compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaire :

M. Jean-Pierre Leleux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organisme extraparlementaire

Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger respectivement comme membre titulaire et comme membre suppléant au sein de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été invitée à présenter des candidats.

La nomination des sénateurs appelés à siéger au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable
Discussion générale (suite)

Durée du mandat du Président de la République

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable
Article unique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 779 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 93, rapport n° 92).

Je rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le 18 novembre dernier.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle présentée par notre collègue Jacques Mézard, si elle n’a pas eu les faveurs de la commission des lois, a le grand mérite de provoquer un débat essentiel sur nos institutions.

Quels sont, selon les auteurs de la proposition de loi, les deux défauts majeurs du quinquennat, qui justifieraient le rétablissement du septennat, sous une forme non renouvelable ? La fin du président arbitre et l’affaiblissement de l’action publique.

Ces deux faits, je le reconnais, sont bien réels, mais ils ne me semblent pas liés à la durée du mandat du Président de la République.

La prééminence du Président de la République tient à son élection au suffrage universel direct. La révision constitutionnelle de 1962 a parfaitement atteint son but : faire du chef de l’État la clef de voûte de nos institutions.

Du reste, cette consécration présidentielle instituée par le nouveau mode de scrutin a été parfaitement comprise lors des débats qui ont précédé le référendum de 1962. Gaston Monnerville, président du Sénat, parla à cet égard de « forfaiture ».

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Exact !

M. Alain Anziani. D’autres dénoncèrent l’institution d’un régime personnel, à la Salazar, d’autres encore parlèrent de plébiscite…

De son côté, le général de Gaulle considérait que « la nation [devait] avoir, désormais, le moyen de choisir elle-même son Président, à qui cette investiture directe [pourrait] donner la force et l’obligation d’être le guide de la France et le garant de l’État ».

Même si la Constitution de 1958 reconnaît le rôle des partis politiques, elle porte la marque d’une méfiance à leur égard, puisqu’elle place au-dessus d’eux un représentant des Français. L’article 5 de la Constitution consacre le rôle d’arbitre du Président de la République : « Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »

Pour comprendre ces débats de 1962, il faut se souvenir que, en 1958, la France avait connu dix-huit gouvernements en douze ans…

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas seulement ce changement institutionnel qui a bousculé la vie politique française et a conduit à sa personnalisation extrême, pour ne pas dire excessive. Depuis 1965, les Français élisent directement leur président, mais ils le font sous l’œil de la télévision, qui leur montre les visages et les attitudes des candidats. Conjuguée au facteur télévisuel, l’élection au suffrage universel direct a institué un lien direct, personnel, humain entre l’électeur et le candidat. Le même phénomène s’est d’ailleurs produit lors de l’élection présidentielle américaine de 1960, qui a vu John Fitzgerald Kennedy l’emporter sur Richard Nixon.

Si, dans un premier temps, ce lien a sacralisé davantage la fonction présidentielle, il a, dans un second temps – le nôtre –, contribué à sa dégradation. En effet, le Président de la République, hier monarque républicain à l’abri des regards, est devenu un homme comme un autre, dont chacun peut commenter les qualités et les défauts.

Or j’estime, contrairement aux auteurs de la proposition de loi constitutionnelle, que cette personnalisation du pouvoir n’a que peu de rapport avec la durée du mandat. Ainsi, Angela Merkel, en Allemagne, est élue pour quatre ans, et David Cameron, au Royaume-Uni, l’est pour cinq : il serait pourtant difficile de prétendre que l’un ou l’autre souffre d’un manque de visibilité.

Le raccourcissement à cinq ans de la durée du mandat présidentiel a-t-il été influencé par l’air du temps, comme certains orateurs l’ont affirmé au mois de novembre dernier ? Oui, l’air du temps a pesé, comme M. le rapporteur l’a souligné au début de la discussion générale. J’oserai demander : et alors ? Ce que nous appelons l’air du temps consiste à soumettre chacun à l’opinion et au débat. En somme, je dirai, au risque de paraître un peu péremptoire, que l’air du temps est un air démocratique.

Les mandats de longue durée ont été abandonnés dans la plupart des démocraties. Certes, nous pouvons admirer, et même partager, les réflexions de Michel Debré, qui soutenait en 1945 l’idée d’un mandat d’une durée supérieure à sept ans, ou celles du général de Gaulle, qui expliquait en 1964 qu’il aurait préféré un mandat plus long, mais ces réflexions, aussi pertinentes qu’elles aient été à l’époque, sont-elles encore d’actualité ?

En vérité, elles datent d’une période qui ne connaissait pas la cohabitation entre deux pouvoirs aussi légitimes l’un que l’autre, d’un monde où l’information circulait plus lentement qu’aujourd’hui, voire ne circulait pas du tout, d’un univers institutionnel dont la démocratie participative était absente et dans lequel les sondages, plus rares qu’aujourd’hui, mettaient moins souvent à mal la légitimité des gouvernants.

La vérification de la légitimité est un souci constant. Celui-ci, comme le rapporteur l’a fait observer, a conduit le général de Gaulle à en appeler au peuple par la voie du référendum par trois fois, en 1961, en 1962 et en 1969. Dans le dernier cas, le chef de l’État a tiré les conséquences du résultat en abrégeant son septennat. Le même souci de la légitimité a provoqué des tensions à la veille de chacun des scrutins législatifs, qui ont débouché, il est vrai, sur trois cohabitations.

Que les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle me permettent une observation : je crois qu’il y a une grande part d’idéal dans la croyance que le Président de la République, élu pour sept ans, se consacrerait sereinement à son action en oubliant les élections législatives ou locales intermédiaires. Il me paraît évident que, le septennat rétabli, le chef de l’État aurait les yeux fixés sur les scrutins du dimanche et ne pourrait ignorer le verdict des urnes, d’autant que les élections législatives seraient susceptibles de lui imposer une cohabitation. La longue durée d’un septennat n’exclut donc pas que l’action du chef de l’État soit influencée par des échéances plus rapprochées ; elle ne rendrait pas nos gouvernants plus vertueux.

Poussons la réflexion plus loin. Le jugement des Français est quotidien, et ne passe plus seulement par les élections. Cela n’est sans doute pas nouveau, mais ce jugement est désormais public, ce qui l’est davantage. Comment pourrions-nous ignorer la société dans laquelle nous vivons, sa rapidité, sa réactivité et même sa versatilité, qui est une nouvelle règle du jeu ?

Je comprends parfaitement l’argument selon lequel le temps de l’action publique n’est pas le même que celui de l’élection. De fait, aujourd’hui, le titulaire d’une fonction doit répondre de sa politique avant même qu’elle n’ait porté ses fruits. Seulement, cette règle est désormais générale : elle concerne le maire, élu pour six ans alors que les projets municipaux demandent davantage de temps, les acteurs économiques, tenus de rendre immédiatement des comptes à leurs actionnaires et à leurs salariés, et les nations elles-mêmes, qui, face à une crise, ne peuvent attendre aucun répit. Partout, le temps s’est accéléré. Il était donc normal que la démocratie adopte un rythme qui la rende plus réactive.

On ne construit pas une règle constitutionnelle contre le peuple, lequel a changé depuis l’époque du septennat : il veut davantage, plus rapidement et dans une plus grande transparence. Dans ces conditions, je vois mal comment nous pourrions lui expliquer que le Président de la République rendra désormais compte de son mandat non pas dans cinq ans, mais dans sept.

En dépit des propos que j’ai tenus, je partage largement les inquiétudes des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle au sujet de la présidentialisation du régime au détriment du Parlement. Cependant, je considère, avec d’autres, que la cause principale de ce phénomène tient à l’incohérence de notre dispositif constitutionnel.

En effet, nous continuons à vivre dans la fiction d’un Président de la République arbitre, au-dessus des partis, tout en sachant très bien qu’aucun président n’a été élu sans le soutien d’un parti majoritaire et qu’un candidat n’a aucune chance d’accéder à la responsabilité suprême s’il ne s’appuie sur un parti fort. Au demeurant, les Français ne se déplacent pas en masse pour élire un arbitre, mais pour désigner un responsable politique auquel ils demanderont directement des comptes.

À la vérité, nous ne sommes pas allés au bout de la logique de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, qui conduit à la suppression de la fonction de Premier ministre. Nous avons préféré maintenir à la tête de l’État une dyarchie qui est source de discorde, non seulement en cas de cohabitation – songeons à ce spectacle étrange que nous donnons, sur la scène internationale, d’une double incarnation de l’État –, mais aussi en dehors des périodes de cohabitation, comme on a pu le voir avec les binômes composés de Georges Pompidou et de Jacques Chaban-Delmas, de Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac ou de François Mitterrand et de Michel Rocard.

Aller au bout de cette logique suppose de supprimer le droit, pour le Président de la République, de dissoudre le Parlement et la possibilité, pour l’Assemblée nationale, d’adopter une motion de censure, afin d’instaurer une vraie séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

J’ajouterai, mes chers collègues, que la balle se trouve aussi dans notre camp. Si nous voulons un vrai régime parlementaire, il convient sans doute de revoir, outre la place du Président de la République, le rôle du Parlement. Nous devons privilégier l’élaboration de la loi et l’examen des grandes questions – comme celle que nous abordons ce matin –, nos débats se réduisant pour l’heure trop souvent à une longue suite de monologues à usage personnel et local… Mais c'est là un autre sujet, qui fait aujourd'hui, au sein de notre assemblée, l’objet de travaux dont j’espère qu’ils aboutiront. (Applaudissements au banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise de notre système politique et de la démocratie en France s’aggrave de semaine en semaine, sinon de jour en jour.

La Constitution de la Ve République, que le parti communiste français fut la seule organisation à combattre dès l’origine, portait en son sein le germe des dérives auxquelles nous assistons aujourd’hui.

Sur le plan purement constitutionnel, ces dérives sont la personnalisation du pouvoir, la crise de la représentation, la déconnexion entre les citoyens et les lieux de décision.

Bien entendu, cette crise profonde de nos institutions est intimement liée à une situation économique et sociale qui jette par milliers nos compatriotes dans la souffrance sociale, la crainte de l’avenir et, trop souvent, le désespoir.

Cette crise de la politique tient en premier lieu à l’incapacité des dirigeants successifs à répondre aux attentes populaires en matière d’emploi et de qualité de vie. Comment ne pas percevoir que le système, en difficulté, se recroqueville, se protège et rabaisse les exigences démocratiques pour contrer la contestation montante de sa légitimité ?

Les citoyennes et les citoyens veulent plus de pouvoir. Ils veulent reprendre le pouvoir. Ils ne supportent plus les promesses non tenues, les mandats non respectés. La crise du système provient d’une perte de citoyenneté progressive, dans la ville face aux grands choix politiques, mais aussi dans l’entreprise, où la précarité, la flexibilité et la pression du chômage ont fait leur œuvre : les salariés sont désorganisés, le syndicalisme est en panne, la force collective s’est fragmentée.

M. Mézard et les auteurs de la proposition de loi évoquent dans leur texte le « désenchantement des citoyens français vis-à-vis de leurs institutions ». Nous partageons ce constat, mais il fallait, selon moi, rappeler que cette crise provient de la précarité vécue par une part très importante de la population et de la volonté de ceux qui profitent du système de construire des barrières, pour que surtout rien ne change.

La fonction présidentielle et le statut du Président de la République font aujourd’hui débat. Nous fûmes longtemps seuls, au parti communiste français, à nous interroger sur la dérive présidentielle de la VRépublique et sur la personnalisation de la vie politique qu’elle induisait. Il aura fallu l’agitation et l’hyperprésidentialisation des années durant lesquelles Nicolas Sarkozy fut au pouvoir pour que cette interrogation se diffuse plus largement dans la société.

L’abandon de ses promesses de campagne par François Hollande amène un grand nombre d’observateurs et de citoyens à s’interroger sur cette fonction qui autorise un homme disposant de pouvoirs considérables à décider, seul, du sort de notre pays, et donc de ses habitants.

Ce renforcement de la fonction présidentielle – c’est l’objet de la proposition de loi dont nous discutons – est la conséquence directe de la réduction de la durée du mandat à cinq ans et de l’inversion du calendrier électoral qui l’a logiquement suivie.

En effet, la durée du mandat présidentiel ayant été alignée sur celle du mandat des députés, il apparaissait logique de soumettre les élections législatives à l’élection présidentielle.

Les partisans de la Ve République ont tiré les leçons des périodes de cohabitation – qui, finalement, redonnaient une place importante au Parlement –, en organisant la soumission pleine et entière de la majorité de l’Assemblée nationale à celui qui l’a menée à la victoire, le Président de la République.

L’élection présidentielle est désastreuse pour notre démocratie. Elle tue le pluralisme en favorisant le bipartisme, elle met en place une médiatisation exacerbée de la vie politique. La conquête du pouvoir devient un objet de communication absolue. C’est l’heure du storytelling : on construit de belles histoires qui s’évanouissent dès l’élection passée. Après « la France qui se lève tôt » et le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, c’est aujourd’hui l’oubli du « changement, c’est maintenant », de « mon ennemie, c’est la finance », de « moi président, je ne ferai rien comme avant », tout continuant comme avant !

Mme Éliane Assassi. Avec mon groupe, avec mon parti, avec le Front de gauche, je pose la question des pouvoirs du Président de la République, celle de son mode d’élection, et même celle de la nécessité de la fonction.

Nous pensons qu’il faut rompre sans hésitation avec la dérive médiatico-politique à laquelle nous assistons. Supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel est indispensable en vue d’une reprise en main démocratique du pouvoir. Restreindre les pouvoirs du Président de la République en est le corollaire nécessaire. Il faut en finir avec le droit de dissolution de l’Assemblée nationale, avec la nomination du Premier ministre, avec la présence du Président de la République au conseil des ministres, ainsi qu’avec ce pouvoir quasiment monarchique qui lui est dévolu en matière de conduite des conflits internationaux.

Finalement, dans le cadre d’une démocratie repensée, un Président de la République est-il nécessaire ? Ne faut-il pas en finir avec ce reliquat de tradition bonapartiste de concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme ?

La proposition de loi de M. Mézard a le mérite de soulever le problème. On ne peut pas continuer ainsi, avec la domination sur nos institutions d’un véritable monarque républicain pour un mandat de cinq ans !

Nous estimons cependant qu’il faut aller plus loin dans la remise en cause du fait présidentiel. Plus généralement, nous pensons qu’une telle remise en cause doit constituer l’un des symboles de l’instauration d’une VIe République démocratique et sociale. Les retouches successives apportées à la Constitution – vingt-quatre depuis 1958 – ne peuvent combler le fossé qui s’est creusé entre le peuple et les institutions. Une assemblée constituante devrait être convoquée pour poser la question démocratique en France.

Citoyenneté dans le pays, citoyenneté dans la ville, citoyenneté dans l’entreprise, prise sur les choix européens : ces sujets doivent se trouver au centre d’une réflexion à conduire d’urgence, avant que la colère, l’exaspération populaire ne mènent à des choix dangereux. L’instauration de la VIe République n’est pas une rengaine ou un mythe ; c’est une nécessité historique.

Bien que ce texte apporte selon nous une réponse trop limitée à l’exigence de changement démocratique qui monte dans notre pays, le groupe communiste républicain et citoyen votera en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Esther Benbassa et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après avoir débattu du statut pénal du Président de la République il y a quelques mois, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi de M. Jacques Mézard visant à rétablir à sept ans la durée du mandat présidentiel et à rendre celui-ci non renouvelable. Le Président de la République semble très en vogue ces derniers temps, au moins au sein de notre assemblée…

On l’a dit, si le quinquennat fut longtemps un « marronnier » de la vie politique française, il aura fallu attendre la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 pour qu’il soit instauré, dans un contexte d’ailleurs particulier, puisque le référendum a été marqué par une très forte abstention.

Parallèlement, une loi électorale fut adoptée afin que les élections législatives interviennent deux mois après l’élection du Président de la République et que ce dernier ait donc toutes les chances de pouvoir s’appuyer sur une Assemblée nationale majoritairement de son bord politique pour réaliser son programme.

Toutefois, depuis près de quinze ans, nombreuses ont été les voix à remettre en cause cette réforme, à droite comme à gauche. C’est dans ce mouvement de contestation que s’inscrit le dépôt de la présente proposition de loi.

Les auteurs de ce texte, estimant que l’instauration du quinquennat a eu pour conséquences de mettre fin au statut particulier d’arbitre institutionnel du Président de la République et de dégrader la qualité du débat politique, proposent de rétablir à sept ans la durée du mandat présidentiel et d’interdire l’exercice de deux mandats successifs.

Vous ne serez pas surpris, mes chers collègues, si je vous dis que les écologistes sont contre tout cumul des mandats, que ce soit – si j’ose dire – dans le temps ou dans l’espace.

Nous avons toujours soutenu l’idée que seule la limitation des mandats dans le temps est susceptible de favoriser une véritable rotation dans l’exercice des responsabilités, et nous souhaitons que les parlementaires et les membres des exécutifs locaux ne puissent pas exercer plus de deux mandats consécutifs.

Quant à la durée du mandat présidentiel, elle ne nous semble pas être la principale cause du dysfonctionnement de nos institutions. En effet, c’est la tenue des élections législatives en aval de l’élection présidentielle qui aboutit à ce que la campagne électorale soit quasiment permanente et à ce que le président candidat succède bien souvent au candidat à la présidence…

Il nous semble toutefois que la réflexion induite par l’examen de ce texte devrait être beaucoup plus large, et nous amener à prendre position sur le modèle de démocratie que nous souhaitons.

Les écologistes l’affirment depuis longtemps, face aux crises politiques et institutionnelles, il faut refonder profondément nos institutions, à tous les niveaux, pour affronter démocratiquement les temps qui viennent et bâtir ensemble une nouvelle société.

Il faut inventer une VIe République, qui n’aurait pas pour seule vocation de « réparer » la Ve, régime de concentration et de confusion des pouvoirs favorisant l’irresponsabilité et l’immunité des dirigeants, mettant les citoyens à distance de leurs représentants.

Dans la nouvelle République que nous imaginons, la proportionnelle serait généralisée à tous les scrutins afin de tenir compte le mieux possible du poids politique réel des différentes forces et d’assurer une parité effective parmi les élus. Nous prévoyons une refonte du rôle du Président de la République, qui serait garant du bien commun et, en particulier, de la prise en compte par le Gouvernement et le Parlement des exigences du long terme, ainsi qu’une inversion du calendrier électoral, pour que les élections législatives soient indépendantes de l’élection présidentielle et aboutissent à l’élection du Premier ministre – leader du parti ou de la coalition gagnant – par l’Assemblée nationale.

Si, finalement, le groupe écologiste votera contre ce texte (Exclamations sur les travées du RDSE.),…

M. Yvon Collin. Ce n'est pas bien !

Mme Esther Benbassa. … ce n’est pas parce qu’il contient des mesures particulièrement problématiques, mais parce que nous sommes convaincus que c’est le modèle de nos institutions qu’il faut réinventer dans son ensemble. C'est à la construction de la VIe République qu’il faut s’atteler maintenant.

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les événements tragiques de ce début d’année ont ouvert une parenthèse d’unité nationale qui devrait trouver un prolongement dans le débat sur la réforme et la modernisation de nos institutions, ou plus exactement sur l’équilibre des pouvoirs, qu’il devient urgent de revoir.

On en conviendra, il existe sinon une unité, du moins un consensus, au sein des forces politiques et citoyennes de notre pays, pour reconnaître qu’il est urgent de changer et de réformer notre système institutionnel.

Plutôt que d’entamer une grande et profonde révision de la Constitution en revoyant la plupart de ses articles, comme le souhaite Mme Benbassa, pourquoi ne pas réajuster sensiblement l’équilibre et le fonctionnement des institutions de la Ve République, en ne modifiant qu’à la marge, par quelques petites touches bien ciblées, notre texte fondamental ? C’est le choix que nous avons fait en proposant d’allonger de deux ans le mandat du Président de la République, d’une part, et de le rendre non renouvelable, d’autre part.

Nous sommes convaincus que l’entrée en vigueur de ces deux seules mesures serait de nature à changer considérablement le fonctionnement de nos institutions et la pratique même du pouvoir, que celui-ci soit exécutif ou législatif.

Aujourd’hui, à mi-chemin du quinquennat présidentiel, que constate-t-on ? L’échéance de 2017 et les stratégies électorales prennent le pas sur le débat de fond et la recherche de l’intérêt général. Le temps de l’action politique est de plus en plus réduit sous la pression du temps médiatique. Ne serait-ce pas une fausse modernité que de croire que tout doit aller vite à l’ère de la mondialisation, alors que les réformes structurelles imposent un temps long ?

Polarisé sur sa propre réélection, un président élu pour cinq ans doit remplir rapidement ses promesses, quitte à spéculer avec imprudence sur l’avenir. À peine élu, on veut inverser ou accélérer des courbes. Comme le disait très justement Flaubert, « l’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe.»

Dans ces conditions, un septennat non renouvelable permet finalement d’agir dans la durée et de ne pas être prisonnier de sa propre réélection. La focalisation permanente du titulaire, comme de son gouvernement, sur une probable nouvelle candidature s’efface, donnant plus de force à une vertu cardinale en politique, le courage de l’action. Le courage, cela signifie prendre des décisions impopulaires lorsqu’elles sont nécessaires au pays, à l’intérêt général et aux Français. D’une certaine façon, cela éviterait un quinquennat pour rien, quand ce n’est pas deux si le sortant n’est pas réélu, d’autant que les électeurs sont de plus en plus tentés par l’alternance systématique à l’issue de chaque quinquennat.

Comme l’a dit excellemment Jacques Mézard lors de son intervention à cette tribune pour présenter notre proposition de loi, le quinquennat nuit à la qualité du débat public lorsqu’il conduit le titulaire de la fonction présidentielle à se placer dans la position de candidat à sa propre succession.

Certes, on nous opposera, madame la secrétaire d’État, que, dans la plupart des régimes parlementaires, la durée des mandats n’excède pas cinq ans. Mais la comparaison a ses limites, lorsqu’elle n’est pas faite à l’aune d’un ensemble institutionnel. Le champ comparatif se rétrécit notamment si l’on se réfère au mode d’élection. Seuls quatre pays en Europe élisent leur président au suffrage universel direct. Je prendrai l’exemple de la Finlande, qui a fait le choix de l’élection du président au suffrage universel direct en 1994. Mais le mandat de ce dernier est de six ans et, surtout, la réforme s’est accompagnée d’un fort rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement.

Il s’agit en effet aussi de la question des rapports entre l’exécutif et le législatif, mes chers collègues ! Disons-le, le quinquennat a plutôt consacré l’affaiblissement du Parlement. En calant la durée du mandat présidentiel sur celle de la législature de l’Assemblée nationale, la réforme de 2000 a dénaturé la fonction arbitrale du Président de la République, pourtant affirmée avec force, je le rappelle, à l’article 5 de la Constitution.

Théoriquement responsable de tous les Français, le Président est devenu, de fait, le chef d’une majorité parlementaire, puisque celle-ci est élue dans le sillage de sa propre élection.

Le Président est ainsi lié à une majorité partisane et ne peut plus exercer, comme il le devrait, sa neutralité politique, en se plaçant « au-dessus des partis politiques », alors même que cela peut se révéler indispensable. Il gouverne plus qu’il ne préside. Dans ce cadre, on peut d’ailleurs s’interroger sur l’utilité du Premier ministre.

Aussi l’Assemblée nationale ressemble-t-elle de plus en plus à une « chambre d’enregistrement » des promesses présidentielles suivies, ici et là, de quelques aménagements, quand « les frondeurs » aboient un peu trop fort et que la majorité se rétrécit.

Au mois de novembre dernier, vous nous avez dit en substance, monsieur le rapporteur, que les radicaux avaient la nostalgie du régime parlementaire. Quel mal à cela ? C’est tout notre pays qui est nostalgique, exprimant seulement le souhait d’un véritable équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, comme c’est le cas dans nombre de démocraties. Oui, nous voulons – et nous le revendiquons haut et fort – un président arbitre et un parlement plus indépendant.

Permettez-moi de croire, mes chers collègues, qu’on peut conforter nos institutions sans revenir à la dérive parlementariste de la IVe République et sans en rester à la dérive présidentialiste de la Ve République.

Enfin, il est indiqué à la page 5 du rapport de M. Hugues Portelli – les conclusions de la commission des lois – que la proposition de loi constitutionnelle examinée ce matin ferait réapparaître la cohabitation. Mais celle-ci n’était pas une si mauvaise chose ! D’ailleurs, l’Histoire commence à lui rendre les honneurs qu’elle mérite. Qui plus est, elle est toujours préférable à une cohabitation larvée qui ne dit pas son nom, mais cause bien des dégâts. De surcroît, il n’est point besoin de démontrer que le quinquennat n’a en rien écarté l’éventualité d’une cohabitation, puisque le Président peut toujours dissoudre l’Assemblée nationale, démissionner ou même décéder. Peut-être faut-il en effet rappeler que le titulaire de cette fonction est, lui aussi, mortel !