Mme la présidente. L'amendement n° 29, présenté par M. Gorce, est ainsi libellé :

Alinéas 6 et 7

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Cet amendement vise à supprimer l’intervention de la CNIL, qui est sollicitée dans des conditions discutables sur la forme mais aussi sur le fond.

J’observe d'ailleurs que le débat évolue. Un glissement est en train de s’opérer, qui n’est pas inintéressant. (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.) Chacun reconnaît que le blocage des sites relève pour une large part du symbolique, même s’il peut être utile, voire nécessaire dans certaines circonstances. N’en déplaise à mon collègue et ami Jean-Pierre Sueur, je crains que, aussi généreuse soit-elle, l’ambition de faire d’internet une zone plus respectueuse des différents droits par le recours à ce type de méthode ne soit vouée à être fortement déçue.

Ce n’est pas de cette manière que l’on arrivera à réguler internet, pour les raisons techniques qui ont été évoquées. C’est évidemment en cherchant à multiplier les solutions, à créer une sorte de chaîne de solutions. Les propos de M. le ministre en témoignent : il a exprimé le souci d’associer au blocage des mesures préventives, tournées notamment vers les hébergeurs et les fournisseurs d’accès, afin de trouver des solutions adaptées. C’est ainsi qu’il faudra procéder.

Je rends d'ailleurs hommage à M. le ministre, qui nous a dit qu’il avait choisi, parmi les méthodes de blocage, la moins intrusive. Cela montre bien qu’il est prêt à sacrifier une partie de l’efficacité supposée du dispositif pour éviter qu’il n’ait des effets indirects trop lourds sur la liberté d’expression sur internet.

L’intervention de la CNIL procède manifestement du même esprit. Il s’agit d’entourer le dispositif de garanties, car on est conscient des conséquences qu’il peut avoir, malgré ses limites. Est-ce le rôle de la CNIL ? À l’évidence, non, au regard de la version en vigueur de la loi du 6 janvier 1978. Bien sûr, le législateur peut compléter la législation, et il pourrait donc confier à la CNIL cette mission supplémentaire.

Cependant, outre le fait que l’intervention de la CNIL vise à pallier l’absence d’intervention du juge judiciaire, c'est-à-dire à apporter une garantie supplémentaire en matière de respect des droits, le terrorisme est un domaine très spécifique, et la CNIL ne dispose pas de capacité d’appréciation particulière en la matière. On peut donc se demander si son intervention est justifiée.

Si ce qui motive la décision de faire intervenir la CNIL, c’est non pas le domaine en lui-même, mais le souci d’assurer un équilibre entre la liberté d’expression et la mise en place d’une protection nécessaire, il faudrait réfléchir plus généralement à la façon dont on souhaite réguler ce type d’intervention sur internet, c'est-à-dire aux mesures préalables au blocage des sites, pas seulement en matière de terrorisme, mais dans tous les autres cas. Considère-t-on que la CNIL doive jouer un rôle en matière de protection des contenus et de la liberté d’expression ? Très sincèrement, il s’agit d’une tâche difficile.

Il est légitime de se poser cette question, car on ne peut pas – vous l’avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre – s’en remettre totalement au comportement des hébergeurs et des fournisseurs d’accès. Ce serait leur donner un droit de regard sur le contenu. Or, si ce droit de regard peut être souhaitable lorsque l’infraction est évidente, il devient plus discutable lorsqu’il s’agit seulement d’opinions, d’autant qu’il existe des cultures juridiques et politiques différentes : ce qui est jugé scandaleux en France ne l’est pas forcément aux États-Unis. Par conséquent, le fait de laisser l’appréciation aux opérateurs pose problème.

Il faut donc réfléchir à un mécanisme de régulation. Est-ce la CNIL qui doit jouer ce rôle ? La présidente de la CNIL a eu l’occasion d’exprimer devant vous les extrêmes réserves de son institution. Si vous deviez retenir cette solution – ce que je ne souhaite pas, et ce que la CNIL ne souhaite pas –, la personnalité en charge de la régulation devrait évidemment être choisie au sein de la CNIL.

Il serait toutefois souhaitable – je crois que c’est là l’essentiel – que nous ayons une réflexion d’ensemble, et que nous posions la question de savoir comment on peut assurer en amont une forme de prévention qui tout en répondant aux exigences de sécurité et associant les autorités adéquates permette d’éviter que cela ne débouche sur des situations insatisfaisantes.

Il me semble qu’il y a eu un peu d’improvisation dans la conception du dispositif. Cette improvisation n’est pas le fait du ministre de l’intérieur, mais de l’Assemblée nationale. Il serait à mon sens dommageable que le Sénat se rallie au dispositif proposé. C'est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement de suppression.

Mme la présidente. L'amendement n° 33 rectifié, présenté par MM. Sueur, Bigot, Desplan et Marie, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Après le mot :

désignée

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

en son sein par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement a déjà été défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Richard, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 52. Contrairement à ce que croit son auteur, il ne s’agit pas d’alourdir la responsabilité des hébergeurs, mais simplement de les soumettre à une mise en demeure argumentée. Ce n’est pas à eux mais à l’État qu’incombe l’appréciation du caractère dommageable ou dangereux du site. Le dispositif prévoit un échange amiable et une mise en responsabilité des hébergeurs.

La commission est également défavorable à l’amendement n° 50. Ce sujet a donné lieu à un débat prolongé en commission. Tous les praticiens que nous avons auditionnés – et notamment les représentants du ministère public et des juges – nous ont déclaré qu’il n’était pas réaliste de vouloir séparer la provocation de l’apologie, car ce sont des délits jumeaux.

J’en viens aux sous-amendements déposés sur l’amendement n° 90, présenté par la commission. Le sous-amendement n° 95 vise à ramener de quarante-huit heures à vingt-quatre heures le délai laissé aux hébergeurs pour procéder au retrait des contenus illicites. Il y a des arguments des deux côtés. La commission était d'ailleurs partagée lorsqu’elle a statué sur cette question. Pour ma part, je reste convaincu qu’il est préférable de fixer le délai à quarante-huit heures : s’il s’agit d’appeler à la responsabilité, il vaut mieux laisser plus de temps aux hébergeurs pour se conformer à la mise en demeure. Le Gouvernement estime quant à lui qu’un délai de vingt-quatre heures permettrait d’éviter la duplication des informations et leur migration vers d’autres sites. J’ai peur que les individus suffisamment organisés ne soient capables de faire migrer les informations vers d’autres sites en moins de vingt-quatre heures. En tout état de cause, la suppression des sites par décision administrative ne sera pas instantanée : il y aura un délai minimal. La différence entre les deux propositions n’est donc pas majeure. La commission a émis un avis défavorable sur le sous-amendement n° 95, mais, si le Sénat suivait le Gouvernement, la cohérence du texte n’en serait pas affectée.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Alain Richard, rapporteur. La commission a hésité, en partie sur mon initiative, au sujet du sous-amendement n° 92, qui vise à ce que la personnalité qualifiée soit désignée parmi les membres de la CNIL. Nous avons tenu compte de l’argumentaire de Gaëtan Gorce. Nous ne voulions pas prendre de décision avant que la CNIL ait réagi à l’innovation proposée.

L’argument selon lequel il ne faut pas créer de précédent en matière d’appel d’une autorité indépendante à des personnalités extérieures est fort. Un tel précédent serait source de désordre juridique. En outre, la CNIL possède en son sein des personnalités chargées d’une mission de veille juridique ; je pense notamment aux autorités juridictionnelles qui représentent la Cour de cassation, la Cour des comptes et le Conseil d'État.

Il nous semble donc préférable de retenir la solution qui est proposée dans le sous-amendement n° 92 et qui prévoit que la personnalité est désignée « en son sein » par la CNIL. Je demande simplement à Jean-Pierre Sueur de compléter ce sous-amendement, car, en l’état, il fait disparaître la précision que la personnalité qualifiée est désignée pour une durée de cinq ans non renouvelable, alors que nous nous étions mis d'accord sur ce point.

Mme la présidente. Monsieur Sueur, acceptez-vous de rectifier votre sous-amendement dans le sens indiqué par M. le rapporteur ?

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Je suis donc saisie du sous-amendement n° 92 rectifié, présenté par MM. Sueur, Bigot, Desplan et Marie, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste et apparentés, et ainsi libellé :

Amendement n° 90, alinéa 14, première phrase

Après le mot :

désignée

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

en son sein par la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour une durée de cinq ans non renouvelable.

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Alain Richard, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur le sous-amendement n° 94, parce qu’il tend à introduire une cohérence. En effet, dans l’éventail des mesures permettant de supprimer les contenus sur internet, le déréférencement est un outil efficace, comme nous l’ont confirmé certains de nos interlocuteurs de la société civile.

C’est en raison d’une maladresse de votre rapporteur que le Gouvernement a dû déposer ce sous-amendement, car je lui avais indiqué que je présenterais moi-même cette disposition, mais j’avais omis de transmettre l’information à l’équipe de la commission des lois. Ce sous-amendement vient donc compenser une petite lacune.

L’amendement n° 8 rectifié reprend les termes du grand débat que nous avons eu : doit-on faire simplement appel à l’esprit de responsabilité des hébergeurs et des éditeurs ou faut-il prévoir une mesure de contrainte ? J’ai suffisamment défendu l’idée qu’une phase de mise en demeure était nécessaire pour favoriser une prise de responsabilité des hébergeurs, pour ne pas ajouter que nous savons tous, compte tenu des enjeux, que cette mise en demeure serait inefficace si aucune mesure de contrainte n’était prévue in fine. Pour cette raison, la commission n’a pas pu émettre un avis favorable sur cet amendement et les amendements nos 51 et 28 qui relèvent de la même inspiration.

Les auteurs de l’amendement n° 23 rectifié, de même que ceux des amendements nos 69 et 53, souhaitent faire appel à l’autorité judiciaire pour prononcer le blocage d’un site internet. Le débat a déjà été complet et détaillé sur ce sujet. Cet amendement nous ramène à la question du délai de vingt-quatre heures ou de quarante-huit heures : à supposer que l’autorité judiciaire puisse prendre une décision rapide en référé, il faut rappeler que, par définition la procédure judiciaire suppose un débat contradictoire, ce qui rend les délais difficilement maîtrisables. Si l’on recourait à la procédure judiciaire, les sites « offensifs » auraient alors toute facilité pour procéder aux manipulations numériques permettant la gestion d’une migration et la réitération des contenus illicites. C’est pourquoi l’avis de la commission est défavorable sur les amendements nos 23 rectifié et 69.

La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 77, puisqu’elle n’a pas retenu la durée de vingt-quatre heures. À titre personnel, je l’ai dit, je pourrais tout à fait admettre que le Sénat ne la suive pas sur ce point.

Pour les raisons évoquées précédemment, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 53, relatif au blocage judiciaire des sites internet.

L’amendement n° 6 rectifié ter pourrait être retiré, puisqu’il est satisfait. En effet, l’article 33–1 du code des postes et des communications électroniques reste en vigueur. Sous le bénéfice de l’explication que nous avons donnée en séance, il est clair que l’application de cet article n’est pas compromise par l’adoption de l’article 9 de la présente loi.

En ce qui concerne l’amendement n° 29, nous avons longuement réfléchi à la question de l’intervention d’un membre de la CNIL, comme je l’ai dit lors de la présentation du sous-amendement n° 92 de M. Sueur. Je ne souscris donc pas aux propos de M. Gorce quand il estime que ce dispositif a été improvisé : qu’il fasse crédit à ceux qui ne partagent pas son avis d’être capables de réfléchir avant d’agir et de préparer les textes de loi avec un minimum de conscience de leur responsabilité.

M. Gaëtan Gorce. Ce serait donc assez exceptionnel !

M. Alain Richard, rapporteur. L’Assemblée nationale a réfléchi à cette question et nous avons repris le dossier. Nous avons examiné les solutions alternatives et j’ai d’ailleurs eu une discussion approfondie avec M. Gorce sur ce sujet. Elle le convaincra que les gens qui ne sont pas d’accord avec lui peuvent aussi être animés par des motifs valables quand ils prennent une position…

M. Gaëtan Gorce. Je n’ai jamais dit le contraire !

M. Alain Richard, rapporteur. Si ! Vous avez eu recours à des expressions pour le moins désobligeantes à l’égard des personnes en désaccord avec vous !

M. Gaëtan Gorce. Vous êtes extrêmement susceptible, monsieur le rapporteur !

M. Alain Richard, rapporteur. Mais cela peut arriver à tout le monde, et je suis sûr que c’était involontaire de votre part…

M. Gaëtan Gorce. Je me corrigerai !

M. Alain Richard, rapporteur. Il me semble que, si l’on cherche d’autres solutions, on n’en trouve pas qui soient convaincantes. Une initiative tout à fait compréhensible émanait du Défenseur des droits, mais de multiples obstacles s’opposaient à ce qu’il prenne des responsabilités dans ce domaine. La commission confirme donc que le représentant de la CNIL doit bien être intégré à l’autorité administrative, tout en bénéficiant de garanties d’indépendance personnelle qui seront utiles à l’équilibre de cette procédure. L’avis de la commission est donc défavorable.

Enfin, l’amendement n° 33 rectifié ayant été repris sous la forme du sous-amendement n° 92 rectifié, il n’a plus d’objet et pourrait être retiré.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est évident. Je retire cet amendement, madame la présidente !

Mme la présidente. L’amendement n° 33 rectifié est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. M. le rapporteur vient d’exprimer, sur chaque amendement, une position qui recoupe en tout point celle du Gouvernement. Par conséquent, j’émets le même avis que lui sur chacun de ces amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 52.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 50.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 84 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 95.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 92 rectifié.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte le sous-amendement.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 94.

(Le sous-amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 90, modifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 8 rectifié, 51, 28, 23 rectifié, 69, 77, 53, 6 rectifié ter et 29 n’ont plus d’objet.

La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote sur l’article 9.

M. Gaëtan Gorce. Je voterai contre l’article 9, bien que je ne sois pas opposé au principe du blocage. J’ai eu l’occasion d’exposer mon point de vue sur le sujet, notamment sur le caractère symbolique de cette mesure. Je salue également le fait que ce blocage soit réalisé selon la méthode DNS, qui est la plus acceptable. Cependant, sur le fond, j’estime que nous commettons une erreur, du point de vue de la cohérence d’ensemble du dispositif, en ne faisant pas appel au juge judiciaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je voterai également contre cet article, car il apporte un signal négatif alors que la France devrait tout faire pour influer sur l’évolution d’internet, afin que ce réseau soit le plus humaniste possible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. J’avais déposé un amendement de suppression de cet article 9. Je me suis finalement rangée à l’avis de nos collègues Gaëtan Gorce et Jean-Yves Leconte sur la suppression nécessaire de certains alinéas. Je suivrai jusqu’au bout leur avis et je ne voterai pas cet article.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 9, modifié.

(L’article 9 est adopté.)

Article 9
Dossier législatif : projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
Articles additionnels après l'article 10

Article 10

(Non modifié)

L’article 57-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ils peuvent également, dans les conditions de perquisition prévues au présent code, accéder par un système informatique implanté dans les locaux d’un service ou d’une unité de police ou de gendarmerie à des données intéressant l’enquête en cours et stockées dans un autre système informatique, si ces données sont accessibles à partir du système initial. » ;

2° Sont ajoutés quatre alinéas ainsi rédigés :

« Les officiers de police judiciaire peuvent, par tout moyen, requérir toute personne susceptible :

« 1° D’avoir connaissance des mesures appliquées pour protéger les données auxquelles il est permis d’accéder dans le cadre de la perquisition ;

« 2° De leur remettre les informations permettant d’accéder aux données mentionnées au 1°.

« À l’exception des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3, le fait de s’abstenir de répondre dans les meilleurs délais à cette réquisition est puni d’une amende de 3 750 €. »

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements.

L’amendement n° 24 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer les mots :

, dans les conditions de perquisition prévues au présent code,

L’amendement n° 70, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 5 

Après le mot :

judiciaire

insérer les mots :

, sur autorisation donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention,

La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l’amendement n° 24 rectifié.

Mme Françoise Laborde. En déposant cet amendement, nous posons une question qui me semble essentielle aujourd’hui dans notre appréhension des méthodes d’investigations en matière d’internet. Nous proposons que, lorsque l’accès à des données intéressant l’enquête en cours se fait par un système informatique implanté dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, les restrictions encadrant la perquisition ne s’appliquent pas.

La perquisition est la recherche d’éléments de preuve d’une infraction au domicile d’une personne ou dans les locaux d’une entreprise. L’officier de police judiciaire se transporte dans le lieu perquisitionné et peut effectuer des saisies. Cette opération ne peut avoir lieu entre vingt et une heures le soir et six heures le lendemain matin.

Ne sommes-nous pas ici face à un autre schéma que celui de la perquisition traditionnelle, quand un officier de police ou de gendarmerie accède à des données à partir de son local de travail même ? La dématérialisation de la procédure, induite par la nature même des réseaux internet, nécessite-t-elle, elle aussi, des règles procédurales qui n’ont véritablement de sens que pour des indices matériels ? Peut-on imaginer qu’un officier de police qui accède à des données après un long processus de décryptage s’arrête à vingt et une heures ?

Beaucoup de règles procédurales perdent leur sens face à internet. Cela ne signifie pas que les libertés publiques et individuelles doivent être bafouées, mais que la dématérialisation d’internet demande une modernisation plus générale de notre droit, ainsi que certaines adaptations des règles traditionnelles. Il faut inventer de nouvelles procédures, tout autant protectrices des libertés publiques, mais beaucoup plus efficaces.

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour présenter l’amendement n° 70.

Mme Leila Aïchi. L’article 10 crée de nouvelles modalités de perquisition des systèmes informatiques directement depuis les services de police sans présence sur place et modifie la responsabilité des intermédiaires techniques employés par les forces de l’ordre pour percer les systèmes de cryptage de données personnelles numériques par des procédés de piratage.

Une telle procédure exceptionnelle, si elle peut être nécessaire aux moyens de l’enquête en matière de terrorisme, doit être encadrée par le juge des libertés et de la détention. Seul le juge des libertés, par son indépendance, est à même d’assurer une protection des données et de la vie privée, en accord avec la décision de la Cour de cassation et avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Richard, rapporteur. La commission est défavorable aux deux amendements.

Dans le cas de l’amendement n° 24 rectifié, il nous semble – et j’en parle d’autant plus à l’aise qu’à un moment de la réflexion je me suis moi-même interrogé sur le risque de confusion – que l’expression mentionnée dans l’article 57-1 du code de procédure pénale, qui parle de « conditions de perquisition prévues au présent code », représente, en réalité, un système encadré de captation de données informatiques et de décryptage de données, mais ne s’assimile pas à une perquisition physique.

Je crois donc que l’on peut conserver ces termes et ne pas courir le risque qu’ont évoqué certains juges d’instruction. En effet, pour leur part, les juges d’instruction, lorsqu’ils conduisent une enquête en matière de terrorisme, utiliseront un autre article du code de procédure pénale, l’article 706–102–1, qui les autorise, dans leur cadre d’instruction, à récupérer à distance des données informatiques. Et ils ne sont pas exposés au risque que les personnes mises en cause soient prévenues. Donc, à mon sens, cet amendement ne se justifie pas.

S’agissant de l’amendement n° 70, on peut imaginer de prévoir, en cours d’instruction, des interventions supplémentaires de telle ou telle autorité – en particulier, du juge des libertés et de la détention. Du point de vue de la bonne administration de la justice, on est toutefois obligé de se retenir un peu pour ne pas accumuler une profusion de situations d’intervention du juge des libertés et de la détention auxquelles les magistrats ne pourraient pas faire face par la suite. Surtout, s’il s’agit de s’assurer qu’une perquisition informatique aura ou non été faite conformément aux principes, l’autorité de jugement appréciera tout simplement, en fin d’instruction, s’il y a eu irrégularité de procédure. Les personnes qui mènent cette enquête savent que, en cas d’irrégularité de procédure, cela peut faire tomber l’ensemble de leur incrimination. Cela vous assure que même sans intervention du juge des libertés et de la détention il n’y aura pas d’abus en matière de procédure.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il émet également un avis défavorable sur les deux amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 24 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 70.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10.

(L'article 10 est adopté.)

Article 10 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
Article 11

Articles additionnels après l'article 10

Mme la présidente. L'amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :

Après l'article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la première phrase, deux fois, et à la seconde phrase du premier alinéa des articles 60–1 et 77–1–1 du code de procédure pénale, le mot : « documents » est remplacé par le mot : « informations ».

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Je reviens un instant sur l’amendement n° 24 rectifié, simplement pour préciser que je souhaitais le retirer, mais je n’ai pas assez prompte et vous ne m’avez donc pas donné la possibilité de le faire. C’est d’ailleurs pourquoi je n’ai même pas voté en faveur de cet amendement.

J’en viens à l’amendement n° 25 rectifié. La terminologie des articles 60–1 et 77–1–1 du code de procédure pénale pose des difficultés dans la mesure où la réquisition numérique vise exclusivement la remise de « documents », alors que d’autres articles du même code privilégient la notion d’« informations utiles à la manifestation de la vérité ».

Si la Cour de cassation privilégie une interprétation large du concept de « documents » numériques, une telle évolution n’est pas propre à cette matière puisqu’elle intéresse aussi nombre de réquisitions de droit commun.

Il apparaît aujourd’hui nécessaire de modifier les articles régissant le droit de réquisition pour tenir compte de ces réalités, comme cela a déjà été fait pour les dispositions procédurales relatives aux saisies. Je vous renvoie aux articles 56, 94 et 97 du code de procédure pénale qui ont déjà été modifiés en ce sens par la loi de 2004.

Dans le cadre du renforcement de la lutte contre le terrorisme, mais aussi dans la perspective plus large de la lutte contre la cybercriminalité, cet amendement vise à préciser l’objet des réquisitions numériques afin de tenir compte à la fois des réalités relatives à ces saisies et de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Richard, rapporteur. Favorable. C’est une meilleure terminologie.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 25 rectifié.

(L'amendement est adopté.)