Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Comme j’aime toujours à écouter ce qu’ont à dire les uns et les autres, j’ai été attentif aux orateurs qui viennent de s’exprimer. Ce faisant, je me suis rendu compte que la très grande majorité d’entre eux se situaient dans la ligne du rapport élaboré par Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger et approuvé par notre assemblée.

M. Roger Karoutchi. C’est logique !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. On nous demande de constituer de nouvelles régions, de transformer les conseils régionaux, sans nous dire pourquoi ! Il nous faudrait donc une feuille de route, qui viendra avec le second texte. Monsieur le ministre, vous conviendrez qu’il n’est pas facile, sur le plan intellectuel, de scinder en deux ce processus. Certes, c’est arrivé dans le passé, mais ce n’est pas une raison pour recourir à ces mauvaises méthodes.

M. Bruno Sido. Bis repetita placent !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Cet article 1er A est important : nous tenons à ce que les régions disposent de compétences stratégiques, et c’est uniquement cet objectif qui justifie qu’on en étende le périmètre. Partant, leur confier toute une série de charges de gestion…

M. Roger Karoutchi. … n’a aucun intérêt !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ce n’est même pas que cela n’a aucun intérêt ; cela n’a aucun sens !

On peut toujours tenter de redéfinir les compétences des départements. Monsieur le ministre, la loi Raffarin avait tenté de clarifier celles-ci, mais nous n’étions pas allés jusqu’au bout en raison des oppositions qui étaient apparues. Ce sera peut-être plus facile aujourd’hui dans la mesure où, puisque leurs ressources sont moindres, les collectivités locales auront moins tendance à s’occuper de questions qui ne relèvent pas de leur compétence.

Quand on réduit les ressources, les gens font bien plus attention !

M. Bruno Sido. C’est arithmétique !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Le département est indispensable. Tout le monde en convient, sauf deux ou trois de nos collègues, grenouilles qui veulent se faire aussi grosses que le bœuf.

M. Bruno Sido. Les Verts !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Non, je ne vise pas les Verts ! Leur point de vue est différent, mais il est intéressant.

Monsieur le ministre, la question qui préoccupe également tous les élus, c’est celle-ci : que va-t-on faire de l’intercommunalité ?

Dans le débat, j’entends aussi certains réclamer de la « supracommunalité ». Nous voulons, nous, de l’intercommunalité. Soyons donc prudents, d’autant que nous finissons à peine la carte des intercommunalités. J’en parle d’autant plus à l’aise que je suis élu d’Ile-de-France et que je ne suis donc pas concerné pour l’instant par des regroupements.

M. Roger Karoutchi. Cela viendra !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En effet, mon cher collègue, d’autres regroupements nous inquiètent…

C’est dans ce cadre que le Sénat, de façon très majoritaire, comme vous allez le voir, monsieur le ministre, souhaite s’inscrire pour engager le débat sur les compétences. Certes, on peut toujours penser que l’article 1er A n’a pas une valeur législative forte, mais il est malgré tout important.

Nous avons entendu M. le Premier ministre hier. Nous vous avons entendu aujourd’hui, monsieur le ministre. Nous avons aussi entendu M. Vallini, et, dans le temps, l’on note pour le moins des nuances dans les propos de certains de vos secrétaires d’État…

M. Bruno Sido. Ce sont bien plus que des nuances !

M. Roger Karoutchi. C’est même franchement contradictoire !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. De grands admirateurs du département finissent par être favorables à sa suppression... Que voulez-vous, c’est ainsi ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

Quant à moi, je pense qu’il faut tout de même faire preuve d’une certaine constance. Il faut moderniser les structures des collectivités locales et réaliser des économies. Vous en avez cité, monsieur le ministre, un exemple tout à fait frappant. Mais que démontre-t-il ? Vous auriez tout aussi bien pu engager une fusion des communes. Pourquoi pas ? Quand, dans deux communes proches, on multiplie les équipements, il y a des doublons. Cela peut se produire. Une telle fusion avait été manquée en 1972, mais ce n’est pas une raison pour ne pas envisager cette solution dans certains cas.

En revanche, je ne pense pas que l’on fasse des économies en éloignant en permanence les administrations de la population, notamment dans le cadre régional.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En effet, vous devrez créer des superstructures administratives pour gérer tous les besoins de proximité.

Je ne voudrais pas donner l’exemple des routes, mais, étant conseiller général depuis quelque trente-trois ans, je pense vraiment que le conseil général a toujours bien géré la voirie départementale. Il a d’ailleurs repris des structures de l’État, les directions départementales de l’équipement, qu’il a intégrées dans de très bonnes conditions.

Si l’objectif est non pas seulement de réaliser des économies, mais de donner aux régions une capacité d’intervention dans le domaine économique, je le partage. Les choses n’ont pas trop été précisées, parce qu’on ne pouvait le faire à ce stade et que nous le ferons dans la loi sur les compétences. Il est toutefois évident que c’est à la région qu’il revient de s’occuper de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. J’ai entendu le Premier ministre, et la région pourrait aussi s’intéresser à l’emploi, puisqu’elle a la charge de la formation professionnelle. C’est le bon échelon pour raisonner dans ce domaine.

Néanmoins, pour des besoins de proximité, et pas seulement la solidarité locale, car le rôle des conseils généraux ne saurait se borner aux seuls RSA, APH et APA. Si les conseils généraux ont été extrêmement dynamiques pour le développement des territoires, c’est qu’ils avaient d’autres compétences d’assistance aux communes, ou qui concernaient un certain nombre d’équipements. C’est le sens du texte élaboré la commission spéciale.

C’est dans ce cadre, monsieur le ministre, je vous l’annonce, que nous bâtirons le texte sur les compétences. Je pense que nous pouvons nous prouver, vous prouver – au sein du Gouvernement, certains ministres sont aussi des élus locaux et savent très bien de quoi l’on parle, d'ailleurs –, mais aussi prouver aux grands experts, qui voudraient nous faire accroire que les communes et les départements sont dépassés, qu’il n’en est rien. Car les nouvelles structures que l’on veut faire vivre, jusqu’à présent, n’ont pas encore montré leur totale efficacité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. L'amendement n° 54, présenté par M. Doligé, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

et de la solidarité territoriaux et de la cohésion sociale sur leur territoire

par les mots :

territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le ministre, je remercie Jean-Jacques Hyest d’avoir rappelé la complexité de la tâche qui nous incombe : essayer de parvenir au meilleur texte possible sans savoir exactement où nous allons. La démarche n’est pas facile, mais nous allons tout de même essayer de progresser.

Cet article 1er A est un article important, puisqu’il pose le problème au fond.

À entendre les uns et les autres depuis un certain temps, que ce soit en commission spéciale ou lors des différents débats qui se sont tenus dans cet hémicycle, j’ai la certitude que nous serions en capacité, tous ensemble, de parvenir vraiment à un bon texte, à de bonnes cartes et à de bons territoires si nous disposions du temps nécessaire pour le faire dans des conditions raisonnables et en confrontant par la base, donc par nous, nos positions.

Cela étant, puisque nous manquons de temps, essayons d’aller à l’essentiel. Je vous propose donc, mes chers collègues, dans l’article 1er A nouveau, de modifier l’une des phrases concernant les départements, qui n’est pas de lecture facile. Je propose d’écrire que « les départements sont garants du développement territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire ». Ce serait un bon début pour ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce serait mieux rédigé !

M. Éric Doligé. Merci, monsieur le professeur Sueur ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet article 1er A résulte d’une disposition que j’ai proposée et que la commission a votée. Toutefois, je n’ai pas d’orgueil personnel et j’émets un avis favorable sur l’amendement de notre collègue Doligé.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne suis pas favorable à l’amendement n° 54, non pas parce que cette disposition n’apporterait pas une amélioration rédactionnelle, mais parce que le Gouvernement n’approuve pas cet article introduit par la commission spéciale. En effet, il n’a aucune portée normative et nous estimons qu’il n’est pas souhaitable d’introduire de telles dispositions, qui au surplus n’ont pas relation directe avec l’objet de notre discussion.

Mme Éliane Assassi. Ce ne serait pas la première fois !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans un souci de cohérence que chacun comprendra, je ne puis donc être favorable à cet amendement, même s’il tend à apporter une amélioration rédactionnelle que je ne conteste pas.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je voudrais rebondir sur le rejet de cet amendement par M. le ministre, qui argue que cet article ne serait pas normatif – ce serait la seule raison pour laquelle le Gouvernement n’y est pas favorable.

Toutefois, monsieur le ministre, comme l’ont expliqué tous les orateurs, c’est justement parce que nous avons quelques doutes sur le second texte de loi que nous avons introduit cet article.

En réalité, cet article qui n’est pas normatif est un article d’appel. Nous sommes convaincus que le Gouvernement, à l’écoute constante du Parlement, notamment du Sénat, sur les collectivités territoriales, comprendra qu’il constitue les prémices du débat sur le second texte et entendra notre message. De grâce, quand nous aurons examiné ce premier texte, qui, en réalité, aurait dû arriver ensuite, ne détricotez pas les compétences des départements, ne détruisez pas l’équilibre que nous souhaitons en nous disant que, aujourd’hui, on découpe les régions et que, demain, on s’occupera des compétences.

Il s'agit d’un appel du Sénat. Bien sûr, cette disposition n’est pas normative. Toutefois, je propose que le Gouvernement, fidèle à l’esprit d’ouverture du Premier ministre, entende cet appel et s’en remette plutôt à la sagesse du Sénat, ce qui constituerait une ouverture tout à fait positive pour la suite de nos débats. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, vous nous donnez l’impression de fermer déjà la porte, de nous la claquer au visage de façon abrupte, dès l’article 1er A ! (Marques d’approbations sur les travées de l'UMP.) Bien sûr, nous tenons à réaffirmer – je crois que l’idée progresse – que, pendant un certain temps, et même un temps certain, il faut maintenir ces départements. Et sur deux pieds, pour qu’ils tiennent debout !

Les départements sont un amortisseur social et un amortisseur territorial. Ce n’est pas en période de crise qu’il faut les remettre en cause, d’autant que les intercommunalités n’ont pas la compétence sociale. Il faudra des années pour qu’elles arrivent à acquérir cette compétence ; elles n’ont pas l’expertise qu’ont acquise les départements depuis les premières lois de décentralisation de 1982.

Le maintien des départements est incontournable pendant un certain nombre d’années. Ce grand projet de régions stratèges, qui tireraient vers le haut l’ensemble des territoires, ne peut tenir que s’il existe des structures de taille critique qui assurent les compétences de proximité. Sinon, on ne s’en sortira pas, et le schéma ne tiendra pas.

Nous restons donc toujours dans le même raisonnement, celui du rapport Raffarin-Krattinger, à savoir de grandes régions avec une assise départementale – un échelon départemental incontournable dans le paysage actuel. Monsieur le ministre, je rejoins mon collègue Karoutchi : donner un avis de sagesse nous conforterait dans notre volonté de bâtir avec vous un schéma cohérent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je voterai cet amendement, mais j’ai tout de même l’impression que le Sénat se fait plaisir, parce que cet article n’a aucune portée et n’offre aucune garantie. On se donne bonne conscience, on fait semblant d’être content ! En effet, même si l’amendement est voté, cela ne changera rien aux menaces qui pèsent pour plus tard.

Je voterai donc l’amendement, mais en ne me faisant que peu d’illusions sur son efficacité.

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

M. René Vandierendonck. Quelqu’un ici a-t-il plus de savoir-faire en matière de droit et de logistique que le président Hyest ?

Pourquoi cet article 1er A ? Tout simplement, comme cela a été dit sur toutes les travées, parce que la discussion a besoin de commencer par une séance d’exorcisme. Il faut exorciser la crainte de voir disparaître le département, une crainte que, convenez-en, mes chers collègues, les déclarations gouvernementales n’écartent pas complètement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Je donne acte, je l’ai dit sans ambiguïté, au Premier ministre de la clarté de son exposé. Néanmoins, il est évident, et je le dis avec beaucoup de respect pour la manière dont le président Hyest conduit cette commission spéciale, que le groupe socialiste votera cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Puisque nous parlons d’exorcisme, le problème est que le diable peut se nicher dans les détails.

Pour ma part, le libellé de cet amendement, dont on comprend bien le principe, me pose un sérieux problème : « Les départements sont garants du développement territorial […] ». Mes chers collègues, compte tenu de ce que nous avons dit, ne pensez-vous pas que ce sont les régions qui devraient être garantes du développement territorial ? Finalement, en laissant le département garant du développement territorial, on dédouane un peu facilement les régions de leurs responsabilités d’aménagement du territoire.

Que le département participe du développement territorial, qu’il assure la cohésion sociale, j’en suis d’accord. Mais considérer que l’on construit de grandes régions au rôle stratégique et que, derrière, le département doit rester le garant du développement territorial, c’est laisser les petits départements pauvres garants de leur développement territorial. Je trouve ce libellé extrêmement dangereux ; il pourrait être assez contre-productif par rapport à l’idée qui a été développée dans les interventions précédentes.

Je ne voterai pas cet amendement, que je trouve mal rédigé. J’en comprends bien l’idée, et il existe, je pense, un relatif consensus entre nous. Je me suis d’ailleurs exprimé hier sur le fait que le département continuera à exister. Néanmoins, ne dédouanons pas les régions du fait qu’elles sont garantes du développement territorial équilibré de l’ensemble de la région.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un exercice d’exorcisme, mais, depuis que j’assiste à cette séance, la pensée magique règne ! (Sourires sur les travées du RDSE.) Ainsi, l’on nous dit qu’un regroupement des régions permettrait de faire des économies et qu’en faisant des économies, on réglera le problème du chômage. Si ce n’est pas de la pensée magique, qu’est-ce que c’est ?

Il semble tout à fait approprié de se livrer à cet exercice, et je voterai donc cet amendement qui tend à améliorer la rédaction de l’article 1er A.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaiterais intervenir à la suite des propos de M. Dantec. En effet, dans cet exercice introductif, qui consiste à créer une sorte de climat, de respect mutuel entre les différentes collectivités, il est bien écrit, à l’alinéa suivant, que « les régions contribuent au développement économique et à l'aménagement stratégique de leur territoire ». Et on sait bien que, là où cela fonctionne, c’est quand on trouve la bonne synergie entre une région et les départements. Il y a non pas contradiction mais complémentarité.

Donc, dans cet état d’esprit, monsieur le ministre, il me semble sage que, en prélude à ce débat, comme l’a très bien dit René Vandierendonck, notre assemblée se réunisse autour de ces formulations. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Un geste, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Trop de bonheur d’un seul coup ne nuit pas ! (Rires.) On n’est jamais déçu, dans cette assemblée, de voir des incitations à le vivre de façon collective. Je ne me suis jamais senti aussi soutenu, je dois le dire, que cet après-midi… (Nouveaux rires. – Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Plus sérieusement, je voudrais développer quelques réponses aux interpellations des intervenants précédents.

D’abord, messieurs les sénateurs, vous m’invitez à la sagesse. Sur ce point, j’espère vous avoir convaincus, compte tenu du temps que nous avons passé ensemble depuis de nombreux mois, que c’est mon tempérament, ma nature. Donc, vous n’avez pas à me convaincre. (Sourires.)

Néanmoins, pour nourrir une grande passion à l’égard de cette assemblée dans laquelle je n’ai jamais siégé et ne siégerai jamais (Exclamations et rires ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. Soyez prudent !

M. Alain Gournac. Il ne faut jamais dire « jamais » !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour ce qui concerne le territoire qui est le mien, vous avez parmi vous un sénateur de ma sensibilité tellement bon que vous y perdriez beaucoup si vous m’accueilliez en votre sein. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

La sagesse du Sénat – c’est d’ailleurs une des principales raisons de la passion que je nourris pour cette assemblée et pour ses débats – a toujours conduit les sénateurs les plus sages à considérer que la qualité du travail législatif du Sénat ne devait jamais le conduire à introduire dans ses textes des articles sans portée normative – je vois, à travers le sourire de Roger Karoutchi, qu’il est bien ennuyé par l’argument qu’il voit poindre –…

M. Roger Karoutchi. Absolument pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et, en outre, qu’il n’était pas non plus souhaitable que l’on mît dans des textes portant sur un sujet donné des paragraphes et des articles non normatifs qui n’avaient rien à voir avec ce sujet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ce n’est pas exact !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par conséquent, je comprends que vous en appeliez à la sagesse du Gouvernement. J’en appelle à la sagesse légendaire du Sénat, qui l’a conduit si souvent à refuser ce que vous lui proposez de faire aujourd’hui.

Voilà un premier élément de réponse. (M. Roger Karoutchi hoche la tête en signe de doute.)

Vous me dites ensuite que je ferme la porte. Non, je ne ferme la porte sur aucun sujet, et je comprends parfaitement que vous vouliez introduire cet article dans le texte car la grande confiance que vous avez dans le discours du Premier ministre et dans le mien n’exclut pas une petite méfiance de votre part. (M. Antoine Lefèvre s’exclame.).

MM. Roger Karoutchi et Alain Gournac. Le second texte !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Toutefois, si vous voulez que nous ouvrions des portes et que nous cheminions ensemble dans le compromis, il faut que la confiance que j’ai dans la sagesse du Sénat, et elle est considérable, ait en contrepartie un minimum de confiance dans la volonté du Gouvernement de tenir les engagements qu’il a pris par la voix du Premier ministre hier.

D’abord, un texte traitera des compétences. Ensuite, sur le département, M. le Premier ministre a été extrêmement clair, et je remercie M. René Vandierendonck de l’avoir dit. Par conséquent, si nous voulons faire preuve de cet esprit d’ouverture que vous indiquez – et qui est le mien –, il faut que nous cheminions ensemble, je le répète, en faisant un pas l’un vers l’autre.

Aussi, je propose que l’on s’abstienne d’insérer dans ce projet de loi un article qui n’a pas de portée normative et qui n’a aucun rapport avec le texte, afin que nous puissions, en confiance, aborder tous les sujets légitimes que vous venez d’évoquer et qui justifient de cet article dans le texte suivant, pour l’examen duquel le Gouvernement sera dans l’état d’esprit que vous a indiqué le Premier ministre hier.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 54.

(L'amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. L'amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Guerriau, Canevet et Paul, Mme Gatel et M. Cadic, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par un membre de phrase ainsi rédigé :

ils peuvent choisir la région à laquelle ils sont rattachés ;

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Nous proposons de compléter cet alinéa par une phrase qui permette au département d’être manifestement en situation de pouvoir choisir sa région de rattachement.

En effet, par cet amendement, nous affirmons notre volonté de prendre en considération la diversité des situations et d’offrir plusieurs possibilités de fusion.

Il s’agit là de reconnaître les réalités locales en laissant une liberté de choix au niveau départemental dès la composition du découpage des nouvelles régions. Cette liberté est un droit constitutionnel que nous ne pouvons pas nier. On le sait, certaines régions sont artificielles, car elles regroupent des départements aux identités diverses.

Nous, nous voulons offrir aux départements le choix d’appartenir à la nouvelle région de leur choix, indépendamment les uns des autres. Quand un département a une identité forte en commun avec une région, nous ne souhaitons pas qu’il soit contraint de fusionner avec une autre région.

C’est pourquoi, mes chers collègues, afin que puissent se dessiner des territoires cohérents, nous vous invitons à soutenir cet amendement qui tend à apporter de la pluralité dans les choix de fusion.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable. En effet, le sujet que vous traitez relève en réalité de l’article 3, et non de l’article 1er A.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Monsieur Guerriau, l'amendement n° 35 rectifié est-il maintenu ?

M. Joël Guerriau. J’entends bien qu’il s’agit de l’article 3 – nous y reviendrons –, mais pour que cet article ait du sens, encore faut-il que l’on ait bien défini au préalable les conditions de son ouverture. Or, dans l’article 3, rien ne permet d’opérer une fusion entre une région et un département pour constituer une nouvelle région.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement. Cela étant, compte tenu de la demande du Gouvernement et de la commission, nous le retirons.

Mme la présidente. L'amendement n° 35 rectifié est retiré.

L'amendement n° 40 rectifié, présenté par MM. Guerriau et Canevet, Mme Gatel et MM. Paul et Cadic, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le nouveau périmètre des régions est créé dans les limites territoriales d’une ou plusieurs régions ou d’un ou plusieurs départements limitrophes.

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que le précédent.

Le dogme de la création de nouvelles régions uniquement par fusion de régions ou sous forme de statu quo interdit une recomposition cohérente, notamment en ce qui concerne l’ouest de la France. D’ailleurs, un territoire trop étendu n’a jamais prouvé son efficacité. Le risque est de se couper de la proximité en fabriquant des ensembles technocratiques, déconnectés de la réalité quotidienne de nos concitoyens.

En Allemagne, les régions se sont construites sur des bases historiques et sont restées inchangées. Le Land de Brême, placé à la deuxième place pour le nombre d’habitants, est le plus petit en taille. Des régions claires et identifiées – la Normandie, la Bretagne et le Val de Loire – seront économiquement bien plus efficaces et démocratiquement plus légitimes que des régions technocratiques.

Tel est l’objet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable, puisque ce sujet relève en l’occurrence de l’article 2.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis. Je ne peux qu’être très défavorable à l’introduction, par voie d’amendement à un article non normatif, de matières qui relèvent d’articles normatifs ultérieurs.

Mme la présidente. Monsieur Guerriau, l'amendement n° 40 rectifié est-il maintenu ?

M. Joël Guerriau. Oui, cette fois-ci, madame la présidente, nous ne le retirons pas.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’article.

M. Daniel Dubois. J’ai lu avec attention cet article 1erA. Comme l’a dit tout à l’heure très justement M. le ministre, il s’agit d’une déclaration d’intention sans portée normative. Une telle déclaration d’intention, soit ! Mais pour quoi faire et avec quels moyens ?

Monsieur le président de la commission spéciale, je vous ai entendu tout à l’heure dire que les régions étaient des stratèges. Aussi, je m’interroge : si la région est stratège, et si le triptyque département-communautés de communes-communes est un opérateur de proximité, ce qui était a priori la suite logique de votre réflexion, j’ai un peu l’impression que les travaux issus de nos débats ne vont pas remettre à l’endroit des choses qui ont été prévues à l’envers. En effet, finalement, vous voulez parler d’abord des compétences, avant de déterminer ce que nous ferons.

Si vous dites que la région est stratège et que nous proposons ici au Sénat de passer de treize régions à quinze, la cohérence n’est pas assurée. J’avais plutôt l’impression qu’il fallait passer de treize régions à dix : ainsi, on ne discuterait plus de l’utilité du département, qui s’imposerait, mes chers collègues. En revanche, avec huit ou dix régions, on en revient au rapport Raffarin-Krattinger.

Par conséquent, nous touchons au cœur du débat préalable de ce texte : oui à l’évolution, mais pour quoi faire ? Si l’on est effectivement d’accord sur ces deux principes, pour un stratège, la région, il faut définir le nombre de régions, et pour le triptyque opérationnel département-communautés de communes-communes, il faut décider pour quoi faire, puisque c’est l’opérateur de proximité, et, enfin, avec quels moyens. Là, on retrouve une certaine logique.

Voilà ce que je voulais dire avant d’expliquer ma position sur l’article 1erA. Je vais naturellement voter cet article, car il est une déclaration d’intention, qui confirme l’importance des communes, des communautés de communes et des départements. Toutefois, j’ai un peu l’impression que, pour la cohérence de nos débats, on ne va pas dans le bon sens. (MM. Jackie Pierre et Michel Raison applaudissent.)