Mme Éliane Assassi. Cela fait quinze jours !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Allons ! Disons qu’il y en avait trois, un par groupe !

M. Jacques Mézard. Quel mépris !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Mais c’est bien parce qu’une motion référendaire a été déposée que nous sommes là. Et j’y vais doucement, car le seul objectif de cette motion – j’ai mis un petit moment à le comprendre – étant de ralentir les choses,…

Mme Éliane Assassi. Et si on parlait de son contenu plutôt !

M. Michel Delebarre, rapporteur. … il ne faut pas que je me précipite ! Sinon, leurs auteurs vont coller autre chose derrière !

M. Alain Gournac. C’est possible !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Ceux qui connaissent bien ces motions de procédure m’ont dit qu’on pouvait en voir apparaître encore deux autres.

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, trois !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Non, les plus cohérents m’ont dit deux,…

M. Bruno Sido. Lesquelles ?

M. Michel Delebarre, rapporteur. … et les plus vicieux, trois ! (Rires.)

Trente-deux de nos collègues ont donc déposé une motion tendant à proposer au Président de la République – qui n’y avait d’ailleurs pas pensé – de soumettre le projet de loi en discussion… Enfin, c’est beaucoup dire ! Disons plutôt : en examen dans notre assemblée au référendum prévu par l’article 11 de la Constitution. Cette motion a bien sûr été renvoyée à la commission spéciale, qui s’est réunie hier à dix-sept heures.

Aux termes de l’article 11 de la Constitution, une assemblée peut prendre l’initiative d’une telle cette démarche, sous réserve que l’autre assemblée en soit d’accord puisque l’article 11 évoque une « initiative conjointe des assemblées ».

La commission spéciale a estimé que le projet de loi actuellement en examen dans notre assemblée relève de la catégorie des textes relatifs à l’organisation des pouvoirs publics et que, à ce titre, le texte sur lequel porte cette demande entre dans le champ de l’article 11 de la Constitution.

J’ai indiqué à la commission spéciale que l’utilité de cette motion ne m’apparaissait pas évidente.

M. Philippe Kaltenbach. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Reconnaissons que j’ai eu un succès d’estime. (Sourires et exclamations.) Ce n’est pas mal ! Vu la composition de cette commission, c’est même bien ! (Eh oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.)

L’adoption de cette motion conduirait au report, voire à l’interruption, de nos débats. Les auteurs de la motion – M. Collombat vient d’ailleurs d’illustrer cette idée – en appellent au débat démocratique.

Mme Éliane Assassi. Vous avez fait la même chose en votre temps !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Sans doute considèrent-ils que les parlementaires que nous sommes, élus du suffrage universel, ne sont pas suffisamment légitimes pour décider de l’organisation de notre démocratie locale.

J’ajoute que le référendum aurait pour effet de soumettre en l’état le projet de loi aux suffrages de nos concitoyens. Contrairement à ce qui passe avec le processus parlementaire, il n’y aurait aucune possibilité d’amendement et, donc, d’amélioration du projet présenté par le Gouvernement. Ce serait en quelque sorte un « vote bloqué » imposé aux électeurs. Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure méthode…

Nous avons débattu et, malgré ma réserve, qui n’a peut-être pas été comprise par tous mes collègues de la commission spéciale, celle-ci a estimé nécessaire de proposer au chef de l’État de soumettre à référendum ce projet de loi au regard de la transformation profonde que son adoption ne manquerait pas d’avoir sur l’organisation décentralisée de notre République, version Collombat.

Pour les raisons que je viens d’indiquer, et contrairement à ma position personnelle, la commission spéciale a donc émis un avis favorable sur l’adoption de cette motion. Tel est, mes chers collègues, le résultat des échanges que nous avons eus hier et que je fais l’effort de vous indiquer puisque je suis le rapporteur de la commission spéciale.

M. Christian Cambon. C’est la mission du rapporteur !

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est bien pour cela que je le fais ! Je ne suis pas malade au point d’inventer des choses que je n’aie pas vécues ! Il ne faut tout de même pas exagérer ! (Rires.)

Je vous dois bien cet effort, mes chers collègues, puisque vous m’avez désigné comme rapporteur.

M. Gérard Larcher. À l’unanimité !

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est vrai !

Peut-être mon intervention vous fera-t-elle finalement réfléchir, car j’ai le sentiment que nous n’en avons pas terminé. (Rires.) Puisque faire durer les choses semble être le seul objectif de certains d’entre vous, sachez que je suis intimement convaincu que nous sommes appelés à nous revoir sur ce sujet ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bourquin.

M. Christian Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si mon groupe a choisi de défendre la motion référendaire, c’est d’abord parce que nous sommes profondément démocrates et respectueux de nos institutions et que nous estimons que le peuple français doit pouvoir s’exprimer sur les grandes réformes qui le concernent au premier chef.

Dans le cas de la réforme territoriale qui nous est proposée par le Gouvernement, sans concertation préalable, il s’agirait même d’un référendum d’intérêt national. Le sujet de la délimitation des régions et de leur avenir dépasse, on le voit bien, les clivages politiques. Une telle réforme doit aider à bâtir la France de demain et à renouveler l’équilibre des territoires. Elle doit aussi montrer la sagesse des dirigeants politiques que nous sommes et la capacité à trouver des motifs d’entente au nom de l’intérêt supérieur de notre pays.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Christian Bourquin. J’arrête tout de suite ceux qui verraient encore dans cette procédure l’ombre du bonapartisme ou du césarisme qui, un temps, avait fait du référendum le véritable plébiscite d’un individu, ce qui a retardé l’accommodation de cette procédure dans notre pays.

C'est un constat, le référendum est le parent pauvre de notre droit constitutionnel. Il doit sortir de l’ambiguïté qui est la sienne depuis toujours pour recouvrer son aura de symbole du lien inextricable des représentants de la nation avec le peuple tout entier.

Aux termes de l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Aujourd’hui, l’article 11 et le référendum d’initiative partagée nous offrent l’occasion de donner voix à la souveraineté du peuple.

Condorcet justifiait le référendum d’initiative populaire par l’idée que tout citoyen est capable de décider « de ce qui intéresse immédiatement le maintien de la liberté, de la sûreté, de la propriété ; objets sur lesquels un intérêt personnel direct peut suffisamment éclairer tous les esprits ». Je ferai miens les mots de notre ancien collègue Robert Badinter : « Aussi longtemps que les libertés seront vivantes dans le cœur des citoyens, la liberté n’a rien à craindre dans la cité ; c’est en enracinant le respect des libertés dans le cœur des citoyens que l’on fortifie la liberté et la démocratie. »

Mes chers collègues, mon groupe critique surtout la méthode qui a été jusque-là celle du Gouvernement : l’engagement de la procédure accélérée, en dépit de tout bon sens et au nom de considérations parfois bassement électoralistes, le calendrier prétendument serré, le refus d’écouter et d’entendre les remarques des élus locaux, la bataille médiatique dans laquelle le Gouvernement s’est engagé et qu’il est pourtant en passe de perdre et, enfin, l’étude d’impact, qui aurait pu être un véritable outil d’aide à la décision, débouchant sur une véritable concertation, mais qui est bâclée au point qu’elle s’apparente plutôt à une paraphrase quelque peu bavarde de l’exposé des motifs.

Nous ne mesurons pas encore le poids du chèque en blanc que le Conseil constitutionnel vient de signer au bénéfice de tous les gouvernements – je parle de ceux qui viendront après –, en permettant que l’étude d’impact ne soit qu’une formalité parmi d’autres. En tout cas, le montant sera élevé ! Ce sont des années d’efforts pour tendre vers une meilleure qualité de la loi qui se trouvent anéanties ! L’occasion était belle ; elle a été manquée.

Monsieur le ministre, la méthode que vous avez employée n’est pas la bonne. L’avenir de la France vous dépasse, comme il dépasse aussi bien les querelles partisanes que les considérations électoralistes. Le référendum doit pouvoir permettre de dégager un consensus. Je reprendrai une phrase de Montesquieu, qui avait été citée par notre actuel Premier ministre quand il n’était encore que député : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. [...] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Vous nous dites que le temps de la réflexion est déjà passé et que de nombreux rapports, depuis des années, ont préconisé cette réforme. Je vous affirme, au contraire, que nous devons prendre le temps de la réflexion si nous voulons aujourd’hui engager une réforme qui vienne en aide à nos territoires.

N’avez-vous donc aucune crainte que cette réforme des territoires, imposée d’en haut, ne vienne renforcer le sentiment d’incompréhension et d’abandon de nombre de nos concitoyens ? Dans la région que j’ai l’honneur de présider, le Languedoc-Roussillon, les conseillers régionaux ont adopté à deux reprises une motion contre la fusion de leur région avec Midi-Pyrénées, prévue dans le projet de loi initial. Cette motion a été votée à la quasi-unanimité : par soixante-cinq voix contre une.

Cette préoccupation a été relayée par l’opinion publique puisque quelque 4 000 personnes ont déjà signé le manifeste mis en ligne sur le site du conseil régional, intitulé « Languedoc-Roussillon, notre avenir commun ». Dans le texte de la pétition, il est indiqué : « La réforme ne doit pas se résumer à des calculs arithmétiques et faire l’économie d’un débat de fond. […] Le Languedoc-Roussillon, dans son intégralité, a toute sa place sur la future carte de France. »

Ce n’est d’ailleurs pas la seule région à avoir vu poindre les manifestations d’inquiétudes, de la part des élus comme des citoyens. L’Auvergne, l’Aquitaine, le Nord-Pas-de-Calais et d’autres ont entrepris la même démarche.

Vous nous dites, monsieur le ministre, que la réforme a un triple objectif : clarté, compétitivité, proximité.

La clarté, nous ne la voyons nulle part.

Un sénateur du groupe écologiste. C’est sans doute qu’elle vous aveugle !

M. Christian Bourquin. Le mot « réforme » ne sert, au contraire, qu’à dissimuler dans l’ombre les véritables mobiles du découpage que vous proposez.

La compétitivité constitue, elle, le leitmotiv de votre projet, mais nous n’en voyons pas la couleur.

Vous tentez de réunir des territoires que la géographie, l’économie et l’histoire séparent depuis des centaines d’années.

M. Christian Cambon. Cela ne les dérange pas !

M. Christian Bourquin. Pourquoi, tant qu’on y est, ne réunirait-on pas le Nord-Pas-de-Calais et la Corse ? (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Bonne idée !

M. Christian Bourquin. Dans le cas du Languedoc-Roussillon, pourquoi faire disparaître la région qui est – certains d’entre vous, mes chers collègues, ne le savent peut-être pas – la plus attractive de France ? Je rappelle qu’elle accueille, en moyenne chaque année, 30 000 nouveaux habitants et qu’y sont créés beaucoup d’entreprises et, partant, de nombreux emplois. Pourquoi faire disparaître ce qui réussit, ce qui fait naître de l’emploi ? N’est-ce pas là notre objectif à tous ?

M. Alain Fouché. Bien sûr !

M. Christian Bourquin. Pourquoi risquer de donner un coup d’arrêt à des politiques innovantes en faveur du pouvoir d’achat, comme celle du train à un euro sur tout le territoire de la région ?

Je veux également évoquer une initiative prise par mon prédécesseur et moi-même : il s’agit de la marque « Sud de France », connue et reconnue à l’international. Cela ne représente-t-il pas de l’emploi ? Sachez que 2 600 entreprises, avec 9 200 produits, participent à cette démarche qui reflète un engagement sur la provenance et sur l’état d’esprit lié à une production et à des savoir-faire régionaux reconnus. La marque « Sud de France » montre avec force que l’intention régionale de faire exister un territoire est déjà là, au travers de l’excellence de ses produits, de la richesse de son histoire, de la force de sa nature et de la convivialité des hommes qui l’exploitent.

Notre force, je le redis, c'est d’être déjà là ! Et c'est ce que vous voudriez réduire à néant !

Vous avez refusé de compléter l’étude d’impact de telle manière que nous puissions évaluer véritablement les propositions que vous nous faites en termes de performance économique.

Nous ne disposons aujourd’hui de rien qui nous permette de dire que le choix de la fusion est le bon pour le dynamisme et la compétitivité de notre région.

Quant à la proximité, vous m’expliquerez ce que vous entendez par là. La suppression des départements accentuera encore l’enclavement de certains territoires ruraux. Je cite le cas de la Lozère, que vous connaissez très bien, monsieur le ministre ; je pourrais donner d’autres exemples encore, mais je ne veux pas exacerber les passions au sein de notre assemblée.

Je n’émets pas une position de principe, loin de là ! Je souhaite faire évoluer ce projet de loi. Il ne s’agit pas d’un combat des conservatismes contre la modernité, comme on a pu l’entendre ici ou là.

La suppression des conseils généraux peut paraître logique en secteur urbain, mais elle est irréaliste en secteur rural.

Les bureaux parisiens, qui sont sous votre coupe, monsieur le ministre, ne connaissent pas la réalité de la décentralisation dans les territoires ruraux. D’ailleurs, l’étude d’impact ne mentionne aucune consultation. Ceux qui pensent pouvoir confier les missions du conseil général aux intercommunalités n’ont rien compris. En réalité, c’est tout l’inverse qui se produit : ce sont les départements qui viennent en aide aux intercommunalités. Il faut en finir avec le dogme de l’uniformité ! Ce sont les petits départements, comme le Cantal et la Lozère, que nous condamnons à l’abandon, sinon à la disparition.

Dans ces conditions, alors que les avis sont profondément divisés, par-delà les clivages politiques, j’y insiste, il nous paraît légitime de permettre aux Français de tous les territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains, de se prononcer sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.

Ainsi, monsieur le ministre, nous vous invitons, vous et « ceux d’en haut », comme on dit en province, à ne pas faire passer les économies avant les évolutions qui doivent les engendrer ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe CRC et de l'UMP. – Mme Jacqueline Gourault et M. Pierre Jarlier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l’organisation territoriale de la France est un dossier très important, et je pense que chacun est d’accord pour dire qu’une réflexion est nécessaire à ce sujet.

Cela étant, on ne peut, au mois de janvier, dire que tout va bien, que « ça ronronne », puis, au mois d’avril, que l’on va essayer d’améliorer les choses et, tout à coup, dire exactement le contraire de ce qu’on disait la veille !

Ce que je reproche au Gouvernement et au Président de la République dans cette affaire, c’est qu’ils n’en ont strictement rien à faire de la réforme territoriale : ils veulent faire un coup politique ! (M. Alain Fouché approuve.) Confrontés à tout un de tas de problèmes qu’il n’est pas utile d’énumérer, car chacun les connaît, ils veulent montrer aux Français qu’ils sont capables de faire quelque chose…

Malheureusement, lorsque M. Valls a insinué l’idée d’une éventuelle réforme, les médias lui ont emboîté le pas. Et le Premier ministre de s’exclamer : « Eurêka ! Nous avons enfin trouvé le moyen de parler d’autre chose que des vrais problèmes de la France. Lançons-nous ! Nous pourrons noyer le poisson… » (M. Roger Karoutchi opine.)

Pour sa part, après avoir laissé les médias disserter sur la question pendant huit jours, le Président de la République, qui expliquait en janvier dernier qu’il fallait absolument garder les départements, s’est à son tour exclamé : « Eurêka ! Je vais maintenant annoncer que l’on supprime les départements. Cela montrera que j’aurai fait au moins une réforme au cours de mon quinquennat ! » Il est certes tentant pour lui de faire un peu oublier toutes les ruines qu’il aura laissées…

Je le dis, c’est honteux ! Sur ce chantier qui engage l’organisation de la France pour deux cents ans – rappelez-vous, mes chers collègues, que les départements ont deux cents ans, et même un peu plus ! –, sur un dossier aussi important que celui du redécoupage des régions et de l’organisation des circonscriptions infrarégionales que sont les départements, on ne peut, un beau matin, dire le contraire de ce que l’on a dit la veille, simplement pour se faire mousser ! Car tel est bien le but de M. Valls et du Président de la République, dont le bilan, pour l’heure, s’apparente à une véritable bérézina.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. La bérézina, c’est les discours !

M. Jean Louis Masson. Il y a pourtant beaucoup de choses dont M. le Président de la République pourrait s’occuper,…

M. Jean Louis Masson. … plutôt que de créer de la perturbation, de faire n’importe quoi, de dire « noir » en avril quand il a dit « blanc » en janvier !

Mais qu’est-ce que c’est que ce Président de la République ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Qu’est-ce que c’est qu’un Président de la République qui, du jour au lendemain, sans que rien ne se passe, nous dit exactement le contraire de ce qu’il disait la veille ? Et je ne parle pas ici des propos tenus par le candidat – tout le monde sait qu’en politique on ne tient pas forcément les promesses que l’on fait durant sa campagne, aussi bien à droite qu’à gauche d’ailleurs –, mais de déclarations que M. Hollande a faites alors qu’il avait été élu Président de la République. C’est bien en tant que tel qu’il a dit à trois mois d’intervalle une chose et son contraire absolu ! C’est se moquer du monde !

Actuellement, l’image que la France donne en Europe et dans le monde n’est pas très positive. Quand on voit l’attitude de nos responsables nationaux, il ne faut pas s’étonner des difficultés que rencontre notre pays !

Le plus incroyable dans cette affaire reste le découpage des régions, qui, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, s’est fait sur un coin de table. C’est bien la preuve que le Président de la République et le Premier ministre s’en moquent complètement ! Le lundi, à seize heures, Champagne-Ardenne devait fusionner avec la Lorraine et l’Alsace, et, à dix-huit heures – j’ignore qui était passé entre-temps dans le bureau de l’Élysée –, les choix retenus étaient radicalement différents ! Au reste, cela est aussi vrai pour d’autres régions, comme Poitou-Charentes.

M. Jean-Pierre Raffarin. On se demande qui est passé par là… (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Louis Masson. D’ailleurs, le communiqué de presse diffusé par l’Élysée en était resté au nombre de régions fixé initialement. Il semble que ceux qui l’ont rédigé n’aient pas réussi à suivre les évolutions de la carte territoriale qui ont eu lieu ce jour-là ! Heureusement que le Président de la République n’a pas reçu trop de visiteurs ! On se demande vraiment ce que cela aurait donné, alors que c’est déjà un désastre !

Pour terminer, je veux évoquer l’exemple de Champagne-Ardenne et de la Picardie.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. La Picardie, c’est l’autoroute A1, c’est le TGV Nord, c’est le tunnel sous la Manche. Tout comme Nord-Pas-de-Calais ! Il était donc logique que ces deux régions soient réunies !

M. Jean Louis Masson. Champagne-Ardenne, c’est le TGV Est, c’est l’autoroute A4, mais aussi l’autoroute A31, qui traverse le département de la Haute-Marne. Il était donc logique que l’on fusionne cette région avec l’Alsace et la Lorraine ! (M. Yves Détraigne opine. – Marques d’impatience et protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mais M. Hollande et M. Valls, égaux à eux-mêmes, ont fait un peu n’importe quoi,…

M. le président. Merci. Vous avez épuisé votre temps de parole.

M. Jean Louis Masson. … et ce qui était vrai à seize heures ne l’était plus à dix-huit heures.

Mme Christiane Demontès. Votre temps est écoulé !

M. Dominique Bailly. C’est terminé !

M. Jean Louis Masson. C’est pitoyable ! C’est honteux ! Nous ne sommes pas fiers de tels dirigeants ! (De vives protestations sur les travées du groupe socialiste couvrent la voix de l’orateur.)

M. Jean-Pierre Caffet. Un peu de hauteur !

M. Jean Louis Masson. C'est la raison pour laquelle j’estime…

M. le président. Merci, c’est fini.

M. Jean Louis Masson. … que les Français doivent statuer et qu’il faut un référendum ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Je ne doute pas qu’il fera mieux !

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin, une majorité semble se dégager dans cet hémicycle pour recourir à la dynamique référendaire. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP. – M. Roger Karoutchi applaudit.) Enfin, une dynamique se dégage pour susciter le débat et recueillir l’avis citoyen, afin d’avancer vers une vision partagée de l’avenir de nos territoires, appuyée sur des fusions désirées. Enfin !

J’en suis extrêmement heureux car, jusqu’à présent, les propositions du groupe écologiste pour ouvrir le processus de redécoupage régional à des référendums d’initiative militante et citoyenne s’étaient heurtées à un mur politique – je devrais plutôt dire qu’elles s’étaient pulvérisées contre ce mur !

La semaine dernière encore, mon amendement tendant à instituer un processus référendaire d’initiative citoyenne pour savoir ce que veulent vraiment pour eux-mêmes les habitants de certains territoires, comme la Loire-Atlantique ou le Territoire de Belfort, amendement que j’avais déposé en vue de l’élaboration du texte de la commission, n’a été voté, si mes souvenirs sont exacts, que par deux des trente-sept membres de la commission spéciale.

Deux voix sur trente-sept, c’est peu,…

M. Bruno Sido. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Ronan Dantec. … et cela ne correspond guère à la volonté d’appel au peuple qui anime le Sénat cet après-midi. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Caffet. Voyez l’influence que vous avez gagnée depuis ! (Nouveaux sourires.)

M. Ronan Dantec. Pierre-Yves Collombat, avec talent et lyrisme, a souligné à quel point il fallait tenir compte de l’histoire, de la culture et du sentiment d’appartenance territoriale. Je le rejoins sur ce point. Il ouvre hardiment la voix à la réunification de la Bretagne et à quelques autres recompositions, du Languedoc à la Provence.

Dans ces conditions, j’avoue me sentir un peu perdu, un peu déstabilisé, d’autant que je garde un souvenir cuisant de ce qui s’est passé dans cet hémicycle voilà quelque temps : le mécanisme de redécoupage par initiative référendaire que je vous avais soumis, et qui était probablement susceptible de recueillir une majorité parmi les présents dans l’hémicycle, était tombé au champ d’honneur du scrutin public demandé – c’était son droit le plus légitime ! – par le président du RDSE, Jacques Mézard. Mais c’était le 28 février 2013, autrement dit il y a un siècle ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Cependant, face à ces contradictions, je m’interroge : y aurait-il donc manœuvre ? (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) Le référendum, dont le principe est si ardemment défendu par les écologistes, ne serait-il ici qu’une voie utilisée pour bloquer la réforme, comme ce fut le cas en 2010, lorsque le Sénat avait introduit la condition d’un référendum pour valider les projets de fusion entre une région et les départements qui la composent, y compris là où il y avait consensus entre les élus – certes issus de la démocratie représentative – et donc complexifier le processus ? Serait-ce la même logique ?

M. Michel Delebarre, rapporteur. Eh oui ! C’est aussi bête que cela…

M. Ronan Dantec. Nos collègues radicaux estiment-ils que notre démocratie représentative est, au final, insuffisante ? Peut-être en va-t-il également de nos collègues communistes et UMP ?

Mme Éliane Assassi. Les élus communistes le pensent, en effet !

M. Ronan Dantec. Ce virage idéologique me laisse pantois. Il m’oblige à laisser le champ libre à cette exacerbation autogestionnaire (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC.) et à me placer dorénavant dans le camp des libertaires très modérés, face aux ultras du référendum… (M. Joël Labbé applaudit vivement.)

M. Roger Karoutchi. N’importe quoi !

M. Ronan Dantec. Toutefois, mes chers collègues, nul n’est dupe de cette manœuvre : il s'agit bien d’éviter que nous touchions au millefeuille (Protestations sur les travées de l’UMP et du groupe CRC.), à l’organisation territoriale d’avant, pourtant elle aussi « découpée » en quelques semaines, il y a plus de deux siècles.

Or, et c’est le fond du sujet, cette organisation n’est plus en mesure de permettre l’égalité entre citoyens. Nous savons tous que les fractures territoriales s’exacerbent et que le statu quo les condamne à s’accroître.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. Le véritable acquis de la Révolution de 1789, ce ne sont pas les découpages départementaux. C’est l’égalité ! Rappelons-nous donc ses idéaux.

Je ne dis pas que le processus engagé aujourd'hui est parfait. Monsieur le ministre, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de déclarer que la précipitation pouvait nuire et qu’il fallait donner plus de temps au débat dans les territoires.

Nous sommes nombreux ici à partager l’idée qu’il fallait peut-être inverser le calendrier d’examen des deux textes du Gouvernement, en commençant par les compétences avant d’aborder le découpage. Peut-être aurions-nous alors mieux compris le fond de cette réforme, qui est une réforme de régionalisation, avec des schémas régionaux de développement économique et d’aménagement du territoire à caractère prescriptif. Ces schémas, qu’Hélène Lipietz et moi-même avions défendus ici lors du débat sur les métropoles, sont nécessaires au développement et à l’égalité territoriale. Or ils impliquent aujourd'hui des régions plus fortes, qui pourront faire, en leur sein, plus de péréquation. C’est parce que ces schémas sont au cœur de la réforme qu’il faut des régions plus grandes et plus cohérentes !

Cela dit, il fallait peut-être appuyer davantage ces régions plus cohérentes sur des trames urbaines elles-mêmes cohérentes, respectant les identités territoriales historiques ou culturelles et tenant compte de ce qui s’est passé ces dernières décennies. Ce travail aurait nécessité du temps, mais il aurait probablement conforté le processus.

Néanmoins, vu la manière dont se passe le débat, vu les nombreuses chausse-trappes de procédure auxquelles recourent ceux qui veulent éviter ce qui doit être fait, je comprends la volonté du Gouvernement d’aller vite.

Au demeurant, il n’est pas trop tard pour prendre le temps ! C’est le sens de plusieurs amendements que j’ai déposés au nom du groupe écologiste. Pourquoi revoir la carte tout de suite alors que le projet de loi reviendra en deuxième lecture devant notre assemblée ? Les semaines qui nous séparent de ce nouvel examen sont précieuses : elles peuvent être l’occasion de faire avancer les propositions dans les territoires qui se sont saisis de ce débat. Par exemple, j’ai l’impression que, dans l’ouest de la France, les choses mûrissent d’un jour à l’autre. Dès lors, ces quelques semaines peuvent nous permettre, si ce n’est de réunir des consensus, de dégager des majorités claires sur des visions partagées.

En commission, nous avions proposé un mécanisme complet retardant un peu la réforme. Ce mécanisme a recueilli plus de voix que nos deux autres propositions, mais un débat s’est fait jour sur le risque d’inconstitutionnalité qu’il comportait. En tout état de cause, en nous laissant ne serait-ce que quelques semaines supplémentaires, il nous aurait, au final, permis d’avancer plus rapidement.

Ensuite, et c’est un point clé, il s’agit d’introduire un peu de souplesse dans l’ensemble du processus, de rendre plus faciles, demain, d’autres fusions régionales, comme cela est d’ailleurs déjà prévu, ainsi que d’autres fusions de départements.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à retirer cette motion référendaire – on voit bien qu’on est à front renversé, que c’est vraiment le monde à l’envers, puisque c’est moi qui suis obligé de proposer de retirer une proposition de référendum ! –…