M. Robert del Picchia. Elles n’existeraient pas !

M. Bernard Kouchner, ministre. … cela se saurait ! Ce serait alors, le plus souvent, des entreprises nationales. S’il peut y avoir, ici ou là, des adaptations envisageables, les appels d’offre demeurent la règle. Les entreprises françaises doivent se montrer compétitives, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les exemples fournis à propos du Soudan et du Niger le prouvent. Vous n’ignorez pas, monsieur Guerry, que c’est Total qui a refusé de s’installer au Niger, du fait d’une situation politique dangereuse. De même, le Soudan n’était pas facile d’accès, en particulier le sud de ce pays. Il y avait pourtant des opportunités historiques à saisir ! D’ailleurs, notre entreprise pétrolière s’implante de nouveau dans ces régions. Mais elle doit désormais faire face à la concurrence chinoise. Qui pourrait reprocher aux entreprises chinoises de s’être implantées sur ce marché ?

Madame Tasca, vous avez fait preuve d’un grand optimisme quant à l’évolution du continent africain. Je partage votre sentiment. La tendance générale, comme les chiffres que vous avez cités, semblent confirmer cette évolution positive, dont nous devons tenir compte. Vous avez souligné l’expertise de la France. Même si elle est quelque peu datée et qu’elle s’éloigne des réalités de l’Afrique, nous devons la mettre en avant, en proposant à nos amis chinois, turcs et britanniques de bâtir autant que possible des offres communes. C’est la seule façon d’agir. Il existe d’ailleurs, en matière de développement, un groupe franco-chinois qui se réunit très régulièrement.

J’ai apprécié les propos que vous avez tenus sur le thème du codéveloppement et de l’immigration. Malheureusement, la pauvreté, l’emprise de la tradition et les marchands d’esclaves n’attendent pas. Codéveloppement et maîtrise du flux migratoire ne sont pas toujours corrélés. Les migrants tentent leur chance, même lorsqu’on leur soutient qu’en développant leur pays ils n’auront pas à essayer, au péril de leur vie, de gagner les pays riches. Eh oui !

Je suis évidemment favorable à équilibrer le plus possible codéveloppement et immigration. Mais, en réalité, il y a tous les jours des gens qui frappent à la porte des pays riches, qui franchissent la mer Méditerranée au péril de leur vie, et qui meurent. Les migrants n’empruntent pas nécessairement le détroit de Gibraltar. Bien souvent, ils viennent de beaucoup plus loin. Demandez à nos amis grecs combien ils en accueillent chaque jour ? Il en résulte un « trafic » effrayant, qu’il convient d’endiguer.

Je reprends vos exemples, monsieur Guerry. Vous vous dites partisan d’un dialogue entre le Tchad et le Soudan. C’est évident ! Je suis d’ailleurs plutôt satisfait des avancées dans ce domaine. Les accords de Doha seront-ils acceptés par tous ? Je ne sais pas. Mais il est clair qu’un certain nombre de pays ne respectent pas les règles et continuent de fournir des armes aux pays en développement. Vous l’avez d’ailleurs souligné.

Pour ce qui est du Niger, l’uranium suffira-t-il ? Je l’ignore. La situation que nous affrontons autour des mines d’uranium n’est pas simple. Nous sommes particulièrement attentifs à tout ce qui serait susceptible de protéger nos populations. Nos ressortissants ont d’ailleurs été évacués, comme vous le savez, d’une « zone rouge », définie comme très dangereuse. Nous y reviendrons.

Lors de la réunion du CICID qui s’est tenue en 2009, il a été exigé une révision de nos indicateurs bilatéraux. Nous avons d’ailleurs confié à l’inspection générale des finances le soin d’évaluer nos contributions bilatérales et multilatérales. Les conclusions de cette mission devraient nous parvenir dans les semaines qui viennent.

Madame Lepage, nous nous efforçons de répondre à l’objectif de 0,7 % du RNB en 2015. J’ignore si nous y parviendrons, même si je le souhaite ardemment. Notre aide au développement équivaut aujourd’hui à 0,49 % du RNB, et nous devrions atteindre 0,51 % l’année prochaine.

Vous avez évoqué, madame, les moyens de développer la formation. Je voudrais vous faire part d’un chiffre souvent méconnu : il y a, en France, près de 22 000 étudiants chinois, dont la formation, intégrée à la politique de développement, coûte chaque année 100 millions d’euros. C’est là un effort considérable, qui ne concerne que les étudiants chinois. Mais on accueille bien sûr des étudiants étrangers d’autres nationalités, notamment africaines, dans nos universités et nos écoles !

Vous avez fait allusion à ces sondages qui font état de la volonté des Français de renforcer l’aide au développement, ce dont je me réjouis. Ce sont tout de même eux qui la financent ! Mais il faudra leur rappeler cette intention initiale dans les années à venir.

Madame Keller, vous avez souligné l’évolution, très positive, de l’aide au développement. Je vous en remercie.

Dans les pays africains, qui représentent 60 % de nos efforts, nous menons des entreprises beaucoup plus proches des populations. Je l’ai dit, la tendance générale est en effet à se dégager, autant que possible, des gouvernements. Sans les mépriser, en les acceptant tels qu’ils sont, nous essayons de nous approcher au plus près des collectivités, des hommes et des femmes.

Certes, ce n’est pas toujours possible. En effet, il n’y a pas toujours d’ONG locale susceptible de relayer notre aide. Dans ce cas, nous travaillons avec des ONG françaises ou internationales, même si ces dernières sont généralement plus proches des gouvernements centraux et des ministères. Vous connaissez les chiffres : près de 40 % de l’aide s’évapore ! Ce chiffre est évidemment une moyenne, et cette évaporation ne sévit pas dans tous les pays.

Je voudrais maintenant insister sur la formation professionnelle. Vous avez évoqué le cas, en Afrique, de personnes qualifiées, notamment des médecins, qui gagnent les pays riches pour y exercer leur profession. C’est un fait ! Mais nous venons de mettre en place, aujourd’hui avec le Sénégal et demain avec le Maroc, une formation professionnelle, d’une durée de trois ans, qui s’appuie sur les fédérations professionnelles et le réseau de coopération. Elle semble bien fonctionner jusqu’à présent.

Au lieu d’accorder des bourses pour des cursus universitaires n’offrant pas de débouché particulier en Afrique – cela demeure bien entendu possible -, nous prenons en compte les besoins professionnels exprimés par les entreprises locales. Ces trois ans de formation accompagnée par les fédérations professionnelles fonctionne bien au Sénégal, premier pays concerné par ce dispositif. Nous entendons l’étendre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur la question des transactions financières. Je vous suis très reconnaissant de ce débat. Grâce au président de Rohan et à la commission des affaires étrangères, nous avons pu, les uns et les autres, et surtout moi, tirer profit de ces critiques, extrêmement positives.

Certes, 9 milliards d’euros, ce n’est pas suffisant, mais c’est tout de même considérable ! Nous n’avons pas à rougir de la position française en matière d’aide au développement, même s’il faut aller toujours plus loin dans ce domaine.

En effet, la France est, cette année, le deuxième contributeur mondial d’aide au développement. Certes, ce ne sera plus le cas l’an prochain, mais nous n’avons pas à rougir de notre rang au sein des pays européens, même s’il faut saluer l’effort de la Grande-Bretagne qui, en dépit d’une situation économique toujours difficile et d’une réduction de 25 % du budget du Foreign Office, a maintenu son aide. Je préférerais bien évidemment que nous puissions augmenter notre aide. Mais ce débat a montré que, dans ce domaine, nous n’étions pas les moins efficaces ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat, de grande qualité, sur la politique de coopération et de développement de la France.

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Débat sur le rôle de l’état dans les politiques locales de sécurité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité.

La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe du RDSE qui a demandé ce débat, M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet, au nom du RDSE. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il était encore besoin de justifier la réforme des institutions, à laquelle, je le rappelle, les radicaux avaient donné leur consentement en 2008, la possibilité désormais ouverte à notre assemblée d’organiser des débats de sa propre initiative serait une nouvelle preuve de l’amélioration apportée à l’équilibre des relations entre le Parlement et le Gouvernement.

Dès le mois d’août dernier, j’avais en effet annoncé que je solliciterai la tenue du présent débat avec un triple objectif : répondre aux propos scandaleux d’un ministre en exercice quant à la responsabilité de certains maires dans la montée de l’insécurité ; rappeler la carence, pour ne pas dire la faillite, des services de l’État dans le maintien ou le rétablissement de la sécurité dont le Président de la République avait pourtant fait sa priorité ; souligner les charges indues assumées par les collectivités territoriales du fait de cette carence, alors même que toutes les réformes engagées par l’État tendent à diminuer les ressources locales.

Mais je ne saurais vous présenter cette réflexion sans rappeler quelles sont les raisons qui ont amené et devraient encore conduire l’État à prendre en charge les missions de police.

C’est l’histoire nationale que l’État refuse aujourd’hui de regarder en face et dont il rejette l’héritage, comme s’il en avait le choix. Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez peut-être, je viens d’une région, le Midi républicain, héritière de cette Occitanie qui fut si longtemps méfiante, et le reste en tant que de besoin, à l’égard de l’État, de sa centralisation, de ses excès militaires et policiers ou, plus simplement, de son intolérance.

Je vous accorde que cette vision spécifique de la puissance politique n’est pas nouvelle. Vous n’y êtes pour rien, puisque c’est Charlemagne qui créa le comté de Toulouse et permit à notre Midi de s’opposer aux Capétiens jusqu’en 1271. Mais une culture particulière était née : des Cathares aux vignerons du Languedoc, nous pouvons faire état de huit siècles de résistance au pouvoir central.

Pourquoi alors, me direz-vous, avons-nous finalement consenti, progressivement certes, aux fonctions régaliennes de ce pouvoir parisien si lointain, si peu bienveillant ? C’est parce que la raison impose un constat d’évidence : dans un État moderne, la détention de ce que les juristes appellent la « violence légitime » ne peut être accordée qu’à une seule collectivité publique.

S’il s’agit, à l’extérieur, de faire respecter les frontières et les valeurs de notre pays ou, à l’intérieur, de garantir la paix publique et la sécurité des citoyens, seul l’État – je dis bien l’État – peut le faire, et lui seul. Voilà pourquoi, tout au long de l’histoire moderne de notre pays, les provinces, puis les régions, les départements, les communes s’en sont remis à l’État pour garantir l’ordre et la sûreté. C’est la mission des représentants de ce dernier, ce n’est pas la nôtre, et vous ne pouvez ni ne devez vous y soustraire.

C’est donc en ayant ces éléments historiques à l’esprit que, l’été dernier, nous avons tous entendu, avec une stupéfaction scandalisée, M. le ministre chargé de l’industrie adresser une sorte d’admonestation aux maires qui ne feraient pas face à leurs obligations de police, blâme assorti d’une menace financière, l’État pouvant pénaliser les communes qui ne réaliseraient pas les efforts suffisants dans ce domaine.

Ces propos, je le répète, nous ont scandalisés – la réprobation s’est d’ailleurs étendue aux rangs de la majorité –, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nul ne savait en quelle qualité s’exprimait M. Estrosi. À l’inverse d’une règle désormais considérée comme un pilier de notre organisation administrative, il bénéficie en effet, avec l’un de ses voisins varois, du privilège d’être à la fois maire d’une grande ville et membre du Gouvernement. Ce cumul n’est pas seulement contraire aux usages de la République moderne ; il est aussi dommageable au plein exercice de l’une et l’autre responsabilités susvisées. En l’espèce, il était source d’une grande confusion, puisque les maires ainsi interpellés ne savaient pas s’ils étaient cloués au pilori par l’État ou dénoncés à ce dernier par l’un de leurs collègues.

Par ailleurs, il se trouve que la commune qui a l’honneur d’être dirigée par M. Estrosi est la ville de Nice, si particulière à tant d’égards. Le maire de Nice, qui s’adressait alors à ses homologues de nombreuses villes où la sécurité a été sacrifiée à des politiques d’urbanisme irresponsables, à une conception ségrégative de l’action sociale, à une démission générale des services publics de l’État, ce maire-là préside aux destinées de l’une des collectivités les plus riches de France, où la sociologie ne correspond en rien à celle des autres communes urbaines, la population de cette municipalité étant dominée par les personnes âgées aisées, voire très aisées. Pour le dire brièvement, le maire de Nice est d’autant plus populiste que sa ville est peu populaire…

Mais j’ai aussi parlé, en pesant soigneusement mes mots, de l’honneur discutable qu’il a d’être installé dans cette mairie prestigieuse. Personne n’a oublié, en effet, que pendant des décennies, Jacques Médecin, grâce à l’aide de ses adjoints, a fait régner sur Nice une autorité qui devait peu à la police et beaucoup aux besoins de tranquillité qu’éprouvent certains sur la baie des Anges. Pour cette raison particulière, nous avons été nombreux – et je félicite notre collègue François Rebsamen de sa réplique immédiate et très vive – à estimer que M. Estrosi n’était pas le mieux placé pour donner des leçons à propos d’un ordre public qui, selon nous, se fonde d’abord sur la morale républicaine.

Cependant, monsieur le secrétaire d’État, la question principale en l’occurrence est non pas celle de l’émetteur, mais celle du message émis. Seraient pénalisées demain, dans leurs dotations budgétaires, les communes qui n’auraient pas convenablement bouché les voies d’eau de la politique de l’État, ce fameux « tout sécuritaire » qui est l’alpha et l’oméga de votre conception de l’organisation d’une société.

Une telle menace impose une première remarque. Je vous prie, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler à vos collègues qui l’ignoreraient que les ressources des collectivités provenant du budget de l’État ne nous sont pas consenties ou « octroyées », comme auraient pu dire les conseillers de Louis XVIII. Elles nous sont dues pour trois raisons principales. D’abord, elles sont prévues par la Loi – point n’est besoin de commentaire, cette majuscule suffit – et il n’appartient pas au caprice d’un ministre-maire de défaire ce qu’a fait la volonté populaire. Ensuite, elles permettent de financer non seulement l’exercice des compétences qui ont été décentralisées par les grandes lois de 1982-1983 et des textes ultérieurs, mais aussi, et j’y reviendrai, les missions qui sont celles de l’État et qu’il n’assume pas. Enfin, elles représentent la contrepartie de recettes qui appartenaient en propre aux collectivités locales. Qui se souvient encore que la TVA, celle que vous percevez, a remplacé la taxe locale, celle que nous vous avons abandonnée ?

Mais l’essentiel est bien dans votre démission. Si les propos de M. Estrosi ont soulevé un tel tollé – dans votre seul camp, je vous rappelle les protestations du président de l’Association des maires de France, l’AMF, ou de M. Favennec, député de la Mayenne ; dans ma seule région, j’ai noté l’indignation de plusieurs parlementaires de l’UMP –, c’est qu’ils avaient un triple objet : souligner la violence extrême du « discours de guerre » prononcé par M. Sarkozy à Grenoble après les scènes d’émeute ayant embrasé un quartier de la ville ; profiter de cette occasion pour clouer au pilori une municipalité de gauche, dirigée en l’espèce par Michel Destot, maire socialiste de Grenoble ; mais, surtout, noyer le poisson de votre échec en matière de sécurité, en inventant des missions que la loi n’a pas confiées aux communes.

Ce dernier point reflète bien la réalité. Vous vous êtes autoproclamés prix d’excellence sécuritaire et vos résultats en cette matière sont catastrophiques. Comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement, puisque vous avez littéralement désarmé le bras sécuritaire de l’État ? Vous avez supprimé la police de proximité, à laquelle vous reprochez sans doute d’être insuffisamment sécuritaire. Vous avez supprimé nombre de commissariats, sacrifiés sur l’autel de l’austérité budgétaire. Vous avez supprimé 10 000 postes de policiers en cinq ans. Le maire de Grenoble, mis en cause par votre collègue, avait d’ailleurs démontré que, depuis 2002, les effectifs de la police nationale avaient baissé de 17 %, tandis que ceux de la police municipale avaient augmenté de 41 %.

Au risque de vous étonner, monsieur le secrétaire d’État, je veux bien reconnaître que le problème de l’insécurité, notamment en zone urbaine, vient de loin, et de plus loin que vous ou que nous.

Il vient, d’abord, de la politique dite d’« urbanisme opérationnel », politique irresponsable conduite par l’État dans les années soixante et soixante-dix, au cours desquelles la DATAR confondait quantité et progrès.

Il vient, ensuite, de ces ZUP et de ces ZAC ghettos, où l’on a entassé les catégories de populations déjà les plus défavorisées et souvent les moins intégrées.

Il vient, encore, de l’abandon progressif des services publics dans tous ces quartiers sensibles, en particulier des transports publics, lesquels, pourtant, donneraient une chance à l’insertion.

Il vient, aussi, mais là, vous en êtes coresponsables, de l’amalgame scandaleux que les discours de l’extrême-droite et de la droite musclée ont fait surgir entre, d’une part, une immigration que nous avons voulue, appelée, je vous le rappelle, mes chers collègues, et, d’autre part, une insécurité que vous ne faites mine de combattre que pour mieux désigner des boucs émissaires capables d’endosser toutes les autres revendications de la société française.

Il vient, enfin, plus récemment, de l’abandon des politiques de coproduction de sécurité mises en place à partir du plan Bonnemaison de 1982 et des initiatives prises par Jean-Pierre Chevènement en 1997, politiques délaissées par les gouvernements de droite successifs.

Ces considérations m’amènent à l’interrogation principale qui s’est imposée à nous l’été dernier : quel est donc et quel doit être le rôle des collectivités territoriales en matière de sécurité ?

En application des règles historiques que j’ai rappelées, c’est l’État qui est chargé de la police et, lorsque le maire intervient dans ce domaine, c’est en sa qualité d’agent de l’État. Il est investi d’un pouvoir général de police administrative en vue de la prévention des troubles à l’ordre public, mais il exerce celui-ci sous l’autorité du préfet. De la même façon, il est officier de police judiciaire – cette mission n’a d’importance effective que dans les petites communes dépourvues de police et de gendarmerie –, mais, là encore, il est placé sous l’autorité du procureur. Il semble bien, finalement, que la conception classique, rappelée précédemment, se soit imposée : la police ressortit à la compétence exclusive de l’État.

Cependant, il est apparu aux collectivités territoriales et à leurs responsables que la sécurité des personnes et la tranquillité publique ne pouvaient être abandonnées aux seuls responsables de la répression, c’est-à-dire aux autorités policières et judiciaires de l’État. Cette prise de conscience résulte d’un double constat.

D’une part, la sécurité publique dépend essentiellement d’un climat de paix sociale que les élus locaux, aidés de leurs services, sont les premiers soucieux de maintenir ou d’améliorer. Plus que jamais, l’élu local, qui représente et incarne le premier niveau de solidarité vécue et ressentie par les citoyens, détient une fonction de médiation sociale. Je voudrais, à cette occasion, saluer le dévouement des centaines de milliers d’élus bénévoles ou quasi bénévoles qui, inlassablement, retissent le lien civique distendu ou déchiré par les violences économiques et sociales qui ont cours à notre époque.

D’autre part, la sécurité de nos concitoyens et de leurs biens dépend évidemment de la justice sociale, mais également de l’attention portée par les pouvoirs publics aux situations de détresse sociale. Cette attention n’est certes pas de la charité ou de la simple compassion : elle doit prendre la forme d’une solidarité active, dont je veux vous donner un exemple concret, mes chers collègues, que je connais en ma qualité de président de conseil général.

Bien avant les gesticulations estivales de M. Ciotti, élu de la même région que M. Estrosi, vous nous avez délégué le pouvoir de suspendre le versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. À cette date, aucun président de conseil général concerné, je dis bien aucun, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a usé de cette possibilité. Cela signifie donc, monsieur le secrétaire d’État, que votre idéologie et vos dogmes n’ont rien à voir avec la réalité de terrain.

Nous savons, nous, que ces situations appellent de la présence, de l’assistance aux familles et de l’investissement de la part des travailleurs sociaux non seulement des départements, mais aussi des communes.

L’essentiel, en matière de sécurité, reste bien la prévention, que vous faites mine de confondre avec l’angélisme. Nous le savons tout comme vous, certains comportements exigent la répression dans ses aspects punitifs et dissuasifs ; je répète que c’est là le rôle de l’État et non celui de nos collectivités, qui n’ont ni à le remplacer ni même à lui prêter main-forte.

Les maires peuvent et doivent faire respecter, avec leurs propres personnels et, le cas échéant, avec ceux de la police nationale, les arrêtés qu’ils ont pris dans le cadre précité, que ces documents visent – et j’y suis favorable – le couvre-feu pour les mineurs, la mendicité intempestive ou la sécurité des manifestations publiques. S’ils estiment avoir besoin, pour garantir la paix, synonyme de liberté, de recrutements supplémentaires, d’armes dissuasives ou de nouveaux moyens de vidéosurveillance, c’est à eux d’en juger et non au Gouvernement, qui engagerait, en quelque sorte, des supplétifs.

En réalité, vous pourrez bien rebaptiser les organismes interministériels ou les organes de coordination locale, mais vous devrez bien admettre que la sûreté publique ne peut dépendre de votre seul bon vouloir et que la sécurité des Français ne peut résulter de la seule répression, dont nous voyons tous les limites, surtout dans les cas où votre politique discriminatoire a transformé la simple présence policière en une sorte de provocation, et ce fait est particulièrement grave.

Les policiers n’y sont évidemment pour rien. Les habitants des quartiers concernés ne sont pas non plus en cause. Mais c’est la vieille histoire du vent et de la tempête… Pour de médiocres raisons électorales, vous considérez la sécurité comme un terrain d’affrontement, non comme un champ de conciliation sociale.

Le véritable problème est bien là, et non dans le contestable discours de M. Estrosi, qui se croit autorisé à morigéner les maires. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas la même conception de l’action publique. Comment voulez-vous que la sécurité soit autre chose qu’une incantation quand des catégories entières de la population ont le sentiment de n’avoir pas les mêmes droits en matière de logement, d’accès à l’emploi ou encore d’équipement en services publics, quand des Français sont désignés à la vindicte d’autres Français par des menaces proférées à l’égard d’une possible déchéance de leur nationalité, quand les contrôles de police se font à raison du faciès, de la couleur ou du quartier ?

Je vous ai fait part de la lassitude des collectivités territoriales, toujours appelées à pallier les insuffisances budgétaires de l’État – c’est bien le cœur du débat actuel –, alors même que celui-ci les asphyxie par une réforme financière inique. Au risque de vous étonner, je vous dirai que ces sacrifices seraient encore acceptables si la politique menée par votre gouvernement nous paraissait juste. Or elle ne l’est pas. Vos menaces permanentes, vos rodomontades incessantes, vos expulsions triomphantes ne donnent qu’un seul résultat : des statistiques fallacieuses.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos collectivités sont soucieuses de l’ordre et de la paix publics ! Non, elles ne veulent pas s’associer à une politique qui, en écornant la justice et les libertés, crée de l’insécurité ! (Mmes Anne-Marie Escoffier, Alima Boumediene-Thiery, Éliane Assassi et M. Charles Gautier applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile pour moi d’intervenir juste après M. Jean-Michel Baylet, ancien secrétaire d’État chargé des collectivités territoriales, dont je partage les valeurs républicaines et qui vient de mettre le doigt là où ça fait mal. Là ou ça fait mal pour nos concitoyens, qui ne sont pas toujours au fait de la loi et des règlements et qui réagissent à l’instinct ou sous la pression des médias.

Je vais essayer de m’abstraire de cette vision sensible, presque affective, des événements, que je comprends au demeurant, pour m’en tenir à un constat aussi objectif que possible.

J’ajouterai un mot, néanmoins, qui dérogera à la règle que je tente de m’imposer, sur le malaise de nos services de police et, peut-être, dans une moindre mesure, de la gendarmerie. Ces deux corps, civil et militaire, qui marchent à l’affectif, ont besoin d’être aimés et respectés pour donner toute sa force à leur action.

Mme Anne-Marie Escoffier. Or, aujourd’hui, les attentes des citoyens, aussi diverses qu’il y a de situations locales, sociales ou sociétales différentes, ne riment pas avec les nouveaux modes de fonctionnement de nos services chargés de la sécurité des personnes et des biens.

Il existe, dès lors, un hiatus grandissant et de plus en plus perceptible, qui signe, je ne crains pas de le dire, le diagnostic d’un peuple malade de sa démocratie.

Je reviens donc au rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité. Traditionnellement, l’État est le garant des libertés en même temps que le protecteur de la sécurité des personnes et des biens. Cette double vocation est un fondement essentiel et incontournable de notre République. Inscrite dans la constitution, elle a pour maître d’œuvre le ministre de l’intérieur. Celui-ci, parce qu’il concilie les libertés et les contraintes, est le garant incontournable de ces principes démocratiques.

Incontournable, certes, mais incontestable, l’est-il toujours ? Nous sommes nombreux, ici et là, à avoir défendu de toutes nos forces, à plusieurs reprises, l’absolue nécessité pour le ministre de l’intérieur de s’appuyer sur ces deux pôles – liberté et sécurité – et de n’être pas plus le ministre de l’un plutôt que de l’autre.

Les tentatives de scinder en deux le ministère de l’intérieur, pour avoir un ministère autonome de la sécurité, ont heureusement échoué. Mais rien n’interdit de penser que les politiques mises en œuvre participent subrepticement de la même démarche.

En effet, si l’on considère que la politique de sécurité consiste à garantir la sécurité de la population résidant sur le territoire national ainsi que celle de leurs biens patrimoniaux et de leurs activités face à des menaces de nature criminelle relevant de la justice pénale, on entre bien parfaitement dans la vocation double du ministère de l’intérieur que je viens de rappeler.

En revanche, si la politique de sécurité n’est plus que politique répressive, elle se fixe exclusivement sur le deuxième pôle du ministère et n’apparaît plus comme le garant fondamental du droit de liberté. On doit néanmoins se féliciter de ce que, dans le cadre d’une politique sécuritaire aboutissant à une politique pénale, l’autorité judiciaire indépendante soit la gardienne des libertés publiques.

Que retenir de cette rapide présentation sinon qu’elle laisse peu de place – cela ne me paraît pas illégitime – aux collectivités locales, alors que les réflexions successives et les lois successives ont donné aux collectivités locales des responsabilités nouvelles en matière de politique de sécurité ?

Il s’agit non plus de la politique de sécurité – apanage de l’État –, mais des politiques de sécurité, appliquées localement à raison des problèmes particuliers auxquels sont confrontées les collectivités et s’intégrant à la nécessaire solidarité à laquelle chacun doit contribuer.

Dès 1977, avec le rapport Peyrefitte, et 1982, avec le rapport Bonnemaison, chacun – État et communes – avait compris l’intérêt de politiques territorialisées de prévention de la délinquance, des politiques de « coproduction de sécurité » s’appuyant sur des conseils communaux de prévention de la délinquance, devenus, par décret du 17 juillet 2002, conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

La première loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, en élargissant le nombre et la qualité des acteurs, parties prenantes dans cette coproduction de sécurité, a conforté le principe d’une action publique territoriale en la matière.

Elle a préparé le maire à devenir le « pilote de la prévention de la délinquance », pilote d’un pilotage obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants, depuis la loi de 2007. Mais que vaut un pilote à qui incombent les tâches les plus diverses, allant jusqu’au contrôle de l’absentéisme scolaire, sans qu’il ait ni les moyens ni l’autorité de ce pilotage ?

Il n’est que de rappeler certains événements récents évoqués par M. Jean-Michel Baylet, où l’on a voulu jeter l’opprobre sur les élus et les faire condamner par la vox populi.

Quels sont, en réalité, les moyens dont disposent les collectivités si l’on fait abstraction du pouvoir de convocation des conseils locaux de sécurité, dont la lourdeur n’a que trop tendance à en amoindrir l’efficacité ?

Les collectivités disposent de leurs moyens propres de police municipale, dont elles ont la charge financière complète. Les compétences de la police municipale ont d’ailleurs été élargies, par exemple en matière de contrôle préventif s’agissant des dépistages d’alcoolémie. Elles disposent également du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, utilisé à 75 % en équipement de vidéosurveillance, comme si la vidéosurveillance – pardon, la « vidéoprotection »... – était l’arme absolue contre tous les maux de délinquance connus.

Je ne veux pas ignorer les bénéfices de la vidéoprotection, mais je voudrais les relativiser. A-t-on mesuré les dépenses en personnels qui doivent naître de ce système si l’on veut lui assurer quelque efficacité ? Combien d’écrans d’image par équipement, combien de personnes mobilisées derrière ces écrans pour lire et interpréter en temps réel les images ? À quel coût de fonctionnement, et non pas d’investissement auquel participe l’État, cela revient-il ?

Nombreux sont les exemples que nous pourrions citer de dispositions nouvelles prises en matière de traitement et de prévention de la délinquance qui chargent la barque du pilote collectivité locale sans lui donner les moyens correspondants.

Je peux témoigner de la bonne volonté des polices municipales et d’État à travailler ensemble. Mais cette bonne volonté ne peut contrarier les consignes données par la hiérarchie policière de l’État.

L’État n’a-t-il pas déjà assez de mal à faire fonctionner harmonieusement police et gendarmerie, sous l’autorité d’un préfet de département amoindri, même s’il ne lui reste plus guère que la gestion de crise et la sécurité ?

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui se pose véritablement aujourd’hui est bien de savoir comment cette idée de coproduction de sécurité peut trouver à se réaliser au bénéfice de tous, victimes, délinquants, forces de sécurité, à raison de véritables compétences assises sur de vrais moyens.

Faut-il espérer que le projet de loi de finances pour 2011 saura apporter une réponse à cette question ? En tout état de cause, c’est mon vœu. (M. Charles Gautier applaudit.)