de vos préoccupations, monsieur le secrétaire d’État, comme je l’ai déjà souligné en discussion générale.

C’est la raison pour laquelle je regrette, à titre personnel, que les Assises de la régulation, annoncées par votre prédécesseur, Mounir Mahjoubi, auxquelles auraient été associés un certain nombre de parlementaires plutôt aguerris sur ces questions, ne se soient pas tenues – sinon en catimini –, car elles nous auraient permis d’échanger avec le Gouvernement.

Cette étape de travail partagé nous a manqué. Au lieu de quoi, nous avons vu arriver une série de propositions de loi au gré des événements. Ce mode de législation, que le président du Sénat qualifierait de « pulsionnel », n’apporte rien de bon en définitive.

Comme l’observent certains gouvernements étrangers – j’ai cité l’ambassade du Canada, où je me trouvais hier –, nous avons une vision assez étatique des choses sur un sujet où il faudrait notamment rassembler citoyens et journalistes pour travailler sur un ensemble de propositions que nous pourrions partager. Nous légiférons immédiatement, constituant une sorte de puzzle, au lieu de réfléchir de manière stratégique à l’élaboration de textes significatifs.

Dans quelques semaines, nous examinerons le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, actuellement examiné en commission à l’Assemblée nationale. Ce texte aurait été le véhicule idéal pour traiter des questions relatives au rôle des autorités de régulation, CSA et Arcep. Nous aurions pu approfondir le sujet et rendre plus cohérent le dispositif.

C’est bien un message positif que je voulais vous transmettre, monsieur le secrétaire d’État : travaillons davantage ensemble, tant au niveau national qu’au niveau européen. Nous pouvons aussi constituer une task force européenne. L’enjeu reste devant nous.

Internet était un bel outil, cher Claude Malhuret. Il est devenu un terrain d’affrontement mondial, préempté par des forces dont nous dépendons aujourd’hui et auxquelles nous devons accorder la plus grande attention. Comment faisons-nous évoluer ce monde ? Comment pouvons-nous construire un modèle durable et acceptable, internet étant aujourd’hui tout sauf un modèle vertueux ?

Le groupe centriste votera la version sénatoriale de cette proposition de loi, conforme à ses exigences en matière de respect des libertés publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Muriel Jourda applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Pas un seul instant nous ne doutons que l’Assemblée nationale reviendra à sa propre version. Et pas un seul instant nous ne doutons non plus qu’elle sera absolument inopérante en raison de son caractère imprécatoire, et ce d’autant plus que vous n’avez pas voulu écouter les propositions du Sénat qui l’auraient rendue plus opérante.

J’aurais aimé que nous fissions une analyse critique du bilan de la loi sur les fausses informations que le Sénat a rejetée par deux fois, à la quasi-unanimité, en soulignant qu’elle était inopérante. La pratique nous a prouvé que nous étions dans le vrai.

Je salue le travail du rapporteur, qui a montré à plusieurs reprises que certaines de nos propositions étaient satisfaites, car le CSA et l’Arcep disposent déjà des outils de contrôle nécessaires. Le problème est qu’ils sont largement sous-utilisés en raison d’un manque de moyens criant de ces deux agences et parce que les Gafam refusent systématiquement d’appliquer la loi, et notamment de communiquer les principes de fonctionnement de leurs algorithmes, communication que le CSA devrait pourtant pouvoir exiger.

Nous en rediscuterons lors de l’examen du projet de loi de finances, mais il me semble fondamental de faire respecter le droit par les plateformes. Nous attendrons du Gouvernement le renforcement des moyens en personnel – je crois que vous y travaillez déjà, notamment en termes de compétences – et, surtout, des moyens financiers de ces agences de régulation pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle.

Dans l’attente, le groupe CRCE votera contre ce texte qui ne résout toujours pas le problème posé.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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8

Application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et mandat des membres de la Hadopi

Adoption définitive des conclusions de commissions mixtes paritaires sur un projet de loi organique et un projet de loi

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (texte de la commission n° 296, rapport n° 294) et du projet de loi modifiant la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (texte de la commission n° 295, rapport n° 294).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 4 février dernier, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sur les projets de loi relatifs à l’application de l’article 13 de la Constitution.

L’examen de ces deux textes s’est toutefois avéré plus compliqué que prévu.

Initialement, le Gouvernement les présentait comme un travail d’actualisation, voire de coordination, concernant la liste des nominations soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires. Il fallait, par exemple, prendre en compte le changement de dénomination de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) et de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), ou encore tirer les conséquences de la privatisation de la Française des jeux, ce qui a pu soulever quelques débats.

Sur le plan technique, ce travail de coordination n’était d’ailleurs pas abouti et nous avons dû ajouter des dispositions concernant Bpifrance et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Rapidement, nous avons constaté que ces deux textes soulevaient un problème de méthode : nous sommes en effet invités à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées.

Je pense notamment à l’ordonnance du 3 juin 2019, qui réorganise de fond en comble la SNCF : plus de huit mois plus tard et malgré nos nombreuses relances, le Gouvernement ne nous a communiqué aucun calendrier de ratification. De même pour l’ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard, dont chacun connaît les enjeux financiers…

Une telle situation me paraît profondément regrettable pour le Parlement et contraire à l’esprit de l’article 38 de la Constitution, qui prévoit la ratification expresse des ordonnances.

Sur le fond, les projets de loi adoptés en conseil des ministres auraient conduit à un recul, même léger, du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics, ce que le Sénat n’a pas pu accepter.

Tout au long des débats, nous avons rappelé notre attachement à la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution. Créée par la révision constitutionnelle de 2008, elle permet au Parlement de « bloquer » une nomination du Président de la République lorsque l’addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. C’est ce que nous appelons les « trois cinquièmes négatifs ».

La procédure de l’article 13 de la Constitution permet ainsi d’écarter des candidatures de complaisance et de renforcer la transparence des nominations, notamment grâce à l’audition des candidats pressentis.

Elle mériterait toutefois d’être renforcée, par exemple en modifiant les règles de majorité. Je rappelle que, depuis 2008, le Parlement n’a jamais mis en œuvre son pouvoir de veto sur les nominations du Président de la République. Il a failli le faire en décembre 2019 pour le directeur général de l’Office national des forêts (ONF), à une voix près.

Dès la première lecture, nous avons proposé d’utiliser ce vecteur législatif pour étendre le périmètre des nominations soumises à l’avis préalable du Parlement.

Le Gouvernement s’est longtemps opposé à cette volonté de conforter le contrôle parlementaire, ce que nous regrettons. Il n’a toutefois pas été suivi par la commission mixte paritaire, qui a conservé une grande partie des apports du Sénat. Je souhaite d’ailleurs remercier le rapporteur de l’Assemblée nationale, Christophe Euzet, pour son écoute et sa recherche d’un consensus entre les deux chambres.

Sur notre initiative, le Parlement sera désormais consulté sur la nomination du président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Il s’agit d’une revendication ancienne du Sénat, longtemps défendue par notre ancien collègue Jacques Mézard.

J’ai d’ailleurs été très étonné par les propos tenus devant l’Assemblée nationale par Mme Pannier-Runacher, laquelle a déclaré que le CADA se situait « assez loin » de la défense des libertés constitutionnelles.

Fidèles au rapport rédigé en 2014 par Jean-Jacques Hyest et Corinne Bouchoux, nous pensons au contraire que la CADA joue un rôle fondamental pour garantir les droits des citoyens, alors que la demande d’accès aux documents administratifs n’a jamais été aussi forte. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs reconnu dans sa décision du 23 octobre 2014 sur l’accès aux documents administratifs en Polynésie française.

Je regrette également que le Gouvernement soit resté muet sur les difficultés rencontrées par cette autorité administrative indépendante. Je rappelle que le « stock » d’affaires de la CADA dépasse aujourd’hui les 1 800 dossiers. Son délai moyen de traitement dépasse les quatre mois, alors que la loi prévoit un délai théorique d’un mois. Une fois sa décision rendue, les citoyens doivent encore attendre deux mois pour obtenir une réponse de l’administration et, le cas échéant, pour se porter devant le tribunal administratif. C’est un vrai labyrinthe, qui fragilise, au bout du compte, le droit d’accès aux documents administratifs.

Sur l’initiative de notre collègue Jean-Yves Leconte, le Parlement sera également consulté sur la nomination du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Loin d’assurer une simple mission consultative, l’OFII joue un rôle croissant dans l’accueil des demandeurs d’asile et l’intégration des immigrés en situation irrégulière. Nous nous prononçons déjà sur la nomination du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Il nous semblait donc logique d’y ajouter l’OFII.

La commission mixte paritaire a également préservé les apports de l’Assemblée nationale, en ajoutant à la liste des emplois concernés par l’article 13 de la Constitution, d’une part, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et, d’autre part, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Ces deux ajouts me semblent particulièrement judicieux au regard de l’importance de ces deux agences dans la vie économique et sociale de la Nation. Le code de la santé publique prévoyait déjà l’audition de ces dirigeants devant le Parlement. Nous sommes toutefois allés plus loin en prévoyant une capacité de veto en amont de leur nomination. Ce contrôle relèvera de la commission des affaires sociales de chaque assemblée.

Au total, 55 emplois publics seraient soumis au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, soit un de plus qu’aujourd’hui. La privatisation d’Aéroports de Paris pourrait nécessiter de nouveaux ajustements, mais nous n’en sommes pas encore là.

Nous n’avions qu’une divergence avec l’Assemblée nationale, concernant la SNCF. Sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de son rapporteur pour avis, Didier Mandelli, dont je salue la qualité du travail, le Sénat souhaitait conserver un « droit de regard » sur SNCF Réseau. Il s’agissait ni plus ni moins de maintenir le droit en vigueur, le Parlement étant consulté sur cette nomination depuis 2010.

Après avoir auditionné l’Autorité de régulation des transports, nous pensons que SNCF Réseau doit bénéficier de garanties suffisantes d’indépendance, sans remettre en cause la nouvelle architecture du groupe public. En l’état du droit, le compte ne semble pas y être…

Dans les faits, SNCF Réseau répartira les heures de passage sur les 30 000 kilomètres de voies ferrées entre les sociétés de transport, dont SNCF Voyageurs. Chacun comprend ainsi le caractère sensible de ce dossier.

L’Assemblée nationale n’a pas partagé notre point de vue, insistant sur l’« unité managériale » de la SNCF, ce que nous regrettons.

Ce débat pourra toutefois se prolonger au moment de la ratification de l’ordonnance du 3 juin 2019 réorganisant la SNCF.

À titre subsidiaire, le projet de loi ordinaire vise à proroger le mandat du président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) jusqu’en janvier 2021, date à laquelle la Haute Autorité devrait fusionner avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Cette disposition, qui déroge au droit commun des autorités administratives indépendantes, doit rester exceptionnelle. Le Sénat sera attentif à sa mise en œuvre, notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique.

Au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi organique et le projet de loi dans leur version issue des travaux de la commission mixte paritaire. Ces textes préservent les principaux apports du Sénat et, donc, le contrôle parlementaire sur les nominations faites par le Président de la République. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)