M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Je voudrais apporter un éclairage sur la position, évoquée précédemment, de l’Académie nationale de médecine, et que l’on pourrait ainsi résumer : la PMA marque-t-elle une rupture anthropologique majeure ?

J’apporterai cet éclairage en citant les propos tenus par Guillaume Erner dans son émission LHumeur du matin, sur France Culture.

M. François Bonhomme. Très bonne émission !

M. Yves Daudigny. « […] Ce qui est intéressant dans cette accusation de l’Académie nationale de médecine, c’est que l’on voit clairement qu’elle utilise un mot pour un autre.

« L’Académie dit qu’il s’agit d’une rupture anthropologique comme s’il s’agissait de dire que la PMA sans père était contre nature… Et comme on ne peut plus associer l’homosexualité et une supposée contre nature, l’Académie utilise cette périphrase : “rupture anthropologique”.

« Mais précisément, le propre de l’anthropologie par rapport à une hypothétique nature humaine, c’est d’être constamment en mouvement. Toute l’œuvre de Lévi-Strauss sur les systèmes de parenté vise à illustrer l’assertion selon laquelle il n’y a pas d’invariants humains, depuis les sociétés matrilinéaires jusqu’aux sociétés patrilinéaires, avec des communications incessantes entre les unes et les autres.

« La France a subi, par exemple, une rupture anthropologique au XIIIe siècle en matière de système d’héritage. Le Béarn a échappé à cette rupture, les Béarnais n’en sont pas moins humains et français » – enfin, je le crois. (Sourires.)

« L’anthropologique, à la différence du naturel, c’est ce qui supporte la rupture. » Et Guillaume Erner de conclure : « [La] bonne nouvelle, c’est que la PMA préserve le naturel en la personne, puisque la nature, c’est aussi le désir de se prolonger, non pas le droit à l’enfant comme cela est dit souvent sur un mode péjoratif, mais le désir d’enfant qui semble être inscrit en la plupart d’entre nous.

« D’où cette question : au nom de quel système anthropologique une académie de médecine voudrait-elle interdire un désir aussi naturel chez l’humain que le désir d’enfant ? » (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Je souhaite revenir sur l’argument, soulevé par notre collègue Alain Richard, de l’artificialisation, terme par lequel, si j’ai bien compris, il désigne l’intervention de la technique, de la science, dans la procréation.

Cette intervention est très ancienne puisqu’elle date de 1978, c’est-à-dire de la naissance en Grande-Bretagne de Louise Brown, puis de 1982 en France avec la naissance d’Amandine.

L’argument qui tient au refus de l’intervention de l’homme par la science dans le processus de procréation est régulièrement porté par ceux qui ont une lecture très naturaliste du sujet. J’ai ainsi lu récemment, à l’occasion de ces débats, des tribunes dans deux quotidiens, notamment celle cosignée par Michèle Rivasi, laquelle développe usuellement cette pensée naturaliste, qui rejette la science et conduit à un certain nombre de positions non scientifiques. (M. Alain Richard lève les yeux au ciel.)

Évidemment, il y a des limites à poser, mais ce qui nous interpelle profondément dans cette question, c’est notre rapport à la parentalité.

Pour la plupart d’entre nous, mais certainement pas tous, nous sommes issus d’une famille constituée d’un père et d’une mère ayant eu un certain nombre d’enfants de façon naturelle. Je constate que, du fait de l’évolution de la société, nous ne sommes plus que 68 % dans ce cas.

M. Gérard Longuet. Est-ce que c’est une bonne chose ?

M. Bernard Jomier. Un tiers des enfants vivent dans d’autres types de familles – monoparentales, avec deux pères ou deux mères –, et rien ne montre que ces enfants soient plus ou moins heureux que les autres.

Je veux dire surtout que, selon moi, le rôle de législateur n’est pas de décréter l’évolution des mœurs. Nous n’y pouvons rien, et qui serions-nous pour juger ?

Ce rôle, en revanche, est certainement d’encadrer, pour que ces évolutions ne portent pas préjudice à la collectivité et à nos valeurs fondamentales. Mais encore faut-il expliciter quelles sont ces valeurs.

Je constate que l’évolution qui nous est proposée répond à une demande profonde, celle d’une société qui veut avoir des enfants par des moyens différents et qui, pour cela, demande l’accès à une technique ne mettant en rien en cause les principes fondamentaux de notre éthique. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Personnellement, je ne voterai pas ces amendements de suppression, mais en toute humilité.

Si ce soir ou demain était voté le principe de la PMA, pour accompagner ce qui est un fait de société, je sais, pour avoir à l’esprit les débats sur le mariage des personnes de même sexe, que ce vote ouvrira inévitablement d’autres débats à l’avenir. Il nous faudra d’ailleurs entendre ce que chacun a dit sur la GPA et rester très vigilants à ces demandes, qui seront exprimées dans cinq ou dix ans.

Ces demandes apparaîtront, parce qu’ainsi va la vie dans une société. Quand on légifère et qu’on ouvre des droits, on suscite l’envie de créer d’autres droits.

Je ne voterai pas ces amendements de suppression, je le répète ; pour autant, je ne crois pas que la PMA soit un pas vers l’égalité.

En effet, affirmer que la PMA est un processus d’égalité reviendrait à reconnaître que cette légalisation de la satisfaction d’un désir d’enfant est un droit à l’enfant. Or il n’y a pas, selon nous, de droit à l’enfant. Il existe, bien évidemment, les droits de l’enfant et ceux de la famille, et il peut y avoir des familles différentes. Mais il y a aussi des réalités. Nous aurons ainsi le débat, à partir de l’article 4 du projet de loi, sur la filiation et la place des parents.

J’entends ce qui vient d’être dit, mais des faits ne peuvent pas être niés, parce qu’ils sont liés à l’histoire des sciences et à ce que nous a appris le XVIIIe siècle : pour donner la vie, il y a égalité entre l’ovule et le spermatozoïde : l’enfant n’est ni dans l’un ni dans l’autre, mais dans la rencontre des deux. C’est un fait naturel !

Il nous appartient, parce que nous faisons société, de définir ce que sont la famille et le rôle des éducateurs, qui, je le pense, peuvent aujourd’hui être deux femmes, deux hommes ou un homme et une femme. Il faut savoir distinguer les deux sujets, et tel sera l’objet du débat sur les articles suivants.

Pour ce qui me concerne, le fait de voter la PMA ne me conduira pas à tout accepter en matière de filiation et d’état civil. (Mme Sophie Primas applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Bories, pour explication de vote.

Mme Pascale Bories. Je reprendrai les propos que je viens d’entendre sur l’article 1er, lequel pose la question, non pas de l’éducation, mais de la conception de l’enfant. Il s’agit d’une question politique et scientifique, mais surtout philosophique et éthique, qui va forcément déterminer un nouveau modèle social et sociétal.

À l’heure où nous nous interrogeons sur l’avenir de la planète, de l’humanité et de nos populations, thèmes sur lesquels les Français seront appelés à se prononcer, je regrette, madame la ministre, que le Président de la République n’ait pas eu le courage de faire un référendum sur la PMA. En effet, nous le voyons ce soir, ces débats transcendent les partis politiques.

Cette question touche aux fondements de notre pensée personnelle. Il aurait été important de faire un référendum, pour que chaque Français puisse être consulté.

En mon âme et conscience, je voterai les amendements de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je suis un homme de droite, je l’ai toujours été et je n’ai pas l’intention de changer. Mais je dois reconnaître que je suis las d’entendre encore et encore parler du clivage gauche-droite, pour ce sujet comme pour les autres…

Tout d’abord, c’est franchement une mauvaise tactique : quand l’on veut faire voter quelque chose par la majorité sénatoriale, il vaut mieux ne pas la braquer ! Je dis cela, je ne dis rien… (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du RDSE.)

M. Roger Karoutchi. Ensuite, cette après-midi, le débat se déroulait de manière assez cohérente : chacun a avancé ses arguments – les miens, les vôtres… –, en se respectant, sans s’envoyer à la figure notre étiquette politique ou la durée de notre engagement. Tout cela ne va pas changer grand-chose.

Le véritable problème est tout autre : malheureusement, ce texte arrive à un moment où la fracture dans notre pays est telle que le climat social – et non sociétal ! – n’est pas bon. En raison de cette fracture et de ce mauvais climat social, les réactions et les comportements ne sont pas ceux auxquels nous aurions assisté si nous vivions dans un pays heureux, apaisé, avec une politique familiale satisfaisante pour tous – des allocations familiales de bon niveau, un quotient familial reconnu…

S’il y avait tout cela, le débat porterait sur l’extension de la PMA, et non sur cette fracture que l’on essaie de faire ressortir, de manière peut-être un peu excessive, dans cet hémicycle.

Je ne vais évidemment pas voter – je l’ai déjà annoncé – les amendements de suppression. Par la suite, sur le reste du texte, j’ai déjà voté en commission spéciale, et fait voter d’ailleurs, pour que l’on ne reconnaisse pas le droit à l’enfant.

Cela ne plaît peut-être pas, mais je suis de ceux qui considèrent, mesdames les ministres, que, pour obtenir quelque chose, il faut donner des assurances. Si l’on veut faire progresser notre réflexion, il ne faut pas nous braquer, nous dire de voter le texte parce que, de toute façon, la société est devant nous et qu’il faut la suivre. Il faut nous convaincre, en apportant des arguments et des assurances.

Je ne voterai pas les amendements de suppression, mais j’interdis à qui que ce soit de dire que c’est parce que je suis peut-être de droite, tout en étant un jour de gauche ou devenu progressiste. Non ! Je resterai à droite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)

M. David Assouline. Je n’ai pas réussi à vous en dissuader !

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. En 1675, le Parlement de Paris interdisait la transfusion chez l’homme, sous peine de punitions corporelles. Encore maintenant, des sectes la refusent. Ainsi va le monde…

Aujourd’hui, la PMA est attendue en France par beaucoup. Elle est déjà autorisée dans plusieurs pays de l’Union européenne et accessible aux femmes qui peuvent passer les frontières.

En Grèce, la GPA est la première source de revenus dans les cliniques de Thessalonique…

Mme Maryvonne Blondin. C’est bien le problème !

M. Olivier Cadic. … et la deuxième à Athènes. Ainsi va le monde.

Je ne voterai pas ces amendements de suppression, car je souhaite que notre pays offre une nouvelle liberté, qui est attendue. Je ne me définis pas comme étant de droite ou de gauche, mais simplement comme un homme libre.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m’excuser de n’avoir pu vous répondre à l’issue de la discussion générale.

Je souhaite présenter l’état d’esprit avec lequel j’aborde ce texte, en ne me sentant ni de droite ni de gauche, mais simplement chargée de porter une loi qui traverse, me semble-t-il, tous les groupes parlementaires. Chacun d’entre vous a d’ailleurs certainement un avis très partagé sur la plupart des mesures qui vont être développées dans cette loi.

Nous abordons l’article 1er, lequel est probablement davantage polarisé que les autres, pour des raisons culturelles ou cultuelles. À cette occasion, je voudrais vous dire ce que n’est pas, selon moi, cette loi.

Tout d’abord, ce n’est pas une loi en faveur d’un droit à l’enfant. Nous sommes tous convaincus qu’un tel droit n’existe pas, mais que l’enfant, lui, a des droits. Cela dit, nous sommes face à des parents en désir de parentalité, en désir d’amour.

Ensuite, ce n’est pas une loi d’égalité des droits. L’objectif d’une loi de bioéthique n’est pas de vérifier que l’égalité des droits est assurée dans notre société ; un tel texte doit interroger chaque technique médicale, pour savoir si elle met en tension un principe éthique fondamental.

Or force est de constater que la PMA pour les femmes célibataires ou pour les couples de femmes ne met pas en tension nos principes éthiques fondamentaux. Elle peut choquer certains d’entre vous pour des raisons culturelles, mais elle ne touche pas aux fondamentaux de nos lois de bioéthique, qui sont la non-marchandisation du corps humain, la dignité et l’altruisme.

M. Bruno Retailleau. Cela viendra !

M. Gérard Longuet. C’est inéluctable !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je vais revenir sur le risque de glissement, qui est un très mauvais argument – je vous expliquerai pourquoi.

Cet article, tel qu’il doit être voté, ou pas d’ailleurs, ne met pas en tension des principes fondamentaux de nos lois de bioéthique, nos valeurs fondamentales, qui sont – je le répète – la non-marchandisation du corps humain, la dignité du corps humain et le don altruiste.

M. Bruno Retailleau. Et l’anonymat !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Ce sont aujourd’hui des raisons morales, culturelles ou religieuses qui fondent une position sur cet article, mais pas des raisons éthiques. Je ne porte pas cet article 1er comme une mesure d’égalité des droits, parce que tel n’est pas l’objet d’une loi de bioéthique.

Enfin, je ne porte pas ce projet de loi pour nous aligner sur ce qui se fait ailleurs.

M. Bruno Retailleau. M. Taquet l’a dit tout à l’heure !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Si tel était l’objectif, nous n’aurions alors pas besoin de loi de bioéthique, puisqu’il n’y en a pas dans la plupart des pays.

C’est bien parce que la France souhaite se doter d’un corpus éthique autour des questions scientifiques et médicales que nous avons ce moment particulier, démocratique, où nous discutons de ces nouvelles techniques et de l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre société.

Les autres pays n’ont pas de telles lois : ils laissent la liberté, soit à des experts, soit à la société, de dire ce qui peut se faire ou ne pas se faire. Ce n’est donc pas parce que cela se fait ailleurs que nous souhaitons que cela se fasse en France. Le Gouvernement n’avancera jamais cet argument, car, j’insiste, il ne serait alors pas nécessaire d’avoir cette loi de bioéthique et ce moment de partage.

Je veux revenir sur deux arguments que je n’accepte pas.

Le premier est celui du glissement vers la GPA. Tout d’abord, parce que la GPA est parfois aussi indiquée pour des couples hétérosexuels, quand une femme ne peut pas porter un enfant, par exemple parce qu’elle n’a pas d’utérus.

M. Bruno Retailleau. Cela ne changerait rien !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Les couples hétérosexuels pourraient revendiquer l’accès à la GPA. Cela n’a jamais été autorisé, parce que cette technique met en tension le principe éthique le plus fondamental de notre droit, qui est la non-marchandisation du corps.

Dès lors qu’une femme est rémunérée pour une GPA, il n’y a absolument aucune chance qu’une loi de bioéthique « à la française » puisse permettre cette façon de procéder que nous observons dans les autres pays, notamment européens. Si, un jour, une loi autorisait la GPA en France, cela signifierait que nos principes éthiques fondamentaux n’existent plus, et que nous n’avons donc plus besoin de lois de bioéthique, puisque la non-marchandisation est une valeur fondamentale.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je le répète, le glissement vers la GPA signifierait que nous n’avons plus de lois de bioéthique. Je récuse donc cet argument.

Le second argument que je réfute est – pardonnez-moi, monsieur le président Retailleau – la marchandisation du corps dans l’hypothèse où nous serions en pénurie de gamètes. Pour les couples de femmes comme pour les femmes seules, il n’y a pas besoin d’ovocytes, mais seulement de spermatozoïdes. Or il n’y a pas pénurie de spermatozoïdes.

De plus, la façon dont nous allons mettre en œuvre la loi, avec la nouvelle législation sur l’accès aux origines, nous conduira à ne basculer dans le nouveau régime que lorsque nous aurons reconstitué un stock de spermatozoïdes suffisant pour qu’il n’y ait pas de pénurie et que nous ne soyons pas amenés à les acheter à l’étranger.

Tout cela a été parfaitement pensé. La mise en œuvre de la loi ne conduira pas à une pénurie de spermatozoïdes. Je le rappelle, la France ne connaît qu’une seule pénurie, celle d’ovocytes. Or les femmes n’en ont, par définition, pas besoin.

Ces deux arguments ne tiennent donc pas.

Enfin, puisque Mme Primas a cité la loi Veil, je vous rappelle que Simone Veil a défendu cette loi visant à légaliser l’avortement pour des raisons de santé publique,…

Mme Laurence Rossignol. C’est vrai !

Mme Agnès Buzyn, ministre. … en raison des risques mortels qu’encourraient les femmes. Elle ne l’a pas défendue pour des raisons féministes, contrairement à ce qu’on peut entendre.

À ceux d’entre vous qui hésitent, j’indique que, aujourd’hui, les quelques femmes qui n’ont pas les moyens d’aller à l’étranger cherchent des donneurs sur internet ou ont des relations non protégées avec des inconnus pour réaliser ce désir d’enfant, parce qu’il est réel. Elles se mettent ainsi en danger, puisqu’il existe des risques infectieux et des risques de violence, et mettent aussi parfois en danger les hommes – certaines revendiquent ensuite une reconnaissance de paternité parce qu’il est quelquefois dur d’élever un enfant seul…

Cette loi est aussi protectrice, des femmes et des hommes. Pour ce seul motif, cet article représente un enjeu de santé publique et d’encadrement d’une pratique qui est vieille comme le monde. Quand une femme veut avoir un enfant, elle sait comment le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Mme Josiane Costes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je vous ai entendue nous expliquer qu’il n’y avait pas de dérive possible vers la GPA, parce que nos lois de bioéthique ne le permettraient pas.

Néanmoins, j’ai aussi entendu le débat aujourd’hui, et l’on nous a tout de même expliqué que cet article 1er, comme l’article 4 d’ailleurs, avait normalement sa place non pas dans une loi de bioéthique, mais dans une loi sociétale. On nous a également montré que l’article 1er permettait de répondre à une demande sociale.

Par conséquent, je ne vois pas comment vous pouvez affirmer – d’un point de vue juridique, c’est peut-être jouable – que le débat sur la GPA ne se posera pas demain de façon sociale de façon sociale, sinon éthique.

Je le dis d’autant plus fortement qu’il va falloir répondre à une autre question : celle de l’égalité. Aujourd’hui, vous ouvrez la PMA à des couples de femmes ou à des femmes seules. Au nom de quoi et au nom de quelle égalité pourrez-vous, demain, refuser à un homme seul ou à un couple d’hommes l’accès à ce désir d’enfant ?

M. David Assouline. Au nom de la non-marchandisation, on l’a répété dix fois !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Madame la ministre, vous avez dit deux choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord.

Premièrement, vous avez affirmé que ce texte n’ouvrait pas un droit à l’enfant. Mais alors, vous devez pouvoir nous dire à quelles conditions l’on peut refuser l’accès à l’assistance médicale à la procréation d’une femme seule ou d’un couple de femmes. Si l’on ne veut pas le leur refuser, c’est qu’elles y ont droit. Elles ont donc « droit à l’enfant ».

Deuxièmement, et je reprends vos termes, il n’y aurait pas de « mise en tension de nos principes éthiques ». Mais quels sont ces principes ? Vous avez cité Simone Veil. Celle-ci a conduit les travaux qui ont permis d’aboutir au vote des premières lois de bioéthique en 1994. Ces lois réservent l’assistance médicale à la procréation aux cas d’infertilité médicalement constatés d’un couple formé d’un homme et d’une femme.

Ce principe éthique a été reconduit successivement en 2004 et en 2011. Il s’agit donc de revenir sur un principe qui était jugé éthique. Il peut relever d’une opinion particulière de dire que l’on ne remet pas en cause un principe éthique, mais vous me permettrez de considérer que, après trois débats parlementaires, ce principe constamment reconduit était bien un principe éthique.

Enfin, pour aborder le fond du sujet, la création d’enfants sans père est tout de même une question grave. La réalité se charge suffisamment souvent – peut-être certains d’entre vous l’ont-ils eux-mêmes vécu, et nombreux sont ceux qui le vivent en dehors de cet hémicycle – de créer ce type de situations, généralement dans des circonstances assez dramatiques – le deuil, la guerre, les séparations.

On sait à quel point il est déjà difficile d’élever des enfants quand le couple reste constitué. Mais il est aussi difficile d’élever des enfants seul ou sans père. J’attire votre attention sur la faille créée dans la personnalité en formation d’un enfant qui devient adolescent, puis adulte, lorsque ce manque qui se creuse en lui ne trouve aucune réponse.

C’est la raison pour laquelle je mets en garde contre la remise en cause de principes éthiques forts, que nous avons constamment soutenus et adoptés au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. En ce qui concerne la GPA, je ne suis pas devin et je suis encore moins immortelle : je ne sais pas si dans vingt, trente ou quarante ans, ou dans trois ans, certains ne présenteront pas une proposition de loi pour légaliser la GPA. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Dans dix ans au plus !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Ce que j’ai dit, c’est que la GPA mettait en tension le principe éthique fondamental des lois de bioéthique française, c’est-à-dire la non-marchandisation du corps humain et la dignité du corps.

À partir du moment où l’on soulève la question de la GPA dans le débat en France, cela signifie que l’on éteint le principe éthique fondamental qui est à l’origine de nos lois de bioéthique. Si ce type de réclamation survient un jour, ce ne sera pas parce qu’il y aura eu la PMA, car celle-ci ne met pas en tension nos principes éthiques. Si un jour ce type de demande se traduit par un texte de loi et un débat parlementaire, c’est parce que nous aurons collectivement renoncé à nos principes éthiques fondamentaux, mais ce ne sera pas lié à l’ouverture de la PMA.

La PMA ne met en tension aucun principe éthique ; elle pose peut-être des problèmes culturels, moraux, d’image de la famille et du rôle du père, qui ne sont pas des principes éthiques. Les principes éthiques fondamentaux de la bioéthique, c’est-à-dire qui se rapportent aux techniques médicales, sont la non-marchandisation des produits du corps humain ou du corps humain, la dignité et le don altruiste. Ce sont ces principes qui encadrent notre droit en la matière.

La PMA, qu’elle soit pour une femme seule ou une femme en couple homosexuel, ne met pas plus en tension nos principes éthiques que la PMA pour des couples hétérosexuels. En réalité, la PMA aurait dû être ouverte depuis toujours aux couples homosexuels. C’est notre vision de la société qui a fait qu’elle n’a pas été autorisée, et non nos principes de bioéthique. Ce sont nos principes moraux ou la vision que nous avions de la famille.

Au contraire, la GPA ne soulève pas seulement un problème de société ou un problème moral : elle met en tension le principe fondamental. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que le glissement de l’une vers l’autre n’était pas possible.

Monsieur Bas, vous avez évoqué Simone Veil et le fait que, dans les premières lois de bioéthique, elle avait fondé l’accès à la PMA sur un principe d’infertilité.

L’infertilité signifie qu’un couple n’arrive pas à avoir d’enfant. Elle est totalement différente de la stérilité, qu’elle soit féminine ou masculine. Aujourd’hui par exemple, le fait d’accéder à la PMA se fait sur des critères purement déclaratifs : vous n’avez pas réussi à avoir un enfant depuis un an. Aucun médecin n’ira vérifier – je suis désolée de le dire brutalement – si vous avez couché avec votre conjoint dans l’année qui a précédé.

En réalité, le processus est d’ores et déjà purement déclaratif : la stérilité ne doit pas être prouvée. D’ailleurs, nombre de couples n’ont pas de problème de stérilité : aucune cause médicale ne peut être trouvée. Il s’agit d’une incompatibilité, mais peut-être ne couchent-ils pas ensemble. Nous n’en savons rien. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pardonnez-moi, mais nous ne pouvons pas le vérifier. J’utilise un langage cru, mais, j’insiste, nous ne pouvons pas le vérifier. Accéder à la PMA remboursée aujourd’hui se fait sur un principe déclaratif : c’est tout ce que je dis. Le critère d’infertilité ou de stérilité n’a pas besoin d’être prouvé médicalement pour qu’un couple accède à la PMA. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4, 42 rectifié quinquies, 48 rectifié bis, 49, 53 rectifié bis, 171 et 188 rectifié.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et républicain, et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission spéciale est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 66 :

Nombre de votants 325
Nombre de suffrages exprimés 288
Pour l’adoption 126
Contre 162

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et CRCE.)

L’amendement n° 62, présenté par Mmes Cohen, Assassi, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Les articles L. 2141-2 et L. 2141-3 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons.

« Lorsqu’il s’agit d’un couple, font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons :

« 1° Le décès d’un des membres du couple ;

« 2° L’introduction d’une demande en divorce ;

« 3° L’introduction d’une demande en séparation de corps ;

« 4° La signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;

« 5° La cessation de la communauté de vie ;

« 6° La révocation par écrit du consentement prévu au deuxième alinéa du présent article par l’un ou l’autre des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation.

« Une étude de suivi peut être proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit.

« Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître.

« Art. L. 2141-3. – Un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d’une assistance médicale à la procréation telle que définie à l’article L. 2141-1.

« Compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons, dans l’intention de réaliser ultérieurement leur projet parental. Dans ce cas, ce nombre est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation compte tenu du procédé mis en œuvre. Une information détaillée est remise aux membres du couple ou à la femme non mariée sur les possibilités de devenir de leurs embryons conservés qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental ou en cas de décès de l’un des membres du couple.

« Les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons non susceptibles d’être transférés ou conservés fassent l’objet d’une recherche dans les conditions prévues à l’article L. 2151-5.

« Un couple ou une femme non mariée dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci, sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. » ;

2° Les articles L. 2141-5 et L. 2141-6 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-5. – Les deux membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple ou une autre femme non mariée dans les conditions prévues à l’article L. 2141-6, y compris, s’agissant des deux membres d’un couple, en cas de décès de l’un d’eux.

« Les deux membres du couple, le membre survivant ou la femme non mariée sont informés des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’accueil d’embryons, notamment des dispositions de l’article L. 2143-2 relatives à l’accès des personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur.

« Art. L. 2141-6. – Un couple ou une femme non mariée répondant aux conditions prévues à l’article L. 2141-2 peut accueillir un embryon.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent préalablement donner leur consentement devant notaire à l’accueil de l’embryon. Les conditions et les effets de ce consentement sont régis par le livre Ier du code civil.

« Le couple ou la femme non mariée accueillant l’embryon et le couple ou la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon ne peuvent connaître leurs identités respectives.

« En cas de nécessité médicale, un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes concernant le couple ou la femme non mariée, au bénéfice de l’enfant.

« Aucune contrepartie, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée au couple ou à la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon.

« L’accueil de l’embryon est subordonné à des règles de sécurité sanitaire. Ces règles comprennent notamment des tests de dépistage des maladies infectieuses.

« Seuls les établissements publics ou privés à but non lucratif autorisés à cet effet peuvent conserver les embryons destinés à être accueillis et mettre en œuvre la procédure d’accueil. » ;

3° L’article L. 2141-7 est abrogé ;

4° Les articles L. 2141-9 et L. 2141-10 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-9. – Seuls les embryons conçus dans le respect des principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil et des dispositions du présent titre peuvent entrer sur le territoire où s’applique le présent code ou en sortir. Ces déplacements d’embryons sont exclusivement destinés à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés. Ils sont soumis à l’autorisation préalable de l’Agence de la biomédecine.

« Art. L. 2141-10. – La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation est précédée d’entretiens particuliers du ou des demandeurs avec un ou plusieurs médecins et autres professionnels de santé de l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire du centre, composée notamment d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’un infirmier ayant une compétence en psychiatrie, le cas échéant extérieur au centre. L’équipe fait appel, en tant que de besoin, à un professionnel inscrit sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 411-2 du code de l’action sociale et des familles.

« Le ou les médecins de l’équipe mentionnée au premier alinéa du présent article doivent :

« 1° Vérifier la motivation des deux membres du couple ou de la femme non mariée ;

« 2° Procéder à une évaluation médicale des deux membres du couple ou de la femme non mariée. Cette évaluation ne peut conduire à débouter le couple ou la femme non mariée en raison de son orientation sexuelle, de son statut marital ou de son identité de genre ;

« 3° Informer complètement et au regard de l’état des connaissances scientifiques les deux membres du couple ou la femme non mariée des possibilités de réussite ou d’échec des techniques d’assistance médicale à la procréation, de leurs effets secondaires et de leurs risques à court et à long terme, ainsi que de leur pénibilité et des contraintes qu’elles peuvent entraîner ;

« 4° Lorsqu’il s’agit d’un couple, informer celui-ci de l’impossibilité de réaliser un transfert des embryons conservés en cas de rupture du couple ainsi que des dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du couple ;

« 5° Remettre aux deux membres du couple ou à la femme non mariée un dossier-guide comportant notamment :

« a) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’assistance médicale à la procréation ;

« b) Un descriptif de ces techniques ;

« c) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’adoption ainsi que l’adresse des associations et organismes susceptibles de compléter leur information à ce sujet ;

« d) (nouveau) Des éléments d’information sur l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don ainsi que la liste des associations et organismes susceptibles de compléter leur information sur ce sujet.

« Les membres du couple sont incités à anticiper et à créer les conditions qui leur permettront d’informer l’enfant, avant sa majorité, de ce qu’il est issu d’un don.

« Le consentement du couple ou de la femme est confirmé par écrit à l’expiration d’un délai de réflexion d’un mois à compter de la réalisation des étapes mentionnées aux 1° à 5°.

« L’assistance médicale à la procréation est subordonnée à des règles de sécurité sanitaire.

« Elle ne peut être mise en œuvre par le médecin ayant par ailleurs participé aux entretiens prévus au premier alinéa lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues au présent titre ou lorsque ce médecin, après concertation au sein de l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, estime qu’un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire aux demandeurs dans l’intérêt de l’enfant à naître.

« Le couple ou la femme non mariée qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le code civil, leur consentement à un notaire.

« La composition de l’équipe clinicobiologique mentionnée au premier alinéa est fixée par décret en Conseil d’État. »

II. – L’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 12° est ainsi rédigé :

« 12° Pour les investigations nécessaires au diagnostic et au traitement de l’infertilité ; »

2° Après le 25°, il est inséré un 26° ainsi rédigé :

« 26° Pour l’assistance médicale à la procréation réalisée dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. »

La parole est à Mme Laurence Cohen.