M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vient de le rappeler notre collègue Éric Bocquet, voilà quelques semaines, sur l’initiative du groupe CRC, notre assemblée examinait une proposition de loi portant sur la revalorisation de la DGF attribuée aux communes rurales.

En l’occurrence, il s’agissait d’évoquer un aspect important, certes, mais parcellaire, des concours de l’État aux collectivités en général. En conclusion de ce débat, Mme la ministre déléguée à la décentralisation a exprimé tout l’intérêt qu’elle portait à la question posée par la répartition de la DGF, renvoyant l’organisation d’une réflexion approfondie avec les différentes parties à 2014. Nous y sommes.

Au cours de la discussion, la nécessité d’examiner désormais la question des finances des collectivités dans son aspect global a été notamment évoquée ; et il est vrai que la variété des situations exige cet examen. Cette question de la DGF est évidemment à mettre en lien avec celle qui est soulevée aujourd’hui de la péréquation, puisque cette dernière s’opère en son sein.

Au titre de la loi de finances pour 2014, les collectivités sont appelées dès cette année à participer à l’effort collectif de redressement des finances de la France par une réduction de l’enveloppe de la DGF qui leur est attribuée dans leur ensemble. Cette enveloppe sera diminuée de 1,5 milliard d’euros, ramenée donc à 40,1 milliards d’euros, et l’effort demandé sera poursuivi et renforcé en 2015.

Les collectivités – il est juste de le rappeler – ont déjà commencé à participer à cet effort, puisque le gel de l’enveloppe normée en valeur est effectif depuis 2011 et qu’à cet égard les collectivités, quelles qu’elles soient, ont déjà contribué du fait de l’érosion monétaire, qui a atteint, selon les experts, 4 milliards d’euros.

Mais il est juste de rappeler aussi que, dans la période récente, cette cristallisation ne s’est pas révélée incompatible avec la progression des dotations de péréquation. Dans les années écoulées, et cette année même, l’effort demandé sera modéré par des mesures appropriées, justifiées par la compensation des transferts de charge.

Les conseils généraux qui ont été cités pourront bénéficier, et ce à juste titre si l’on considère qu’ils portent les politiques de solidarité sociale à travers les trois prestations d’autonomie, de handicap et de solidarité active, d’une enveloppe supplémentaire de 827 millions d’euros au terme d’une négociation ouverte et positive entre l’ADF, l’Assemblée des départements de France, et le Gouvernement.

On peut bien évidemment porter tous les jugements que l’on veut sur le résultat de cette négociation, en fonction de certaines situations. Mais la méthode et le résultat sont à saluer particulièrement. Les deux contrastent avec la période précédente, durant laquelle les budgets des conseils généraux se trouvaient pris en tenaille entre une augmentation inexorable des charges liées aux compétences transférées et une réduction tout aussi inexorable de leurs recettes du fait de la crise et de la chute des DMTO, mais aussi, en définitive, du peu de cas que l’État faisait des conseils généraux et des revendications exprimées en ce temps.

Au titre de la péréquation verticale lors de l’année écoulée, la dotation de solidarité urbaine a connu une progression notable de 8,75 %, soit une augmentation de 119 millions d’euros, et la dotation de solidarité rurale une progression de 78 millions d’euros. De même, la loi de finances initiale pour 2014 prévoit cette année encore une progression de 4 % du montant de ces deux dotations, nettement supérieure donc à l’inflation.

Si l’on examine la péréquation entre collectivités, la péréquation horizontale donc, sa montée en puissance se confirme avec une progression de 210 millions d’euros en 2014, soit autant qu’en 2013, et le montant du Fonds de péréquation intercommunal et communal, ou FPIC, s’élèvera à 570 millions d’euros en 2014, avec pour objectif d’atteindre 1 milliard d’euros en 2016.

Le constat que l’on peut faire est double. D’une part, la fraction de la DGF consacrée à la péréquation est en augmentation constante depuis dix ans et représente, en 2013, 18,2 % de l’enveloppe totale, contre 12,3 % voilà dix ans. D’autre part, la péréquation verticale dépendant strictement de l’État demeure à un niveau très élevé dans l’enveloppe globale, puisqu’elle pèse 90 % du total. On pourrait encore évoquer d’autres initiatives prises en 2014, que ce soit en faveur des départements par le fonds de péréquation des DMTO, ou des régions.

L’engagement du Gouvernement à travers le « pacte de confiance et de solidarité » entre l’État et les collectivités traduit concrètement son engagement très volontariste et significatif.

Cela étant, madame la ministre, plusieurs arguments plaident en faveur d’une réflexion globale portant sur la DGF en général et la péréquation en particulier.

Une stratification de mesures diverses s’est produite au fil des années qui réduit la lisibilité de cette politique. L’accroissement du nombre des dispositifs de péréquation apporte indéniablement de la complexité, puisque quatorze fonds et dotations concourent désormais à cet exercice. Elle introduit également une certaine confusion, car, selon les critères appliqués, une commune peut être considérée tantôt comme « riche » et contributrice au titre d’un dispositif, et tantôt comme « pauvre » et bénéficiaire au titre d’un autre dispositif. La variabilité d’un critère peut donc parfois faire basculer ces collectivités dans une catégorie ou dans une autre.

Il est donc à craindre que les modifications successives apportées dans la durée à la péréquation n’aient fini par faire perdre de vue l’architecture de l’ensemble. Bien des questions se posent, qui portent tout autant sur la lisibilité des dotations, sur leur sécurisation dans le contexte prévu de leur réduction en valeur, ainsi que sur l’équité des modes de calcul des attributions, qui est parfois mise en doute, comme cela a été le cas ce matin.

Au sein du comité des finances locales, le CFL, plusieurs ont évoqué la redéfinition du critère « potentiel financier », souvent pris en compte, et beaucoup sont sensibles à la prise en considération de la notion d’« effort fiscal », il est vrai très inégal d’une collectivité à une autre.

Quant au rapport remis en juin 2013 par l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des finances, il évoque « le manque d’évaluation de l’efficacité des nombreux dispositifs de péréquation en vigueur » et critique en particulier « le foisonnement des critères » qui « nuit à la crédibilité » du dispositif.

Une mise à plat devient donc nécessaire pour ne pas dire urgente, même si, à son terme, le jugement qui sera porté sur le résultat le sera en fonction de la situation particulière de chacun. Notre réflexion, mes chers collègues, est globale, mais notre appréciation est locale bien souvent.

La péréquation est depuis 2003 un objectif à valeur constitutionnelle et, à cet égard, les sénateurs socialistes qui y sont attachés se sont constamment mobilisés depuis lors en faveur de sa montée en puissance. Madame la ministre, nous portons donc un intérêt majeur à ce débat ainsi qu’aux réponses que vous nous apporterez sur les intentions du Gouvernement et les perspectives que vous envisagez.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre collègue Jacques Mézard ayant largement traité du cas des départements, je me limiterai à la question des communes et des intercommunalités.

Pour nous consoler d’une nouvelle réduction, inscrite dans la loi de finances de cette année, des dotations de l’État au bloc communal – moins 588 millions d’euros pour les communes et moins 252 millions d’euros pour les intercommunalités, soit une baisse de 840 millions d’euros en tout –, on nous demande de nous réjouir des progrès réalisés en matière de péréquation, c’est-à-dire, sous-entendu, en matière de justice.

Certes, en la matière, comme notre collègue Yannick Botrel l’a rappelé, le progrès est bien réel, qu’il s’agisse de la péréquation verticale – la DSR est accrue de 39 millions d’euros, la DSU de 60 millions d’euros, la DNP de 10 millions d’euros, soit une hausse de 109 millions d’euros – ou de la péréquation horizontale – le FPIC est porté à 570 millions d’euros, soit une augmentation de 360 millions d’euros, et le fonds de solidarité des communes de la région d’Ile-de-France, ou FSRIF, s’accroît de20 millions d’euros.

Tout cela est très bien, mais en quoi plus de péréquation compense-t-elle moins de ressources ? Les pauvres n’en continuent pas moins à s’appauvrir, et si c’est moins vite que les autres, le résultat est pire pour eux.

Du reste, qu’en est-il de cette fameuse péréquation ? Premier constat : le montant des sommes en jeu est faible. La montée en puissance du FPIC est prévue jusqu’en 2016, année au cours de laquelle il doit atteindre 1 milliard d’euros, représentant 2 % des ressources fiscales des collectivités, ce qui reste pour le moins modeste. En 2014, avec 570 millions d’euros, cela devrait représenter à peu près 1 % des ressources fiscales.

Je ferai deux constats.

Tout d’abord, au titre de la péréquation verticale, le montant total des trois dotations s’élève à 3,3 milliards d’euros, c’est-à-dire 14,4 % de la DGF du bloc communal et 13,6 % des transferts de l’État si l’on y ajoute les crédits aux communes de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ces sommes ne sont pas négligeables, mais elles restent modestes.

Par ailleurs – c’est le second constat –, le mode de construction de la DGF défavorise structurellement les petites collectivités.

Au sein de la dotation forfaitaire, deux dotations, directement pour la dotation de base – 6,776 milliards d’euros en 2013, du même niveau qu’en 2014 – et indirectement pour la dotation de garantie – 4,796 milliards d’euros –, sont fonction de la population, soit au total 11,572 milliards d’euros, à comparer à la dotation superficiaire, partie elle aussi de la dotation forfaitaire, censée favoriser les communes rurales – 225 millions d’euros. Cette dotation superficiaire est intéressante, décorative, mais elle ne change pas grand-chose.

Or – et c’est là le principal problème –, tous les habitants ne se valent pas dans le calcul de la dotation de base: ceux des communes de moins de 100 habitants pèsent 64,46 euros et ceux des communes de 200 000 habitants et plus, 128,93 euros, soit le double.

J’ai pris le risque de tenter d’évaluer, avec les chiffres de 2013, le montant de la perte pour les communes de 1 à 1 000 habitants par rapport à un système qui attribuerait une valeur uniforme aux habitants quelle que soit la taille des communes.

La population de ces communes représente près de 15 % de la population française, comme les communes de plus de 100 000 habitants. Si la même dotation leur avait été attribuée, elles auraient perçu autour de 1 milliard d’euros de dotation de base. Avec un coefficient moyen de 68,2 euros, cela représente environ 650 millions d’euros, soit un manque à gagner de 350 millions d’euros.

Je suis persuadé qu’au final l’aide accordée aux communes de moins de 5 000 habitants au titre de la DSR – 969 millions d’euros en 2014 – est largement neutralisée par l’usage de ces coefficients logarithmiques.

La raison en est, nous dit-on, que les grandes collectivités ont des charges de centralité, comme si les petites communes n’avaient pas, elles, des charges de ruralité liées, d’une part, à l’entretien de l’espace – déneigement, entretien des routes et des forêts –, à l’extension des réseaux, à la nécessité de suppléer le désengagement du service public – télévision numérique terrestre, téléphone, agences postales –, et, d’autre part, à l’éloignement – coût des transports – et à la créativité ministérielle, comme l’aménagement du temps de l’enfant, l’accueil des élèves en cas de grève, etc.

La population de ces communes, largement d’origine urbaine, souvent peu argentée, demande pourtant les mêmes services que là d’où elles viennent sans pouvoir en payer le prix. Comment justifier que ces communes soient pénalisées ? En effet, au moment où la DGF a été créée, ces communes étaient soumises à des charges correspondant à des communautés agricoles qu’elles ne sont plus aujourd’hui. Cet élément me semble d’autant plus pertinent qu’un certain nombre de « charges de centralité » citadines ressemblent fort à des charges de vanité.

S’agissant de la dotation d’intercommunalité, on constate la même discrimination, car le poids des habitants varie en fonction de la catégorie d’EPCI auquel ils appartiennent, cette typologie étant fortement corrélée à la taille de la personne morale : 24,48 euros par habitant pour les communautés de communes à contribution économique transférée, 34,06 euros pour les communautés d’agglomérations, 60 euros pour les communautés urbaines et les métropoles, ces collectivités d’où ruisselle la richesse vers les territoires à charge. En l’occurrence, on a l’impression que c’est plutôt l’inverse.

Troisième constat, et cerise sur le gâteau : des dispositifs de péréquation sont soigneusement bridés pour éviter qu’ils ne soient trop efficaces.

Il en est ainsi du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Là encore, la magie du coefficient logarithmique est venue modérer l’ardeur péréquatrice du législateur.

Plutôt que de comparer les ressources par habitant des ensembles intercommunaux à une moyenne nationale pour la désignation des contributeurs et des bénéficiaires, on a pondéré la population en fonction de la taille des collectivités, selon un coefficient de 1 – 0 à 7 500 habitants – à 2 – plus de 500 000 habitants.

Ainsi, une collectivité de 95 000 habitants, par la magie d’un coefficient de 1,6, se trouve dotée d’une population de 152 000 habitants, ce qui permet de minorer son PFIA, ou potentiel financier intercommunal agrégé, de 38%.

Le dispositif a été perfectionné par l’introduction plus tardive du critère de l’effort fiscal, généralement plus élevé dans les grandes collectivités que dans les petites, d’ailleurs en contradiction avec les appels à la modération fiscale du Gouvernement ! Mais la contradiction, on le sait, c’est la vie !

Les résultats qui en découlent sont étranges.

Je citerai un exemple. En 2013, le solde des prélèvements et reversions des intercommunalités du département des Alpes-de-Haute-Provence, l’un des départements les plus pauvres de France, a été négatif de 850 000 euros. Dans le même temps, la contribution de la métropole niçoise à la solidarité aura été de 689 512 euros !

Madame la ministre, personne ne nie la difficulté de partager les ressources – et c’est particulièrement vrai en période de disette –, mais que l’on s’abstienne au moins de fausser le débat par de telles manipulations ; surtout, que l’on évite d’aggraver les inégalités de traitement, inégalités flagrantes entre collectivités, notamment entre les petites et les grandes.

Puisque la richesse est dans les grandes collectivités, pourquoi leur réserver un tel traitement de faveur ? C’est peut-être parce que la réalité est sensiblement différente de ce qu’on entend nous laisser croire. En particulier – mais nous aurons le temps d’en rediscuter lorsque le texte viendra en discussion –, cette idée selon laquelle la France doit se rebâtir autour des métropoles posera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l’autonomie et la responsabilité, la solidarité constitue l’une des trois valeurs cardinales de l’écologie politique : solidarité entre les personnes, bien sûr, mais aussi solidarité entre les territoires. L’esprit de concurrence qui consiste à tenter de prospérer au détriment de son voisin, en accaparant les subventions publiques, les ressources naturelles ou l’activité économique, ne constitue pas un projet politique viable à long terme. Le creusement des inégalités ne peut être le fondement d’une société.

Les différents mécanismes de péréquation, objets de ce débat organisé sur l’initiative de nos collègues du RDSE, constituent des outils particulièrement adaptés pour mettre en œuvre cette solidarité territoriale que nous appelons de nos vœux. En la matière, beaucoup reste à faire. Il est difficilement acceptable qu’aujourd’hui une même région, en l’occurrence l’Île-de-France, abrite à la fois le département le plus pauvre et le département le plus riche de France.

Pour autant, nous ne pensons pas qu’il faille multiplier les mécanismes et les niveaux de péréquation, de la même manière que nous ne pensons pas qu’il faille multiplier les niveaux de collectivités. Depuis longtemps, les écologistes appellent à recentrer l’architecture territoriale autour des strates régionale et intercommunale, aujourd’hui les plus pertinentes pour mettre en œuvre la subsidiarité à l’échelle de l’Europe.

M. Bruno Sido. Pas du tout !

M. Jean-Vincent Placé. Les échanges sont toujours intéressants, même si nos opinions divergent ! (MM. Henri de Raincourt et Bruno Sido rient.)

Partant de là, la mise en place, dans le projet de loi de finances pour 2014, d’un fonds de solidarité pour les départements de la région d’Île-de-France, le FSDRIF, ne nous semble pas de nature à contribuer à la clarification des échelons institutionnels, encore moins après les annonces du Président de la République laissant entrevoir à terme une fusion des départements de la petite couronne parisienne. Ce dispositif devrait d’ailleurs être étendu, à l’image de ce qui s’est produit dans la métropole lyonnaise. Si les conseils généraux ont toujours, bien évidemment, une pertinence dans les territoires ruraux, il en est autrement dans les territoires urbains et semi-urbains : leur intérêt, lorsqu’on ajoute les métropoles, devient de plus en plus modeste.

M. Bruno Sido. On est d’accord !

M. Jean-Vincent Placé. C’est en ce sens que, dans les territoires ruraux, les pays et les conseils généraux peuvent subtilement se compléter.

Au-delà de ces questions institutionnelles, j’aimerais également aborder la philosophie qui sous-tend, d’un point de vue écologiste, la répartition actuelle des ressources entre les collectivités.

Puisque le titre de notre débat nous invite à nous concentrer sur les dispositions du projet de loi de finances pour 2014, j’aimerais évoquer en particulier un article de la seconde partie que nous n’avons pas pu examiner : il s’agit de l’article 59, qui ne relève pas directement des mécanismes de péréquation mais traite de la répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE.

Cet article modifie la clé de répartition de la CVAE, en favorisant les territoires qui accueillent des industries potentiellement polluantes ou dangereuses. Un tel avantage existait déjà dans un rapport de 2 à 1, et cet article le porte dans un rapport de 5 à 1. De plus, le produit de la CVAE n’étant modifié que très marginalement, cet avantage sera donc consenti aux territoires concernés au détriment des autres.

Ce dispositif, d’apparence technique, est lourd de sens sur le plan politique.

D’abord, il tend à considérer que nuisances, pollutions et risques industriels sont des fatalités. En ce sens, il témoigne donc d’une absence de volonté de les réduire en s’y attaquant par des normes, des réglementations ou des incitations à l’investissement ciblé.

Ensuite, la responsabilité des industries est ici totalement exonérée. De plus, aucune différence de traitement n’est établie en fonction de la nature ou de l’ampleur des nuisances ou des risques. Le principe « pollueur-payeur », qui suppose à la fois la responsabilité du pollueur et la proportionnalité entre le dégât et le dédommagement, est donc ici abandonné.

Enfin, non seulement ce dispositif aboutit à augmenter les ressources des territoires qui accueillent des entreprises polluantes, sans aucune contrainte sur le fait que ces ressources serviront précisément à remédier aux pollutions qu’elles sont censées compenser, mais encore cet avantage est consenti au détriment des territoires qui, eux, protègent leur environnement. Le payeur est donc non plus le pollueur, mais le voisin qui refuse d’être pollué. Curieuse philosophie !

Si un tel dispositif paraît nécessaire, il faudrait donc s’interroger sur les raisons pour lesquelles certaines industries ne trouvent aujourd’hui pas de territoire où s’implanter, plutôt que d’offrir aux élus locaux suffisamment d’argent, alors que, parallèlement, l’austérité conduit à baisser les dotations, pour qu’ils ne puissent plus refuser une dégradation de la qualité de leur territoire ou une mise en danger de leurs administrés. Je suis persuadé que, sur toutes les travées, toutes sensibilités confondues, cette interrogation doit être examinée très sincèrement, car ce sujet dépasse les clivages droite-gauche.

Plus généralement, au-delà de cet article, force est de constater que le système n’encourage pas les collectivités à préserver leur environnement. En effet, une politique environnementale locale profite à un territoire potentiellement très large, alors que le bénéfice économique de l’urbanisation ou de l’implantation d’activités polluantes se concentre pour l’essentiel sur la collectivité qui les développe.

Pour tenir compte de la contribution à l’intérêt général des collectivités qui préservent leur environnement, il pourrait être ajouté un critère de biodiversité au calcul de la dotation globale de fonctionnement.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est une idée !

M. Jean-Vincent Placé. C’était déjà une proposition du Grenelle de l’environnement, souvent reprise, notamment dans l’excellent rapport de Guillaume Sainteny sur Les aides publiques dommageables à la biodiversité, mais jamais appliquée. Je forme donc le vœu, madame la ministre, que nous puissions rapidement avancer sur ce thème qui ne doit pas intéresser que les écologistes au sein de notre assemblée.

M. le président. La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe du RDSE d’avoir permis ce débat sur l’évolution des péréquations communale, intercommunale et départementale après l’entrée en vigueur de la loi de finances de 2014.

En effet, indépendamment du souvenir du combat que nous avons livré ensemble, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2011 et 2012, je crois primordial que nous puissions évaluer les dernières évolutions du mécanisme en place, en en pointant les tendances et peut-être les défauts, ce que je ferai dans un premier temps, pour resituer ensuite ce dispositif dans la mutation profonde que vit notre système fiscal local.

Je me bornerai à évoquer ici la péréquation horizontale instituée par la loi de finances de 2011, bien que l’ensemble des dispositifs de péréquation actuels, y compris la traditionnelle péréquation verticale de la DGF, concourent, par l’existence d’une enveloppe normée désormais au mieux figée, à redistribuer les richesses entre les collectivités.

Je souligne que, dans une démocratie comme la nôtre, il serait utile que nous puissions disposer d’analyses chiffrées et d’outils de simulation, plusieurs années après la mise en œuvre du dispositif. (M. Jacques Mézard acquiesce.) En l’absence de telles données, mon propos ne pourra qu’être assez général.

Je commencerai naturellement par le FPIC, qui intéresse le bloc communal. Le législateur a choisi de rétablir en 2014 la programmation de progression initiale, en vue d’atteindre 2 % des recettes fiscales, soit 1 milliard d’euros. L’enveloppe du FPIC croîtra ainsi de 360 millions à 570 millions d’euros en 2014. Nous dirons pudiquement que cet effort n’est pas neutre dans la période actuelle…

Pour ce dispositif, qui met à contribution les territoires intercommunaux dont le potentiel financier est supérieur à 0,90 de la moyenne – après une tentative, infructueuse, de porter ce coefficient à 1 –, je rappelle que, depuis 2013, le revenu moyen par habitant est venu s’ajouter comme critère de prélèvement.

Pour déterminer le montant du prélèvement, la loi de finances pour 2014 a modifié l’indice synthétique, en portant le poids du revenu moyen par habitant de 20 % à 25 % et en abaissant celui du potentiel financier de 80 % à 75 %. Il va de soi que cette évolution favorise les territoires qui affichent un faible revenu par habitant.

Dans ce cadre, notons que, pour l’Île-de-France, où la contribution, ajoutée à celle du Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France de l’année antérieure, était jusqu’alors plafonnée à 11 % des recettes fiscales du territoire, la loi de finances pour 2014 relève ce plafond à 13 %.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Exact !

M. Charles Guené. Étant donné que nous agissons sur une enveloppe fermée, cette mesure allégera d’autant la contribution des non-plafonnés. Précisons toutefois que ce plafonnement joue sur les recettes fiscales, contrairement au prélèvement, qui se réfère au potentiel financier, ce qui favorise ceux qui appliquent des taux faibles.

J’en viens au reversement du FPIC.

Le seuil d’effort fiscal pour bénéficier de ce reversement a été fixé à 0,8 % en 2014, contre 0,75 % précédemment, et il sera relevé à 0,9 % en 2015. Cette disposition écarte du bénéfice de ce reversement ceux qui font le moins d’efforts et renforce la dotation de ceux qui restent éligibles.

Nous pourrions en conclure que les dispositions arrêtées pour 2014 vont dans le sens d’une meilleure appréhension des inégalités et d’un durcissement du principe « aide-toi, le ciel t’aidera ». Toutefois, nous devons rester extrêmement vigilants face à la manipulation de ces critères. En effet, en « pinçant » le dispositif aux deux extrémités – c’est-à-dire en faisant contribuer un nombre restreint de territoires les plus riches, par le biais d’un relèvement du critère de prélèvement, tout en limitant le nombre des bénéficiaires du reversement en renforçant le poids du seuil d’effort fiscal comme critère d’éligibilité –, nous prenons le risque de l’asphyxier. Peu de contributeurs et peu de bénéficiaires, les uns très prélevés et les autres très dotés : cette orientation pourrait nuire à l’efficience générale du dispositif en le concentrant sur un petit segment, au risque de le tuer.

C’est d’autant plus vrai que les critères de potentiel fiscal et de potentiel financier reposent, pour l’heure, sur des valeurs locatives non révisées, partant approximatives. Au surplus, les critères de charges fondés sur le revenu par habitant ne font pas consensus. Je rappelle que certains pensent à prendre en compte le niveau des loyers et que l’idée d’introduire un « reste à charge » fait son chemin. Pour ma part, je souhaite verser au débat la notion d’« effort énergétique global », utilisée par ERDF et qui rajoute au loyer les dépenses d’énergie et de mobilité. Un tel critère pourrait permettre de rééquilibrer l’approche territoriale entre l’urbain et le rural.

Se pose également la question de l’ajout du prélèvement dit des « deux fois 1,5 milliard d’euros » au titre de l’effort des collectivités, souvent vécu comme une double peine par les contributeurs. Le choix d’un prorata des ressources de fonctionnement n’est sans doute pas étranger à ce ressenti : les contributeurs dénoncent une double accentuation de la péréquation, mais on est en droit de se demander si un prélèvement au prorata de la DGF n’aurait pas eu, quant à lui, un effet contre-péréquateur !

Enfin, je tiens à dire un mot du FSRIF, même si je n’en suis pas, comme M. Dallier, un spécialiste patenté, et s’il s’agit d’un fonds de péréquation localisé. Le montant du FSRIF passe de 230 millions d’euros en 2013 à 250 millions d’euros en 2014, l’objectif étant de le porter à 270 millions d’euros en 2015. Les contributions d’éligibilité restent au même niveau que l’an passé, mais le calcul du prélèvement a été sérieusement modifié via la loi de finances. Du seul critère du potentiel financier, l’indice de prélèvement a évolué vers le composé d’un écart relatif au potentiel financier moyen, à hauteur de 80 %, et d’un écart relatif au revenu moyen par habitant –référence Île-de-France –, à hauteur de 20 %.

Si le FSRIF bénéficie de nombreux systèmes de lissage et de plafonnement des hausses d’une année sur l’autre, on comprend que cette modification allègera la charge pesant sur les territoires dont les habitants ont, en moyenne, les revenus les plus faibles. Les réserves précédemment exprimées par certains quant au choix de ce critère sont ici moins pertinentes, s’agissant de collectivités présentant une typologie de charges plus homogène.

Je voudrais à présent m’arrêter sur la péréquation départementale, qui a subi, plus encore, de substantielles modifications au travers de la loi de finances pour 2014.

Je crois utile de rappeler ici la sédimentation péréquative, avant d’aborder les dispositions pour 2014.

Outre la dotation de fonctionnement minimale, la DFM, et la dotation de péréquation urbaine, la DPU, qui sont aujourd’hui bien connues, nous avions institué, en 2011 et en 2012, un fonds de péréquation des DMTO et un fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. Comme chacun sait, ces dispositions n’ont pas donné entière satisfaction.

La loi de finances pour 2014 instaure, quant à elle, quatre systèmes de péréquation nouveaux pour les départements.

Le premier est « en creux », si j’ose dire, car il s’agit d’un prélèvement institué pour la participation à l’effort de 1,5 milliard d’euros des collectivités. Portant sur 476 millions d’euros, il repose sur un indice synthétique fondé sur les écarts moyens entre le revenu par habitant et le taux d’imposition foncière comparé aux moyennes nationales.