Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Éric Bocquet, Mme Catherine Deroche.

1. Procès-verbal

2. Décès d’anciens sénateurs

3. Bioéthique. – Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission spéciale

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission spéciale

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission spéciale

M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission spéciale

Mme Véronique Guillotin

Mme Patricia Schillinger

M. Stéphane Ravier

Mme Laurence Cohen

M. Daniel Chasseing

M. Bruno Retailleau

M. Jacques Bigot

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

Mme Élisabeth Doineau

M. Philippe Bas

Mme Michelle Meunier

M. Jean-Pierre Corbisez

Mme Éliane Assassi

M. Loïc Hervé

Mme Martine Berthet

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

M. Bernard Bonne

Clôture de la discussion générale.

Rappel au règlement

M. Bruno Retailleau ; M. le président.

Articles additionnels avant le titre Ier

Amendements identiques nos 15 rectifié septies de Mme Sylviane Noël, 93 rectifié de M. Jean-Marie Mizzon et 163 de M. Sébastien Meurant. – Rejet des amendements no15 rectifié septies et 93 rectifié, l’amendement n° 163 n’étant pas soutenu.

Amendement n° 14 rectifié sexies de Mme Sylviane Noël. – Rejet.

Amendement n° 161 de M. Sébastien Meurant. – Non soutenu.

Articles additionnels avant l’article 1er

Amendement n° 128 rectifié bis de M. Dominique de Legge. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 37 rectifié quater de M. Guillaume Chevrollier. – Retrait.

Amendement n° 144 rectifié bis de M. Henri Leroy. – Retrait.

Article 1er

Mme Muriel Jourda, rapporteur

M. René Danesi

Mme Laurence Cohen

M. André Reichardt

Mme Marie-Pierre Monier

Mme Esther Benbassa

M. Pierre-Yves Collombat

M. Guillaume Chevrollier

M. Yves Daudigny

M. Daniel Chasseing

M. Roger Karoutchi

M. Michel Amiel

M. François Patriat

M. Laurent Duplomb

Mme Angèle Préville

M. Jean-Michel Houllegatte

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Alain Houpert

Mme Laurence Rossignol

M. Jean-Pierre Leleux

Amendements identiques nos 4 de M. Michel Amiel, 42 rectifié quinquies de Mme Anne Chain-Larché, 48 rectifié bis de M. Jean-Marie Mizzon, 49 de M. Pierre-Yves Collombat, 53 rectifié bis de M. André Reichardt, 171 de M. Sébastien Meurant et 188 rectifié de M. Loïc Hervé

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

Amendements identiques nos 4 de M. Michel Amiel, 42 rectifié quinquies de Mme Anne Chain-Larché, 48 rectifié bis de M. Jean-Marie Mizzon, 49 de M. Pierre-Yves Collombat, 53 rectifié bis de M. André Reichardt, 171 de M. Sébastien Meurant et 188 rectifié de M. Loïc Hervé (suite). – Rejet par scrutin public n° 66.

Amendement n° 62 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Amendement n° 283 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 258 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.

Amendement n° 225 rectifié de Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Rejet.

Amendement n° 94 rectifié de Mme Élisabeth Doineau. – Rejet.

Amendement n° 196 rectifié de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Amendement n° 191 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Amendement n° 33 rectifié ter de M. Guillaume Chevrollier. – Retrait.

Amendements identiques nos 12 rectifié quinquies de Mme Sylviane Noël, 51 rectifié de M. Jean-Marie Mizzon et 167 de M. Sébastien Meurant. – Rejet des trois amendements.

Amendement n° 270 rectifié bis de Mme Michelle Meunier. – Rejet.

Amendement n° 141 rectifié de M. Henri Leroy. – Rejet.

Amendements identiques nos 11 rectifié quinquies de Mme Sylviane Noël et 34 rectifié quinquies de M. Guillaume Chevrollier. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 43 rectifié bis de Mme Anne Chain-Larché. – Rejet.

Amendement n° 142 rectifié de M. Henri Leroy. – Rejet.

Rappel au règlement

Article 1er (suite)

Amendement n° 41 rectifié ter de M. Guillaume Chevrollier. – Rejet par scrutin public n° 67.

Amendement n° 168 de M. Sébastien Meurant. – Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion.

4. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

Mme Catherine Deroche.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 16 janvier 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’anciens sénateurs

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues André Dulait, qui fut sénateur des Deux-Sèvres de 1995 à 2014 et qui fut aussi président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et Bernard Joly, qui fut sénateur de la Haute-Saône de 1995 à 2004.

3

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Discussion générale (suite)

Bioéthique

Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 63, texte de la commission spéciale n° 238, rapport n° 237).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Rappel au règlement

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la séquence qui s’ouvre aujourd’hui revêt une dimension singulière par les thèmes que nous allons aborder. Chacun mesure l’importance des échanges que nous allons avoir, et c’est avec beaucoup d’humilité que nous entamons l’examen de ce texte.

Ne nous y trompons pas, les projets de loi relatifs à la bioéthique, s’ils peuvent sembler techniques, voire abstraits, recouvrent des enjeux très concrets qui touchent au plus profond de l’intimité des Français : la famille, l’enfance, la maladie et tout ce qui compose une vie dans ses choix ou dans ses espoirs.

C’est donc à une réflexion profonde que vous êtes invités, que nous sommes invités. Une réflexion non pas sur des problèmes à résoudre ou sur des défis à relever, mais bien sur la société dans laquelle nous voulons vivre et la société que nous voulons proposer aux générations futures.

La France prend rendez-vous à intervalles réguliers avec les grandes questions de notre temps, avec le champ des possibles ouvert par la science et la recherche biomédicale.

Ce champ des possibles est vaste, mais nos principes sont solides. Ces principes sont autant de jalons et de limites à ne pas dépasser.

Ces grands principes, ils sont au cœur du projet de loi : la dignité de la personne humaine, l’autonomie de chacun et la solidarité de tous.

Ces grands principes ne sont pas des verrous, ce sont des balises qui nous guident et nous protègent.

Nos choix refléteront nécessairement un certain état de la science, de la société, des mentalités et, évidemment, de l’éthique. Ces choix sont ceux de la confrontation entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels, parfois douloureux, et des conséquences collectives acceptables.

Ces choix, nous les ferons ensemble, parce que c’est au Parlement, et nulle part ailleurs, qu’ils doivent être faits.

Dans la préface du Principe responsabilité, le philosophe Hans Jonas nous alertait déjà. Je souhaite le citer : « Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. »

Nous ne sommes pas réunis pour autre chose. Les thèmes qui vont nous mobiliser sont exigeants, passionnants et s’accommodent mal des raccourcis et des caricatures. Le projet de loi que je vous présente aux côtés de Nicole Belloubet, de Frédérique Vidal et d’Adrien Taquet a été largement nourri par vos travaux parlementaires. Il a aussi été enrichi à l’Assemblée nationale et par les travaux de la commission spéciale de votre assemblée. Il le sera encore par les débats qui s’ouvrent aujourd’hui.

Ce long cheminement n’a rien d’anodin ; il était et reste nécessaire.

La méthode retenue depuis plusieurs mois a été, je crois, à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire à la hauteur de ce que nous sommes, ni plus ni moins : des hommes et des femmes avec leur histoire personnelle, leur sensibilité et leur sens du bien commun devant des choix qui vont structurer la société française de demain.

C’est dans ce même esprit que nous allons avancer dès aujourd’hui pour adapter notre droit, non pas à une société post-moderne tantôt espérée, tantôt redoutée et souvent fantasmée, mais à la société telle qu’elle est ici et maintenant, et surtout aux Français tels qu’ils sont ici et maintenant, dans leur très grande diversité.

Accéder à des techniques médicales et accorder de nouveaux droits, ce n’est pas déréguler ; c’est au contraire permettre à la République de tenir compte des avancées scientifiques et médicales et de s’adapter à la vie des Français.

J’aurai l’occasion de revenir devant vous à plusieurs reprises pour présenter certaines dispositions et débattre ensemble de leur contenu.

Le projet de loi travaillé par la commission spéciale porte toujours les avancées que le Gouvernement a proposées en matière de procréation : d’une part, l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées ; d’autre part, l’autorisation de l’autoconservation des gamètes. Ces mesures majeures ont été approuvées par les sénateurs et je m’en réjouis. Ces nouvelles dispositions doivent néanmoins être parfaitement encadrées et nous y veillerons avec la plus grande rigueur.

Ces mesures ouvrent des droits. Ces droits sont effectifs chez la plupart de nos voisins européens ; ils ne sont contraires à aucun principe de la bioéthique et ils peuvent être exercés dans un cadre protecteur, en particulier pour l’enfant à naître.

L’ouverture de ces droits, c’est l’ouverture sur un avenir que nous regardons avec confiance. Soyons lucides : les familles monoparentales et homoparentales existent déjà ; elles sont issues de projets souvent très longs avec des enfants qui sont ardemment désirés et des parents, nul ne s’en étonnera, qui sont des parents, tout simplement.

Je veux couper court à une idée fausse : il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de droit à l’enfant. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Tout projet parental formulé dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation est déjà, dans le droit en vigueur, soumis au respect de l’intérêt de l’enfant à naître ; et il continuera de l’être.

Reconnaître la famille dans ce qu’elle a de divers, de pluriel et de riche, c’est ce que nous vous proposons.

La commission spéciale a également fait sien notre souhait de permettre aux personnes nées de PMA (procréation médicalement assistée) avec un don de gamètes de connaître l’identité du donneur.

Nous savons que l’anonymat du donneur a bien souvent pour corollaire le silence des parents et des questions sans réponse de l’enfant. Permettre à l’enfant d’accéder à sa majorité à des informations relatives au donneur, c’est lui permettre de se construire comme individu, de se pacifier avec son histoire et, donc, avec lui-même.

Un donneur n’est pas un parent, ce n’est pas sa vocation, ce n’est pas le sens de son geste. Mais il est une pièce de son identité que l’on ne peut dérober à l’enfant, il est un chaînon qui ne doit pas manquer à l’appel d’une existence.

Donner accès aux origines par ce projet de loi, c’est aussi sortir le don du secret pour le reconnaître dans ce qu’il a de profondément humain, altruiste et solidaire.

Ce faisant, nous n’affirmons qu’une seule chose : la force des institutions qui encadrent et qui protègent chacun. Nous ne ferons qu’un seul choix, celui de la responsabilité individuelle et collective.

Le projet que nous examinons comprend aussi de nouvelles mesures en matière de génétique auxquelles je suis fondamentalement opposée.

Le séquençage à haut et très haut débit de l’ADN a révolutionné le domaine de la génétique. Le projet de loi initial proposait des mesures concrètes pour accompagner l’augmentation des indications et des usages des examens génétiques réalisés dans le cadre du soin ou dans le cadre de la recherche.

Mais la facilité et la rapidité d’analyse du génome permettent aisément de dépasser ce cadre.

Toutes les mesures dont nous allons parler – dépistage génétique en population générale, dépistage préconceptionnel, dépistage préimplantatoire, dépistage génétique néonatal – sont en effet intimement liées.

Ces mesures peuvent paraître positives ; mais, derrière elles, que cherchons-nous à prévenir ?

Le dépistage en population vise à connaître les maladies auxquelles on serait prédisposé. Que fait-on de l’absence de preuve de l’utilité médicale d’une telle démarche ? Que fera-t-on de ces résultats que l’on ne sait pas interpréter et qui amèneront la personne à se méprendre sur son état de santé, présent comme futur ?

Le dépistage préconceptionnel ouvert à tout couple en âge de procréer vise à identifier le risque d’avoir un enfant atteint de certaines maladies. Mais comment définirons-nous ces maladies ? Au regard de la mortalité ? Au regard du handicap ?

Par ailleurs, l’expression d’une mutation est variable et l’on ne sait pas le prédire à ce jour. Il s’agit donc d’éviter la naissance d’enfants sur la base d’une anomalie génétique dont on ne peut prédire comment elle s’exprimera.

Que penser de notre modèle de société inclusive si l’on ne veut plus prendre le risque de la différence ?

MM. Philippe Bas et Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Quel impact sur les couples qui feront les tests ou, au contraire, qui ne les feront pas ? Quel impact sur la diversité génétique de notre espèce ?

On peut tirer le fil pour toutes ces mesures. Mais une chose est certaine : le généticien ne doit pas se substituer à la Pythie grecque que l’on interrogeait pour connaître son avenir ; des examens médicaux ne sauraient devenir des oracles parce que la vie n’est jamais réductible à une prédiction, aussi scientifique soit-elle.

C’est pourquoi nous sommes convaincus que le temps est à la recherche pour mieux comprendre l’impact des différentes mutations et leurs conséquences en termes de prévention, de soins et de société.

Dans le champ du dépistage préimplantatoire des aneuploïdies, qui sont une anomalie du nombre de chromosomes, comme les trisomies, l’objectif peut paraître louable : il est d’améliorer l’efficacité des fécondations in vitro en évitant le transfert des embryons non viables, et donc capables de générer des fausses couches. Mais, sur le plan scientifique et médical, l’efficacité de la technique est discutée et il est indispensable de poursuivre les recherches avant de modifier la loi. D’ailleurs, un projet de recherche a été sélectionné et sera financé, dès 2020, dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique.

Au-delà de l’objectif d’amélioration de la procréation médicalement assistée, il ne faut pas occulter le débat : l’enjeu, une fois la technique autorisée, sera également la réimplantation ou non d’embryons viables, mais présentant des anomalies génétiques.

Pour moi, les risques sont réels et les bénéfices incertains. Si nous soutenons l’effort et l’essor de la médecine génomique dans un cadre médical et sécurisé, le Gouvernement n’est pas favorable à une libéralisation de l’accès aux tests génétiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous alerte, enfin, sur les tests généalogiques dits « récréatifs ».

Les tests généalogiques exposent à une multitude de risques peu connus, mais qui constituent une menace sérieuse pour la vie privée des consommateurs. Si l’objectif est de rechercher d’éventuelles proximités de parenté, cela a un impact sur d’autres membres de la famille, qui n’y ont donc pas consenti.

La démarche des sociétés qui proposent ces tests n’est pas philanthropique : elle est d’abord commerciale, et la généalogie est le plus souvent un cheval de Troie qui ouvre la voie au dépistage génétique à visée médicale dont je parlais à l’instant.

Face à vous, je serai déterminée. Ces sujets ne laissent pas indifférents, ces sujets nous obligent à un débat parlementaire exigeant, serein et apaisé.

Nous avons fait le choix, non d’engager la procédure accélérée, mais bien de laisser à chacun, dans chacune des chambres, le temps de débattre et de modifier le texte.

De la même manière, le Gouvernement prend acte des modifications qui sont intervenues en commission spéciale. Certaines posent des questions techniques, d’autres plus politiques. Nous avons souhaité déposer des amendements sur les seuls éléments que nous considérons comme des lignes rouges à ne pas franchir pour garantir l’équilibre du projet de loi.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, un grand projet collectif nous attend : le projet d’une société en phase avec elle-même, d’une société qui reconnaît des droits nouveaux, sans rien céder aux principes qui nous lient les uns aux autres.

Dans les prochaines semaines, vous serez des artisans et des garants : les artisans d’un droit qui s’adapte à la France et aux Français du XIXe siècle, les garants d’un projet qui protège et qui émancipe. C’est ce projet collectif qui nous réunit aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir, aux côtés d’Agnès Buzyn, de Frédérique Vidal et d’Adrien Taquet, de vous présenter aujourd’hui ce texte important de révision des lois bioéthiques.

En tant que membre du Gouvernement, je suis bien entendu particulièrement fière de co-porter cette loi, qui, dans son ensemble – Agnès Buzyn vient de le rappeler –, réaffirme des principes et des valeurs, mais traduit aussi de véritables progrès.

Je pense notamment à son article 1er, qui ouvre l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules.

Je me réjouis donc que la commission spéciale ait décidé de repousser les amendements de suppression de l’article 1er du projet de loi. Je souhaite évidemment qu’il puisse en être de même en séance publique.

Cela répond en effet à une réalité sociologique qui ne peut être ignorée ; elle est liée à la pluralité des situations familiales.

En tant que garde des sceaux, je suis plus particulièrement chargée de l’article 4 de ce projet de loi, qui tire précisément les conséquences, sur le plan de la filiation, de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes.

Cette question de l’établissement de la filiation des enfants nés au sein de couples de femmes ayant recours à une PMA avec tiers donneur suscite à la fois des interrogations et des débats légitimes.

Plusieurs options étaient envisageables sur ce point. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement avait saisi le Conseil d’État.

Je rappelle brièvement quelles sont les options qui pouvaient être offertes : d’une part, une extension des dispositions de droit commun, même si ces termes de droit commun sont impropres ; d’autre part, la création d’un dispositif ad hoc applicable à l’ensemble des couples, hétérosexuels comme homosexuels, qui avaient recours à une PMA avec tiers donneur ; ou encore la création d’un dispositif ad hoc applicable aux seuls couples de femmes ayant recours à la PMA avec tiers donneur.

Chacune de ces solutions, de ces options, présente des avantages et des inconvénients qui vous ont très certainement été largement exposés dans le cadre des auditions que vous avez menées.

Ce qui a présidé au choix du Gouvernement, ce sont les quatre principes et objectifs suivants.

Il s’agissait d’abord pour nous d’offrir aux enfants nés d’AMP au sein d’un couple de femmes les mêmes droits que ceux qui sont offerts aux autres enfants. C’est un choix d’égalité qui est évident, mais qui devait être ici affirmé et réaffirmé fortement.

Deuxième objectif : apporter la sécurité juridique aux deux mères et à leurs enfants. La filiation, dans cette hypothèse précise, peut être établie non sur la vraisemblance biologique, mais sur la base d’un engagement commun. C’est donc une évolution juste, mais elle doit être juridiquement solide.

Troisième objectif : il s’agissait pour nous de construire une procédure simple, qui n’impose aucune démarche supplémentaire pour les couples de femmes pour l’établissement de leur filiation.

Enfin, quatrième objectif : il s’agissait de ne pas revenir sur le droit applicable aux couples hétérosexuels. Nous souhaitons en effet ouvrir des droits nouveaux sans rien retirer ou modifier du régime de filiation applicable aux couples hétérosexuels.

C’est donc sur la base de ces quatre principes clairs que nous avons fait le choix d’un dispositif ad hoc pour l’établissement de la filiation pour les couples de femmes ayant recours à l’AMP avec tiers donneur.

Le dispositif proposé par le Gouvernement dans le projet de loi initial a été enrichi dans le cadre des débats à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, de manière très concrète, il se présente de la façon suivante.

D’abord, les couples de femmes doivent consentir devant notaire à faire une PMA avec tiers donneur, comme c’est aujourd’hui le cas pour les couples hétérosexuels. Au même moment, lors de ce même entretien devant le notaire, elles s’engagent à devenir les mères de l’enfant qui naîtra.

Cette reconnaissance conjointe sera produite lors de la naissance devant l’officier d’état civil en même temps que le certificat d’accouchement, ce qui permettra d’établir la filiation à l’égard des deux mères. L’acte intégral de naissance de l’enfant comportera la mention qu’il a été reconnu conjointement par les deux mères.

Ce dispositif a évolué au cours du travail mené avec les rapporteurs à l’Assemblée nationale. Les modifications, qui ne remettent pas en cause les objectifs que j’ai rappelés plus haut, ont porté essentiellement sur deux points.

Le premier a trait à l’emplacement des dispositions concernant l’AMP avec tiers donneur pour les couples de femmes.

Alors que notre projet initial avait créé un nouveau titre VII bis propre à la filiation des enfants nés de couples de femmes ayant recours à l’AMP, le dispositif finalement adopté à l’Assemblée nationale est intégré au sein du titre VII du livre Ier du code civil relatif à la filiation. Au sein de ce titre VII, a été créé un chapitre V, qui porte sur le recours à l’AMP avec tiers donneur pour tous les couples.

Ce chapitre nouveau est toutefois très précisément organisé. Il comporte d’abord les dispositions communes – interdiction d’établir un lien de filiation avec le donneur, condition et forme du consentement –, puis les dispositions qui permettent l’établissement de la filiation dans les couples de femmes.

Ce déplacement par rapport au projet initial du Gouvernement permet de rendre compte du socle commun entre ces modes de filiation. Il permet donc de rapprocher autant qu’il est possible les modes d’établissement de la filiation des couples de femmes et des couples hétérosexuels qui ont recours à l’AMP avec tiers donneur.

Pour autant, ce nouvel emplacement ne bouleverse pas le droit de la filiation dès lors que les quatre premiers chapitres du titre VII, consacrés à la filiation reposant sur la vraisemblance biologique, ne sont pas modifiés.

Je le répète : les couples hétérosexuels ayant recours à l’AMP avec tiers donneur ne voient pas modifié l’établissement de leur filiation.

La seconde évolution qui a résulté des débats conduits à l’Assemblée nationale concerne la notion de reconnaissance conjointe.

Dans le projet de loi initial, le Gouvernement avait proposé d’établir une déclaration anticipée de volonté (DAV). L’article 4 réécrit lui substitue la notion de reconnaissance conjointe. Cette substitution est une réponse à la critique formulée à propos de la DAV, apparue comme une notion juridique, voire un objet juridique nouveau, qui, aux yeux de certains, pouvait être considérée comme stigmatisante pour les couples de femmes.

Là encore, et cela a son importance, le Gouvernement assume au maximum la volonté de réduire la différence entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes, tout en respectant l’exigence de sécurité juridique.

Il n’y a en effet aucune confusion possible entre cette reconnaissance conjointe et la reconnaissance de l’article 316 du code civil : la première est donc conjointe, effectuée avant même la grossesse, tandis que la seconde est unilatérale et effectuée après la naissance ou, au plus tôt, au début de la grossesse.

La reconnaissance conjointe n’est possible que pour les couples de femmes, tandis que la reconnaissance de l’article 316 n’est pas ouverte aux couples de même sexe.

Pour établir une double filiation maternelle, l’officier d’état civil devra donc exiger cette reconnaissance conjointe, ainsi que le certificat d’accouchement. Il n’y a dès lors aucune confusion possible entre ces deux modes d’établissement de la filiation.

Concrètement, je l’ai déjà dit, l’acte de naissance de l’enfant portera la mention qu’il a été reconnu conjointement par les deux mères. Cette mention attestera bien que l’on est dans l’hypothèse légale d’une double filiation maternelle.

Ainsi, grâce à son double caractère – elle est simultanée et anticipée –, cette reconnaissance conjointe permet de sécuriser la filiation, particulièrement à l’égard de la femme qui n’accouche pas.

Les deux femmes seront mères en même temps, à égalité, dès lors que l’accouchement aura eu lieu. La reconnaissance conjointe permet donc de faire obstacle à l’éventuelle reconnaissance par un tiers avant la naissance, puisque cette reconnaissance conjointe lui sera en tout état de cause antérieure et qu’elle primera devant l’officier d’état civil.

Ce dispositif simple est donc particulièrement sécurisant, pour les enfants comme pour les mères – c’était la première de nos exigences.

À la faveur des débats, un autre sujet s’est imposé à nous au cours de la navette parlementaire : la gestation pour autrui (GPA). Nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir en détail dans la discussion des articles, mais je souhaite en dire quelques mots dès ce propos liminaire.

D’abord, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ne peut ni ne doit en aucun cas conduire à autoriser la GPA au nom du principe de non-discrimination. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Ce n’est pas gagné !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En effet, le principe d’égalité ne trouve pas, en l’occurrence, à s’appliquer.

D’abord, parce qu’il n’existe pas de droit à l’enfant.

M. André Reichardt. Tiens donc !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. D’autre part, parce que, au regard de la procréation, les couples de femmes et les couples d’hommes ne sont pas dans une situation identique. (Nouveaux murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ensuite, la reconnaissance du désir d’enfant pour les couples d’hommes ou les hommes célibataires soulève des enjeux totalement différents de ceux qui sont liés au recours à la PMA.

Pour la GPA, le degré d’implication du tiers, sans commune mesure avec celui du donneur de gamètes, est tel qu’il porte atteinte aux principes, que nous avons maintes fois réaffirmés, de non-marchandisation du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes.

À cet égard, il est hors de question d’autoriser la GPA en France.

M. Bruno Sido. Aujourd’hui…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je le réaffirme avec force !

Pour autant, lorsque des couples se rendent à l’étranger pour recourir à une GPA et qu’ils rentrent en France avec les enfants nés de cette gestation pour autrui, l’État doit garantir à ces enfants une vie familiale normale, ainsi qu’une filiation reconnue dans notre état civil. Je prête donc une attention toute particulière à la question de l’établissement du lien de filiation des enfants nés de GPA à l’étranger.

Dans ses arrêts récents, du 18 décembre dernier, portant sur la transcription des actes d’état civil étrangers établis à la suite d’une GPA réalisée à l’étranger, la Cour de cassation a modifié son interprétation de l’article 47 du code civil, relatif à l’admissibilité des actes d’état civil étranger. Elle juge, désormais, que la conformité à la réalité d’un acte d’état civil étranger s’apprécie au regard des critères de la loi nationale étrangère, non de ceux de la loi française. (M. Pierre-Yves Collombat sesclaffe.)

Cette solution est source de difficultés, car elle soustrait les GPA réalisées à l’étranger au contrôle du juge français, s’agissant en particulier de l’intérêt de l’enfant et de l’absence de trafic d’enfants. De fait, il n’est plus nécessaire de prévoir une adoption pour reconnaître le lien de filiation.

La commission spéciale est revenue sur cette jurisprudence. Pour ma part, je défendrai un amendement du Gouvernement qui, tout en visant les mêmes objectifs, tend à rétablir l’équilibre réalisé par la jurisprudence de la Cour de cassation dans son état antérieur au revirement du 18 décembre dernier.

À la fois suffisamment général et conforme aux engagements internationaux de la France, le dispositif que je vous soumettrai rappelle que c’est au regard des règles françaises applicables qu’il convient d’apprécier la réalité visée à l’article 47 du code civil. Nous y reviendrons plus en détail au cours de nos débats.

M. Bruno Retailleau. Comptez sur nous !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le droit de la filiation, vous le savez, est une matière à la fois technique et qui emporte des conséquences extrêmement importantes et concrètes sur la situation des familles. Dans ce domaine, il faut exclure toute généralisation dont la portée n’aurait pas été mesurée avec soin. Il faut savoir protéger les enfants (M. André Reichardt sexclame.) et ceux qui leur ont permis de venir au monde, tout en faisant preuve de modestie et de prudence.

C’est pourquoi je vous invite à voter ce texte sécurisant, réaliste et juridiquement solide, qui offre à tous les enfants les mêmes droits et à leurs parents les mêmes droits et les mêmes devoirs, quelle que soit leur orientation sexuelle. En toute hypothèse, je serai extrêmement attentive à nos débats et à nos échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le débat qui s’ouvre devant la Haute Assemblée est attendu.

Par la communauté scientifique, d’abord, concernée au premier chef par les dispositions du titre IV du projet de loi, mais aussi par l’ensemble de nos concitoyens. Car la bioéthique – cela a été dit – n’est pas une affaire de spécialistes, juristes ou scientifiques : c’est une série d’enjeux et d’interrogations, un questionnement, que nous avons tous en partage.

Avoir institué le réexamen périodique de la loi de bioéthique est une spécificité nationale tout à fait remarquable. Chacune des lois intervenues depuis 1994 a permis de faire se rencontrer la société et les avancées de la science.

Cette spécificité nous oblige, tant nos concitoyens, quelles que soient leurs positions sur ce projet de loi, attendent de nous un débat digne et serein. Je sais que le Sénat sera naturellement, et comme toujours, au rendez-vous de cette exigence.

Notre discussion se fonde sur un principe auquel nous souscrivons tous : ce que la science sait rendre possible n’est pas nécessairement aligné sur le souhaitable. Pourtant, chacun mesure au quotidien à quel point les progrès scientifiques réalisés ces dernières années interrogent nos cadres habituels de pensée, qu’il s’agisse de la recherche sur l’embryon, sur les cellules souches embryonnaires ou induites, ou en matière génétique. Combler ce hiatus et résoudre cette tension entre les propositions de la recherche et les aspirations de notre société, c’est le cœur même de notre droit de la bioéthique.

Le Sénat joue un rôle considérable, depuis 1994, dans la construction de ce droit, et je ne crois pas me tromper en affirmant que l’ensemble de la communauté de la recherche sait ce qu’elle doit à la Haute Assemblée, s’agissant de l’instauration, en 2013, du régime d’autorisation en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires. Je l’ai déjà rappelé devant la commission spéciale, mais il me semblait important d’y insister aussi à cette tribune.

L’encadrement de la recherche est un travail de funambule : il s’agit de ne sacrifier ni nos valeurs fondamentales à une quête éperdue de savoir, ni l’espoir de développer des thérapies innovantes et de guérir des maladies aujourd’hui incurables à des préjugés qui ne correspondent plus à l’état des connaissances. Ainsi, des questionnements initiaux relatifs à la recherche sur l’embryon demeurent, mais actualisés par les percées scientifiques les plus récentes, comme les nouvelles techniques de dérivation de cellules souches embryonnaires et la découverte des cellules souches induites.

À cet égard, notre débat s’ouvre dans une période paradoxale : jamais nos concitoyens n’ont autant attendu de notre recherche, notamment dans le domaine médical, et jamais non plus, dans un mouvement inverse, la défiance à l’égard du progrès scientifique n’a été si forte. J’entends, bien sûr, les craintes et les réserves qui ont pu être formulées ; je suis certaine que les débats au Sénat contribueront à apaiser ces craintes et à lever ces réserves.

S’agissant de la recherche, nous vous proposons, avec la présente révision de la loi de bioéthique, un cadre juridique rénové, fondé sur près de deux décennies d’expérimentations éprouvées au sein des laboratoires et par l’Agence de la biomédecine. Ce cadre repose également sur la manière différente dont les progrès scientifiques les plus récents nous permettent désormais d’interroger le sujet de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, qui sont au cœur de notre droit de la bioéthique.

En matière de recherche sur l’embryon, le projet de loi autorise les chercheurs à conduire des recherches incluant l’édition du génome d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental et susceptibles de contribuer au progrès de la connaissance, avant d’être détruits. Ces recherches apportent des connaissances essentielles à la compréhension du rôle de nos gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire à l’œuvre au cours du développement, mais aussi dans d’autres processus physiologiques ou pathologiques.

Auparavant, nous ne savions pas observer ces embryons sur une période supérieure à quelques jours. Les techniques ayant évolué, nous savons désormais les observer à des phases ultérieures de leur développement. C’est pourquoi nous souhaitons élargir le champ de la recherche sur les embryons, tout en fixant une limite de quatorze jours à leur maintien in vitro. Cette durée n’est pas arbitraire, ni attachée aux limites de ce que nous savons faire : elle est fondée sur un consensus scientifique international.

Le présent projet de loi est donc non pas un blanc-seing donné aux scientifiques, mais la recherche d’un point d’équilibre.

À cet égard, tous les interdits majeurs qui fondent notre droit, en particulier les textes internationaux dont nous sommes signataires, comme la convention d’Oviedo, sont naturellement confirmés : la création d’embryons à des fins de recherche est interdite, de même que la modification du patrimoine génétique transmissible à la descendance ; l’intégration de cellules animales dans un embryon humain est encore plus clairement prohibée. Ces interdits, je les réaffirme très nettement.

Le texte protège donc notre modèle ; il respecte, en le réactualisant, le questionnement propre à l’embryon, tout en faisant barrage à toute possibilité de clonage ; il en va de même s’agissant de la modification du patrimoine génétique d’un embryon destiné à être implanté.

Toutefois, le projet de loi réserve des espaces propices aux innovations thérapeutiques que nous pourrions mettre au point, si nous comprenions mieux les mécanismes du développement et de la différenciation cellulaire. Ces mécanismes sont au cœur de nombreuses pathologies que nous comprenons parfois mal, faute de concepts scientifiques pour les traiter ; c’est le cas, notamment, des cancers pédiatriques les plus difficiles à traiter, issus de dysfonctionnements dans la différenciation cellulaire – je vous présenterai d’autres exemples dans le cours de nos débats.

Chacun comprend bien à quel point il est crucial de donner à nos scientifiques les leviers nécessaires pour mener leurs travaux, dans l’intérêt général.

S’agissant des cellules souches embryonnaires, leur capacité à se transformer en n’importe quel type de cellules du corps humain ouvre de grandes perspectives à la thérapie cellulaire et à la médecine régénérative. À l’horizon des recherches sur ces cellules, il y a l’espoir de traiter, par exemple, la maladie de Parkinson, l’insuffisance cardiaque et le diabète.

Seulement, le régime juridique auquel la recherche sur ces cellules est actuellement soumise pèse considérablement sur l’avancée des travaux des chercheurs, car il se confond avec celui qui encadre la recherche sur l’embryon, alors même qu’embryon et cellules souches embryonnaires ne relèvent plus du même questionnement éthique.

En effet, nous maîtrisons aujourd’hui les techniques avancées permettant de dériver des lignées, très longues et parfois très anciennes, de cellules souches. Celles qui sont étudiées aujourd’hui dans les laboratoires français sont majoritairement issues de lignées dérivées voilà plus de vingt ans ; elles ne résultent donc pas d’un nouvel embryon. De ce fait, ce qui interpelle aujourd’hui est moins l’origine des cellules souches que notre capacité à dériver les lignées actuelles sans les altérer et en conservant leur potentiel pluripotent.

Notre capacité à dériver ces cellules souches n’épuise naturellement pas la nécessité de poursuivre la recherche sur l’embryon : il va de soi que nos chercheurs auront besoin de produire de nouvelles lignées de cellules souches. À cet égard, je tiens à rassurer la Haute Assemblée sur l’un des nombreux principes qui encadrent notre recherche : jamais un embryon n’est créé à des fins de recherche – il faut être très clair sur ce sujet.

Nombreux sont ceux qui craignent qu’on emploie les cellules souches pour produire des gamètes et, partant, des embryons artificiels. Les embryons destinés à la recherche sont issus de dons, à la suite d’un projet parental : ce principe fondateur n’a pas vocation à être remis en cause. À ce jour, un peu moins de 3 000 embryons ont été proposés et utilisés à des fins de recherche depuis 1994, tandis que près de 19 000 ont d’ores et déjà fait l’objet d’un don à la science. Preuve que l’usage en est raisonné et contrôlé.

Ce constat nous conduit à proposer l’allégement du régime des recherches sur les cellules souches : elles seraient soumises non plus à autorisation, à l’instar des recherches sur l’embryon, mais à déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Chacun mesure à quel point ces cellules touchent, néanmoins, à une part intime de notre humanité.

Le présent projet de loi rend également compte de la manière dont le législateur peut se saisir de l’actualité scientifique la plus récente, au travers de la question des cellules souches pluripotentes induites. Révélées par le professeur Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2012, ces cellules offrent des perspectives scientifiques tout à fait nouvelles, jusqu’à présent non prises en compte dans le cadre bioéthique.

Il s’agit de cellules adultes que nous savons faire évoluer jusqu’à un stade très proche de celui des cellules souches embryonnaires. Je dis : très proche, car si les cellules souches embryonnaires disposent de la capacité à produire tout autre type de cellules de l’organisme, les cellules souches pluripotentes induites ont un caractère pluripotent plus limité. En d’autres termes, si les cellules souches embryonnaires peuvent devenir n’importe quelle autre cellule humaine, ce n’est pas le cas des cellules souches induites, dont les évolutions sont plus limitées, en l’état actuel de la connaissance.

Je tiens donc à être très claire aussi sur ce point : si la découverte des cellules souches pluripotentes induites a été un événement scientifique majeur, ces dernières ne peuvent offrir une alternative ni à la recherche sur les cellules souches embryonnaires ni à la recherche sur l’embryon. Il s’agit d’un nouveau territoire de la connaissance que nous vous proposons de faire adhérer au cadre rénové dont le présent projet de loi est porteur, afin que l’Agence de la biomédecine exerce la totalité de ses prérogatives auprès de la communauté scientifique.

Qu’il s’agisse de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches pluripotentes induites, les travaux de la commission spéciale ont mis en exergue la problématique des embryons chimériques, sur laquelle il me paraît fondamental de revenir quelques instants. En effet, ces expérimentations interpellent et suscitent des interrogations, parfois des fantasmes. Il me semble donc important de préciser la réalité du travail mené par les chercheurs pour rétablir les termes exacts de la discussion.

Les chimères ne résultent pas de manipulations génétiques : il s’agit non pas de modifier le génome, mais d’observer les évolutions cellulaires d’un embryon animal auquel sont agglomérées des cellules souches embryonnaires ou induites. En d’autres termes, il est question non pas de franchir la barrière des espèces,…

M. André Reichardt. Alors, c’est quoi ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. … mais d’observer, dans des cadres différents, les mécanismes de différenciation qui sont au cœur de la recherche sur l’embryon et les différentes catégories de cellules souches.

Le cadre législatif actuel en matière de bioéthique interdit l’introduction de matériel génétique animal dans un embryon humain : cette interdiction absolue est bien rappelée dans le texte qui vous est soumis. En revanche, la loi aujourd’hui en vigueur est floue s’agissant des manipulations, tout à fait nécessaires à la recherche, consistant à agglomérer du matériel biologique humain dans un embryon animal.

De fait, le paragraphe que nous vous proposons de modifier fait partie des dispositions relatives à l’expérimentation sur l’embryon humain uniquement. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont fait le choix de clarifier cette situation en offrant un cadre clair et juridiquement sécurisé à des techniques sur lesquelles de grands espoirs sont fondés.

Au-delà de l’imaginaire charrié par la notion de chimère, ce qui est en jeu, c’est bien notre capacité à continuer à disposer de modèles animaux nous permettant de mieux comprendre certaines pathologies humaines et leur traitement ; c’est de cela qu’il s’agit, ni plus ni moins.

Beaucoup a été écrit sur certains protocoles de recherche annoncés au Japon. Ce qui est scientifiquement établi, c’est que, à ce jour, nos connaissances ne nous permettent pas de conduire ces embryons jusqu’à la parturition ; il est tout aussi établi que nous ne savons pas utiliser des embryons animaux pour produire des organes compatibles avec l’homme, ce qui poserait du reste d’importantes questions, éthiques bien sûr, mais aussi sanitaires. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, et ce n’est pas ce qui est en jeu dans le présent projet de loi.

Ainsi, c’est en ouvrant de nouvelles voies et en traçant de nouvelles limites, en réaffirmant des lignes rouges, que ce texte dessine les contours d’une recherche libre et responsable. Naturellement, nous aurons des sujets de désaccord ; je ne crois pas me tromper en avançant que nous en avons déjà quelques-uns… Le temps du dialogue est ouvert, et nous aurons ces prochains jours l’occasion et le temps d’explorer tous nos sujets de divergence, en allant au fond des questions.

Le Gouvernement entend que le débat se poursuive dans les conditions de sérénité nécessaires pour que nous puissions, avec l’Assemblée nationale, parvenir à un équilibre sur ces différentes questions. Aussi Agnès Buzyn, Nicole Belloubet et moi-même n’avons-nous pas souhaité revenir par voie d’amendement sur la totalité de nos sujets de désaccord à l’issue des travaux de la commission spéciale.

En revanche, nous avons décidé de relever d’emblée ceux qui constituent des lignes rouges, du moins des points susceptibles de déséquilibrer le texte ou de l’entraîner dans une direction qui ne nous semble pas opportune, s’agissant notamment du délai d’observation des embryons in vitro, du cadre législatif relatif aux chimères et des questions relatives à la génétique, précédemment abordées par ma collègue Agnès Buzyn.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les sujets de débat ne manquent pas : nous aurons dans les prochains jours le privilège de les explorer avec vous et d’en tirer tous les fils, toutes les conséquences ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, accueillir les innovations médicales au service de nos concitoyens et dans le respect des principes éthiques : tel est l’équilibre recherché par la commission spéciale en matière de recherche et de génétique.

Dans ce domaine, le texte du Gouvernement nous a semblé ambigu : d’un côté, il ouvre la voie à des expérimentations discutables sur le plan éthique, comme les embryons transgéniques ou chimériques ; de l’autre, il reste en retrait de certaines recommandations du CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé), par exemple en matière de diagnostic préimplantatoire.

S’agissant de la recherche, la principale novation réside dans un assouplissement du régime des recherches sur les cellules souches embryonnaires : il est pris acte que, n’étant pas des embryons, elles ne doivent pas être soumises aux mêmes règles. En revanche, le projet de loi ne sécurise en rien les recherches sur l’embryon, que les lois de bioéthique ont clairement autorisées mais qui continuent de faire l’objet de contentieux systématiques.

Devant ce constat, la commission spéciale a choisi de préciser les prérequis applicables à ces recherches, qui s’inscrivent généralement dans une démarche de recherche fondamentale, dont, par définition, les résultats et les possibles applications cliniques ne peuvent être anticipés.

La commission spéciale a également souhaité que la recherche française puisse prétendre à l’excellence dans la compréhension des mécanismes du développement embryonnaire. C’est pourquoi elle a étendu à vingt et un jours la durée limite de développement in vitro d’embryons surnuméraires, sur dérogation accordée par l’Agence de la biomédecine. En effet, la limite de quatorze jours est aujourd’hui réinterrogée, pour permettre des recherches indispensables à une meilleure connaissance du processus de différenciation des cellules souches embryonnaires.

De façon assez surprenante, le texte issu de l’Assemblée nationale normalise des recherches qui soulèvent pourtant des questions éthiques majeures, s’agissant en particulier de la création d’embryons chimériques. Mesdames les ministres, soyons clairs : le législateur n’a jamais entendu autoriser l’insertion dans un embryon animal de cellules souches embryonnaires humaines, et il n’appartient ni au Gouvernement ni au Conseil d’État de parler au nom du Parlement sur une question aussi sensible – l’éventuelle transgression d’une ligne rouge dans le franchissement de la barrière des espèces. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Dans ces conditions, la commission spéciale a rétabli l’interdiction de constitution d’embryons chimériques impliquant l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines.

Consciente de ce que permet le droit en vigueur, elle a également posé des verrous aux expérimentations impliquant l’insertion de cellules souches pluripotentes humaines induites dans un embryon animal. Même les États-Unis, dont la tradition d’éthique biomédicale est différente, interdisent la poursuite à terme de la gestation d’embryons chimériques ; je ne vois donc pas pourquoi nous autoriserions une telle perspective dans notre pays.

Enfin, sur le sujet sensible du diagnostic préimplantatoire, la commission spéciale a élargi, à titre expérimental, les indications médicales de recours à cette technique, dans le seul objectif d’améliorer la prise en charge de femmes en assistance médicale à la procréation, en évitant des échecs répétés et douloureux. J’entends les craintes de dérives exprimées par certains, mais notre dispositif, qui pourra être amélioré à la faveur de nos débats, est strictement encadré dans ses finalités, afin, précisément, de proscrire toute dérive.

Soucieuse de prévenir et soigner les souffrances et les maladies dans le respect de la personne et des principes fondamentaux de notre droit, la commission spéciale vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, j’ai été choisie comme rapporteur sur les articles 1er à 4 du projet de loi, relatifs à l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes ainsi qu’aux liens de filiation qui en découlent, à la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et à l’autoconservation des gamètes.

Compte tenu de la brièveté du temps qui m’est imparti, je n’aborderai dans la discussion générale que l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes.

La commission spéciale a donné son accord à cette extension, contre l’avis que j’ai exprimé en qualité de rapporteur. Nous nous sommes exprimés, et les votes ont été assez partagés – il en sera vraisemblablement de même en séance publique.

M. Bruno Sido. Absolument !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Pour que chacun puisse prendre position, il me semble que nous devons nous interroger sur un certain nombre de points. De fait, des questions se posent – j’en aborderai, rapidement, trois.

En tout cas, il en est une qui, je crois, ne se pose pas : celle de la légitimité de la demande des femmes qui veulent recourir à l’assistance médicale à la procréation. Le désir d’une femme d’avoir un enfant, quelle que soit sa situation conjugale, quelle que soit son orientation sexuelle, est parfaitement respectable. De la même façon, il me semble que les capacités d’amour, d’attention, d’éducation d’une femme ne dépendent en aucun cas de sa situation conjugale, ni de son orientation sexuelle. Nous pouvons, me semble-t-il, nous entendre sur ce point : la demande qui nous est adressée est respectable et peut être entendue.

Pour autant, pouvons-nous y répondre favorablement ? Il nous faut répondre d’abord à quelques questions.

La première est celle du rôle que nous voulons voir la médecine jouer. La bioéthique a pour effet – à vrai dire, pour fonction – de fixer des limites à ce que nous pouvons demander à la science. Lorsque nous affirmons que la médecine est là pour combler nos désirs, ne renonçons-nous pas au rôle même de la bioéthique, puisque le désir est sans limite ?

La deuxième question posée, importante, a trait au sort que nous faisons aux enfants que, dans le cadre de cette extension de l’assistance médicale à la procréation, nous faisons naître sans filiation paternelle et sans possibilité d’en établir jamais aucune. Est-ce là servir l’intérêt de l’enfant ? Pour le dire de façon un peu brutale et, peut-être, un peu triviale, un père sert-il à quelque chose, ou pouvons-nous le supprimer purement et simplement de la vie d’un enfant ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur. À cet égard, nous ne disposons – j’en suis navrée – d’aucune étude scientifique véritablement fiable. Certes, un certain nombre d’études sont visées dans l’étude d’impact du Gouvernement, mais un nombre assez important de pédopsychiatres et l’Académie nationale de médecine nous ont affirmé, de manière extrêmement claire, qu’aucune n’avait la rigueur scientifique suffisante pour pouvoir appuyer un jugement.

Parmi les spécialistes de l’enfant que sont les pédopsychiatres, certains expliquent que, si un père et une mère ont des rôles différents, celui du père peut parfaitement être joué par la mère, en sorte qu’une mère pourrait être un père. D’autres, au contraire, estiment que, si des femmes sont parfaitement capables d’élever ensemble un enfant – encore une fois, nous n’en doutons pas –, ce n’est pas le tout pour un enfant ; que celui-ci ne peut se construire psychiquement que dans la mesure où il peut s’approprier une origine filiative crédible – hétérosexuelle, bien sûr, puisque seuls un homme et une femme peuvent avoir ensemble un enfant ; et que, faute d’une telle origine filiative crédible, sa construction psychique ne sera pas bonne.

De ces propos, chacun de nous retiendra peut-être ce qui lui convient. Mais l’important est moins de savoir ce qui nous convient que de décider si, devant des analyses contradictoires, nous prenons le risque que des enfants puissent, avec l’autorisation de la société, naître en ayant, peut-être, une construction psychique altérée dès la naissance.

Enfin, la troisième question que nous pouvons nous poser – et qui peut paraître plus technique – concerne le droit de la filiation.

Ce dernier est un droit d’ordre public, car c’est celui qui structure la société. Il n’est pas confié aux citoyens : il est réglé par l’État. Or, aujourd’hui, ce qui nous est demandé, c’est d’établir un lien de filiation en fonction de la volonté pure d’un individu qui déclare être parent. Or la volonté est infinie, mais elle est aussi fragile. Devons-nous structurer la société sur un fondement aussi fragile que celui de la volonté ?

Voilà, me semble-t-il, les questions que nous devons nous poser et auxquelles nous devons répondre.

Le désir d’enfant est respectable, mais la médecine a-t-elle pour rôle de satisfaire nos désirs ? Suffit-il à un enfant d’être l’objet de l’amour et du désir ? Enfin, pouvons-nous structurer la société sur le désir et la volonté ? Voilà ce dont nous serons, entre autres choses, amenés à parler pendant ces débats ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je vais entamer mon propos par une citation de Jean d’Ormesson (MM. Jean-Noël Guérini et Bruno Sido sexclament.) : « Comme l’esprit peut hésiter dès qu’il se préoccupe de considérations morales ou éthiques ! »

Cette citation, je la fais mienne, car c’est ce que j’ai ressenti tout au long d’auditions au cours desquelles nous avons, je le crois, rencontré l’excellence française. Ces auditions m’ont marqué, notamment celles des professeurs Mattei, Frydman et Nisand.

La bioéthique à la française a ceci de particulier qu’elle n’est pas la seule affaire des médecins et des juristes : c’est aussi l’affaire des philosophes et des citoyens. Il s’agit d’aborder l’avenir pour humaniser les progrès scientifiques, et non d’avoir peur de cet avenir.

C’est empreinte de ces doutes et de cette humilité, tâtonnant vers la connaissance, que notre commission spéciale a travaillé. Il lui a semblé que ce projet de loi, pour ce qui concerne un certain nombre de dispositions, n’a pas toujours adapté le droit à l’évolution des connaissances scientifiques et techniques en matière de génétique.

Évidemment, ne nous leurrons pas : l’interdiction des tests génétiques en accès libre sur internet est aujourd’hui purement virtuelle.

Plus d’un million de Français ont déjà eu recours à ces tests sans avoir aucune garantie que leurs droits étaient protégés. Voilà la réalité ! Leurs données sont librement conservées et utilisées par des sociétés commerciales, qui en tirent profit en monnayant leurs bases de données auprès de laboratoires pharmaceutiques. Des informations médicales sont communiquées sans aucun accompagnement professionnel digne de ce nom, alors même que les personnes recourant aux tests génétiques sur internet le font essentiellement à des fins généalogiques.

Interdire par principe sans savoir véritablement interdire a-t-il du sens ? Ne vaut-il mieux pas encadrer ? N’est-ce pas cela la bioéthique à la française : encadrer et humaniser plutôt qu’interdire ?

La commission spéciale a pris ses responsabilités. Elle a posé les bases d’un encadrement strict des examens génétiques à visée généalogique, en interdisant la transmission d’informations médicales et en introduisant des garde-fous dans le traitement de données aussi sensibles que les informations génétiques.

Suivant les recommandations du CCNE, elle a aussi ouvert la voie à un accès aux examens génétiques en population générale et dans le cadre du dépistage préconceptionnel. Le Gouvernement gardera la possibilité d’établir une liste d’anomalies génétiques « actionnables » pour lesquelles des mesures de prévention ou de soins sont envisageables.

S’agissant des embryons chimériques, je partage l’analyse de ma collègue Corinne Imbert. Il convient de poser des limites claires à ce type d’expérimentation pour prévenir tout risque de franchissement de la barrière des espèces, tout en préservant l’excellence de nos équipes de recherche.

Enfin, concernant le développement de l’intelligence artificielle, qui constitue également un sujet de première importance, le projet de loi crée opportunément un cadre juridique pour l’utilisation d’un traitement algorithmique lors de la réalisation d’un acte médical. La commission spéciale a renforcé les garanties applicables à l’utilisation de ces technologies, en prévoyant que le patient soit informé en amont de l’utilisation d’un traitement algorithmique et qu’aucune décision médicale ne puisse exclusivement se fonder sur un tel traitement.

Mes chers collègues, « améliorer la vie sans la bouleverser » : cet objectif résume assez bien le travail de notre commission spéciale et de son président, qui, je le crois, honore notre institution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en matière de don d’organes, le projet de loi lève de façon bienvenue des contraintes pesant sur le développement du don croisé.

Cet aménagement du don du vivant n’a connu qu’une mise en œuvre timide depuis la précédente loi de 2011. Pour atteindre les objectifs ambitieux du plan Greffe, alors que cinq cents personnes meurent chaque année dans notre pays faute de greffe d’organes, les défis sont encore devant nous.

Face à ces enjeux, la commission a introduit plus de souplesse pour accompagner une relance du don croisé compatible avec les exigences liées à cette procédure complexe. Elle a également affirmé un « statut de donneur », préconisé par le Comité consultatif national d’éthique comme par les associations. Je souhaite que le Gouvernement puisse se saisir de ce cadre comme d’une opportunité de mieux valoriser, même symboliquement, ce geste altruiste et civique qu’est le don d’organes.

Nos propositions ont par ailleurs été guidées par la recherche de l’équilibre entre consentement et vulnérabilité des mineurs et majeurs protégés : nous proposons notamment d’abaisser à 16 ans l’âge du consentement pour le don à un parent de cellules souches hématopoïétiques, ou d’exclure du prélèvement post mortem les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection avec représentation à la personne.

Suivant cette même logique, la commission a ouvert le don du sang dès l’âge de 17 ans, afin de permettre aux jeunes de contribuer à la solidarité nationale par ce geste citoyen.

Le projet de loi apporte en outre des clarifications bienvenues à l’encadrement de l’interruption de grossesse pour motif médical et des réductions embryonnaires ou fœtales.

Sur le sujet de l’interruption médicale de grossesse, la commission spéciale n’a pas jugé nécessaire de prévoir une clause de conscience spécifique des professionnels de santé, dès lors qu’une clause de conscience générale leur permet déjà de ne pas accomplir un acte contraire à leurs convictions.

Enfin, la commission spéciale a adopté, en y apportant des améliorations, le dispositif proposé par l’Assemblée nationale sur la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital par les centres de référence. Elle a notamment soumis le diagnostic et la prise en charge de ces enfants à un référentiel de bonnes pratiques, arrêté par la Haute Autorité de santé en concertation avec les associations de patients.

Telles sont les principales observations sur les articles du projet de loi dont je suis le rapporteur et que la commission spéciale vous demande d’adopter.

J’ajoute à ces considérations ma conviction que ce projet de loi nous offre une opportunité, celle de démontrer que le progrès de la connaissance peut être, est bénéfique à notre population. L’enjeu est de poser le cadre dans lequel la connaissance scientifique doit progresser, et certainement pas de l’empêcher.

Avoir conscience, identifier les dérives possibles et instituer les garde-fous nécessaires relèvent du rôle irremplaçable du législateur. Nous légiférons dans un monde ouvert : notre responsabilité n’en est que plus complexe. Ayons ensemble la volonté commune de dépasser ces obstacles dans le consensus tant nous savons que l’obscurantisme est simplement le fils de l’ignorance et de l’intolérance. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui les débats sur un texte à part dans notre travail législatif, qui nous convie à des questionnements quasi philosophiques et sur lequel les clivages traditionnels ne tiennent plus. Tous les groupes politiques ont d’ailleurs renoncé à donner une consigne de vote, pratique que le groupe du RDSE expérimente régulièrement. (Sourires.)

La France a fait le choix de confier aux représentants du peuple, et donc au peuple, les décisions en matière de bioéthique. C’est le peuple qui tranche sur le permis et l’interdit face à des progrès scientifiques qui font que la médecine ne se contente plus de soigner les malades.

Ce débat renvoie à un conflit de valeurs qui concerne chacun d’entre nous. Il s’agit non pas d’un conflit entre le bien et le mal, mais d’une lutte entre deux biens, deux éthiques : celle du libre choix du patient et celle de la protection des plus vulnérables.

Ainsi, c’est à nous, en tant que représentants du peuple, de nous prononcer sur notre propre conflit de valeurs, en gardant toujours à l’esprit l’intérêt général, qui n’est jamais la somme des intérêts particuliers. Ces dilemmes éthiques se résolvent non par l’absolutisme d’une valeur sur les autres, mais par la recherche de solutions qui prennent en compte les avancées de la science et de la société.

En cela, je le disais, ce projet de loi ne ressemble à aucun autre. Il pose une question simple dont la réponse est complexe : est-ce que la société veut ce que la science peut ? En d’autres termes, est-ce que cela doit être autorisé parce que cela est possible ?

Considérant, comme le dit si bien Jean Leonetti, qu’il est important de continuer à énoncer l’interdit, je m’efforcerai de vous présenter ma position sur les grandes mesures de ce texte, hormis celles qui concernent le don d’organes sur lesquelles mon collègue Jean-Pierre Corbisez se prononcera. Bien qu’étant cheffe de file de mon groupe, je m’astreindrai à parler en mon nom propre, afin de laisser à mes collègues le soin de se faire leur propre avis au fil des discussions.

Compte tenu des très nombreuses sollicitations que nous avons reçues et qui, pour un certain nombre, provenaient de personnes qui diffusaient sciemment de fausses informations, j’aimerais commencer mon propos en rappelant ce que ce projet de loi ne contient pas.

La gestation pour autrui, l’eugénisme et les chimères ne figurent pas dans ce texte, et rien ne permet d’affirmer que ses dispositions ouvrent une quelconque porte à leur légalisation.

M. Yvon Collin. Très bien !

Mme Véronique Guillotin. Le Gouvernement, comme la majorité des parlementaires, a réaffirmé son opposition à ces pratiques. Brandir la GPA pour refuser la PMA, c’est nier le débat parlementaire qui s’engage. L’une n’est pas liée à l’autre.

Comme l’a rappelé le rapporteur Bernard Jomier en commission – et je partage ses propos –, lorsqu’on regarde en arrière, on constate que les précédents débats sur les lois de bioéthique ont suscité les mêmes craintes de dérives, et on voit avec le recul qu’elles n’étaient pas tout à fait justifiées. En effet, le législateur a mis en place un dispositif efficace qui permet soit d’interdire une technique, soit de l’autoriser dans un cadre qui limite les risques et garantit les évaluations.

Pour autant, sur la question de la GPA, j’ose dire avec lucidité que la situation actuelle entraîne déjà une marchandisation du corps : c’est bien parce que, en ce domaine, il n’y a pas d’éthique, pas de doctrine, pas d’encadrement dans notre pays que des ventres sont à louer à l’étranger.

Mme Véronique Guillotin. Toutefois, même si le débat mérite d’être ouvert, tel n’est pas l’objet de ce projet de loi.

Les enfants issus d’une GPA à l’étranger existent : nous ne pouvons pas les ignorer. Considérant qu’il faut d’abord les protéger, j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 4 bis relatif à la transcription de l’acte de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger : l’enfant n’est pas responsable de son mode de procréation et ne doit pas en être pénalisé.

J’en viens maintenant à la question qui a occupé et qui occupera une bonne partie de nos discussions : l’extension de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires – je préfère ce terme à celui de femmes « seules » qui reflète, à mon sens, un jugement de valeur discutable.

D’abord, sur la forme, je suis d’avis que cette mesure aurait dû faire l’objet d’une loi à part, une loi sociétale à l’instar de celle sur le mariage pour tous. Les débats sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes occultent trop souvent d’autres questions bioéthiques fondamentales, malheureusement polluées par la cristallisation des peurs et des rejets.

Cela étant, j’ai abordé ce sujet comme j’essaie d’aborder toutes les questions sociétales : avec humilité, pragmatisme, progressisme et humanisme. Tout en gardant à l’esprit l’intérêt de l’enfant, souvent brandi avec force par les opposants à la réforme, je suis convaincue que, correctement régulée, la technologie renforcera le seul modèle familial qui prévaut, celui qui est fondé sur l’amour.

La légalisation du mariage pour tous avait fait craindre à certains la destruction d’un modèle familial classique, fondé sur un couple hétérosexuel marié et des enfants. En réalité, cela fait bien longtemps que ce modèle a été rejoint par d’autres. Il est nécessaire aujourd’hui de reconnaître la diversité des configurations familiales qui composent notre société.

Rappelons d’ailleurs que les célibataires peuvent adopter depuis 1996 et qu’il est interdit de leur refuser l’agrément pour ce seul motif. Dans le cas de l’adoption, comme dans le cas de la PMA, il s’agit de procédures longues qui nécessitent une réflexion mûrie, de la patience et de la détermination. On parle d’enfants attendus, désirés, parfois viscéralement. On parle de fonder la famille sur une base plus solide que la seule procréation, qui est un acte biologique, tandis que la parentalité est un acte social et affectif.

Pour ma part, vous l’aurez compris, je suis résolument convaincue de l’intérêt d’étendre la PMA à toutes les femmes, et optimiste sur ce point.

Aussi, je défendrai deux convictions lors de l’examen de l’article 1er.

Tout d’abord, pour une question d’égalité, il me paraît essentiel de garantir à toutes les femmes le remboursement de la PMA, seule condition de l’existence d’un droit réel, non soumis à des critères financiers. Le contraire aurait pour effet de créer une rupture d’égalité entre les femmes qui peuvent payer et celles qui ne le peuvent pas, comme aujourd’hui. À mon sens, il serait même logique de supprimer toute référence à l’infertilité médicale puisque, pour les couples hétérosexuels, la cause n’est pas toujours médicalement prouvée.

Ensuite, dans une perspective humaniste et parce que la situation actuelle n’est pas acceptable, je défendrai un amendement permettant aux femmes de bénéficier du transfert des embryons issus d’une fécondation in vitro en cas de décès de leur conjoint en cours de procédure. Aujourd’hui, ces embryons sont soit détruits, soit donnés à un autre couple. Demain, la femme, elle-même veuve, pourra bénéficier d’une PMA avec donneur, mais pas avoir accès aux embryons issus de ses ovocytes et des spermatozoïdes de son conjoint. Cette réglementation n’a plus trop de sens et devrait pouvoir évoluer.

Sur les dons de gamètes, les débats sont tout aussi complexes. Si l’on comprend naturellement le besoin des enfants nés d’une PMA avec donneur de connaître leurs origines, nous sommes nombreux à craindre une forte baisse des dons en cas de levée de l’anonymat, alors que ceux-ci ne permettent déjà pas de répondre à toutes les demandes.

Certains membres de mon groupe soutiendront un amendement visant à revenir au droit actuel, c’est-à-dire à l’anonymat du donneur. Pour ma part, je suis plutôt favorable au compromis trouvé en commission, qui prévoit que l’agence sollicite l’accord du donneur au moment de la demande de l’enfant, ce qui permet de respecter le désir de l’enfant et la vie privée du donneur, tout en préservant le stock de gamètes existant.

Sur d’autres sujets, je m’associe à l’excellent travail des rapporteurs.

Je ne défendrai donc aucun amendement sur l’extension à titre dérogatoire de la recherche sur le développement in vitro des embryons jusqu’à vingt et un jours, pas plus que sur l’autorisation à titre expérimental du diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies en vue d’améliorer la prise en charge des femmes en AMP et le taux de réussite des fécondations in vitro, sur la suppression de la double clause de conscience spécifique à l’interruption médicale de grossesse, ou encore sur la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital, dans la mesure où il est nécessaire d’optimiser la prise en charge actuelle.

Au-delà de mes convictions, qui me poussent à soutenir la plupart des mesures du texte initial, je suis convaincue qu’il faut laisser plus de liberté aux professionnels de santé et à nos concitoyens, en respectant la volonté, les désirs et la capacité de chacun à décider en responsabilité.

Je salue en ce sens les avancées obtenues en commission : elles permettent d’introduire des critères plus souples sur l’âge en cas d’autoconservation des ovocytes et de PMA. Comme je l’ai souvent dit, la reconnaissance tardive de maladies telles que l’endométriose ainsi que le défaut d’information des patientes doivent nous encourager à faire davantage, notamment en termes de préservation de la fertilité.

Je terminerai en rappelant que, sans une politique familiale volontaire et une meilleure prise en compte de la grossesse des femmes dans le monde du travail et dans la société, toutes ces bonnes intentions pourraient demeurer vaines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, notre société évolue – ce n’est pas un secret –, et de plus en plus vite. Face à ces évolutions, celles des dernières années et celles à venir, le projet de loi relatif à la bioéthique soumis à notre examen comporte des avancées majeures et un cadre nécessaire à leur inscription dans ce contexte sociétal.

Avant d’évoquer dans le détail certaines dispositions du texte de notre commission spéciale, je tiens à rappeler l’un des engagements forts d’Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, concernant, en particulier, l’une des mesures phares de ce projet de loi : celui de reconnaître et de permettre à chacun de vivre sa vie de couple et ses responsabilités parentales et, pour ce faire, d’inclure pleinement l’ensemble des familles du pays, de plus en plus diverses, et ainsi de tenir compte du fait qu’il n’y a bel et bien pas un modèle unique qui représenterait la « vraie » famille.

Dit ainsi, cela paraît assez simple : « On le dit. On le fait. » Il n’en est rien. La volonté du Gouvernement depuis le début des travaux a été de tenir une ligne d’équilibre, sans brusquer les débats. En effet, il n’est nullement question de changer de boussole ni de rompre avec les trois principes qui fondent les lois bioéthiques françaises : la dignité, la liberté et la solidarité.

Dans un esprit constructif et respectueux des convictions de chacun, le texte s’est notamment appuyé sur les travaux des États généraux de la bioéthique de 2018, organisés par le Comité consultatif national d’éthique. Cette institution est des plus précieuses, tant sur le fond que pour son savoir-faire dans l’organisation de la concertation autour de ces sujets.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est issu des travaux de notre commission spéciale. Je tiens avant tout à saluer le travail de son président et de nos quatre rapporteurs. Les auditions et les débats au sein de la commission, d’une grande qualité, se sont tenus dans le respect de la légitimité des divers points de vue exprimés.

Je souhaite également préciser que, sur bien des sujets abordés, les discussions au sein de notre groupe La République En Marche ont vu émerger des points de vue le plus souvent convergents, mais pas toujours. Loin de chercher à constituer un bloc monolithique, nous avons au contraire tenté, et je l’espère, réussi à laisser suffisamment de place au débat. J’insiste sur cette nécessité de prendre en compte les avis et sensibilités de chacun, tout en appréciant nos débats apaisés. C’est un cheminement commun qui nous a permis de mûrir nos réflexions.

Notre groupe soutiendra pour l’essentiel les évolutions prévues par le projet de loi initial, ce qui nous amènera, sur certains points, à soutenir des amendements de suppression ou de réécriture du texte issu de la commission.

Dans un esprit constructif, j’évoquerai en premier lieu les points d’accord avec notre commission spéciale – et ils sont nombreux.

Tout d’abord, nous sommes favorables au principe de l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules de la procréation médicalement assistée, ainsi qu’à l’ouverture du droit à l’accès aux données non identifiantes pour les enfants issus de dons et aux données identifiantes sous condition, mais par l’intermédiaire d’une commission ad hoc que nous souhaitons rétablir.

Nous soutenons l’autoconservation des gamètes, afin de tenir compte des problèmes d’infertilité et des évolutions sociétales. Nous défendons également l’ouverture du don de sang aux mineurs de 17 ans et majeurs sous protection juridique, mesure issue de l’amendement de notre rapporteur Bernard Jomier.

Sur le plan de la recherche et des moyens autorisés pour la promouvoir, plusieurs dispositions recueillent notre soutien, comme la distinction et le contenu des régimes juridiques de la recherche sur les cellules embryonnaires et de celle sur les embryons.

Je m’associe également à l’idée d’une extension du recueil et de la conservation des dons de gamètes aux centres privés.

De même, je soutiendrai le nouvel article 19 ter autorisant, en l’encadrant strictement, le recours au diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies (DPI-A) en vue d’améliorer l’efficience de la PMA.

À l’article 20, notre groupe approuve la suppression de la clause de conscience spécifique des professionnels de santé en matière d’interruption médicale de grossesse.

Autre point d’accord avec notre commission spéciale, la suppression de la création de délégations parlementaires à la bioéthique, disposition que l’Assemblée nationale avait introduite dans le texte.

J’évoquerai maintenant nos points de désaccord avec la commission spéciale, notamment l’article 1er qui occupera une grande partie de nos débats.

Cet article, qui étend aux couples de femmes et aux femmes non mariées l’accès à la PMA avec tiers donneur, nous pousse à nous livrer à un exercice de discernement, afin de dessiner un nouvel équilibre entre les principes de liberté, de dignité et de solidarité.

À nos yeux, la conciliation entre ces trois principes qu’a réalisée la commission n’est ni satisfaisante ni équilibrée, ce qui légitime nos amendements.

Le premier vise à revenir au sens initial du projet de loi, c’est-à-dire l’extension de la PMA en réponse aux projets parentaux, et ce sans distinction, sans retenir un critère pathologique qui, symboliquement et dans les faits, reviendrait à hiérarchiser les projets parentaux, surtout s’il aboutit à une discrimination en termes de prise en charge par l’assurance maladie. En effet, la commission, qui a fait le choix de maintenir dans le texte l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, les a, de façon regrettable, exclus de toute prise en charge par la sécurité sociale.

L’esprit de ce texte est de trouver des solutions aux difficultés rencontrées par ces personnes pour réaliser leur projet parental, désormais aussi légitime que tout autre. Dès lors, nous nous refuserons toujours, comme nous y conduit le texte de la commission, à distinguer les situations selon des critères d’orientation sexuelle ou de composition des ménages, les bons projets parentaux qui méritent le soutien de la solidarité nationale des « moins bons » qui, eux, ne seraient pas pris en charge. Nous voulons encourager l’ensemble des projets parentaux ; nous ne voulons en juger aucun. Ce n’est ni notre vision de la solidarité ni notre conception de la famille.

Par ailleurs, il nous semble contradictoire et injuste de maintenir l’interdiction de la procréation post mortem, alors qu’est offerte aux femmes seules la possibilité d’accéder à ces techniques. Face à de tels cas, très rares, nous défendrons un amendement pour éviter un double deuil aux femmes concernées.

S’agissant du droit d’accès à leurs origines des personnes issues d’un don, un point clé du texte, nous partageons la volonté de rompre avec la culture du secret et de faire progresser la transparence sur ces sujets au sein des foyers. Nous pensons que le texte peut aller plus loin. Aussi, nous vous proposerons un amendement ayant pour objet d’informer les receveurs de dons de gamètes ou d’embryons sur le besoin de transparence et d’information des enfants.

En outre, deux dispositions figurant dans le texte actuel, et insérées en commission, nous semblent superflues, voire intrusives pour les personnes souhaitant s’inscrire dans une démarche d’AMP : la dimension psychologique et sociale de l’évaluation par l’équipe pluridisciplinaire et le rappel des possibilités d’adoption lors de leur parcours.

Sur ce point, nous ne doutons pas que les personnes s’inscrivant dans un protocole aussi lourd qu’une PMA ont suffisamment réfléchi au sens de leur démarche et aux autres possibilités s’offrant à elles.

Nous vous proposons d’en revenir à la suppression du consentement du conjoint du donneur, qui fait l’objet d’un recueil obligatoire dans le texte de la commission, tant pour le don que pour le droit d’accès à l’identité du donneur.

En ce qui concerne l’établissement de la filiation, notre groupe défendra, sur l’initiative de notre collègue Richard Yung, un amendement de suppression de l’article 4 bis, qui a été introduit par la commission spéciale : conformément aux récentes décisions judiciaires, nous souhaitons en effet autoriser la transcription à l’état civil français, au cas par cas, en exécution d’une décision étrangère, de l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA.

Enfin, je soutiendrai avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que l’établissement de la filiation d’un enfant à l’égard des deux femmes d’un couple ne se traduise pas dans l’acte de naissance par une rédaction spécifique et, donc, distinctement identifiable.

Je conclurai par un constat. Le corps des femmes a trop souvent fait l’objet de débats, comme s’il s’agissait d’un bien public devant être contrôlé, encadré.

Aujourd’hui, nous allons légiférer une nouvelle fois sur le sujet, mais il s’agit là de permettre aux femmes, sans distinction, d’accéder à la procréation médicalement assistée et de former des projets de parentalité dans le respect de la dignité, de la liberté, de la solidarité et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En ces instants, chacune et chacun d’entre nous a à l’esprit, quelles que soient ses convictions, le poids de la responsabilité du législateur.

Écoutant Montesquieu, certains préféreraient peut-être ne toucher aux lois « que d’une main tremblante ». À titre personnel, j’ai pleine confiance dans la nature et la qualité des échanges que nous aurons dans cet hémicycle. Ils nous conduiront, je le souhaite, à faire les bons choix pour l’avenir. Avec discernement, mais sans trembler ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier. (Murmures sur plusieurs travées.)

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le Sénat semble faire bon accueil à ce projet de loi bioéthique, la majorité dite « de droite » nous présentant un texte qui n’a pas été tant modifié que cela. Qui s’en étonnera ?

Sans constance et sans conviction, par crainte d’apparaître ringards, vous cédez à l’air du temps, à la mode, qui n’est pourtant que l’expression de l’éphémère.

Par ce sabordage, par cette capitulation devant ceux qui ne sont assurément pas les plus nombreux, mais qui crient sans doute le plus fort, notre pays bascule in fine dans la libéralisation mondialisée de la procréation, ouverte au marché et aux puissances de l’argent.

Le droit de l’enfant s’efface au profit, c’est le cas de le dire, du droit à l’enfant !

L’Académie nationale de médecine parle d’une « rupture anthropologique majeure » et, ce dimanche encore, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour s’opposer à cette nouvelle régression.

Puisque l’humain et la vie n’échappent plus au législateur et sont sacrifiés sur l’autel de l’idéologie et du tout-mercantilisme, nous entrons dans le totalitarisme sociétal où l’enfant est non plus un don mais un achat, non plus le fruit de l’amour entre un homme et une femme, non plus celui d’une mère et d’un père, mais un produit de consommation amputé, privé de l’indispensable paternité.

Où sont la hauteur de vue et le débat ?

En matière de bioéthique, comme en bien d’autres domaines, nous assistons à une caricature de la démocratie représentative. Cela mérite une vraie remise en question de la part de chacun d’entre nous, car ce sujet ne concerne aucun parti politique, aucune chapelle, aucun partisan. Il fait appel avant tout à l’éthique.

Mais de quelle éthique s’agit-il ici ? À ce qui semble être votre éthique normative, reposant sur l’égalitarisme et l’utilitarisme et dont le but prétendu serait la justice sociale, j’oppose et propose l’éthique appliquée, reposant, elle, sur la déontologie, sur la conformité à notre devoir. Or notre devoir, mes chers collègues, c’est de penser à l’intérêt de l’enfant, plutôt qu’au désir de l’adulte, qui a manifestement perdu la raison.

Dès lors, ce qui est scientifiquement possible n’est pas forcément éthiquement acceptable.

À force d’être en marche perpétuelle, à force de ne plus être rattachés à rien, de n’avoir plus aucun repère, auriez-vous perdu à ce point l’esprit en traitant de l’éthique de l’homme et de la vie comme vous traiteriez du plus anecdotique des textes de nos lois ?

Vous êtes en train de détruire le dernier et le plus important pilier que l’on retrouve dans toutes les civilisations, celui du droit de l’enfant à naître au sein d’une famille gouvernée et protégée par sa mère et par son père. Sous couvert de liberté et d’égalité, nous piétinons la fraternité, l’altérité et la paternité.

Il s’agit là d’avoir une réflexion anthropologique de fond, et non d’assister à une énième succession de polémiques et de « coups » dits progressistes à visée électorale.

Nous sommes collectivement frappés, en matière d’écologie, par une remise en question liée aux désastres, que nous constatons en nous retournant, causés par l’homme sur son environnement.

Nous sommes frappés, en matière de mœurs, dans le cas de la récente affaire Matzneff, par une remise en question des dérives de ceux qui ont mené la révolution de mai 68 (Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.), demandé et obtenu de « jouir sans entraves ».

Ne serons-nous pas frappés, demain, par une remise en question sur la manière dont on a menti à des enfants sur leur filiation biologique, sur les circonstances légales qui auront permis, progressivement, la marchandisation des corps ?

Votre société faussement « inclusive » est en réalité une société oppressive, voire d’exclusion – exclusion du père, fragilisant l’enfant. Le droit à la vie, à la dignité et au respect est anéanti par un eugénisme rêvant d’un monde où l’on sélectionne ceux qui ont le droit de vivre et dans lequel le handicap est reçu comme une tare à supprimer.

Il est moche, votre mythe du progrès ! (Exclamations sur les mêmes travées. – Mme Patricia Schillinger proteste.)

Notre responsabilité est de permettre aux enfants de France de venir au monde et de grandir dans des conditions favorables, dans des familles où l’altérité permet la stabilité, où la complémentarité permet l’épanouissement, où l’égalité entre hommes et femmes peut enfin s’appliquer.

Par ailleurs, après les OGM, les manipulations de gamètes et d’embryons permettront aux laboratoires de proposer des HGM, des humains génétiquement modifiés. Face à cette découverte scientifique, qui est une folie sur le plan de l’éthique, nous sommes le dernier rempart !

Réalise-t-on ce qu’est la FIV, fécondation in vitro, post mortem ? La congélation d’un embryon, permettant qu’un enfant puisse naître en étant biologiquement orphelin, est une atteinte grave à l’enfant lui-même ! De ce progrès-là, nous ne voulons pas !

Replongeant dans nos racines grecques, nous comprenons l’hubris et la démesure comme un orgueil destructeur.

Voici revenu le temps des limites ! C’est pourquoi, comme à notre nation nous proposons des limites géographiques et comme dans le domaine de l’écologie nous proposons le localisme, sur le plan éthique et anthropologique nous vous exhortons à adopter le principe de précaution, de préservation, en refusant en conscience ce texte de loi qui ouvre la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules.

Mes chers collègues, ne cédez pas aux ayatollahs d’une société sans racines, sans pères et sans repères ! (Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) À la société de l’envie, préférons toujours la société de la vie ! (Mme Claudine Kauffmann et M. Sébastien Meurant applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président et les rapporteurs de la commission spéciale pour la qualité de notre travail. Les nombreuses auditions menées ont permis de nous éclairer sur un certain nombre de sujets. Certains étaient complexes, d’autres sensibles, mais toutes ces auditions se sont déroulées dans un climat serein. Je remercie également Mmes les ministres d’avoir organisé des séminaires ouverts à tous les parlementaires.

La révision des lois de bioéthique nous confère une grande responsabilité sur l’avenir du genre humain, sur les limites que nous voulons poser pour définir ce qui est scientifiquement et techniquement possible, d’une part, et éthiquement souhaitable, d’autre part, pour ne pas dénaturer l’espèce humaine, pour ne pas « marchandiser » le vivant.

Toute avancée technique ne constitue pas en elle-même un progrès, et c’est à nous, en tant que législateurs, de mettre des garde-fous.

Il n’est pas toujours simple de se projeter dans l’exploration d’un monde inconnu, rendu perceptible par l’évolution des connaissances et des technologies, de dépasser certaines frontières sans s’affranchir des principes fondant notre société.

Comment continuer à avancer vers l’émancipation et le progrès sans basculer vers une dystopie, telle que décrite par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes ?

Parlementaire communiste, je suis particulièrement sensible à ces deux aspects et résolument déterminée à faire obstacle aux forces financières et marchandes qui veulent faire voler en éclat notre modèle social et éthique.

J’en viens au texte lui-même, en centrant mon propos sur les droits humains, Éliane Assassi intervenant également pour notre groupe.

Ouvrir la PMA à toutes les femmes, qu’elles soient en couple avec une autre femme ou seules, est pour nous un acte fort, un réel pas en faveur de l’égalité. D’ailleurs, nous avions régulièrement déposé des amendements allant en ce sens sur des textes précédents.

C’est une avancée attendue, promise depuis des années, qui serait enfin obtenue après une longue bataille pour mettre fin à une discrimination, fondée notamment sur l’orientation sexuelle.

En ouvrant la PMA aux couples lesbiens, nous allons mettre fin à une inégalité hypocrite.

Hypocrite, car cette pratique est autorisée dans plusieurs pays voisins et de nombreuses femmes françaises se rendent chaque année à l’étranger pour pouvoir fonder une famille. Ainsi, à la discrimination reposant sur l’orientation sexuelle, s’en ajoutait une autre fondée sur l’argent, au regard du coût d’une PMA à l’étranger.

Hypocrite, car depuis 2013 et la loi sur le mariage pour toutes et tous, alors qu’il est possible pour les couples de même sexe d’adopter et, donc, d’être parents – cela reste néanmoins très difficile –, il n’était pas possible pour les couples de femmes d’avoir accès à la PMA.

Cet élargissement du droit à la PMA, dans un contexte où l’homophobie est encore très présente en France, peut donc contribuer à un peu plus d’égalité, en mettant fin à une sorte d’homophobie institutionnalisée. Comme l’a très justement dit l’une des représentantes d’associations LGBT que nous avons auditionnées, « la République doit protéger de la même façon tous les enfants ».

L’article 1er de ce projet de loi est donc majeur. Au sein du groupe CRCE, nous serions heureux et heureuses de pouvoir le voter. Mais c’est à la condition que l’amendement de la rapporteure Muriel Jourda, accepté en commission, soit supprimé. N’est-il pas une façon détournée d’exclure encore et toujours les couples de femmes et les femmes seules, puisque le remboursement de la PMA serait conditionné par le caractère pathologique ?

J’en viens à présent à l’autre grande avancée de ce texte : la levée de l’anonymat en cas de recours à l’AMP.

Là encore, cela répond à une demande légitime, de la part d’enfants nés par don, d’avoir accès à leurs origines, s’ils le souhaitent, à leur majorité. Nous avons entendu la souffrance qu’expriment un certain nombre d’entre eux d’être confrontés à un vide dans leur histoire personnelle. Ils pourront désormais le combler, s’ils en ressentent le besoin.

Dire cela, ce n’est pas dire que le géniteur est un père, un parent. Bien au contraire ! Dire cela, c’est reconnaître que, dans bien des familles hétérosexuelles, le silence, le tabou autour d’une conception par PMA peuvent être douloureux si l’enfant ne connaît pas toute son histoire.

Pour autant, et c’est essentiel, l’un de nos principes éthiques fondamentaux est garanti et préservé, puisque l’anonymat restera entre le donneur et le couple receveur.

Par ailleurs, nous saluons le fait que le texte fasse évoluer notre législation en faveur d’autres dons, que ce soit le don croisé d’organes pour les greffes rénales ou le don d’organes, de tissus et de cellules des majeurs protégés.

En leur permettant de donner leurs organes, à des fins scientifiques et médicales, et ainsi d’entrer dans le droit commun, nous allons vers une meilleure reconnaissance des majeurs protégés, tout en posant une limite éthique pour le prélèvement post mortem, sur adoption d’un amendement du rapporteur Bernard Jomier.

C’est typiquement ce genre de sujets qui nous a contraints à nous interroger pour déterminer où devait se situer la ligne rouge à ne pas franchir.

Autre sujet sensible sur lequel nous nous sommes interrogés : le diagnostic préimplantatoire.

Jusqu’à présent, et selon l’avis du CCNE et de professionnels que nous avons auditionnés, cette définition était relativement restrictive, et l’était encore plus au regard de l’évolution des techniques médicales.

J’entends bien les craintes exprimées par plusieurs de mes collègues sur les risques de dérive, de sélection, pour ne pas dire d’eugénisme. Mais je crois que la définition proposée ne nous conduit pas vers de tels écueils, tout en évitant à des femmes, à des couples déjà engagés dans une procédure lourde et difficile de connaître plus de complications en termes de santé ou de multiplier les fausses couches.

Là aussi, il me semble que nous sommes parvenus à un équilibre entre avancées scientifiques, droits nouveaux et principes éthiques garantis.

Je ne pourrais pas terminer mon intervention sans effleurer la problématique des enfants présentant une variation du développement sexuel, qui ne figurait pas dans le projet de loi initial.

Nous avions déjà eu l’occasion, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, de nous intéresser à ce sujet et de comprendre les difficultés de ces enfants, notamment de celles et ceux qui ont été opérés et à qui a été attribué un sexe ne correspondant pas à leur genre.

Même si, aujourd’hui, les opérations à la naissance sont de moins en moins pratiquées, nous pensons, au groupe CRCE, qu’il faut aller plus loin et les interdire, sauf en cas de nécessité médicale.

Ce texte, effectivement, a pu nous bousculer dans nos certitudes, nous plonger dans un futur fantasmatique parfois proche de la science-fiction, tant les évolutions médicales et scientifiques sont rapides, mais également dans un futur inquiétant, tant les appétits financiers sont sans limite dans un monde capitaliste où tout est prétexte à la marchandisation.

Dès lors, mes chers collègues, permettez-moi de conclure mon propos avec cette citation du philosophe Emmanuel Levinas : « Ne pas bâtir le monde, c’est le détruire. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame le ministre Agnès Buzyn, mes chers collègues, la société et la science évoluent. Il semble normal que la loi évolue, elle aussi, pour accompagner ces changements.

Pourtant, notre rôle n’est pas d’autoriser tout ce que la technique permet de réaliser. Nous devons sélectionner, parmi le champ des possibles, ce qui est souhaitable. C’est l’essence même de la politique !

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait l’auteur de Gargantua voilà presque 500 ans. Aussi, l’exercice de révision des lois de bioéthique est toujours un exercice périlleux, qui engage la responsabilité et la conscience de chacun d’entre nous.

Nous avons chacun nos convictions, et mon groupe respecte l’ensemble des sensibilités qu’il représente. Aussi, je m’exprimerai de façon personnelle et j’ai bien conscience de ne pas représenter la majorité des convictions de mon groupe, ce dernier restant très partagé sur ces questions. Les valeurs que je défends me semblent être celles d’un humanisme éclairé, animé par une vision pragmatique.

Je tiens tout d’abord à féliciter et remercier le président et les rapporteurs de la commission spéciale pour leur travail de grande qualité. Le texte adopté par la commission est le fruit d’un travail collectif, éclairé par les nombreuses personnes très compétentes qui ont été auditionnées.

À l’article 1er, je suis favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules – monoparentalité choisie, et non subie – et les couples de femmes.

Comme, d’ailleurs, l’a indiqué l’Académie nationale de médecine, je pense qu’il est préférable pour l’équilibre de l’enfant de grandir avec un père et une mère. Pourtant, les situations réelles échappent souvent à ce qui serait l’idéal et j’ai constaté que, dans de nombreuses familles ne répondant pas à ce schéma, l’enfant se développe avec beaucoup d’amour et de façon normale.

Les familles monoparentales sont une réalité et les structures familiales d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier.

C’est un fait, environ 5 000 Françaises, chaque année, se rendent à l’étranger pour avoir recours à une AMP. Nous devons, à mon sens, sécuriser le parcours de ces femmes et leur permettre de réaliser un projet de maternité sur le sol national.

Pour autant, même si certains peuvent penser que ce n’est pas égalitaire, il ne revient pas à l’assurance maladie de prendre en charge cette technique lorsqu’elle n’est pas motivée par un critère médical.

Je suis donc favorable aux amendements adoptés par la commission spéciale visant à limiter la prise en charge de l’AMP par la solidarité nationale aux couples médicalement infertiles. Je pense également que nous devons préserver le dispositif d’évaluation médicale et psychologique des futurs parents ou de la future mère comme condition préalable à l’AMP.

Par ailleurs, la gestation pour autrui représente une ligne rouge en matière de bioéthique, que nous ne devons pas franchir. Les avancées sur la PMA pour les couples de femmes ne sauraient constituer un premier pas en direction de la GPA pour les couples d’hommes. Le ventre d’une femme n’est pas commercialisable – selon les termes mêmes de la Constitution de 1793 – et la reproduction n’est pas un nouveau facteur de production.

Je suis donc opposé à tout fléchissement de la législation en direction de la GPA.

Je suis favorable au maintien de l’anonymat des donneurs de gamètes, lorsque ces derniers ne souhaitent pas être identifiés par les enfants issus de leurs dons, comme je suis favorable à la communication systématique des données non identifiantes à ces mêmes enfants, lorsqu’ils en font la demande à leur majorité.

J’avais proposé un amendement de réécriture de l’article 3 en ce sens. Je remercie la commission spéciale de l’avoir repris et intégré dans le texte, conformément à l’avis du Conseil d’État.

Je considère que nous ne pouvons pas, dans un même texte, augmenter le nombre de demandeurs de gamètes en ouvrant l’accès à l’AMP, tout en ne respectant pas complètement l’anonymat des donneurs qui le souhaitent, ces derniers, je le rappelle, n’étant pas rémunérés en France. Je pense aussi qu’il est important de maintenir le consentement du conjoint du donneur, si ce dernier est en couple, comme le prévoit la législation actuelle et bien qu’elle soit parfois contournée.

Actuellement, les AMP avec tiers donneur ne représentent que 4 % des pratiques réalisées, mais ce chiffre est appelé à augmenter avec l’ouverture de cette pratique aux couples de femmes et aux femmes seules.

L’accès à l’AMP post mortem est une question difficile. Nous aurons l’occasion d’en débattre en séance. Je réserve mon vote sur cette question, bien que je sois a priori plutôt favorable, dans la mesure où la femme aurait de toute façon la possibilité d’effectuer une AMP en tant que femme seule par la suite.

Je suis favorable à l’autorisation de l’autoconservation des gamètes à des fins de prévention de l’infertilité, ainsi que le prévoit l’article 2 du projet de loi.

La commission a assoupli les conditions d’âge pour effectuer ces autoconservations. Il me semble que cela représente une avancée louable pour les patients et les patientes exposés à un risque particulier d’infertilité.

Encore une fois, je félicite la commission spéciale d’avoir adopté un amendement visant à élargir la conservation des gamètes aux établissements privés à but lucratif qui seront agréés par l’ARS (agence régionale de santé). Ces établissements représentent actuellement une grande part de l’activité d’assistance médicale à la procréation, comme souligné par l’un des rapporteurs.

Je suis favorable au diagnostic préimplantatoire élargi à la recherche d’anomalies chromosomiques au-delà des seules anomalies préalablement identifiées dans la famille. Comme l’a indiqué Corinne Imbert, il s’agit surtout d’améliorer la prise en charge des patientes ayant des interruptions de grossesse répétées, conformément à leur demande. Ce n’est pas de l’eugénisme. Le seul objectif consiste bien à améliorer l’efficience de l’AMP réalisée.

J’émettrai des réserves quant aux expérimentations sur les embryons chimériques animal-homme.

La commission a souhaité encadrer, à juste titre, cette possibilité, en prévoyant une limite de 50 % de cellules pluripotentes induites humaines dans un embryon d’animal, sans évoluer, bien sûr, vers la parturition.

Je suis favorable à l’interdiction d’expérimentations visant à introduire des cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal, en accord avec la commission spéciale du Sénat. Le retour à un régime d’autorisation pour ces recherches bien spécifiques pourrait être préférable à une simple déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Par ailleurs, le régime dérogatoire est nécessaire pour améliorer les recherches et encourager le progrès médical.

À l’article 14, la commission spéciale a fait le choix de porter à vingt et un jours le délai de culture in vitro des embryons consacrés à la recherche. Comme souligné précédemment, cette extension présente un intérêt scientifique pour appréhender le contrôle de la différenciation des cellules.

J’y suis favorable, à condition qu’il y ait bien une demande d’autorisation. Sinon il serait préférable d’en rester à la limite de développement de quatorze jours prévue dans le projet de loi initial. En effet, nous savons qu’à partir de ce stade de quatorze jours les premières cellules ectodermiques apparaissent, préfigurant l’élaboration du cerveau.

Je suis favorable à l’abaissement à 17 ans de l’âge légal pour pouvoir donner du sang, tout comme à la création d’un statut, honorifique, de donneur d’organe.

Madame le ministre, je souhaite aussi attirer votre attention sur la prévention du trafic d’organes humains ; il me semble que la France n’a pas encore ratifié le traité de Saint-Jacques-de-Compostelle à ce sujet, contrairement à bon nombre de nos voisins.

Je défendrai des amendements pour sécuriser et favoriser les dons d’organes. En effet, 100 à 200 personnes meurent en France faute de greffons.

Aussi, je proposerai la création d’une liste prioritaire de greffe de rein pour les donneurs de leur vivant qui auraient, par la suite, un besoin vital d’un greffon. Cette situation est, bien sûr, extrêmement rare, mais elle constitue souvent un frein psychologique au don de rein.

Je proposerai également un amendement visant à renforcer l’information du receveur sur les caractéristiques de l’organe qui lui sera greffé, en amont de l’opération.

Madame le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, amendé par la commission spéciale, apporte des avancées que je considère comme positives pour notre pays. Il permet d’adapter, dans un sens pragmatique et utile, le développement de la biomédecine à l’évolution sociétale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une chose est sûre : ce texte échappe aux classifications routinières !

Sylviane Agacinski, Michel Onfray, Alexis Escudero, mais aussi José Bové, Marie-Jo Bonnet et d’autres encore ne viennent pas de la même planète politique que la mienne. Ils ont néanmoins un point commun : ils s’opposent tous à la disposition emblématique de ce texte. Tous !

C’est le signe que quelque chose de fondamental se joue ici : un affrontement, un choc.

Cet affrontement n’oppose pas la droite et la gauche, encore moins ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. C’est un choc entre deux modèles : le modèle anglo-saxon ultralibéral, qui se mondialise, et le modèle français, notre modèle, qui se banalise.

Toujours, mes chers collègues, nous avons donné la première place à la dignité, qui, comme le Conseil d’État l’a écrit dans son avis, figure au frontispice de tout l’édifice juridique de la bioéthique. La dignité, c’est-à-dire la fragilité. La fragilité, donc la fraternité !

Le modèle ultralibéral anglo-saxon, quant à lui, préfère à la loi le contrat, à la dignité la liberté personnelle. Quand nous voulons à tout prix la fraternité des cœurs, il ferme les yeux, souvent, trop souvent, sur la marchandisation des corps. Quand nous proclamons la solidarité à l’égard des plus faibles, nos devoirs vis-à-vis d’eux, lui n’a pas peur de réaffirmer – sans complexe – la loi du plus fort, autrement dit la loi des adultes.

C’est un autre modèle que le nôtre, un modèle antinomique, à la polarité complètement inversée. Pourtant, madame la ministre, je crois profondément que ce texte constitue une nouvelle étape dans l’alignement de notre modèle sur celui que je viens de décrire.

On trouve plusieurs raisons derrière cela. Certaines sont de l’ordre de la conviction – convictions d’ailleurs respectables.

Mais d’autres logiques, aussi, sont à l’œuvre, comme des logiques idéologiques, militantes, « terranoviennes », consistant à faire des clins d’œil aux minorités – des logiques progressistes, le progressisme consistant, si j’ai bien compris, à maximiser les possibles, donc à déconstruire progressivement les limites.

La logique sans doute la plus majoritaire est la logique compassionnelle. Il y a tant de souffrances à soulager, tant de désirs à combler, quelles qu’en soient, malheureusement, les conséquences ! C’est ce que Max Weber, d’ailleurs, appelait le « paradoxe des conséquences ».

Peut-être existe-t-il une autre logique, une logique encore plus implacable…

M. Julien Bargeton. L’égalité ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Mme la garde des sceaux nous a donné une description du Conseil constitutionnel de l’égalité et de la différence. Vous l’avez entendue, monsieur Bargeton.

L’autre logique, beaucoup plus implacable, disais-je, est la logique techno-marchande de la mondialisation. J’ai tellement entendu l’argument selon lequel la recherche française allait prendre du retard : les autres le font, alors il faut absolument que nous le fassions ! C’est la peur de rater le train de la modernité qui s’exprime, mes chers collègues, et la modernité – comme la mode, effectivement – n’est souvent qu’une question de calendrier.

La mondialisation n’affecte pas seulement les marchés ou la circulation des marchandises ; elle exerce une formidable pression sur nos juges, sur le législateur que nous sommes individuellement et collectivement. Souvent nous nous sentons obligés de transposer dans notre édifice juridique un droit en provenance de l’étranger, reconnaissant des situations de fait qui découlent de pratiques contraires à la loi française.

C’est le cas de la GPA, et c’est pourquoi j’ai déposé un amendement sur le sujet. D’ailleurs, question qui s’adresse à Mme la garde des sceaux, quelle est la logique de cet amendement du Gouvernement qui vient écraser le mien ? Mon amendement est robuste, le sien est timide, et j’en ferai la démonstration !

On voit bien le processus : on transgresse la loi, le juge dépénalise et, ensuite, on va à la télévision ! Cette logique-là, ne la retenons pas ! Ainsi, au moment où je parle, la possibilité pour un homme de devenir père en France, grâce à une GPA pratiquée à l’étranger, est d’ores et déjà effective. Plusieurs décisions de jurisprudence, par la cour d’appel de Paris ou par la Cour de cassation à deux reprises, ont légalisé ce procédé – personne ne peut le nier –, et ce en dépit de la volonté du peuple français. (Mme Catherine Troendlé acquiesce.) Ce n’est pas ma conception de la souveraineté populaire !

Qu’est-ce qui m’autorise à évoquer un alignement, un rapprochement entre deux modèles ?

La première preuve est un abaissement véritable de nos exigences éthiques, notamment en matière de recherche embryonnaire.

Je reparlerai, bien sûr, du DPI-A, sujet sur lequel je suis proche de votre avis, madame la ministre. Merci d’avoir rappelé, ici, votre position sur le diagnostic préimplantatoire.

L’évolution d’un régime d’autorisation à un régime déclaratif constitue tout de même un affaiblissement de la régulation de la recherche. On veut donner un chèque en blanc à nos chercheurs, en abaissant la limite éthique.

Il y a beaucoup d’autres sujets… La chimère, par exemple : dans un embryon animal, on implante des cellules humaines ! Mme la ministre Frédérique Vidal a parlé de fantasme. Non : c’est l’exemple archétypal d’une science sans conscience, mes chers collègues !

M. Bruno Retailleau. L’autre preuve, que j’évoquerai rapidement, me ramène à la question, encore une fois un peu symbolique, de l’ouverture de la GPA.

Je reconnais les souffrances, et je reconnais que, sans doute, le plus beau et le plus grand désir, comme Muriel Jourda l’a très bien exprimé, est le désir d’enfant. Pourquoi le nier ? Pourquoi méconnaître cette réalité ?

Pour autant, si l’on est attaché à notre modèle de bioéthique, ce désir, fût-il grand, fût-il beau, ne peut nous exonérer de nos devoirs vis-à-vis des plus faibles, des plus fragiles, des plus petits. En d’autres termes, la liberté des adultes s’arrête évidemment là où commence le droit de l’enfant ! (M. Sébastien Meurant applaudit.)

Que l’on démontre que les enfants n’ont désormais plus besoin de père ! Qu’on le démontre à 100 %, pas à 90 % !

Ce que j’observe, c’est que, dans ce texte, c’est l’enfant qui prend tous les risques ! (Mme Catherine Troendlé acquiesce.) Ce que j’observe, c’est aussi que ce texte est marqué par la contradiction : on invoque partout le principe de précaution, sauf pour l’enfant ; on exige la parité, sauf pour la filiation ; on célèbre le biologique, sauf dans le présent domaine, où l’on exalte la technique !

Comme certains d’entre vous, mes chers collègues, j’ai eu la responsabilité en tant que président d’un département d’un service d’aide sociale à l’enfance. Qui ne sait pas que les situations de monoparentalité augmentent les risques de fragilité pour le parent isolé et pour l’enfant ?

M. Bruno Retailleau. En l’occurrence, nous allons faire l’inverse, nous allons encourager le recours à ces solutions pour des femmes célibataires, seules… Au moins posons-nous la question !

Pour conclure, je voudrais revenir sur deux risques.

L’un est le risque de marchandisation lié au formidable déséquilibre entre « l’offre et la demande de gamètes » – on finira par employer cette expression. C’est d’ailleurs ce qui se passe en Belgique, où l’on achète des gamètes au Danemark. De ce risque découlera l’autocongélation des ovocytes par les centres publics et par des centres privés.

Mes chers collègues, je me souviens très bien, moi qui suis un observateur du numérique – et cela a eu lieu il n’y a pas si longtemps – quand Facebook et Apple ont proposé à leurs jeunes collaboratrices les plus talentueuses de payer la congélation de leurs ovocytes. Ce fut un tollé planétaire ! Or on s’apprête aujourd’hui à ratifier ce qu’hier on refusait… J’en suis sûr, toutes ces jeunes femmes qui sont hypercompétentes et très engagées subiront une pression sociale extraordinaire (Protestations sur les travées du groupe SOCR.) : on exigera tout, c’est-à-dire leur totale disponibilité qu’aucune grossesse ne devra venir troubler !

Mme Laurence Rossignol. Et sur l’IVG, il n’y a pas de pression ?

M. Bruno Retailleau. L’employeur n’aura même pas besoin de leur demander ; elles s’exécuteront, elles s’autocensureront. (Mme Sophie Joissains applaudit.)

Outre la marchandisation, le risque est celui, tel que l’avait nommé ainsi Jürgen Habermas, d’un « eugénisme libéral ». (Ah oui ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Oui, vous l’avez dit tout à l’heure à demi-mot à propos du risque concernant le tri pour les embryons préimplantatoires. Je crois que nous devons le refuser, car ces pratiques-là peuvent nous entraîner très loin et, derrière de bonnes intentions, causer de terribles conséquences.

Mes chers collègues, il n’y a aucun doute que notre débat va nous opposer (Oui ! sur des travées du groupe SOCR.) et que nous aurons des attitudes passionnées. J’espère que nous tirerons aussi nos arguments de la raison.

Au-delà de nos différences, nous avons un point commun, à savoir une exigence particulière, outre une responsabilité plus générale, exigence selon laquelle chacun d’entre nous – je n’en doute pas – est attaché à faire la meilleure loi possible. En effet, ce texte nous engage, nous, mais aussi l’avenir, les nouvelles générations et la conception que nous nous faisons de l’homme.

Quant à la responsabilité générale, nous sommes parvenus à ce moment historique, l’humanité est parvenue à ce moment historique où, comme aurait pu le dire Hans Jonas et comme l’a dit Hannah Arendt – vous connaissez leur voisinage philosophique concernant la déshumanisation issue de la technique –, l’homme peut échanger sa vie contre un ouvrage construit de ses propres mains.

Cette responsabilité que nous avons à ce moment historique précis est de penser collectivement la question des limites en matière d’écologie contre l’exploitation de la planète. Nous devons aussi penser ces limites contre l’ensauvagement du marché mondialisé. Enfin, nous devons penser ces limites pour préserver la condition humaine, dont le propre, je le crois profondément, est précisément qu’elle n’est pas sans conditions ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons à accomplir une œuvre législative difficile, qui nous interroge sur le vivant, sur nos règles en société, sur notre conception de la société et sur nos valeurs.

« Le rapport de l’homme avec ses inventions compte parmi les grands risques », disait, il fut un temps, un membre du Comité consultatif national d’éthique. L’histoire, la littérature, le théâtre, l’opéra nous racontent ce conflit entre la folie des savants et les dangers pour l’humanité. Méphisto n’est pas loin, qui veut entraîner Faust dans des endroits dangereux…

Nous avons une loi à construire, mais, pour cela, nous devons faire preuve d’une grande humilité, d’une confiance envers nos chercheurs et nos médecins, et d’une humanité. Il est légitime que nous nous dotions d’une loi nationale, même si nous vivons dans un monde sans frontières et sans règles internationales.

De ce point de vue, on peut accepter l’idée que nous n’avons pas les mêmes conceptions libérales et ultralibérales que celles qui existent outre-Atlantique. Pour autant, si notre législation nationale est légitime, et elle doit exister, parce que nous sommes au cœur de la République, elle ne peut pas ne pas tenir compte de l’accès de nos concitoyens à d’autres sphères de règles juridiques ni à des réalités que l’ère numérique a créées.

C’est d’ailleurs en ce sens que notre rapporteur a proposé d’accepter les tests génétiques à visée généalogique, en déclarant qu’il valait mieux protéger nos concitoyens que de les laisser enfermés auprès de sociétés étrangères, avec moins de protections.

Cette législation nationale est légitime et doit être inspirée par des valeurs qui nous sont propres et qui ne sont pas forcément celles de tous les pays européens.

Rappelons ces principes qui ont inspiré les valeurs de la République.

La liberté, d’abord, est le principe de l’autonomie de chacun : c’est l’égalité, la dignité, la solidarité, et essentiellement la non-patrimonialité du corps humain.

C’est la gratuité du don qui justifie d’ailleurs un amendement de la commission visant à créer un statut de donneur afin d’insister sur cet acte de générosité.

À côté de la gratuité du don, l’indisponibilité du corps humain implique évidemment que nous ne pouvons pas, dans une loi de bioéthique française, accepter la GPA, non pas tant parce que l’enfant à naître, qui est l’enfant de deux pères, est nécessairement malheureux, mais parce qu’on retrouve derrière la GPA la négociation et le contrat entre la mère porteuse et les futurs pères. Or cela est contraire à nos règles et à notre éthique. C’est pourquoi personne n’a proposé, ici, un amendement légalisant la GPA.

La question des droits de l’enfant est un autre sujet.

Le désir d’enfant est légitime, mais il n’ouvre en aucun cas le droit à l’enfant. En revanche, l’intérêt supérieur de l’enfant naît à la naissance de celui-ci, d’où la discussion que nous aurons autour de l’article 47 du code civil. Cet article nous renvoie d’ailleurs à des conflits de compétences entre des droits étrangers que l’on admet en général et le droit français.

Ces principes sont des boussoles qui nous interrogent face aux progrès scientifiques. Ces interrogations, comme l’a dit le précédent orateur, transcendent nos groupes politiques. Nous devrons nous nourrir des débats, notamment de ceux que nous offre le Conseil consultatif national d’éthique à l’instar des États généraux qu’il a organisés et que les rapporteurs ont en partie suivis, au lieu du texte de loi.

Mes chers collègues, je forme le vœu que nos débats soient à la hauteur de ceux que nous avons eus au sein de la commission spéciale, sous l’égide de son président. J’espère que le projet élaboré par la commission pourra être suivi en séance.

Le titre Ier nous interpelle sur deux points.

La PMA pour les couples de femmes et les femmes seules porte en l’état de telles restrictions que nous avons souhaité apporter des amendements au nom du groupe socialiste, car il faut accepter le principe de ce projet parental et le reconnaître.

C’est également une évolution que d’autoriser la création d’une filiation née d’un projet parental assisté, parce que la médecine le permet, dans des limites que nous devons fixer.

Sur les titres II, III et IV, notre commission, madame la ministre, a été moins stricte que le texte émanant de l’Assemblée nationale, sur lequel nous avons bien compris, en entendant quelles étaient vos lignes rouges, que vous aviez largement pesé, dans cette majorité de l’Assemblée, pour ne pas accepter, s’agissant notamment de sujets qui avaient reçu des avis conformes de la part du Comité consultatif national d’éthique.

Dans mes vœux, je cite souvent une phrase d’un penseur, d’un philosophe. Sachant que j’allais être membre de cette commission spéciale, je me suis inspiré de Jean Jaurès : « Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous. »

Si les savants sont des fous, acceptons que nos chercheurs, nos médecins, nos généticiens soient aussi des sages. Puisque nous sommes, paraît-il, l’assemblée des sages, ayons la folie d’opérer cette synthèse entre la sagesse des fous et la folie des sages, et nous permettrons à l’humanité de faire un progrès sans bouleverser nos valeurs ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle fierté de vivre dans un pays qui a inscrit la bioéthique dans son histoire législative ! Et le Sénat n’y est pas étranger… Beaucoup de pays nous envient.

Certes, ce ne sont pas des sujets faciles, tous les intervenants l’ont dit avant moi, parce que les avancées surviennent dans un contexte mondialisé où la confiance, dans les sciences et dans la médecine, vacille. Mais, depuis 1994, saluons l’intérêt que suscitent ces débats avec l’émergence de nombreux acteurs : l’Agence de la biomédecine, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et, bien sûr, le Comité consultatif national d’éthique – sans parler des comités d’éthique qui existent partout où les questions se posent.

Eh oui, on peut le dire, notre démocratie respire et inspire ! La société fait débat et le débat fait société.

Pour tout dire, peut-être comme beaucoup d’entre vous, je doute. Je redoutais aussi ce texte. Est-ce une faiblesse, est-ce une force ? Là n’est pas la question. Sur ces questions de bioéthique, j’avoue, je partais avec un capital de doute énorme.

Aussi, j’ai participé activement aux travaux de la commission spéciale. Prendre ses responsabilités, c’est mieux cerner les enjeux. Prendre des décisions, c’est comprendre la réalité, sa perpétuelle évolution et les questions sociétales qui s’y rattachent.

Je tiens à saluer mes collègues de la commission spéciale pour l’infini respect qu’ils ont porté à la parole et aux convictions de chacun pendant nos travaux.

Empathie, respect et humilité, telles sont mes boussoles pour l’examen de ce texte.

Venons-en maintenant au contenu de ce projet de loi de bioéthique.

L’article 1er tend à éclipser les dizaines d’articles qui lui succèdent, alors qu’ils auront, a minima, un impact tout aussi important sur la société : l’autoconservation des gamètes, l’utilisation de l’intelligence artificielle, des diagnostics prénataux, la favorisation des dons croisés, et j’en passe.

Il vise à élargir l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires, comme dit Véronique Guillotin. J’y suis favorable. Cela relève beaucoup de l’intime, de notre éducation et de nos parcours personnels : mon choix m’appartient, il n’est en aucune façon celui de chacun des collègues de mon groupe ; chacun a son cheminement, chacun a ses convictions, et tout choix est respectable.

L’idée que ce débat aurait pu être séparé de l’ensemble de la loi de bioéthique est à mon avis une échappatoire. En réalité, l’AMP a été inscrite dans la loi de 1994. Il est donc tout naturel que nous en débattions de nouveau lors de cette révision.

Revient souvent l’argument que d’être élevé par un couple de femmes ou une femme célibataire serait nier l’importance de l’altérité. La comparaison est sans doute un peu forte, mais mon expérience auprès du service de l’aide sociale à l’enfance de mon département m’apporte malheureusement souvent la preuve que l’altérité n’est pas toujours heureuse.

Par ailleurs, nous observons que la famille est aujourd’hui multiforme. Le nombre de familles monoparentales ne démontre pas non plus une éducation défectueuse ou altérée.

L’établissement d’un projet parental ne garantit sans doute pas une excellence dans la future parentalité, mais il assure, je le crois, une intention réfléchie et construite. Pour certains couples hétérosexuels, on pourrait d’ailleurs se poser la question de l’élaboration d’un tel projet.

Si la commission spéciale a maintenu l’extension de l’AMP dans le texte, elle en change fondamentalement l’esprit, et je le regrette, en introduisant le critère d’infertilité ou de non-transmission d’une maladie d’une particulière gravité aux couples hétérosexuels.

Contrairement au projet de loi initial, cela tend à créer deux types de bénéficiaires de l’AMP. Ce sentiment est renforcé par l’amendement n° COM-181 : celui-ci tend à distinguer les bons bénéficiaires qui obtiendront, pour raisons médicales, la prise en charge par la sécurité sociale de toutes les démarches d’AMP, des mauvais bénéficiaires, les couples de femmes et les femmes seules, qui ne répondent pas à ces critères et ne seront donc pas pris en charge. Est-ce juste ?

Il est bon de le rappeler, l’homosexualité n’est pas un choix. Aussi, comment peut-on refuser cette prise en charge solidaire par la sécurité sociale à ces femmes qui souhaitent avoir un enfant ?

J’ai déposé deux amendements pour corriger cette situation, d’autant plus regrettable que les propositions de la commission spéciale empêchent dans un premier temps de débattre de l’AMP post mortem. Or, dans des conditions d’encadrement équilibrées, il me semble opportun d’ouvrir cette éventualité à des situations, certes rares, mais inhumaines.

En effet, est-il concevable de dire à une femme qui s’est engagée avec son conjoint dans une procédure d’AMP qu’elle a le choix, en cas de décès de celui-ci, entre détruire leurs embryons ou les donner à un autre couple, alors même que l’AMP est ouverte aux femmes seules et que cette personne pourrait s’engager sur une AMP avec tiers donneur ?

En revanche, je me félicite de ce que la commission spéciale ait pu donner une réponse positive à un certain nombre d’avancées.

Il s’agit, tout d’abord, de la mise en place, par l’article 14, d’un régime de déclaration préalable pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines. Cette mesure est attendue par l’ensemble des scientifiques auditionnés, car elle les protégera contre des attaques juridiques systématiques – les débats devraient être nourris sur ce point et notre position pourrait encore évoluer.

Comme le souligne notre corapporteure Corinne Imbert, le nouveau régime permettra ainsi d’acter la différence de nature entre ces recherches et celles qui portent sur l’embryon : ces dernières continueront de faire l’objet d’un régime d’autorisation, car elles soulèvent d’autres enjeux éthiques.

Enfin, je soutiens la proposition de Mme Imbert d’autoriser, à titre dérogatoire et dans le respect des principes éthiques, le développement in vitro d’embryons jusqu’au vingt et unième jour, dans le souci de permettre des avancées dans la compréhension du développement embryonnaire. Il s’agit d’une autre demande des scientifiques auditionnés.

Sur ces points, nous allons plus loin que l’Assemblée nationale et le Gouvernement, et nous sommes ouverts au débat.

J’en viens maintenant à la médecine fœtale et au diagnostic préimplantatoire, autre sujet très sensible examiné par le Comité consultatif national d’éthique.

Je dois dire que l’audition de Mme Alexandra Benachi, présidente de la Fédération française des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, a été particulièrement remarquée et a suscité une certaine adhésion. Sur ce sujet, le spectre de l’eugénisme revient fréquemment, avec la crainte de la sélection des embryons. Il est, à mon sens, infime face aux encadrements posés par l’Agence de la biomédecine.

Aujourd’hui, il faut avoir souffert pour bénéficier d’un diagnostic prénatal. C’est le terrible constat posé par Mme Benachi. En effet, à l’heure actuelle, le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies (DPI-A) ne peut être réalisé que pour rechercher une pathologie génétique ciblée dont est porteur l’un des parents. Cela signifie qu’il faut d’abord avoir un enfant gravement malade pour pouvoir vérifier que les suivants ne le sont pas.

L’avantage du DPI-A est multiple : il permet d’éviter de recourir à une interruption de grossesse, de ne pas stimuler plusieurs fois une patiente déjà âgée, mais également d’éviter des fausses couches ainsi que l’exposition à des risques de thrombose ou de cancer à long terme.

Par ailleurs, la France dispose de résultats moins bons que ses voisins en termes d’AMP, du fait du non-recours au DPI-A.

Aussi, je soutiens l’amendement de Corinne Imbert qui, en prévoyant le recours à cette technique à titre expérimental, développe une vision éthique à l’égard des femmes et permettra d’éviter de multiples implantations infructueuses. Je regrette cependant que, pour des conditions de recevabilité financière de l’amendement au regard de l’article 40 de la Constitution, ce DPI-A ne puisse être pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, alors même qu’il augmente les résultats d’AMP.

Quant à l’amendement de notre corapporteur Olivier Henno qui encadre le recours aux tests génétiques exclusivement à visée généalogique, je me contenterai de me réjouir de son adoption en commission spéciale.

Il n’est pas responsable de maintenir l’interdiction absolue des tests génétiques commerciaux, puisque cela permet aujourd’hui à des sociétés étrangères d’engranger des données génétiques personnelles en dehors de tout contrôle et sans conseil délivré par des professionnels qualifiés.

J’émettrai, enfin, un regret.

Ce projet de loi de bioéthique ne nous a pas permis d’aborder la santé environnementale, dont l’importance ne cesse de croître. Le CCNE avait tenté d’inclure cette problématique, sans succès. Pourtant, de vraies questions éthiques se posent avec le développement des nanoparticules, de la notion d’effet cocktail et la latence des polluants.

Pour conclure, je souhaite que nous puissions débattre sereinement de ces problèmes éthiques parfois très complexes, mais qui recouvrent des réalités très concrètes pour nos concitoyens.

Montesquieu a écrit : « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux. » Alors, soyons curieux, écoutons-nous, respectons-nous, afin d’élaborer ensemble un texte juste, qui soit le reflet des évolutions de notre société et qui anticipe celles à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Véronique Guillotin et Colette Mélot ainsi que M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière de bioéthique, nous ne partons pas de rien ! C’est en effet la cinquième fois que nous légiférons, en comptant la loi de 2013 relative à la recherche sur l’embryon humain.

Il y a un peu plus de vingt-cinq ans, j’ai eu le privilège d’être associé à l’élaboration des premières lois de bioéthique, aux côtés de Simone Veil. Le sujet était alors entièrement à défricher, et la France se voulait pionnière.

Aujourd’hui, nous disposons d’une législation de bioéthique moderne et unique au monde. Il me semble que nous ne devrions la modifier que d’une main tremblante, en sachant préserver ses principes fondateurs.

En 1993, nous ignorions bien sûr quels seraient les développements à venir des sciences du vivant. Mais, justement, le Parlement a voulu poser des principes à l’épreuve des temps, des principes qui ne seraient pas subordonnés à l’état de la science.

Ces principes expriment d’abord une vision de l’homme et des valeurs de notre société. Ils ne sont pas contingents. Ils se veulent au contraire permanents, et même intangibles : primauté de la personne humaine ; respect de la dignité de l’être humain dès le commencement de la vie ; interdiction de toute discrimination fondée sur des caractéristiques génétiques ; interdiction de la création d’embryons humains pour la recherche et encadrement strict de celle-ci ; intégrité de l’espèce humaine et, donc, interdiction de toute pratique eugénique reposant sur la sélection des embryons humains ; refus de toute manipulation du génome humain, ce qui implique bien sûr l’interdiction de la création de chimères, c’est-à-dire de cellules hybrides, en partie humaines, en partie animales ; enfin, indisponibilité du corps humain et de ses éléments, parce que le corps n’est pas une chose, il est la personne même et l’homme ne peut pas en faire ce qu’il veut. C’est aussi ce qui rend incompatibles avec notre civilisation l’esclavage, le contrat de prostitution ou la gestation pour autrui.

Ce sont des règles fondamentales. De l’aveu même du Conseil constitutionnel, elles concourent au « respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine », ce qui n’est pas tout à fait secondaire en matière de droits fondamentaux ! Cela n’interdit pas de faire évoluer les modalités d’application de ces principes. Mais, pour l’essentiel, notre devoir me paraît être de les conforter et non de les fragiliser.

L’idée qu’il faudrait changer nos principes en fonction des besoins de la recherche porte en elle la négation même de ces principes, un peu comme si nous devions réviser régulièrement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour l’adapter à de nouvelles exigences. Ce serait une façon de s’en remettre par avance au principe d’utilité, admettre que désormais utilité fait loi. Est-ce bien la société que nous voulons ?

M. Christian Cambon. Bonne question !

M. Philippe Bas. En matière d’éthique des sciences du vivant, le choix français est de confier au législateur le soin de décider lui-même ce qui est permis et ce qui est interdit. Ce n’est ni aux savants ni aux médecins de le faire. Ils seraient en outre juges et parties. C’est au Parlement que revient la responsabilité, et c’est une bien lourde responsabilité.

Je suis heureux que notre commission spéciale, après s’être donné le temps de la réflexion, ait opté aujourd’hui pour une certaine prudence face aux tentations prométhéennes en matière de recherches et aux risques de dérives eugéniques.

Des recherches strictement encadrées sur des embryons humains surnuméraires qui ne font plus l’objet d’un projet de grossesse sont déjà autorisées dans des limites qui ont été assouplies par les lois de bioéthique et par la loi de 2013. Toute demande d’un nouvel élargissement ne peut être examinée qu’avec la plus grande circonspection. Les cultures de cellules embryonnaires humaines ne doivent pas être banalisées, pas plus que la création de cellules pluripotentes à partir de cellules humaines adultes.

Notre rôle n’est pas de nous prononcer sur la dimension scientifique de ces questions, mais il est de fixer un cadre, des limites et des procédures apportant des garanties.

La prévention des dérives eugéniques devrait également mobiliser toute notre attention. Avoir un enfant indemne d’une maladie génétique héréditaire mortelle grâce à l’identification d’un embryon non porteur de cette maladie me paraît légitime quand on a perdu un enfant d’une telle maladie ou quand on a la certitude d’un risque très élevé d’avoir un enfant atteint. Aller au-delà nous exposerait à une sélection génétique en décidant à partir de quand une vie vaut d’être vécue et pourrait conduire un jour à autoriser le choix de certaines caractéristiques de l’enfant à naître, en particulier celui du sexe. Ce n’est pas une vue de l’esprit quand on connaît les demandes qui s’expriment dans notre société et quand on observe les pratiques qui se développent ailleurs qu’en France.

De la même façon, nous devons être vigilants quand il s’agit de déclencher une grossesse pour faire naître, à partir d’un tri d’embryons, un enfant susceptible d’être un donneur de sang de cordon compatible avec un frère ou une sœur atteint d’une maladie génétique grave et incurable, qu’on espère ainsi pouvoir sauver. Cette possibilité a été ouverte par la loi de 2004 et étendue en 2011. Il me semble que nous devrions nous en tenir là !

Reste la question qui mobilise l’intégralité du débat public autour de cette loi. Ce n’est pas une question de bioéthique, c’est une pure question de société. Faut-il autoriser le recours à la fécondation in vitro autrement que pour remédier à une infertilité ? En ce qui me concerne, je n’y suis pas favorable.

Lors du vote des premières lois de bioéthique, le premier « bébé-éprouvette » français conçu avec donneur avait 12 ans. Nous n’avions à l’époque aucune expérience de ce que seraient l’adolescence et le passage à l’âge adulte de ces enfants. Nous en avons maintenant, et nous savons que, dans un nombre élevé de cas, alors même que tous ces enfants ont ou ont eu un père, le besoin d’un accès aux origines, que nous allons traiter dans ce texte, s’est exprimé avec force comme un cri, comme une souffrance. On peut penser qu’une faille s’est progressivement creusée dans la personnalité de ces enfants, de manière invisible aux yeux des parents eux-mêmes, une faille que l’amour et les qualités éducatives de ceux-ci n’ont pas suffi à combler.

Nous devrions être humbles devant l’étendue de notre ignorance et devant notre manque de recul. Les jeunes femmes qui veulent avoir un enfant seule ou à deux par une fécondation in vitro devraient essayer d’être prudentes elles aussi, quelle que soit l’intensité de leur légitime désir d’enfant. En effet, si la recherche des origines peut revêtir une telle importance pour la construction psychique d’enfants qui ont un père, combien plus importante sera nécessairement la recherche d’un père pour des enfants auxquels on aura dès leur conception et de propos délibéré refusé d’en donner un ? Devons-nous le permettre en dépit de cette inquiétude pour le développement de l’enfant ?

Bien sûr, on pourrait considérer que cette décision doit relever de la liberté de conscience de chaque femme. Nous pourrions à la fois exprimer de fortes objections à cette pratique et accepter de ne plus l’interdire. Ce raisonnement à l’anglo-saxonne n’est sans doute pas dénué de mérite, mais je préfère raisonner à la française, en considérant que la loi doit servir de référence aux comportements individuels et protéger l’enfant à naître. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique. C’est l’aboutissement de nombreux débats et de nombreux travaux qui ont eu lieu à travers toute la France.

On vient de le rappeler : depuis 1994, nous, parlementaires, sommes amenés à inscrire dans la loi la façon dont la société entend encadrer les pratiques médicales et la recherche sur la vie.

L’enjeu est de taille : trouver un point d’équilibre pour mieux soigner, pour ne pas freiner les innovations scientifiques, tout en veillant à protéger le plus précieux, notre humanité. Tel est notre rôle, et il n’est pas simple.

Ne perdons pas de vue que, quotidiennement, des équipes de soignantes et de soignants ainsi que des équipes de chercheurs s’attachent à prendre les meilleures décisions dans le respect des grands principes bioéthiques : tout d’abord, l’autonomie du patient et le respect de sa décision ; ensuite, la non-malfaisance, pilier de la pratique médicale depuis Hippocrate, et son pendant, la bienfaisance, qui vise le mieux-être du patient et du plus grand nombre ; enfin, la justice, qui place la décision prise au regard des conséquences sur la société dans son ensemble, principe qui fait appel à la solidarité, par exemple pour la prise en charge financière et l’égalité devant l’accès aux soins.

C’est dans la controverse argumentaire que se forgent les décisions éthiques. Je ne doute pas que nos débats en séance publique seront respectueux, comme ils l’ont été au sein de la commission spéciale. Ils seront nourris de ces controverses, car l’enjeu du présent texte mérite toute notre attention, au-delà des clivages politiques.

J’ouvre une parenthèse pour rappeler que, selon les socialistes, les premiers articles de ce projet de loi ne contiennent pas de nouveauté en matière de bioéthique. L’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules de l’assistance médicale à la procréation va jalonner le long chemin vers l’égalité ; elle ne présente rien d’innovant sur le plan de la réflexion éthique. En revanche, elle traduit de grandes avancées sur le plan de l’égalité entre toutes les femmes et constitue une nouvelle étape du droit des femmes à disposer de leur corps.

Au-delà, ce texte de loi se doit de répondre aux nouvelles questions éthiques. Je prendrai deux exemples.

Premièrement, la recherche sur le génome et les tests génétiques ont progressé, et nécessitent d’être encadrés : le consentement à ces examens génétiques devra être recueilli et la communication de résultats ne s’effectuera que sous couvert de prévention ou de soins.

Deuxièmement, dans le cas de fécondations in vitro, des diagnostics anténataux permettent aujourd’hui de détecter d’éventuelles maladies génétiques avant de procéder à l’implantation de l’embryon. Les socialistes proposeront, à titre expérimental, de diagnostiquer d’éventuelles aneuploïdies, anomalies portant sur le nombre de chromosomes, qui, pour certaines, aboutissent à des fausses couches évitables. Sans cette détection, les tentatives d’implantation peuvent être poursuivies en vain : les chances de succès de la grossesse n’augmentent pas. En vertu de la bienfaisance envers les parents engagés dans ce projet parental, il nous semble pertinent d’expérimenter cette technique, conformément aux souhaits formulés par les gynécologues auditionnés.

Par ces techniques innovantes et leur pratique ainsi clairement encadrée, nous estimons pouvoir écarter les fantasmes qui ont cours et dissiper les craintes qu’expriment parfois nos citoyennes et concitoyens.

Génétique, recherche embryonnaire : lorsque ces sujets sont évoqués, que ce soit pendant nos débats en commission ou dans les médias, certains disent redouter des dérives eugénistes. Il n’en est absolument pas question. D’immenses précautions sont prises pour écarter les risques de discrimination, de sélection d’embryons avant la grossesse ou encore de modification génomique sans but thérapeutique.

La bioéthique porte sur les sciences de la vie et de la santé. Elle nous rappelle que l’éthique s’enracine dans des activités concrètes, au fondement de la vie, de la médecine et du soin, pour sauver des vies humaines menacées et fragiles, pour lutter contre la maladie et contre la mort.

Comme le dit Jacqueline Mandelbaum, ancienne membre du Comité consultatif national d’éthique, la bioéthique est là pour « réfléchir ensemble, prendre du champ, du temps, jeter le doute dans la mare de nos certitudes, ne jamais oublier l’autre, l’humain, caché derrière le mirage technologique ou la force du désir ».

Chers collègues, dans les jours à venir, nous allons confronter nos visions, nos convictions, nos certitudes. Aiguillonnés par les attentes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nourris de nos doutes et de nos espoirs, nous allons ouvrir l’éventail de la pratique médicale et de la recherche biologique. Nous allons aussi fixer des limites, tracer des frontières et ainsi contribuer à définir l’espace où se loge l’humanité, dans la promesse infinie de la technologie. Soyons à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier M. le président de la commission spéciale, Mmes et MM. les rapporteurs de l’excellent travail collectif qu’ils ont accompli.

Au total, six articles du projet de loi de bioéthique sont consacrés aux dons d’organes et de cellules. Je me félicite de ce que ce sujet, éminemment important, fasse partie du texte qui nous est proposé : il est vital pour de nombreux citoyens – il le fut notamment pour moi, il y a vingt-sept et seize ans.

Je me dois de vous le rappeler : aujourd’hui, 500 à 600 patients en attente de greffe meurent chaque année et, face aux 6 000 greffes annuelles, près de 24 000 patients espèrent bénéficier de mesures du présent texte. De ce point de vue, toute disposition visant à inciter les donneurs potentiels et à les rassurer est la bienvenue, même s’il serait nécessaire d’aller plus loin. Je vais y venir.

Concernant le statut du donneur, il faut saluer l’initiative de notre commission spéciale, qui a le mérite de poser le principe. Mais des mesures complémentaires pourraient être étudiées, notamment afin de garantir le principe de neutralité financière : si le don ne peut en aucun cas rapporter au donneur, il ne doit pas pour autant lui coûter. En l’occurrence, je pense à la réduction des délais de remboursement des frais exposés par les donneurs, à leur exonération du ticket modérateur, ou encore à l’interdiction des dépassements d’honoraires pour leur prise en charge. Sur ces questions, les amendements de notre collègue Daniel Chasseing sont les bienvenus.

Plus ambitieux est l’article 5, qui a vocation à lever les contraintes pesant actuellement sur la pratique du don croisé, afin de dépasser les cas d’incompatibilité biologique entre un receveur et un proche disposé à consentir au don d’organes.

Créé par la loi de 2011, le don croisé n’a été que peu mis en œuvre, en raison notamment de la limitation du nombre de tandems de donneurs et de receveurs mobilisables, et sans doute aussi du fait de l’exigence de simultanéité des opérations de prélèvement et de greffe, qui requiert non moins de quatre blocs opératoires.

Ainsi, le texte de la commission rétablit opportunément à six le nombre de paires mobilisables. De même, il met fin à l’exigence de simultanéité en introduisant un délai maximum de vingt-quatre heures pour la réalisation des opérations de prélèvement et de greffe.

Le don croisé est principalement employé pour la greffe de rein. Il est fondamental de le faciliter, afin d’engager à terme notre système de santé sur la voie des chaînes de dons. Selon une étude très récente de l’Institut des politiques publiques, un tel dispositif pourrait accroître jusqu’à 279 % le nombre de patients susceptibles de bénéficier d’une greffe !

Les articles 6 et 7 renforcent quant à eux la protection des mineurs et majeurs protégés dans l’expression de leur consentement aux dons, précaution à laquelle on ne peut que souscrire. Les conclusions des États généraux de la bioéthique et l’avis du Comité consultatif national d’éthique, présentés en 2018, avaient en effet insisté sur l’attention à porter à ce consentement, notamment au regard des pressions intrafamiliales, évoquées devant nous par le grand rabbin de France, Haïm Korsia.

Par ailleurs, l’article 7 bis étend aux mineurs de 17 ans la possibilité, en l’encadrant, de participer aux opérations de don du sang. Cette extension est logique, au regard des campagnes d’information et de sensibilisation conduites auprès des 16-18 ans dans le cadre de la journée défense et citoyenneté.

Au-delà des aspects législatifs, il me semble nécessaire de maintenir et de renforcer l’information sur le don, qu’il s’agisse de son cadre juridique, de la présomption de consentement ou encore du protocole dit « Maastricht III », concernant le prélèvement d’organes dans le cadre d’un arrêt des soins.

La question de l’égalité territoriale pour l’accès aux dons me semble également essentielle. Je pense notamment aux différences constatées en matière d’inscription des patients sur liste d’attente de greffe, même si une liste nationale d’urgence existe déjà.

Enfin, les problématiques des greffes pratiquées à l’étranger et du trafic d’organes doivent trouver une solution. Les élus de notre groupe proposeront des amendements en ce sens : j’espère que ces dispositions seront adoptées, tant ces pratiques comportent de risques, pour les donneurs comme pour les receveurs.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous accueillons positivement les initiatives contenues dans ce projet de loi. Gageons que les débats qui vont s’ouvrir permettront de l’enrichir au bénéfice des nombreux patients en survie, en attente de greffe, qui fondent sur ce texte de réels espoirs de vie nouvelle ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous arrive aujourd’hui est loin d’être anodin. Je n’aurai aucune prétention scientifique et encore moins moraliste ; mais, en tant que parlementaire et comme citoyenne, je vous livrerai certaines interrogations, qui, parfois, soulèvent des inquiétudes.

Concernant la mesure phare du projet de loi, qui, pourtant, n’est sans doute pas la disposition la plus importante, à savoir l’accès à la PMA pour toutes, nous nous réjouissons que l’article ait été adopté en commission spéciale, même si des modifications freinent quelque peu sa portée.

Permettre à toutes les femmes de mener à bien leur projet familial en toute légalité est une avancée pour notre pays. Cette mesure aurait pu être examinée dans un autre projet de loi, plus sociétal…

Mme Annick Billon. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. En effet, son caractère bioéthique apparaît quelque peu discutable. Quoi qu’il en soit, demain, avec l’adoption de ce texte, notre législation dira : le cadre familial peut être multiple et nous reconnaissons l’entité familiale dans cette multiplicité, le mythe de la famille idéale ne résistant d’ailleurs à aucune étude.

C’est en prenant acte de cette même réalité que le droit à la filiation évolue aujourd’hui, même si, selon nous, la reconnaissance conjointe anticipée devrait être étendue à tous les couples ayant recours à l’AMP, et non seulement aux couples de même sexe. Les deux régimes différents que défend le Gouvernement ne se justifient pas. Nous proposerons des amendements en conséquence.

Le texte issu de la commission spéciale est globalement satisfaisant en matière de procréation ; mais d’autres avancées importantes sont aussi à souligner.

Dans le cadre du triptyque constitué par les principes de dignité, de liberté et de solidarité, un encadrement éthique a été fixé pour plusieurs évolutions techniques et technologiques.

Je pense à l’intelligence artificielle, avec la consécration du principe d’une garantie humaine dans l’interprétation des résultats en cas d’utilisation d’un algorithme et l’encadrement du recours à l’enregistrement de l’activité cérébrale.

Je pense également au renforcement du consentement et de l’information concernant les découvertes incidentes lors de tests génétiques, ainsi qu’à la précision du champ d’application du diagnostic prénatal.

De même, l’encadrement du don fait l’objet d’avancées notables. En particulier, on réaffirme que tout don provenant du corps humain – organes, cellules, tissus – s’effectue en toute gratuité. De surcroît, le don croisé d’organes est renforcé.

Néanmoins, certaines dispositions m’interpellent quant au modèle de société que nous souhaitons pour demain. L’article 2, qui a pour objet l’autorisation d’autoconservation de gamètes, me semble à cet égard très parlant. Cette autorisation paraît pertinente à certains égards, mais les dérives possibles sont telles que le texte apporte cette précision : une telle autoconservation ne peut être engagée sous la pression d’un tiers, notamment l’employeur.

Au lieu de multiplier les précautions, ne serait-il pas plus judicieux de réfléchir aux moyens que nous devrions déployer pour la mise en œuvre d’une véritable politique familiale ? (Mme la ministre des solidarités et de la santé acquiesce.) Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir aux facteurs environnementaux qui affectent la fertilité ? C’est également la science qui a provoqué la pollution environnementale que nous connaissons.

Dans un monde toujours plus pollué, dans lequel nous travaillerons, demain, de plus en plus longtemps – c’est en tout cas ce qu’envisage le Gouvernement avec la réforme des retraites –, l’on nous propose de repousser nos limites naturelles en conservant l’option, surtout pour les femmes, de faire un bébé « en temps et en heure », ou plutôt dans une fenêtre spatio-temporelle qui relèvera non plus de la biologie humaine, mais des impératifs sociétaux et libéraux.

Ma réflexion va un peu loin, mais il me semble nécessaire de la pousser ainsi, d’autant que, lors des travaux de la commission spéciale, j’ai noté que les établissements de santé à but lucratif ont été systématiquement ajoutés aux articles ad hoc, sous couvert – comme toujours – de carence du public. Or, précisément, c’est aussi pour des questions éthiques que toutes ces pratiques devraient rester dans le giron du secteur public !

Enfin, selon la même logique, les dispositions les plus problématiques dans cette version du texte sont, selon nous, les articles abordant la question de la recherche sur les embryons.

Encore interdite en 1994, en vertu des premières lois de bioéthique, la recherche sur embryons humains est aujourd’hui proposée dans un cadre très large. Elle répond non plus forcément à des buts médicaux, mais à un souci de connaissance biologique.

Selon nous – notre groupe est unanime sur ce point –, le plus inquiétant dans ce projet de loi, c’est la levée de l’interdiction absolue de la transgénèse et des chimères.

À l’instar de certains intellectuels et scientifiques, je m’interroge : pourquoi lever cette interdiction ? En encadrant les expérimentations impliquant la création d’embryons chimériques par l’adjonction de cellules souches pluripotentes humaines à un embryon animal, la commission spéciale du Sénat autorise, de fait, la pratique. Or l’inquiétude est forte quant au risque de franchissement de la barrière des espèces. (Mme Cécile Cukierman opine.)

Ce sujet, quelles qu’en soient les possibilités offertes pour la recherche, est lourd de conséquences. Il mériterait une réflexion bien plus poussée, dans un cadre international, et pourquoi pas sur l’initiative de notre pays.

Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues, à l’évidence, ce qui est techniquement possible n’est pas toujours éthiquement souhaitable : c’est déjà ce que relevait Jean-Jacques Rousseau au siècle des Lumières dans son Discours sur les sciences et les arts.

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Toutes les interrogations que Rousseau soulevait alors peuvent aujourd’hui être transposées dans un double questionnement sur le progrès scientifique et l’émancipation humaine.

Aujourd’hui, le débat ne peut être ni binaire ni clivant. La bioéthique porte en elle des questions éminemment apolitiques : il y va de l’évolution de l’homme sur notre planète et de ce que nous souhaitons pour lui dans le futur. Or – je le relève à mon tour – nous ne voulons sûrement pas aboutir au Meilleur des mondes d’Huxley.

Bien sûr, nos lois de bioéthique doivent évoluer, car notre société évolue ; mais selon nous, il faudrait presque les remanier comme l’on touche à la Constitution, d’une main tremblante, avec prudence et avec sagesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR. – Mme Josiane Costes ainsi que MM. Yvon Collin et Philippe Bas applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, les questions éthiques renvoient à la réflexion politique de chacun d’entre nous de la manière la plus intime. Elles sont alimentées par des convictions philosophiques ou encore spirituelles. Elles interrogent notre relation à l’être et le prix que nous attachons à la vie humaine.

Les sénatrices et sénateurs du groupe Union Centriste se sont particulièrement impliqués, depuis plusieurs mois, dans la perspective de l’arrivée de ce texte au Sénat, et ils exprimeront leur diversité dans le débat comme lors des votes. Ainsi, je défendrai un point de vue notoirement différent de celui de notre collègue Élisabeth Doineau.

Nous voici donc aux prémices de l’examen d’un texte qui touche à des domaines très variés. En préambule, je citerai Christiane Taubira répondant aux questions des Quatre Vérités sur France 2, en octobre 2015 à propos de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes.

« Oui, je pense qu’il serait bon que nous puissions avoir le débat. Ceci étant, depuis deux ans et demi je dis que ce n’est pas simple. Ce n’est pas du “oui” ou du “non”, ce n’est pas du “pour” ou du “contre”. C’est un sujet médical, c’est un sujet important, c’est un sujet qui a des effets également sur la sécurité sociale, donc il faut le traiter en tant que tel. »

M. Loïc Hervé. Sur ce point précis, je donnerai raison à Mme Taubira et, d’emblée, j’insisterai sur un constat assez simple : la révision de la loi de bioéthique sert de vecteur législatif pour aborder des sujets qui sont d’une nature très différente.

M. Roger Karoutchi. Ça, c’est sûr !

M. Loïc Hervé. Je regrette donc vivement que des mesures concernant l’établissement de la filiation, lesquelles relèvent du droit civil et ne sont pas, à proprement parler, de nature bioéthique, soient celles qui vont nous occuper le plus longtemps dans les débats et qui auront le plus grand écho médiatique. Disons plutôt que ces dispositions correspondent à un engagement de campagne du Président de la République et que l’occasion fait le larron…

Pour ma part, j’aurais préféré, et de très loin, un débat ad hoc sur un texte ad hoc.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. Loïc Hervé. Je défendrai donc cette idée lors de l’examen des articles, à défaut d’obtenir gain de cause ; à cet égard, je salue les propositions extrêmement intéressantes de notre collègue rapporteur Muriel Jourda…

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Merci, monsieur Hervé !

M. Loïc Hervé. … relatives à l’adoption, bien qu’elles n’aient pas été retenues par la commission spéciale.

Le droit doit, autant que faire se peut, correspondre à la réalité. Il ne doit pas constituer une fiction. C’est pour moi un élément extrêmement important, en particulier pour le recours à l’assistance médicale à la procréation. En effet, à l’absence de père, on ajoute un mensonge, une tromperie, de surcroît protégée par la loi.

J’en viens à la question de la gestation pour autrui. Nous aurons dans cet hémicycle un débat sur le sujet, notamment grâce à un amendement du président Bruno Retailleau.

Mes chers collègues, je le dis tout de go, je suis catégoriquement opposé à la gestation pour autrui. Je pense même que notre pays s’honorerait de prendre la tête d’une interdiction internationale, tant les exemples, notamment en Asie, démontrent que la marchandisation industrielle du corps humain peut conduire à une véritable abomination.

Au moment où le cerveau est, en termes médicaux, un continent encore très largement inexploré, au moment où nous savons que des échanges très forts se produisent entre un enfant et sa mère au cours de la vie intra-utérine, je vous assure que les arguments ne manquent pas.

Je sais que les débats seront également nourris en séance, puisque Alain Milon, président de la commission spéciale, a évoqué en commission l’idée d’une GPA éthique. Je vous le dis d’emblée : je n’y crois pas une seule seconde et je m’inquiète de la pente que nous pourrions suivre si cette idée était majoritairement admise ici.

En outre, concernant l’état civil, la Cour de cassation s’est prononcée sur les difficultés rencontrées par les enfants nés d’une GPA à l’étranger ; mais, à mon sens, sa décision élude la responsabilité des parents qui y ont eu recours. Ce sont eux qui mettent leurs enfants dans une telle situation : la faute ne peut incomber au législateur français, qu’il est tellement facile d’incriminer !

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Loïc Hervé. Aujourd’hui, on évoque des verrous : j’ai bien peur que ces verrous ne deviennent demain des cliquets et qu’ils ne nous conduisent progressivement vers la légalisation de la GPA dans notre pays. L’application dévoyée du principe d’égalité nous conduira là, et les fondations seront déjà bien installées dans notre droit.

À grand renfort de reportages orientés, on sent bien que l’opinion évolue, séduite par des témoignages « où tout se passe bien », mais où l’on tait le coût extrêmement élevé de ce mode de procréation. Tout compris, son montant s’établit entre 40 000 à 90 000 euros. « Qu’est-ce qu’elle a, ma famille ? », demandait un journaliste célèbre. Ma réponse est sans équivoque à la lumière des éléments que je viens de donner : la GPA est et doit rester interdite en France.

Le législateur, s’il représente le peuple, ne doit jamais céder à l’opinion publique, d’autant qu’elle est très évolutive : ce qui est acceptable aujourd’hui peut ne plus l’être demain.

Enfin, j’évoquerai le reste du texte, qui n’est pas sa moindre partie.

Certes, la commission spéciale a débattu dans un climat apaisé et de respect, sous l’autorité de son président, Alain Milon. Mais le texte issu de ses travaux n’en va pas moins, à bien des égards, plus loin que celui de l’Assemblée nationale, et fait sauter au passage des garanties posées par les députés.

Qu’il s’agisse de la question des chimères, du régime juridique des embryons ou des cellules souches, des bébés-médicaments ou du diagnostic préimplantatoire, les sujets de préoccupation ne manquent pas.

La préservation de la dignité humaine doit être notre seule boussole. Elle suppose parfois de fixer des limites en s’engageant à ne jamais les franchir, quand bien même la recherche médicale le proposerait.

C’est tout l’enjeu de ce texte ; c’est la raison pour laquelle les membres de mon groupe prendront part aux débats avec la liberté et la responsabilité personnelles qui les caractérisent. De tous ces sujets, nous reparlerons ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Annick Billon. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (M. Roger Karoutchi applaudit.)

Mme Martine Berthet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour ce texte relatif à la bioéthique, dont nous engageons aujourd’hui l’examen, nous avons toutes et tous reçu de très nombreux courriers de particuliers, d’associations et de professionnels, tant en accord qu’en désaccord, et ce de façon transpartisane.

Il n’aura échappé à personne que ce projet de loi suscite beaucoup de polémiques. Pour tenter d’y répondre, la commission spéciale chargée d’examiner ce texte a auditionné, de façon très large, des représentants de courants de pensée, des membres du Comité consultatif national d’éthique, des médecins, des représentants des agences, des chercheurs, professeurs de droit, pédopsychiatres, ministres, etc. Nous pouvons remercier ces personnalités du temps qu’elles ont bien voulu nous accorder afin de nourrir notre réflexion.

Si chacune et chacun d’entre nous avait, dès le départ, ses propres opinions, nous avons pu ce faisant affiner nos convictions sur les différents et importants chapitres du texte. Parallèlement – j’en veux pour preuve mon cas personnel –, nous avons pu nous ouvrir à des interrogations que nous n’avions pas envisagées jusqu’alors.

Je salue le travail des rapporteurs – chacun a œuvré dans son domaine, pour une nécessaire cohérence –, dont la tâche a été lourde, mais passionnante.

Promulguées en 1994, les premières lois de bioéthique ont été révisées en 2004 et en 2011. Ces textes sont d’une importance capitale pour le futur de nombre de femmes, d’hommes et de familles de notre pays, aujourd’hui, en 2020. Je pense non seulement aux différentes positions concernant l’AMP, sujet d’ailleurs plutôt de société que de bioéthique,…

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

Mme Martine Berthet. … mais aussi aux progrès de la recherche, attendus pour beaucoup. Cette tâche fut d’autant plus délicate que les vifs désaccords des années 1990 perdurent.

Pourtant, pas plus tard que le 18 décembre dernier, la Cour de cassation a considéré que ni la circonstance que les femmes aient eu recours à une AMP dans un pays étranger ni le fait que les actes mentionnent la mère ayant accouché et une autre femme ne font obstacle à leur transcription, dès lors que ces actes sont réguliers dans le pays dans lequel ils ont été établis.

Comment ne pas légiférer dans ce sens par la suite ? Nous pouvons difficilement aller à l’encontre du fait que toute femme a la capacité de porter un enfant et de le désirer. Nous ne pouvons plus laisser des femmes qui le désirent ardemment aller à l’étranger pour bénéficier d’une aide médicale à la procréation.

Mme Martine Berthet. Certains diront que, avec la légalisation de l’AMP pour des schémas familiaux différant de ceux que nos parents ont pu connaître, nous faisons le deuil de la famille traditionnelle. Mais combien de familles sont déjà monoparentales ?

Dans le département dont je suis l’élue, la Savoie, le taux de familles monoparentales dépasse 14 %. Dans la plupart des cas, l’enfant vit alors entre deux parents, qui ne forment en aucun cas une unité parentale. L’important n’est-il pas un environnement aimant et solide, qui permette à l’enfant de s’épanouir ?

Mais, bien entendu, autoriser l’AMP n’est pas autoriser la GPA : les deux ne peuvent être assimilées !

Nous devons nous attacher à déployer tous les garde-fous afin d’empêcher les dérives. C’est ce que la commission spéciale s’est employée à faire, sur la proposition de ses rapporteurs : elle a affirmé l’interdiction de la gestation pour autrui en France. Elle a également rappelé la nécessaire notion d’infertilité pour l’accès à l’AMP des couples hétérosexuels et interdit le double don de gamètes.

En outre, concernant l’accès à l’identité du donneur, elle a été soucieuse du respect de la vie privée, en demandant un accord exprès du donneur au moment de la demande du receveur devenu majeur.

Toutes ces mesures me semblent bien encadrer l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, tout en comblant des failles existantes dans la procédure déjà en place de l’AMP pour les couples hétérosexuels. Pour reprendre les termes d’un pédopsychiatre que nous avons auditionné, ce sont là autant d’enfants « à qui nous ne mentirons plus ».

Au sujet de la filiation, je soutiendrai l’amendement de ma collègue Sophie Primas. Il vise à préserver la filiation actuelle en déclarant mère la femme qui accouche et à établir la filiation à l’égard de la mère d’intention par la voie de l’adoption.

Toutefois – je le répète –, cette révision des lois de bioéthique est loin de se limiter à l’AMP. Dans le même souci de limiter les dérives, la commission a sécurisé la recherche sur les embryons ne faisant plus l’objet de projet parental. Elle a également veillé à réduire le risque de création d’embryons chimériques. Elle s’est attachée à la gratuité du don, a créé un statut du donneur d’organe et permis le don de son sang dès l’âge de 17 ans. Ces apports me semblent très intéressants.

Pour ma part, j’ai souhaité déposer un amendement ayant pour objet la cryoconservation des lymphocytes T pour les nouvelles thérapies anticancéreuses par les cellules CAR-T.

Mes chers collègues, vous le constatez : la révision régulière des premières lois de bioéthique, souhaitée par le Sénat, permet de nombreux ajustements pour que soient en harmonie les évolutions parallèles de la science, d’une part, et les besoins de notre société, d’autre part.

En définitive, chacune et chacun d’entre nous doit voter ce texte en conscience. Nous devons nous adapter à notre société, qui a changé, et répondre aux évolutions de la médecine et de la recherche scientifique, tout en gardant à l’esprit, comme l’a dit lors de son audition le président du CCNE, que « tout le possible n’est pas forcément souhaitable » ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en écoutant le président Retailleau, puis le président Bas, qui y a lui-même fait référence, je songeais aux débats sur la loi Veil en 1975 et en 1979. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Lorsque je suis devenue parlementaire, j’ai pensé – comme chacun d’entre vous sans doute, mes chers collègues – aux débats auxquels j’aurais aimé participer ; ceux sur la loi Veil en font évidemment partie. À mon sens, celui qui nous réunit aujourd’hui est de la même importance. On ne peut ignorer les oppositions à la fin du modèle traditionnel de la famille patriarcale, au combat des femmes et des associations LGBT et au droit des femmes à disposer de leur corps qui s’expriment. Le sujet qui nous occupe ici relève d’un processus d’évolution sociale long, qui vient heurter une conception conservatrice de la famille française et que le législateur doit aujourd’hui traduire dans notre droit.

Le droit n’impose ni statu quo ni évolution ; nous ne sommes pas obligés d’autoriser les femmes, seules ou en couple, à avoir accès à la PMA, mais nous sommes devant un choix politique, au sens noble de ce terme, celui du projet collectif.

J’entendais le président Retailleau condamner le libéralisme qui sous-tendrait ce texte.

M. Bruno Retailleau. Je n’étais pas le seul : de votre côté de l’hémicycle, certains ont dit la même chose !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’aurais aimé que la même fougue se manifeste de votre côté pour combattre le libéralisme dans bien d’autres domaines ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) C’est bien ainsi que cela se passe dans votre camp.

Si l’histoire est un processus de changement lent et profond des organisations sociales et des consciences, chacun sait qu’elle est constituée de points de bascule, de changements de configuration sociale. Monsieur le président Retailleau, c’est ce que vous appelez le choc entre deux modèles, la maximisation des possibles. Votre candidat aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, parlait d’une « logique nouvelle » qui « sera notre malédiction ».

M. Julien Bargeton. Ce fut la sienne, finalement…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je me permets de vous le rappeler, l’adoption est aujourd’hui possible pour les couples homosexuels. Elle l’est pour les personnes seules depuis 1966. Le recours au tiers donneur pour la procréation ne date pas d’hier : depuis 1973, des dizaines de milliers d’enfants sont nés ainsi, au rythme d’environ mille par an.

Ce progrès de l’AMP a été encadré par un corpus législatif dont le modèle est toujours calqué sur la procréation naturelle et qui rend le don invisible, au profit d’une fiction organisée par la loi. Il faut faire comme si le père était le géniteur, au prix d’un secret de famille délibéré.

M. Bernard Jomier, rapporteur. C’est très juste.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Combien, dans cet hémicycle, ont eu recours à ce procédé ? Combien l’ont assumé devant leurs enfants ? Jamais la vérité ne doit leur être dévoilée ! Les enfants sont bien évidemment nés d’un papa et d’une maman, et le secret est ainsi instauré dans la famille, au détriment de la construction de l’enfant, qui vit dans la méconnaissance totale de son origine.

En 2013, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe – j’imagine que certains ici y étaient opposés – a permis que deux femmes ou deux hommes puissent adopter et constituer famille. Les familles monoparentales, recomposées, homoparentales n’avaient d’ailleurs pas attendu cette loi pour exister. Il nous faut donc faire évoluer notre droit. De même, les femmes seules ou en couple n’ont pas attendu que leur soit accordé le droit à l’AMP pour enfanter : elles y ont déjà recours, mais hors du cadre institutionnel et national.

Pourquoi reconnaître à l’homme la possibilité d’être père alors qu’il n’en a pas la capacité biologique et ne pas permettre à la femme d’avoir recours à la PMA avec tiers donneur ? Pourquoi obliger des femmes à se rendre à l’étranger pour cela ? Pourquoi leur refuser la prise en charge par la sécurité sociale ? Pourquoi soutenir cette inégalité de fait entre deux parties du genre humain ?

Je l’ai dit, plusieurs centaines d’enfants naissent par PMA avec tiers donneur chaque année. J’entends l’argument avancé par Muriel Jourda dès le début de nos travaux, celui de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais comment prétendre que ces enfants seraient programmés pour le malheur, au seul motif de l’absence d’un père, comme si la présence de celui-ci était l’assurance du bonheur,…

M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas tout à fait cela que nous disons…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … comme si ces femmes n’avaient ni frères, ni père, ni fils, parfois ? Pourquoi refuser des projets parentaux qui, eux, apportent la certitude de l’amour pour l’enfant ? Faites le deuil de la famille idéale, constituée du papa, de la maman et des enfants, car elle n’existe plus. Nous sommes déjà passés à autre chose.

Jean-Luc Mélenchon (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et UC.), que je n’ai pas pour habitude de citer, l’a dit de manière brillante : « la filiation […] est un fait social » et « le rapport entre parents et enfants est un rapport social ». Je suggère à notre collègue Loïc Hervé de lire le texte de cette intervention avant d’exprimer son hostilité !

M. Loïc Hervé. Lire Mélenchon ? J’ai mieux à faire !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Aujourd’hui, nous subissons des pressions, comme nos prédécesseurs en avaient subi lors du vote de la loi Veil. À l’instant, dans l’hémicycle, j’ai reçu un courrier d’une association faisant pression sur les parlementaires.

M. David Assouline. C’est scandaleux !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je vous le dis à tous : les Français sont prêts, résistez aux pressions, ce sera votre honneur ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Bonne. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de la commission spéciale, les débats ont été nourris, de grande qualité et respectueux des points de vue des uns et des autres.

Je ne m’en suis pas caché, je suis contre l’extension de l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Pour autant, je suis favorable à plusieurs dispositions contenues dans les titres II, III et IV, relatives à la diffusion de nouveaux progrès scientifiques et technologiques et en lien avec la médecine génomique.

C’est là, pour plusieurs d’entre nous, que réside la difficulté : il n’est pas aisé de se prononcer d’une même voix sur l’ensemble d’un texte qui comprend à la fois des articles relevant davantage de questions sociétales et d’autres fixant de nouvelles règles pour tenir compte des avancées scientifiques.

Si ce projet de loi est adopté, j’espère que seront maintenues certaines des modifications substantielles introduites par la commission spéciale du Sénat et tendant à encadrer et à sécuriser certaines des dispositions votées à l’Assemblée nationale.

Je partage maintes observations formulées par Mme Muriel Jourda, et je voudrais ici m’attarder sur le titre Ier et sur les conséquences, du point de vue de l’enfant, de l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Car le grand absent de ce projet de loi, c’est bien l’enfant : on évoque le donneur, les receveuses, les gamètes, l’enfant devenu majeur qui demandera à connaître l’identité du donneur, mais rien n’est dit des conditions et de l’impact de sa venue au monde grâce à la science, non plus que de la façon dont il va se construire psychiquement et vivre entre 0 et 18 ans. Rien n’est dit quant à l’intérêt de l’enfant d’être privé de père. Le droit de l’enfant à avoir un père, posé par l’article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, est remplacé par le simple droit de connaître son donneur.

Or, si l’on peut comprendre le désir de maternité chez toute femme, quelle que soit sa situation, il faut aussi tenir compte du droit de l’enfant à avoir un père et une mère, dans la mesure du possible. Sur ce point, le projet de loi emporte une rupture d’égalité délibérée entre les enfants, qui n’est pas sans risque pour leur développement psychologique.

Certes, tous les cliniciens en pédopsychiatrie et les chercheurs en sciences sociales et médicales ne trouvent pas de raison particulière de s’opposer aux nouvelles formes de parentalité, et les études scientifiques nationales et internationales ne semblent pas, à ce jour, rapporter de différences significatives et d’impact avéré sur le devenir de l’enfant. Toutefois, ces données ne sont guère convaincantes sur le plan méthodologique, en termes de nombre de cas et de durée d’observation d’enfants n’ayant pas toujours atteint l’âge des questions existentielles.

Mes chers collègues, tout le monde s’accorde à reconnaître que les rôles des mères et des pères ne sont pas équivalents et qu’ils participent tous deux à la construction de l’identité de l’enfant. Dans le cas d’une AMP pour un couple de femmes, on peut supposer que la fonction du père pourrait être exercée en alternance, ou plus probablement par celle qui n’aura pas porté l’enfant. Il conviendrait d’être vigilant sur cette question de l’altérité dans le cas de femmes seules. L’enjeu, pour l’enfant issu d’une AMP, est donc l’élaboration imaginaire de la figure paternelle, nécessaire à sa construction identitaire.

En permettant l’accès aux origines, ce projet de loi recourt à une logique du parent et du donneur. La levée de l’anonymat situe chacun à sa place et permet à chacun des contributeurs aux origines de l’enfant de jouer pleinement son rôle de support d’identification. Cependant, si ouvrir l’accès aux données non identifiantes du donneur pourrait être une mesure satisfaisante, j’observe que, dans la très grande majorité des cas, les enfants nés d’une AMP ne cherchent pas à connaître l’identité du donneur.

Mes chers collègues, la politisation des questions bioéthiques et leur inscription dans le champ de la revendication d’égalité de droits entre tous empêchent d’en penser les enjeux pour l’enfant et seulement pour lui. Sylviane Agacinski le dit très bien : tout est justifié au nom des intérêts individuels et des demandes sociétales, que le droit est sommé de ne pas entraver.

Bien que le Gouvernement nous assure du contraire, je crains que l’application du raisonnement « égalitaire » dans des champs où il ne devrait pas intervenir n’amène tôt ou tard à encadrer également la demande des hommes seuls ou en couple par des techniques et des lois.

C’est la raison pour laquelle, et bien que je salue un grand nombre de dispositions contenues dans les titres du projet de loi autres que le titre Ier, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Mme Agnès Buzyn ne pouvait rester parmi nous ; elle m’a chargé de vous prier de bien vouloir l’excuser.

M. David Assouline. Nous ne l’excusons pas !

Rappel au règlement

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article additionnel avant le titre Ier - Amendements n° 15 rectifié septies et n° 93 rectifié

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement.

M. Bruno Retailleau. Il est d’usage que le Gouvernement réponde au terme de la discussion générale : pourquoi ce texte, dont nous reconnaissons tous l’importance particulière, ferait-il exception ? Deux membres du Gouvernement sont présents : je suis certain que Mme la garde des sceaux ou M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ont à cœur de répondre à nos interpellations. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue, mais les ministres n’ont pas souhaité répondre à l’issue de la discussion générale.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi relatif à la bioéthique

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article additionnel avant le titre Ier - Amendement n° 14 rectifié sexies

Articles additionnels avant le titre Ier

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 15 rectifié septies est présenté par Mme Noël, MM. Bascher, Bonhomme, Danesi, Morisset, Vial et Mayet, Mme Lamure et MM. Retailleau, H. Leroy, Chevrollier et Gremillet.

L’amendement n° 93 rectifié est présenté par MM. Mizzon, Canevet, Cazabonne, Détraigne et L. Hervé, Mme Herzog et M. Masson.

L’amendement n° 163 est présenté par M. Meurant.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

I. – Avant le titre Ier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

En matière de bioéthique, un principe de précaution s’applique.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Titre …

Du principe de précaution

La parole est à Mme Sylviane Noël, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié septies.

Mme Sylviane Noël. Selon le professeur Bertrand Mathieu, « la liberté de la recherche est aujourd’hui très largement invoquée pour que soient écartés les obstacles que le droit pose pour protéger l’être humain face à “l’appétit” des chercheurs. Or, le principe de la liberté des chercheurs ne porte aucun caractère absolu. Il doit être concilié avec d’autres principes, voire écarté quand est en cause la substance même du principe de dignité ». Il appartient donc à la science de dire ce qui est et au législateur de fixer des règles et des principes qui doivent encadrer cette recherche pour protéger les individus.

Alors que le principe de précaution est consacré en matière de droit de l’environnement depuis la loi Barnier du 2 janvier 1995, il n’y est nullement fait référence en matière de droit de la bioéthique, puisque aucun texte de droit français n’affirme que ce champ est soumis à ce principe.

Il est pourtant largement admis que l’intérêt des générations futures doit être pris en compte. L’alinéa 12 du préambule de la convention d’Oviedo de 1997 indique que « les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures ». Consciente que les décisions portant sur les questions éthiques que posent la médecine, les sciences de la vie et les technologies associées peuvent avoir un impact sur les individus, les familles, les groupes ou communautés et sur l’humanité tout entière, l’Unesco a souhaité affirmer, dans la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme du 19 octobre 2005, que « l’incidence des sciences de la vie sur les générations futures […] devrait être dûment prise en considération ».

L’application du principe de précaution connaît aujourd’hui un développement hors du terrain du droit de l’environnement stricto sensu. En France, ce principe a été introduit dans la Constitution par l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004. S’agissant de son champ d’application, l’article 5 vise exclusivement un dommage affectant l’environnement. Cependant, le Conseil constitutionnel pourrait tirer du texte constitutionnel la reconnaissance d’un principe général de précaution susceptible de s’appliquer dans d’autres domaines, d’autant que l’article 1er de la charte précitée lie l’environnement et la santé.

Dès lors, il est tout à fait opportun de préciser dans la loi que la bioéthique est soumise au principe de précaution.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 93 rectifié.

M. Loïc Hervé. Il est défendu.

M. le président. L’amendement n° 163 n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Le principe de précaution est un principe non pas d’abstention, mais d’action, qui oblige « à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». À mon sens, cela ne correspond pas tout à fait à ce que souhaitent les auteurs de ces amendements.

En revanche, les principes de bioéthique eux-mêmes permettent de garantir les précautions dont nous devons nous entourer, s’agissant des lois relatives à la science. Il me semble donc que nous pouvons nous passer de l’inscription du principe de précaution dans le présent texte.

L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis que Mme la rapporteure vient d’énoncer.

Il me semble, en outre, que l’inscription du principe de précaution relève davantage, en l’espèce, du niveau constitutionnel que du niveau législatif. Il en fut d’ailleurs ainsi en matière environnementale.

De surcroît, dans le cadre d’une loi bioéthique, la notion même de précaution peut susciter des interrogations. Mme la rapporteure l’a rappelé, l’application du principe de précaution recouvre la mise en place à la fois d’un système d’évaluation et de mesures proportionnées et provisoires en cas d’atteintes graves et irréversibles. Or, en matière de bioéthique, nous pourrions nous interroger à l’infini sur ce qu’est une atteinte grave et irréversible. Il y a donc là une difficulté.

Enfin, la révision tous les cinq ans des lois bioéthiques me semble offrir au moins autant de garanties que l’inscription du principe de précaution dans le texte.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 rectifié septies et 93 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Article additionnel avant le titre Ier - Amendements n° 15 rectifié septies et n° 93 rectifié
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 128 rectifié bis

M. le président. L’amendement n° 14 rectifié sexies, présenté par Mme Noël, MM. Bascher, Bonhomme, Danesi, Morisset, Vial et Mayet, Mme Lamure et MM. H. Leroy, Chevrollier et Gremillet, est ainsi libellé :

I. – Avant le titre Ier

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le délai d’un an après l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport précisant la définition et les modalités d’application du principe de précaution en matière de bioéthique.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Titre …

Du principe de précaution

La parole est à Mme Sylviane Noël.

Mme Sylviane Noël. L’argumentaire est le même que pour l’amendement précédent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Les auteurs de cet amendement demandent un rapport sur l’application du principe de précaution, afin de préciser la définition et les modalités d’application de celui-ci.

Chacun connaît la jurisprudence du Sénat quant aux demandes de rapport au Gouvernement. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’oppose à cet amendement le même argumentaire qu’aux amendements précédents. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié sexies.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 161 n’est pas soutenu.

TITRE Ier

ÉLARGIR L’ACCÈS AUX TECHNOLOGIES DISPONIBLES SANS S’AFFRANCHIR DE NOS PRINCIPES ÉTHIQUES

Chapitre Ier

Permettre aux personnes d’exercer un choix éclairé en matière de procréation dans un cadre maîtrisé

Article additionnel avant le titre Ier - Amendement n° 14 rectifié sexies
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 37 rectifié quater

Articles additionnels avant l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 128 rectifié bis, présenté par MM. de Legge et Chevrollier, Mmes Noël, Bruguière, Thomas et Chain-Larché, MM. Schmitz, Morisset et Bonne, Mme Sittler, MM. de Nicolaÿ et Cuypers, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Mayet, Piednoir et Mandelli, Mme Lamure, MM. Bascher et B. Fournier, Mme Ramond et MM. Regnard, Longuet, Gilles, Pointereau, Leleux, H. Leroy, Meurant et Segouin, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant l’article 310 du code civil, il est inséré un article 310… ainsi rédigé :

« Art. 310.… – Nul n’a de droit à l’enfant. »

La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Au-delà des divergences d’appréciation que nous pouvons avoir sur ce texte, je veux croire que nous nous rejoignons sur le ce principe simple que l’enfant est un sujet de droit, et non un objet de droit.

Mme Buzyn a d’ailleurs déclaré tout à l’heure qu’il n’y aurait jamais de droit à l’enfant et vous-même, madame la garde des sceaux, avez indiqué que vous ne souhaitiez pas ouvrir le droit à la GPA.

L’adoption de cet amendement permettrait à mon sens de rassurer tout le monde, en mettant le texte en accord avec ces déclarations.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Effectivement, il m’a semblé entendre, lors de la discussion générale, que tout le monde était d’accord sur le fait qu’il n’existe pas de droit à l’enfant. Pour autant, la rédaction proposée laisse penser que ce droit existerait, mais que personne n’en est titulaire ; elle ne me paraît donc pas tout à fait adéquate.

Je vous propose donc de retirer cet amendement, mon cher collègue ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis de Mme la rapporteure. Tout le monde admet qu’il n’y a pas de droit à l’enfant. Le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur ce projet de loi, le réaffirme clairement, en expliquant que l’enfant est sujet de droit, et non objet de droit. Introduire dans le texte la rédaction proposée au travers de l’amendement limiterait par trop, à mon sens, les possibilités offertes en matière de liberté de procréation. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Je vais évidemment voter l’amendement présenté par M. de Legge. Ce qui va sans dire va mieux en le disant, et encore mieux en l’écrivant, dans un pays de droit écrit, même si le compte rendu intégral de nos débats restera et fera foi. Vous évoquez l’avis du Conseil d’État, madame la ministre, mais c’est le législateur qui fait la loi ! Le juge, administratif ou judiciaire, la met en application, mais il ne lui appartient pas de dire le droit.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. N’étant pas juriste, mais seulement parlementaire, je suis très embarrassé par cet amendement, qui a été rejeté en commission pour des raisons juridiques.

Madame la ministre, contrairement à beaucoup de membres de mon groupe, je voterai l’article 1er, mais je souhaite qu’il soit très encadré. Pour cette raison, je voterai également un certain nombre d’amendements déposés par mes collègues visant à éviter d’éventuelles dérives.

Certes, ce texte ne concerne pas la GPA, mais pourquoi ne pas inscrire dans la loi que le droit à l’enfant, en tant que tel, n’existe pas, puisque vous dites vous-même que tout le monde est d’accord sur ce point ? Il faut avancer sur la PMA, mais en l’encadrant, car le doute et la suspicion sont toujours mauvais et posent problème.

Je suis favorable à l’article 1er, mais je ne suis pas pour le droit à l’enfant. Inscrivons clairement dans le texte que le droit à l’enfant n’existe pas : il ne faudrait pas laisser supposer que, par la suite, on pourrait envisager un jour l’autorisation de la GPA. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je souhaite simplement que nous ne nous fermions pas la possibilité d’interpeller, au cours de la navette parlementaire, nos excellents collègues de l’Assemblée nationale pour les conduire à se prononcer sur le droit à l’enfant. En adoptant le présent amendement, nous soutiendrons en outre votre propre position, madame le garde des sceaux, puisque vous nous dites que personne ne reconnaît l’existence d’un droit à l’enfant. Un tel vote positif du Sénat amènera l’Assemblée nationale à s’exprimer dans le même sens. La rédaction pourra ensuite être revue pour l’adapter à des principes plus généraux, en particulier d’ordre constitutionnel.

Pour l’heure, je propose d’adopter cet amendement. Cela permettra au moins que le débat ne soit pas enterré dès le début d’une procédure qui a vocation à faire dialoguer les deux assemblées. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je suis fatigué d’entendre invoquer le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel ou autre conseil machin pour nous enjoindre de nous taire ! (M. Roger Karoutchi rit.) En principe, nous sommes ici pour faire la loi –mais je sais bien que, bientôt, nous ne pourrons plus parler… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Yvon Collin applaudit également.)

Chacun sait que l’on ne sort jamais de l’ambiguïté qu’à son détriment. Or, des ambiguïtés, ce texte en comporte quelques-unes, ainsi que l’on aura l’occasion de le voir ! Je voterai cet amendement. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.

M. Michel Amiel. N’étant pas plus juriste que M. Karoutchi, mais seulement médecin, j’avoue être moi aussi embarrassé par l’amendement de notre collègue de Legge. Nous n’avons pourtant pas toujours été d’accord sur les textes de cette nature ; je me rappelle en particulier nos débats sur le sujet de la fin de vie.

J’ai été pendant quinze ans chargé de la protection de l’enfance, de la protection maternelle et infantile et des questions d’adoption au conseil général des Bouches-du-Rhône. Lorsque je rencontrais des couples désireux d’adopter un enfant, je leur disais toujours que l’adoption n’était pas un droit, mais qu’elle relevait de la protection de l’enfance.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Michel Amiel. Il m’arrivait parfois d’être provocateur en ajoutant qu’avoir un enfant n’est pas nécessairement l’étape devant suivre l’acquisition d’une maison et d’une voiture. Ça ne marche pas comme ça ! (M. David Assouline proteste.)

Puisque tout le monde est d’accord pour dire que le droit à l’enfant n’existe pas, écrivons-le dans la loi : je voterai cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je prie M. Karoutchi de m’en excuser, mais je suis juriste et je ferai donc des observations de juriste…

Va-t-on construire notre droit en édictant des interdits qui ne sont pas posés ?

M. Loïc Hervé. Cela arrive parfois !

M. Jacques Bigot. Personne n’a indiqué que le droit à l’enfant serait mentionné dans la loi. À quoi bon faire la liste des droits que l’on n’a pas ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je comprends l’émotion de ceux qui ont l’impression que, derrière le désir d’enfant, il y a le droit à l’enfant, mais j’ai moi-même dit, au nom de mon groupe, qu’il n’existe pas de droit à l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant, c’est ce qui vient lorsque l’enfant est là, mais pas au moment de sa conception par les parents ou de l’élaboration du projet parental. Indiquer dans la loi qu’il n’y a pas de droit à l’enfant peut conduire à toute une série d’autres débats. Ainsi, lorsque dans le cadre d’un divorce un parent revendique la garde de son enfant, va-t-on bientôt invoquer, monsieur le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, l’absence de droit à l’enfant ? Cela ne tient absolument pas ! Légiférer ainsi me paraît aberrant. Ce n’est pas en inscrivant dans le code civil qu’il n’y a pas de droit à l’enfant que l’on empêchera la PMA de prospérer, monsieur Amiel. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Pourquoi faire, en ce début de débat, un procès d’intention à ceux qui défendent la PMA ? Personne ici n’a déposé un amendement visant à affirmer un droit à l’enfant ou développé une argumentation en ce sens !

L’amendement préventif dont nous discutons semble justifier ce procès d’intention et préempte le débat sur l’article 1er. L’adopter serait une façon d’acter une victoire idéologique par la bande, alors que personne, dans l’hémicycle, ne défend l’existence d’un droit à l’enfant. Pourquoi inscrire dans la loi que ce droit n’existe pas, sauf à vouloir donner à penser que le débat serait entre ceux qui sont pour le droit à l’enfant et ceux qui sont contre ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Mais non…

M. David Assouline. Tel n’est pas le cas !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. La France a signé la convention d’Oviedo et la Convention internationale des droits de l’enfant, qui toutes deux proclament l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. Bruno Retailleau. Cet amendement, comme celui que défendra ensuite notre collègue Guillaume Chevrollier, a simplement pour objet de rappeler un principe fondamental à nos yeux : l’enfant est une personne, et l’intérêt de l’enfant doit être préservé.

M. David Assouline. Quel rapport ?

M. Bruno Retailleau. C’est ce que nous entendons inscrire dans la loi ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 128 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.) – (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 128 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 144 rectifié bis

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 1er.

L’amendement n° 37 rectifié quater, présenté par M. Chevrollier, Mmes Chain-Larché, Thomas, Gruny et Bruguière, M. Morisset, Mme Troendlé, MM. Danesi, Bonne, Chaize, Cardoux, Vaspart et Cuypers, Mme Lamure, MM. B. Fournier, Pointereau, Longuet, Regnard, H. Leroy, Meurant et Bascher, Mme Micouleau et M. Segouin, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 8 du code civil, il est inséré un article 8-… ainsi rédigé :

« Art. 8-. – La loi garantit la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Le projet de loi, tel qu’il est présenté aujourd’hui, vise à transformer en profondeur la filiation. Il nous engage collectivement et, en créant de nouveaux droits, il engage la responsabilité de la société tout entière à l’égard des enfants, qui sont les premiers concernés par ce texte.

Il n’y a pas que les désirs des grands, il y a aussi l’intérêt de l’enfant, et cet intérêt est supérieur, dans la mesure où l’enfant est un sujet de droit vulnérable.

Il semble ainsi fondamental de rappeler en préambule de ce texte que c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer. Trop souvent, nous faisons évoluer les lois en écoutant une partie de la population – les adultes –, sans prendre le soin d’écouter suffisamment les enfants, qui ont des droits. Ces derniers ne peuvent être assujettis au désir des parents, fussent-ils généreux.

Cet amendement a donc pour objet de consacrer, dans la loi française, le concept de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est déjà gravé dans des textes internationaux. Ainsi, la Convention internationale des droits de l’enfant dispose que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

C’est une justice non pas de contrats, mais d’éthique et de fraternité, promouvant avant tout la dignité de l’enfant, que nous devons défendre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’ai une horrible prémonition : ce que je vais dire risque de ne pas être accepté, notamment par M. Collombat…

Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est déjà entériné dans la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE). Il a également valeur constitutionnelle, puisque le Conseil constitutionnel a reconnu l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Intégrer ce principe dans le code civil n’aurait donc qu’une portée symbolique, puisqu’il figure déjà dans notre hiérarchie juridique aux niveaux constitutionnel et supraconstitutionnel, bien supérieurs à celui de la loi.

En outre, la rédaction de cet amendement ne me paraît pas tout à fait conforme à ce qui est d’ores et déjà prévu dans les textes que j’ai cités. En effet, la CIDE fait référence à une « considération primordiale », et l’amendement à une « primauté ». La distinction peut paraître bénigne, mais elle ne l’est pas. En réalité, le concept de primauté implique que nous prendrons toujours l’intérêt supérieur de l’enfant comme critère unique de choix, sans essayer de le mettre en balance avec d’autres. Or tel n’est pas le cas aujourd’hui dans la jurisprudence. Les termes de « considération primordiale » signifient précisément, en revanche, que cet intérêt peut être mis en balance avec d’autres.

L’adoption de cet amendement ne permettrait donc pas de transposer exactement ce à quoi nous nous sommes engagés par la convention internationale ni ce que nous indique le Conseil constitutionnel.

La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de Mme la rapporteure.

Cela a été dit, les conventions internationales mentionnent déjà l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 375-1 de notre code civil, que nous connaissons bien pour avoir eu l’occasion de l’évoquer lors de l’examen d’autres textes, dispose que le juge se prononce « en stricte considération de l’intérêt de l’enfant ».

Par ailleurs, Mme la rapporteure l’a dit, dans une décision récente relative aux tests osseux, le Conseil constitutionnel fait très clairement découler l’intérêt supérieur de l’enfant des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 : « Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

Nous avons donc là plusieurs instruments juridiques montrant que cet intérêt est pris en compte. Il ne me semble pas utile d’adopter les dispositions proposées. Pour cette raison, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Selon moi, le vote de l’amendement précédent a une très forte portée symbolique : nous venons d’inscrire dans la loi qu’il n’existe pas de droit à l’enfant, ce n’implique pas nécessairement que nous soyons opposés à la PMA – j’ai déjà indiqué que je voterai l’article 1er.

L’adoption du présent amendement, visant à affirmer l’intérêt supérieur de l’enfant, ne conduirait-elle pas à affadir celle de l’amendement affirmant qu’il n’y a pas de droit à l’enfant ? J’invite les auteurs de l’amendement n° 37 rectifié quater à y réfléchir. S’ils le maintiennent, je le voterai, mais, selon moi, s’en tenir à l’amendement n° 128 rectifié bis permettrait au Sénat d’envoyer un message beaucoup plus fort.

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.

M. Michel Amiel. Je partage l’avis de mon collègue Karoutchi. Cela a été dit, cette notion est déjà présente dans des textes de niveau supérieur, en particulier dans la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Selon moi, adopter cet amendement serait complètement redondant et aurait pour conséquence d’amoindrir la portée de notre précédent vote. C’est la raison pour laquelle je ne le voterai pas.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Au-delà des explications données à la fois par Mme la garde des sceaux et Mme la rapporteure sur le caractère superfétatoire de l’inscription dans la loi d’un principe ayant déjà valeur supraconstitutionnelle et constitutionnelle, je m’interroge sur la cohérence des auteurs des amendements.

Je comprends bien que leur objectif est de créer le maximum d’obstacles préalables à l’article 1er, en disant et en répétant qu’un certain nombre de sénateurs – nous verrons tout à l’heure combien – sont hostiles à l’élargissement de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, mais où est la cohérence avec leurs propos et positions antérieurs ? Mes chers collègues, vous affirmez aujourd’hui être très attachés à l’« intérêt supérieur » de l’enfant. Pour ma part, je parlerais plutôt de « meilleur intérêt » de l’enfant, le terme exact étant « the best interest », qui implique qu’il peut y avoir plusieurs intérêts à prendre en compte. Le rôle du juge ou de la loi est d’arbitrer entre divers intérêts de l’enfant ou entre les intérêts de plusieurs enfants, par exemple au sein d’une fratrie, qui peuvent être contradictoires. Si vous affirmez avec autant de force l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est en fait par opposition à la liberté des parents et, le plus souvent, à la liberté des femmes. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Cela étant, les signataires de cet amendement étaient les plus réticents, les plus hostiles à ce que nous votions une loi interdisant d’infliger des punitions corporelles aux enfants. Si vous êtes si attachés à l’intérêt supérieur de l’enfant, pourquoi avez-vous refusé la proposition de nos collègues communistes de créer une délégation parlementaire aux droits de l’enfant ? L’affirmation de votre attachement aux droits de l’enfant n’est que manipulation, votre objectif étant, en réalité, de vous en prendre aux libertés des femmes ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Cet amendement est tout à fait intéressant. S’il est adopté, que ferez-vous lorsque nous traiterons de l’article 47 du code civil et de la transcription dans les actes d’état civil des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger, notamment aux États-Unis, à la suite d’une GPA ? En effet, c’est sur le fondement même de l’intérêt supérieur de l’enfant que la Cour de cassation, dans sa décision du mois de décembre et lors de son assemblée plénière du 4 octobre dernier, a estimé que ces actes devaient être transcrits. Je vous invite à la plus grande prudence, car tout cela n’est pas logique ! Si cet amendement est adopté, nous vous en reparlerons plus tard…

En outre, sur un plan simplement juridique, il est inutile de redire dans la loi ce qui figure déjà dans les conventions internationales et la Constitution.

M. le président. Monsieur Chevrollier, l’amendement n° 37 rectifié quater est-il maintenu ?

M. Guillaume Chevrollier. Affirmer le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant a valeur symbolique, le texte dont nous commençons l’examen ayant de nombreuses incidences.

Compte tenu de l’adoption de l’amendement n° 128 rectifié bis, qui réaffirme l’absence de droit à l’enfant, je retire cet amendement.

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 37 rectifié quater
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 1er

M. le président. L’amendement n° 37 rectifié quater est retiré.

L’amendement n° 144 rectifié bis, présenté par M. H. Leroy, Mme Noël, MM. Guerriau et Meurant et Mmes Loisier, Bonfanti-Dossat et Thomas, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 8 du code civil, il est inséré un article 8-… ainsi rédigé :

« Art. 8-. – L’enfant a droit à la protection. La loi lui assure l’interdiction de toute atteinte à sa dignité, à son intégrité physique et morale et garantit spécialement le respect qui est dû à sa personne. »

La parole est à M. Henri Leroy.

M. Henri Leroy. La médecine est faite pour soigner et guérir, et non pour satisfaire des désirs. Le texte du Gouvernement vise non seulement à instituer une sorte de « droit » à l’enfant, mais aussi à créer délibérément des orphelins de père. Je m’oppose donc fermement à ce projet de loi, qui a pour seul objet de satisfaire à tout prix un désir d’enfant.

Chers collègues, vous l’aurez compris, je suis, comme M. de Legge, contre le droit à l’enfant, mais très favorable aux droits de l’enfant. D’ailleurs, les textes internationaux invitent à protéger l’enfant et à tenir son intérêt supérieur pour une considération primordiale, comme l’a précisé M. Retailleau. La référence à l’intérêt supérieur de l’enfant dans ces traités renvoie à l’objectif de protection de l’enfant à l’échelle internationale.

L’amendement de M. de Legge ayant été adopté, je retire le mien.

M. le président. L’amendement n° 144 rectifié bis est retiré.

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 144 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Rappel au règlement

Article 1er

I. – Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 2141-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple formé d’un homme et d’une femme dont le caractère pathologique est médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

« II. – Les demandeurs doivent consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.

« Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons :

« 1° Le décès d’un des membres du couple ;

« 2° L’introduction d’une demande en divorce ;

« 3° L’introduction d’une demande en séparation de corps ;

« 4° La signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;

« 5° La cessation de la communauté de vie ;

« 6° La révocation par écrit du consentement prévu au premier alinéa du présent II par l’un ou l’autre des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation.

« L’accès à l’assistance médicale à la procréation est possible selon des conditions d’âge encadrées par une recommandation de bonnes pratiques fixée par arrêté du ministre en charge de la santé après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître. » ;

1° bis (nouveau) Après le même article L. 2141-2, il est inséré un article L. 2141-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-2-1. – Tout couple formé de deux femmes ou toute femme non mariée répondant aux conditions prévues au II de l’article L. 2141-2 a accès à l’assistance médicale à la procréation selon les modalités prévues au présent chapitre. » ;

1° ter L’article L. 2141-3 est ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-3. – Un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d’une assistance médicale à la procréation telle que définie à l’article L. 2141-1.

« Compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons, dans l’intention de réaliser ultérieurement leur projet parental. Dans ce cas, ce nombre est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation compte tenu du procédé mis en œuvre. Une information détaillée est remise aux membres du couple ou à la femme non mariée sur les possibilités de devenir de leurs embryons conservés qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental ou en cas de décès de l’un des membres du couple.

« Les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons non susceptibles d’être transférés ou conservés fassent l’objet d’une recherche dans les conditions prévues à l’article L. 2151-5.

« Un couple ou une femme non mariée dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci, sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. » ;

2° Les articles L. 2141-5 et L. 2141-6 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-5. – Les deux membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple ou une autre femme non mariée dans les conditions prévues à l’article L. 2141-6, y compris, s’agissant des deux membres d’un couple, en cas de décès de l’un d’eux.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée sont informés des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’accueil d’embryons, notamment des dispositions de l’article L. 2143-2 relatives à l’accès des personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur.

« Art. L. 2141-6. – Un couple ou une femme non mariée répondant aux conditions prévues au II de l’article L. 2141-2 peut accueillir un embryon.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent préalablement donner leur consentement devant notaire à l’accueil de l’embryon. Les conditions et les effets de ce consentement sont régis par l’article 342-10 du code civil.

« Le couple ou la femme non mariée accueillant l’embryon et le couple ou la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon ne peuvent connaître leurs identités respectives.

« En cas de nécessité médicale, un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes concernant le couple ou la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon, au bénéfice de l’enfant.

« Aucune contrepartie, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée au couple ou à la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon.

« L’accueil de l’embryon est subordonné à des règles de sécurité sanitaire. Ces règles comprennent notamment des tests de dépistage des maladies infectieuses.

« Seuls les établissements publics ou privés autorisés à cet effet peuvent conserver les embryons destinés à être accueillis et mettre en œuvre la procédure d’accueil. » ;

3° L’article L. 2141-7 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Elle est également mise en œuvre dans les cas prévus à l’article L. 2141-2-1.

« Une étude de suivi peut être proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit. » ;

4° Les articles L. 2141-9 et L. 2141-10 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-9. – Seuls les embryons conçus dans le respect des principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil et des dispositions du présent titre peuvent entrer sur le territoire où s’applique le présent code ou en sortir. Ces déplacements d’embryons sont exclusivement destinés à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés. Ils sont soumis à l’autorisation préalable de l’Agence de la biomédecine.

« Art. L. 2141-10. – La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation est précédée d’entretiens particuliers de la femme ou du couple demandeur avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire du centre, composée notamment d’un psychiatre ou psychologue spécialisé en psychiatrie ou psychologie de l’enfant et de l’adolescent, le cas échéant extérieur au centre. L’équipe fait appel, en tant que de besoin, à un professionnel inscrit sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 411-2 du code de l’action sociale et des familles.

« Le ou les médecins de l’équipe mentionnée au premier alinéa du présent article doivent :

« 1° S’assurer de la volonté des deux membres du couple à poursuivre leur projet parental par la voie de l’assistance médicale à la procréation, après leur avoir dispensé l’information prévue au 3° et leur avoir rappelé les possibilités ouvertes par la loi en matière d’adoption ;

« 2° Procéder à une évaluation médicale, psychologique et, en tant que de besoin, sociale, des deux membres du couple ou de la femme non mariée ;

« 3° Informer complètement et au regard de l’état des connaissances scientifiques les deux membres du couple ou la femme non mariée des possibilités de réussite ou d’échec des techniques d’assistance médicale à la procréation, de leurs effets secondaires et de leurs risques à court et à long termes ainsi que de leur pénibilité et des contraintes qu’elles peuvent entraîner ;

« 4° Lorsqu’il s’agit d’un couple, informer celui-ci de l’impossibilité de réaliser un transfert des embryons conservés en cas de rupture du couple ainsi que des dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du couple ;

« 5° Remettre aux deux membres du couple ou à la femme non mariée un dossier-guide comportant notamment :

« a) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’assistance médicale à la procréation ;

« b) Un descriptif de ces techniques ;

« c) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’adoption ainsi que l’adresse des associations et organismes susceptibles de compléter leur information à ce sujet ;

« d) Des éléments d’information sur l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don ainsi que la liste des associations et organismes susceptibles de compléter leur information sur ce sujet.

« Le consentement du couple ou de la femme non mariée est confirmé par écrit à l’expiration d’un délai de réflexion d’un mois à compter de la réalisation des étapes mentionnées aux 1° à 5°.

« L’assistance médicale à la procréation est subordonnée à des règles de sécurité sanitaire.

« Elle ne peut être mise en œuvre par le médecin ayant par ailleurs participé aux entretiens prévus au premier alinéa du présent article lorsque la femme non mariée ou le couple demandeur ne remplissent pas les conditions prévues au présent titre ou lorsque ce médecin, après concertation au sein de l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, estime qu’un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire à la femme non mariée ou au couple demandeur dans l’intérêt de l’enfant à naître.

« Le couple ou la femme non mariée qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le code civil, leur consentement à un notaire.

« La composition de l’équipe clinicobiologique mentionnée au premier alinéa est fixée par décret en Conseil d’État. »

bis (nouveau). – L’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale est complété par un 9° ainsi rédigé :

« 9° La couverture des frais relatifs aux actes et traitements liés à l’assistance médicale à la procréation réalisée en application du I de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique. »

II. – L’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 12° est ainsi rédigé :

« 12° Pour les investigations nécessaires au diagnostic et au traitement de l’infertilité ; »

2° Après le 25°, il est inséré un 26° ainsi rédigé :

« 26° Pour l’assistance médicale à la procréation réalisée, en application du I de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. »

III. – (Supprimé)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. S’agissant notamment de l’extension de l’AMP, nous arrivons tous avec des avis, des opinions fondés sur des éléments que l’on peut parfois entendre, mais qui sont en fait totalement en décalage avec la réalité.

Cela a souvent été dit, l’opinion publique aurait déjà tranché l’affaire, en indiquant, par le biais de sondages, qu’elle était favorable à l’extension de l’AMP. Cependant, si les sondages indiquent effectivement que plus de 60 % des personnes sondées sont favorables à l’extension de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, ils nous apprennent également que plus de 80 % d’entre elles estiment qu’un enfant a besoin d’un père et d’une mère… En réalité, je pense que les Français sont attentifs aux souhaits de ces femmes et estiment leur désir respectable, mais ils sont également soucieux du devenir des enfants. Nous ne pouvons donc tirer aucune conséquence des sondages.

On a aussi beaucoup employé les mots d’égalité et de discrimination, qui recouvrent des notions juridiques. La discrimination, c’est le fait de traiter différemment des gens qui se trouvent dans des situations différentes. Face à la procréation, les couples de femmes ne sont pas dans la même situation que les couples hétérosexuels. Ce n’est pas moi qui le dis : c’est la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Cette question de droit a été tranchée et cela figure dans l’étude d’impact du Gouvernement de façon tout à fait explicite.

Dans les médias, le débat est souvent quelque peu caricaturé : il y aurait d’un côté les tenants du progrès et de la modernité, de l’autre de vils conservateurs.

Je voudrais rappeler le travail accompli par le Parlement depuis des dizaines d’années : il a adopté l’exercice conjoint de l’autorité parentale, la résidence alternée, le congé de paternité, le congé parental. À chaque fois, les débats ont été motivés par l’intérêt de l’enfant, qui est notamment que le père soit le plus présent possible dans sa vie. Il n’a donc pas toujours été considéré qu’accorder une grande importance à la présence du père dans la vie de l’enfant procédait d’une vision conservatrice.

Dans ce débat, nous devons, me semble-t-il, nous défaire d’un certain nombre d’idées reçues, afin de pouvoir faire la part des choses entre l’intérêt de la société et les droits individuels, ainsi qu’entre l’intérêt de femmes qui souhaitent, de façon légitime, avoir un enfant et l’intérêt des enfants à naître. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. René Danesi, sur l’article.

M. René Danesi. Le projet de loi relatif à la bioéthique vise à inscrire dans le marbre du droit l’une des trop nombreuses promesses de campagne du Président de la République, à savoir l’élargissement de l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules.

Pour faire bonne mesure, les députés ont bien précisé que la PMA ne peut faire l’objet d’aucune « différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des personnes ».

Dans sa hâte à légiférer dans le sens « progressiste », l’Assemblée nationale a laissé au Sénat le soin de réintroduire dans le texte la situation pathologique ouvrant aujourd’hui accès à la PMA, afin que ce critère puisse continuer à s’appliquer aux couples hétérosexuels obligés d’y recourir pour cause d’infertilité.

Toujours pour faire bonne mesure, l’Assemblée nationale a décidé la prise en charge de la PMA par la sécurité sociale, quels que soient les demandeurs et leurs motivations. On dérembourse l’homéopathie à cause d’un prétendu manque d’efficacité, mais on rembourse la PMA non thérapeutique, c’est-à-dire pour convenance personnelle. Il appartiendra au Sénat, sur l’initiative de la commission spéciale, d’exclure le remboursement pour les couples hétérosexuels fertiles, les couples de femmes et les femmes seules.

Reste le problème de fond : soumettre l’engendrement par PMA d’un être humain à un simple projet parental est discutable ; la légalisation de la filiation volontairement sans père est invraisemblable. Dans notre société si éprise d’égalité et de justice, comment ne pas voir l’injustice infligée à des enfants qui n’auront pas de lignée paternelle ? Telle est la raison pour laquelle je voterai pour la suppression de l’article 1er.

Il y a aussi le spectre de la gestation pour autrui. À chaque fois, le Gouvernement proclame haut et fort que l’« avancée sociétale » qu’il veut faire voter sera la dernière. Mais après le PACS, on a eu le mariage pour tous…

C’est ainsi que la GPA est déjà en marche. En octobre dernier, la Cour de cassation a reconnu aux partenaires d’un couple d’hommes le droit d’être tous les deux inscrits à l’état civil français comme parents d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. La philosophe de gauche Sylviane Agacinski a déclaré au Sénat que cet arrêt de la Cour de cassation était « le cheval de Troie des partisans de la GPA en France ».

C’est pourquoi, malgré les améliorations que le Sénat apportera à ce projet de loi, je voterai contre, car il porte en germe, pour demain, la marchandisation du corps des femmes des pays pauvres, et, pour après-demain, l’eugénisme, c’est-à-dire la sélection d’enfants parfaits.

II y a plus de quatre siècles, Michel de Montaigne écrivait déjà, dans ses Essais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. S’il est des dispositions de ce projet de loi qui m’ont amenée à m’interroger, à douter, celles de l’article 1er n’en font absolument pas partie.

Je milite depuis longtemps, comme d’autres, pour l’élargissement de l’accès à la PMA à toutes les femmes, notamment aux couples de femmes. Pour moi, c’est clairement et indéniablement une mesure d’égalité. Ce n’est pas, comme le pensent certains ou certaines, une mesure de compromission, une de ces mesures par lesquelles nous saperions le socle commun étape après étape : d’abord le PACS, puis le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, enfin la PMA. À mes yeux, cette mesure n’est pas une marche d’un escalier que l’on descendrait pour aboutir à la déchéance de la société. Au contraire, je l’envisage comme une marche d’un escalier que l’on monte pour atteindre l’égalité…

J’espère sincèrement, mes chers collègues, que nos débats sur les articles seront dignes. J’ai encore trop présents à l’esprit les discussions houleuses et nauséabondes qui se sont tenues, dans nos hémicycles et dans la rue, lors de l’examen de la loi instaurant le mariage pour tous, les mots qui blessent, notamment à l’adresse des personnes LGBT. Près de sept ans après le vote de cette loi, j’ai le souvenir très vif d’avoir contribué à l’adoption d’une mesure emblématique – l’une des rares qui amènent un droit nouveau, la fin d’une discrimination.

L’un des arguments avancés pour combattre l’extension de la PMA est qu’il importe de faire barrage à la GPA. Je suis moi aussi contre la GPA, mais le parallèle avec la PMA n’est pas de mise. Je le redis, la PMA est autorisée pour les couples hétérosexuels. Il s’agit donc d’en finir avec une injustice envers les couples lesbiens. La GPA, en revanche, est interdite en France pour tout le monde, car les valeurs de notre modèle sont incompatibles avec cette forme de marchandisation, d’exploitation des ventres des femmes. Il n’y a pas en l’espèce de rupture d’égalité envers quiconque. La PMA est un progrès médical et social ; même encadrée, la GPA est à mon sens une violence faite aux femmes. Je ne crois pas du tout à une GPA « éthique ».

Pour conclure, je voudrais souligner que les modifications apportées par la rapporteure Muriel Jourda me semblent dévoyer l’esprit du projet de loi initial. Il serait plus que regrettable que le texte issu des travaux de la Haute Assemblée limite et conditionne le principe même de cette belle mesure d’élargissement de l’accès à la PMA. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.

M. André Reichardt. Cet article contient la mesure phare du projet de loi. Je tenais à intervenir à cet instant, ne serait-ce que pour montrer que, contrairement à ce que j’ai pu lire ce week-end dans un grand quotidien national qui reprenait une admonestation de la philosophe Sylviane Agacinski, les parlementaires ne sont ni indifférents, ni inconscients, ni lâches, car peinant « à aller à rebours d’un mouvement qui se dit progressiste, craignant d’être traités de réacs ou d’homophobes ».

Pour ma part, je tiens à dire ici haut et fort que je comprends la souffrance de certains de mes compatriotes de ne pas avoir d’enfant : en premier lieu les célibataires, puis les couples dont la stérilité n’a pu être soignée, enfin les couples composés de deux personnes du même sexe.

Pour autant, vouloir soigner cette souffrance par une conception médicalement assistée qui prive délibérément de père les enfants à naître reviendrait à dénier au père tout autre rôle que celui de simple géniteur, à nier la différence et la complémentarité des sexes, ainsi que le besoin de l’enfant de savoir qu’il est né de la relation amoureuse d’un homme, son père, et d’une femme, sa mère, de les connaître et d’être élevé par eux, comme stipulé dans la charte des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Les arguties sémantiques autour du terme « parents », qui désigne bien évidemment le père et la mère, et non les « parents d’intention » – qu’est-ce d’ailleurs que ce nouveau concept ? –, et les bricolages juridiques permettant à deux mères de déclarer le même enfant n’effaceront pas la spoliation délibérée du père permise par ce projet de loi. C’est pour moi une première raison de voter contre l’article 1er.

En outre, cet article est le vrai marqueur d’un projet de loi qui, dans sa globalité, comporte d’autres dérives également graves pour notre société : l’ouverture d’un marché de la procréation, le dévoiement de la mission de la médecine, avec un glissement d’une médecine qui soigne et guérit vers une médecine devant répondre à des désirs individuels, enfin la « chosification » de l’embryon humain.

À mes yeux, le dispositif actuel de l’article 1er constitue, j’ose le dire, une ligne rouge que nous ne devons pas franchir. J’en demanderai tout à l’heure la suppression par voie d’amendement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. Ce projet de loi suscite des débats vifs et passionnés. Il soulève, comme tous les textes bioéthiques qui l’ont précédé, de nombreuses interrogations, car il touche à des enjeux complexes, empreints de vécus, de points de vue dépassant les clivages habituels. Il est crucial de parvenir à échanger de manière apaisée et sereine, dans le respect de chacune et de chacun.

L’article 1er vise à donner à toutes les femmes le même droit à accéder à la PMA, sans discrimination liée à leur orientation sexuelle, à leur statut matrimonial ou à leur identité de genre. Je tiens à le redire, les Françaises et les Français y sont prêts : les deux tiers de la population s’y déclarent favorables. Si je me réjouis que nous, parlementaires, puissions enfin examiner cette mesure très attendue par de nombreuses femmes et de nombreuses familles, qui permettra à la France de rejoindre les pays européens l’ayant précédée sur ce chemin – la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas –, je regrette qu’il ait fallu tant de temps pour en arriver là.

Cette extension de la PMA permettra de sécuriser le parcours de toutes les femmes qui doivent actuellement se rendre à l’étranger pour y avoir recours, dans une démarche coûteuse et éprouvante et dans des conditions médicales parfois loin d’être optimales. Notre devoir est d’apporter la sécurité, y compris médicale, à ces femmes et à ces familles. Il s’agit aussi et surtout de sécuriser la situation de nombreux enfants, en rendant plus facile la filiation avec leur deuxième parent.

Je tiens à saluer ici le courage et la détermination dont ont fait preuve celles et ceux qui, par leur lutte, ont permis que nous examinions ce texte aujourd’hui. Ne nous laissons pas entraîner dans de faux débats caricaturaux. Ne nous y trompons pas : l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, c’est l’égalité effective par les droits, l’absence de hiérarchie entre les modèles familiaux, le droit des femmes à disposer librement de leur corps, le droit au meilleur choix possible, pour leur enfant et pour elles-mêmes.

Ce droit doit être accessible à toutes, car un droit auquel seules quelques-unes auraient accès du fait de leurs revenus ne serait pas un droit effectif. C’est la raison pour laquelle il convient de réintroduire le remboursement de la PMA par la sécurité sociale. Mes chers collègues, soyons à la hauteur de l’enjeu et des générations futures ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Le présent article ouvre l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. Nous ne pouvons bien évidemment que nous féliciter de ce progrès, que j’appelle de mes vœux depuis plusieurs années, ayant demandé par trois fois la légalisation de la PMA pour les couples de lesbiennes, en 2012, en 2014 et en 2016. Loin de mener à la marchandisation du corps dont nous menacent certains conservateurs, cette mesure rétablira simplement un peu d’égalité dans notre système de santé.

Comment expliquer que la France, à la pointe des droits en matière de bioéthique et de revendications LGBT, ait attendu si longtemps pour permettre aux couples de femmes et aux femmes seules une pratique déjà ouverte aux femmes en couple hétérosexuel depuis 1994 ?

Le dispositif qui nous est proposé est pour l’heure imparfait ; c’est au Sénat d’y remédier. L’Assemblée nationale a refusé le principe de la PMA post mortem et l’ouverture de la PMA aux personnes transgenres : nous amenderons le texte afin d’y ajouter ces dispositions.

La droite sénatoriale est revenue, en commission, sur le caractère remboursable par la sécurité sociale de la PMA et a ajouté qu’il serait nécessaire de souffrir d’infertilité pour pouvoir y recourir : nous tenterons de revenir sur ces positions iniques, qui ne vont pas dans le sens du progrès.

Mes chers collègues, je vous rappelle une nouvelle fois que 65 % de nos concitoyennes et concitoyens sont favorables à l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe. Ne l’oublions pas : la France nous écoute ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

M. Pierre-Yves Collombat. Vu le temps qui m’est imparti, je m’en tiendrai à l’essentiel, bien que les « bizarreries » et les incohérences ne manquent pas dans ce texte.

S’il n’autorise pas encore la gestation pour autrui, ce projet de loi lui ouvre tout grand les portes, ainsi que, surtout, à la marchandisation de l’enfant. La nouveauté introduite par le texte, en effet, c’est l’autorisation en France de la « conception pour autrui », la CPA, autrement dit de la fabrication d’un enfant à partir de gamètes n’appartenant à aucun de ses parents légaux : c’est autre chose, donc, que l’« assistance à la procréation » de l’actuel code de la santé publique, la PMA.

Il est donc faux d’affirmer que l’on se contente « d’élargir l’accès aux techniques disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques ». On s’en affranchit, en effet, en faisant simplement disparaître un bout de l’actuel article L. 2141-3 du code de la santé publique, selon lequel l’embryon « ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple ». L’embryon se trouve ainsi transformé en produit, et donc, potentiellement, en marchandise lestée d’un prix et inévitablement objet d’une sélection.

Certes, les gamètes nécessaires à la fabrication de l’embryon et l’embryon lui-même sont censés ne provenir que de dons – une protection juridique parfaitement illusoire, comme le montre l’explosion de la bio-industrie partout dans le monde.

Qui, en effet, faute d’offre suffisante, empêchera le trafic de gamètes et d’embryons et les gratifications, officielles ou occultes, des opérateurs, dont il faudra bien rétribuer les services et les choix ayant présidé à l’« appariement » entre donneurs et receveurs ? Qui sait d’ailleurs jusqu’où ira cette obsession de la ressemblance et quels chemins elle prendra ?

La logique du broyeur libéral étant de transformer en marchandise, outre les produits de l’activité des hommes, leur travail, l’environnement et le vivant, autoriser la création puis la transplantation d’embryons sans lien autre que fantasmé avec les receveurs, c’est ouvrir tout grand la porte à la marchandisation de l’enfant.

Préférant le rôle de « conservateur humaniste » prudent à celui de « progressiste mercantiliste », je ne voterai pas un texte dont personne aujourd’hui ne peut mesurer les conséquences. Je laisse à d’autres la responsabilité de ce progrès ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Michel Amiel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Les questions relatives à notre condition humaine, à la filiation, au corps humain et à la bioéthique sont à la fois complexes, fondamentales et intimes.

On dit souvent que les questions de bioéthique relèvent des convictions personnelles. Je ne suis pas tout à fait d’accord, dans la mesure où notre rôle, en tant que législateur, est de dénoncer toutes les menaces qui pèsent dès aujourd’hui sur les êtres humains et qui pèseront demain sur les générations futures. Alors que la médecine devient de plus en plus puissante, nous prenons de moins en moins de précautions, qu’elles soient intellectuelles, sociales ou humaines, pour limiter les tentations des chercheurs et encadrer le progrès afin qu’il serve non pas le progrès, mais l’homme.

Notre rôle n’est pas d’organiser la satisfaction des désirs personnels, quelque compréhensibles et respectables soient-ils, mais de servir le bien commun et de défendre les plus vulnérables, à savoir, en l’occurrence, l’enfant.

J’ai cosigné l’amendement visant à supprimer l’article 1er, qui donne à toutes les femmes, qu’elles soient célibataires ou en couple, le droit à la PMA. Trop de questions, en effet, restent en suspens, et nous ne saurions légiférer trop vite, sans visibilité, sans appréhension réelle des conséquences des bouleversements que ce texte vise à engager.

Nous allons modifier en profondeur la filiation et supprimer le père du modèle légal de filiation. Du point de vue des enfants, cela signifie que nous institutionnalisons, par la loi, l’absence de père.

En outre, la PMA ne nous mènera-t-elle pas inévitablement à la GPA, via la marchandisation du corps humain, au nom du principe d’égalité ? Ne faut-il pas, en l’espèce, appliquer le principe de précaution ?

L’abandon de la visée thérapeutique pose également question quant au sens de la médecine. La médecine doit-elle répondre aux désirs sociétaux ? N’assiste-t-on pas à un détournement de la mission de la médecine ?

Toutes ces questions étant laissées sans réponse, je voterai contre la PMA pour toutes, dans l’intérêt, supérieur ou pas, de l’enfant. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Les évolutions rapides des techniques médicales posent des questions qui expriment un conflit entre les diverses représentations du vivant : quelle attitude adopter devant certaines innovations technologiques ? Qu’autoriser ? Qu’interdire ? Que contrôler ?

Telles sont les questions que soulève ce projet de loi relatif à la bioéthique, à commencer par son volet concernant l’ouverture de l’aide médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules.

Aujourd’hui, l’AMP est réservée aux seuls couples hétérosexuels, mariés ou non, souffrant d’infertilité pathologique ou présentant un risque de transmission d’une maladie génétique grave ; 24 000 enfants naissent ainsi chaque année. Avec ce projet de loi, la demande d’AMP s’inscrit dans une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques pour répondre à un désir d’enfant. Elle fait émerger d’autres questions, telles que celles des conséquences d’une ouverture du dispositif sur la relation des enfants à leurs origines ou de la rareté actuelle des dons de gamètes.

Chaque année, entre 2 000 et 4 000 femmes ont recours à l’AMP à l’étranger. Nous ne sommes donc pas devant un changement de civilisation ; ces familles existent déjà. Comme souvent, la pratique a devancé le droit et les représentations symboliques.

Qu’est-ce qu’une famille aujourd’hui ? Cette question cristallise un certain nombre de tensions. Certains considèrent qu’il faut protéger l’enfant de l’absence de père, que c’est par un rapport sexuel entre un homme et une femme que l’on engendre un enfant, que, dès lors, la famille se compose « d’un papa et d’une maman ».

C’est, d’abord, faire peu de cas des familles monoparentales, qui représentent un quart des familles françaises. Le modèle classique des parents mariés qui élèvent les enfants qu’ils ont eus ensemble n’est plus majoritaire en France, soulignait l’Insee dans une étude publiée mardi dernier.

C’est, ensuite, un préjugé. La filiation est un fait social et culturel, et non une vérité biologique. C’est cette vérité sociale qui fonde l’humanité, avec ses réussites, ses failles, ses faiblesses. Je ne crois pas en une éthique de la nature identifiant la morale au naturel. Nous pouvons fonder la filiation sur une base plus solide que la seule procréation : procréer est un acte biologique ; être parent est un acte social, affectif, institutionnel. Ainsi, l’ouverture du droit à l’AMP mettrait fin à une forme de discrimination : toute femme pourrait envisager de devenir parent, indépendamment de sa situation maritale et de son orientation sexuelle.

Il y a là une avancée sociale majeure. Vous l’aurez compris, mes chers collègues : je voterai avec conviction l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.

M. Daniel Chasseing. Nous rencontrons d’ores et déjà, dans nos territoires, des personnes qui se sont rendues à l’étranger pour y avoir recours à la PMA. Cela vient d’être dit : chaque année, 4 000 femmes se rendent à l’étranger pour ce motif. Ces familles sont souvent très aimantes – c’est en tout cas l’expérience que j’ai faite.

L’Académie nationale de médecine et des pédopsychiatres indiquent qu’il serait préférable, pour le développement de l’enfant, que ce dernier ait un père et une mère. Malgré ces réserves, la société reconnaît désormais de nouvelles formes de parentalité avec les familles homoparentales ou monoparentales.

Je rappelle que ces familles peuvent déjà adopter. Or l’adoption, comme le recours à la PMA, requiert l’intervention d’une équipe pluriprofessionnelle, qui rencontre la ou les personnes concernées. Un examen psychologique préalable est également pratiqué. Il ne faut donc pas donner à croire que toutes les demandes seront acceptées.

Ces évolutions me paraissent tout à fait acceptables dans la mesure où il s’agit de projets organisés. La monoparentalité, en particulier, doit être choisie, et non subie. L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ne me semble en aucun cas constituer un premier pas, comme le dit Mme Agacinski, vers l’autorisation de la GPA, que je considère, d’un point de vue éthique, comme une limite infranchissable.

Je suis donc favorable à l’article 1er tel qu’il a été adopté par la commission spéciale, qui prévoit de limiter la prise en charge des AMP par l’assurance maladie à celles qui sont réalisées pour des raisons d’infertilité médicale. Je suis également favorable, comme je viens de le dire, à une évaluation psychologique et sociale préalable à toute AMP. Je ne pense pas qu’une telle évolution soit contraire à l’intérêt de l’enfant. (M. Alain Fouché applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article.

M. Roger Karoutchi. Si quelqu’un, dans cet hémicycle, détient la vérité, qu’il nous transmette les coordonnées de celui qui la lui a révélée ! (Sourires.) J’ai assisté à la plupart des auditions, et tout ce que je sais, au bout du compte, c’est que, tel Jean Gabin, je ne sais rien…

M. Pierre-Yves Collombat. Comme Jean Gabin, et comme Socrate !

M. Roger Karoutchi. Je veux dire par là qu’il n’a été démontré par personne, en réalité, que la vie de l’enfant est plus heureuse ou moins heureuse selon qu’il est venu au monde dans telles ou telles conditions. Il y a seulement des avis.

Je l’ai dit : je voterai l’article 1er, tout en refusant absolument le droit à l’enfant ou la GPA. Cela étant, votons-nous les lois en fonction de nos convictions personnelles, de ce que nous sommes ? Non ; en tout cas, pas moi. Je suis issu d’une famille très religieuse, très pratiquante ; s’ils étaient encore vivants, il est probable que mes honorables parents s’opposeraient fermement à une évolution qu’ils jugeraient diabolique. De formation, donc, je serais plutôt enclin à déclarer « vade retro satanas ». (Nouveaux sourires.)

En réalité, je vote la loi, quel que soit le sujet, en fonction non pas de mes convictions personnelles, mais de mon intime conviction quant à ce qui peut être le mieux ou en tout cas le moins mauvais possible pour l’évolution de la société.

J’ai entendu certains dire qu’ils auraient aimé être là en 1975 ; pour ma part, je ne revendique pas cet honneur, qui me vieillirait de quelques années, mais j’ai le souvenir d’autres débats, plus récents, parfois extrêmement durs. On nous annonçait une révolution sociétale absolument abominable ; il ne s’est, en définitive, pas passé grand-chose.

En vérité, je ne me sens pas le droit d’intervenir dans la vie privée des gens si l’ordre social n’est pas remis en cause. J’ai voté, en commission, un certain nombre d’amendements visant à encadrer, à limiter le recours à la PMA, mais je voterai l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, sur l’article.

M. Michel Amiel. Il serait dommage que la richesse de nos sensibilités ne puisse s’exprimer au-delà de la liberté de vote. C’est la raison pour laquelle, membre du groupe La République En Marche, je prends la parole pour dire très clairement que je suis opposé à la PMA telle qu’elle est encadrée à l’article 1er.

Séparer cet article 1er et ses corollaires, qui relèvent d’une réforme de société, du reste du texte, qui relève véritablement, quant à lui, de la bioéthique, eût permis de faciliter le vote final. Moi qui suis opposé à l’article 1er, mais favorable, en particulier, aux articles relatifs aux progrès en matière de génétique, je me trouve placé devant une contradiction qu’il va bien falloir que je tranche.

Concernant les articles 1er et suivants, écrits au nom de l’égalité en matière de droit à l’enfant – pardon, de droit à la procréation ! –, il eût été plus honnête, intellectuellement et sans doute juridiquement parlant, toujours au nom de l’égalité, d’y inclure la GPA, comme certains, d’ailleurs, le demandent.

C’est justement ce glissement qui est à craindre : transformer le désir d’avoir un enfant-objet – oui, c’est bien de cela qu’il s’agit – en droit-liberté, mais plus encore en droit-créance à l’égard de la société, c’est créer les conditions d’une sorte de grand marché de la procréation, où l’on serait libre de programmer une grossesse, avec ou sans père, à n’importe quel moment, de congeler ses gamètes, éventuellement sous la pression d’un employeur…

Quant à instaurer l’égalité entre les couples, soit, mais quid de l’égalité entre les mères : celle qui porte l’enfant et accouchera de lui et celle qui ne fera que le reconnaître ? On retrouve, derrière ce distinguo entre une maternité biologique et une maternité contractuelle, le vieux débat entre nature et culture. Moi qui suis plutôt habité par le doute, je n’ai pas la prétention de trancher ; c’est dans le plus parfait respect de chacun, sans invectives dans un sens ou dans l’autre, que j’ai arrêté ma position. En attendant le meilleur des mondes, pour citer Philippe Sollers, je dirai que tout est pour le mieux dans le pire des mondes possibles ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, sur l’article.

M. François Patriat. Anna a 4 ans. Ses mamans, Fanny et Aurélie, se connaissent depuis toujours. Elles se sont mariées en 2015, après le vote de la loi sur le mariage pour tous.

Le désir d’enfant ne leur est pas venu tout de suite ; comme pour tous les parents, il a fait l’objet de discussions, d’interrogations. C’est un projet qu’elles ont construit peu à peu, en dépassant leurs peurs, leur crainte du regard des autres, des jugements de valeur et des critiques, les préjugés étant nombreux dans une société qui prône la famille parfaite et la normalité. Or qu’est-ce que la normalité, mes chers collègues ? Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé, disait Einstein ; cette phrase m’a beaucoup inspiré dans ma réflexion sur cet article.

Fanny et Aurélie ont longuement hésité… Que faire ? Comment répondre à ce désir d’enfant ? Aller en Espagne, en Belgique ? Demander à l’un de leurs amis ? Acheter des gamètes sur internet ? « Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire », écrivait Victor Hugo. Ce désir d’enfant est un droit fondamental. Il ne doit pas être confondu avec la revendication d’un droit à l’enfant.

Reconnaître comme valable l’argument qui repose sur cette confusion reviendrait d’ailleurs à interdire la PMA pour les couples hétérosexuels infertiles, puisque la société les aide également, par cet acte médical, à concevoir un enfant.

M. François Patriat. Ainsi, c’est non pas le droit à l’enfant, mais le désir d’enfant, que le législateur peut aider à satisfaire. C’est cette question qui nous est posée aujourd’hui.

D’autres invoquent l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon la formule, devenue célèbre, du doyen Carbonnier, cet intérêt fait figure de « formule magique ». Or aucune étude n’apporte la preuve que l’extension de la PMA porterait une atteinte quelconque au développement de l’enfant.

Je sais les questionnements personnels que le dispositif de cet article peut induire. Les législateurs que nous sommes doivent précisément s’extraire de leurs schémas de pensée purement personnels. Qui serions-nous si nous devions porter des jugements de valeur à l’encontre de telle ou telle famille, sous prétexte qu’elle n’entre pas dans notre vision de la « normalité » ? La pluralité des situations familiales est une réalité que nous devons considérer et accepter, sous peine de stigmatiser certains modes de conception de l’enfant.

Nous sommes en 2025 ; la France a voté la PMA pour toutes. Les deux femmes que j’ai évoquées en préambule ont pu accéder à ce nouveau droit, et sont devenues mères au même moment. Anna est née à Toulouse, elle a 4 ans. Voilà le monde dans lequel je veux vivre dans cinq ans. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. J’ai quelques difficultés à appréhender ce texte dans son ensemble. En tant qu’homme de la terre, en tant que cartésien, il arrive que notre société me semble totalement paradoxale. Sur des sujets qui me concernent, j’entends s’exprimer une volonté de « revenir au naturel », de mettre le bio à toutes les sauces. (Exclamations sur des travées du groupe SOCR.) En revanche, tout cela n’a plus cours quand il s’agit d’un projet de loi qui concerne les hommes : on ne pense qu’aux désirs et aux besoins, au lieu d’examiner objectivement les choses.

Mais là n’est pas la seule raison pour laquelle je voterai contre l’article 1er.

En 2011, il fut décidé de lier l’accès à la procréation médicalement assistée à un critère d’infertilité. À l’époque, la loi avait ouvert la possibilité aux couples disposant d’embryons surnuméraires de faire don d’un de ces embryons à un autre couple infertile. On s’engageait déjà, ce faisant, dans la voie que prolongent les dispositions dont nous discutons aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous levons le critère d’infertilité, nous ouvrons aux couples de femmes et aux femmes célibataires l’accès à la PMA. Mais ce même article 1er vise également à autoriser le double don de gamètes, ce qui signifie, en clair, qu’il deviendrait possible à une femme de porter un embryon dépourvu de tout lien biologique avec elle ou avec l’autre membre de son couple.

M. André Reichardt. C’est la GPA !

M. Laurent Duplomb. Il ne s’agit en effet de rien d’autre aux yeux du pragmatique que je suis !

M. André Reichardt. Et voilà ! Nous y sommes !

M. Laurent Duplomb. Partant de l’autorisation de donner un embryon à un autre couple infertile, nous en arrivons, peu à peu, à la gestation issue d’autrui ; nous ne sommes plus très loin d’accepter la GPA ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.

Mme Angèle Préville. Cela peut être une souffrance, un manque, un regret de ne pas avoir d’enfant. Pour autant, je ne suis pas sûre qu’autoriser des pratiques permettant d’assouvir le désir d’enfant soit la meilleure des choses pour notre humanité.

Après mûre réflexion, je ne peux me déclarer favorable à ces nouveaux droits tels que nous les a présentés le Gouvernement. Il n’y a pas de droit à l’enfant ; l’enfant est une personne, un sujet de droit, et ne peut donc être l’objet du droit d’un tiers.

Par ailleurs, comme le souligne la philosophe Sylviane Agacinski, « le rattachement d’un enfant à deux lignées parentales non équivalentes lui signifie sa propre inscription dans le genre humain, universellement mixte. Il lui permet d’assumer sa propre incomplétude, autrement dit sa sexuation ».

En effet, les sexes ne sont pas interchangeables ; il existe entre eux une asymétrie de fait. Je ne puis me résoudre à voir gommer cette asymétrie, pour ne pas dire plus. Il ne s’agit pas ici de remédier à une inégalité ; l’asymétrie, en l’espèce, est naturelle.

Chacun, sur Terre, veut savoir qui il est et d’où il vient. Ces questions font notre humanité. La recherche des origines est une tâche inlassable, parfois cruelle ; ce peut être la quête de toute une vie – je pense notamment aux enfants nés par PMA ou « sous X ». Qu’est-ce qui motive une telle recherche ? L’essence même de notre humanité, sans doute… Peut-être serait-il intéressant d’étudier cette question.

Les enfants nés par PMA espèrent, avec ce texte, des avancées ; j’ai moi-même été contactée par l’un de mes anciens élèves, né par PMA. Je crains que l’homme ne soit de plus en plus sous contrôle, sous une apparence de liberté ; je crains l’asservissement du vivant.

Ce que je sais, en tout cas, c’est que, dans le domaine de la recherche, quel que soit le sujet, si modeste soit-il, dès que l’on ouvre une porte, un horizon immense se dévoile et nous éblouit. Le vivant est précieux, mystérieux, plus beau, plus inventif, plus subtil, plus lié, plus entrelacé que nous ne l’imaginons. C’est pourquoi je suis prudente : le vivant est chatoyant de complexité, fort et fragile à la fois. Je n’ai que des doutes ; aussi m’abstiendrai-je sur cet article. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

MM. Gérard Longuet et Bruno Retailleau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, sur l’article.

M. Jean-Michel Houllegatte. Dans ce débat sur l’extension de la PMA s’opposent deux logiques contradictoires.

La première vise à privilégier le droit des individus ; ce droit prend sa source dans un désir tout à fait naturel, celui de transmettre de l’amour à un enfant. Dans une société où les individus sont de plus en plus autonomes et capables d’exercer leur libre arbitre, ce désir d’enfant peut devenir un absolu.

À cela s’oppose le fait que nous formons une communauté. Faire communauté, qu’elle soit nationale ou simplement de vie, nous oblige à dépasser nos individualités, parfois nos égoïsmes, à renoncer à certains de nos désirs pour cimenter le collectif.

Albert Jacquard le disait : « La liberté n’est pas la possibilité de réaliser tous ses caprices ; elle est la possibilité de participer à la définition des contraintes qui s’imposeront à tous. » Je crains, pour ma part, que l’extension de la PMA ne crée chez les enfants qui en seraient issus des vulnérabilités, des fragilités inhérentes à toute quête des origines. Nous ne pouvons pas échapper à notre culture humaine, à la nécessité de nous incarner, de nous inscrire dans une histoire qui nous a engendrés.

L’objectif consistant à contenir la vulnérabilité doit l’emporter sur l’autonomie. La fraternité et la force du collectif, qui permettent à chacun de se dépasser pour, devenu fécond, participer à la construction de la société, sont en effet plus fortes que l’individu et que ses désirs, même si ces derniers sont parfaitement compréhensibles. Je voterai, pour ce qui me concerne, la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, sur l’article.

M. Thani Mohamed Soilihi. L’article 1er représente l’un des apports majeurs de ce texte. Sans revenir sur les opinions exprimées par les uns et les autres, je voudrais dénoncer le procès d’intention selon lequel ceux qui veulent l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules seraient nécessairement favorables à la GPA.

D’un naturel curieux, j’ai fait un peu de droit comparé, en me cantonnant à l’Europe. J’ai ainsi pu constater que l’Irlande ou la Lituanie, par exemple, permettent la GPA, mais pas la PMA.

La Grèce, la Hongrie, l’Estonie sont des pays qui autorisent la GPA, mais pas la PMA pour les couples de femmes. C’est un sujet tellement sensible que, en quelque sorte, tous les arguments se valent. Cessons donc les procès d’intention, arrêtons de nous montrer suspicieux. Il s’agit ici de la PMA et de ses conséquences, et de rien d’autre !

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l’article.

M. Alain Houpert. Mes chers collègues, nous allons voter pour ou contre cet article 1er. C’est un choix très difficile, qui doit être fait en conscience.

Encore une fois, ce sont les parlementaires qui vont devoir légiférer pour déterminer ce que les femmes doivent faire de leur corps. Encore une fois, nous allons devoir légiférer sur un sujet qui relève du choix de vie de chacun.

Dans l’ensemble de la presse, on a opposé la GPA et la PMA. On a présenté la GPA comme un cheval de Troie. En tant que médecin et que parlementaire, je ne céderai pas à ce chantage de la GPA et je voterai cet article 1er, qui sera amendé par la sagesse des sénateurs. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.

Mme Laurence Rossignol. Je dirai tout d’abord un mot pour remercier Alain Houpert de son intervention. Il a pu affirmer sans être interrompu, sans provoquer de quolibets ou de mouvements de salle, que nous légiférons sur ce que les femmes doivent faire de leur corps. Il a pu le dire, parce qu’il est un homme, dans le silence, et je l’en remercie.

Dans le débat actuel, les glissements successifs de l’ouverture de l’AMP aux femmes seules, au droit à l’enfant, puis à la GPA, nous éloignent de l’unique question posée à l’article 1er. (M. Laurent Duplomb proteste.) Que mes collègues soient néanmoins rassurés : dans le cours de l’examen de ce texte, nous discuterons aussi de la gestation pour autrui et de la grossesse pour autrui !

Quoi qu’il en soit, il n’est nul besoin ici de tirer des équivalences en faisant croire qu’un sujet en détermine forcément un autre. Aujourd’hui l’AMP, l’assistance médicale à la procréation, est une technique légale en France, réservée aux couples hétérosexuels. La question que nous posons est la suivante : est-il juste que cette technique soit réservée aux couples hétérosexuels ? Autrement dit, pouvons-nous continuer d’en exclure les couples de femmes ou les femmes seules ?

Si nous sommes d’accord pour reconnaître que cette technique est légale, qu’elle ne nous pose aucun problème moral, qu’elle ne concerne pas le droit à l’enfant dès lors que les parents sont hétérosexuels – elle ne commence à le concerner que si les mères sont lesbiennes ou seules –, si l’on accepte cette technique, si l’on n’a pas de prévention contre des couples de femmes ou les femmes seules, si l’on ne pense pas que la vulnérabilité d’un enfant serait le produit de l’absence de père, comme quelques interventions le suggèrent, où est le problème ?

La vulnérabilité d’un enfant, c’est l’absence de cadre, l’absence d’amour, l’absence d’éducation et le délaissement !

Croyez-moi un père ne suffit pas à faire un cadre pour un enfant. J’en veux pour preuve les statistiques disponibles sur le peu d’implication des pères dans les charges familiales et domestiques ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Certes, cela s’arrange, mais en ce qui concerne notre génération, on ne peut pas dire que les pères ont été extrêmement impliqués dans l’éducation des enfants. Cela ne nous empêche pas d’être construits, cadrés et structurés !

Au bout du compte, ce que vous ne supportez pas, c’est l’idée que des femmes puissent élever des enfants en se passant de ce que vous vous représentez comme étant l’autorité, c’est-à-dire le père.

Or l’autorité, aujourd’hui, elle n’est plus simplement entre les mains des pères, elle est entre les mains d’individus responsables, qui gagnent leur vie et qui décident d’avoir un enfant ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, sur l’article.

M. Jean-Pierre Leleux. Les drames de la vie, les drames vécus par des couples en guerre peuvent malheureusement priver un enfant de son père ou de sa mère. Notre société – cela a été rappelé –, le Parlement et la loi prennent en compte ces situations malheureuses, pour les accompagner. Nous reconnaissons dans le même temps que ces enfants souffrent de cette absence de père.

Toutefois, pourquoi aujourd’hui organiser et financer délibérément la fabrication d’orphelins de père ? Car ce projet de loi, au-delà de l’absence du père, vise à organiser l’effacement de celui-ci, son absence juridique, civile et sociale, mais aussi psychologique et symbolique.

Les études dont nous disposons ne sont pas en mesure de nous démontrer la neutralité dans l’équilibre de l’enfant quand il grandit normalement entre un père et une mère.

Chacun a son point de vue sur le sujet et toutes les convictions sont défendables dans la mesure où elles sont puisées dans le fond du cœur de chacun. À titre personnel, je suis assez perturbé par l’idée de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et aux couples de femmes homosexuelles, au nom d’un progrès qui ne m’apparaît pas forcément en être un, alors que nous sommes habités par des doutes quant à l’avenir de notre société. Par conviction, je m’y opposerai donc.

Ces orphelins de père sont issus d’une volonté délibérée. Certes, le désir d’enfant est légitime, mais, à mon sens, il ne doit pas primer sur le droit de l’enfant à grandir, quand c’est possible, dans les meilleures conditions, à savoir en étant élevé par un père et une mère, dans l’altérité de ses deux parents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je suis saisi de sept amendements identiques.

L’amendement n° 4 est présenté par M. Amiel.

L’amendement n° 42 rectifié quinquies est présenté par Mme Chain-Larché, M. Retailleau, Mme Thomas, MM. Cuypers et de Legge, Mme Ramond, M. Vaspart, Mmes Gruny et Sittler, MM. Paccaud, Schmitz, de Nicolaÿ et B. Fournier, Mmes Bories et Eustache-Brinio, M. Chevrollier, Mme Lopez, M. Bascher, Mme Deroche, MM. Mandelli et Gilles, Mmes Noël et Lavarde et MM. Duplomb, Cambon, H. Leroy, Bignon et Hugonet.

L’amendement n° 48 rectifié bis est présenté par MM. Mizzon, Canevet, Cazabonne et Détraigne et Mmes Herzog et Joissains.

L’amendement n° 49 est présenté par M. Collombat.

L’amendement n° 53 rectifié bis est présenté par MM. Reichardt, Danesi, Kennel, Morisset, Mayet et Piednoir.

L’amendement n° 171 est présenté par M. Meurant.

L’amendement n° 188 rectifié est présenté par M. L. Hervé, Mme Billon, M. Cigolotti et Mmes Férat et Morin-Desailly.

Ces sept amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Michel Amiel, pour présenter l’amendement n° 4.

M. Michel Amiel. Je me suis exprimé il y a quelques instants sur le sujet. Je voudrais dire et redire qu’il existe effectivement un doute.

Mon intention n’est absolument pas de faire une leçon sur l’état des connaissances en la matière. Bien entendu, il y a des critères d’égalité à prendre en compte. Mais il y a aussi des risques de glissement, comme je l’ai précisé, vers la GPA, qu’on le veuille ou non.

Ce qui me gêne le plus, compte tenu du manque de gamètes, c’est le risque, selon moi inéluctable, de marchandisation. C’est la raison pour laquelle, sans détailler davantage ma position, j’ai déposé cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour présenter l’amendement n° 42 rectifié quinquies.

Mme Anne Chain-Larché. Mes chers collègues, l’amendement que je vous propose de voter vise à supprimer l’article 1er de ce projet de loi, article qui prévoit d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation pour les femmes seules et les couples de femmes.

Aujourd’hui, l’AMP compense une infertilité. Demain, on voudrait qu’elle compense une impossibilité. Nous sommes face à un vrai débat fondamental entre deux conceptions de la vie.

La première pense que les désirs individuels doivent être satisfaits à tout prix et sans aucune limite, y compris en instituant un « droit à l’enfant ».

La seconde, partagée sans doute par une majorité de Français, estime que les désirs individuels doivent être soumis à certaines limites, notamment éthiques ou biologiques, et qu’il n’existe pas de droit à l’enfant, mais bien un droit de l’enfant.

De plus, cet article n’est pas, contrairement aux apparences, facteur d’égalité, et ce pour deux raisons.

La première est que l’assistance à la procréation est aujourd’hui une réponse médicale à un problème médical. À l’heure actuelle, l’AMP soigne une infertilité du couple hétérosexuel. Or, de toute évidence, ce ne sont pas des raisons médicales, ni même des problèmes de fertilité, qui empêchent les femmes seules ou les couples de femmes de procréer. Il s’agit tout simplement d’une impossibilité. Parler d’« égalité » ou d’« inégalité » dans ce domaine n’a donc aucun sens.

La seconde raison est que les hommes, qu’ils soient seuls ou en couple, seraient de fait privés du même droit, ce qui ne manquera pas de provoquer, à terme, c’est mon intime conviction, la légalisation de la GPA. Nous le refusons fermement !

Chers collègues, il est de notre devoir de préserver les grands équilibres qui régissent la personne et de reconnaître le rôle utile de certaines limites. Je vous propose donc de supprimer l’article 1er en votant cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour présenter l’amendement n° 48 rectifié bis.

M. Michel Canevet. Cet article vise à orienter radicalement l’objet de l’AMP vers un « droit à l’enfant ».

Si l’on supprime les conditions actuelles d’accès à l’AMP, qui visent des couples composés d’un homme et d’une femme vivants confrontés à une infertilité médicalement constatée ou au risque de transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité, l’AMP est détournée de son objet de palliatif à des cas médicaux.

Comme l’avait rappelé l’avis du Conseil d’État du 9 avril 2009, « si la loi régit cette pratique, c’est parce que des médecins interviennent dans le processus procréatif, ce que sa dénomination traduit : ce n’est pas la procréation – procréation médicalement assistée – qui est régie, mais seulement l’activité médicale – assistance médicale à la procréation ».

Il convient donc de rétablir les dispositions en vigueur. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 49.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce qui est techniquement possible n’est pas forcément souhaitable. Transformer, fût-ce potentiellement, l’enfant en produit marchand pas plus qu’épuiser la Terre ne sont des progrès au sens où l’entendaient les Lumières et où l’entend encore aujourd’hui le sens commun !

Erreur, m’objectera-t-on : ce nouveau droit à l’enfant est gratuit, puisqu’il est fondé sur le don de gamètes ou d’embryons. Sauf qu’une telle mutation ne sera gratuite ni pour la société – au moment même où la prédication officielle est à la réduction des dépenses sociales, voir l’état pitoyable du système hospitalier –, ni finalement pour les bénéficiaires. Elle sera en revanche lucrative pour les praticiens, pour la technostructure du back-office, pour les détenteurs de brevets et, plus encore, pour les investisseurs, qui voient là un nouveau champ fertile de profits.

Comme le souligne Céline Lafontaine dans Le Corps-marché, « l’envers du don », c’est le « biocapital ». Non seulement la rhétorique du don n’a pas empêché le développement d’un important marché du sang humain, des cellules souches, des tissus et des organes à l’échelle internationale, mais elle camoufle, selon cet auteur, « les processus de commercialisation des cellules reproductives sur lesquelles s’appuie l’industrie de la reproduction assistée ».

Pour elle, c’est la procréation assistée qui incarne le mieux ce processus de biomécanisation du vivant, « dans la mesure où il ne s’agit pas d’une médecine curative, mais bien d’une médecine méliorative, qui a pour but de dépasser les limites des corps infertiles ».

En d’autres temps, on s’étonnerait que, au nom du progrès et des droits – ici, le droit inavoué à l’enfant, reconnaissons-le –, de la liberté et de l’égalité, une telle fuite vers l’inconnu mercantile reçoive le soutien de l’ensemble de l’échiquier politique !

J’ai bien conscience que cet amendement a peu de chance d’être voté, même par les adversaires brevetés du néolibéralisme – comprenne qui pourra ! (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour présenter l’amendement n° 53 rectifié bis.

M. André Reichardt. Quatre raisons au moins poussent à la suppression de cet article 1er.

Premièrement, cet article rompt l’équilibre trouvé depuis les lois de la bioéthique en 1994 entre les nécessités du progrès scientifique et la préservation des valeurs humaines et sociales fondamentales. Cette recherche d’équilibre repose sur l’idée que tout ce qui est techniquement possible n’est pas toujours socialement souhaitable, comme cela a été souligné.

Deuxièmement, s’il convient de reconnaître que la notion d’égalité, dont on a beaucoup parlé, peut se trouver au fondement de cette disposition, en donnant la possibilité à tous les couples hétérosexuels comme homosexuels de satisfaire un désir d’enfant, ce principe d’égalité se heurte à plusieurs limites. En effet, si l’on permet aux femmes homosexuelles de recourir à la médecine pour procréer sur le fondement de l’égalité, il paraît nécessaire d’en faire autant pour les hommes.

Mme Laurence Rossignol. Non, ce n’est pas possible via la PMA !

M. André Reichardt. On ne peut utiliser le critère d’égalité pour justifier la PMA et le nier pour la GPA. De cette question en naît alors une autre : celle de la gestation pour autrui, interdite en France au nom de l’indisponibilité du corps humain.

Troisièmement, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes remet en question tout notre droit de la filiation, en le détachant de toute référence à l’engendrement de l’enfant pour conduire à la parentalité. Ce point sera examiné à l’article 4, dont je demanderai également la suppression.

Quatrièmement, et enfin, en créant un tel régime de filiation, l’égal accès à la maternité reviendrait à priver l’enfant d’une partie de ses origines biologiques, rompant ainsi l’égalité entre les enfants, dont certains seront privés de fait et en droit de leur ascendance personnelle.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour présenter l’amendement n° 171.

M. Sébastien Meurant. Je ne répéterai pas ce qui a été excellemment exprimé par mes collègues sur toutes les travées. Tout à l’heure, Mme la ministre a parlé d’humilité, de sagesse et de modération devant ces questions extrêmement compliquées.

Aujourd’hui, l’humilité, n’est-ce pas d’accepter une grande part des règles morales, sociales, religieuses que l’humanité avant nous et pendant des siècles a reconnues pour nécessaire ? L’évidence n’est-elle pas, mes chers collègues, de reconnaître qu’il y a une loi naturelle et que celle-ci doit fonder une partie de notre droit positif ? Cette loi naturelle, sans être triviale, n’impose-t-elle pas que, pour faire un enfant, il faille un père et une mère ?

De quels progrès parle-t-on, puisque certains osent parler de progrès ? S’agit-il du progrès de la marchandisation ?

Lorsque nos collègues de gauche font référence à l’extension du marché au corps humain, ils ont raison ! Lorsque nos collègues sur toutes les travées craignent une dérive vers la GPA, ce n’est pas une fiction, c’est évidemment le chemin que nous allons suivre, du fait de la jurisprudence européenne ! Mes chers collègues, reprenez le film de ces dernières années, du mariage pour tous à la PMA et, demain, à la GPA. Est-ce cela que nous voulons ?

Où est le bien commun ? Notre rôle de législateur n’est-il pas d’essayer de déterminer ce bien commun, qui permet de faire progresser la société, de fixer des repères et de sortir de ce triptyque infini, de cette logique des désirs : « je veux, je peux, j’y ai droit » ? Est-ce bien notre rôle que d’étendre infiniment les droits des individus ? Il y a un droit ci, c’est le droit de l’enfant ! Quid de la disparition des pères dans ces familles que vous allez créer ?

En conscience, je ne puis voter cet article, et je vous appelle à en faire autant. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 188 rectifié.

M. Loïc Hervé. Cet amendement, comme les précédents, vise à supprimer l’article 1er du projet de loi. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, la coexistence dans ce texte de loi de mesures de droit civil et de dispositions relatives à la révision de la législation en matière de bioéthique entretient une confusion.

Le droit positif, notamment issu de la loi Taubira, répond à une grande partie des sollicitations émanant du corps social. Si des évolutions sont envisagées, il s’agit de les renvoyer à un texte ad hoc, qui pourrait permettre un débat parlementaire clair, portant sur toutes les modifications des modalités de l’établissement de la filiation et sur toutes leurs conséquences.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. À titre personnel, je suis favorable à ces amendements pour un certain nombre de raisons qui ont déjà été évoquées.

Toutefois, je suis ici dans mon rôle de rapporteur de la commission spéciale. Or, après des débats nourris, celle-ci a estimé que la suppression de cet article n’était pas acquise. J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements identiques, conformément au vote de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi d’être avec vous, en cette fin de journée, pour discuter de ce texte important. Mais rassurez-vous, Agnès Buzyn sera de retour sur ces bancs, à la reprise de la séance ce soir. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je suis heureux de pouvoir apporter quelques éléments de réponses supplémentaires sur cet article 1er, pour compléter ce qui a été dit dans la discussion générale.

Vous souhaitez, par ces amendements, supprimer l’article 1er. Un certain nombre de craintes ont été exprimées, parmi lesquelles les conséquences psychologiques sur les enfants à naître, les dérives vers un droit à l’enfant – je me permettrai d’y revenir –, en dépit de l’adoption de l’amendement précédent, un détournement de la médecine ou encore un glissement vers la gestation pour autrui.

Tout d’abord, je veux réaffirmer ici haut et fort que l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation sera sans incidence sur l’interdiction de la gestation pour autrui, qui est antinomique des grands principes bioéthiques auxquels nous sommes tous attachés. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Ça ne tient pas !

M. Philippe Mouiller. On nous a déjà fait le coup !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Cette loi de révision de bioéthique n’est pas, monsieur le sénateur Chevrollier, une loi d’égalité. Sa finalité, sa conséquence peut être d’apporter davantage d’égalité, mais ce n’est pas une loi d’égalité ou de lutte contre les discriminations. Une loi de bioéthique vise avant tout, vous le savez, à scruter les techniques médicales, pour les examiner au prisme de nos principes éthiques.

Or la gestation pour autrui met immédiatement en tension des principes fondamentaux de notre droit, à commencer par celui qui exclut la marchandisation du corps humain. Il n’y aura donc pas, je le redis, je l’affirme politiquement et juridiquement, de glissement vers la gestation pour autrui.

M. André Reichardt. La Cour européenne des droits de l’homme pourra la légaliser !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. De même, il n’y aura aucun droit à l’enfant.

Cela a été dit par Mme la garde des sceaux, il n’y a pas aujourd’hui de droit à l’enfant. Actuellement, les couples hétérosexuels qui s’engagent dans l’assistance médicale à la procréation ne disposent pas d’un droit à l’enfant. Il en est de même pour les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle, qui s’orientent dans un processus d’adoption.

Même si les conclusions que nous en tirons ne sont pas les mêmes, le sénateur Amiel a raison d’ancrer l’adoption dans la protection de l’enfance, car il s’agit justement d’offrir non pas un enfant à une famille, mais bien une famille à un enfant. Il en sera de même, demain, pour les couples de femmes ou les femmes non mariées.

Par ailleurs, la légitimité d’un projet mono ou homoparental a déjà été tranchée. La sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie l’a rappelé, les textes autorisent l’adoption d’un enfant par un couple marié, y compris par un couple de femmes, ainsi que par une personne seule, et ce depuis de nombreuses années.

L’essentiel pour un enfant – cela a été très bien dit par Laurence Rossignol –, c’est l’affection, l’attention et le sentiment de sécurité que l’on est en mesure de lui garantir. Des recherches, des années de pratiques de nombreux pédiatres et pédopsychiatres nous apprennent que ce n’est pas tant la structure familiale qui importe, mais la dynamique familiale qui est en cours au bénéfice de l’enfant.

L’essentiel pour un enfant est ce besoin de sécurité, à la fois matérielle et affective. À cet égard, beaucoup d’entre vous ont parlé d’humilité. Soyons humbles, effectivement, par rapport à ces sujets ! Rappelons-nous que 80 % des violences faites aux enfants ont aujourd’hui cours au sein des structures familiales actuelles. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Je veux également insister sur le rôle et la place du père, qu’il n’est pas question de nier dans la construction d’un enfant.

Nous ne voulons pas non plus instaurer l’effacement du père, messieurs Leleux et Meurant. Néanmoins, le modèle parental classique n’est pas contradictoire avec l’existence d’autres modèles familiaux, qui sont tout aussi respectables, au sein desquels un enfant peut s’épanouir.

Là encore, je suis désolé de vous le dire, monsieur le sénateur Chevrollier, des dizaines d’études menées depuis plusieurs années sur des enfants issus de PMA montrent que naître, se développer et grandir au sein d’une famille monoparentale ou homoparentale n’a aucune incidence délétère sur le développement de l’enfant. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Meurant. Des études militantes !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Cela n’a également aucune incidence sur l’orientation sexuelle des enfants.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, le besoin de stabilité et de sécurité affective, ce « méta-besoin » pour les enfants, n’est ni genré ni exclusivement biologique. Ce qui compte, c’est l’altérité, c’est que l’enfant soit entouré de gens qui l’ont désiré, qui l’aiment et qui lui servent de repère.

Mme Laurence Rossignol. Tout à fait !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Réfléchissez, nous nous sommes tous ici développés et construits avec des repères, qui n’étaient pas nécessairement notre père ou notre mère, mais pouvaient être un frère, un grand-père, une personne extérieure au cercle familial proche… (Exclamations agacées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Jean-François Husson. N’en rajoutez pas !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Ces figures d’attachement vont bien au-delà du cercle familial restreint, voire du cercle familial tout court. (Mêmes mouvements.)

M. Loïc Hervé. Cela n’a rien à voir !

M. le président. Mes chers collègues, seul M. le secrétaire d’État a la parole !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. En dépit de vos réactions, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est ainsi que se construisent les enfants. L’article 1er ne vise pas à remettre en cause cette réalité.

S’agissant de la question du détournement de la médecine, qu’un certain nombre d’entre vous ont évoquée, parmi lesquels le sénateur Chevrollier, il convient de rappeler que les techniques d’assistance médicale à la procréation ne soignent pas et ne guérissent pas les couples de leur infertilité : elles agissent comme des techniques de parenté, en particulier en cas de recours à un tiers donneur.

Il en est de même lorsque l’indication de l’assistance médicale à la procréation est liée à l’âge de la femme, sans autre cause médicale.

Dans ces deux exemples, s’il y a bien un acte médical, l’assistance apportée par le médecin est moins médicale que sociale. C’est d’ailleurs l’Académie nationale de médecine qui établit ce constat : « De la chirurgie plastique à la médecine sportive, nombreux sont les actes et les missions qui peuvent être confiés aux médecins, sans que la finalité soit de corriger un état pathologique ou de se substituer à une fonction défaillante ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, les faits sont les suivants : les grossesses résultant de procréations engagées hors du territoire national par des femmes en couple ou célibataires sont suivies en France, les enfants naissent en France et leur filiation est légalement établie en France.

Aujourd’hui, le passage des frontières est réservé aux femmes les plus aisées, ce qui aboutit à une situation d’inégalité – nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous débattrons de la question du remboursement de la procréation médicale assistée pour toutes les femmes.

M. Bruno Retailleau. Vous voulez vous aligner sur le moins-disant !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Aujourd’hui, monsieur Retailleau, des femmes se mettent en danger pour fonder une famille, en cherchant des donneurs sur internet.

La société française a évolué vers un modèle familial qui ne se résume plus à une configuration unique, issue d’un modèle conjugal unique. Nos citoyens y sont prêts. Le sénateur Daudigny l’a dit : ils ont même anticipé cette évolution !

Notre devoir est d’accueillir ces nouvelles formes familiales et non de les stigmatiser. Notre devoir est d’apporter de la sécurité, y compris sur un plan médical, à ces familles et à ces femmes.

M. Philippe Bas. Tout le monde est d’accord avec cela !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Notre devoir est de permettre l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées, ici, en France. Il doit s’agir d’un véritable droit réel et non d’un droit formel. Monsieur le sénateur Karoutchi, je sais que vous y êtes attaché. (M. Roger Karoutchi sexclame.)

Pour toutes ces raisons, nous sommes défavorables, vous l’aurez compris, à ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et CRCE.)

M. le président. Mes chers collègues, la commission spéciale doit se réunir à dix-neuf heures trente, pour examiner les amendements extérieurs.

Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote sur les amendements nos 4, 42 rectifié quinquies, 48 rectifié bis, 49, 53 rectifié bis, 171 et 188 rectifié.

M. Bruno Retailleau. Je soutiens ces amendements de suppression, qui ont d’ailleurs été déposés sur toutes les travées : on ne peut les réduire à une démarche personnelle, puisqu’ils émanent de la droite, du centre et… d’ailleurs. (Sourires.)

M. le secrétaire d’État, qui n’est pas présent ce soir, s’est fait un mauvais avocat de sa cause lorsqu’il a parlé d’alignement, disant qu’il y avait des frontières, mais que l’on pouvait les dépasser, les enjamber. On a certes vu le cas d’une femme de 68 ans partie se faire inséminer en Espagne… Mais la vocation du modèle français est-elle de s’aligner sur le moins-disant ?

La vocation de la France, mes chers collègues, est non pas de s’aligner, mais d’essayer d’éclairer, par son modèle, les autres pays. Telle est la conception que j’ai de mon pays, que j’aime tout autant que vous.

Par ailleurs, c’est au nom, non pas de nos certitudes, mais de nos doutes que nous demandons la suppression de cet article !

Le doute porte, tout d’abord, sur l’absence de père, comme je l’ai dit lors de la discussion générale. Quelqu’un peut-il prouver aujourd’hui que cette absence n’a aucune conséquence ? Mon expérience personnelle tend à montrer que cela peut poursuivre un individu adulte tout au long de sa vie.

On doit donc s’interroger sur cette rupture anthropologique. Car il s’agit d’un « pari anthropologique » : cette expression de Jean-Pierre Chevènement a été utilisée par l’Académie nationale de médecine. Il est donc permis de s’interroger et de douter, mes chers collègues.

Le doute porte, ensuite, sur la fragilisation de la filiation, sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir à l’occasion de l’examen des amendements relatifs à la filiation.

La dissociation entre la scène symbolique de l’engendrement et la filiation juridique pose problème. Ce qui permet à un enfant de transformer un homme ou une femme en père ou en mère, c’est en effet la proximité de cette scène d’engendrement, celle de l’accouchement par exemple. Fragiliser cette filiation en recourant à une fiction juridique rend ses origines plus difficiles à concevoir pour l’enfant.

Le doute porte, enfin, sur la marchandisation. Il y aura un effet de ciseaux, avec, d’un côté, une augmentation de la demande liée à l’ouverture et à l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, et, de l’autre, la levée de l’anonymat qui, sans doute, restreindra les dons de sperme.

C’est au nom de ces doutes que nous devons, mes chers collègues, voter ces amendements de suppression. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. La question sous-tendue par la suppression de l’article 1er est en fait le refus d’ouvrir la PMA à toutes les femmes, y compris celles qui sont seules et les femmes lesbiennes vivant en couple. (M. Laurent Duplomb sexclame.)

L’argument qui nous est présenté doit nous interroger. Que des doutes et des questionnements soient exprimés et partagés, cela ne pose aucun problème : c’est la démocratie. Mais ce que l’on nous dit, en l’occurrence, c’est que l’adoption de l’article 1er signifierait l’ouverture à la GPA et que l’on ne veut pas de la marchandisation des corps.

Toutefois, cet argument ne tient pas,…

Mme Laurence Cohen. … dans la mesure où la GPA est actuellement interdite en France pour toutes les femmes. Il ne faut donc pas faire de parallélisme entre la PMA et la GPA.

Comme je l’ai dénoncé lors de mon intervention liminaire, la GPA implique en effet la marchandisation des corps : on loue le ventre d’une autre femme, ce qui est une atteinte à la liberté d’un tiers. La PMA, ce n’est absolument pas la même chose !

Supprimer l’article 1er reviendrait à rejeter toute égalité entre les couples. Comme cela a été démontré, il n’existe pas aujourd’hui un seul type de famille, qui comprendrait un père, une mère et un enfant, mais des familles.

En tant qu’orthophoniste, je suis très étonnée par les propos tenus par certains de nos collègues sénateurs, selon lesquels les enfants nés par PMA seraient en souffrance du fait, notamment, de l’absence de père. Or les études menées par les professionnels, notamment les psychologues, prouvent que ces enfants ne vont pas plus mal que les autres.

M. Bernard Bonne. C’est faux !

Mme Laurence Cohen. Nous sommes en plein dans les fantasmes, les fausses peurs ou l’hypocrisie !

J’aimerais que l’on puisse mener ce débat jusqu’à son terme. Je comprends que certains de mes collègues soient contre la PMA, mais encore faudrait-il que leurs arguments soient justes et tiennent la route, au lieu d’être destinés à faire peur. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous allons bientôt nous exprimer par un vote sur cet article symbolique et central du présent texte.

Le président Retailleau a tenté de faire valoir que des avis divergents traversaient nos travées. Tout de même ! Il est vrai qu’il y a dans chaque groupe quelques exceptions, mais elles sont exactement symétriques… (M. Bruno Retailleau sexclame.) La droite doit assumer de refuser dans sa grande majorité, voire quasiment dans sa totalité, la possibilité d’accéder à la PMA.

Le président Retailleau a parlé de « pari anthropologique », en reprenant l’expression de Jean-Pierre Chevènement, et dit que, au fond aucune étude n’avait permis de prouver quoi que ce soit… Tout de même, encore une fois ! Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) a donné un avis favorable, et toutes les études menées sur le devenir des enfants nés par PMA vont dans le même sens, démontrant que ces derniers n’ont pas de problèmes spécifiques par rapport à d’autres.

Je vous l’ai dit lors de la discussion générale, soyez cohérents : refusez la PMA à toutes les personnes ! Pourquoi acceptez-vous, dans ces conditions, que des couples hétérosexuels aient accès à la PMA et fabriquent ainsi des enfants dont le père officiel n’est pas le géniteur ?

M. Sébastien Meurant. Pour des raisons médicales !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Vous êtes en contradiction avec vous-mêmes ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous voulez sauver les apparences sociales. Vous acceptez qu’une femme fasse un enfant avec un homme qui n’est pas le père officiel, cela ne vous gêne pas. En revanche, qu’une femme assume, notamment parce qu’elle vit en couple avec une autre femme, d’avoir un enfant né d’une PMA, cela vous semble terrible et vous ne pouvez pas l’accepter.

De cette hypocrisie procède la violence de votre position et le malheur de ces enfants, qui ne pourront jamais savoir qu’ils sont nés de ce procédé.

M. Bruno Retailleau. C’est du grand n’importe quoi !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous l’avons dit, nous revendiquons la possibilité pour les femmes de disposer de leur corps et d’accéder à une technique qui ne confère en rien la certitude d’avoir ensuite un enfant. Et nous soutenons, à l’instar du CCNE, que ces enfants ne sont pas plus malheureux ou moins chanceux que les autres.

Nous refuserons donc ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. Je regrette, madame de la Gontrie, les termes que vous avez utilisés dans votre intervention. Il me semble en effet qu’il règne au sein de cet hémicycle, depuis que nous avons commencé à débattre de ce texte, une forme de respect pour la pensée individuelle, qui dépasse les clivages politiques et notre histoire.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Assumez vos positions !

Mme Sophie Primas. Je ne veux pas que l’on nous fasse de leçon ! Au nom de M. Neuwirth et de Mme Veil, la droite n’a pas à recevoir de telles leçons de la gauche. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Sans nous, la loi Veil n’existerait pas !

Mme Sophie Primas. Madame de la Gontrie, je vous ai patiemment écoutée !

Pour ma part, je ne voterai pas ces amendements de suppression, mais je n’accepte pas que l’on opère parmi nous des clivages selon l’endroit où nous siégeons ou selon le parti auquel nous appartenons.

Je n’accepte pas non plus que mes collègues qui vont voter ces amendements de suppression, quels que soient les groupes auxquels ils appartiennent, soient assimilés, comme je l’ai entendu dire précédemment, à des homophobes. Ce n’est pas digne ! Or ce débat demande de la dignité.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je n’ai pas dit cela !

Mme Sophie Primas. Je l’ai entendu tout à l’heure, j’en suis désolée !

Chacun ici est libre de sa pensée, en son âme et conscience, et se déterminera sur ces amendements en fonction de ce qu’il pense au fond de lui-même. Ce n’est pas une question liée au fait de siéger de ce côté-ci ou de l’autre de l’hémicycle. Nous devons avoir un débat apaisé ! (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour explication de vote.

M. Guillaume Chevrollier. Au moment du vote de cet article 1er, une question se pose : quel avenir pour les enfants privés de père ? Aucune étude d’impact sérieuse n’existe sur le sujet.

Lors des auditions de la commission spéciale sur le projet de loi, plusieurs membres du Gouvernement ont indiqué que l’enfant pourrait obtenir, à sa majorité, le nom du donneur, afin que, selon les termes employés par le secrétaire d’État Adrien Taquet lors desdites auditions, l’enfant puisse « pacifier » la relation qu’il entretient avec son histoire. Cette expression a été employée de nouveau, je crois, par Mme Buzyn lors de la discussion générale.

Si vous considérez que l’enfant issu de PMA aura besoin de se pacifier psychologiquement, c’est bien parce que vous sous-entendez que l’absence d’altérité sexuelle au sein de sa famille peut poser un problème…

Au nom du principe de précaution, il ne faut donc pas voter cet article 1er, car cette réforme anthropologique aura forcément des impacts psychologiques sur les enfants à naître sans père. Pour autant, je reconnais la diversité des familles françaises et la respecte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Mon intervention sera sans doute isolée. Je m’efforce de ne parler qu’au nom de la raison, de ma modeste raison, et dans le plus grand respect pour les conquêtes de la science.

L’effort de l’humanité, depuis que celle-ci se développe, consiste à réaliser de nouveaux progrès au service de l’épanouissement de la personne. Aujourd’hui, la science nous donne la possibilité d’artificialiser la conception et la naissance d’un être humain.

La PMA est, comme son nom l’indique, un process d’assistance médicale à la procréation sexuée par un couple constitué d’une femme et d’un homme. L’article 1er du présent projet de loi prévoit une autre PMA, qui est l’aide à la conception d’un nouvel être humain, non pas au sein du rapport entre un homme et une femme, mais en dehors de celui-ci. De mon point de vue, il s’agit d’une première artificialisation de la création de la vie humaine.

M. Laurent Duplomb. Très bien !

M. Alain Richard. Je me pose simplement la question de savoir si, du point de vue de la raison, nous avons éthiquement le droit d’engager notre législation dans la voie de la reconnaissance de cette transformation très profonde de l’évolution de l’espèce humaine.

Nous sommes tous ici, je crois, opposés à d’autres formes, également concevables et sans doute réalisables, d’artificialisation de la création d’êtres humains, comme le clonage par exemple. Mais sur la forme d’artificialisation prévue dans cet article, nous sommes divisés.

J’ai voté pour le mariage entre personnes de même sexe, parce que je croyais utile, voire nécessaire, de reconnaître socialement l’existence d’autres couples. Je ne crois pas, en revanche, pouvoir voter en faveur d’une transformation beaucoup plus profonde du genre humain. À cet égard, je pense que la raison doit nous retenir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Martin Lévrier et Joël Guerriau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Sur le fond, chacun a dit ce qu’il pensait, mais il ne faudrait pas transformer cette discussion en un débat entre points de vue individuels, lequel ne traverserait pas les courants politiques majeurs de ce pays. Ce n’est pas le cas !

On peut respecter le fait qu’un certain nombre de parlementaires, comme sur de nombreux sujets dont nous débattons, ne se reconnaissent pas, à titre individuel, dans la position traditionnelle du courant politique auquel ils appartiennent.

Je ne veux pas faire de procès d’intention. Pour autant, vous pourrez vérifier vous-mêmes, au vu des résultats qui s’afficheront à la suite du vote sur ces amendements, que la gauche et la droite auront essentiellement exprimé des positions opposées sur cette question. Vous verrez ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. J’ai entendu les applaudissements et les échanges ; j’avais aussi suivi de près le débat relatif au mariage homosexuel : des évolutions ont eu lieu par la suite. Il y en aura d’autres lorsque la PMA sera adoptée, car elle le sera. J’en suis certain, ceux d’entre nous qui siègeront toujours dans cet hémicycle lors des prochains débats sur ce thème intégreront cette réforme et se mettront au diapason de ce que l’opinion a déjà accepté.

Il est dommage que ceux qui devraient être à l’avant-garde sur les questions d’égalité dans la société constituent souvent une arrière-garde et que ce qui ne pose plus problème à une majorité de Français soit encore problématique pour une grande partie des parlementaires. C’est un fait, que je constate.

D’autres pays européens, dont certains ont des traditions, y compris religieuses, beaucoup plus ancrées – je pense à l’Espagne –, n’ont jamais connu de telles montées d’adrénaline sur ces questions. Elles ont lieu dans notre pays parce que le débat relatif à la PMA est très politisé, contrairement à ce qui a été dit.

Les pressions évoquées par Mme de la Gontrie dans son intervention liminaire doivent nous éclairer, car elles proviennent d’un groupe qui a fait campagne sur ce sujet, y compris lors de l’élection présidentielle ! (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

C’est une question d’égalité : le droit que l’on a accordé aux couples hétérosexuels, on doit le reconnaître pour les couples homosexuels.

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Je voudrais apporter un éclairage sur la position, évoquée précédemment, de l’Académie nationale de médecine, et que l’on pourrait ainsi résumer : la PMA marque-t-elle une rupture anthropologique majeure ?

J’apporterai cet éclairage en citant les propos tenus par Guillaume Erner dans son émission LHumeur du matin, sur France Culture.

M. François Bonhomme. Très bonne émission !

M. Yves Daudigny. « […] Ce qui est intéressant dans cette accusation de l’Académie nationale de médecine, c’est que l’on voit clairement qu’elle utilise un mot pour un autre.

« L’Académie dit qu’il s’agit d’une rupture anthropologique comme s’il s’agissait de dire que la PMA sans père était contre nature… Et comme on ne peut plus associer l’homosexualité et une supposée contre nature, l’Académie utilise cette périphrase : “rupture anthropologique”.

« Mais précisément, le propre de l’anthropologie par rapport à une hypothétique nature humaine, c’est d’être constamment en mouvement. Toute l’œuvre de Lévi-Strauss sur les systèmes de parenté vise à illustrer l’assertion selon laquelle il n’y a pas d’invariants humains, depuis les sociétés matrilinéaires jusqu’aux sociétés patrilinéaires, avec des communications incessantes entre les unes et les autres.

« La France a subi, par exemple, une rupture anthropologique au XIIIe siècle en matière de système d’héritage. Le Béarn a échappé à cette rupture, les Béarnais n’en sont pas moins humains et français » – enfin, je le crois. (Sourires.)

« L’anthropologique, à la différence du naturel, c’est ce qui supporte la rupture. » Et Guillaume Erner de conclure : « [La] bonne nouvelle, c’est que la PMA préserve le naturel en la personne, puisque la nature, c’est aussi le désir de se prolonger, non pas le droit à l’enfant comme cela est dit souvent sur un mode péjoratif, mais le désir d’enfant qui semble être inscrit en la plupart d’entre nous.

« D’où cette question : au nom de quel système anthropologique une académie de médecine voudrait-elle interdire un désir aussi naturel chez l’humain que le désir d’enfant ? » (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Je souhaite revenir sur l’argument, soulevé par notre collègue Alain Richard, de l’artificialisation, terme par lequel, si j’ai bien compris, il désigne l’intervention de la technique, de la science, dans la procréation.

Cette intervention est très ancienne puisqu’elle date de 1978, c’est-à-dire de la naissance en Grande-Bretagne de Louise Brown, puis de 1982 en France avec la naissance d’Amandine.

L’argument qui tient au refus de l’intervention de l’homme par la science dans le processus de procréation est régulièrement porté par ceux qui ont une lecture très naturaliste du sujet. J’ai ainsi lu récemment, à l’occasion de ces débats, des tribunes dans deux quotidiens, notamment celle cosignée par Michèle Rivasi, laquelle développe usuellement cette pensée naturaliste, qui rejette la science et conduit à un certain nombre de positions non scientifiques. (M. Alain Richard lève les yeux au ciel.)

Évidemment, il y a des limites à poser, mais ce qui nous interpelle profondément dans cette question, c’est notre rapport à la parentalité.

Pour la plupart d’entre nous, mais certainement pas tous, nous sommes issus d’une famille constituée d’un père et d’une mère ayant eu un certain nombre d’enfants de façon naturelle. Je constate que, du fait de l’évolution de la société, nous ne sommes plus que 68 % dans ce cas.

M. Gérard Longuet. Est-ce que c’est une bonne chose ?

M. Bernard Jomier. Un tiers des enfants vivent dans d’autres types de familles – monoparentales, avec deux pères ou deux mères –, et rien ne montre que ces enfants soient plus ou moins heureux que les autres.

Je veux dire surtout que, selon moi, le rôle de législateur n’est pas de décréter l’évolution des mœurs. Nous n’y pouvons rien, et qui serions-nous pour juger ?

Ce rôle, en revanche, est certainement d’encadrer, pour que ces évolutions ne portent pas préjudice à la collectivité et à nos valeurs fondamentales. Mais encore faut-il expliciter quelles sont ces valeurs.

Je constate que l’évolution qui nous est proposée répond à une demande profonde, celle d’une société qui veut avoir des enfants par des moyens différents et qui, pour cela, demande l’accès à une technique ne mettant en rien en cause les principes fondamentaux de notre éthique. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Personnellement, je ne voterai pas ces amendements de suppression, mais en toute humilité.

Si ce soir ou demain était voté le principe de la PMA, pour accompagner ce qui est un fait de société, je sais, pour avoir à l’esprit les débats sur le mariage des personnes de même sexe, que ce vote ouvrira inévitablement d’autres débats à l’avenir. Il nous faudra d’ailleurs entendre ce que chacun a dit sur la GPA et rester très vigilants à ces demandes, qui seront exprimées dans cinq ou dix ans.

Ces demandes apparaîtront, parce qu’ainsi va la vie dans une société. Quand on légifère et qu’on ouvre des droits, on suscite l’envie de créer d’autres droits.

Je ne voterai pas ces amendements de suppression, je le répète ; pour autant, je ne crois pas que la PMA soit un pas vers l’égalité.

En effet, affirmer que la PMA est un processus d’égalité reviendrait à reconnaître que cette légalisation de la satisfaction d’un désir d’enfant est un droit à l’enfant. Or il n’y a pas, selon nous, de droit à l’enfant. Il existe, bien évidemment, les droits de l’enfant et ceux de la famille, et il peut y avoir des familles différentes. Mais il y a aussi des réalités. Nous aurons ainsi le débat, à partir de l’article 4 du projet de loi, sur la filiation et la place des parents.

J’entends ce qui vient d’être dit, mais des faits ne peuvent pas être niés, parce qu’ils sont liés à l’histoire des sciences et à ce que nous a appris le XVIIIe siècle : pour donner la vie, il y a égalité entre l’ovule et le spermatozoïde : l’enfant n’est ni dans l’un ni dans l’autre, mais dans la rencontre des deux. C’est un fait naturel !

Il nous appartient, parce que nous faisons société, de définir ce que sont la famille et le rôle des éducateurs, qui, je le pense, peuvent aujourd’hui être deux femmes, deux hommes ou un homme et une femme. Il faut savoir distinguer les deux sujets, et tel sera l’objet du débat sur les articles suivants.

Pour ce qui me concerne, le fait de voter la PMA ne me conduira pas à tout accepter en matière de filiation et d’état civil. (Mme Sophie Primas applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Bories, pour explication de vote.

Mme Pascale Bories. Je reprendrai les propos que je viens d’entendre sur l’article 1er, lequel pose la question, non pas de l’éducation, mais de la conception de l’enfant. Il s’agit d’une question politique et scientifique, mais surtout philosophique et éthique, qui va forcément déterminer un nouveau modèle social et sociétal.

À l’heure où nous nous interrogeons sur l’avenir de la planète, de l’humanité et de nos populations, thèmes sur lesquels les Français seront appelés à se prononcer, je regrette, madame la ministre, que le Président de la République n’ait pas eu le courage de faire un référendum sur la PMA. En effet, nous le voyons ce soir, ces débats transcendent les partis politiques.

Cette question touche aux fondements de notre pensée personnelle. Il aurait été important de faire un référendum, pour que chaque Français puisse être consulté.

En mon âme et conscience, je voterai les amendements de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je suis un homme de droite, je l’ai toujours été et je n’ai pas l’intention de changer. Mais je dois reconnaître que je suis las d’entendre encore et encore parler du clivage gauche-droite, pour ce sujet comme pour les autres…

Tout d’abord, c’est franchement une mauvaise tactique : quand l’on veut faire voter quelque chose par la majorité sénatoriale, il vaut mieux ne pas la braquer ! Je dis cela, je ne dis rien… (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du RDSE.)

M. Roger Karoutchi. Ensuite, cette après-midi, le débat se déroulait de manière assez cohérente : chacun a avancé ses arguments – les miens, les vôtres… –, en se respectant, sans s’envoyer à la figure notre étiquette politique ou la durée de notre engagement. Tout cela ne va pas changer grand-chose.

Le véritable problème est tout autre : malheureusement, ce texte arrive à un moment où la fracture dans notre pays est telle que le climat social – et non sociétal ! – n’est pas bon. En raison de cette fracture et de ce mauvais climat social, les réactions et les comportements ne sont pas ceux auxquels nous aurions assisté si nous vivions dans un pays heureux, apaisé, avec une politique familiale satisfaisante pour tous – des allocations familiales de bon niveau, un quotient familial reconnu…

S’il y avait tout cela, le débat porterait sur l’extension de la PMA, et non sur cette fracture que l’on essaie de faire ressortir, de manière peut-être un peu excessive, dans cet hémicycle.

Je ne vais évidemment pas voter – je l’ai déjà annoncé – les amendements de suppression. Par la suite, sur le reste du texte, j’ai déjà voté en commission spéciale, et fait voter d’ailleurs, pour que l’on ne reconnaisse pas le droit à l’enfant.

Cela ne plaît peut-être pas, mais je suis de ceux qui considèrent, mesdames les ministres, que, pour obtenir quelque chose, il faut donner des assurances. Si l’on veut faire progresser notre réflexion, il ne faut pas nous braquer, nous dire de voter le texte parce que, de toute façon, la société est devant nous et qu’il faut la suivre. Il faut nous convaincre, en apportant des arguments et des assurances.

Je ne voterai pas les amendements de suppression, mais j’interdis à qui que ce soit de dire que c’est parce que je suis peut-être de droite, tout en étant un jour de gauche ou devenu progressiste. Non ! Je resterai à droite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)

M. David Assouline. Je n’ai pas réussi à vous en dissuader !

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. En 1675, le Parlement de Paris interdisait la transfusion chez l’homme, sous peine de punitions corporelles. Encore maintenant, des sectes la refusent. Ainsi va le monde…

Aujourd’hui, la PMA est attendue en France par beaucoup. Elle est déjà autorisée dans plusieurs pays de l’Union européenne et accessible aux femmes qui peuvent passer les frontières.

En Grèce, la GPA est la première source de revenus dans les cliniques de Thessalonique…

Mme Maryvonne Blondin. C’est bien le problème !

M. Olivier Cadic. … et la deuxième à Athènes. Ainsi va le monde.

Je ne voterai pas ces amendements de suppression, car je souhaite que notre pays offre une nouvelle liberté, qui est attendue. Je ne me définis pas comme étant de droite ou de gauche, mais simplement comme un homme libre.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m’excuser de n’avoir pu vous répondre à l’issue de la discussion générale.

Je souhaite présenter l’état d’esprit avec lequel j’aborde ce texte, en ne me sentant ni de droite ni de gauche, mais simplement chargée de porter une loi qui traverse, me semble-t-il, tous les groupes parlementaires. Chacun d’entre vous a d’ailleurs certainement un avis très partagé sur la plupart des mesures qui vont être développées dans cette loi.

Nous abordons l’article 1er, lequel est probablement davantage polarisé que les autres, pour des raisons culturelles ou cultuelles. À cette occasion, je voudrais vous dire ce que n’est pas, selon moi, cette loi.

Tout d’abord, ce n’est pas une loi en faveur d’un droit à l’enfant. Nous sommes tous convaincus qu’un tel droit n’existe pas, mais que l’enfant, lui, a des droits. Cela dit, nous sommes face à des parents en désir de parentalité, en désir d’amour.

Ensuite, ce n’est pas une loi d’égalité des droits. L’objectif d’une loi de bioéthique n’est pas de vérifier que l’égalité des droits est assurée dans notre société ; un tel texte doit interroger chaque technique médicale, pour savoir si elle met en tension un principe éthique fondamental.

Or force est de constater que la PMA pour les femmes célibataires ou pour les couples de femmes ne met pas en tension nos principes éthiques fondamentaux. Elle peut choquer certains d’entre vous pour des raisons culturelles, mais elle ne touche pas aux fondamentaux de nos lois de bioéthique, qui sont la non-marchandisation du corps humain, la dignité et l’altruisme.

M. Bruno Retailleau. Cela viendra !

M. Gérard Longuet. C’est inéluctable !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je vais revenir sur le risque de glissement, qui est un très mauvais argument – je vous expliquerai pourquoi.

Cet article, tel qu’il doit être voté, ou pas d’ailleurs, ne met pas en tension des principes fondamentaux de nos lois de bioéthique, nos valeurs fondamentales, qui sont – je le répète – la non-marchandisation du corps humain, la dignité du corps humain et le don altruiste.

M. Bruno Retailleau. Et l’anonymat !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Ce sont aujourd’hui des raisons morales, culturelles ou religieuses qui fondent une position sur cet article, mais pas des raisons éthiques. Je ne porte pas cet article 1er comme une mesure d’égalité des droits, parce que tel n’est pas l’objet d’une loi de bioéthique.

Enfin, je ne porte pas ce projet de loi pour nous aligner sur ce qui se fait ailleurs.

M. Bruno Retailleau. M. Taquet l’a dit tout à l’heure !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Si tel était l’objectif, nous n’aurions alors pas besoin de loi de bioéthique, puisqu’il n’y en a pas dans la plupart des pays.

C’est bien parce que la France souhaite se doter d’un corpus éthique autour des questions scientifiques et médicales que nous avons ce moment particulier, démocratique, où nous discutons de ces nouvelles techniques et de l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre société.

Les autres pays n’ont pas de telles lois : ils laissent la liberté, soit à des experts, soit à la société, de dire ce qui peut se faire ou ne pas se faire. Ce n’est donc pas parce que cela se fait ailleurs que nous souhaitons que cela se fasse en France. Le Gouvernement n’avancera jamais cet argument, car, j’insiste, il ne serait alors pas nécessaire d’avoir cette loi de bioéthique et ce moment de partage.

Je veux revenir sur deux arguments que je n’accepte pas.

Le premier est celui du glissement vers la GPA. Tout d’abord, parce que la GPA est parfois aussi indiquée pour des couples hétérosexuels, quand une femme ne peut pas porter un enfant, par exemple parce qu’elle n’a pas d’utérus.

M. Bruno Retailleau. Cela ne changerait rien !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Les couples hétérosexuels pourraient revendiquer l’accès à la GPA. Cela n’a jamais été autorisé, parce que cette technique met en tension le principe éthique le plus fondamental de notre droit, qui est la non-marchandisation du corps.

Dès lors qu’une femme est rémunérée pour une GPA, il n’y a absolument aucune chance qu’une loi de bioéthique « à la française » puisse permettre cette façon de procéder que nous observons dans les autres pays, notamment européens. Si, un jour, une loi autorisait la GPA en France, cela signifierait que nos principes éthiques fondamentaux n’existent plus, et que nous n’avons donc plus besoin de lois de bioéthique, puisque la non-marchandisation est une valeur fondamentale.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je le répète, le glissement vers la GPA signifierait que nous n’avons plus de lois de bioéthique. Je récuse donc cet argument.

Le second argument que je réfute est – pardonnez-moi, monsieur le président Retailleau – la marchandisation du corps dans l’hypothèse où nous serions en pénurie de gamètes. Pour les couples de femmes comme pour les femmes seules, il n’y a pas besoin d’ovocytes, mais seulement de spermatozoïdes. Or il n’y a pas pénurie de spermatozoïdes.

De plus, la façon dont nous allons mettre en œuvre la loi, avec la nouvelle législation sur l’accès aux origines, nous conduira à ne basculer dans le nouveau régime que lorsque nous aurons reconstitué un stock de spermatozoïdes suffisant pour qu’il n’y ait pas de pénurie et que nous ne soyons pas amenés à les acheter à l’étranger.

Tout cela a été parfaitement pensé. La mise en œuvre de la loi ne conduira pas à une pénurie de spermatozoïdes. Je le rappelle, la France ne connaît qu’une seule pénurie, celle d’ovocytes. Or les femmes n’en ont, par définition, pas besoin.

Ces deux arguments ne tiennent donc pas.

Enfin, puisque Mme Primas a cité la loi Veil, je vous rappelle que Simone Veil a défendu cette loi visant à légaliser l’avortement pour des raisons de santé publique,…

Mme Laurence Rossignol. C’est vrai !

Mme Agnès Buzyn, ministre. … en raison des risques mortels qu’encourraient les femmes. Elle ne l’a pas défendue pour des raisons féministes, contrairement à ce qu’on peut entendre.

À ceux d’entre vous qui hésitent, j’indique que, aujourd’hui, les quelques femmes qui n’ont pas les moyens d’aller à l’étranger cherchent des donneurs sur internet ou ont des relations non protégées avec des inconnus pour réaliser ce désir d’enfant, parce qu’il est réel. Elles se mettent ainsi en danger, puisqu’il existe des risques infectieux et des risques de violence, et mettent aussi parfois en danger les hommes – certaines revendiquent ensuite une reconnaissance de paternité parce qu’il est quelquefois dur d’élever un enfant seul…

Cette loi est aussi protectrice, des femmes et des hommes. Pour ce seul motif, cet article représente un enjeu de santé publique et d’encadrement d’une pratique qui est vieille comme le monde. Quand une femme veut avoir un enfant, elle sait comment le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Mme Josiane Costes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je vous ai entendue nous expliquer qu’il n’y avait pas de dérive possible vers la GPA, parce que nos lois de bioéthique ne le permettraient pas.

Néanmoins, j’ai aussi entendu le débat aujourd’hui, et l’on nous a tout de même expliqué que cet article 1er, comme l’article 4 d’ailleurs, avait normalement sa place non pas dans une loi de bioéthique, mais dans une loi sociétale. On nous a également montré que l’article 1er permettait de répondre à une demande sociale.

Par conséquent, je ne vois pas comment vous pouvez affirmer – d’un point de vue juridique, c’est peut-être jouable – que le débat sur la GPA ne se posera pas demain de façon sociale de façon sociale, sinon éthique.

Je le dis d’autant plus fortement qu’il va falloir répondre à une autre question : celle de l’égalité. Aujourd’hui, vous ouvrez la PMA à des couples de femmes ou à des femmes seules. Au nom de quoi et au nom de quelle égalité pourrez-vous, demain, refuser à un homme seul ou à un couple d’hommes l’accès à ce désir d’enfant ?

M. David Assouline. Au nom de la non-marchandisation, on l’a répété dix fois !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Madame la ministre, vous avez dit deux choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord.

Premièrement, vous avez affirmé que ce texte n’ouvrait pas un droit à l’enfant. Mais alors, vous devez pouvoir nous dire à quelles conditions l’on peut refuser l’accès à l’assistance médicale à la procréation d’une femme seule ou d’un couple de femmes. Si l’on ne veut pas le leur refuser, c’est qu’elles y ont droit. Elles ont donc « droit à l’enfant ».

Deuxièmement, et je reprends vos termes, il n’y aurait pas de « mise en tension de nos principes éthiques ». Mais quels sont ces principes ? Vous avez cité Simone Veil. Celle-ci a conduit les travaux qui ont permis d’aboutir au vote des premières lois de bioéthique en 1994. Ces lois réservent l’assistance médicale à la procréation aux cas d’infertilité médicalement constatés d’un couple formé d’un homme et d’une femme.

Ce principe éthique a été reconduit successivement en 2004 et en 2011. Il s’agit donc de revenir sur un principe qui était jugé éthique. Il peut relever d’une opinion particulière de dire que l’on ne remet pas en cause un principe éthique, mais vous me permettrez de considérer que, après trois débats parlementaires, ce principe constamment reconduit était bien un principe éthique.

Enfin, pour aborder le fond du sujet, la création d’enfants sans père est tout de même une question grave. La réalité se charge suffisamment souvent – peut-être certains d’entre vous l’ont-ils eux-mêmes vécu, et nombreux sont ceux qui le vivent en dehors de cet hémicycle – de créer ce type de situations, généralement dans des circonstances assez dramatiques – le deuil, la guerre, les séparations.

On sait à quel point il est déjà difficile d’élever des enfants quand le couple reste constitué. Mais il est aussi difficile d’élever des enfants seul ou sans père. J’attire votre attention sur la faille créée dans la personnalité en formation d’un enfant qui devient adolescent, puis adulte, lorsque ce manque qui se creuse en lui ne trouve aucune réponse.

C’est la raison pour laquelle je mets en garde contre la remise en cause de principes éthiques forts, que nous avons constamment soutenus et adoptés au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. En ce qui concerne la GPA, je ne suis pas devin et je suis encore moins immortelle : je ne sais pas si dans vingt, trente ou quarante ans, ou dans trois ans, certains ne présenteront pas une proposition de loi pour légaliser la GPA. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Dans dix ans au plus !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Ce que j’ai dit, c’est que la GPA mettait en tension le principe éthique fondamental des lois de bioéthique française, c’est-à-dire la non-marchandisation du corps humain et la dignité du corps.

À partir du moment où l’on soulève la question de la GPA dans le débat en France, cela signifie que l’on éteint le principe éthique fondamental qui est à l’origine de nos lois de bioéthique. Si ce type de réclamation survient un jour, ce ne sera pas parce qu’il y aura eu la PMA, car celle-ci ne met pas en tension nos principes éthiques. Si un jour ce type de demande se traduit par un texte de loi et un débat parlementaire, c’est parce que nous aurons collectivement renoncé à nos principes éthiques fondamentaux, mais ce ne sera pas lié à l’ouverture de la PMA.

La PMA ne met en tension aucun principe éthique ; elle pose peut-être des problèmes culturels, moraux, d’image de la famille et du rôle du père, qui ne sont pas des principes éthiques. Les principes éthiques fondamentaux de la bioéthique, c’est-à-dire qui se rapportent aux techniques médicales, sont la non-marchandisation des produits du corps humain ou du corps humain, la dignité et le don altruiste. Ce sont ces principes qui encadrent notre droit en la matière.

La PMA, qu’elle soit pour une femme seule ou une femme en couple homosexuel, ne met pas plus en tension nos principes éthiques que la PMA pour des couples hétérosexuels. En réalité, la PMA aurait dû être ouverte depuis toujours aux couples homosexuels. C’est notre vision de la société qui a fait qu’elle n’a pas été autorisée, et non nos principes de bioéthique. Ce sont nos principes moraux ou la vision que nous avions de la famille.

Au contraire, la GPA ne soulève pas seulement un problème de société ou un problème moral : elle met en tension le principe fondamental. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que le glissement de l’une vers l’autre n’était pas possible.

Monsieur Bas, vous avez évoqué Simone Veil et le fait que, dans les premières lois de bioéthique, elle avait fondé l’accès à la PMA sur un principe d’infertilité.

L’infertilité signifie qu’un couple n’arrive pas à avoir d’enfant. Elle est totalement différente de la stérilité, qu’elle soit féminine ou masculine. Aujourd’hui par exemple, le fait d’accéder à la PMA se fait sur des critères purement déclaratifs : vous n’avez pas réussi à avoir un enfant depuis un an. Aucun médecin n’ira vérifier – je suis désolée de le dire brutalement – si vous avez couché avec votre conjoint dans l’année qui a précédé.

En réalité, le processus est d’ores et déjà purement déclaratif : la stérilité ne doit pas être prouvée. D’ailleurs, nombre de couples n’ont pas de problème de stérilité : aucune cause médicale ne peut être trouvée. Il s’agit d’une incompatibilité, mais peut-être ne couchent-ils pas ensemble. Nous n’en savons rien. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pardonnez-moi, mais nous ne pouvons pas le vérifier. J’utilise un langage cru, mais, j’insiste, nous ne pouvons pas le vérifier. Accéder à la PMA remboursée aujourd’hui se fait sur un principe déclaratif : c’est tout ce que je dis. Le critère d’infertilité ou de stérilité n’a pas besoin d’être prouvé médicalement pour qu’un couple accède à la PMA. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4, 42 rectifié quinquies, 48 rectifié bis, 49, 53 rectifié bis, 171 et 188 rectifié.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et républicain, et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission spéciale est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 66 :

Nombre de votants 325
Nombre de suffrages exprimés 288
Pour l’adoption 126
Contre 162

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et CRCE.)

L’amendement n° 62, présenté par Mmes Cohen, Assassi, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Les articles L. 2141-2 et L. 2141-3 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons.

« Lorsqu’il s’agit d’un couple, font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons :

« 1° Le décès d’un des membres du couple ;

« 2° L’introduction d’une demande en divorce ;

« 3° L’introduction d’une demande en séparation de corps ;

« 4° La signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;

« 5° La cessation de la communauté de vie ;

« 6° La révocation par écrit du consentement prévu au deuxième alinéa du présent article par l’un ou l’autre des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation.

« Une étude de suivi peut être proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit.

« Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître.

« Art. L. 2141-3. – Un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d’une assistance médicale à la procréation telle que définie à l’article L. 2141-1.

« Compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons, dans l’intention de réaliser ultérieurement leur projet parental. Dans ce cas, ce nombre est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation compte tenu du procédé mis en œuvre. Une information détaillée est remise aux membres du couple ou à la femme non mariée sur les possibilités de devenir de leurs embryons conservés qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental ou en cas de décès de l’un des membres du couple.

« Les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons non susceptibles d’être transférés ou conservés fassent l’objet d’une recherche dans les conditions prévues à l’article L. 2151-5.

« Un couple ou une femme non mariée dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci, sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. » ;

2° Les articles L. 2141-5 et L. 2141-6 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-5. – Les deux membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple ou une autre femme non mariée dans les conditions prévues à l’article L. 2141-6, y compris, s’agissant des deux membres d’un couple, en cas de décès de l’un d’eux.

« Les deux membres du couple, le membre survivant ou la femme non mariée sont informés des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’accueil d’embryons, notamment des dispositions de l’article L. 2143-2 relatives à l’accès des personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur.

« Art. L. 2141-6. – Un couple ou une femme non mariée répondant aux conditions prévues à l’article L. 2141-2 peut accueillir un embryon.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent préalablement donner leur consentement devant notaire à l’accueil de l’embryon. Les conditions et les effets de ce consentement sont régis par le livre Ier du code civil.

« Le couple ou la femme non mariée accueillant l’embryon et le couple ou la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon ne peuvent connaître leurs identités respectives.

« En cas de nécessité médicale, un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes concernant le couple ou la femme non mariée, au bénéfice de l’enfant.

« Aucune contrepartie, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée au couple ou à la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon.

« L’accueil de l’embryon est subordonné à des règles de sécurité sanitaire. Ces règles comprennent notamment des tests de dépistage des maladies infectieuses.

« Seuls les établissements publics ou privés à but non lucratif autorisés à cet effet peuvent conserver les embryons destinés à être accueillis et mettre en œuvre la procédure d’accueil. » ;

3° L’article L. 2141-7 est abrogé ;

4° Les articles L. 2141-9 et L. 2141-10 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-9. – Seuls les embryons conçus dans le respect des principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil et des dispositions du présent titre peuvent entrer sur le territoire où s’applique le présent code ou en sortir. Ces déplacements d’embryons sont exclusivement destinés à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés. Ils sont soumis à l’autorisation préalable de l’Agence de la biomédecine.

« Art. L. 2141-10. – La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation est précédée d’entretiens particuliers du ou des demandeurs avec un ou plusieurs médecins et autres professionnels de santé de l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire du centre, composée notamment d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’un infirmier ayant une compétence en psychiatrie, le cas échéant extérieur au centre. L’équipe fait appel, en tant que de besoin, à un professionnel inscrit sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 411-2 du code de l’action sociale et des familles.

« Le ou les médecins de l’équipe mentionnée au premier alinéa du présent article doivent :

« 1° Vérifier la motivation des deux membres du couple ou de la femme non mariée ;

« 2° Procéder à une évaluation médicale des deux membres du couple ou de la femme non mariée. Cette évaluation ne peut conduire à débouter le couple ou la femme non mariée en raison de son orientation sexuelle, de son statut marital ou de son identité de genre ;

« 3° Informer complètement et au regard de l’état des connaissances scientifiques les deux membres du couple ou la femme non mariée des possibilités de réussite ou d’échec des techniques d’assistance médicale à la procréation, de leurs effets secondaires et de leurs risques à court et à long terme, ainsi que de leur pénibilité et des contraintes qu’elles peuvent entraîner ;

« 4° Lorsqu’il s’agit d’un couple, informer celui-ci de l’impossibilité de réaliser un transfert des embryons conservés en cas de rupture du couple ainsi que des dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du couple ;

« 5° Remettre aux deux membres du couple ou à la femme non mariée un dossier-guide comportant notamment :

« a) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’assistance médicale à la procréation ;

« b) Un descriptif de ces techniques ;

« c) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’adoption ainsi que l’adresse des associations et organismes susceptibles de compléter leur information à ce sujet ;

« d) (nouveau) Des éléments d’information sur l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don ainsi que la liste des associations et organismes susceptibles de compléter leur information sur ce sujet.

« Les membres du couple sont incités à anticiper et à créer les conditions qui leur permettront d’informer l’enfant, avant sa majorité, de ce qu’il est issu d’un don.

« Le consentement du couple ou de la femme est confirmé par écrit à l’expiration d’un délai de réflexion d’un mois à compter de la réalisation des étapes mentionnées aux 1° à 5°.

« L’assistance médicale à la procréation est subordonnée à des règles de sécurité sanitaire.

« Elle ne peut être mise en œuvre par le médecin ayant par ailleurs participé aux entretiens prévus au premier alinéa lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues au présent titre ou lorsque ce médecin, après concertation au sein de l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, estime qu’un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire aux demandeurs dans l’intérêt de l’enfant à naître.

« Le couple ou la femme non mariée qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le code civil, leur consentement à un notaire.

« La composition de l’équipe clinicobiologique mentionnée au premier alinéa est fixée par décret en Conseil d’État. »

II. – L’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 12° est ainsi rédigé :

« 12° Pour les investigations nécessaires au diagnostic et au traitement de l’infertilité ; »

2° Après le 25°, il est inséré un 26° ainsi rédigé :

« 26° Pour l’assistance médicale à la procréation réalisée dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. »

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je suis satisfaite du vote du Sénat, ce qui ne vous étonnera pas, car il correspond à ma prise de position !

Finalement, nos débats ont été d’une bonne tenue. Il est important d’avoir, une nouvelle fois, une pensée pour toutes ces jeunes femmes en couple avec une autre femme qui ne vont plus être obligées de contourner la loi en allant quasi clandestinement en Espagne ou en Belgique pour avoir le droit d’être parents et d’élever un enfant.

Avec le mariage pour toutes et tous, on nous promettait un certain écroulement de la société. On a bien vu que tel n’avait pas été le cas, et nous constaterons que le vote auquel nous venons de procéder ne fera pas non plus trembler la société…

Nous avons maintenu l’article 1er, mais je veux exprimer mon désaccord sur la limitation considérable qui lui a été apportée, puisque notre rapporteure, Muriel Jourda, a conditionné le remboursement de la PMA à un critère pathologique.

Nous tombons là dans un autre travers : il s’agit en quelque sorte de punir les femmes de condition modeste, qui seront obligées de payer la PMA. Je voudrais citer l’une des phrases emblématiques de ce projet de loi :

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs. » Je tiens à souligner que, avec les amendements votés par la commission spéciale, en tout cas par sa majorité, cette phrase et le principe qu’elle exprime sont balayés d’un revers de main.

Encore une fois, il faut relever cette atteinte à une égalité pleine et entière. Certains de nos collègues n’arrivent pas à l’envisager et ont besoin de fixer des critères. D’un côté, on ouvre un droit ; de l’autre, on le réduit…

Notre amendement a pour objet de revenir à la rédaction issue de l’Assemblée nationale, qui ne souffrait, elle, aucune différenciation entre les couples pour une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. L’avis de la commission spéciale sur cet amendement est bien évidemment défavorable, puisqu’il s’agit de revenir, sur deux points, sur le texte que nous avons adopté.

D’une part, nous sommes partis du principe suivi, me semble-t-il, dans ce projet de loi : il s’agit d’ajouter des cas d’application de l’AMP – pour les femmes seules et pour les couples de femmes –, et non de modifier ceux qui existent déjà. Ce qui existe déjà, c’est la possibilité, pour les couples hétérosexuels infertiles, d’avoir recours à cette technique médicale qu’est l’AMP.

Nous avons maintenu cette situation – autoriser le recours à l’AMP pour les couples hétérosexuels infertiles –, plutôt que d’ouvrir ce recours, comme c’était le cas dans le texte du Gouvernement et comme cet amendement tend à le faire, aux couples hétérosexuels fertiles, dont on se demande d’ailleurs quel usage ils feraient de cette technique.

La commission spéciale ayant conservé la situation existante – la possibilité du recours à l’AMP pour les couples hétérosexuels infertiles –, je maintiens, bien évidemment, ce qu’elle a décidé.

D’autre part, il est question de la prise en charge, pour tous, de l’AMP par la sécurité sociale. Cette pratique est déjà prise en charge par l’assurance maladie pour les couples hétérosexuels infertiles ; pourquoi ne pas la prendre en charge pour les femmes seules et pour les couples de femmes ?

Encore une fois, ce n’est pas une question d’égalité, car celle-ci consiste à traiter de la même façon des situations identiques, et nous ne sommes pas face à des situations identiques. En effet, si, dans le cas des couples hétérosexuels infertiles, on remédie à une pathologie, il ne s’agit nullement, dans l’autre cas, d’un acte de médecine ; il s’agit d’un acte médical, pour reprendre la distinction faite en commission spéciale par le président Milon. Une technique médicale peut effectivement ne pas constituer un acte de médecine.

Or nous avons des textes portant sur la sécurité sociale et sur les cas dans lesquels la solidarité nationale peut être mise en jeu. Celle-ci peut être mise en jeu lorsque l’on s’occupe du risque de la maladie et de ses conséquences, non dans les autres cas.

Dans la mesure où l’AMP pour les femmes seules et pour les couples de femmes n’est pas liée aux risques ou aux conséquences de la maladie, il n’y a aucune raison de la faire prendre en charge par la solidarité nationale. C’est une application assez logique du droit ; nous ne sommes pas des militants, nous sommes des législateurs et nous devons, je crois, nous conformer à ce qu’est le droit de la sécurité sociale, pour savoir si, oui ou non, cette pratique peut être prise en charge.

La commission spéciale a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. L’amendement de Mme la sénatrice Cohen vise à revenir au texte adopté, en première lecture, à l’Assemblée nationale, en levant la condition d’infertilité pour tous les publics et en reprenant le principe de non-discrimination dans l’accès à l’assistance médicale à la procréation.

Le remboursement repose sur une infertilité observée – douze mois d’échec dans un couple –, sans qu’il y ait besoin de prouver une pathologie sous-jacente.

D’ailleurs, 15 % des couples infertiles n’ont pas de maladie ni de cause médicale avérée ; beaucoup d’entre nous connaissons des couples ayant un premier enfant par PMA et n’ayant pas eu, ensuite, de difficulté à avoir des enfants de façon normale. Cela prouve bien que c’est parfois un problème, sinon psychologique, du moins d’une autre nature, qui empêche la procréation naturelle.

Nous souhaitons donc supprimer totalement cette notion de stérilité ou d’infertilité de la loi, de façon à mettre tous les couples à égalité.

Par conséquent, j’émets évidemment un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Alain Milon, président de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique. Je ne suis pas intervenu jusqu’à présent, respectant, ce faisant, ma promesse, mais je puis maintenant parler et je le fais très volontiers.

Je ne voterai pas cet amendement. Je suis favorable à la PMA et je suis même le seul dans cet hémicycle, à présent que Michèle André n’y siège plus, à avoir déposé une proposition de loi relative à la gestation pour autrui. Ainsi, à titre personnel – cela n’engage personne d’autre que moi –, je suis favorable aux deux techniques.

Cela dit, le texte, tel qu’il a été rédigé par la commission spéciale, me semble bon. La sécurité sociale a été créée pour financer la prise en charge des maladies et pour faire en sorte que les patients qui en ont besoin soient soignés le mieux possible lorsqu’ils sont malades. La grossesse a été prise en charge par la sécurité sociale, bien que ce ne soit pas une maladie, pour prévenir, Philippe Bas l’a dit, les maladies qui pourraient se déclarer ; c’est donc une prise en charge de prévention.

En revanche, on ne peut pas prendre en charge ce qui n’est pas une maladie. Mme la ministre a parlé d’infertilité. Certes, on n’a pas la preuve de l’infertilité jusqu’au bout – on considère que celle-ci existe à partir d’un an –, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit d’une situation pathologique, qui doit être prise en charge par les médecins. Elle est donc, à ce titre, prise en charge et remboursée par la sécurité sociale.

Il est normal, à mes yeux, que la PMA pour les couples infertiles soit prise en charge par la sécurité sociale. La PMA pour les couples homosexuels ou pour les femmes seules ne relève pas d’un problème pathologique ; on l’a dit précédemment, et cela ne me dérange pas de le répéter. C’est un autre problème, c’est une autre façon de voir la vie et, personnellement, je suis d’accord pour autoriser cette technique jusqu’au bout.

Ainsi, la PMA dans ces circonstances ne peut être prise en charge par la sécurité sociale. En revanche, qu’elle soit prise en charge par les organismes complémentaires d’assurance maladie – en gros, les mutuelles –, pourquoi pas ?

Je voterai donc contre cet amendement, car je suis favorable à ce qui a été mis en place, voilà huit jours, par la commission spéciale.

Par ailleurs – je le précise dès maintenant pour ne pas avoir à le dire plus tard –, je suis favorable, en ce qui concerne la filiation, à l’amendement présenté par Sophie Primas.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je l’ai déjà dit, je suis tout à fait favorable à la PMA, mais j’avais déposé un amendement similaire à celui de Mme le rapporteur.

Je ne voterai pas pour l’amendement de notre collègue Mme Cohen, pour les raisons évoquées par le président de la commission spéciale.

C’est vrai, on peut, dans l’absolu, dire que l’on n’a pas complètement l’égalité, mais, avec ce texte, on permet à beaucoup de femmes seules ou de femmes en couple, en France, de bénéficier de la PMA. En effet, je le rappelle, près de 5 000 femmes vont aujourd’hui à l’étranger pour en bénéficier, et il s’agit de personnes ayant des revenus importants, parce que cela coûte très cher.

La PMA en France me convient personnellement tout à fait, mais ce n’est pas à la sécurité sociale de la prendre en charge. La sécurité sociale doit prendre en charge la PMA des couples infertiles, les problèmes de pathologie ; en revanche, il revient aux personnes qui n’ont pas de problème pathologique de financer cette technique, non à la sécurité sociale, laquelle a déjà des problèmes qu’il ne faudrait pas alourdir.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je voudrais simplement poser une question à M. le président de la commission spéciale. En effet, je suis toujours très intéressé par ses réflexions et ses raisonnements, mais, là, je suis pris d’un doute.

Monsieur le président de la commission spéciale, si vous subordonnez le remboursement de la sécurité sociale à une condition de prévention ou de maladie, justifiant ainsi, si j’ai bien compris, le non-remboursement de la PMA dans les cas qui nous occupent, quelle est votre position sur l’avortement ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certains pensent que l’avortement ne doit pas être remboursé par la sécurité sociale ; quel est donc votre point de vue là-dessus, puisque l’avortement n’est pas une maladie ?

M. Philippe Bas. Ce n’est pas le débat !

M. David Assouline. Laissez-moi seul juge, monsieur le président Bas, vous que je respecte beaucoup, des éclaircissements que je souhaite obtenir dans le cadre de ce débat, même si vous pouvez considérer que cela n’entre pas dans notre discussion parce que cela vous dérange. (Mêmes mouvements.)

S’il vous plaît, chers collègues ! Tout le monde l’a bien compris, si l’on explique, dans cet hémicycle, que la sécurité sociale doit rembourser les maladies, par quel mécanisme, puisque la sécurité sociale rembourse l’avortement, M. le président de la commission spéciale justifie-t-il sa position ?

M. Jérôme Bascher. C’est hors sujet !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Pour ce qui nous concerne, nous voterons l’amendement présenté par Mme Cohen et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il s’agit de reprendre, en un seul amendement, toute une série de dispositions réparties, par la suite, en plusieurs amendements isolés ; si celles-ci peuvent passer en un seul vote, tant mieux !

Le sujet, ici, est le remboursement, par la sécurité sociale, de toutes les AMP, y compris celles des femmes seules ou des couples de femmes.

Je ressens, pour ma part, la décision de priver ces femmes de remboursement comme une mesure punitive : « On vous concède ce droit, mais vous ne bénéficierez pas du remboursement de la sécurité sociale, vous vous débrouillerez pour payer. » C’est mesquin, mes chers collègues. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

La santé sexuelle et reproductive des femmes est un sujet incontestablement beaucoup plus large que la définition, donnée tout à l’heure, de ce que la sécurité sociale doit prendre en charge. Elle inclut la contraception, l’avortement, la fertilité et l’ensemble des activités sexuelles et reproductives.

De ce point de vue, le remboursement de l’AMP pour l’ensemble des couples ou des femmes qui y postulent me paraît cohérent avec notre approche traditionnelle. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR, CRCE et LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Les explications de Mme la ministre sont très claires et confortent notre amendement.

Dès lors que l’on accorde un droit, que l’on élargit une pratique à toutes les femmes, qu’elles soient en couple avec une autre femme ou seules, il faut leur permettre d’être soumises au même régime que les couples hétérosexuels. Il n’est pas logique de ne pas le faire sous prétexte que ce n’est pas une maladie. La grossesse, l’interruption volontaire de grossesse et la contraception ne sont pas des maladies. Elles sont pourtant prises en charge par la sécurité sociale, à l’issue, dans le cas de l’IVG, d’une longue bataille.

Ces exemples montrent bien que cela ne constitue pas un argument valable pouvant être convoqué dans notre débat pour militer contre ce remboursement.

En outre, que risque-t-il de se passer ? En tant que législateur, vous allez encourager les femmes qui le souhaitent à aller à l’étranger. On en reviendra donc à des pratiques qui peuvent être dangereuses ou ne pas convenir à l’ensemble des femmes, alors que l’on veut ouvrir ce droit à toutes.

J’en appelle donc simplement à la logique et à la justice.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Doineau. Je l’ai dit lors de la discussion générale, j’ai également déposé un amendement tendant à rétablir le remboursement de cet acte pour l’ensemble des patients qui souhaitent bénéficier d’une PMA.

Pour moi, l’absence de prise en charge crée une injustice entre les femmes qui seraient remboursées parce qu’elles seraient, en quelque sorte, vertueuses, car elles suivraient un parcours déterminé, et les femmes seules ou les femmes en couple homosexuel, qui, elles, seraient soumises à leur volonté de se faire plaisir, si j’ose dire. Cela me semble réellement très injuste.

En outre, Mme la ministre vient de le rappeler, cela toucherait non seulement les femmes seules ou en couple de femmes qui souhaitent recourir à la PMA, mais encore certains couples hétérosexuels, car on n’est pas toujours en mesure de définir l’infertilité. Ces couples-là n’auraient donc pas de remboursement.

En tout état de cause, je pense, à titre personnel, que cet amendement vise à rétablir une forme de justice ; il est conforme au texte issu de l’Assemblée nationale. Selon moi, l’accès à l’AMP ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Je veux répondre à notre collègue David Assouline.

Au préalable, je tiens à le rappeler, le code de la sécurité sociale dispose bien que la sécurité sociale prend en charge les actes médicaux en cas de maladie. C’est le code de la sécurité sociale qui le dit, ce n’est pas moi, et il ne m’appartient pas de le modifier.

Ensuite, madame Doineau, on ne parle de non-remboursement que pour les femmes homosexuelles et les femmes seules, non pour les couples hétérosexuels, qui bénéficient de la PMA pour une raison médicale, l’infertilité, même si – la ministre l’a dit –, celle-ci n’est pas toujours prouvée ; cette infertilité existe, et les médecins la reconnaissent.

Enfin, en ce qui concerne l’IVG, je suis évidemment favorable au remboursement de cet acte ; Mme la ministre l’a indiqué, il s’agissait, à l’époque, d’un problème de santé publique.

M. David Assouline. Elle a aussi dit que la PMA était un problème de santé publique ! C’est pour cela qu’elle a évoqué le cas de l’IVG.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier, pour explication de vote.

Mme Catherine Fournier. Je suis quelque peu surprise. Je m’adresse donc au président Milon et à Mme la ministre pour obtenir des éclaircissements.

On souhaite permettre aux femmes seules ou en couple de recourir à l’AMP. C’est une bonne chose : cela a été voté, il nous faut donc l’accepter et travailler sur cette base. Cette décision a également été prise pour éviter les trafics et la souffrance des femmes qui se rendent à l’étranger.

Je ne comprends donc pas bien ; si l’on n’accepte pas que cet acte soit remboursé, comment le contrôlerons-nous et comment en contrôlerons-nous la tarification ? N’y aura-t-il pas un nouveau commerce, chaque structure appliquant un tarif conventionné, non conventionné ou libre ? Cela me choquerait profondément. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et CRCE.)

M. Jérôme Bascher. Mais, quand il y a un désir, il y a un marché !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Mme la sénatrice Laurence Rossignol l’a dit, aujourd’hui, le remboursement par l’assurance maladie ne concerne pas que des traitements. Nombre d’actes de prévention sont, fort heureusement, pris en charge par la sécurité sociale ; en ce qui concerne la santé des femmes, l’interruption volontaire de grossesse est évidemment remboursée.

Par ailleurs, le président Milon ayant suggéré que l’acte soit remboursé par les mutuelles, je rappelle que, eu égard au mode de fonctionnement actuel des mutuelles, ces organismes ne prennent en charge le complément d’un acte que quand celui-ci est remboursé par l’assurance maladie. Si un acte ou un médicament n’est pas remboursé par l’assurance maladie, même à 15 %, ils ne peuvent être remboursés par une mutuelle.

M. Jean-François Husson. Mais si ! C’est inexact !

Mme Agnès Buzyn, ministre. En outre, le Conseil d’État a indiqué, dans son avis relatif à la loi de juin 2018, qu’il était exclu, pour des raisons juridiques, d’établir un régime différent de prise en charge au regard d’une orientation sexuelle. Il a donc émis un avis très clair sur la question.

Aussi, je vous invite à suivre le Gouvernement au sujet du remboursement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Il va y avoir débat entre Mme la ministre et moi-même, ce que je regrette…

Madame la ministre, je vous indique que les actes d’ostéopathie ou de sophrologie ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale, mais sont remboursés par les mutuelles. (Marques dassentiment sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Absolument ! Et il existe d’autres cas similaires.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 62.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de dix-huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 283, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 3 à 5

Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons.

« Lorsqu’il s’agit d’un couple, font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons :

II. – Alinéa 11

Remplacer les mots :

premier alinéa du présent II

par les mots :

deuxième alinéa du présent article

III. – Alinéa 12

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Une étude de suivi peut être proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit.

« Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître. »

IV. – Alinéas 13 et 14

Supprimer ces alinéas

V. – Alinéas 30 à 32

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Cet amendement vise à rétablir le texte dans sa version initiale.

Au travers de cet amendement, je souhaite supprimer la condition d’infertilité pour tous les publics, reprendre le principe de non-discrimination dans l’accès à l’assistance médicale à la procréation et renvoyer au décret la détermination des conditions d’âge pour l’accès à l’AMP.

Je reviens sur les raisons qui m’ont amenée à déposer cet amendement.

La commission spéciale a souhaité créer deux régimes juridiques distincts : l’un pour les couples hétérosexuels, qui reprend le cadre actuel – l’existence d’un problème médical –, et l’autre pour les couples de femmes et les femmes non mariées. Vous pénalisez ainsi tant les couples hétérosexuels que les couples de femmes et les femmes non mariées.

En effet, vous faites peser sur les premiers une condition, le maintien d’un critère médical, qui n’existera pas pour les secondes. Vous aboutissez donc à une inégalité que nous avons choisi d’éviter, d’autant que celle-ci aboutira forcément à des contentieux, qui obligeront à revenir à un régime identique pour tous.

Je l’ai déjà indiqué, dans 15 % des cas, les AMP de couples hétérosexuels ne reposent pas sur une stérilité médicalement déterminée, car aucune cause médicale ne peut être identifiée. La réintroduction d’un critère médical met en danger les réponses aujourd’hui apportées à ces couples.

Pour ce qui concerne les couples de femmes et les femmes non mariées, l’instauration de deux régimes juridiques pourrait avoir pour conséquence de ne pas rendre effectif le droit ouvert à ces nouveaux publics. En effet, ce double régime risquerait d’induire une priorité de prise en charge en faveur des couples hétérosexuels. Or nous voulons l’égalité d’accès à ce droit pour tous les publics éligibles à l’AMP.

C’est la raison pour laquelle il n’est pas inutile de reprendre, comme tend à le faire le présent amendement, une disposition introduite par les députés dans le texte : « Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs. »

L’adoption du présent amendement permettrait également de revenir au texte du Gouvernement pour ce qui concerne les limites d’âge pour la procréation, afin de prévoir que ces limites soient fixées par décret en Conseil d’État, après avis de l’Agence de la biomédecine.

Il existe aujourd’hui des arguments incontestables pour limiter l’âge du recours à l’assistance médicale à la procréation, en raison notamment des risques médicaux, tant pour les paternités que pour les maternités tardives, ainsi que des risques, pour l’enfant à naître, liés au trop grand écart d’âge avec ses parents. Ces risques sont documentés ; je vous renvoie à l’étude d’impact du projet de loi.

Le critère qui figure dans la loi aujourd’hui – « être […] en âge de procréer » – ne peut être maintenu : il est large, imprécis, sujet à interprétation ; il pose en pratique des difficultés aux équipes médicales ; il est source d’inégalités et il fait l’objet de contentieux contre l’Agence de la biomédecine.

Notre devoir est donc de poser des limites claires et de prévoir des bornes d’âge incontestables pour les équipes. Or la formulation retenue à l’issue des débats de la commission spéciale – « des conditions d’âge encadrées par une recommandation de bonnes pratiques fixée par arrêté du ministre en charge de la santé après avis de l’Agence de la biomédecine » – ne me paraît pas de nature à répondre à ces exigences.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite revenir au texte du Gouvernement : lever la condition d’infertilité pour tous les publics, reprendre le principe de non-discrimination dans l’accès à l’AMP et fixer des conditions d’âge d’accès à cette technique par décret.

M. le président. L’amendement n° 258 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, M. Bargeton, Mme Constant, MM. Buis, Yung et Théophile, Mme Cartron, MM. Patriat, Hassani, Marchand, Cazeau, Patient, Iacovelli, Gattolin, Karam, Rambaud, Haut et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons.

II – Alinéas 13 et 14

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. L’une des forces du projet de loi initial était d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Il s’agissait ainsi de ne pas faire de distinction selon l’orientation sexuelle ni le statut matrimonial des demandeurs.

Or la commission spéciale est revenue sur cette extension harmonieuse, en conservant le critère pathologique pour l’accès des couples hétérosexuels à l’AMP.

Mes chers collègues, au-delà des divergences que connaît notre assemblée sur ce sujet, force est de constater que, en pratique, cette position médiane soulève des questions.

En premier lieu, sur le plan de la logique juridique – j’aurai l’occasion d’y revenir plus tard, à propos d’un amendement que nous avons déposé –, le texte de la commission spéciale subordonne aux critères pathologiques la prise en charge de l’AMP par l’assurance maladie. Dès lors, comment justifier le maintien de ce critère pour les seuls couples hétérosexuels, alors qu’une femme seule ou en couple avec une autre femme peut présenter des problèmes d’infertilité entrant dans le même champ ?

En second lieu, le maintien de ce critère en lui-même, quels que soient les demandeurs concernés, ne semble pas aujourd’hui pertinent. Acceptons de regarder les faits : dans 15 % des cas, la mise en œuvre de l’AMP ne s’inscrit pas dans un contexte pathologique. Comment justifier, en droit, le maintien d’un critère qui n’est déjà pas toujours appliqué dans la pratique ?

Pour ces différentes raisons, guidés par un souci de cohérence, nous proposons de supprimer le critère pathologique pour l’accès à l’AMP des couples hétérosexuels.

M. le président. L’amendement n° 225 rectifié, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Jomier et Jacques Bigot, Mmes Meunier et Blondin, MM. Daudigny et Vaugrenard, Mme Rossignol, M. Kanner, Mme Conconne, MM. Fichet et Vallini, Mme Harribey, M. Montaugé, Mme Monier, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mme Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini et Tourenne et Mme Van Heghe, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

II. – Alinéa 5, au début

Ajouter les mots :

Lorsqu’il s’agit d’un couple,

III. – Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Une étude de suivi peut être proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit.

IV. – Alinéas 13 et 14

Supprimer ces alinéas.

V. – Alinéas 30 à 32

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

3° L’article L. 2141-7 est abrogé ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Les dispositions de cet amendement vont dans le même sens que celles que viennent de présenter le Gouvernement et Patricia Schillinger.

Il s’agit de supprimer le critère, introduit par la commission spéciale, de l’infertilité médicale constatée. Ce critère n’est pas fondé pour les couples hétérosexuels, puisque l’infertilité se constate ; c’est l’absence de grossesse qui permet de la constater. On n’identifie pas forcément une cause médicale, une pathologie, avec un mot à poser ; simplement, pour le dire familièrement, « cela ne marche pas ».

La disposition que vous avez introduite dans le texte est bien entendu destinée à exclure les couples lesbiens du remboursement, mais elle aboutira également à exclure une partie des couples hétérosexuels et, surtout, elle fait reposer sur les médecins qui pratiquent l’AMP des exigences très compliquées.

Cette disposition introduite par la commission spéciale n’a donc pas lieu d’être ; d’où notre amendement.

M. le président. L’amendement n° 94 rectifié, présenté par Mme Doineau, MM. Cazabonne, Guerriau, Cadic, Vanlerenberghe et Capo-Canellas, Mme Saint-Pé et M. Delcros, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

II. – Alinéas 13, 14 et 31

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer ma position lors de mon explication de vote sur l’amendement n° 62 de Mme Cohen.

J’ajoute toutefois que, pour moi, cette mesure entraîne une injustice et une inégalité : une injustice, parce que toutes celles qui feront appel à l’AMP ne seront pas traitées de la même façon, selon qu’elles seront dans un couple hétérosexuel, qu’elles seront dans un couple homosexuel ou qu’elles seront seules ; une inégalité face au droit, parce que, on le sait très bien, les femmes en couple ou les femmes célibataires n’ont pas toutes les mêmes moyens, donc certaines se retrouveront en difficulté.

M. le président. L’amendement n° 196 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Assassi, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. - I. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs, ou encore du changement de sexe à l’état civil.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Au travers de cet amendement, nous proposons que l’élargissement de la PMA concerne également les personnes transgenres, afin que le changement de sexe à l’état civil ne constitue pas un obstacle à l’accès à cette technique, comme c’est le cas actuellement.

Je me doute que notre assemblée n’est probablement pas mûre pour aborder cette question… (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Mais je pense que cela soulèvera un débat dans cet hémicycle, ce qui sera positif.

Je veux donc évoquer un problème soulevé lors d’auditions de nombreuses associations de personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres, ou LGBT.

Bien souvent, les personnes « trans » effectuent un changement de sexe à l’état civil pour être en conformité avec leur genre, mais cela pose un problème, qu’elles vivent extrêmement douloureusement : si une personne est née femme, mais change, quelques années plus tard, son état civil parce que son identité de genre est celle d’un homme, même si ses organes génitaux et reproductifs sont toujours ceux d’une femme, elle ne peut pas avoir accès à la PMA, car seul compte l’état civil.

Cela peut devenir un vrai problème, puisque, à l’inverse, un homme devenu femme à l’état civil pourrait très bien faire une PMA avec une autre femme et entrer alors dans le cadre légal… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il est donc nécessaire de mener un débat sur ces questions et d’auditionner des associations, pour maîtriser ces difficultés et ouvrir un droit égal à l’ensemble des couples.

M. le président. L’amendement n° 191, présenté par Mmes Cohen, Assassi, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.

« Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement, porté par le groupe CRCE, vise à ouvrir la PMA aux personnes transgenres.

Bien évidemment, je soutiendrai avec force cette initiative défendue depuis longtemps par les associations LGBT. La position du Gouvernement et de la droite sénatoriale, exprimée par la voix de Mme Jourda, est qu’il existe une vérité biologique : seules les femmes pourraient porter un enfant et donc bénéficier de la PMA.

Mme Esther Benbassa. Or la seule vérité biologique est qu’il faut un utérus pour porter un enfant, donc bénéficier d’une PMA. Les temps changent, le droit également !

Aujourd’hui, des hommes possèdent un utérus parfaitement fonctionnel. (Marques détonnement.)

Je vois déjà certains de mes collègues se gausser, mais une personne transgenre, qui s’est vu reconnaître le statut d’homme à l’état civil, tout en ayant conservé ses attributs féminins de naissance, n’est-elle pas à même de mener une grossesse à son terme ? Bien sûr que si, mes chers collègues !

L’état civil n’est tout au plus qu’un statut juridique. Souhaitez-vous véritablement créer une nouvelle inégalité de droits entre des personnes possédant les mêmes attributs génitaux et la même capacité à porter un enfant au simple regard d’une identité de genre ? J’espère bien que non.

M. le président. L’amendement n° 33 rectifié ter, présenté par M. Chevrollier, Mmes Chain-Larché, Thomas, Gruny et Bruguière, M. Morisset, Mme Troendlé, MM. Danesi, Bonne, Chaize, Bonhomme, Cardoux, Cuypers, de Legge, Babary, Piednoir et Bascher, Mme Lamure, MM. B. Fournier, Pointereau, Longuet, Regnard, H. Leroy et Meurant, Mme Micouleau et M. Segouin, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué.

La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. La PMA doit viser un objectif thérapeutique. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué.

M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 12 rectifié quinquies est présenté par Mme Noël, MM. Bascher, Bonhomme, Danesi, Morisset et Vial, Mme Morhet-Richaud et MM. H. Leroy et Gremillet.

L’amendement n° 51 rectifié est présenté par MM. Mizzon, Canevet, Cazabonne, Détraigne et L. Hervé et Mmes Herzog et Joissains.

L’amendement n° 167 est présenté par M. Meurant.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le recours à l’assistance médicale à la procréation n’est possible qu’en cas d’échec avéré de tous les autres traitements de l’infertilité et de toute autre technique de restauration de la fertilité.

La parole est à Mme Sylviane Noël, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié quinquies.

Mme Sylviane Noël. Selon la philosophie de ce projet de loi, l’assistance médicale à la procréation est « la » solution en toutes circonstances et devient l’alpha et l’oméga de la lutte contre l’infertilité.

Or le recours à l’AMP ne saurait être systématisé et banalisé tant il est loin d’être un long fleuve tranquille. Parcours douloureux pour la femme, il l’est aussi pour le couple, quand on sait qu’après les quatre tentatives de fécondation in vitro remboursées par la sécurité sociale, la moitié des couples reste sans enfant.

Toutes méthodes confondues, le taux de succès des techniques d’AMP est de 17 %, et, en moyenne, il aura fallu concevoir dix-sept embryons pour une naissance.

Dès lors, il est essentiel de poser comme principe que l’AMP ne peut être que l’ultime recours. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 51 rectifié.

M. Loïc Hervé. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour présenter l’amendement n° 167.

M. Sébastien Meurant. Il est également défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 270 rectifié bis, présenté par Mme Meunier, MM. Jomier, Tourenne, Jacques Bigot et Daudigny, Mme Monier, MM. Marie, Féraud, Vaugrenard, Dagbert et Manable, Mme S. Robert et MM. Duran, Kerrouche et Jacquin, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne en capacité de mener une grossesse, même en cas de changement de sexe à l’état civil, a accès à l’assistance médicale à la procréation.

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Nos collègues Esther Benbassa et Laurence Cohen en ont parlé : toute personne en capacité de mener une grossesse, même en cas de changement de sexe à l’état civil, doit avoir accès à l’assistance médicale à la procréation. Nous ne saurions accepter de discrimination d’état civil.

Si la biologie le permet, pourquoi empêcher des personnes qui peuvent vivre une grossesse de le faire ? Le slogan des années 1970, « Mon corps m’appartient », est toujours d’actualité en 2020.

M. le président. L’amendement n° 141 rectifié, présenté par M. H. Leroy, Mme Noël, M. Guerriau, Mme Thomas et M. Meurant, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Rédiger ainsi cet alinéa :

« L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons humains ou à l’insémination. » ;

La parole est à M. Henri Leroy.

M. Henri Leroy. Le progrès scientifique et technique ne doit pas tout commander. Il me paraît donc essentiel de préciser dans le code de la santé publique que l’homme et la femme doivent être vivants et en âge de procréer.

En tant que législateur, il nous appartient de fixer une barrière. En effet, au-delà d’un certain âge, pour des raisons physiologiques, il existe un risque pour la femme et l’enfant.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 11 rectifié quinquies est présenté par Mme Noël, MM. Bascher, Bonhomme, Danesi, Morisset et Vial, Mme Morhet-Richaud et MM. H. Leroy et Gremillet.

L’amendement n° 34 rectifié quinquies est présenté par M. Chevrollier, Mmes Gruny, Bruguière et Troendlé et MM. de Legge, Bonne, Chaize, Cardoux, Cuypers, B. Fournier, Regnard, Longuet, Meurant, Segouin et Sol.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 12, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

L’âge limite de la femme pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation est fixé à quarante-trois ans.

La parole est à Mme Sylviane Noël, pour présenter l’amendement n° 11 rectifié quinquies.

Mme Sylviane Noël. À partir de 38 ans, les taux de grossesse en assistance médicale à la procréation chutent : supérieurs à 25 % avant 37 ans, ils passent à 12 % à 38 ans, puis à 9 % à 40 ans et à 5 % à 42 ans.

C’est la raison pour laquelle la sécurité sociale a fixé à 43 ans la limite d’âge de prise en charge d’une FIV. Il convient de poser clairement cette limite dans la loi.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour présenter l’amendement n° 34 rectifié quinquies.

M. Guillaume Chevrollier. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 43 rectifié bis, présenté par Mmes Chain-Larché et Thomas, M. Cuypers, Mme Ramond, M. Vaspart, Mmes Gruny et Sittler, MM. Paccaud, de Nicolaÿ, Chaize et Bascher, Mme Deroche, M. Mandelli, Mmes Bonfanti-Dossat et Noël et M. H. Leroy, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L’âge limite pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation est fixée à 43 ans. » ;

La parole est à Mme Anne Chain-Larché.

Mme Anne Chain-Larché. Cet amendement vise à fixer à 43 ans l’âge maximum pour bénéficier d’une PMA, comme le préconise le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.

M. le président. L’amendement n° 142 rectifié, présenté par M. H. Leroy, Mme Noël, M. Guerriau, Mmes Bonfanti-Dossat et Loisier et M. Meurant, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Supprimer les mots :

formé de deux femmes ou toute femme non mariée

La parole est à M. Henri Leroy.

M. Henri Leroy. Il convient de réserver l’assistance médicale à la procréation aux couples formés d’un homme et d’une femme en cas d’infertilité dans un but thérapeutique, tout simplement.

M. le président. L’amendement n° 41 rectifié ter, présenté par M. Chevrollier, Mmes Chain-Larché, Thomas, Gruny et Bruguière et MM. Morisset, Danesi, Bonne, Chaize, Cardoux, Cuypers, Piednoir, Bascher, Mayet, Regnard, Longuet, H. Leroy, Meurant et Segouin, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Supprimer les mots :

ou toute femme non mariée

La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. L’AMP pour les femmes célibataires fait l’économie du couple et prive l’enfant de parents.

Pourtant, la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU, ratifiée par la France en 1990, garantit le droit pour tout enfant, dans la mesure du possible, « de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».

À l’heure où le Gouvernement travaille sur des mesures pour venir en aide aux familles monoparentales, il paraît contradictoire d’élargir la procréation aux femmes célibataires, au travers de ce projet de loi, et de créer des situations de vulnérabilité pour ces familles monoparentales et ces enfants à venir. Ne risque-t-on pas d’introduire une inégalité majeure entre les enfants, certains ayant, ab initio, un seul parent ?

M. le président. L’amendement n° 168, présenté par M. Meurant, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

L’âge limite de la femme pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation est fixé à quarante-trois ans.

La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Les amendements nos 258 rectifié, 225 rectifié, 94 rectifié, 196 rectifié, 191 et 283 ont des objets similaires.

Vous avez indiqué en substance, madame le ministre, que la commission spéciale mettait les couples hétérosexuels en difficulté en rétablissant un critère d’infertilité et en autorisant le remboursement par la sécurité sociale pour des raisons d’infertilité, car 15 % de ces couples ne pourraient voir leur infertilité précisément diagnostiquée. Or il s’agit de la situation actuelle ; nous ne changeons rien : la loi retient aujourd’hui ce critère d’infertilité.

Pour autant, la sécurité sociale rembourse-t-elle ces couples ? Bien sûr que oui. Nous avons d’ailleurs interrogé les médecins des Cécos, les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme : ce n’est pas parce que l’infertilité n’est pas diagnostiquée précisément qu’elle n’existe pas. L’infertilité est bien identifiée comme telle, même si ses causes ne le sont pas, et le remboursement existe bel et bien.

La commission ne met donc en aucun cas en difficulté les couples hétérosexuels infertiles en réservant, conformément au droit en vigueur, cette technique médicale aux couples hétérosexuels qui en ont besoin et non aux couples hétérosexuels qui n’en ont pas besoin.

Bien des choses ont été dites sur la question du remboursement par la sécurité sociale. Comme vous nous l’avez indiqué, nous ne faisons pas un texte d’égalité.

Dès lors, pourquoi nous affranchir de cette règle, lorsqu’il s’agit de raisonner en droit et d’appliquer les règles de prise en charge de la sécurité sociale ? Ce n’est pas la commission, ni le président Milon, ni moi-même qui avons inventé les règles du code de la sécurité sociale : soit les actes médicaux pratiqués ont trait aux risques et aux conséquences de la maladie ; soit ils n’y ont pas trait et ne sont pas remboursés.

Il s’agit d’un simple raisonnement juridique. En ne le suivant pas, nous ne sommes plus des législateurs : nous devenons des militants.

Mme Éliane Assassi. On peut être les deux !

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Or il me semble que ce n’est pas notre rôle.

En ce qui concerne l’amendement n° 141 rectifié, les amendements identiques nos 11 rectifié quinquies et 34 rectifié quinquies et les amendements nos 43 rectifié bis et 168, l’âge limite pour bénéficier d’une AMP n’est pas fixé par le texte. Le Gouvernement propose de le fixer par décret ; cet âge correspondra probablement à celui du remboursement, soit 43 ans.

Or nous avons souhaité confier à l’Agence de la biomédecine le soin de fixer cet âge dans des recommandations de bonnes pratiques, qui feront l’objet d’un arrêté. En effet, au cours des auditions, les médecins ont souligné que la limite de 43 ans pouvait paraître convenable, mais que certaines femmes pouvaient toujours bénéficier de techniques d’AMP au-delà de cet âge, et qu’il serait dommage de les en priver.

L’amendement n° 33 rectifié ter de M. Chevrollier, qui vise à fixer un critère d’infertilité, est déjà satisfait par la rédaction issue des travaux de la commission spéciale. Je lui demanderai donc de bien vouloir retirer son amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

Les amendements identiques nos 12 rectifié quinquies, 51 rectifié et 167 visent à faire en sorte que l’AMP ne puisse intervenir qu’une fois toutes les autres techniques épuisées.

J’entends bien le propos des auteurs de ces amendements, notamment lorsqu’ils soulignent que le recours à l’AMP n’est pas un long fleuve tranquille ; il s’agit effectivement d’une procédure extrêmement délicate. Mais il me semble qu’il doit revenir aux seuls médecins de déterminer le moment où elle doit intervenir, et non à la loi. Laissons les centres concernés définir quelle technique doit être mise en œuvre vis-à-vis des personnes infertiles, des femmes seules ou des couples de femmes.

La commission spéciale est donc défavorable à ces trois amendements identiques.

L’amendement n° 270 rectifié bis, de même que l’amendement n° 191 de Mme Cohen, défendu par Mme Benbassa, vise à permettre la prise en charge de l’assistance médicale à la procréation en cas de changement de sexe à l’état civil. Pour résumer, toute personne en capacité de porter un enfant doit pouvoir bénéficier de l’AMP, quel que soit son sexe à l’état civil. Un homme pourrait donc devenir mère.

Comme vous l’avez souligné, madame Cohen, il est possible que nous ne soyons pas « mûrs »… En tout cas, cette question mérite à tout le moins une discussion approfondie. Nous parlions voilà quelques instants de rupture anthropologique ; le fait de voir un homme devenir mère nécessite assurément un débat, même si je ne méconnais pas le désir et les interrogations de ces personnes. La commission spéciale a donc également émis un avis défavorable sur ces amendements.

Enfin, les amendements nos 142 rectifié et 41 rectifié ter visent à revenir sur l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules.

J’ai développé devant la commission spéciale la même argumentation que celle de M. Chevrollier. À titre personnel, j’avais souhaité que les femmes seules ne puissent bénéficier de l’AMP. En effet, les professionnels que nous avons auditionnés et qui étaient favorables à cette extension ont émis des réserves importantes, car une femme seule peut être en moins bonne situation qu’un couple hétérosexuel ou homosexuel pour élever un enfant de façon convenable et assurer une identification filiative.

Toutefois, la commission spéciale ne m’a pas suivie et a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

En résumé, la commission spéciale a émis un avis défavorable sur tous les amendements et demandé le retrait de l’amendement n° 33 rectifié ter.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est défavorable à tous les amendements autres que le sien.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Comme Laurence Cohen l’a souligné, nous souhaitons revenir à la rédaction de l’alinéa 3 issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Nous sommes en profond désaccord avec la volonté de notre collègue Muriel Jourda de limiter le remboursement d’une PMA à l’existence d’un critère médical alors que nous nous apprêtons à l’ouvrir à toutes les femmes. Cela n’a aucun sens, ou, plutôt, cela a un « sens commun »… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je ne pense pas que les 10 à 15 millions d’euros que coûterait cette mesure préoccupent réellement notre collègue. L’idée est bien de continuer d’opérer une différenciation, une discrimination à peine cachée, entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels.

Enfin, le Conseil d’État lui-même a recommandé, en juillet 2018, de rembourser la PMA à toutes les femmes dans le cas où ce droit serait ouvert.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Je partage l’analyse de Mme le rapporteur sur la question des bornes d’âge.

En ce qui concerne les personnes transgenres, Muriel Jourda nous a invités à la discussion. Or les cas de femmes devenues hommes et qui ont conservé leur utérus existent bel et bien. Ces personnes ont conservé leur capacité à porter un enfant, mais pas celle de le faire naturellement.

Nous avons décidé d’ouvrir la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, en rejetant les amendements de suppression de l’article 1er. Nous touchons ici aux catégories de personnes les plus vulnérables, très minoritaires dans notre société. Ce type de situation est quasiment anecdotique, et ces personnes ont du mal à faire reconnaître leurs droits. Leur appliquer le principe que nous avons adopté remet-il en cause une valeur éthique profonde ? Je ne le crois pas.

J’entends ce que cela signifie en termes d’évolution de la parentalité, mais refuser ce droit à une personne pour la seule raison qu’elle a changé son sexe à l’état civil, tout en l’accordant à l’ensemble des autres, me semble discriminatoire. Ce refus n’est en tout pas fondé sur la violation éventuelle d’un principe de nos lois de bioéthique.

Madame Jourda, le temps de la discussion, c’est maintenant ! Nous en sommes même au temps de la décision. Je voterai donc ces amendements et l’extension de ce droit aux personnes ayant suivi un parcours de transition sexuelle.

M. le président. Monsieur Chevrollier, l’amendement n° 33 rectifié ter est-il maintenu ?

M. Guillaume Chevrollier. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 33 rectifié ter est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 283.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 258 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 225 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 94 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 196 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 191.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 rectifié quinquies, 51 rectifié et 167.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 270 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 141 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 rectifié quinquies et 34 rectifié quinquies.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 43 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 142 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote sur l’amendement n° 41 rectifié ter.

M. Bruno Retailleau. Notre collègue Guillaume Chevrollier souhaite réserver un sort particulier aux femmes célibataires.

Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, cette question pose un cas de conscience. Les amendements de suppression n’ont pas été adoptés, mais nous savons parfaitement que la création de situations de monoparentalité – je ne porte là aucun jugement de valeur – fragilise le parent isolé et peut donc augmenter les risques pour l’enfant.

M. Rachid Temal. Quels risques ?

M. Bruno Retailleau. Attendons que le débat progresse. Il y aura une navette, et le Sénat peut déjà prendre un certain nombre de positions au cours de cette lecture. Il serait sage, mes chers collègues, de tenir compte du risque particulier que fait courir la monoparentalité à des enfants dont on sait par avance qu’ils seront placés dans une situation de risque supérieur.

M. Rachid Temal. Quel risque supérieur ?

M. Bruno Retailleau. Comme d’autres dans cet hémicycle, j’ai été président de département. Croyez-moi, ces situations posaient des soucis aux services de l’ASE, l’aide sociale à l’enfance. Certes, les choses peuvent bien se passer dans certaines familles monoparentales, mais les risques sont accrus.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Franchement, j’aimerais que certains propos ne sortent pas de cet hémicycle. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Monsieur Retailleau, ce que vous venez de dire des familles monoparentales est insultant. (Mêmes mouvements.)

Je le dis très clairement : les familles monoparentales ne sont pas à risque parce qu’elles sont monoparentales ; elles sont en difficulté parce qu’elles sont pauvres, plus pauvres que les autres. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.) Leur vulnérabilité vient de leur pauvreté, de la pauvreté spécifique des femmes, qui s’ajoute à la monoparentalité.

Il n’est pas acceptable que vous présentiez ces familles, qui représentent 20 % des familles françaises, comme des familles dangereuses pour leurs enfants, comme des familles à risque, que vous stigmatisez.

Si vous les rencontrez, si vous discutez avec elles, elles vous diront que le pire, dans la monoparentalité, c’est la suspicion qui pèse sur leur capacité à assumer leur fonction parentale, à être de bonnes mères, c’est le fait de ne pas être regardées comme des familles normales.

Vos propos ne sont pas plus acceptables pour les familles devenues monoparentales en raison des péripéties de la vie que pour les femmes qui veulent faire un enfant toutes seules, grâce à la PMA. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Je suis moi aussi très étonné de vos propos, monsieur Retailleau. Comme s’il y avait une normalité dans la famille…

La normalité est dans votre tête, dans votre modèle culturel, voilà tout. Certaines familles monoparentales sont très heureuses et d’autres familles avec un papa et une maman sont très malheureuses. Faire des généralisations à partir de son système de valeurs n’est pas un argument recevable.

En l’espèce, laisser sa chance à chacun, y compris aux familles monoparentales, est important, car ce mode de vie s’impose désormais en France comme ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Loïc Hervé. On ne peut plus rien dire !

M. David Assouline. Vous avez le droit de dire ce que vous voulez, mais nous avons le droit de vous reprendre !

Rappel au règlement

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 1er (début)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement.

M. Bruno Retailleau. Jusqu’ici, les débats se sont bien déroulés, mais je n’accepterai aucune intimidation !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Sur quel article se fonde votre rappel au règlement ?

M. Bruno Retailleau. Mes propos sont très clairs. Je n’ai jamais mis en cause les familles monoparentales. J’ai simplement souligné que, comme plusieurs études l’ont montré, les risques augmentent pour les parents isolés comme pour les enfants. Nous pouvons donc nous interroger avant de faire naître des enfants dans ces conditions.

M. David Assouline. C’est une explication de vote, non un rappel au règlement !

M. Bruno Retailleau. Nous devons, dans cet hémicycle, être capables d’échanger des arguments.

S’il est fait recours à des procédés d’intimidation, je demanderai une levée de séance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote sur l’amendement n° 41 rectifié ter.

M. Philippe Bas. Je voudrais dire très sereinement à notre collègue Laurence Rossignol que personne ici ne l’a investie du rôle de la police de la pensée correcte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Il me semble que vous pouvez exprimer, chère collègue, vos désaccords avec tel ou tel d’entre nous sans diaboliser ni caricaturer son propos, pour mieux pouvoir le contester et affirmer le vôtre.

Bien des situations de détresse des familles monoparentales ne tiennent pas seulement à la pauvreté. Il est tout simplement difficile d’élever des enfants seul. Nous sommes en droit de nous poser des questions, car la plupart des familles monoparentales subissent leur monoparentalité. Il s’agit très rarement d’un choix de vie, même si je veux bien admettre, dans certains cas, que cela soit possible.

Nous devons bien mesurer la difficulté de tant de situations. Sans doute, ces difficultés peuvent être compensées par beaucoup d’amour et beaucoup d’énergie pour l’éducation des enfants.

Toutefois, ce n’est pas une raison suffisante pour vouloir créer de toutes pièces le même genre de situations par le fait du législateur, l’intervention du système de soins et le financement de la sécurité sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier et M. Loïc Hervé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Comme Philippe Bas et Bruno Retailleau, je souhaite que nous débattions dans la sérénité : sur des questions de cette importance, plus la sérénité et l’humilité seront grandes, mieux cela vaudra.

Je voterai contre cet amendement, pour des raisons qui me sont personnelles. Néanmoins, je rappelle que, lors de nos auditions, les Cécos, les gynécologues et le CCNE nous ont tous demandé d’être extrêmement prudents sur les familles monoparentales, en raison de leur vulnérabilité – le mot a été employé par tout le monde.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je vais m’efforcer d’employer un ton doucereux pour cette explication de vote – car, je vous rassure, il s’agit bien d’une explication de vote…

Monsieur Retailleau, comme je débute, je me réfère au règlement : d’après l’article 36, vous auriez dû faire référence à une disposition précise, faute de quoi la parole aurait dû vous être retirée. Vous pouvez donc remercier le président de séance de vous avoir laissé poursuivre. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.) D’autant que, comme vous le savez, aux termes du même article, les interventions sur des faits personnels sont reportées en fin de séance.

M. Jérôme Bascher. C’est cela, votre explication de vote ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’en reviens à l’amendement en discussion et aux arguments que M. Retailleau a avancés.

Monsieur Retailleau, êtes-vous prêt à ce que nous revenions sur les dispositions qui, depuis des dizaines d’années, permettent à un célibataire d’adopter ?

M. Bruno Retailleau. Les situations sont différentes !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bien sûr… Parce que cela vous arrange !

Oui, il est possible d’avoir un enfant seul, et il est fort bienvenu que le cas soit clairement prévu.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je souhaite réagir au dernier rappel au règlement.

Il nous arrive, aux uns et aux autres, d’avoir envie de reprendre la parole après notre explication de vote, parce que des arguments nouveaux sont venus en débat ; dans ce cas, nous attendons l’amendement suivant. Il n’y a pas un règlement taillé pour M. Retailleau ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Sophie Primas. Le président de séance est libre d’apprécier !

M. David Assouline. Mes chers collègues, j’ai le droit de vous signaler – sur mon temps de parole normal, et non exceptionnel – qu’il serait mauvais de galvauder une procédure prévue pour des situations particulières, et non pour compléter une argumentation quand le règlement empêche de poursuivre.

Monsieur Retailleau, quand on n’a de cesse de donner des règles à la société et de décider de ce qui est supérieur ou non, on commence par s’appliquer à soi-même les règles communes ! (Marques dapprobation sur des travées du groupe SOCR.)

M. Loïc Hervé. Tout ce qui est excessif est dérisoire !

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 1er (interruption de la discussion)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Membre du groupe Les Républicains, j’ai précédemment voté contre les amendements de suppression et je voterai l’article 1er. Je n’en tiens pas moins à exprimer toute ma solidarité à l’égard de Bruno Retailleau, car, comme président de groupe, il nous a laissé une liberté totale. Je n’ai ainsi subi aucune pression. (Marques dironie sur les travées du groupe SOCR.)

Comme Roger Karoutchi l’a souligné, la manière dont les groupes de gauche essaient au contraire de durcir les échanges est totalement contreproductive pour la qualité de nos débats, alors que la discussion générale a été tout à fait à la hauteur de l’enjeu.

En particulier, M. Retailleau, dont je ne partage pas l’ensemble des positions, a essayé de placer le débat au niveau qui doit être le sien, avec une hauteur de vue que je tiens à saluer.

Dans notre groupe, nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais je puis témoigner que je n’ai jamais subi ni constaté aucune des pressions que certains ont voulu instiller dans cet hémicycle, d’une manière qui ne fait pas honneur au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. David Assouline sesclaffe.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Avec votre permission, je voudrais revenir au fond du débat… Notre pays, comme il a été rappelé, autorise l’adoption pour un homme seul ou une femme seule. Nous permettons donc déjà la constitution de familles monoparentales. L’argument avancé à cet égard ne me paraît donc pas recevable.

Philipe Bas a soulevé des questions liées à la capacité à faire face à des situations difficiles, à la solidité d’une personne pour porter une famille. Des arguments d’ordre social ont également été présentés.

Pas plus tard que ce matin, la commission spéciale a adopté un amendement, présenté par un membre de la majorité sénatoriale, tendant à prévoir, en tant que de besoin, une évaluation psychologique et sociale. Une femme seule, comme toute personne, subira le long et difficile parcours de la PMA, y compris ces évaluations.

Pourquoi faudrait-il prévoir pour elle d’autres conditions ? Aucun argument n’a été avancé à cet égard.

En vérité, certains n’acceptent pas ce modèle de parentalité. Or, je regrette de devoir me répéter, mais moi, en tant que législateur, je ne suis pas juge de l’évolution des mœurs. Il nous revient de fixer un cadre pour prévenir des dérives ou des atteintes à nos règles bioéthiques – je pense à la marchandisation –, mais, en l’occurrence, aucune valeur n’est violée.

La procédure de la PMA intègre toutes les précautions nécessaires, et il n’y a aucune nouveauté à voir des familles monoparentales se créer dans notre pays. Cela nous plaît ou non à titre personnel, mais, en tant que législateur, je ne me vois pas rayer d’un trait de plume ce fait de société. (Mme Élisabeth Doineau opine.)

M. David Assouline. C’est tellement évident !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. À l’appui de l’argumentation de M. Retailleau, je reviendrai à mes fondamentaux.

Les familles monoparentales sont, en moyenne, plus pauvres que les autres. Les faits sont simples : l’accroissement de leur nombre a contribué à l’augmentation de la pauvreté dans notre pays au cours des sept dernières années, ce qui doit être pour nous un sujet de préoccupation majeure.

Mme Laurence Rossignol. Elles seraient donc responsables de la pauvreté ? Dites plutôt qu’elles la subissent !

M. Jérôme Bascher. Madame Rossignol, je ne fais qu’exposer un fait statistique : la pauvreté est plus forte au sein de ces familles, ce qui est source de fragilité et, pour un enfant, de risques accrus. Les données statistiques sont sévères, mais c’est ainsi ; je n’y puis rien.

Comme je siège dans cet hémicycle ce soir, mon épouse est seule à la maison. Elle vient d’attraper une gastro-entérite et ne peut pas se lever. Que faire des enfants ? (Exclamations ironiques sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme Éliane Assassi. Quel rapport avec la PMA ?

M. Jérôme Bascher. J’ai la chance d’avoir mes parents tout près,…

M. David Assouline. C’est donc une famille multiparentale ?… (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jérôme Bascher. … mais quand on est tout seul, c’est plus compliqué.

Les familles monoparentales existent dans notre droit : je le reconnais, et je suis même favorable à l’adoption par des personnes seules. En revanche, il n’est pas scandaleux de constater que les familles monoparentales sont plus risquées.

C’est une réalité statistique qui plaît ou non, mais les faits comptent aussi, au moins autant que l’idéologie et la pression sur la pensée ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. Quand on s’éloigne du sujet et que l’on parle moins du fond que des personnes, surtout pour les attaquer, je trouve cela dommage. Préservons le sérieux de nos débats et le respect dans nos échanges, d’autant que nous sommes parfois sujets au doute – il n’est pas simple de prendre position sur ces questions.

Sur la vulnérabilité des familles monoparentales, nous faisons tous le même constat, mais nous n’en tirons pas les mêmes conclusions. Ces situations sont souvent subies et difficiles à gérer ; dans la plupart des cas, on ne choisit pas d’être un parent seul, mais on le devient, à la suite, notamment, d’un divorce.

Faut-il parler de risque ou de vulnérabilité ? Peu importe. En tout cas, pour ma part, je ne suis pas favorable à l’ouverture de la PMA aux femmes seules. Ou alors, il faudrait une égalité parfaite entre hommes et femmes, comme en matière d’adoption.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. Ce débat me paraît appeler une grande retenue.

Statistiquement, monsieur Bascher, vous avez certainement raison : les familles monoparentales sont en plus grande fragilité. Toutefois, cette dernière est le résultat d’un changement de situation – souvent une rupture affective, qui est aussi financière.

Autrefois, on qualifiait de « filles mères » les femmes qui avaient un enfant sans père, souvent d’ailleurs parce que le père ne voulait pas reconnaître l’enfant. Aujourd’hui, un autre phénomène se développe : certaines femmes désireuses de fonder une famille monoparentale ont un enfant de manière naturelle, sans vouloir connaître le père. L’ouverture de la PMA aux personnes seules est plutôt un progrès par rapport à cette situation.

Ne jugeons pas les personnes sur une fragilité qui procède souvent plus d’une rupture que de la situation d’origine ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Qu’une personne seule puisse adopter, j’y suis favorable. Reste que M. Retailleau a raison : on est plus fragile quand on est tout seul.

Cela étant, les personnes qui recourent à la PMA ou adoptent le font de manière choisie ; souvent, elles n’ont pas de problèmes financiers et sont entourées d’une famille ou d’amis. (M. Henri Cabanel opine.)

En tout cas, il faudra que le gynécologue, le psychologue et tous ceux qui entourent la personne recourant à la PMA prennent une décision, une décision qui, pour que tout se passe bien, ne devra pas être systématiquement favorable.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Nous souhaitons tous que notre débat soit serein, mais, mes chers collègues, ne soyons pas naïfs : il y a du conflit. Je pense, pour ma part, qu’il est bon que le conflit s’exprime, notamment sur des sujets aussi sensibles, ce qui est tout à fait possible dans le respect des uns et des autres.

L’amendement en discussion me paraît vraiment choquant, et même dangereux. Notamment parce que certaines familles monoparentales résultent d’un choix : des femmes décident sciemment de fonder une telle famille. Les considérer comme de pauvres femmes vulnérables, c’est inadmissible !

En outre, l’argumentation que l’on nous oppose est contradictoire : parce que ces femmes sont pauvres, elles ne devraient pas, selon certains, avoir accès à la PMA ; mais les mêmes leur refusent le remboursement par la sécurité sociale, ce qui ne risque pas d’arranger leur situation…

Nous sommes hostiles à cet amendement, comme à toutes les dispositions, dont certaines sont proposées par la commission spéciale, qui sont fondées sur un critère social.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Mme Assassi a tout à fait raison : le débat politique, c’est la conflictualité.

M. Jérôme Bascher. C’est du Gramsci ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Ce qui ne fait pas partie du débat, ce sont les attaques ad hominem.

De fait, c’est la confrontation des idées, tantôt tranquille, tantôt vigoureuse, toujours sincère, qui fait l’essence même de la politique. N’ayons donc pas peur d’une conflictualité qui reste dans le cadre d’un débat serein.

Quand on ouvre un droit, il faut qu’il soit universel.

M. Joël Guerriau. Comme la retraite ? (Rires sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)

M. Fabien Gay. La retraite, nous y reviendrons…

Je puis comprendre que l’ouverture de ce droit perturbe certaines personnes, leurs schémas familiaux et leurs convictions profondes. Reste que le législateur, quand il ouvre un droit, doit aussi garantir son universalité et l’accès à celui-ci. À cet égard, le remboursement par la sécurité sociale est une question qui se pose. En tout cas, nous ne pouvons pas faire le tri entre les citoyens et les citoyennes.

De plus, si nous devions exclure de ce droit les femmes seules, certaines pourraient chercher à contourner la restriction : nous pourrions envoyer le signal qu’il faudrait se mettre en couple quelque temps pour accéder à ce droit, avant de rester en couple ou de redevenir une famille monoparentale. Je crois donc, chers collègues qui défendez cet amendement, que vous visez à côté.

Si nous votons l’article 1er, nous ne pouvons pas restreindre le droit créé : il doit être universel !

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.

Mme Véronique Guillotin. Je suis contre l’exclusion des femmes seules du recours à la PMA. De quel droit moi, législateur, déciderais-je qu’une femme seule n’a pas à y avoir accès ?

M. Retailleau a donné des chiffres, et on ne peut pas nier que les familles monoparentales rencontrent des difficultés plus grandes que les familles dites standards. Pour autant, il y a de nombreuses formes de familles monoparentales : la famille monoparentale subie – après une séparation ou un décès, par exemple – est tout à fait différente de la personne seule qui a choisi de fonder une famille monoparentale.

Pourquoi ne ferions-nous pas confiance à une femme seule, qui décide de fonder une famille parce qu’elle a un métier et un entourage, parce qu’elle en a envie, parce qu’elle s’en sent capable ? Pourquoi lui refuserions-nous l’accès à la PMA, au seul motif que 20 % des familles monoparentales rencontrent des difficultés ?

La liberté individuelle de cette personne de décider en conscience de sa propre vie est importante pour moi. Je voterai donc contre l’amendement. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 41 rectifié ter.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission spéciale est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 67 :

Nombre de votants 287
Nombre de suffrages exprimés 258
Pour l’adoption 102
Contre 156

Le Sénat n’a pas adopté. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe SOCR.)

M. David Assouline. Cela fait deux à zéro ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. C’est nul, monsieur Assouline ! Ce n’est pas un jeu !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 168.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Je rappelle aux membres de la commission spéciale que nous nous réunirons demain matin à huit heures trente, en salle 216.

M. le président. Mes chers collègues, je vais lever la séance.

Toutefois, auparavant, je tiens à vous dire, monsieur Assouline, en toute amitié, que je ne suis pas ici pour tailler le règlement sur mesure pour quiconque ; j’essaie simplement de mener les débats avec sérénité, surtout quand les esprits s’échauffent. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, UC et Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

Mes chers collègues, si j’ai failli, je vous prie de m’en excuser. (Dénégations sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.) En effet, pour ma part, je ne suis pas infaillible, contrairement au président Assouline… (Rires et applaudissements prolongés sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, UC et Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

M. David Assouline. Je demande à faire un rappel au règlement ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 34 amendements au cours de la journée ; il en reste 263 à examiner sur ce texte.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Discussion générale

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 22 janvier 2020 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (texte de la commission n° 238, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à minuit.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication