M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Bernard Cazeneuve.

Les difficultés liées à la transmission des entreprises appartenant à des viticulteurs qui cessent leur activité sont aujourd’hui très largement prises en compte par les services de la Direction générale des douanes et droits indirects.

C’est ainsi que les viticulteurs produisant du Cognac et détenant en suspension de droits d’accises un stock de vin ou d’alcool disposent d’un statut fiscal spécifique, celui d’entrepositaire agréé, conformément à l’article 302 G du code général des impôts. À ce titre, ils bénéficient notamment d’une dispense de cautionnement pour la détention de leurs produits.

En cas de cessation d’exploitation en raison d’une cessation d’activité ou du décès du viticulteur, les successeurs qui reprennent les stocks de vin ou d’alcool ont deux possibilités.

Soit ils peuvent continuer à détenir ces produits en suspension dans leur propre entrepôt fiscal suspensif des droits d’accises, s’ils ont déjà le statut d’entrepositaire agréé en tant que viticulteurs. Dans ce cas, aucun droit ne sera dû à l’occasion de ce transfert. Si le successeur est lui-même récoltant, il pourra également continuer à bénéficier de la dispense de caution pour ses produits.

Soit ils peuvent acquitter les droits afférents aux alcools à l’occasion de leur sortie de l’entrepôt fiscal suspensif du viticulteur qui cesse son activité, s’ils ne disposent d’aucun statut fiscal.

Il est vrai que les droits d’accises et la cotisation sécurité sociale dus à l’occasion de cette transmission peuvent être élevés. Ils sont effectivement calculés en fonction du volume d’alcool pur des produits et non sur leur valeur vénale. Toutefois, tout successeur conserve la possibilité d’opter pour le statut fiscal adapté afin de lui permettre de détenir les produits en suspension sans avoir à acquitter l’ensemble des droits à l’occasion de la transmission.

Enfin, je souhaiterais préciser que les services des douanes et droits indirects peuvent également étudier la mise en place de facilités de paiement afin de permettre aux personnes rencontrant des difficultés d’acquitter les droits.

Soyez donc assuré, monsieur le sénateur, de la volonté du Gouvernement de ne pas faire obstacle à la transmission de ces patrimoines.

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse positive mais réaliste par rapport à la situation que je viens de décrire.

J’ai toutefois le sentiment que la question de la fiscalité trop lourde qui s’applique aux stocks n’est pas suffisamment prise en compte. J’ai compris que vous étiez d’accord sur la dispense de caution pour transfert, ce qui est une bonne chose, mais c’est surtout en matière de transmission ou de vente que la fiscalité est trop importante et pénalise les entreprises. Les facilités de paiement, si elles sont opportunes, ne suffisent pas.

Je vous demande donc de prendre en considération d’une façon plus concrète et plus déterminante cette question importante pour nos territoires locaux.

frais de repas des ouvriers du bâtiment et assiette des cotisations sociales

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 665, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget .

M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, ma question a effectivement été transmise à M. Cazeneuve, mais je suis très heureux que vous le remplaciez aujourd'hui, car les sujets auxquels elle renvoie, qui touchent au commerce et à l’artisanat, concernent aussi votre ministère.

Le Gouvernement a décidé de mettre en place le pacte de responsabilité, et cette démarche me semble essentielle pour créer de l’emploi dans nos territoires. Ce sont bien les TPE et les PME, les très petites, petites et moyennes entreprises, qui sont à même de créer de nouveaux emplois ; ce sont elles qu’il faut écouter et aider.

Ma question va justement dans le sens d’une meilleure prise en compte de la réalité de ces entreprises, notamment dans le bâtiment, source de nombreux emplois dans nos territoires ruraux. Elle est concrète et pragmatique : je veux parler ici de la possibilité pour les artisans et les ouvriers du bâtiment qui travaillent dans les communes rurales de bénéficier d’une pause déjeuner et de repas chauds.

Pour bien me faire comprendre, je prendrai l’exemple d’une entreprise de peintres en bâtiment qui emploie plusieurs ouvriers vivant dans différentes communes sur un chantier de rénovation situé sur une commune encore différente. Ces ouvriers se retrouvent le matin à l’entreprise et partent ensemble dans le même véhicule sur le chantier distant de quelques kilomètres. À l’heure du repas, partageant le même véhicule, que peuvent-ils faire ? Il leur est difficile de rentrer chez eux, puisque leur temps de pause n’est pas extensible. Ils sont alors amenés à prendre leur déjeuner au restaurant dans une commune proche du chantier.

Dans ce cadre, c’est souvent l’employeur qui règle directement les frais de ces déjeuners au restaurateur.

En pareille situation, les contrôleurs de l’URSSAF considèrent que les ouvriers ne sont pas en situation de déplacement et qu’en conséquence la prise en charge par l’entreprise des frais de restaurant constitue un avantage en nature qu’il convient de réintégrer dans l’assiette des cotisations et non en frais professionnels. Ils s’appuient pour cela sur l’arrêté du 10 décembre 2002 qui ne donne aucune précision sur la notion de « déplacement ».

Alerté par des entreprises et des restaurants du Finistère, j’ai sollicité une réunion avec les représentants départementaux et régionaux du contrôle, les représentants de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, et ceux de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, l’UMIH. De cet échange il est ressorti effectivement qu’aucune disposition légale n’encadrait « les petits déplacements ».

Sans base légale, cette appréciation a de multiples conséquences pour les hommes et les femmes qui travaillent dans nos territoires ruraux. Elle pénalise les ouvriers, qui ne peuvent pas prendre de repas chaud s’ils ont un chantier proche du siège social de leur entreprise – à une distance qui reste à l’appréciation de vos services. Elle a en outre des conséquences importantes pour les restaurants qui travaillent principalement pour cette clientèle, car ils ne peuvent pas accueillir les entreprises domiciliées dans la commune où ils sont eux-mêmes implantés.

Ma question est donc simple, madame la ministre : pourrait-on envisager une clarification de la règle fiscale en vigueur, qui, sans nuire aux finances publiques, permettrait aux travailleurs des TPE et PME de nos territoires ruraux de mieux vivre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Bernard Cazeneuve.

Je partage votre propos introductif sur la nécessité d’accompagner et de soutenir l’artisanat, le commerce et les très petites entreprises. J’aurai d’ailleurs l’occasion prochainement de présenter à votre assemblée un projet de loi en leur faveur.

Les employeurs du secteur du bâtiment bénéficient de diverses possibilités de prise en charge des frais de repas de leurs salariés, assorties d’un régime social favorable, particulièrement en situation de déplacement professionnel.

D’une manière générale, lorsqu’un salarié prend un repas hors de l’entreprise et que l’employeur règle directement le restaurateur, la somme correspondante est considérée comme un avantage en nature, donc un élément de rémunération soumis aux cotisations sociales. Ces cotisations peuvent être évaluées sur la base d’un forfait ou sur la base de la somme réellement versée. De même, lorsque l’employeur verse au salarié une indemnité pour financer ses repas, l’avantage en espèces correspondant est soumis aux cotisations et contributions sociales.

Néanmoins, ces règles ne s’appliquent pas aux salariés en situation de déplacement professionnel ni à ceux qui travaillent sur un chantier hors des locaux de l’entreprise, tels que les ouvriers du bâtiment ; dans ces situations, des règles plus favorables sont déjà prévues.

Ainsi, la prise en charge des frais de repas par l’employeur dans les situations de déplacement professionnel n’est pas soumise aux cotisations sociales lorsque la somme est inférieure à 8,70 euros par repas. Cette disposition s’applique chaque fois que le salarié est dans l’impossibilité de rejoindre son lieu de travail habituel : déplacements temporaires, chantier. En effet, la prise en charge a alors pour objet de compenser la dépense supplémentaire occasionnée par ce déplacement.

Dans le secteur du bâtiment, les employeurs bénéficient en plus de la possibilité d’opter pour une déduction forfaitaire spécifique de 10 % sur les salaires au titre des frais professionnels. Applicable aux professions listées à l’annexe IV du code général des impôts, ce dispositif permet à l’employeur, lorsqu’il paie directement au restaurateur le prix du repas de ses salariés en déplacement, de ne pas tenir compte de cet avantage dans l’assiette des cotisations sociales ; le dispositif est présenté dans une circulaire du 19 août 2005.

Aussi la réglementation sociale en vigueur concernant la prise en charge des frais de repas par les employeurs du secteur du bâtiment permet-elle déjà de répondre de manière précise à la pluralité de situations des salariés concernés, tout en préservant autant que possible les droits des assurés et les recettes de la protection sociale, qui sont réduits par ces mécanismes d’exclusion d’assiette.

S’agissant du secteur du bâtiment en particulier, le dispositif de déduction permet donc de tenir compte des situations particulières, comme celle que vous avez évoquée - même si le ministère du budget et le mien sont disposés à étudier plus particulièrement la question précise que vous avez soulevée.

Dès lors, il n’est pas envisagé d’assouplir cette réglementation, qui est stable depuis de nombreuses années et qui s’applique uniformément sur l’ensemble du territoire.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie, madame la ministre, de la clarté de votre réponse. Cependant, elle ne me satisfait qu’à moitié, puisque vous ne répondez pas véritablement à la question de la prise en charge des frais de repas pour l’ensemble des ouvriers – il est vrai que cela concerne essentiellement ceux du bâtiment – et, surtout, vous ne prenez pas en compte la notion de « déplacement ». Celle-ci est appréciée de manière très subjective par vos services, comme, malheureusement, j’ai dû le constater à plusieurs reprises.

L’interprétation plus restrictive qui est faite de cette notion dans certains départements entraîne parfois des conséquences assez lourdes. Le fait que les ouvriers ne puissent pas prendre leur repas dans le restaurant de la commune où ils travaillent au motif qu’elle est trop proche du siège de leur entreprise les oblige, en pratique, à revenir aujourd'hui à la gamelle. C’est une dégradation des conditions de travail qui est tout de même très inquiétante, et je souhaite que la réflexion sur ce sujet soit poursuivie.

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet du scrutin n° 146 sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 : M. Pierre Jarlier a été déclaré comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’il souhaitait voter contre.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Conventions internationales

Adoption en procédure d'examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

traité d’extradition avec le pérou

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou, signé à Lima le 21 février 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité d’extradition entre la République française et la République du Pérou (projet n° 205, texte de la commission n° 352, rapport n° 351).

(Le projet de loi est adopté.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou
 

groupe aérien européen

 
Dossier législatif : projet de loi portant approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord relatif au groupe aérien européen
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l'approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord relatif au groupe aérien européen, signé à Londres le 1er mars 2012, dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi portant approbation du deuxième protocole d’amendement à l’accord relatif au groupe aérien européen (projet n° 656 [2012-2013], texte de la commission n° 354, rapport n° 353).

(Le projet de loi est adopté.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi portant approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord relatif au groupe aérien européen
 

5

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale
Discussion générale (suite)

Formation professionnelle

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (projet n° 349, résultat des travaux de la commission n° 360, rapport n° 359 et avis n° 350).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de réforme relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Ce texte est porteur de réformes d’ampleur, cohérentes, qui marquent l’aboutissement de négociations et de concertations réussies.

Avant d’apporter des éléments de réponse à quelques critiques partielles, afin d’éviter toute forme de caricature sur tel ou tel aspect du texte, je souhaiterais exposer la philosophie d’ensemble de celui-ci, en deux temps.

En premier lieu, il faut souligner à quel point ces réformes sont fondatrices, ou plutôt refondatrices, construisant de nouveaux équilibres autour d’acteurs « matures » : l’individu et l’entreprise dans notre système de formation professionnelle, les partenaires sociaux dans notre démocratie sociale.

En second lieu, je veux dire que la liberté laissée à ces acteurs ne peut fonctionner que dans le cadre de solidarités fortes, autour d’une régulation territoriale, professionnelle et nationale. C’est vrai pour la formation professionnelle, pour la démocratie sociale, pour notre système d’inspection du travail.

Je ne crains pas de l’affirmer, le texte qui vous est présenté ici est fondateur, ou plutôt – disais-je – refondateur. Les sujets qu’il aborde ne sont pas nouveaux : ils ont fait l’objet de nombreuses réformes, parfois trop nombreuses… Mais nous avons l’ambition de revenir aux fondements des politiques concernées, en les repensant à l’aune des enjeux que nous connaissons aujourd’hui et des équilibres nouveaux qui peuvent être construits avec des acteurs ayant gagné en maturité.

Dans le champ de la formation professionnelle, la loi dite « Delors » de 1971 a été décisive. Elle est en elle-même l’expression du consensus politique qui peut se nouer sur ces questions. Portée par un homme de gauche, issue d’un accord entre le patronat et les syndicats, mise en œuvre par le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, elle a été à l’origine du développement de la formation professionnelle dans notre pays. Nombre de ses objectifs demeurent d’actualité et guident la réforme présentée aujourd’hui : je pense, par exemple, à l’élévation du niveau de qualification comme facteur de compétitivité ou à la promotion sociale et professionnelle.

Mais on ne peut pas penser aujourd’hui le système de formation professionnelle comme en 1971.

Au début des années soixante-dix, l’effort de formation des entreprises était légèrement supérieur à 1 % de la masse salariale ; il est passé à près de 3 % aujourd’hui, mais il connaît une érosion depuis le début des années quatre-vingt-dix.

Au début des années soixante-dix, seulement 7 % de la population avait le baccalauréat et 20 % d’une génération réussissait cet examen, contre plus de 75 % aujourd’hui.

Au début des années soixante-dix, surtout, on connaissait le plein emploi, alors qu’aujourd’hui le chômage est une réalité durable.

Ce sont là autant de raisons pour refonder la formation professionnelle sur des bases nouvelles, reposant sur l’autonomie et la liberté, celles de l’individu pour construire son parcours, d’une part, celles de l’entreprise pour investir dans la formation et dans les compétences, d’autre part.

Bien entendu, l’apport majeur de la réforme est le compte personnel de formation, entièrement portable et transférable : il suivra l’individu tout au long de sa vie, lui permettant de faire des choix là où la formation n’était souvent qu’une obligation à la main de l’employeur.

Par son financement renforcé, parce qu’il peut se combiner aux autres dispositifs de formation, parce qu’il est un élément de négociation avec l’employeur, parce qu’il redonnera l’envie de se former, le compte personnel de formation ramène la personne sur le devant de la scène et met une partie de son destin entre ses mains.

Mais le changement qu’il induit est plus profond encore.

En attachant les droits à la personne et non plus au poste de travail, le compte personnel de formation est un levier de ce que l’on appelle, en termes académiques, la sécurisation des parcours professionnels.

Puisque l’univers de l’emploi est mouvant et que les emplois se succèdent au cours d’une vie, nous voulons que la formation professionnelle soit présente et mobilisable à tout instant, surtout lorsqu’une fragilité survient, par exemple sous la forme d’un licenciement. Et si ce n’est pas une fragilité, mais une opportunité, qui surgit – une promotion à saisir –, l’enjeu est le même : la formation doit être accessible et permettre de convertir l’esquisse d’un rêve en une réalité tangible.

Peu importe les cases, les cloisons ou les statuts : les droits à la formation les enjamberont grâce au compte personnel de formation. Au centre, il y aura désormais le choix de chacun.

Le DIF, le droit individuel à la formation, avait ouvert la voie, trop timidement. Le nouveau compte personnel de formation représente un pas immense. Il est la réponse sociale au changement économique et outille les salariés dans l’économie moderne.

Sur ces travées, vous êtes nombreux à rêver depuis longtemps de la sécurité sociale professionnelle. Nous en construisons aujourd’hui une composante essentielle, centrée sur chaque travailleur et garantie collectivement.

Du côté des entreprises, la réforme vise à faire de la formation professionnelle un investissement reposant sur le développement des compétences. Tel est l’objet de ce texte : passer d’une obligation formelle de financer à une obligation réelle de former.

Cela signifie que la formation professionnelle sera demain davantage un objet de discussion et d’implication des acteurs. Le changement du système est aussi un changement d’esprit.

Ce changement suppose des acteurs forts, ce qui m’amène à la présentation du titre II de la réforme.

Pour poursuivre la refondation de notre démocratie sociale, il nous faut des acteurs en mesure de dialoguer, c’est-à-dire reconnus, légitimes et donc forts : reconnus parce que légitimes, légitimes parce que responsables, responsables parce que forts, forts parce que capables d’obtenir des avancées par le compromis. Voilà la mécanique vertueuse du dialogue social à la française.

Cette mécanique a aujourd’hui besoin d’aller plus loin, pour asseoir la légitimité et la représentativité du patronat, d’une part, pour apporter plus d’efficacité et de transparence dans le financement des acteurs sociaux, d’autre part.

Le texte apporte ainsi les compléments nécessaires à la réforme de la représentativité syndicale, dont je n’oublie pas qu’elle a été engagée par Gérard Larcher. Sur ce sujet également, nous sommes des forces politiques différentes, mais nous pouvons nous entendre sur la nécessité d’accorder une légitimité suffisante à la négociation sociale.

Bien souvent, notre pays est caricaturé comme le pays du conflit social. Le conflit social existe, bien évidemment. Personne ne peut nier les divergences d’intérêts, ni la nécessité de les dépasser, au bénéfice de tous, en élaborant des compromis qui soient non seulement solides économiquement et socialement, mais aussi de nature à permettre à chacun de garder la tête haute – je pense notamment aux représentants syndicaux qui retournent devant leur base après avoir signé un accord.

Contrairement aux idées reçues, notre pays a connu une diminution très importante de la conflictualité dans les entreprises. La négociation collective est intense dans les branches et dans les entreprises, tous les syndicats signent des accords.

Dans une société marquée par l’individualisme, il en faut, du courage, pour endosser la responsabilité de parler au nom de ses camarades et collègues ; il en faut, du dévouement, pour essayer d’améliorer sans cesse le sort du collectif.

Bien des représentants du patronat le savent, être patron, c’est non pas régner sans partage, mais avoir la responsabilité d’une équipe et d’un dialogue. Ceux-là ont compris que le dialogue social n’est pas une perte de temps ou d’argent, mais plutôt un facteur d’efficacité de l’entreprise et de notre économie.

Nous rendrons service à ces acteurs de la démocratie sociale, souvent trop peu considérés, en renforçant leur légitimité, en fondant leur représentativité sur des bases désormais claires, y compris du côté patronal – c’était une lacune de notre système –, en rendant leur financement plus transparent, en particulier en reconnaissant que, au-delà du socle essentiel que constitue l’adhésion, les missions d’intérêt général qu’exercent les syndicats et les organisations patronales doivent être financées dans un cadre clair.

Il en va de même pour les comités d’entreprise. Nous avions eu l’occasion d’en parler ici avec Mme Procaccia il y a quelques mois. Madame la sénatrice, je m’étais engagé à revenir vers vous avant les calendes de mars : je suis au rendez-vous !

Mme Catherine Procaccia. C’est vrai !

M. Michel Sapin, ministre. La refondation que traduit ce texte ne sera fructueuse que dans un cadre de garanties collectives, de solidarités, de régulations, qui doivent s’exprimer à trois niveaux : territorial, professionnel et national.

Je commencerai par évoquer les solidarités et régulations territoriales en matière de formation professionnelle.

Ce point est essentiel, pas seulement parce que nous sommes au Sénat. Les réformes proposées ont une forte résonance territoriale ; c’est là qu’elles prendront leur force et toucheront leurs destinataires.

Un ancrage territorial fort sera tout d’abord assuré par l’achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle des personnes privées d’emploi, mais aussi du pilotage de l’apprentissage et du service public de l’orientation.

L’espace régional est reconnu comme celui de la mise en cohérence, en complémentarité, de toutes les interventions, au-delà même de celles de la collectivité régionale.

C’est ainsi que se construiront les réponses adaptées à chaque territoire, à chaque bassin d’emploi, à chaque tissu économique et social. Ce point me paraît fondamental.

En effet, la formation professionnelle est gage d’insertion si et seulement si elle est adaptée aux besoins en compétences – toujours spécifiques – d’un territoire : quelle localisation de l’offre de formation ? Quelles formations prioritaires ? Quelle adaptation aux besoins des publics et à ceux des entreprises du territoire ? Comment incarner un service public de l’orientation qui soit bien identifié par tous, capable de répondre aux demandes, mais aussi d’aller chercher les jeunes qui ne poussent pas sa porte ? Si ces questions concernent tous les acteurs, les réponses sont à construire territorialement, en cohérence avec les stratégies de développement économique.

Au-delà du territoire, la réforme de la formation professionnelle repose aussi sur des solidarités et des garanties collectives au niveau professionnel, dans la branche, ou au niveau interprofessionnel. Il ne s’agit pas de laisser l’individu seul avec ses doutes et ses projets. Le compte personnel de formation n’est pas un « chèque formation » que le salarié ou le demandeur d’emploi devrait mobiliser seul.

C’est pourquoi la réforme affirme le droit à la qualification, donne corps au conseil en évolution professionnelle, élargit l’accès à la validation des acquis de l’expérience. En effet, à notre époque, l’enjeu n’est plus seulement d’obtenir un diplôme, mais bien de se former tout au long de la vie.

Au fond, la réforme porte un message que l’on peut résumer ainsi : vive la deuxième chance, et même la troisième ou la quatrième ! Être brillant – ou non – à 20 ans ne signifie plus qu’on le sera encore – ou toujours pas – à 50 ans…

C’est ainsi que nous pourrons, me semble-t-il, remettre en marche l’ascenseur social !

Les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, ne seront pas les abandonnées de cette réforme. La mutualisation au bénéfice des très petites entreprises est renforcée de manière inédite, et le débat à l’Assemblée nationale a permis de conforter les outils de mutualisation au profit des PME. Les fonds mutualisés de la formation professionnelle seront affectés plus fortement à des enjeux relevant de l’intérêt général et pour lesquels une régulation publique est légitime : l’accès à un premier niveau de qualification, la progression et la promotion professionnelles, le retour à l’emploi durable.

Du territoire, il est encore question dans la réforme de la démocratie sociale. Les acteurs sociaux, dans l’entreprise, dans les branches, dans les régions, doivent être renforcés pour pouvoir négocier sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences adaptée aux enjeux territoriaux. Je crois notamment que la prise en compte de l’espace régional est un défi à relever pour le renforcement des partenaires sociaux, afin que ceux-ci puissent répondre efficacement aux enjeux de la réforme : compte personnel de formation, apprentissage, formations prioritaires.

Je veux encore vous parler de solidarités territoriales en abordant le titre III de la réforme, qui concerne notamment l’inspection du travail.

L’inspection du travail est elle-même enracinée sur le territoire, au point que son organisation est entièrement territoriale : cette organisation repose sur la section.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis pour dissiper d’éventuelles craintes : la section de l’inspection du travail est évidemment préservée. Elle est et restera la réponse de proximité pour un salarié qui n’a pas été payé ou dont les droits sont bafoués, mais aussi pour une entreprise en quête d’un conseil pour répondre de manière adéquate à une situation.

Cela étant, nos territoires sont parfois bien peu de choses face aux grands mouvements économiques que sont la mondialisation, la liberté de circulation au niveau européen, l’éloignement des lieux de décision par rapport aux lieux de production.

Je pense, par exemple, aux fraudes au détachement de travailleurs étrangers ou à la sous-traitance en cascade. L’effet de ces montages complexes et illicites est double : la concurrence déloyale et le dumping social mettent sur le flanc nos entreprises et détruisent nos emplois ; parallèlement, ces montages exploitent des travailleurs étrangers qui ne demandent qu’à améliorer leur sort et se trouvent précipités dans des situations de travail sans protection, avec une rémunération indécente et des conditions de travail insupportables.

Il nous faut nous organiser, adapter notre inspection du travail au monde du travail du XXIe siècle et apporter les bonnes réponses au meilleur niveau. À côté de la section, niveau confirmé de proximité, des unités régionales de contrôle et un groupe national de contrôle sont créés par la réforme. Ils faciliteront le travail collectif, avec les autres corps de contrôle. Surtout, les inspecteurs vont pouvoir remonter les cascades de sous-traitance, disposer de moyens nouveaux et donc agir plus efficacement pour la protection de tous les travailleurs et pour l’égalité de concurrence entre toutes les entreprises.

Il m’est arrivé d’aller sur des chantiers. J’y ai vu des travailleurs venus de pays de l’est de l’Europe. Je mesure les situations de concurrence déloyale et leur potentiel de destruction de la cohésion nationale et européenne. Nous allons combattre ces situations et protéger ces travailleurs, comme les entreprises qui payent leurs cotisations, respectent le droit du travail et créent de l’emploi en France. Tel est le sens du service public de contrôle du travail, tel est le sens d’une politique régalienne ! Nous ne laisserons pas choir nos entreprises et nos travailleurs, au motif que seul le marché gouvernerait et que nous serions peu de choses face à la délinquance internationale.

Vous le percevez, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous présente est porteur de réformes puissantes et ambitieuses.

Je souhaite néanmoins apporter quelques éléments de clarification, en réponse à certaines interrogations sur tel ou tel aspect du projet de loi dont l’écho m’est parvenu.

S’agissant, d’abord, de la méthode, les trois volets de la réforme ont été bien préparés et, dans l’ensemble, bien accueillis.

Ainsi, un large accord national interprofessionnel a été conclu sur la formation professionnelle, preuve que le dialogue social est la bonne méthode pour réformer la France. Une grande concertation a été conduite entre l’État, les régions et les partenaires sociaux sur le compte personnel de formation. Une concertation approfondie a été menée sur la réforme de l’apprentissage avec plus d’une trentaine d’organisations, à l’automne dernier. De très nombreux échanges avec les partenaires sociaux ont eu lieu sur la question de la démocratie sociale et de son financement. Un dialogue intense est à l’œuvre depuis près de deux ans sur la réforme de l’inspection du travail : j’ai personnellement présidé cinq comités techniques ministériels, et de multiples réunions de concertation ont été organisées lieu aux niveaux national, régional ou local. Le dialogue est donc partout dans cette réforme !

Pour autant, comme toutes les grandes réformes, celle-ci suscite des questionnements, toujours légitimes, auxquels je veux maintenant apporter quelques éléments de réponse. Elle soulève aussi parfois – plus rarement – des doutes, voire des oppositions, relevant de deux registres diamétralement opposés.

Pour certains, cette réforme ne changerait en fait rien, ou pas grand-chose ; elle serait inodore et sans saveur. Selon ces tenants d’un changement plus profond, nous proposerions de « faire du neuf avec du vieux » ou, pour reprendre une formule bien connue, nous prétendrions « tout changer pour que rien ne change ».

Pour d’autres, davantage convaincus des vertus de notre système actuel, cette réforme serait, au contraire, porteuse de trop grands changements, de bouleversements dangereux ou d’effets pervers redoutables.

Face à ces deux critiques assez classiques, que tout oppose et qui ne peuvent se rejoindre que dans une posture stérile de rejet, on peut se demander où se situe la vérité de notre ambition. Je me propose de répondre à cette question sur chacun des sujets abordés par le texte.

Pour ce qui concerne la réforme de la formation professionnelle, j’entends parfois dire que nos ambitions sont vaines et que le système restera cloisonné et complexe, que sa gestion demeurera opaque, que les partenaires sociaux ne donneront pas davantage la priorité, dans leurs actions, aux publics présentant les besoins les plus importants, que le compte personnel de formation ne sera qu’un DIF à peine renforcé, passant de 120 à 150 heures… À l’opposé, j’entends parfois s’exprimer une vision catastrophiste de la réforme, qui produirait tant de changements qu’elle réduirait l’effort de formation des entreprises ou qu’elle empêcherait les PME de continuer à former leurs salariés.

Eh bien toutes ces allégations sont inexactes !

Le compte personnel, c’est le décloisonnement et la porte d’entrée unique vers tous les dispositifs existants. Il représente, pour le salarié ou le chômeur ayant besoin de formation, une simplification considérable du système actuel, dont l’opacité est remise en cause du fait que le financement de la démocratie sociale et celui de la formation professionnelle seront désormais totalement séparés.

La différence entre le compte personnel de formation et le DIF est criante puisque, en plus d’être portable tout au long de la vie et d’être le support d’abondements complémentaires, le CPF disposera de moyens multipliés par plus de cinq par rapport au DIF, dont les financements n’étaient d’ailleurs pas dédiés. Près de 1 milliard d'euros sera consacré à la formation des salariés au titre de leur compte personnel, auquel s’ajouteront 300 millions d’euros pour la formation des demandeurs d’emploi via le CPF. C’est ainsi que la réforme oriente les fonds mutualisés vers les demandeurs d’emploi, en augmentant de plus de 50 % la contribution du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels aux formations qui leur seront destinées.

Comme il s’agit de débusquer une fois pour toutes les approximations et les erreurs, je veux dire un mot de l’apprentissage. Là encore, nous sommes accusés, par certains, de ne rien faire, et, par d’autres, de trop réformer…

Je tiens à redire clairement que le Gouvernement est extrêmement attaché au développement de l’apprentissage, lequel a abondamment fait les preuves de son efficacité en termes de qualification et d’insertion professionnelle des jeunes. C’est pourquoi l’objectif de porter le nombre d’apprentis à 500 000 en 2017 a été inscrit dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Le bilan de l’année 2013 est maintenant connu. Certes, la tendance est à la baisse, mais la diminution observée sur la période la plus significative, allant de la rentrée de juin à décembre, ne s’élève qu’à quelque 4 %. Cette situation n’est pas satisfaisante, évidemment, mais il faut avant tout y voir le signe d’une conjoncture hésitante, dans un contexte de réduction engagée du chômage des jeunes.

Pour progresser, les petites entreprises, qui accueillent plus de la moitié des apprentis, doivent être rassurées et soutenues. C’est dans ce but que l’architecture des aides aux employeurs d’apprentis a été ciblée sur elles et sur les premiers niveaux de qualification.

Surtout, le texte qui vous est présenté apporte des modifications importantes pour donner corps à l’ambition de développement de l’apprentissage.

En effet, la réforme de la taxe d’apprentissage qu’il poursuit permettra d’orienter davantage de financements vers l’apprentissage, sans remettre en cause le libre choix des entreprises en termes d’affectation de cette taxe.

Par ailleurs, des dispositions sont prévues pour sécuriser les apprentis et leurs employeurs, via l’accompagnement des centres de formation d’apprentis et la prévention des ruptures, ainsi que grâce à la nouvelle possibilité de conclure un contrat d’apprentissage dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, qui est une innovation remarquable.