Sommaire

Présidence de M. Guy Fischer

Secrétaires :

MM. Bernard Saugey, Jean-Paul Virapoullé.

1. Procès-verbal

2. Dépôt d’un rapport du Gouvernement

3. Débat sur la politique de coopération et de développement de la France

MM. Christian Cambon, au nom de la commission des affaires étrangères ; André Vantomme, au nom de la commission des affaires étrangères.

MM. Yvon Collin, Robert Hue, Yves Pozzo di Borgo, Mme Catherine Tasca, Michel Guerry, Mmes Claudine Lepage, Fabienne Keller.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

4. Débat sur le rôle de l’état dans les politiques locales de sécurité

M. Jean-Michel Baylet, au nom du RDSE.

Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. Louis Nègre, Charles Gautier, Philippe Dallier, Mme Alima Boumediene-Thiery.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

5. Questions d'actualité au Gouvernement

dispositions sur le logement dans la lodeom

M. Daniel Marsin, Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.

Réforme du crédit à la consommation et lutte contre le surendettement

M. Claude Biwer, Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.

Réforme de la garde à vue

M. Alain Anziani, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

réforme des retraites

Mme Éliane Assassi, M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

sommet franco-britannique et traités de coopération en matière de défense

MM. Jacques Gautier, Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

plan social de l'usine molex

MM. Jean-Jacques Mirassou, Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.

chrétiens d'irak

Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

majorité pénale à seize ans

M. Serge Dassault, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

sous-traitance

MM. Jean-François Humbert, Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.

hôpital public

M. Claude Domeizel, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

6. Commission mixte paritaire

7. Modification de l'ordre du jour

MM. le président, Jean-Pierre Bel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Anne-Marie Escoffier, MM. Claude Biwer, Gérard Longuet, Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.

MM. le président, Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.

Adoption, par scrutin public, de la modification de l’ordre du jour du 9 novembre 2010.

8. Modification de l'ordre du jour réservé aux groupes

9. Candidature à une commission

10. Débat sur les effets sur la santé et l'environnement des champs électromagnétiques

M. Daniel Raoul, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Mmes Anne-Marie Escoffier, Mireille Schurch, M. Antoine Lefèvre.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.

11. Décision du Conseil constitutionnel

12. Nomination d’un membre d’une commission

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Guy Fischer

vice-président

Secrétaires :

M. Bernard Saugey,

M. Jean-Paul Virapoullé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat, en application de l’article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le rapport portant sur l’interdiction de la circulation sur les lignes électrifiées des trains utilisant un mode de propulsion autre qu’électrique.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et sera disponible au bureau de la distribution.

3

Débat sur la politique de coopération et de développement de la France

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique de coopération et de développement de la France.

La parole est à M. Christian Cambon, au nom de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Christian Cambon, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’organisation de ce débat marque l’aboutissement de plusieurs mois de travail et de réflexion sur les orientations de notre politique de coopération.

Monsieur le ministre, vous avez souhaité entamer une réflexion sur le sens de notre effort au service du développement des pays du Sud. Nous pensons que ce travail est particulièrement utile et bienvenu.

En effet, il faut expliquer à nos concitoyens ce que fait la France quand elle finance le réseau d’adduction d’eau de Bamako ou quand elle intervient, avec le Japon, pour soutenir le programme indonésien de lutte contre la déforestation. Il faut aussi savoir dire à nos partenaires ce que sont nos objectifs, nos zones prioritaires et nos moyens d’intervention. Monsieur le ministre, vous avez eu l’intelligence d’associer la société civile et le Parlement à cette réflexion, et nous vous en remercions.

La commission des affaires étrangères, son président Josselin de Rohan et ses rapporteurs ont apporté leur contribution à ce travail. Nous avons multiplié les auditions, organisé un débat et publié un rapport étayé et critique sur les premières orientations de ce document. Ce long processus a abouti à l’adoption du document-cadre de coopération, qui fixe les grandes orientations de la politique d’aide au développement de la France pour les dix années à venir.

Ce document établit un diagnostic que je voudrais commenter, laissant à notre collègue André Vantomme le soin d’évoquer les objectifs de cette politique.

Avant tout, je soulignerai qu’il faudra prendre l’habitude de ces rendez-vous, monsieur le ministre. Le temps où l’aide au développement était, dans le prolongement de la politique africaine, le monopole de l’exécutif est manifestement révolu. Nous estimons que ce débat doit constituer une première étape vers l’adoption par le Parlement, à échéance régulière, d’une loi d’orientation sur le développement, comme c’est du reste le cas au Royaume-Uni ou en Espagne.

Voilà pour la méthode. Venons-en au fond : si le monde bouge, il faut dessiner un visage nouveau à la coopération.

À travers ce document, l’aide au développement ne relève plus seulement d’une démarche caritative. Nous croyons que l’idéal humaniste demeure. C’est parce qu’un homme vaut un autre homme, qu’il soit né ici ou ailleurs, qu’il faut lutter contre la faim et se battre pour qu’un enfant né au Mali n’ait pas cinquante fois plus de risques de mourir avant cinq ans qu’un enfant né en France.

Toutefois, il faut aussi expliquer à nos concitoyens que la coopération est un moyen de régulation de la mondialisation, une contribution à un monde plus sûr.

Les attentats de septembre 2001, la résurgence de la piraterie, le retour des pandémies ont bien montré que le sous-développement constituait un terreau favorable à des menaces, qui touchent aussi bien les pays du Sud que ceux du Nord.

Notre façon de penser notre coopération doit évoluer, parce que les pays en développement ont connu des trajectoires divergentes. Il faut formaliser la fin d’une politique indifférenciée. Notre coopération n’a pas le même sens, ne vise pas les mêmes objectifs, n’utilise pas les mêmes instruments à Nouakchott et à Nankin.

Notre vision de l’aide au développement doit changer parce que notre coopération doit toujours se penser désormais sous la forme de partenariats. En effet, la France n’agit plus jamais seule.

Même dans le cadre de notre aide bilatérale, la coopération consiste à lancer des actions et à trouver des partenaires pour financer, ensemble, des projets de développement. Même dans des pays comme le Mali, la France n’apporte plus que 10 % de l’aide totale reçue. On peut le regretter, mais il faut regarder la réalité en face.

Nos actions sont aujourd’hui presque toujours conduites en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds ou avec des institutions multilatérales. Je pense même que nous gagnerions en efficacité si nous établissions plus fréquemment des programmations conjointes au sein de l’Union européenne.

Dans le contexte budgétaire que nous évoquions hier soir, lors de la réunion de la commission, monsieur le ministre, il nous faut plus que jamais trouver des synergies au sein de l’Union, pour bâtir ensemble, à vingt-sept pays – je sais que ce n’est pas simple, compte tenu de nos différences –, une véritable politique de développement européenne.

Il nous faut enfin inventer pour demain – votre réflexion le souligne également – une coopération qui dépasse le socle exclusif des souverainetés nationales pour inventer des politiques globales.

Avec la lutte contre le changement climatique ou les pandémies mondiales, l’aide au développement doit trouver des modes de gouvernance qui dépassent la coopération intergouvernementale. On l’a bien vu lors de l’échec de la conférence de Copenhague : les défis du XXIe siècle exigeront, pour gérer l’intérêt commun de la planète, des solutions collectives, une gouvernance internationale qu’il nous reste à inventer.

Il nous faut sortir d’une vision binaire du monde, car nous vivons, avec l’essor des pays émergents, la fin de la dichotomie Nord-Sud. En ce sens, le document-cadre nous parait juste et utile : il introduit une vision nouvelle de l’aide au développement et permet de mieux comprendre une politique complexe, dont on oublie, derrière des batailles de chiffres, la signification très actuelle.

Monsieur le ministre, nous émettons cependant quelques réserves sur ce diagnostic, qui dessine un tableau mais ne présente pas un bilan, et encore moins une évaluation.

En effet, nous ne retrouvons pas dans ce document, comme nous l’aurions souhaité, un bilan suffisant des objectifs fixés par les derniers comités interministériels de la coopération internationale et du développement et ce parti pris nous semble critiquable. Il serait souhaitable que la définition de cette nouvelle stratégie puisse s’appuyer sur un bilan des précédentes. Comme trop souvent, on élabore une nouvelle stratégie sans tirer tous les enseignements de celle qui l’a précédée.

De même, nous ne retrouvons pas dans ce document une évaluation des différents instruments de notre coopération. Dans un contexte où les crédits consacrés aux subventions risquent d’être de plus en plus contraints, il convient de nous fixer une ligne de conduite et de déterminer où ces financements sont les plus efficaces et les plus nécessaires.

Nous ne trouvons pas non plus un bilan des réformes des structures administratives de l’aide au développement opérées depuis 2004, qui permettrait pourtant de définir les objectifs assignés à chacun des organismes concernés et au réseau de coopération dans son ensemble.

La France possède le deuxième réseau diplomatique du monde. Qu’attendons-nous de ce réseau en matière de pilotage de l’aide au développement ? Qu’attendons-nous de nos instituts de recherche sur le développement ? Les responsables de l’OCDE, l’Organisation de la coopération et du développement économiques, affirment que notre organisation est trop éclatée entre différents ministères et administrations : je crois qu’ils n’ont pas tort.

Nous avons essayé de limiter les divergences grâce à un organe de coordination, le CICID, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement. J’ai la faiblesse de penser que ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès.

Monsieur le ministre, le CICID s’est réuni pour la dernière fois il y a plus d’un an et demi : il n’a même pas été convoqué pour adopter ce document-cadre. Cela montre combien il est important de nous attarder sur ce point.

Enfin, le document-cadre gagnerait à s’appuyer sur une évaluation des résultats, comme nous vous l’avons indiqué hier soir. Vous soulignez évidemment toute la complexité de ce problème, et nous le comprenons, car vous avez raison.

Toutefois, l’aide au développement ne détient pas le monopole de la complexité. La coopération ne peut être la seule politique publique qui ne soit pas évaluée : elle consomme quand même plus de huit milliards d’euros de crédits par an, dont nous sommes comptables devant les citoyens et les contribuables ! Des outils, des organismes, des évaluations existent. En fait, la difficulté est tout autant d’évaluer que de prendre en compte le résultat de cette évaluation dans la stratégie politique.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion sur ce diagnostic, j’aurai plaisir à vous lire une citation de la leçon inaugurale prononcée au Collège de France par l’économiste Esther Duflo sur l’aide au développement : « Les erreurs de diagnostic des économistes, des organisations internationales et des gouvernements sont fréquentes. Elles ne sauraient justifier l’inactivité, mais rendent au contraire les évaluations rigoureuses nécessaires. Celles-ci permettent de tirer des leçons des expériences passées. Or force est de constater qu’aujourd’hui encore la grande majorité des interventions ne sont pas évaluées, soit que leurs promoteurs craignent la révélation d’effets nuls ou moins importants que ce qu’ils escomptaient, soit que la mise en œuvre d’évaluations rigoureuses soit perçue comme trop difficile. » Voilà un beau défi qui nous est proposé pour les mois et les années qui viennent ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Robert Hue. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Vantomme, au nom de la commission des affaires étrangères.

M. André Vantomme, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris pleinement aux propos de Christian Cambon, avec lequel j’ai le plaisir d’être rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Aide au développement », au nom de la commission des affaires étrangères. Notre association, alors que nous sommes issus de partis concurrents, illustre d’ailleurs combien ces questions dépassent les clivages politiques, même s’il nous arrive d’avoir des divergences sur les méthodes ou sur les moyens mis en œuvre.

Monsieur le ministre, les objectifs majeurs que vous fixez à notre coopération, à savoir la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux, forment un programme ambitieux au regard des moyens qui sont les nôtres.

Sans surprise, ces objectifs sont communs à la communauté internationale, et il est donc important, au moment où notre pays va prendre la présidence du G8 et du G20, de formuler la conception que nous nous en faisons.

Par rapport au relevé de conclusions de la précédente réunion du CICID, la principale nouveauté consiste dans le classement de la prévention des crises et des conflits comme premier objectif. Les crises se nourrissent presque toujours d’un contexte de forte pauvreté, sur des territoires où les États sont en difficulté. C’était le cas en Afghanistan et on le constate aussi dans le Sahel. Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que l’aide au développement doit jouer un rôle de prévention.

La lutte contre la pauvreté est le deuxième objectif, elle est au cœur de l’aide au développement.

Le troisième objectif consiste à relever le défi de la croissance. On n’aidera pas ces pays seulement en encourageant le développement des services publics de base. Le soutien à la croissance passe par la mise en place d’infrastructures, mais aussi par l’engagement de l’Agence française de développement, l’AFD, dans des fonds d’investissements et des systèmes de garanties aux réseaux bancaires africains, qui permettent de favoriser la création d’entreprises.

Le soutien à la croissance, c’est aussi l’amélioration des régimes préférentiels pour les exportations des pays d’Afrique subsaharienne à bas revenus. Ne serait-il pas plus efficace et plus conforme à la dignité des pays africains de leur permettre d’affermir leur croissance par le développement des échanges ? Nous devons respecter un impératif de cohérence dans ce domaine ; or vous l’évoquez sans vraiment en décliner les nombreuses conséquences. On dépense beaucoup d’argent pour des projets agricoles africains, mais le meilleur service à rendre à ces pays ne serait-il pas d’accueillir leurs produits ?

Le quatrième objectif est la préservation des biens publics mondiaux, la préservation du climat ou de la biodiversité. Cet objectif concerne au premier chef les pays émergents qui, vous le savez, seront responsables, dans les trente ans à venir, de 80 % de l’augmentation de la consommation d’énergie. Il concerne également l’Afrique qui sera, demain, la première victime du réchauffement climatique.

L’une des leçons de la conférence de Copenhague est que le ralliement des pays en développement aux préoccupations des pays développés passe par un engagement renouvelé de ces derniers sur les questions de développement et d’environnement.

Vous proposez une application différenciée de ces objectifs selon les zones concernées.

Notre première priorité géographique est l’Afrique subsaharienne qui comptera 1,8 milliard d’habitants en 2050, soit trois fois plus que l’Europe. Je ne crois pas que l’on mesure à quel point ce chiffre est important.

La deuxième zone prioritaire est la Méditerranée. Vous proposez de faire de l’aide au développement un instrument majeur pour relancer le cadre politique de l’Union pour la Méditerranée. Nous pensons, comme vous, que des projets concrets de dépollution de la Méditerranée, de gestion durable de l’eau, permettront de créer une solidarité régionale essentielle à la stabilité de l’Europe, même si nous n’oublions pas l’existence de contentieux persistants entre certains pays qu’il va falloir régler.

La troisième priorité géographique concerne les pays émergents, à l’égard desquels nous poursuivons deux objectifs : d’une part, les inciter à adopter un modèle de croissance plus respectueux de l’environnement et, d’autre part, créer un partenariat avec les grands pays qui façonneront le monde de demain.

Nous partageons vos intentions, mais nous nous interrogeons sur les moyens utilisés pour y parvenir. Dans un contexte budgétaire tendu, les subventions budgétaires et les prêts concessionnels sont de plus en plus rares. Alors que la Chine dispose de réserves suffisantes pour financer des fonds souverains qui achètent nos bons du Trésor, il nous semble que nous devrions réserver nos prêts concessionnels aux pays les moins avancés.

La dernière priorité géographique concerne les pays en crise. Il s’agit de la région du Sahel, du Moyen-Orient, de l’Afghanistan et du Pakistan.

J’en viens rapidement aux modalités de mise en œuvre de cette stratégie. En effet, là comme ailleurs, la politique est un art d’exécution et nous pouvons constater tous les jours, dans nos collectivités territoriales, que les idées ne valent qu’à raison des moyens qui leur sont consacrés.

De ce point de vue, monsieur le ministre, la commission des affaires étrangères ne peut que déplorer l’insuffisance des perspectives budgétaires figurant dans ce document, même si vous y mentionnez des pourcentages, comme elle l’avait souhaité.

Il faut bien concéder que, pour définir les objectifs de notre coopération pour les dix ans à venir, il fallait prendre du champ par rapport aux négociations budgétaires. Mais la question est de savoir si, à force de prendre du champ, on tient toujours effectivement compte de la réalité.

Les objectifs et les moyens sont en effet intimement liés. Je voudrais vous en donner une illustration : de 2006 à 2009, les dons bilatéraux au sein de l’OCDE ont diminué de 30 % ; dès lors, nos administrations, l’AFD en tête, ont accordé des prêts. Le choix de cet instrument les a naturellement conduites à se tourner vers des pays ou des secteurs solvables, c’est-à-dire à se détourner de l’Afrique subsaharienne et des services publics de base.

Il est bien sûr difficile d’anticiper un budget à l’échéance de dix ans. C’est si vrai que, même pour l’année 2011, à quelques jours du débat budgétaire, nous ne disposons toujours pas du document de politique transversale ! Nous souhaiterions néanmoins que soient définis des pourcentages pour chaque priorité. Un cadre stratégique ne peut pas tout, mais il peut fixer des lignes directrices.

C’est en particulier le cas pour les priorités géographiques, puisque le document-cadre indique que la France consacrera 60 % de son effort budgétaire à l’Afrique subsaharienne. Dans la version qui a servi à la consultation, les cibles nous paraissaient peu engageantes. Ainsi, l’affirmation que 50 % des dons de l’aide bilatérale doivent aller aux quatorze pays pauvres prioritaires serait tout à fait louable si elle n’était pas assortie d’un codicille selon lequel seules sont prises en compte, en fait, les subventions destinées aux Objectifs du millénaire pour le développement, hors interventions de sortie de crise et subventions ventilables. En adoptant ce critère, le pourcentage atteint aujourd’hui déjà 76 % : il est donc ainsi moins difficile de promettre 50 % !

La commission des affaires étrangères a souhaité que le ciblage soit renforcé sur l’Afrique et qu’un pourcentage plafond soit défini pour nos interventions dans les pays émergents. Ce vœu a bien été pris en compte dans le document final que vous nous avez remis hier soir. Fallait-il aller au-delà ? Il nous a semblé qu’il était assez difficile de définir un chiffre en valeur absolue qui puisse rester valable pendant dix ans.

Aussi la commission des affaires étrangères s’est-elle contentée, en adoptant à l’unanimité une cinquantaine de recommandations, de définir les grandes orientations qu’elle souhaite voir retenir. Je n’en citerai que quelques-unes.

La commission a demandé, en premier lieu, la restauration d’une capacité d’initiative commune de nos instruments bilatéraux de coopération. La capacité d’initiative de nos services est en effet aujourd’hui très réduite. On a pu le constater dans la situation des postes à l’étranger : il manque parfois quelques dizaines de milliers d’euros pour pouvoir soutenir des projets. Même notre capacité à entraîner des acteurs multilatéraux est aujourd’hui mise à mal par la réduction de nos moyens bilatéraux. J’espère que ce redressement est à l’œuvre dans le projet de loi de finances pour 2011. Vous pourrez peut-être nous le confirmer, monsieur le ministre.

S’agissant de l’aide multilatérale, il faut souligner que les institutions qui en assument la charge sont à la fois légitimes et compétentes pour intervenir dans les pays en développement. La question porte plutôt, me semble-t-il, sur la qualité de notre partenariat avec ces organisations multilatérales. La commission insiste donc pour que chaque reconstitution des fonds multilatéraux soit systématiquement précédée d’une évaluation de ce partenariat.

Je pense en particulier au Fonds européen de développement, le FED, auquel nous contribuons chaque année à hauteur de 800 millions d’euros. A-t-on procédé, monsieur le ministre, à une évaluation de notre contribution à ce fonds avant de s’engager à hauteur de 1,6 milliard d’euros pour les trois prochaines années ? Pas à notre connaissance ! La commission se demande, à cet égard, pourquoi le document stratégique sur la politique européenne de développement n’a pas fait l’objet d’une consultation du Parlement, au même titre que le document-cadre.

L’aide au développement a naturellement vocation à devenir un domaine de souveraineté partagée au sein de l’Union européenne, mais, pour avancer, il faut sans doute que le FED soit autre chose sur le terrain qu’un vingt-huitième bailleur de fonds.

En ce qui concerne l’architecture internationale de l’aide au développement, la commission ne voit pas de propositions allant dans le sens d’une plus grande simplification ni d’une plus grande cohérence. Aujourd’hui, le monde du développement, au niveau international, ressemble à un écosystème dans lequel il y aurait toujours plus de naissances et jamais aucun mort ! C’est ainsi que 365 organismes sont habilités à recevoir des fonds d’aide au développement. C’est trop, et c’est trop complexe ! Il est donc souhaitable que la France, dans un document stratégique à l’horizon de dix ans, exprime sa vision d’une architecture plus cohérente.

En conclusion, sous réserve des observations précédentes et d’une stratégie budgétaire adaptée, la commission des affaires étrangères estime que le projet de document-cadre que vous lui proposez est un document de qualité.

Elle pense que les priorités thématiques et géographiques qui sont évoquées devraient être traduites en indicateurs de performances, intégrés dans le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances, afin qu’elle puisse ainsi suivre ces priorités et confronter la réalité aux ambitions.

Je ne voudrais pas achever mon intervention sans vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir sollicité le Parlement pour recueillir son avis sur ces questions majeures. Avec Christian Cambon, nous avons beaucoup travaillé, rencontré, écouté et entendu celles et ceux qui se préoccupent de ces problèmes. À l’unanimité de ses membres, la commission des affaires étrangères a adopté son rapport, assorti d’une cinquantaine de propositions que nous vous avons présentées.

Je n’ai pas pu, depuis hier soir, étudier dans tous ses détails le document-cadre définitif dont nous discutons aujourd’hui, mais j’ai noté avec plaisir que, tous les deux ans, un rapport d’ensemble sur la mise en œuvre de la politique française de coopération et de développement sera présenté au Parlement. Cette nouvelle est excellente dans la mesure où ce rapport permettra, je l’espère, de constater les progrès accomplis au regard d’une tâche qui reste immense et nécessite l’engagement de tous.

Pour autant, nous resterons attentifs aux préoccupations de nos partenaires que sont les ONG et les collectivités locales, ainsi, bien sûr, qu’au montant des efforts budgétaires que consentira le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui m’intéresse tout particulièrement, en tant que rapporteur spécial de la mission budgétaire « Aide publique au développement ».

À ce titre, je salue l’initiative de la commission des affaires étrangères, qui permet à la Haute Assemblée de s’interroger sur le document-cadre réalisé par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement et nous donne ainsi l’occasion d’associer le Parlement à la définition de la politique de coopération.

Sur ce point, comme l’ont souligné nos collègues Christian Cambon et André Vantomme dans leur excellent rapport, il me semblerait également souhaitable, compte tenu des sommes mobilisées, qu’une loi d’orientation sur le développement soit adoptée à échéance régulière.

J’ajouterai que l’évolution des enjeux de notre politique de coopération impose ce rendez-vous périodique. En effet, le monde change, le monde bouge : les pays du Sud connaissent des trajectoires de développement très diverses ; les économies sont devenues interdépendantes ; les risques en matière d’environnement, de santé ou de sécurité sont désormais globaux ; nous vivons au sein du village mondial. Nous ne pouvons donc pas rester indifférents aux situations difficiles que connaissent certaines régions du monde, car elles ne peuvent plus être sans effets sur nos politiques et notre propre développement.

Dans ce nouveau contexte, le document-cadre qui nous est soumis propose une refondation de la doctrine française d’aide au développement. Comme cela a été excellemment dit, il refuse de réduire l’aide publique au développement à une démarche caritative ou compassionnelle. Cette aide s’inscrit désormais dans une stratégie géopolitique, qui prend en compte non seulement la nécessité de soulager la misère, mais également les intérêts de la France dans le monde, qu’il s’agisse d’enjeux économiques, migratoires, environnementaux ou de sécurité. Toutes ces problématiques sont désormais liées, vous l’aurez compris.

S’agissant des objectifs de l’aide publique au développement, on ne peut bien sûr qu’y souscrire, puisqu’ils sont communs à ceux qu’a définis la communauté internationale.

Oui, bien sûr, nos efforts doivent porter sur la promotion de l’État de droit dans le monde, car le sous-développement contribue à bloquer, ou du moins à ralentir, l’installation de régimes démocratiques partout dans le monde.

Oui, nous devons encourager la rechercher d’une croissance soutenue, car elle permet de fournir, à terme, des biens et des services publics aux populations les plus vulnérables.

Oui, bien entendu, la lutte contre la pauvreté et les inégalités doit demeurer le « cœur de cible » de l’aide.

Oui, enfin, la préservation des biens publics mondiaux est primordiale, et il ne faut surtout pas laisser perdurer le décalage entre l’échelle globale des problèmes, à commencer d’ailleurs par celui du réchauffement climatique, et le niveau étatique des décisions.

Tous ces objectifs, mes chers collègues, sont très ambitieux, et les risques de dispersion, mais aussi de saupoudrage, sont bien réels. C’est pourquoi la France doit se fixer des priorités géographiques d’intervention. Le choix de l’Afrique subsaharienne, sur la base d’une implication rénovée, me paraît d’autant plus nécessaire que, désormais, la croissance africaine attire les investissements de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. J’ajouterai aussi que l’espace culturel de la francophonie doit demeurer l’une de nos priorités d’intervention. Lors de nos déplacements dans un certain nombre de pays, nous constatons trop souvent, pour le regretter, hélas ! que l’usage du français recule.

En revanche, s’agissant des pays émergents, on peut s’interroger sur la pertinence de certaines de nos interventions engagées sous le label « aide au développement » et sur le fait que, par les montants engagés, la Turquie et la Chine ont respectivement occupé, en 2008, les quatrième et cinquième rangs des pays bénéficiaires de l’aide française. Voilà qui est surprenant !

Mes chers collègues, le Gouvernement a incontestablement entrepris un travail important de modernisation de la politique de coopération. Pour autant, je serai plus critique sur les aspects financiers de cette démarche et sur la manière dont le futur document-cadre les aborde, ou, d’ailleurs, ne les aborde pas !

Seuls les instruments financiers sont évoqués dans le document-cadre. Sur ce volet, je formulerai une seule remarque. Elle porte sur le soutien de la France à l’essor des financements dits « innovants », assurés par la taxation d’activités économiques internationales. On peut souligner le rôle pionnier de notre pays en ce domaine, avec l’instauration en 2006 de la contribution de solidarité sur les billets d’avion.

Dans cet esprit, je rappelle que le groupe du RDSE plaide pour une contribution assise sur les transactions financières internationales. Bien plus qu’un problème technique, c’est avant tout une question de volonté politique. Je suis persuadé que, lors du G20, la France avancera une proposition forte en ce sens. Cette idée, qui n’avait pas recueilli un écho favorable dans cet hémicycle, ne manquera sans doute pas d’être reconnue comme excellente !

J’évoquerai également la question de la complémentarité et de l’équilibre à trouver entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales. Sur le terrain, l’aide bilatérale française a pratiquement disparu, en partie victime des régulations budgétaires : cette aide ne représente plus que 175 millions d’euros environ par an. Or c’est avec ce montant qu’il faut faire face aux urgences : je pense, par exemple, à Haïti. Dans le même temps, il en résulte un sous-engagement financier dans certains autres pays où notre intervention serait pourtant tout à fait nécessaire.

Il y va de notre rayonnement international : avec l’aide bilatérale en effet, la France « se voit » et « se donne à voir » à l’étranger ; avec l’aide multilatérale, elle passe souvent inaperçue.

Au-delà des instruments de financement, le projet de document-cadre se révèle lacunaire sur la question, pourtant cruciale, des moyens alloués à cette politique. D’un document d’une telle nature, on attendrait pourtant qu’il comprenne un cadrage budgétaire ou, à tout le moins, les critères d’une répartition proportionnée des crédits, selon les priorités définies en termes tant de géographie que de secteurs.

Par ailleurs, cette politique est-elle soutenable ? En 2009, nous aurons consacré 0,44 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. Or la France s’est engagée à atteindre, à l’horizon 2015, quelque 0,7 % du revenu national brut. Mon prédécesseur dans les fonctions de rapporteur spécial de la mission « Aide au développement », notre ancien collègue Michel Charasse, avait indiqué dans son dernier rapport budgétaire que cet engagement n’était malheureusement pas tenable. Il est donc dommage que l’élaboration du document-cadre n’ait pas été l’occasion pour le Gouvernement d’arrêter des objectifs budgétaires plus réalistes.

Enfin, monsieur le ministre, comment ne pas évoquer la question de l’évaluation de notre politique d’aide au développement ? Forcer nos engagements financiers implique aussi de s’interroger sur l’efficacité et l’effectivité de l’aide publique au développement.

À cet égard, il est regrettable que le document-cadre n’ait pas été l’occasion de procéder à une ample évaluation de la politique que nous avons jusqu’à présent menée en la matière. De fait, pour l’avenir, la mise en place d’indicateurs de résultat est prévue, mais nous avons besoin d’indicateurs de performance, dans la logique de la LOLF, car les indicateurs existants au sein de la documentation budgétaire ne sauraient suffire. C’est donc un point sur lequel il convient de faire porter un effort tout particulier.

Mes chers collègues, parlant du développement, François Mitterrand déclarait : « Et, moins que jamais, il ne faut céder à la tentation du découragement, ni à celle du "chacun pour soi", du repli sur soi. » Mêmes si nos finances publiques sont contraintes, n’oublions pas que l’aide publique au développement est un instrument fondamental de l’équilibre politique du monde. De ce point de vue, elle reste un investissement de première importance dans le monde actuel, fragile et instable.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir rester parmi vous ce matin. Je dois en effet rejoindre l’AFD, qui tient en ce moment même son conseil d’administration, au sein duquel je représente la Haute Assemblée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C’est pour la bonne cause !

M. Jean-Michel Baylet. Je serai là, moi ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous appuyant sur l’excellent rapport de Christian Cambon et André Vantomme, nous débattons ce matin des grandes orientations d’un document interne à l’exécutif, dont – cela a été rappelé – la commission des affaires étrangères n’a eu connaissance qu’hier soir, à dix-neuf heures.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Mieux vaut tard que jamais ! (Sourires.)

M. Robert Hue. Nous y avons consacré quelques heures cette nuit, mais cela n’a pas suffi pour analyser finement ce document-cadre qui définit, pour dix ans, la stratégie de la France pour l’aide au développement des pays pauvres.

J’avoue que je m’interroge sur la véritable portée de ce document-cadre, quand on sait que la politique étrangère de notre pays, en particulier l’aide au développement et la politique africaine, n’a peut-être jamais autant fait partie du « domaine réservé » du chef de l’État, voire de son conseiller diplomatique ou du secrétaire général de l’Élysée !

Monsieur le ministre, je m’interroge également sur l’avenir d’un tel texte. Après avoir réformé, au prix de nombreuses difficultés, l’action culturelle extérieure, vous vous attaquez maintenant à une réforme de la politique d’aide au développement. Accordez-moi que l’avenir de votre démarche est fortement hypothéqué par une conjoncture politique dont les perspectives à court terme apparaissent pour le locataire, présent ou futur, du Quai d’Orsay pour le moins instables. Ce contexte défavorable ne fait que souligner votre engagement personnel.

Toutefois, mes doutes sur le crédit à accorder à ce document se fondent essentiellement sur l’absence de chiffrage et de perspectives budgétaires, soulignée avec pertinence par nos deux rapporteurs. Je ne m’en étonne qu’à moitié, si l’on en juge par le flou et l’opacité des documents préparatoires à la discussion budgétaire.

Pourtant, il est bien nécessaire de réfléchir aujourd’hui à une redéfinition des objectifs, des enjeux et des moyens de notre politique de coopération et d’aide au développement, et ce non seulement parce que le contexte et les enjeux ont considérablement évolué en une dizaine d’années et que l’aide au développement a elle-même changé de nature, mais aussi parce que notre politique en la matière manque de clarté, de cohérence, de pilote et de stratégie.

Il est également significatif que, après la démission forcée du secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie, celui-ci n’ait pas été remplacé.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Je suis là !

M. Robert Hue. Cela dit, je partage globalement les objectifs généraux que vous proposez et les priorités thématiques et géographiques que vous avez retenues.

Ainsi, la priorité accordée à l’Afrique subsaharienne en lui réservant l’essentiel de nos subventions et de nos prêts me semble impérative. Espérons que les actes suivront et qu’ils permettront d’effacer les effets dévastateurs du discours méprisant que le Président de la République a prononcé à Dakar.

Je crains que ce ne soit malheureusement pas le cas.

Le déroulement, au mois de juin dernier, du dernier sommet Afrique-France a montré combien le Président de la République avait du mal à convaincre qu’il avait tourné la page des relations ambiguës avec nos ex-colonies. Il est avéré que les pratiques de la Françafrique ont toujours cours en coulisses.

En effet, bien que le Président de la République ait proclamé sa volonté de rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique en nouant des partenariats « gagnant-gagnant », son combat contre la perte du pré carré au bénéfice des Chinois ou des Américains a tout simplement donné l’impression qu’il voulait uniquement préserver les marchés de la France, à savoir notre accès à l’uranium et au pétrole.

À cet égard, je m’inquiète du nouveau rôle dévolu au « bras séculier » de la politique d’aide au développement qu’est l’Agence française de développement. Depuis sa reprise en main par un proche du Président de la République, cet établissement public qui fonctionne comme une banque n’a, par exemple, toujours pas clairement arrêté sa politique concernant la distinction entre les prêts et les dons accordés aux États. Nous avons reçu récemment le directeur général de l’AFD, dont les propos ne m’ont absolument pas convaincu de la clarté des ambitions annoncées.

En outre, je crains que l’AFD ne continue d’échapper au Quai d’Orsay, car, à mon sens, ce document-cadre ne tranche pas clairement la question de l’autorité des ambassadeurs sur les responsables locaux de cet organisme.

Enfin, je suis en total désaccord avec la notion de « vision globale du financement ». Celle-ci mélange des données de natures différentes, puisqu’elle englobe l’aide publique au développement, mais aussi les investissements directs des entreprises, les flux financiers des migrants et les recettes fiscales des pays en développement.

Je soupçonne qu’elle possède surtout aux yeux du Gouvernement la grande vertu de masquer la diminution de notre aide publique et l’accès débridé du marché africain à des entreprises dont le souci majeur sera la rentabilité financière, à mille lieues du développement et de la coopération. En cela, monsieur le ministre, cette « vision globale » se retrouve dans la présentation de vos documents budgétaires.

L’aide publique au développement représente officiellement près de 9 milliards d’euros, mais 4 milliards d’euros sont pur habillage statistique, puisque ce montant comprend les remises de dette. Par ailleurs, au moins 3 milliards d’euros sont versés à divers fonds multilatéraux à travers lesquels l’image de la France disparaît totalement.

Quant à la part de l’aide bilatérale aux pays les plus pauvres proprement dite, elle n’est que de 200 millions d’euros sous forme de subventions.

Voilà pourquoi, s’agissant de ce que l’on appelle « l’architecture internationale de l’aide au développement », je m’associe tout à fait à la proposition de simplification et de plus grande cohérence formulée par Christian Cambon et André Vantomme dans leur rapport d’information.

En définitive, la conception française de l’aide publique au développement, qui est aussi celle d’autres grands pays, explique largement que les Objectifs du millénaire pour le développement, fixés par l’ONU, non seulement ne soient pas encore atteints, mais restent tristement limités à 0,47 % en 2011 contre les 0,51 % promis. Notons que les Britanniques, cela a été dit hier, ont atteint leur objectif.

Le non-respect de l’engagement de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement est révélateur de l’absence de volonté politique du Gouvernement de se donner les moyens de relever le défi du développement.

Fondamentalement, il faudrait mettre en œuvre des stratégies économiques débarrassées de l’exigence de la rentabilité à court terme, afin que les économies des pays les plus pauvres ne soient plus dépendantes de l’aide internationale.

Je doute pourtant qu’à la veille de la présidence française du G20 le Président de la République ait cette volonté d’agir et qu’il saisisse cette occasion pour affirmer la nécessité d’un nouvel ordre économique et monétaire international qui refonderait aussi la politique de coopération Nord-Sud. Je crains que, comme d’habitude, nous n’assistions à des discours jamais suivis d’effet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur l’Afrique, priorité de notre coopération. C’est à juste titre que vous la désignez ainsi, monsieur le ministre.

En effet, ce continent connaît une mutation sans précédent.

Aujourd’hui, au sud du Sahara, deux Africains sur trois ont moins de 25 ans. En 2050, avec 1,8 milliard d’habitants, l’Afrique comptera plus d’habitants que la Chine et trois fois plus que l’Europe.

La mutation est tout autant démographique qu’urbaine. Les populations des villes d’Afrique subsaharienne seront multipliées par deux d’ici à 2050, passant de 300 millions à 600 millions d’individus.

La mutation est également d’ordre économique. Contre toute attente, l’Afrique connaît depuis une décennie une croissance supérieure à celle de l’Europe ou des États-Unis. Celle-ci s’appuie non pas seulement sur des économies rentières, mais également sur la naissance d’un marché intérieur : il y a aussi une Afrique émergente, une Afrique de la téléphonie et d’Internet, une Afrique dynamique qui attire les investisseurs des pays émergents.

Enfin, ce continent vit une mutation géopolitique : hier terre de colonisation européenne, l’Afrique indépendante est aujourd’hui courtisée par la Chine et l’Inde.

L’Afrique change d’échelle et de cap, et le regard que la France et l’Europe portent sur ce continent semble figé.

L’Afrique est encore trop souvent perçue comme un objet de compassion, qui appelle, au mieux, la charité, une charité bien ordonnée, c’est-à-dire celle qui commence par nos propres intérêts. Cette aide a été largement sous-traitée aux organisations multilatérales et européennes, alors que se mettait en place une politique migratoire toujours plus restrictive.

De ce point de vue, le document-cadre français de coopération au développement, que vous nous avez présenté au mois de juin, monsieur le ministre, et qui n’a été finalisé qu’hier soir, a le mérite d’abandonner le discours misérabiliste et compassionnel et de regarder en face les risques et les possibilités d’un continent de plus en plus contrasté.

En tout état de cause, vous avez raison de le dire, monsieur le ministre, notre avenir se joue en partie en Afrique.

À partir de 2030, ce continent s’apprête à accueillir 27 millions de jeunes actifs de plus chaque année. Si l’Afrique ne trouve pas le chemin d’une croissance durable, si ses enfants doivent partir pour mieux vivre, où iront-ils sinon en Europe ? Nous connaîtrons alors une pression migratoire sans précédent dans l’histoire européenne.

M. Robert Hue. Absolument !

Mme Catherine Tasca. Il s’agit d’anticiper pour ne pas subir, ni devoir prendre, dans l’urgence, des décisions peu humaines.

L’Afrique est au cœur des nouveaux enjeux de la planète, les intervenants précédents l’ont déjà évoqué.

En matière de réchauffement climatique, on pense souvent aux pays émergents, mais on oublie que l’Afrique sera la première victime du réchauffement de la planète. Aujourd’hui, 250 millions d’Africains vivent le long des côtes. En quarante ans, les précipitations enregistrées au Sahel ont diminué de plus de 40 %.

Victime, l’Afrique peut aussi devenir une source majeure de pollution. (M. le ministre acquiesce.)

Aujourd’hui, 10 % seulement des Africains ont accès à une électricité continue. Les pays d’Afrique subsaharienne ont une production électrique qui est, à la fois, la plus chère du monde et celle dont le contenu en carbone est le plus élevé. Imaginez la situation lorsque le continent comptera près de 2 milliards d’habitants ! Mais des progrès considérables peuvent être faits, car l’Afrique mobilise moins de 10 % de son potentiel hydroélectrique et seulement 1,5 % de son potentiel de géothermie.

Enfin, l’Afrique est un enjeu pour notre sécurité. Pensons à ce qui se passe actuellement au Sahel où cinq de nos ressortissants sont détenus comme otages. Cette zone de non-droit représente un risque majeur pour l’Europe et pour l’Afrique en termes de prolifération du terrorisme et des trafics et constitue inévitablement un obstacle au développement de ces pays.

Votre diagnostic des enjeux africains est juste, monsieur le ministre. Cependant, nous nous demandons si la réponse de la France et de l’Europe est à la hauteur de ces enjeux.

Au-delà des discours enthousiastes, des célébrations et des promesses, on assiste, sur le long terme, à un recul de la France et de l’Europe en Afrique. Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons su offrir aux pays de l’Est un partenariat que nous ne savons pas proposer à l’Afrique.

Certes, il revient aux Africains de décider pour eux-mêmes. Les mieux intentionnés de leurs amis ne pourront se substituer à leurs choix d’épargne, de migration, d’investissements, à leur combat pour la démocratie, l’intégration régionale ou la croissance.

Mais nous devons procéder nous-mêmes à des choix.

Le premier de ces choix concerne les moyens que nous sommes prêts à mettre en œuvre. Sur ce point, votre document-cadre de coopération au développement est silencieux. Non seulement il est dépourvu de tout cadre budgétaire sérieux, mais force est de constater, au vu des chiffres de ces dernières années, que la part de l’Afrique stagne et, parfois, régresse. Ainsi, la part de l’Afrique subsaharienne dans l’aide publique au développement nette française est passée, de 2005 à 2008, de 54 % à 40 %. La part des pays les moins avancés a baissé, quant à elle, de 41 % à 28 %.

La diminution des subventions de l’aide bilatérale en est la principale raison, comme mon collègue André Vantomme l’a souligné. L’aide bilatérale nette aux quatorze pays prioritaires a été divisée par deux de 2004 à 2008. De ce point de vue, je ne pourrai que me réjouir de ce qui contribuera à une plus forte concentration de notre aide sur les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont le plus besoin.

Je veux rappeler que, si nous sommes capables d’orienter la programmation de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement vers l’Afrique, c’est que nous disposons d’une expertise reconnue en Afrique. La diminution de notre aide bilatérale sur ce continent est en train de mettre à mal cette expertise.

Le choix porte aussi sur les modalités de notre partenariat.

Il nous faut construire un partenariat avec l’Afrique et non pas seulement avec ses dirigeants, un partenariat avec des pays, des peuples, des économies.

De ce point de vue, les accords de gestion concertée des flux migratoires que la France souhaite signer avec l’ensemble des pays africains sont trop déséquilibrés au profit du contrôle des migrations pour apparaître comme des accords de partenariat. À ce jour, huit accords ont été signés depuis 2008, mais avec des pays qui ne sont que faiblement sources d’émigration vers notre territoire. Il est important de noter à ce propos que le Mali s’est refusé jusqu’à présent à conclure un accord de cette nature.

La tentative d’articuler les politiques de l’immigration et du développement constituait en soi une piste prometteuse. Ces accords, portés par le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, devraient reposer sur un double équilibre : l’équilibre entre la facilitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration clandestine, d’une part, et l’équilibre entre la maîtrise des flux migratoires et le co-développement, d’autre part.

Or, l’étroitesse des crédits du co-développement, désormais dénommé « développement solidaire », destinés à conforter les initiatives prises par les migrants pour soutenir des projets de développement dans leur pays d’origine ne permet pas à cette politique de dépasser le stade des expérimentations ponctuelles.

Ainsi, pour 2010, les crédits du budget général de l’État consacrés au développement solidaire s’élèvent seulement à 35 millions d’euros, soit 1 % des 3,5 milliards d’euros de crédits de l’aide publique au développement.

Par ailleurs, certains dispositifs, comme les cartes compétences et talents, les visas circulaires ou le compte épargne co-développement, peinent à se concrétiser et restent très marginaux. Face à la modestie des moyens, quel peut être l’avenir de ces accords et en quoi peuvent-ils transformer notre partenariat avec ces pays ?

De son histoire africaine, la France a hérité une intimité avec l’Afrique. Mais saurons-nous prendre le tournant d’une Afrique qui avance à toute vitesse ? J’en doute.

Nos atouts pour bâtir ce partenariat sont pourtant nombreux.

Il y a cette histoire commune, qui est un atout autant qu’un handicap. Il y a la géographie et cette diaspora africaine que nous ne savons pas accueillir dignement sur notre territoire.

Il y a ces générations de coopérants passionnés de l’Afrique, dont le nombre tend malheureusement à se réduire d’année en année.

Il y a aussi la francophonie. N’oublions pas que l’Afrique représente potentiellement 600 millions de locuteurs français en 2050. C’est un enjeu majeur pour l’avenir de notre langue, que nous délaissons quand nous délaissons les systèmes éducatifs africains.

Soyons clairs, dans un monde où le centre stratégique est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe a autant besoin du développement de l’Afrique que l’Afrique a besoin de notre aide au développement. Quelle place la France compte-t-elle y tenir ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Michel Guerry.

M. Michel Guerry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, Josselin de Rohan, d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour. C’est la preuve que la révision constitutionnelle de 2008 permet à notre assemblée d’exercer pleinement son rôle de contrôle et d’initiative.

Ce débat intervient alors que s’achève la rédaction du futur document-cadre définissant la stratégie française en matière de politique de coopération et de développement.

Je me réjouis de la volonté du ministère des affaires étrangères de consulter le Parlement et les commissions concernées. Cette démarche était nécessaire, dans la mesure où ce document-cadre est à la politique de coopération et d’aide au développement ce que le Livre blanc est à la défense.

Au nom du groupe UMP, je forme le vœu que les justes recommandations du rapport de mes collègues Christian Cambon et André Vantomme soient prises en compte.

Je souhaite également saluer tout le travail préparatoire accompli dans cette assemblée et la méthode retenue. En effet, le 12 mai dernier, la commission des finances et la commission des affaires étrangères ont organisé conjointement une audition publique des principaux représentants des organismes et acteurs français de notre politique d’aide au développement et de coopération, notamment M. Séverino, ancien directeur général de l’Agence française de développement, et M. Vielajus, président de Coordination Sud, organisme regroupant cent trente organisations non gouvernementales françaises. Pour une fois, l’aide publique au développement, sujet primordial pour la planète, ne sera pas évoquée dans cet hémicycle à la seule occasion du débat budgétaire.

Il nous revient donc de nous interroger ce matin sur notre future politique de coopération et d’aide au développement. Il convient d’envisager les impulsions et les orientations à donner.

Cependant, avant de décider de ce que doit être notre politique de coopération, je profiterai de mon intervention pour lancer un appel. Oui, monsieur le ministre, il n’est plus possible ni soutenable que nous ne puissions disposer d’un véritable bilan de la politique de coopération que nous menons et dont nous votons les crédits chaque année ! Pour les élus que nous sommes, la politique de développement ne peut se limiter au sempiternel constat que les crédits accordés ne sont et ne seront jamais assez importants, en particulier dans une période de crise financière internationale.

S’il ne s’agit pas d’ouvrir avant l’heure le débat budgétaire, il me semble pourtant capital d’appréhender cette politique sous un autre angle, dans un contexte budgétaire des plus contraints qui nous enjoint de raisonner différemment, ce qui, après tout, n’est pas une mauvaise chose.

Certes, le projet de document-cadre fixe les priorités géographiques, telles que l’Afrique subsaharienne, et les axes prioritaires, tels que la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux.

Mais cela ne saurait suffire : l’élaboration de ce document nous offre une formidable occasion d’aller plus loin et de proposer enfin une évaluation chiffrée.

Pour cela, il est indispensable de redéfinir les indicateurs du développement, en retenant des critères plus précis, plus en adéquation avec la réalité. Bien sûr, à l’ONU, la France s’est positionnée sur ce point à l’occasion du sommet sur les Objectifs du millénaire pour le développement.

Il nous faut sortir du piège de certaines politiques d’affichage qui, au final, peuvent se révéler totalement contre-productives. Elles sont en effet inadmissibles, non pas tant au regard des comptes publics que du respect dû à toutes les personnes pour qui l’aide au développement ne doit plus être un substitut de survie, mais un levier de croissance.

Dans l’intérêt même des pays qui bénéficient de ces budgets, il me paraît indécent de ne pas procéder à une véritable autopsie, en engageant un examen approfondi de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Si j’étais provocateur, je vous dirais qu’une bonne politique de coopération doit avoir pour objectif, à terme, de disparaître. Cela signifie qu’elle rime avec la mise en place de systèmes et d’outils de développement dans les pays qui n’en ont ni les moyens ni les structures.

Chacun sait que la pauvreté est mère nourricière des crises humanitaires, du terrorisme, de la piraterie et des conflits. Je pense en particulier à l’Afrique qui, ces dernières années, connaît une recrudescence dramatique des fléaux que je viens de mentionner. Face à ces fléaux, la France ne peut agir seule. L’impulsion ne peut venir que d’une meilleure gouvernance internationale, qui se doit d’être cohérente avant tout.

À cet égard, je citerai deux exemples.

Le premier concerne le cas du Soudan. La France s’implique pleinement pour restaurer le dialogue entre le Tchad et le Soudan et pour créer les conditions d’une sortie de crise au Darfour, et ce par la voie tant diplomatique – vos entretiens et déplacements à Khartoum l’ont démontré, monsieur le ministre – que militaire, avec l’opération Épervier.

La République populaire de Chine, au nom du respect de la sacro-sainte règle de non-ingérence, est parvenue à y implanter deux usines d’armements légers, ce qui conduit ni plus ni moins au contournement des embargos sur les ventes d’armes.

Les investissements chinois dans les champs pétrolifères au Soudan se chiffrent en milliards de dollars, au moment même où ce pays sert de refuge à des groupes appartenant à la nébuleuse Al-Qaïda.

Rappelons, par ailleurs, que la China National Petroleum Corporation a investi 8 milliards de dollars dans des opérations conjointes d’exploration et que, parallèlement, elle détient 40 % du principal consortium de forage pétrolier du pays.

Le 16 novembre 2009, s’est tenu à Rome le sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO. À l’issue de ce sommet, la sonnette d’alarme a été tirée pour la énième fois, comme en 2008, notamment, afin d’alerter les grandes puissances internationales sur la crise alimentaire mondiale.

L’Afrique, faut-il le rappeler, est déjà dramatiquement touchée par des années de famine et ne parvient que très difficilement à l’autosuffisance alimentaire.

Je prendrai, comme deuxième exemple, le cas du Niger, dont les surfaces cultivables sont très limitées et qui bénéficie très largement des programmes d’aide alimentaire mondiaux.

Les exportations de minerai d’uranium de ce pays, à un moment où le marché est au plus haut, devraient assurer sa sécurité alimentaire. Or ce n’est pas le cas : ses ressources naturelles permettent, en réalité, de gager des prêts concessionnels, accordés par la Chine et dont le remboursement s’effectuera en quantité et en temps. Il ne s’agit en aucun cas pour moi de stigmatiser la République populaire de Chine. Je souhaite simplement qu’il soit tiré des enseignements de cette situation, notamment à la lumière du taux de croissance de l’Afrique, qui s’élève à 5 % l’an.

Aujourd’hui, la Chine est devenue l’un des premiers bailleurs de fonds au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Égypte. Le montant total des prêts d’origine chinoise s’établissait, à la fin du premier semestre 2007, à 20 milliards de dollars. Cela doit nous conduire à repenser notre vision de l’aide au développement. Il faut que la France envisage sa politique de coopération sous l’angle d’un double partenariat avec les pays bénéficiaires, ceux avec lesquels elle collabore au sein des programmes multilatéraux.

Pour autant, la coopération intergouvernementale ne doit pas nous priver d’une juste évaluation. Ainsi pourrons-nous, à terme, mieux cibler notre action et mieux apprécier si tel projet multilatéral est plus efficace que tel autre projet bilatéral.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens enfin à attirer votre attention sur le fait que l’aide au développement doit répondre à de nouveaux défis. En notre qualité de pays développé, il nous appartient de créer les conditions d’un nouveau type de développement répondant à de nouvelles exigences. Les bouleversements climatiques et l’appauvrissement des ressources naturelles nous y obligent. Pour les pays en voie de développement, nous devons favoriser un nouveau modèle de croissance, celui d’une croissance « consciente ».

Cependant, comment éviter que ces pays ne nous reprochent de leur imposer des normes contraignantes, issues de nos propres erreurs ? Plus que jamais, il nous faut être imaginatifs et pragmatiques !

Pour conclure, je souhaiterais rappeler devant vous l’importance que représentent les programmes de scolarisation, pour les femmes en particulier. L’école et l’instruction demeurent le préambule incontestable de la paix, notamment dans les sociétés matriarcales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on parler d’objectifs sans évoquer les moyens pour les atteindre ? Si la France respectait ses engagements, elle devrait consacrer, en 2011, 0,51 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement, l’APD. Or elle n’y contribuera vraisemblablement qu’à hauteur de 0,47 %, soit un niveau égal à celui de 2006.

Dès aujourd’hui, on peut pressentir qu’il sera donc difficile, voire impossible, d’atteindre 0,7 % du RNB en 2015, ce qui nous éloigne des engagements pris pour remplir les Objectifs du millénaire pour le développement, notamment sur la pauvreté, la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes, la santé, l’environnement durable et la mise en place d’un partenariat pour le développement.

De plus, les chiffres de l’APD annoncés par la France à l’OCDE et la réalité de cette aide ne coïncident pas. Ainsi l’APD réelle, c’est-à-dire allégée des dépenses artificielles, ne représente que 70,3 % de l’APD officielle en 2010.

En effet, la France prend en compte comme une part significative de son aide publique au développement des dépenses « artificielles », telles que l’accueil des étudiants étrangers, l’aide aux réfugiés, ainsi que les dépenses allouées aux territoires d’outre-mer, ce qui ramène l’APD réelle à 0,31 % du RNB.

L’APD officielle intègre, en outre, la contribution de la France à l’allègement des dettes des pays en difficulté, comme j’ai pu m’en rendre compte récemment au Cameroun avec la mise en place du contrat de désendettement et de développement, ou C2D. L’allègement de la dette s’inscrit donc comme une part majeure de la contribution française à l’APD, ce qui renvoie, selon moi, a contrario, à la faiblesse des engagements français envers les pays les plus pauvres du continent africain.

Cet affichage officiel de l’aide publique au développement est donc trompeur et permet à l’État d’accroître, à moindre coût, le volume des crédits qui y sont comptabilisés. Les annulations de dette, lesquelles portent, d’ailleurs, sur des créances de toute façon impayables, relèvent, pour finir, davantage de l’exercice comptable que de l’aide française au financement du développement des pays concernés.

Contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités et la pauvreté requiert une diversité d’instruments allant des dons, largement insuffisants aujourd’hui, destinés aux pays les plus pauvres, aux prêts octroyés à des pays émergents.

Le volume des prêts octroyés par l’AFD et comptabilisés dans l’APD a très fortement augmenté depuis 2008, contrairement aux dons. Accordés à des taux proches de ceux du marché, ces prêts ne peuvent évidemment s’adresser qu’aux pays émergents. Je ne citerai, à titre d’exemples, que la Chine, l’Inde, ce qui ne manque pas d’étonner parfois le Français moyen, et les pays de la zone Méditerranée-Moyen-Orient. Ce sont les seuls en mesure de s’endetter, contrairement aux pays les plus pauvres.

Il faut mentionner qu’une part importante de l’APD française est également allouée aux organisations européennes et multilatérales : elle représente 41 %, contre 59 % pour l’aide bilatérale. Il est, certes, normal que la France y ait sa place. Notre contribution ne cesse d’augmenter, sans répondre forcément à une vision stratégique de la coopération française au développement.

L’aide aux pays les plus pauvres, particulièrement en Afrique subsaharienne, est, en réalité, illusoire. Le volume de l’enveloppe « dons » consacrée au financement de projets dans les secteurs sociaux est en baisse de 46 % par rapport à 2006. Là encore, il serait intéressant de connaître les montants exacts affectés aux dons-projets de l’AFD pour 2011.

Pour souligner encore nos craintes, je précise que le volume des crédits publics transitant par les ONG reste mineur et bien en deçà des besoins. Les ONG, notamment de volontariat, s’inquiètent de ne disposer, pour l’instant, d’aucune information fiable sur les montants qui seront disponibles pour leurs projets en 2011.

Je dirai un mot encore sur les enjeux définis en matière de politique de coopération au développement de la France par le projet annuel de performance attaché au projet de loi de finances pour 2011. Je veux parler de « la prévention et la gestion des crises qui menacent à la fois le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays ».

Ce dernier point établit un parallèle entre le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays, laissant entrevoir une justification de notre coopération au développement perçue comme un moyen d’endiguer d’éventuels risques sécuritaires à nos frontières.

Je ne pense pas, quant à moi, que l’on puisse réduire la complexité du problème et expliquer la situation à nos concitoyens en ces seuls termes sécuritaires. Ceux-ci ne sont-ils pas à même de comprendre que la prévention des crises passe par la lutte contre la pauvreté ? Ne sont-ils pas à même de comprendre la nécessité de participer, par la contribution nationale, à l’émergence d’un monde plus solidaire, plus égalitaire et, finalement, plus sûr ? Selon deux sondages, l’un de l’IFOP, l’autre de BVA, publiés à l’automne 2009, les Français, malgré la crise, approuvent l’aide au développement et souhaitent mieux en connaître les résultats.

Non, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions de pauvreté, de santé, d’environnement et de démocratie, où qu’elles se posent, ne peuvent nous laisser indifférents ! Le développement des pays pauvres ou émergents n’est pas sans conséquence pour la France et l’Europe. Nous avons un devoir de solidarité, celui de mener une politique d’aide cohérente, juste et efficace.

Il nous faut définir, outre nos objectifs, les moyens réels mis en place pour les atteindre et présenter, ensuite, un bilan des actions menées. Comme le préconisent MM. Cambon et Vantomme dans leur rapport, il importe d’avoir « une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents ».

Je partage l’avis de la commission quand elle préconise une loi de programmation et d’orientation consacrée à l’APD adoptée à échéances régulières. Cela permettra de rendre notre aide plus lisible, plus prévisible, plus transparente ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, à mon tour, de me réjouir de la tenue de ce débat sur le document-cadre de coopération au développement. Il fait suite à la table ronde sur le même sujet, qui a été rappelée à l’instant par Michel Guerry. Je voudrais remercier les présidents Josselin de Rohan et Jean Arthuis d’avoir organisé ces deux débats. Je salue le travail des rapporteurs Christian Cambon et André Vantomme, pour la commission des affaires étrangères, et Yvon Collin, pour la commission des finances.

Monsieur le ministre, c’est un honneur de débattre avec vous sur ces sujets du développement et de l’action humanitaire, dont vous êtes non seulement un grand spécialiste, mais aussi un acteur important !

Je centrerai mon propos sur l’objectif du développement des pays d’Afrique subsaharienne et des pays en conflits ou fragiles.

Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à souligner l’importance de la politique française de développement. Notre pays est le premier contributeur européen d’aide publique au développement, en volume. Malgré la crise, il a maintenu son effort de solidarité.

Néanmoins, le niveau de l’aide publique au développement demeure en deçà de l’engagement pris en 2005 lors du sommet du G8. Nous devions consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’échéance 2015 et 0,61 % dès cette année. Or nous avons un retard de près de 0,15 point sur l’objectif. Même si l’APD s’élève à 8,92 milliards d’euros, nous ne sommes pas dans le profil initialement prévu, ce qui représente un « manque à aider » compris entre 600 millions d’euros et 1,3 milliard d’euros, selon le mode d’évaluation choisi.

L’aide aux quatorze pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres ne représente que 9 % de l’APD. Je tiens aujourd’hui à plaider devant vous, monsieur le ministre, pour un renforcement de l’aide en faveur de ces pays particulièrement fragiles, confrontés à d’importantes difficultés, notamment une grande pauvreté.

À cet égard, je voudrais faire un certain nombre de constats.

Mme Tasca a rappelé le premier : ces pays connaissent une croissance forte, plus forte que d’autres zones du monde, mais cela masque mal une terrible réalité. Le PIB par habitant est loin de progresser aussi rapidement puisque la dynamique démographique y est très forte. La distribution à l’intérieur des groupes sociaux est très mal assurée, avec un effet de concentration de l’enrichissement sur un pourcentage très faible de la population.

Le deuxième constat pourra vous sembler très factuel, mais il est néanmoins important numériquement. Historiquement, au temps du service militaire obligatoire, environ 20 000 coopérants français – des médecins, des ingénieurs, des techniciens – intervenaient régulièrement, apportant souvent de belles compétences aux pays d’Afrique subsaharienne. Ils ne sont plus que 400 aujourd’hui.

Cela signifie, d’une part, qu’un tel apport de compétences n’existe presque plus, et, d’autre part, que la connaissance de ces pays, des défis qu’ils doivent relever, ainsi qu’un certain nombre de relations humaines et de réseaux d’amitié vont, au cours du temps, s’atténuer et progressivement disparaître.

Le troisième constat que je voudrais souligner, à la suite d’autres collègues, est le suivant : ces pays sont touchés par la double peine.

Celle-ci concerne tout d’abord le domaine écologique. Toutefois, une telle situation n’est en rien liée à leur mode de consommation, madame Tasca. Si l’électricité produite dans ces pays est peut-être plus riche en carbone, la consommation reste très modeste : l’émission de carbone d’un Africain est dix fois moins élevée que celle d’un Européen, et vingt fois moindre que celle d’un Américain ! « Décarboner » la consommation d’électricité de ces pays est un objectif louable, mais je ne pense pas que l’on puisse les culpabiliser sur le sujet.

Nous le savons tous, ce sont ces régions d’Afrique subsaharienne qui souffriront les premières – elles en souffrent d’ailleurs déjà – des effets de l’élévation de la température. Les conflits liés aux questions d’accès à l’eau et de propriété de l’eau – en général, un fleuve traverse plusieurs zones, plusieurs ethnies, plusieurs pays – en sont une illustration.

La double peine est également financière ; on l’a quelque peu oublié. Au moment de la crise financière mondiale, on a pris la mesure du fait que des pays qui n’avaient aucune responsabilité dans son déclenchement en avaient subi les effets, notamment l’augmentation des spreads, c’est-à-dire la hausse des taux d’intérêt auxquels ils avaient accès pour le refinancement, et, surtout, la difficulté à accéder aux marchés financiers au moment où la liquidité mondiale était mal assurée.

En outre, ces pays sont plus souvent qu’à leur tour victimes de catastrophes naturelles météorologiques – sécheresse, cyclone – ou sismiques.

Le quatrième constat, ce sont les difficultés liées au départ important d’une main-d’œuvre formée vers les pays occidentaux.

L’Organisation internationale pour les migrations estime à 20 000 le nombre de cadres ou de membres de professions libérales quittant l’Afrique chaque année. Un diplômé africain sur trois émigre, principalement vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Il s’agit en général des plus diplômés.

On comprend bien que certains facteurs pèsent sur les décisions individuelles : les difficultés économiques dans le pays d’origine, les conflits, le chômage, le problème de l’accès aux soins ou à l’éducation pour les familles. Cette perte de main-d’œuvre constitue néanmoins un obstacle, une faiblesse pour le développement de l’Afrique.

Monsieur le ministre, j’ai en tête une carte des migrations des médecins vers l’Europe. Celle-ci démontre que, plus les pays sont pauvres et peu dotés en systèmes de soins, plus la migration des personnes formées dans ce domaine est importante. C’est donc un défi tout à fait prioritaire.

Alors, quelles réponses apporter ? Le rapport évoque toute une série d’axes prioritaires, que je salue.

Permettez-moi cependant de plaider ici pour un moyen, déjà évoqué mais qui n’a pas encore été mis en œuvre : la taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale. Le Président Sarkozy l’a soutenue, le Gouvernement la défend, en particulier votre collègue Christine Lagarde, auprès de nombreuses instances internationales.

Cette taxe permettrait de dégager des moyens à la hauteur des défis, puisque l’on évalue sa recette annuelle potentielle à 30 milliards de dollars par an. Certes, elle serait compliquée à mettre en place, puisque tous les pays de la planète devraient accepter de la mettre en œuvre.

Cela étant, je tiens à souligner ici tout l’intérêt d’un tel dispositif.

Je mentionnerai également quelques points positifs au sujet de la coopération.

Je veux souligner la qualité de la coopération décentralisée mise en œuvre par des mairies, des départements, des régions, dont les actions, qui permettent d’établir des relations humaines autour de projets concrets…

M. Charles Revet. Et souvent plus efficaces !

Mme Fabienne Keller. … et de mobiliser facilement des techniciens, sont souvent efficaces sur le terrain. En général, ce type de projets aboutit de manière sûre à des mises en œuvre opérationnelles.

Parmi les éléments positifs, je souligne également la prise de conscience forte de nos concitoyens à l’égard des enjeux relatifs à l'ensemble de ces pays. Ils ont bien compris que le développement équilibré des différentes zones du monde était indispensable.

Ils sont conscients également que c’est la seule solution de long terme à la forte pression de l’immigration, laquelle est source de fragilité et de déséquilibres.

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Fabienne Keller. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie une nouvelle fois de la qualité de ce débat et je salue l’engagement de la France. Par la même occasion, j’en appelle à une source de financement plus importante et plus pérenne pour un tel défi mondial.

Malgré l’usage régi par l’orthodoxie budgétaire et financière de la loi organique relative aux lois de finances, il ne me semble pas que l’aide au développement des pays les plus fragiles doive être considérée comme une dépense de fonctionnement. Je la classerais plutôt dans la catégorie des investissements d’avenir.

M. Charles Revet. Exactement !

Mme Fabienne Keller. En effet, nous ne connaîtrons pas de prospérité à moyen et long termes si nous ne nous donnons pas les moyens d’accompagner les pays les plus pauvres dans leur développement économique, social et démocratique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, je préfère intervenir dès à présent, afin que le dernier mot revienne à M. le ministre, qui aura à répondre aux différents orateurs.

Puisque ce débat s’achève, je me félicite tout d’abord de ce qu’il ait eu lieu, car n’en avons pas souvent tenu sur un tel sujet. Il a été, à mon sens, particulièrement riche : toutes les contributions furent extrêmement intéressantes. Il faudra renouveler l’expérience périodiquement.

Je me félicite également de l’excellent travail effectué par les deux rapporteurs, MM. Christian Cambon et André Vantomme. (Applaudissements.)

Comme ces derniers l’ont indiqué, avant de rédiger leur rapport, ils ont noué de nombreux contacts, effectué de multiples investigations et plusieurs déplacements, qui n’ont pas été inutiles, loin s’en faut ! D’ailleurs, toute l’année, ils se rendent sur place pour contrôler la manière dont nos contributions sont employées. Je tiens à les remercier pour l’excellent travail qu’ils fournissent.

De la même manière, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été heureuse de pouvoir contribuer au document qui nous est présenté par le ministre au travers de ce rapport.

Nous sommes extrêmement satisfaits de constater qu’un certain nombre des recommandations figurant dans le rapport ont été reprises dans le document-cadre, ce qui montre que la contribution du Parlement peut être efficace et apporter une sérieuse valeur ajoutée.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute constante et de votre désir de nous associer à l’élaboration de ce document ; sans vous, un tel travail n’aurait peut-être pas pu aboutir.

Mes chers collègues, certains d’entre vous ont affirmé que nous devions davantage axer nos efforts sur l’aide bilatérale ou rendre celle-ci plus visible. Étant donné l’effort que nous consentons, il serait tout à fait normal que ce dernier soit reconnu et que nous puissions en tirer un bénéfice sur le plan de notre politique étrangère.

Cependant, sachez que nous sommes souvent l’objet de critiques aux Nations unies pour l’insuffisance de notre aide multilatérale dans divers domaines. Ces reproches, nous les essuyons lorsque nous nous rendons au siège de l’ONU, chaque année, de la part de ceux qui sont responsables d’un certain nombre de fonds, notamment les fonds d’urgence.

Nous ne pouvons pas à la fois nous voir reprocher de ne pas consacrer suffisamment d’argent à l’aide multilatérale et avoir à répondre aux exigences de renforcement de l’aide bilatérale.

Dans le cadre de l’Union européenne, nous exécutons des obligations lorsque nous apportons notre participation aux fonds européens. Ainsi que les rapporteurs l’ont, à juste titre, suggéré – j’espère qu’une telle proposition sera mise en œuvre –, notre contribution à ces fonds doit être coordonnée avec l’action que nous menons. Si l’Union européenne et la France conjuguent leurs efforts dans un certain nombre de secteurs, cela aura un effet de levier important et notre aide se révélera d’autant plus efficace ; mais, pour y parvenir, il doit y avoir une coordination entre l’aide versée à l’Union européenne et l’aide nationale.

En attendant qu’une telle coordination soit mise en œuvre, je conclurai en indiquant que ce jour est important à nos yeux compte tenu de la nature du débat que nous venons de tenir. Il est surtout la démonstration que la politique de coopération est l’un des piliers essentiels de notre diplomatie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Catherine Tasca et M. Robert Hue applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’avoir pu travailler avec vous, d’avoir bénéficié de plusieurs rencontres et d’avoir tant appris à votre contact. Je me réjouis également que ce débat ait eu lieu.

Je vous épargnerai mon discours ; j’en suis désolé pour ceux qui l’ont écrit. (Sourires.) Il sera bien sûr à votre disposition.

Je m’efforcerai très rapidement – trop rapidement ! – de répondre aux multiples remarques, souvent très positives, mais parfois critiques – c’est tout à fait normal –, qui m’ont été adressées.

Tout d’abord, messieurs les rapporteurs, j’ai beaucoup apprécié que vous ayez lu dans la nuit un document qui, officiellement, n’a été remis qu’hier, à vous comme à moi ! (Nouveaux sourires.) Il fallait évidemment obtenir l’imprimatur de Matignon, ce qui ne fut fait qu’au moment où nous étions réunis en commission.

Je commencerai en évoquant le document-cadre de coopération au développement.

À ce propos, j’ai bien noté votre remarque à propos d’une éventuelle loi d’orientation, madame Lepage ; j’y reviendrai.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que nous nous trouvons devant une vision d’ensemble ; cependant, si celle-ci est assez précise, elle reste insuffisante dans ses développements.

Je reprendrai simplement l’exemple souligné par les rapporteurs. Tout le monde se demande pourquoi n’est pas mis en place un audit permanent, c’est-à-dire pourquoi n’est pas proposée une évaluation – elle serait sans doute critique – des résultats de notre aide au développement. Mais un tel travail est très difficile à mener ! Qui l’a déjà fait ? Personne !

Bien sûr, pour les ONG – je les salue toutes –, qui se concentrent sur des actions très précises au contact de la population, madame Keller, un tel travail est plus facile à mettre en place et, d’ailleurs, d’autant plus méritoire.

En revanche, concernant la politique en général, les aides, nous n’avons pas toujours la possibilité de quantifier ; par exemple, nous ne pouvons pas évaluer le nombre de malades sous antirétroviraux, contrairement au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le plus souvent, compte tenu de la façon dont les politiques d’aide au développement sont appliquées, il est bien difficile d’en mesurer immédiatement les résultats au moyen de critères objectifs, avec un crible qui serait suffisamment précis pour être accepté par tous.

Nous allons nous atteler à cette tâche. Dans le document-cadre sont évoqués des audits externes et des rapports croisés. Comme l’ont justement noté MM. Cambon et Vantomme, il faudrait bien entendu pouvoir comparer, additionner les aides au développement portant sur plusieurs sujets et théoriquement regroupées dans différents bilans. Sont-elles complémentaires ou, au contraire, contradictoires ? De telles opérations sont très difficiles à réaliser.

Nous allons essayer de nous y employer pour les aides versées à compter de l’année 1998. Une telle évaluation est d’ailleurs beaucoup plus facile à faire concernant les aides versées dans le passé ; cela reste cependant très insuffisant, j’en suis pleinement conscient.

Un tel travail est cependant tout à fait indispensable. Il a été fait allusion à des sondages qui montrent que les Français, dans une période difficile, sont favorables à l’aide au développement. Quand on pose à nos compatriotes des questions précises, le résultat est néanmoins un peu différent : s’ils approuvent effectivement l’aide au développement, ils expriment également leur volonté de connaître les résultats obtenus en la matière, ce que je comprends tout à fait.

Le président de la commission vient de le souligner, il est essentiel de communiquer sur un tel point ; mais cela n’a jamais été fait, sauf en matière de santé publique, où les indicateurs sont, parfois, sur des domaines très précis, relativement fiables.

Pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure, je vous remercie, madame Lepage, d’avoir évoqué l’éventualité d’une loi d’orientation.

Sur le principe, je n’y suis pas opposé. Mais comment faire face à l’évolution de la conjoncture économique si nous fixons des directions et des pourcentages précis ? Je me méfie donc quelque peu des lois d’orientation, d’autant qu’elles évoluent elles-mêmes en fonction des circonstances. Je ne suis pas certain que l’on puisse adopter une telle loi applicable sur dix ans. Néanmoins, cela nous donnerait l’occasion de débattre, comme nous le faisons en ce moment. Il faut y réfléchir.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Cambon, lorsque vous dites que notre démarche ne doit plus être seulement caritative. Pour autant, en cas de besoin, le caritatif, ce n’est pas si mal !

J’ai longtemps été très hostile, puis très favorable, puis plus nuancé, sur la question des aides ponctuelles. Lorsqu’il y a une urgence, il faut y répondre, et les ONG savent très bien le faire.

Vous dites également qu’il n’y a jamais assez d’argent pour les ONG. Mais où le prend-on ? Il vient bien de quelque part ! Nous devons participer au financement des ONG, tout en leur laissant la possibilité de formuler des critiques et d’être indépendantes.

Au Centre de crise du ministère des affaires étrangères et européennes, nous ne travaillons qu’avec des ONG ! C’est tout à fait nécessaire lorsqu’il s’agit de répondre à des situations d’urgence et de mener des actions caritatives. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite tous, comme je l’ai déjà fait en commission, à venir voir comment ce centre fonctionne, en liaison avec les ONG, comment l’aide est distribuée, comment des rapports humains se nouent et des contacts permanents s’établissent entre le Centre de crise, ces ONG et la population locale.

J’ai aussi bien noté cette observation selon laquelle mieux valait travailler avec les Africains eux-mêmes qu’avec leurs gouvernements. Il faut faire les deux ! Les chiffres nous indiquent que beaucoup d’argent s’évapore…

M. Charles Revet. Beaucoup trop !

M. Bernard Kouchner, ministre. Mais que doit-on faire ! Dites-le-moi, monsieur Revet !

Lorsque les gouvernements nous sollicitent pour financer certains projets, on peut penser, logiquement, que les ministères concernés vont faire un bon usage de l’aide que nous leur apportons.

On nous parle de surveillance. Je sais bien qu’il y a des problèmes d’évasion d’argent. Je rappelle, cependant, que tel n’est pas le fait des seuls pays africains ; dans d’autres États, c’est la moitié de l’aide qui s’évanouit dans la nature !

Bien entendu, nous devons apporter de l’aide, lorsque c’est nécessaire, en passant par les structures gouvernementales qui existent sur place. C’est le cas lorsqu’un plan d’action a été lancé. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, par exemple, ne pourrait pas fonctionner s’il ne travaillait pas, au niveau local, avec les différents ministères de la santé.

Vous l’avez noté à juste titre, messieurs les rapporteurs, lorsque aucune structure n’existe sur place, rien n’est possible ! Pour que l’argent distribué soit utile, il faut pouvoir trouver, localement, un minimum de structures administratives et techniques. Dans le domaine de la santé, c’est évident !

Nous ne pouvons pas faire autrement que de travailler avec les gouvernements, mais il nous appartient aussi d’agir, et le plus possible, avec les collectivités et les ONG locales, au plus près des populations. C’est ma conviction la plus profonde !

Il est certes difficile d’intervenir, à la fois, à tous ces niveaux. Il faut pour cela beaucoup d’expérience, y compris de l’échec. Nous connaissons aussi des succès.

M. Charles Revet. Heureusement !

M. Bernard Kouchner, ministre. Il nous revient de mener une réflexion d’ensemble sur notre démarche caritative.

Vous avez dit, monsieur Cambon, que la France ne serait plus jamais seule. En termes politiques, c’est-à-dire en considérant notre passé colonial, puis la décolonisation et l’indépendance qui ont suivi, c’est vrai ! Cependant, je le répète, il est très compliqué d’additionner et de juxtaposer des aides sans les faire entrer en concurrence.

J’ai pris hier, devant la commission, l’exemple de la République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone du monde. Avec 130 millions d’euros, les Britanniques lui donnent près de quatre fois plus que la France, dont le montant de l’aide s’élève à 35 millions d’euros.

Comment peut-on additionner ces deux aides ? Après tout, réjouissons-nous que les Britanniques aident la République démocratique du Congo, si leur argent, comme le nôtre, est bien utilisé. Mais comment savoir si c’est le cas, alors que nombre d’autres États aident ce pays majeur, central, à la fois vaste et doté de nombreuses richesses ? Je ne veux pas souligner uniquement les difficultés, mais force est de constater qu’elles ne manquent pas !

Je suis tout à fait convaincu qu’il faut faire le bilan des objectifs, celui des moyens et l’analyse critique des résultats. Nous avons prévu cet objectif dans le document-cadre, et nous nous efforcerons de le réaliser.

Monsieur Vantomme, vous avez évoqué des objectifs majeurs, que je ne détaillerai pas ici. Notre aide publique au développement est répartie de la façon suivante : 60 % pour l’Afrique, 20 % pour la Méditerranée, seulement 10 % pour les pays émergents, et 10 % pour les situations de crise. Une telle répartition est de nature à recueillir une approbation assez large, d’autant qu’il est toujours possible de l’ajuster ; c’est d’ailleurs le cas dans les situations de crise. En effet, même si une crise est prévisible, par définition, on ne connaît pas dans l’immédiat les besoins requis.

Je partage bien sûr votre sentiment sur la croissance par les échanges. Encore faudrait-il que nos produits soient compétitifs...

Monsieur Guerry, vous-même avez rappelé que les investissements de la Chine étaient sans comparaison avec les nôtres. Certes ! Mais nous savons tous que la compétition est grande entre les entreprises. Alors, que fait-on ?

Certaines entreprises chinoises ou turques sont beaucoup plus compétitives que les nôtres. C’est un constat ! Nous devons donc aider le plus possible les entreprises françaises, mais pas jusqu’au point de les imposer ou de compenser notre handicap par des prêts ou des dons.

M. Robert Hue. C’est certain !

M. Bernard Kouchner, ministre. Comment faire ? Nos entreprises sont tout à fait performantes sur le plan social, car elles développent des projets plus structurés à ce niveau, mais elles sont moins performantes que d’autres pays lorsqu’il s’agit de répondre aux appels d’offre.

Il est très difficile de développer les échanges avec nos partenaires tout en soutenant les industries locales. C’est au sein de ce difficile équilibre que notre politique d’aide au développement doit trouver sa place : en dehors du domaine caritatif et dans la réalité de la compétition économique.

Je ne suis pas responsable de l’insuffisance des perspectives financières et de la conjoncture économique ! Je rappelle que personne n’avait prévu la crise européenne et mondiale dont nous avons été victimes. Sans cette crise, sans doute aurait-il été plus facile d’atteindre le fameux objectif de 0,7 %. Cela ne veut pas dire que nous devons abandonner complètement une telle perspective pour 2015 !

Dois-je le rappeler, la France, en 2000, lorsque la croissance était forte, consacrait 0,30 % de son RNB à l’aide au développement, puis a porté son effort à 0,32 % en 2001. Dix ans plus tard, nous avons réussi à rattraper ce retard, avec un taux qui s’élève, selon les interprétations, à 0,47 % ou 0,49 %.

Pourquoi n’atteindrions-nous pas l’objectif de 0,7 % ? En tout cas, nous faisons tout pour y parvenir en 2015.

Je m’attarderai quelque peu sur les financements innovants, qu’a évoqués M. Collin.

Ils ne sont pas destinés à se substituer à l’aide publique au développement ou à justifier sa diminution. Ils doivent servir, au contraire, à compléter ou à augmenter cette aide.

Nous avons été très surpris, lors de la préparation du sommet Afrique-France de Nice, qui comptait près de la moitié de pays anglophones, qu’un certain nombre de pays africains déclarent se méfier des financements innovants. Cette propagande hostile émanait de pays favorables à un libéralisme total, que l’idée même de taxe effraie, alors que nous n’employons jamais ce terme, lui préférant celui de « contribution ».

Soyons sérieux : si les pays africains refusaient les financements innovants, à quoi serviraient-ils ?

Nous avons convaincu les États concernés qu’il s’agissait d’une aide supplémentaire « aux investissements », et non pas simplement d’une aide en plus. Le sujet a été abordé lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre dernier, et il figurera à l’ordre du jour du prochain G8, à Muskoka. C’est donc une idée qui fait son chemin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit en commission, nous vous ferons parvenir le dernier rapport du Groupe pilote sur les financements innovants, présidé par le Japon, et dont la France est secrétaire.

Tous les rapports de ce groupe vont dans le même sens : il est beaucoup moins difficile de financer ces projets que de lancer le Fonds global, comme l’a fait la France. Il existe trois hypothèses pour le financement. Selon nous, il devrait prendre la forme d’une contribution sur les transactions mobilières, c’est-à-dire sur tous les échanges financiers. Les limites du dispositif restent à définir, pour savoir qui sera concerné : les entreprises, la spéculation, les échanges personnels, etc.

La solution que nous avons retenue est une contribution de 0,005 %, ce qui représente, je ne cesserai de le répéter, 5 centimes d’euros prélevés sur mille euros échangés. C’est tout à fait inoffensif et inodore !

Quelques pays importants peuvent-ils lancer ce projet, ou faut-il un lancement collectif nécessitant l’accord des 192 pays siégeant à l’Assemblée générale des Nations unies ? C’est clairement la première solution qui doit prévaloir.

Si nous ne prenons pas l’initiative, cela ne marchera jamais ! C’est ainsi que les fonds éthiques ont démarré, lancés par quelques établissements bancaires et quelques pays. Finalement, cela fonctionne très bien !

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Bernard Kouchner, ministre. Je pense, pour ma part, et nous verrons ce qu’il en sera du G8 et du G20, qu’un groupe de cinq ou six pays européens, mais non les moindres, favorables à cette idée, pourraient lancer ce projet.

Cette idée avance, monsieur Collin, même si nous n’avons, pour le moment, aucun bénéfice matériel à en attendre. Il sera très facile, par l’intermédiaire des banques et des établissements financiers, de prélever une contribution de 0,005 % sur les échanges. Ce n’est tout de même pas énorme !

S’agissant du Fonds global, monsieur le président de Rohan, vous avez raison : si nous contribuons plus encore par l’intermédiaire de l’ONU, on nous reprochera de ne pas être assez présents. Ce fonds global doit-il passer par l’ONU ? C’était le cas au début, avant qu’il n’en soit détaché pour être plus autonome. Mais l’idée est née au sein des Nations unies.

Avec une contribution de 0,005 %, on parviendra à réunir une somme de 30 à 40 milliards d’euros par an, ce qui permettra, madame Keller, d’assurer l’éducation de tous les enfants des pays pauvres. Ce n’est pas mal !

Faut-il créer un fonds pour cela ? Comment l’aide serait-elle distribuée ? Qui contrôlerait ce fonds et les résultats de l’aide ? Voilà des questions ardues ! Nous devons en discuter.

Nous avons, je le redis, l’expérience du Fonds global, dont la France a été à l’origine : au début, on ne savait pas comment le contrôler. Il doit représenter pour nous un modèle, dans la mesure où, depuis sa création, les évasions et les scandales ont été peu nombreux, même s’il arrive de temps en temps que l’on cesse d’aider un pays.

Monsieur Hue, vous avez évoqué le domaine réservé. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe depuis bien longtemps. Or je me souviens que, dans les années passées, certaines réserves vous étaient plus sympathiques ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) La politique étrangère constitue le domaine réservé par excellence : c’est là une tradition de la VRépublique.

Vous avez également pointé du doigt les profits réalisés par les entreprises. Oui, les entreprises font des profits, et c’est bien naturel ! Si elles n’en faisaient pas,…

M. Robert del Picchia. Elles n’existeraient pas !

M. Bernard Kouchner, ministre. … cela se saurait ! Ce serait alors, le plus souvent, des entreprises nationales. S’il peut y avoir, ici ou là, des adaptations envisageables, les appels d’offre demeurent la règle. Les entreprises françaises doivent se montrer compétitives, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les exemples fournis à propos du Soudan et du Niger le prouvent. Vous n’ignorez pas, monsieur Guerry, que c’est Total qui a refusé de s’installer au Niger, du fait d’une situation politique dangereuse. De même, le Soudan n’était pas facile d’accès, en particulier le sud de ce pays. Il y avait pourtant des opportunités historiques à saisir ! D’ailleurs, notre entreprise pétrolière s’implante de nouveau dans ces régions. Mais elle doit désormais faire face à la concurrence chinoise. Qui pourrait reprocher aux entreprises chinoises de s’être implantées sur ce marché ?

Madame Tasca, vous avez fait preuve d’un grand optimisme quant à l’évolution du continent africain. Je partage votre sentiment. La tendance générale, comme les chiffres que vous avez cités, semblent confirmer cette évolution positive, dont nous devons tenir compte. Vous avez souligné l’expertise de la France. Même si elle est quelque peu datée et qu’elle s’éloigne des réalités de l’Afrique, nous devons la mettre en avant, en proposant à nos amis chinois, turcs et britanniques de bâtir autant que possible des offres communes. C’est la seule façon d’agir. Il existe d’ailleurs, en matière de développement, un groupe franco-chinois qui se réunit très régulièrement.

J’ai apprécié les propos que vous avez tenus sur le thème du codéveloppement et de l’immigration. Malheureusement, la pauvreté, l’emprise de la tradition et les marchands d’esclaves n’attendent pas. Codéveloppement et maîtrise du flux migratoire ne sont pas toujours corrélés. Les migrants tentent leur chance, même lorsqu’on leur soutient qu’en développant leur pays ils n’auront pas à essayer, au péril de leur vie, de gagner les pays riches. Eh oui !

Je suis évidemment favorable à équilibrer le plus possible codéveloppement et immigration. Mais, en réalité, il y a tous les jours des gens qui frappent à la porte des pays riches, qui franchissent la mer Méditerranée au péril de leur vie, et qui meurent. Les migrants n’empruntent pas nécessairement le détroit de Gibraltar. Bien souvent, ils viennent de beaucoup plus loin. Demandez à nos amis grecs combien ils en accueillent chaque jour ? Il en résulte un « trafic » effrayant, qu’il convient d’endiguer.

Je reprends vos exemples, monsieur Guerry. Vous vous dites partisan d’un dialogue entre le Tchad et le Soudan. C’est évident ! Je suis d’ailleurs plutôt satisfait des avancées dans ce domaine. Les accords de Doha seront-ils acceptés par tous ? Je ne sais pas. Mais il est clair qu’un certain nombre de pays ne respectent pas les règles et continuent de fournir des armes aux pays en développement. Vous l’avez d’ailleurs souligné.

Pour ce qui est du Niger, l’uranium suffira-t-il ? Je l’ignore. La situation que nous affrontons autour des mines d’uranium n’est pas simple. Nous sommes particulièrement attentifs à tout ce qui serait susceptible de protéger nos populations. Nos ressortissants ont d’ailleurs été évacués, comme vous le savez, d’une « zone rouge », définie comme très dangereuse. Nous y reviendrons.

Lors de la réunion du CICID qui s’est tenue en 2009, il a été exigé une révision de nos indicateurs bilatéraux. Nous avons d’ailleurs confié à l’inspection générale des finances le soin d’évaluer nos contributions bilatérales et multilatérales. Les conclusions de cette mission devraient nous parvenir dans les semaines qui viennent.

Madame Lepage, nous nous efforçons de répondre à l’objectif de 0,7 % du RNB en 2015. J’ignore si nous y parviendrons, même si je le souhaite ardemment. Notre aide au développement équivaut aujourd’hui à 0,49 % du RNB, et nous devrions atteindre 0,51 % l’année prochaine.

Vous avez évoqué, madame, les moyens de développer la formation. Je voudrais vous faire part d’un chiffre souvent méconnu : il y a, en France, près de 22 000 étudiants chinois, dont la formation, intégrée à la politique de développement, coûte chaque année 100 millions d’euros. C’est là un effort considérable, qui ne concerne que les étudiants chinois. Mais on accueille bien sûr des étudiants étrangers d’autres nationalités, notamment africaines, dans nos universités et nos écoles !

Vous avez fait allusion à ces sondages qui font état de la volonté des Français de renforcer l’aide au développement, ce dont je me réjouis. Ce sont tout de même eux qui la financent ! Mais il faudra leur rappeler cette intention initiale dans les années à venir.

Madame Keller, vous avez souligné l’évolution, très positive, de l’aide au développement. Je vous en remercie.

Dans les pays africains, qui représentent 60 % de nos efforts, nous menons des entreprises beaucoup plus proches des populations. Je l’ai dit, la tendance générale est en effet à se dégager, autant que possible, des gouvernements. Sans les mépriser, en les acceptant tels qu’ils sont, nous essayons de nous approcher au plus près des collectivités, des hommes et des femmes.

Certes, ce n’est pas toujours possible. En effet, il n’y a pas toujours d’ONG locale susceptible de relayer notre aide. Dans ce cas, nous travaillons avec des ONG françaises ou internationales, même si ces dernières sont généralement plus proches des gouvernements centraux et des ministères. Vous connaissez les chiffres : près de 40 % de l’aide s’évapore ! Ce chiffre est évidemment une moyenne, et cette évaporation ne sévit pas dans tous les pays.

Je voudrais maintenant insister sur la formation professionnelle. Vous avez évoqué le cas, en Afrique, de personnes qualifiées, notamment des médecins, qui gagnent les pays riches pour y exercer leur profession. C’est un fait ! Mais nous venons de mettre en place, aujourd’hui avec le Sénégal et demain avec le Maroc, une formation professionnelle, d’une durée de trois ans, qui s’appuie sur les fédérations professionnelles et le réseau de coopération. Elle semble bien fonctionner jusqu’à présent.

Au lieu d’accorder des bourses pour des cursus universitaires n’offrant pas de débouché particulier en Afrique – cela demeure bien entendu possible -, nous prenons en compte les besoins professionnels exprimés par les entreprises locales. Ces trois ans de formation accompagnée par les fédérations professionnelles fonctionne bien au Sénégal, premier pays concerné par ce dispositif. Nous entendons l’étendre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur la question des transactions financières. Je vous suis très reconnaissant de ce débat. Grâce au président de Rohan et à la commission des affaires étrangères, nous avons pu, les uns et les autres, et surtout moi, tirer profit de ces critiques, extrêmement positives.

Certes, 9 milliards d’euros, ce n’est pas suffisant, mais c’est tout de même considérable ! Nous n’avons pas à rougir de la position française en matière d’aide au développement, même s’il faut aller toujours plus loin dans ce domaine.

En effet, la France est, cette année, le deuxième contributeur mondial d’aide au développement. Certes, ce ne sera plus le cas l’an prochain, mais nous n’avons pas à rougir de notre rang au sein des pays européens, même s’il faut saluer l’effort de la Grande-Bretagne qui, en dépit d’une situation économique toujours difficile et d’une réduction de 25 % du budget du Foreign Office, a maintenu son aide. Je préférerais bien évidemment que nous puissions augmenter notre aide. Mais ce débat a montré que, dans ce domaine, nous n’étions pas les moins efficaces ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat, de grande qualité, sur la politique de coopération et de développement de la France.

4

Débat sur le rôle de l’état dans les politiques locales de sécurité

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité.

La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe du RDSE qui a demandé ce débat, M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet, au nom du RDSE. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il était encore besoin de justifier la réforme des institutions, à laquelle, je le rappelle, les radicaux avaient donné leur consentement en 2008, la possibilité désormais ouverte à notre assemblée d’organiser des débats de sa propre initiative serait une nouvelle preuve de l’amélioration apportée à l’équilibre des relations entre le Parlement et le Gouvernement.

Dès le mois d’août dernier, j’avais en effet annoncé que je solliciterai la tenue du présent débat avec un triple objectif : répondre aux propos scandaleux d’un ministre en exercice quant à la responsabilité de certains maires dans la montée de l’insécurité ; rappeler la carence, pour ne pas dire la faillite, des services de l’État dans le maintien ou le rétablissement de la sécurité dont le Président de la République avait pourtant fait sa priorité ; souligner les charges indues assumées par les collectivités territoriales du fait de cette carence, alors même que toutes les réformes engagées par l’État tendent à diminuer les ressources locales.

Mais je ne saurais vous présenter cette réflexion sans rappeler quelles sont les raisons qui ont amené et devraient encore conduire l’État à prendre en charge les missions de police.

C’est l’histoire nationale que l’État refuse aujourd’hui de regarder en face et dont il rejette l’héritage, comme s’il en avait le choix. Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez peut-être, je viens d’une région, le Midi républicain, héritière de cette Occitanie qui fut si longtemps méfiante, et le reste en tant que de besoin, à l’égard de l’État, de sa centralisation, de ses excès militaires et policiers ou, plus simplement, de son intolérance.

Je vous accorde que cette vision spécifique de la puissance politique n’est pas nouvelle. Vous n’y êtes pour rien, puisque c’est Charlemagne qui créa le comté de Toulouse et permit à notre Midi de s’opposer aux Capétiens jusqu’en 1271. Mais une culture particulière était née : des Cathares aux vignerons du Languedoc, nous pouvons faire état de huit siècles de résistance au pouvoir central.

Pourquoi alors, me direz-vous, avons-nous finalement consenti, progressivement certes, aux fonctions régaliennes de ce pouvoir parisien si lointain, si peu bienveillant ? C’est parce que la raison impose un constat d’évidence : dans un État moderne, la détention de ce que les juristes appellent la « violence légitime » ne peut être accordée qu’à une seule collectivité publique.

S’il s’agit, à l’extérieur, de faire respecter les frontières et les valeurs de notre pays ou, à l’intérieur, de garantir la paix publique et la sécurité des citoyens, seul l’État – je dis bien l’État – peut le faire, et lui seul. Voilà pourquoi, tout au long de l’histoire moderne de notre pays, les provinces, puis les régions, les départements, les communes s’en sont remis à l’État pour garantir l’ordre et la sûreté. C’est la mission des représentants de ce dernier, ce n’est pas la nôtre, et vous ne pouvez ni ne devez vous y soustraire.

C’est donc en ayant ces éléments historiques à l’esprit que, l’été dernier, nous avons tous entendu, avec une stupéfaction scandalisée, M. le ministre chargé de l’industrie adresser une sorte d’admonestation aux maires qui ne feraient pas face à leurs obligations de police, blâme assorti d’une menace financière, l’État pouvant pénaliser les communes qui ne réaliseraient pas les efforts suffisants dans ce domaine.

Ces propos, je le répète, nous ont scandalisés – la réprobation s’est d’ailleurs étendue aux rangs de la majorité –, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nul ne savait en quelle qualité s’exprimait M. Estrosi. À l’inverse d’une règle désormais considérée comme un pilier de notre organisation administrative, il bénéficie en effet, avec l’un de ses voisins varois, du privilège d’être à la fois maire d’une grande ville et membre du Gouvernement. Ce cumul n’est pas seulement contraire aux usages de la République moderne ; il est aussi dommageable au plein exercice de l’une et l’autre responsabilités susvisées. En l’espèce, il était source d’une grande confusion, puisque les maires ainsi interpellés ne savaient pas s’ils étaient cloués au pilori par l’État ou dénoncés à ce dernier par l’un de leurs collègues.

Par ailleurs, il se trouve que la commune qui a l’honneur d’être dirigée par M. Estrosi est la ville de Nice, si particulière à tant d’égards. Le maire de Nice, qui s’adressait alors à ses homologues de nombreuses villes où la sécurité a été sacrifiée à des politiques d’urbanisme irresponsables, à une conception ségrégative de l’action sociale, à une démission générale des services publics de l’État, ce maire-là préside aux destinées de l’une des collectivités les plus riches de France, où la sociologie ne correspond en rien à celle des autres communes urbaines, la population de cette municipalité étant dominée par les personnes âgées aisées, voire très aisées. Pour le dire brièvement, le maire de Nice est d’autant plus populiste que sa ville est peu populaire…

Mais j’ai aussi parlé, en pesant soigneusement mes mots, de l’honneur discutable qu’il a d’être installé dans cette mairie prestigieuse. Personne n’a oublié, en effet, que pendant des décennies, Jacques Médecin, grâce à l’aide de ses adjoints, a fait régner sur Nice une autorité qui devait peu à la police et beaucoup aux besoins de tranquillité qu’éprouvent certains sur la baie des Anges. Pour cette raison particulière, nous avons été nombreux – et je félicite notre collègue François Rebsamen de sa réplique immédiate et très vive – à estimer que M. Estrosi n’était pas le mieux placé pour donner des leçons à propos d’un ordre public qui, selon nous, se fonde d’abord sur la morale républicaine.

Cependant, monsieur le secrétaire d’État, la question principale en l’occurrence est non pas celle de l’émetteur, mais celle du message émis. Seraient pénalisées demain, dans leurs dotations budgétaires, les communes qui n’auraient pas convenablement bouché les voies d’eau de la politique de l’État, ce fameux « tout sécuritaire » qui est l’alpha et l’oméga de votre conception de l’organisation d’une société.

Une telle menace impose une première remarque. Je vous prie, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler à vos collègues qui l’ignoreraient que les ressources des collectivités provenant du budget de l’État ne nous sont pas consenties ou « octroyées », comme auraient pu dire les conseillers de Louis XVIII. Elles nous sont dues pour trois raisons principales. D’abord, elles sont prévues par la Loi – point n’est besoin de commentaire, cette majuscule suffit – et il n’appartient pas au caprice d’un ministre-maire de défaire ce qu’a fait la volonté populaire. Ensuite, elles permettent de financer non seulement l’exercice des compétences qui ont été décentralisées par les grandes lois de 1982-1983 et des textes ultérieurs, mais aussi, et j’y reviendrai, les missions qui sont celles de l’État et qu’il n’assume pas. Enfin, elles représentent la contrepartie de recettes qui appartenaient en propre aux collectivités locales. Qui se souvient encore que la TVA, celle que vous percevez, a remplacé la taxe locale, celle que nous vous avons abandonnée ?

Mais l’essentiel est bien dans votre démission. Si les propos de M. Estrosi ont soulevé un tel tollé – dans votre seul camp, je vous rappelle les protestations du président de l’Association des maires de France, l’AMF, ou de M. Favennec, député de la Mayenne ; dans ma seule région, j’ai noté l’indignation de plusieurs parlementaires de l’UMP –, c’est qu’ils avaient un triple objet : souligner la violence extrême du « discours de guerre » prononcé par M. Sarkozy à Grenoble après les scènes d’émeute ayant embrasé un quartier de la ville ; profiter de cette occasion pour clouer au pilori une municipalité de gauche, dirigée en l’espèce par Michel Destot, maire socialiste de Grenoble ; mais, surtout, noyer le poisson de votre échec en matière de sécurité, en inventant des missions que la loi n’a pas confiées aux communes.

Ce dernier point reflète bien la réalité. Vous vous êtes autoproclamés prix d’excellence sécuritaire et vos résultats en cette matière sont catastrophiques. Comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement, puisque vous avez littéralement désarmé le bras sécuritaire de l’État ? Vous avez supprimé la police de proximité, à laquelle vous reprochez sans doute d’être insuffisamment sécuritaire. Vous avez supprimé nombre de commissariats, sacrifiés sur l’autel de l’austérité budgétaire. Vous avez supprimé 10 000 postes de policiers en cinq ans. Le maire de Grenoble, mis en cause par votre collègue, avait d’ailleurs démontré que, depuis 2002, les effectifs de la police nationale avaient baissé de 17 %, tandis que ceux de la police municipale avaient augmenté de 41 %.

Au risque de vous étonner, monsieur le secrétaire d’État, je veux bien reconnaître que le problème de l’insécurité, notamment en zone urbaine, vient de loin, et de plus loin que vous ou que nous.

Il vient, d’abord, de la politique dite d’« urbanisme opérationnel », politique irresponsable conduite par l’État dans les années soixante et soixante-dix, au cours desquelles la DATAR confondait quantité et progrès.

Il vient, ensuite, de ces ZUP et de ces ZAC ghettos, où l’on a entassé les catégories de populations déjà les plus défavorisées et souvent les moins intégrées.

Il vient, encore, de l’abandon progressif des services publics dans tous ces quartiers sensibles, en particulier des transports publics, lesquels, pourtant, donneraient une chance à l’insertion.

Il vient, aussi, mais là, vous en êtes coresponsables, de l’amalgame scandaleux que les discours de l’extrême-droite et de la droite musclée ont fait surgir entre, d’une part, une immigration que nous avons voulue, appelée, je vous le rappelle, mes chers collègues, et, d’autre part, une insécurité que vous ne faites mine de combattre que pour mieux désigner des boucs émissaires capables d’endosser toutes les autres revendications de la société française.

Il vient, enfin, plus récemment, de l’abandon des politiques de coproduction de sécurité mises en place à partir du plan Bonnemaison de 1982 et des initiatives prises par Jean-Pierre Chevènement en 1997, politiques délaissées par les gouvernements de droite successifs.

Ces considérations m’amènent à l’interrogation principale qui s’est imposée à nous l’été dernier : quel est donc et quel doit être le rôle des collectivités territoriales en matière de sécurité ?

En application des règles historiques que j’ai rappelées, c’est l’État qui est chargé de la police et, lorsque le maire intervient dans ce domaine, c’est en sa qualité d’agent de l’État. Il est investi d’un pouvoir général de police administrative en vue de la prévention des troubles à l’ordre public, mais il exerce celui-ci sous l’autorité du préfet. De la même façon, il est officier de police judiciaire – cette mission n’a d’importance effective que dans les petites communes dépourvues de police et de gendarmerie –, mais, là encore, il est placé sous l’autorité du procureur. Il semble bien, finalement, que la conception classique, rappelée précédemment, se soit imposée : la police ressortit à la compétence exclusive de l’État.

Cependant, il est apparu aux collectivités territoriales et à leurs responsables que la sécurité des personnes et la tranquillité publique ne pouvaient être abandonnées aux seuls responsables de la répression, c’est-à-dire aux autorités policières et judiciaires de l’État. Cette prise de conscience résulte d’un double constat.

D’une part, la sécurité publique dépend essentiellement d’un climat de paix sociale que les élus locaux, aidés de leurs services, sont les premiers soucieux de maintenir ou d’améliorer. Plus que jamais, l’élu local, qui représente et incarne le premier niveau de solidarité vécue et ressentie par les citoyens, détient une fonction de médiation sociale. Je voudrais, à cette occasion, saluer le dévouement des centaines de milliers d’élus bénévoles ou quasi bénévoles qui, inlassablement, retissent le lien civique distendu ou déchiré par les violences économiques et sociales qui ont cours à notre époque.

D’autre part, la sécurité de nos concitoyens et de leurs biens dépend évidemment de la justice sociale, mais également de l’attention portée par les pouvoirs publics aux situations de détresse sociale. Cette attention n’est certes pas de la charité ou de la simple compassion : elle doit prendre la forme d’une solidarité active, dont je veux vous donner un exemple concret, mes chers collègues, que je connais en ma qualité de président de conseil général.

Bien avant les gesticulations estivales de M. Ciotti, élu de la même région que M. Estrosi, vous nous avez délégué le pouvoir de suspendre le versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. À cette date, aucun président de conseil général concerné, je dis bien aucun, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a usé de cette possibilité. Cela signifie donc, monsieur le secrétaire d’État, que votre idéologie et vos dogmes n’ont rien à voir avec la réalité de terrain.

Nous savons, nous, que ces situations appellent de la présence, de l’assistance aux familles et de l’investissement de la part des travailleurs sociaux non seulement des départements, mais aussi des communes.

L’essentiel, en matière de sécurité, reste bien la prévention, que vous faites mine de confondre avec l’angélisme. Nous le savons tout comme vous, certains comportements exigent la répression dans ses aspects punitifs et dissuasifs ; je répète que c’est là le rôle de l’État et non celui de nos collectivités, qui n’ont ni à le remplacer ni même à lui prêter main-forte.

Les maires peuvent et doivent faire respecter, avec leurs propres personnels et, le cas échéant, avec ceux de la police nationale, les arrêtés qu’ils ont pris dans le cadre précité, que ces documents visent – et j’y suis favorable – le couvre-feu pour les mineurs, la mendicité intempestive ou la sécurité des manifestations publiques. S’ils estiment avoir besoin, pour garantir la paix, synonyme de liberté, de recrutements supplémentaires, d’armes dissuasives ou de nouveaux moyens de vidéosurveillance, c’est à eux d’en juger et non au Gouvernement, qui engagerait, en quelque sorte, des supplétifs.

En réalité, vous pourrez bien rebaptiser les organismes interministériels ou les organes de coordination locale, mais vous devrez bien admettre que la sûreté publique ne peut dépendre de votre seul bon vouloir et que la sécurité des Français ne peut résulter de la seule répression, dont nous voyons tous les limites, surtout dans les cas où votre politique discriminatoire a transformé la simple présence policière en une sorte de provocation, et ce fait est particulièrement grave.

Les policiers n’y sont évidemment pour rien. Les habitants des quartiers concernés ne sont pas non plus en cause. Mais c’est la vieille histoire du vent et de la tempête… Pour de médiocres raisons électorales, vous considérez la sécurité comme un terrain d’affrontement, non comme un champ de conciliation sociale.

Le véritable problème est bien là, et non dans le contestable discours de M. Estrosi, qui se croit autorisé à morigéner les maires. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas la même conception de l’action publique. Comment voulez-vous que la sécurité soit autre chose qu’une incantation quand des catégories entières de la population ont le sentiment de n’avoir pas les mêmes droits en matière de logement, d’accès à l’emploi ou encore d’équipement en services publics, quand des Français sont désignés à la vindicte d’autres Français par des menaces proférées à l’égard d’une possible déchéance de leur nationalité, quand les contrôles de police se font à raison du faciès, de la couleur ou du quartier ?

Je vous ai fait part de la lassitude des collectivités territoriales, toujours appelées à pallier les insuffisances budgétaires de l’État – c’est bien le cœur du débat actuel –, alors même que celui-ci les asphyxie par une réforme financière inique. Au risque de vous étonner, je vous dirai que ces sacrifices seraient encore acceptables si la politique menée par votre gouvernement nous paraissait juste. Or elle ne l’est pas. Vos menaces permanentes, vos rodomontades incessantes, vos expulsions triomphantes ne donnent qu’un seul résultat : des statistiques fallacieuses.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos collectivités sont soucieuses de l’ordre et de la paix publics ! Non, elles ne veulent pas s’associer à une politique qui, en écornant la justice et les libertés, crée de l’insécurité ! (Mmes Anne-Marie Escoffier, Alima Boumediene-Thiery, Éliane Assassi et M. Charles Gautier applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile pour moi d’intervenir juste après M. Jean-Michel Baylet, ancien secrétaire d’État chargé des collectivités territoriales, dont je partage les valeurs républicaines et qui vient de mettre le doigt là où ça fait mal. Là ou ça fait mal pour nos concitoyens, qui ne sont pas toujours au fait de la loi et des règlements et qui réagissent à l’instinct ou sous la pression des médias.

Je vais essayer de m’abstraire de cette vision sensible, presque affective, des événements, que je comprends au demeurant, pour m’en tenir à un constat aussi objectif que possible.

J’ajouterai un mot, néanmoins, qui dérogera à la règle que je tente de m’imposer, sur le malaise de nos services de police et, peut-être, dans une moindre mesure, de la gendarmerie. Ces deux corps, civil et militaire, qui marchent à l’affectif, ont besoin d’être aimés et respectés pour donner toute sa force à leur action.

Mme Anne-Marie Escoffier. Or, aujourd’hui, les attentes des citoyens, aussi diverses qu’il y a de situations locales, sociales ou sociétales différentes, ne riment pas avec les nouveaux modes de fonctionnement de nos services chargés de la sécurité des personnes et des biens.

Il existe, dès lors, un hiatus grandissant et de plus en plus perceptible, qui signe, je ne crains pas de le dire, le diagnostic d’un peuple malade de sa démocratie.

Je reviens donc au rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité. Traditionnellement, l’État est le garant des libertés en même temps que le protecteur de la sécurité des personnes et des biens. Cette double vocation est un fondement essentiel et incontournable de notre République. Inscrite dans la constitution, elle a pour maître d’œuvre le ministre de l’intérieur. Celui-ci, parce qu’il concilie les libertés et les contraintes, est le garant incontournable de ces principes démocratiques.

Incontournable, certes, mais incontestable, l’est-il toujours ? Nous sommes nombreux, ici et là, à avoir défendu de toutes nos forces, à plusieurs reprises, l’absolue nécessité pour le ministre de l’intérieur de s’appuyer sur ces deux pôles – liberté et sécurité – et de n’être pas plus le ministre de l’un plutôt que de l’autre.

Les tentatives de scinder en deux le ministère de l’intérieur, pour avoir un ministère autonome de la sécurité, ont heureusement échoué. Mais rien n’interdit de penser que les politiques mises en œuvre participent subrepticement de la même démarche.

En effet, si l’on considère que la politique de sécurité consiste à garantir la sécurité de la population résidant sur le territoire national ainsi que celle de leurs biens patrimoniaux et de leurs activités face à des menaces de nature criminelle relevant de la justice pénale, on entre bien parfaitement dans la vocation double du ministère de l’intérieur que je viens de rappeler.

En revanche, si la politique de sécurité n’est plus que politique répressive, elle se fixe exclusivement sur le deuxième pôle du ministère et n’apparaît plus comme le garant fondamental du droit de liberté. On doit néanmoins se féliciter de ce que, dans le cadre d’une politique sécuritaire aboutissant à une politique pénale, l’autorité judiciaire indépendante soit la gardienne des libertés publiques.

Que retenir de cette rapide présentation sinon qu’elle laisse peu de place – cela ne me paraît pas illégitime – aux collectivités locales, alors que les réflexions successives et les lois successives ont donné aux collectivités locales des responsabilités nouvelles en matière de politique de sécurité ?

Il s’agit non plus de la politique de sécurité – apanage de l’État –, mais des politiques de sécurité, appliquées localement à raison des problèmes particuliers auxquels sont confrontées les collectivités et s’intégrant à la nécessaire solidarité à laquelle chacun doit contribuer.

Dès 1977, avec le rapport Peyrefitte, et 1982, avec le rapport Bonnemaison, chacun – État et communes – avait compris l’intérêt de politiques territorialisées de prévention de la délinquance, des politiques de « coproduction de sécurité » s’appuyant sur des conseils communaux de prévention de la délinquance, devenus, par décret du 17 juillet 2002, conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

La première loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, en élargissant le nombre et la qualité des acteurs, parties prenantes dans cette coproduction de sécurité, a conforté le principe d’une action publique territoriale en la matière.

Elle a préparé le maire à devenir le « pilote de la prévention de la délinquance », pilote d’un pilotage obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants, depuis la loi de 2007. Mais que vaut un pilote à qui incombent les tâches les plus diverses, allant jusqu’au contrôle de l’absentéisme scolaire, sans qu’il ait ni les moyens ni l’autorité de ce pilotage ?

Il n’est que de rappeler certains événements récents évoqués par M. Jean-Michel Baylet, où l’on a voulu jeter l’opprobre sur les élus et les faire condamner par la vox populi.

Quels sont, en réalité, les moyens dont disposent les collectivités si l’on fait abstraction du pouvoir de convocation des conseils locaux de sécurité, dont la lourdeur n’a que trop tendance à en amoindrir l’efficacité ?

Les collectivités disposent de leurs moyens propres de police municipale, dont elles ont la charge financière complète. Les compétences de la police municipale ont d’ailleurs été élargies, par exemple en matière de contrôle préventif s’agissant des dépistages d’alcoolémie. Elles disposent également du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, utilisé à 75 % en équipement de vidéosurveillance, comme si la vidéosurveillance – pardon, la « vidéoprotection »... – était l’arme absolue contre tous les maux de délinquance connus.

Je ne veux pas ignorer les bénéfices de la vidéoprotection, mais je voudrais les relativiser. A-t-on mesuré les dépenses en personnels qui doivent naître de ce système si l’on veut lui assurer quelque efficacité ? Combien d’écrans d’image par équipement, combien de personnes mobilisées derrière ces écrans pour lire et interpréter en temps réel les images ? À quel coût de fonctionnement, et non pas d’investissement auquel participe l’État, cela revient-il ?

Nombreux sont les exemples que nous pourrions citer de dispositions nouvelles prises en matière de traitement et de prévention de la délinquance qui chargent la barque du pilote collectivité locale sans lui donner les moyens correspondants.

Je peux témoigner de la bonne volonté des polices municipales et d’État à travailler ensemble. Mais cette bonne volonté ne peut contrarier les consignes données par la hiérarchie policière de l’État.

L’État n’a-t-il pas déjà assez de mal à faire fonctionner harmonieusement police et gendarmerie, sous l’autorité d’un préfet de département amoindri, même s’il ne lui reste plus guère que la gestion de crise et la sécurité ?

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui se pose véritablement aujourd’hui est bien de savoir comment cette idée de coproduction de sécurité peut trouver à se réaliser au bénéfice de tous, victimes, délinquants, forces de sécurité, à raison de véritables compétences assises sur de vrais moyens.

Faut-il espérer que le projet de loi de finances pour 2011 saura apporter une réponse à cette question ? En tout état de cause, c’est mon vœu. (M. Charles Gautier applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, seule une sécurité à la charge de l’État peut s’appliquer de façon identique à chaque endroit du territoire, sans disparité entre municipalités riches et pauvres. En ce sens, la police, prérogative régalienne par excellence, ne se délègue pas.

Si le principe du maintien de l’ordre public constitue l’une des composantes fondamentales d’un État de droit, ledit maintien connaît une évolution d’une exceptionnelle gravité, qui affecte grandement sa substance.

Ces derniers temps, la police municipale a le vent en poupe. Les missions de sécurité sont de plus en plus externalisées et décentralisées, au nom d’une rationalisation arithmétique et aveugle, que l’on nomme communément RGPP.

Bien que le discours du ministre de l’intérieur ait toujours été d’une grande fermeté, constamment orné d’un ton martial, il ne suffit pourtant pas à masquer le désengagement croissant de l’État, non seulement de la mission de maintien de l’ordre public qui lui incombe, mais aussi de l’ensemble des politiques publiques.

À l’horizon 2012, nous aurons perdu 12 000 policiers nationaux ; il n’y a même pas eu de concours de gardien de la paix en 2009 !

Nos territoires le ressentent et en souffrent, à l’instar du département que je connais le mieux, la Seine-Saint-Denis.

Absence de patrouilles à certaines heures, faute d’effectifs suffisants, réaffectation arbitraire de certains agents dans des brigades nouvellement créées au détriment de leur ancien service et de sociétés de sécurité privées, abandon de plusieurs des missions au profit des polices municipales : c’est à se demander ce que fait la police !

Quant à l’évolution des missions confiées aux polices municipales, elle est, pour le moins, spectaculaire.

Pendant longtemps, les policiers municipaux étaient cantonnés à assurer la sécurité des enfants à la sortie des écoles ou à verbaliser les mauvais stationnements. Peu à peu, en raison d’une démission révoltante de l’État, leurs fonctions se sont étoffées, et ce sans la formation inhérente à leurs nouvelles compétences, notamment dans le maniement des armes.

On compte aujourd’hui plus de 18 000 policiers municipaux. Les effectifs ont crû de 120 % en six ans. C’est beaucoup, vous en conviendrez.

Outre l’interrogation qu’elle suscite, une telle démarche pose un véritable problème de rupture d’égalité pour nos concitoyens, entre les communes qui ont une police municipale et celles qui n’en ont pas, alors même que la sécurité et la tranquillité publiques sont garanties à tous par la Constitution.

Qui plus est, je rappelle que la LOPPSI 2 a autorisé tout directeur d’une police municipale d’une ville comptant plus de quarante agents à devenir officier de police judiciaire. À ce titre, il aura le pouvoir de procéder à des arrestations en procédure de flagrant délit, de constater les crimes, délits et contraventions, d’en établir procès-verbal et de recueillir des renseignements sur les auteurs et complices d’infractions. Il lui sera même possible de procéder à des perquisitions !

En ouvrant grand la porte du pénal à un fonctionnaire de l’administration territoriale, qui, à la différence d’un policier ou d’un gendarme, n’a reçu aucune formation en la matière – ce que souligne, d’ailleurs, le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue à propos de la garde à vue –, il est permis de s’interroger sur l’objectif recherché.

Ce tournant intervient dans un contexte de gel des dotations financières de l’État aux collectivités, pour une politique qui n’a absolument pas fait ses preuves, sauf à pérenniser et à amplifier la délinquance.

En revanche, monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’il s’agit de constater les effets néfastes de votre politique, vous vous empressez, cela a été dit, de dénoncer les maires, jugés coupables de la hausse globale de la violence dans notre société.

Mme Éliane Assassi. Il convient de préciser que, lorsque la loi du 5 mars 2007 a été votée, les maires avaient déjà prévu que les instituer organisateurs en chef de la prévention de la délinquance aurait inévitablement pour conséquence de les rendre un jour responsables de la délinquance elle-même.

Comment les maires peuvent-ils être tenus responsables de la montée du chômage et de la précarité ?

M. Philippe Dallier. Cela n’a rien à voir ! C’est hallucinant d’entendre cela !

Mme Éliane Assassi. Que peuvent-ils contre l’échec et l’absentéisme scolaire, lorsque le premier poste touché par la RGPP est l’éducation nationale, et alors que les contrats locaux de sécurité ont transformé les questions sociales et éducatives en problèmes de gestion des incivilités ? Rien ou pas grand-chose.

Poser des caméras ne les y aidera pas, si tant est qu’ils en aient les moyens. Aucune politique sécuritaire ne peut remplacer une politique sociale ambitieuse.

Il est illusoire, et même faux, de croire que l’on peut séparer de façon claire et nette prévention et répression. Il est tout aussi démagogique d’affirmer que, sous prétexte de proximité, les élus locaux sont les mieux placés alors que votre politique s’acharne à briser l’indispensable lien de confiance entre les citoyens et leurs représentants, puisque, comme le disait Nicolas Sarkozy, la police n’est pas là pour organiser des tournois de football, mais pour arrêter les délinquants…

La sécurité est une question transversale, qui passe par l’existence et le développement de la qualité des services publics : la police, la justice, l’éducation. C’est aux antipodes de la politique répressive que vous vous acharnez à promouvoir malgré les échecs par lesquels elle se solde ! Prenez-en acte...

Dans le même temps, je pense que ce n’est visiblement pas le chemin que vous prenez, monsieur le secrétaire d’État, vous qui, à l’aube d’un remaniement ministériel, recyclez les pires idées émises par la droite sur le sujet de la délinquance des mineurs.

Je voudrais, avant de terminer, remercier nos collègues du groupe du RDSE d’avoir demandé ce débat qui, outre la question de la sécurité, pose un autre problème fondamental : celui de la libre administration des collectivités territoriales à l’heure d’une réforme que, pour notre part, nous qualifions de véritable coup d’État contre les territoires de notre République ! (MM. Charles Gautier et Jean-Michel Baylet applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conformément au code général des collectivités territoriales, le maire est chargé de la police municipale, qui a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté et la sécurité des habitants de nos communes.

Au-delà des missions régaliennes de l’État, l’article L. 2211-1 de ce même code précise : « Le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance ».

Le cadre légal de notre pays attribue ces hautes responsabilités au maire. Il est donc de notre devoir, mais il y va aussi de notre honneur, de définir et d’appliquer sur le terrain une politique locale de sécurité.

Que constatons-nous sur le terrain ? Les statistiques font ressortir deux points.

Pour la première fois depuis 2002, alors que la délinquance avait augmenté de 17,75 % entre 1997 et 2002, elle a baissé de 14,4 % entre 2002 et 2008.

De plus, la délinquance de proximité, qui touche très directement les Français, a baissé de 35 % entre 2002 et 2008. Globalement, nous passons de plus de 4,11 millions de faits constatés à 3,5 millions.

Ces simples chiffres, impartiaux, attestent de la qualité des résultats obtenus et représentent concrètement – c’est le plus important – des centaines de milliers de victimes en moins chaque année. Ce n’est pas rien !

Mes chers collègues, ces excellents résultats ne sont pas dus au Saint-Esprit ! Ils résultent uniquement de l’action vigoureuse et continue du Gouvernement, qui a su mobiliser tous les moyens nécessaires pour diminuer sensiblement l’insécurité.

M. Charles Gautier. Tu parles !

M. Louis Nègre. Pour autant, on constate que la délinquance juvénile a plus que doublé en vingt ans, que les actes sont de plus en plus violents et que leurs auteurs sont de plus en plus jeunes. De même, les atteintes volontaires à l’intégrité physique ont augmenté de 2,8 % et leur niveau est bien trop élevé. Ces deux points, notamment, confirment que la délinquance n’est pas un phénomène statique.

Face à cette situation, nous nous devons d’avoir une vision non pas idéologique, mais objective et pragmatique. Nous, nous regardons la réalité en face et, au lieu de rester les bras ballants, nous réagissons ! Nous ne sommes pas dans la rhétorique, ni dans des discours politiquement corrects ou bien-pensants. Nous avons les mains dans le cambouis et nous l’assumons.

M. Charles Gautier. Bien sûr, vous seuls agissez…

Mme Éliane Assassi. Et l’école, pendant ce temps-là ?

M. Louis Nègre. Mes chers collègues, nous avons été élus pour agir, donc pour mettre en place des dispositifs adaptés aux réalités et traitant véritablement les problèmes que rencontrent quotidiennement nos concitoyens.

Vous nous reprochez les lois que nous avons fait voter. Je prends cette observation pour un compliment ! C’est en effet la démonstration de la réactivité du Gouvernement et de sa majorité face à une société qui change, qui évolue constamment, et au sein de laquelle la nature des infractions devient de plus en plus inquiétante !

Qui d’entre nous peut estimer que la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives est malvenue ? Qui peut s’opposer à la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, laquelle donne enfin aux maires des outils leur permettant d’agir plus efficacement ? Qui peut trouver inutile la proposition de loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, qui va nous permettre de remettre sur les bancs de l’école de la République, dans leur propre intérêt, des dizaines de milliers d’écoliers qui ne respectaient plus la règle élémentaire de l’assiduité obligatoire ?

Mme Éliane Assassi. Démontrez-le-moi !

M. Louis Nègre. Mes chers collègues, ces nombreux textes, d’origine gouvernementale pour la plupart, sont bienvenus, et, grâce au Gouvernement, ils aident la société à se défendre contre tous ceux qui portent atteinte au contrat social.

Mme Éliane Assassi. Et les délinquants ?

M. Louis Nègre. Assurer la sécurité partout et pour tous reste en priorité, c’est évident, la mission de l’État. Cela ne signifie pas que nous, maires, devions rester de simples spectateurs. Notre philosophie, vous l’avez compris, est tout autre.

La sécurité des Français est une coproduction des principaux acteurs, vous l’avez dit vous-même : d’abord l’État,...

Mme Éliane Assassi. Bien sûr...

M. Louis Nègre. ... mais aussi, selon le principe de subsidiarité, les pouvoirs locaux.

En 1941, je le rappelle, c’est l’État français qui, sous Pétain, a imposé une loi d’étatisation des polices municipales dans les villes de plus de 10 000 habitants.

Selon nous, en accompagnement de l’action de l’État et en coordination la plus étroite, j’y insiste, avec toutes les institutions concernées, les maires peuvent et se doivent de mettre en œuvre une politique locale de sécurité. C’est ce que nous avons essayé de faire, à notre niveau, sur la commune de Cagnes-sur-Mer.

Nous y avons mis en place une politique locale globale, qui comporte, d’abord, un panel d’actions coordonnées en faveur des jeunes et de leurs parents. C’est ainsi que nous avons créé un service jeunesse, un conseil des jeunes, et proposé des prestations d’accompagnement renforcé à l’emploi pour l’égalité des chances.

De même, nous avons institué des réunions de travail périodiques très profitables, tant avec l’éducation nationale, acteur ô combien indispensable, qu’avec les responsables du conseil général qui s’occupent de l’enfance en danger.

Toujours dans un souci de protection, nous avons institué depuis l’an 2000, pour les mineurs de moins de treize ans, un arrêté dit « couvre-feu ».

Mme Éliane Assassi. Scandaleux !

M. Louis Nègre. Il a fait l’objet d’un consensus unanime, chère collègue ! C’est un outil préventif d’une grande efficacité.

Dans le cadre d’un contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance, nous avons aussi agi, en liaison avec des associations spécialisées contre l’illettrisme et pour l’aide à la parentalité. Nous avons créé des rencontres citoyennes pour les jeunes collégiens, installé des cellules de veille et fait intervenir un médiateur. Nous avons développé également une action déterminée en faveur de l’insertion sociale et citoyenne au travers de la mise en place d’un service civique municipal.

Nous avons de nouveau renforcé ce dispositif grâce à la loi du 5 mars 2007, qui nous a permis de rendre notre action sur le terrain encore plus efficace. C’est ainsi que nous avons institué la procédure de « rappel à l’ordre » : elle s’est révélée excellente, puisque nous avons seulement enregistré deux récidives après soixante-treize rappels à l’ordre. Grâce à une mesure simple, non coûteuse pour les deniers publics, nous avons pu éviter que certains jeunes ne dérivent. Voilà l’exemple type d’une complémentarité efficace entre une politique d’État et une action locale.

Nous avons mis également en place un conseil pour les droits et les devoirs des familles. Par ailleurs, dans le cadre de cette politique locale de sécurité, pour disposer d’une réponse graduée et la mieux adaptée possible, nous avons passé, d’une part, une convention avec le parquet sur les rappels à l’ordre, ce qui est une première nationale, et, d’autre part, une convention avec le conseil général pour mieux coordonner nos actions.

Cet ensemble de mesures préventives est lui-même renforcé par un partenariat très étroit et un véritable travail complémentaire entre la police municipale et la police nationale.

La police municipale, qui est proche des citoyens et dont la plupart des membres habitent la commune, est une vraie police de proximité. Elle joue un rôle complémentaire, mais essentiel sur le terrain, pour assurer le bon ordre, la tranquillité et la salubrité publiques.

Enfin, nous avons mis en place un programme étoffé de vidéoprotection, qui a été particulièrement bien accueilli par l’ensemble de la population.

Résultat : toutes ces dispositions nous ont permis de faire chuter les actes de délinquance de proximité de 20 % dans ma ville, et c’est bien là le plus important !

Voilà le bilan concret et tangible d’une politique locale de sécurité établie en parfaite coordination avec les services de l’État. Il n’y a donc pas à opposer l’État et le local. Au contraire, ils doivent travailler ensemble et il faut éventuellement renforcer cette coopération.

Pour répondre, sans engager de polémique, à M. Jean-Michel Baylet, qui a mis en cause ad hominem le maire de Nice, ...

M. Louis Nègre. ... je rappellerai tout simplement que la gauche, en son temps, n’a pas hésité à faire adopter une loi pour sanctionner les maires qui refusaient de suivre des orientations gouvernementales. Cher collègue, il ne faut pas avoir une mémoire trop sélective !

M. Jean-Michel Baylet. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

M. Louis Nègre. Dans cet esprit de coproduction de la sécurité, et en application des principes de subsidiarité et de décentralisation, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que vous mettiez en œuvre quelques mesures nouvelles et complémentaires de celles qui existent.

Selon moi, l’avenir de nos jeunes passe par l’école de la République. Aussi, je propose que cette dernière se voit confier une mission non seulement d’instruction, mais aussi d’éducation à la vie en société.

Je propose aussi – et cet élément est important pour nous – que les collectivités territoriales qui s’engagent dans une politique de sécurité partagée avec l’État et qui en portent donc les coûts induits bénéficient, à due concurrence, de l’aide financière de l’État. Monsieur le secrétaire d’État, cette demande est non seulement logique, mais aussi tout à fait légitime.

De plus, je propose que les maires disposent de mesures simples et quasi immédiates pour être en mesure d’intervenir le plus rapidement possible.

Enfin, je propose que le secret partagé le soit réellement et non virtuellement. (MM. Philippe Dallier et René Garrec applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier le groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Il est vrai que l’été a été émaillé de déclarations fracassantes au plus haut niveau de l’État, et l’examen, lors de la session extraordinaire de septembre dernier, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure n’a pas permis d’aborder toutes les questions.

J’aurais plutôt intitulé ce débat : « Rôle des collectivités territoriales dans les politiques de sécurité », tant il est important de rappeler haut et fort que la sécurité doit rester une compétence régalienne,...

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Charles Gautier. ... même si les collectivités ont à en connaître et à s’y impliquer.

Il aurait même pu s’intituler : « Désengagement de l’État dans les politiques locales de sécurité », tant l’arrivée au pouvoir de l’actuel Gouvernement correspond à un désengagement réel, progressif et permanent de l’État en la matière !

Avec la loi du 5 mars 2007, vous n’avez pas inventé l’eau chaude en faisant du maire l’animateur et le coordonateur de la politique de prévention de la délinquance sur le territoire de la commune ; il l’est dans les faits depuis plus de vingt ans !

Sur le terrain, les élus locaux sont confrontés, chaque jour, aux mêmes problèmes. Les chiffres dont vous vous targuez, monsieur le secrétaire d’État, sont bien mauvais.

Dès son arrivée au ministère de l’intérieur, Nicolas Sarkozy stigmatisait l’action de ses prédécesseurs et liquidait la police de proximité sans prendre le temps d’en évaluer l’efficience réelle. Il la remplaçait par la « police de la statistique », affirmant qu’il voulait être jugé sur les actes et les résultats.

Or, qu’il soit habitant d’un quartier populaire, policier, gendarme, travailleur social, directeur d’un office HLM ou maire, chacun constate que l’insécurité n’a pas diminué.

Elle se traduit quotidiennement par des incendies de poubelles et de voitures, des caillassages de bus, des occupations de halls d’immeubles et de la mendicité agressive. Les habitants les plus fragiles en sont les premières victimes.

Dans les faits, les élus locaux sont sollicités par les citoyens concernés au quotidien par l’insécurité et les incivilités. Ils agissent pour leur assurer de meilleures conditions de vie.

C’est pourquoi les propos tenus cet été par un ministre de la République, par ailleurs maire d’une grande ville, ont choqué nombre de mes collègues, de droite comme de gauche.

Président du Forum français pour la sécurité urbaine, association qui rassemble un grand nombre de villes françaises dirigées par des élus de toutes tendances, je peux vous faire part du désaveu unanime qu’ont suscité de tels propos.

À cette occasion, M. le Premier ministre a reçu, au début du mois de septembre, une lettre que j’ai cosignée avec mes collègues Claude Dilain, président de l’Association des maires « Ville et banlieue de France », et Michel Destot, président de l’Association des maires de grandes villes de France. Nous lui demandions de le rencontrer afin de travailler à la question, ô combien urgente, du partage des compétences en matière de sécurité. Aucune réponse ne nous a été adressée à ce jour. Puisse aujourd’hui l’initiative du RDSE être le déclencheur d’un véritable débat sur le sujet !

Dans le cadre des trois associations que je viens d’évoquer, qui travaillent et échangent sur les questions de sécurité en France, les élus, bien au-delà de leurs couleurs politiques respectives, se retrouvent sur un certain nombre de constats.

Ils ont notamment observé que vous avez supprimé la notion même de proximité, les effectifs des polices municipales ayant augmenté concomitamment à la diminution progressive de ceux de la police et de la gendarmerie. L’État s’est donc désengagé, et les collectivités locales ont comblé le manque. Certains élus de votre majorité, monsieur le secrétaire d’État, estiment même publiquement que la police municipale remplace aujourd’hui, de fait, la police de proximité. C’est d’ailleurs ce que j’ai cru comprendre de l’intervention de notre collègue Louis Nègre !

M. Louis Nègre. J’ai parlé de complémentarité !

M. Charles Gautier. Les propos tenus par M. Copé aux Assises de la prévention de la délinquance juvénile le 14 octobre dernier, auxquelles nous avons assisté ensemble, s’inscrivent dans le même sens.

Quel aveu ! Les collectivités financent ce qui relève normalement du domaine de l’État, c’est-à-dire la sécurité quotidienne, et ce sans qu’aucune péréquation soit bien évidemment mise en place.

Votre nouvelle solution miracle, c’est la vidéosurveillance, et, dans ce domaine, vous adoptez les mêmes méthodes ! Le budget du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, le FIPD, est en effet utilisé à hauteur de 75 % pour financer la mise en place de systèmes de vidéosurveillance dans les villes.

Bien sûr, je l’ai dit plus d’une fois, la vidéosurveillance peut être un outil intéressant, si son usage est encadré et son objectif bien défini. Mais qui finance aujourd’hui sa mise en place, son entretien et son encadrement ? Les villes ! Certes, elles reçoivent du FIPD quelques subsides, mais ceux-ci sont issus de taxes qui, de toute façon, leur reviennent : vous prenez aux villes pour donner aux villes !

Vous encouragez la mise en place des personnels de sécurité et des systèmes de vidéo, alors même que votre réforme des collectivités locales entraînera une diminution importante des moyens des collectivités locales. Les maires font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, monsieur le secrétaire d’État, et leurs capacités financières ne sont pas équivalentes.

Il ne s’agit pas ici – bien au contraire ! – d’opposer l’État aux collectivités locales, comme le fait votre collègue Christian Estrosi ou comme vous le faites vous-même, en demandant aux préfets de pointer, parmi les maires, les bons et les mauvais élèves.

Les maires ne vous ont pas attendu pour demander aux autorités compétentes les renseignements utiles concernant les familles en difficulté et pour s’impliquer auprès d’elles. Quand c’est nécessaire, ils procèdent opportunément à des rappels à l’ordre, à la suite d’incivilités ou de faits mineurs susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la salubrité et à la sécurité publiques. Depuis longtemps, ils sont conscients que, dans le domaine de la sécurité, la coproduction est non seulement inévitable et manifeste, mais aussi profitable à tous.

En réalité, il s’agit de bien redéfinir les compétences de chacun, ainsi que les moyens mis à disposition, ni plus ni moins !

Les contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, les CLSPD, constituent des outils importants de cette coproduction. Ils sont pourtant trop souvent envisagés par l’État comme des contrats lui permettant de négocier son propre retrait. S’il est inutile de les rendre obligatoires, comme le prévoit la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, il conviendrait néanmoins de les rendre plus efficaces.

Or les expériences divergent sur ce point. Les CLSPD fonctionnent très bien, ou très mal, souvent même pas du tout. Le facteur humain joue pour beaucoup dans cette situation, car les relations entre, notamment, élus, fonctionnaires de police et de justice, gendarmes, travailleurs sociaux et éducateurs ne sont pas spontanées. Ces mondes se côtoient et travaillent trop souvent sur les mêmes sujets sans parfois se croiser. C’est une culture nouvelle qu’il faut mettre en place, chaque service de l’État ou des collectivités locales ayant intérêt à connaître les actions menées par les autres : tout cela prendra du temps.

Voici donc, en résumé, le rôle que devrait jouer l’État : impulser une politique nationale, la financer à hauteur suffisante pour que les collectivités locales soient en mesure d’assurer l’égalité des citoyens en matière de sécurité et de faire respecter le droit de toute personne à la sûreté, tant celle-ci est au cœur du pacte républicain. Avouez, monsieur le secrétaire d’État, que nous en sommes loin aujourd’hui ! (Mmes Alima Boumediene-Thiery, Éliane Assassi et M. Jean-Michel Baylet applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule à mon intervention, je souhaitais saluer l’initiative du groupe du RDSE. Toutefois, après avoir entendu Jean-Michel Baylet, je me garderai de le faire. En effet, au lieu de traiter le sujet sur le fond, notre collègue s’est livré à une attaque en règle contre Christian Estrosi. Je m’empresse de le dire, je n’ai pas du tout apprécié, comme certains autres membres de la majorité, les propos qu’il a tenus cet été. Pour autant, ces paroles ne méritent pas, selon moi, que l’on y consacre, depuis la tribune du Sénat, l’intégralité d’une intervention sur un débat aussi essentiel.

Les propos des orateurs qui m’ont précédé l’ont démontré, en tant qu’élus locaux de terrain, quelle que soit notre appartenance politique, nous rencontrons tous les mêmes difficultés. Nos analyses sont donc, le plus souvent, identiques, ma propre intervention en témoignera.

J’ai souhaité que ce débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité me permette – c’est en tout cas mon but – d’attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent certaines communes pour faire face au problème de la sécurité, de plus en plus crucial pour nos concitoyens.

Ce droit à la sécurité, d’ailleurs reconnu dès 1789 comme un droit fondamental par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est devenu, au fil des années, un enjeu majeur de notre société.

L’enjeu est majeur non seulement pour l’État, puisqu’il s’agit d’une compétence éminemment régalienne, mais aussi pour les communes, dont les élus se trouvent en première ligne, confrontés, au quotidien, aux demandes de leurs concitoyens, lesquels attendent d’eux, dans ce domaine comme dans les autres, des résultats, sans se soucier ni de leur pouvoir réel – cela soulève d’ailleurs une vraie question – ni des moyens dont ils disposent.

Si, en matière de prévention, le rôle du maire s’est continuellement élargi ces dernières années, puisqu’il est désormais au cœur des dispositifs partenariaux, il n’en est pas moins vrai que la population, comme l’État, lui en demande toujours plus, dans un champ qui déborde maintenant la prévention ou les fameux pouvoirs de police, tels qu’ils étaient conçus voilà vingt-cinq ans, c’est-à-dire avant la création ex nihilo des premières polices municipales.

Rassurez-vous, en disant cela, je ne méconnais nullement les textes et je ne souhaite absolument pas une confusion des rôles des polices municipales et nationale. Je me contente de faire le constat d’une lente évolution de la situation.

Ayons l’honnêteté de le reconnaître, tant du côté de l’État que de la population, au travers des outils que sont les polices municipales ou la vidéosurveillance, on a largement souhaité que les collectivités locales aillent bien plus loin que le simple travail de prévention assumé jadis.

Certes, le fait de se doter d’une police municipale ou d’un système de vidéosurveillance reste un choix politique dans la main des élus locaux, et nul n’est encore obligé de s’inscrire dans cette logique.

Toutefois, pour beaucoup d’élus, dans ce domaine comme dans bien d’autres, nécessité finit par faire loi, et ce n’est pas tant par principe que par réalisme qu’ils prennent la décision de créer une police municipale ou d’équiper leur commune de caméras.

Ceux qui sont conduits à prendre de telles décisions le font parfois au détriment d’autres services à la population ou au prix d’un accroissement de la fiscalité locale, tout simplement parce qu’ils ne disposent pas de moyens budgétaires suffisants.

À titre d’exemple, monsieur le secrétaire d’État, je citerai le cas d’une commune de 21 000 habitants, située en plein cœur de la Seine-Saint-Denis, qui consacre près de 800 000 euros par an à payer quinze policiers municipaux et douze agents de surveillance de la voie publique, alors que son potentiel financier est inférieur de 25 % à la moyenne de la strate.

Cette somme représente près de 20 % du produit de la part communale de la taxe d’habitation et près de cinq fois le montant de la dotation de solidarité urbaine qu’elle perçoit. C’est considérable !

À ces dépenses de personnel s’ajoutent bien évidemment l’entretien des locaux, des véhicules et des matériels. Au total, amortissements compris, la dépense avoisine le million d’euros, alors que l’autofinancement net de cette commune dépasse péniblement 1,5 million d’euros par an.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette commune est la mienne. Cet exemple personnel me permet de vous affirmer que le choix, éminemment politique, de consacrer 20 % du produit de la taxe d’habitation à la sécurité publique, je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur, et encore moins par idéologie.

J’ai fait ce choix parce que ma ville ne dispose pas d’un commissariat de police. (Mme Éliane Assassi lève les bras au ciel.) Elle dépend en effet de celui de la ville voisine de Bondy, où la situation est tellement plus difficile que nous avons parfois le sentiment de « passer après », quelle que soit d’ailleurs l’activité de la police nationale, que je ne critique pas.

Oui, parce que la situation se dégradait, parce que la pression de la population était forte, mais aussi à la demande de l’État, nous avons renforcé nos moyens et nous consacrons désormais des sommes très importantes, j’allais dire trop importantes au regard de nos ressources, à la sécurité.

Monsieur le secrétaire d’État, alors que ce débat porte sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité, j’ai choisi d’utiliser les quelques minutes dont je dispose pour développer cet exemple et vous convaincre, du moins je l’espère, que nous ne pouvons pas en rester là.

Au nom de l’égalité républicaine, au nom du droit à un même niveau de sécurité sur toutes les parties du territoire national, l’État doit prendre en compte, dans le calcul des dotations aux collectivités locales, l’effort budgétaire qu’elles réalisent et, pour tout dire, qu’on leur demande pour concourir à la sécurité publique.

Il n’est en effet pas normal de demander à des communes qui rencontrent déjà des situations difficiles de contribuer à leurs frais, sans contrepartie véritable, au cofinancement de cette mission éminemment régalienne.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Philippe Dallier. Certes, l’État attribue maintenant des subventions d’investissements pour l’équipement en vidéosurveillance. Mais rappelons, à la suite de notre collègue Charles Gautier, que cela se fait par le biais d’un prélèvement sur le produit des amendes de police, qui constituait précédemment une ressource des collectivités locales, et que les sommes allouées ne couvrent bien évidemment pas les dépenses de fonctionnement, lesquelles sont récurrentes.

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Philippe Dallier. Ainsi ma commune percevait-elle, il y a cinq ans, 120 000 euros sur les amendes de police. Depuis l’année dernière, cette somme a été divisée par deux et n’atteint plus que 60 000 euros. Pour la mise en place de mon système de vidéoprotection, on m’a attribué quelque 100 000 euros. C’est dire si l’un ne compense pas l’autre ! À mon sens, il faudra faire en sorte que l’État couvre les dépenses de fonctionnement.

Le million d’euros que je dépense, chaque année, aux Pavillons-sous-Bois, à la sécurité, je préférerais le consacrer aux missions de prévention dont la ville à directement la responsabilité, au développement du soutien scolaire, du sport et de la culture, à tout ce qui peut effectivement permettre aux jeunes d’échapper à la spirale infernale de l’échec scolaire, du chômage, de la marginalisation et, pour certains, au basculement dans la délinquance. Aujourd’hui, en l’état actuel, je ne le peux pas !

Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les points que je souhaitais évoquer ce matin en appelant de mes vœux une évolution rapide de la situation. Il s’agit moins, vous l’aurez compris, de revoir la répartition des rôles entre les différents acteurs – ce n’est pas le plus urgent – que de prendre en compte, dans les dotations de l’État, l’effort croissant imposé aux collectivités locales par la force des choses.

Aujourd’hui, et chacun le comprend, la politique de sécurité publique ne peut qu’être une politique partenariale. Encore faut-il donner aux collectivités les moyens de remplir les missions que l’État et nos concitoyens attendent d’elles, sans aggravation de la pression fiscale locale, sans préjudice pour les autres politiques dont elles assument principalement la charge. (MM. René Garrec et Louis Nègre applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour analyser le partenariat institutionnel qui s’est élaboré, au fil des ans, entre les acteurs locaux et l’État dans la perspective d’une coélaboration de la politique locale de sécurité.

Ces partenariats, qui fondent aujourd’hui une enceinte de dialogue adaptée aux problématiques de sécurité, traduisent la volonté partagée de l’État et des acteurs locaux d’aborder les questions de sécurité de manière coopérative, permettant ainsi la définition d’orientations et de stratégies communes.

L’élaboration d’une stratégie commune suppose une mutualisation des ressources, des moyens et des savoir-faire, ainsi qu’une coordination toujours plus poussée permettant de « coller » le plus possible aux réalités et aux contraintes locales.

Ces partenariats sont aujourd’hui nombreux : conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, CLSPD, groupe local de traitement de la délinquance, GLTD, contrat local de sécurité, CLS, et même conseil départemental de prévention, CDP. Leur objet est de coproduire de la sécurité en tenant compte des réalités locales.

Si j’ai souhaité intervenir dans ce débat, c’est non pas pour remettre en question l’utilité de ces partenariats, qui est évidente, mais pour évoquer l’échec des modalités de cogestion de la sécurité en termes opérationnels.

En effet, pourquoi les partenariats locaux ne fonctionnent-ils pas ? La première réponse que l’on peut apporter est simple : ces partenariats ne fonctionnent pas en raison d’une pression toujours plus forte de l’État, qui traduit une volonté de reprise en main des quartiers et des questions de sécurité au niveau national. Le paradoxe est flagrant : alors que, sur le plan local, l’État encourage la mise en place de dispositifs de prévention de la délinquance, à l’échelon national, il met en œuvre une orientation de plus en plus sécuritaire, qui se traduit localement par un dessaisissement des acteurs locaux.

Si le maire est, sur le papier, celui qui pilote la politique de sécurité sur le plan local, d’un point de vue opérationnel, la concertation est en fait biaisée par une prédominance des représentants de l’État.

Comment parler de partenariat, lequel suppose une égalité des acteurs, de tous les acteurs, dans la mise en œuvre d’une politique locale de sécurité, lorsque les partenariats sont animés par le préfet ou par le procureur de la République, sur la base de statistiques fournies par le ministère de l’intérieur ?

Comment parler de partenariat lorsque certains partenaires tels que les associations, les transporteurs, les bailleurs sociaux, les commerçants, les travailleurs sociaux sont évincés du processus de coélaboration, alors même que leur expertise, leur fine connaissance du terrain et leur dévouement seraient une plus-value fondamentale ?

M. Roland Courteau. Tout à fait !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Comment parler de partenariat lorsque le ministère de l’intérieur intensifie ses interventions dans la rénovation urbaine des cités et dans les choix d’urbanisme effectués dans les quartiers, alors que ces domaines relèvent pourtant de la politique de la ville ? Selon une circulaire en date du 6 septembre 2010, la dimension sécuritaire doit constituer un critère du projet de rénovation urbaine et l’étude de sécurité qui est proposée est conduite par des policiers et des gendarmes. Comment, dans ces conditions, parler de partenariat ?

Dans la réalité, la recentralisation s’est accentuée depuis 2006. Si la circulaire du 4 décembre 2006 relative aux CLS qualifie les partenaires de cocontractants, la loi du 5 mars 2007 pose le principe d’une nécessaire compatibilité des actions de prévention conduites par les collectivités territoriales avec le plan de prévention arrêté par le préfet, représentant de l’État dans le département. Ainsi, les préfets peuvent aller jusqu’à bloquer les permis de construire qui ne tiennent pas compte de leurs recommandations, notamment de la priorité qui doit être donnée au déploiement de caméras de surveillance. Pourtant, aujourd’hui encore, l’efficacité de la vidéosurveillance fait débat, y compris parmi les experts.

Cette conditionnalité traduit une réduction des moyens, mais aussi de l’autonomie des élus locaux. Cette autonomie était, il faut le dire, bien plus importante dans le cadre des politiques de prévention et de tranquillité publique menées dans les années quatre-vingt.

La circulaire du 22 juillet 2010 est venue renforcer le malaise puisqu’elle dicte aux préfets de surveiller les dispositifs de prévention de la délinquance mis en œuvre par les maires. La situation devient cocasse : le préfet est, dans le même temps, partenaire, donc égal cocontractant, et maître d’école qui surveille les devoirs de ses élèves et donne des notes. (M. Roland Courteau sourit.) En droit, ces contrats asymétriques portent un nom : ce sont des contrats léonins ou des contrats d’adhésion !

Comment parler de partenariat lorsque, sur une logique de concertation, se greffe une logique de centralisation ? Il n’y a pas de coélaboration lorsque l’État reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre !

Le résultat est inquiétant : loin d’être le pilote de la politique locale de sécurité, le maire devient, en quelque sorte, le supplétif de l’État dans la mise en œuvre à l’échelon local du plan national de lutte contre la délinquance.

C’est dans ce contexte que les responsables locaux ont récemment fustigé le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes. Une enquête qui a été conduite par le Conseil national des villes auprès des cinquante-trois coordonnateurs de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, représentant plus de 160 communes, révèle que 77,3 % des coordonnateurs interrogés s’inquiètent d’un retour en arrière et d’une perte de sens de la gouvernance locale et que 60,3% d’entre eux soulignent la baisse significative des moyens financiers, qu’il s’agisse du Fonds interministériel de prévention de la délinquance ou des fonds issus des contrats urbains de cohésion sociale.

Au cœur de cette réduction se trouve la prédominance du financement de la vidéosurveillance, qui atteint 85 % des financements du Fonds interministériel de prévention de la délinquance. On présente la vidéosurveillance comme un outil de protection, comme une solution à la délinquance alors que son efficacité, je le répète, est encore contestée, y compris par les experts. Nous savons en effet qu’elle ne remplacera jamais la relation humaine.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Partout, pourtant, l’État somme les collectivités de se doter de dispositifs de vidéosurveillance. Dans le même temps, il réduit les effectifs de la police et de la gendarmerie : 6 701 équivalents temps plein supprimés en 2009 et 2010.

Aujourd’hui, l’État doit prendre ses responsabilités, cesser d’alimenter un double discours qui consiste, d’un côté, à se dire partenaire des élus locaux et, de l’autre côté, à les pointer comme responsables de la délinquance, voire à envisager des sanctions à leur encontre s’ils refusent de mettre à jour leur CLSPD, comme le souhaite Christian Estrosi, ministre en exercice du Gouvernement ! Ce dernier laisse en effet entendre que les élus locaux seraient responsables de l’échec des politiques du Gouvernement !

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a cassé la dynamique partenariale au profit d’une dynamique autoritaire qui ressemble à la politique de la carotte et du bâton !

Ne l’oublions jamais, la réussite du processus local de lutte contre la délinquance repose avant tout sur l’élu local, perçu par nos concitoyens comme extérieur à la machine étatique. Il n’est pas un monstre froid, déconnecté des réalités et gavé de statistiques improbables ; non, il est au cœur des villes et des villages, se substituant parfois même à un État défaillant. Pour mener à bien sa mission, il a besoin de marges de manœuvre et de moyens, tant humains que financiers !

La loi du 5 mars 2007 n’a aucune valeur si elle ne s’accompagne pas de moyens humains et matériels pour la rendre opérationnelle.

Au mois d’août, M. Sarkozy déclarait encore que la prévention de la délinquance était indissociable de la lutte contre la criminalité. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, reconnaissiez que la démarche de sécurité était une priorité, mais que le « tout sécuritaire » ne fonctionnait pas.

Dans votre rapport sur la prévention de la délinquance juvénile, vous allez même jusqu’à indiquer qu’il n’y a pas de fatalité. Et pour lutter contre cette délinquance, vous proposez … d’enseigner le métier de parent : ce n’est pas très sérieux. Cette idée, qui n’est pas nouvelle, est en outre contradictoire. En effet, dans votre contrat de responsabilité parentale, vous sanctionnez, vous dévalorisez, vous fragilisez économiquement les parents alors qu’il faudrait les aider à supporter leurs problèmes quotidiens, leur exclusion, alors qu’il faudrait les soutenir, les valoriser aux yeux de leurs enfants !

Vous parlez de jeunes en souffrance, mais si des jeunes sont en souffrance, c’est parce que leurs parents sont eux aussi en souffrance !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous constatez le décrochage scolaire, qui, il est vrai, aggrave les difficultés, mais vous réduisez les moyens alloués à l’éducation nationale. Pourtant, à l’instar de Victor Hugo, je l’affirme, fermer une école, c’est ouvrir une prison.

De plus en plus, on réduit les effectifs de policiers, on diminue les personnels présents dans les écoles, on supprime des postes, on déshumanise la lutte contre la délinquance, on donne moins aux maires, moins aux enseignants et on leur demande toujours plus : voilà la philosophie du Gouvernement en matière de politique locale de sécurité. C’est à ne plus rien y comprendre. Le Gouvernement conduit une politique contradictoire qui, avouons-le, nous laisse sans réponse. En revanche, nous sommes sûrs qu’elle ne constitue pas une bonne manière de remédier aux problèmes qui se posent. (MM. Roland Courteau et Charles Gautier ainsi que Mmes Éliane Assassi et Anne-Marie Escoffier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir organisé ce débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité. Je vous prie d’excuser Brice Hortefeux, retenu par des obligations impérieuses. Il m’a demandé de le représenter dans ce débat, ce que je fais bien volontiers. Il s’agit en effet, vous le savez, de questions qui me tiennent particulièrement à cœur, non seulement en qualité de membre du Gouvernement, mais également, comme plusieurs d’entre vous, en qualité d’élu local.

Monsieur Baylet, j’ai écouté avec attention votre propos tout en nuances… (MM. Louis Nègre et Philippe Dallier sourient.) Permettez-moi de revenir sur vos critiques ad hominem à l’encontre de mon collègue Christian Estrosi. De tels sujets peuvent, c’est bien normal, susciter des désaccords quant aux réponses à apporter, à la manière d’exercer ses responsabilités, locales ou nationales. Mais nous travaillons tous dans le champ républicain, auquel vous êtes, je le sais, très attaché, au même titre que Christian Estrosi. Ce dernier, croyez-le bien, est très engagé dans toutes les actions qu’il mène, que ce soit au sein de son ministère ou comme maire de Nice. Je connais moi-même le monde des villes pour avoir, pendant quelques années, présidé l’Association des maires de grandes villes de France.

La question de la compatibilité entre un portefeuille ministériel et un mandat local important est une vraie question, qui s’est déjà posée à plusieurs reprises. J’ai moi-même été confronté à cette situation jusqu’à récemment.

Au-delà du débat, qui est légitime, il faut faire la part des choses et respecter le choix de chacun, quels que soient par ailleurs les majorités ou le Gouvernement en place. Ce n’est pas une question nouvelle. En tout cas, je remercie les intervenants qui ont su faire la part des choses.

Plusieurs d’entre vous, notamment sur les travées de l’opposition, ont évoqué le « tout sécuritaire ». Lorsque j’entends cette expression, que d’aucuns se plaisent à relayer, j’ai parfois l’impression d’être dans un film tant ce discours ne correspond pas à la réalité que je vis au niveau tant de l’action gouvernementale que de nos implications respectives sur le plan local.

Deux jours après son discours de Grenoble, auquel plusieurs d’entre vous ont fait allusion, le Président de la République me demandait d’élaborer un rapport sur la prévention de la délinquance juvénile, rapport que je lui ai remis hier. (M. le secrétaire d’État brandit un exemplaire de ce rapport.)

Je puis vous assurer que le chef de l’État et moi-même partagions la même conviction bien avant la polémique de l’été. Et cette conviction était déjà celle de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur, et la mienne quand j’étais maire et parlementaire de l’opposition. La réussite durable d’une vraie politique de sécurité est moins liée à l’équilibre de cette politique qu’à son imbrication étroite avec une politique de prévention de la délinquance. Au fond, il s’agit d’une seule et même politique.

On assiste à l’émergence des maires qui, toutes tendances confondues, jouent un rôle de plus en plus important dans les politiques de sécurité, le président du Forum français pour la sécurité urbaine le sait bien. Ce faisant, au-delà des problèmes de moyens qu’ils doivent surmonter, ils donnent parfois l’exemple à l’État, montrent qu’il faut apporter des réponses transversales, impliquant tous les acteurs. Cela s’inscrit dans l’esprit des contrats locaux de sécurité.

J’y vois aussi la démonstration qu’il n’y a plus aujourd’hui, à quelques exceptions près peut-être, des maires réputés sécuritaires ou non sécuritaires, préventionnistes et rien d’autre. Tout marche ensemble, non pas dans la confusion mais dans la clarté, dans l’efficacité, dans un partenariat qui, au fil des ans, s’est renforcé avec l’État.

Là aussi, il faut raison garder.

J’en parle avec beaucoup de conviction, parce que ce sont des questions sur lesquelles je me suis beaucoup impliqué pendant plus de vingt ans, à travers les majorités successives. Ce que je peux dire, c’est que, au fil des ans, à l’instar de ce qui se passe ailleurs en Europe – vous participez également au Forum européen pour la sécurité urbaine, monsieur Charles Gautier –, l’implication des territoires, tous systèmes institutionnels confondus, a été croissante, et c’est bien normal qu’il en soit ainsi.

Après avoir écouté vos interventions – j’évoquerai certaines d’entre elles à la fin de mon propos –, permettez-moi d’abord de revenir sur le fond du sujet.

Évoquer la sécurité, c’est faire référence au droit à la sûreté, ce droit inaliénable et imprescriptible de l’homme, selon les termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est, monsieur Baylet, un bien commun de la République et des Français. Nous pouvons au moins partager ce point.

Ainsi, comme Brice Hortefeux l’a déclaré devant vous lors de la discussion du projet de LOPPSI, la sécurité est d’abord l’affaire de l’État. Là aussi, nous sommes d’accord. Dans cet esprit républicain, garantir la sécurité des Français constitue un devoir de l’État, et s’inscrit au cœur même de notre pacte social. La sécurité est due partout, elle est due à tous.

Mais la sécurité, c’est aussi l’affaire de tous. Chacun a un rôle à tenir dans la bataille – c’est une bataille de chaque jour, même si elle est pacifique. Elle est de la responsabilité de tous les élus – je viens de le dire, ce n’est pas une affaire d’opposition, de majorité, de gauche ou de droite, c’est une affaire d’intérêt général –, mais elle est aussi de la responsabilité des services des collectivités locales, des agents de sécurité privée, des citoyens eux-mêmes, qui, dans le respect du rôle de chacun, doivent se sentir concernés et rester vigilants.

Il n’y a pas, d’un côté, l’État et, de l’autre, les collectivités territoriales, agissant séparément et juxtaposant leur action. La lutte contre la délinquance – je reprends les termes de Brice Hortefeux que je fais miens – est une guerre qui exige une mobilisation générale et permanente, non contre des personnes, mais contre un phénomène qui pourrit notre société, remet en jeu la cohésion sociale et nationale, rend beaucoup plus difficile le travail d’insertion que plusieurs d’entre vous, sur l’ensemble de ces travées, ont évoqué. C’est bien de cela qu’il s’agit ; il ne faut pas avoir peur de le dire.

Premièrement, le Gouvernement est attaché, tout comme vous, au respect de la libre administration des collectivités locales.

À ce propos, je voudrais rappeler brièvement quelques vérités simples.

La première vérité est que, rarement dans l’histoire de la République, les maires n’ont disposé d’autant de prérogatives qu’aujourd’hui – le Président de la République s’y est également fortement impliqué – pour participer à la mobilisation en faveur de la sécurité des Français.

Les pouvoirs dévolus au maire en matière d’ordre public sont clairement énoncés à l’article L. 2211-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance… ». Nous sommes attachés à cette définition des pouvoirs du maire. Le Gouvernement l’a régulièrement démontré au fil des ans.

Il en est ainsi des polices municipales – je ne développe pas cet aspect, car le projet de LOPPSI prévoit de renforcer les moyens juridiques dont disposent les agents de police municipale –, de la vidéoprotection, de la prévention de la délinquance. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet, et avant de caricaturer mon propos, prenez le temps de lire mon rapport.

Mme Éliane Assassi. Je ne caricature pas vos propos !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Vous ne le lirez pas : voilà un bel esprit républicain !

Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’invite tous ceux qui sont de bonne foi à se tenir informés sur cette question qui nous préoccupe tous. Je remercie d’ailleurs M. Charles Gautier d’avoir été présent à nos Assises, auxquelles ont participé des élus de droite et de gauche, ainsi que des professionnels de tous horizons. Nous avons eu un véritable débat. Nous avons partagé, pour l’essentiel, le diagnostic, exprimé des désaccords et trouvé des terrains d’entente. C’est l’esprit de mon rapport.

Que ce rapport suscite, ici ou là, des désaccords, voire des polémiques – d’ailleurs, souvent à partir de propos qui n’y figurent pas… –, je peux le comprendre, et cela fait partie du débat républicain ; mais caricaturer le travail que j’ai effectué comme vous l’avez fait à l’instant… (Mme Éliane Assassi s’exclame.) J’avais l’impression que vous parliez d’autre chose ! Je vous rappelle que j’ai procédé à une soixantaine d’auditions, rencontré des élus, y compris ceux de votre tendance politique. Le débat que nous avons eu avec eux, madame Assassi, ne relevait pas de cette caricature. Je tenais à vous le dire aimablement,…

Mme Éliane Assassi. Pas franchement !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. … mais fermement, car mes convictions sont en jeu.

Nous disposons là de quelques pistes qui montrent bien que les collectivités, les mairies ont toute leur place dans ce travail. La loi du 5 mars 2007 a établi le cadre nécessaire. Elle a constitué un progrès important. Je me souviens qu’à l’époque les associations d’élus, notamment celle que je présidais, de toutes sensibilités, je peux en témoigner, avaient été largement consultées sur ce texte. Cette loi a également établi le cadre légal nécessaire pour organiser et développer cette politique : échange d’informations, prise en charge et responsabilisation des familles, lutte contre l’absentéisme scolaire.

En réponse à ces avancées, certains, notamment dans l’opposition, proposent, semble-t-il, de revenir en arrière. Ce fut le cas concernant la vidéoprotection lors de la discussion du projet de LOPPSI. Je pose la question : où est la cohérence d’un discours par lequel, d’un côté, on réclame le droit pour les collectivités territoriales à mener des politiques locales et, de l’autre, on en récuse les moyens ? D’aucuns auraient-ils des difficultés à définir une politique cohérente en matière de sécurité ?

Ceux qui, comme moi dans ma ville, se sont engagés très tôt dans la vidéoprotection n’ont pas pris part au débat idéologique, n’ont jamais raconté à leurs concitoyens que c’était la solution à tous les problèmes, n’ont jamais dit qu’il n’y avait pas à avoir une attention particulière par rapport à d’éventuels effets pervers de cette technologie, mais ont expliqué qu’il était possible de les juguler et de réguler. Aujourd’hui, c’est tout simplement un levier parmi d’autres, que beaucoup développent dans des communes de toutes tailles et de toutes sensibilités. Je reviendrai sur la question des moyens évoquée par M. Dallier dans quelques instants.

Deuxième vérité, derrière ces contradictions et, parfois, ces polémiques se cache une réalité simple : de très nombreux maires, quelle que soit leur sensibilité, mettent en œuvre des solutions nouvelles qui mêlent la prévention sociale et des dispositifs d’ordre public. C’est d’ailleurs une des leçons du rapport que j’ai présenté hier au Président de la République : beaucoup d’innovations, à côté du travail remarquable d’un certain nombre de grandes administrations de l’État, y compris du ministère de la justice auquel j’appartiens comme secrétaire d’État, ont été apportées, qui, en termes d’échange de bonnes pratiques – c’est notamment le travail du Forum que vous présentez –, sont évaluées et étendues lorsqu’elles fonctionnent, et servent souvent d’inspiration, y compris à des politiques publiques. Vous en avez vous-même fort bien témoigné tout à l’heure, monsieur Nègre, d’une manière très concrète.

Beaucoup de maires ont pris la peine de participer, dans cet esprit, au recensement lancé par Brice Hortefeux le 22 juillet dernier et concernant les mesures prises par les maires en matière de prévention de la délinquance. Ils l’ont fait parce qu’ils savent que le sujet est important. Le Gouvernement rend hommage à leur engagement.

Ces maires sont comme les autres : ils affrontent souvent des situations très dures, et ils ne restent pas les bras ballants – c’est également votre cas, mesdames, messieurs.

Ils innovent, prennent les problèmes à bras-le-corps, mettent en œuvre des actions de prévention de la délinquance. Quand il n’y a pas d’autre issue, les maires attendent également de l’État qu’il y ait une sanction, et comptent beaucoup sur la relation avec la justice. C’est ce qui permet à notre société de marcher sur ces deux jambes.

Je pourrais citer de nombreuses villes de toutes tendances – la mienne ou Orléans, Nice, Lyon, Dijon, votre ville, Cagnes-sur-Mer, monsieur Nègre, ou d’autres encore, dont les vôtres, messieurs Dallier et Charles Gautier – qui organisent la prévention, mais qui n’hésitent pas non plus à faire appel aux moyens opérationnels comme les polices municipales ou, pour certaines d’entre elles – je ne sais pas ce que vous faites chez vous, monsieur Charles Gautier –, la vidéoprotection qui facilitent le travail des forces de l’ordre.

Ces choix sont bien la preuve que l’on peut tout à la fois mener des actions de prévention auprès des individus et des familles et prévoir en même temps des moyens supplémentaires pour lutter contre la délinquance, en complémentarité avec les moyens de l’État.

Je conclurai ce point par un constat éloquent : dans des communes qui ont connu des violences urbaines, une des premières décisions des maires concernés, toutes tendances confondues, a été de mettre en place simultanément les outils d’ordre public et des instruments de prévention sociale, ou, lorsqu’ils existaient déjà, de les compléter et de les renforcer.

Cela montre que nous n’avons pas besoin d’un énième colloque pour savoir ce qu’il faut faire pour que les maires contribuent à la lutte contre la délinquance. Ils savent ce qu’ils ont à faire, et le Gouvernement les soutient. S’agissant de la prévention, nous avons eu un colloque le 14 octobre dernier, les Assises de la prévention de la délinquance juvénile à la Cour d’appel de Paris, lequel a, me semble-t-il, rempli son office.

La troisième vérité est que les services de l’État sont mobilisés avec les élus locaux pour mettre en œuvre des actions volontaristes de prévention de la délinquance dans les départements.

Mesdames Boumediene-Thiery et Escoffier, ce gouvernement a mis en place le 2 octobre 2009 un plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes qui a permis une relance de la concertation au plan local, avec la mise à jour des plans départementaux de prévention de la délinquance en relation avec les maires.

Près de 700 conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance en France, ce n’est pas rien. Plus de 300 contrats locaux de sécurité, ce n’est pas rien non plus. Je pourrais également citer les partenariats mis en place avec les élus locaux pour appliquer les sept plans nationaux de lutte contre la délinquance, décidés par M. le ministre de l’intérieur, par exemple pour repérer les personnes âgées qui ont besoin d’une protection adaptée, ou pour sécuriser les transports en commun.

Deuxièmement, ce partenariat doit être organisé pour être efficace. On ne peut pas réclamer en même temps plus d’État dans la sécurité et dénier à l’État la capacité d’assurer la cohérence de la politique de sécurité.

Le rôle de l’État en matière de sécurité ne se limite pas à l’allocation de moyens. L’État doit s’assurer de l’efficacité de la politique de sécurité au service des Français, partout et pour tous.

Comme Brice Hortefeux l’a déclaré l’été dernier à Toulon, le Gouvernement mène quotidiennement un dialogue constructif avec les maires, parce que le combat contre la délinquance est collectif.

Dans un dialogue, il faut être deux. L’État a une politique, certains maires l’approuvent, d’autres non. Ce dialogue doit avoir une seule fin : répondre aux Français qui attendent de nous des résultats.

Ces résultats, monsieur Charles Gautier, le Gouvernement les obtient. Faut-il le rappeler, après une hausse historique de près de 18 % entre 1997 et 2002 – souvenez-vous des débats que nous avions à l’époque, y compris au sein de la majorité –, la délinquance a baissé de 14,4 % entre 2002 et 2009,…

Mme Éliane Assassi. C’est faux !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. … grâce à l’action du Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République. Concrètement, en 2009, la délinquance était ainsi revenue à son niveau de 1997. Ces efforts ont été poursuivis puisque, sur les neuf premiers mois de l’année 2010, la délinquance globale baisse encore de 3,4 %.

Il est important de le rappeler, puisque vous avez évoqué ce point, monsieur Charles Gautier. Le remettre en cause, comme cela a lieu régulièrement, ne correspond pas à la réalité. Dire cela ne veut pas dire que nous en avons fini avec cette bataille, d’où l’engagement que j’évoquais tout à l’heure. Mais ces résultats nous montrent que nous devons continuer dans cette direction, en amplifiant, en améliorant encore, mais sûrement pas en reculant, en renonçant ou en mettant tout à plat.

J’ajoute, en remerciant M. Louis Nègre pour son engagement parlementaire et en tant que maire, au service de la sécurité des Français, que les violences aux personnes ont augmenté de seulement 1 % sur un an, entre octobre 2009 et septembre 2010, avec même, pour la première fois, une baisse cet été. Ce défi des violences aux personnes est un combat difficile, mais nous sommes sur la bonne voie.

Quant aux effectifs, comme Brice Hortefeux aura l’occasion de vous le redire, tout est fait pour maintenir la capacité opérationnelle du ministère de l’intérieur. Le ministre a ainsi fait en sorte qu’en 2011 autant de policiers et de gendarmes soient opérationnels, c’est-à-dire sur le terrain, qu’en 2010. Les réductions nettes d’emplois, soit 308 postes sur la mission « Sécurité », qui représentent 0,2 % des effectifs de policiers et de gendarmes, seront concentrées sur les services d’état-major ou de soutien.

Par ailleurs, il faut rappeler que les moyens de la lutte contre la délinquance sont divers. Il faut certes des effectifs en suffisance, mais l’amélioration sensible du taux d’élucidation depuis 2002 tient aussi à l’utilisation des moyens de police technique et scientifique et des bases de données informatisées, et à une nouvelle organisation des services.

Ainsi, l’État remplit ses obligations. Il continuera de le faire en assumant ses choix, notamment celui d’apporter un soutien particulier aux initiatives des élus locaux en matière de sécurité, à condition bien sûr qu’elles soient cohérentes avec la politique engagée par le Gouvernement. Monsieur Baylet, il n’y a pas, d’un côté, l’État qui ferait bien et, de l’autre, les maires qui feraient mal ; il existe une concordance de vues entre l’État et beaucoup de communes, même si, naturellement, des désaccords peuvent subsister avec certaines d’entre elles. À cet égard, Brice Hortefeux et moi-même sommes animés d’un esprit de dialogue et de partenariat.

Un certain nombre d’entre vous ont évoqué le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD. Je rappelle qu’il a été créé en 2007 et que, auparavant, il faisait parfois cruellement défaut – je peux d’ailleurs en témoigner à titre personnel, en tant qu’ancien maire.

La réalité de ce fonds, quelle est-elle ? En 2010, la dotation du FIPD a atteint 49,1 millions d’euros, soit un montant équivalent à celui de 2007, voire même légèrement supérieur si l’on intègre les reports de crédits. L’effort financier de l’État est donc soutenu et il est maintenu.

Il est vrai que la vidéoprotection a pris une part importante dans le fonds, pour atteindre 30 millions d’euros, ce qui représente non pas 75 % de sa dotation, mais 60 %. Il faut réaffirmer ce choix, conforme aux souhaits formulés l’an dernier par la Haute Assemblée, et qui a permis de soutenir financièrement six cent vingt projets communaux de vidéoprotection sur la voie publique. Toutefois, n’oublions pas non plus les 19,1 millions d’euros restants – une somme importante ! –, dévolus à hauteur de 6,1 millions d’euros aux actions des communes et à hauteur de 13 millions d’euros aux associations, qui ont permis de soutenir près de deux mille projets.

D’ailleurs, dans le rapport que j’ai remis hier au Président de la République, je propose que l’on clarifie progressivement la répartition entre les sommes de ce fonds affectées aux investissements réalisés en matière de vidéoprotection et celles qui sont destinées à soutenir ces projets communaux ou associatifs.

Monsieur le président, puis-je disposer de quelques minutes supplémentaires ?

M. le président. Je vous en prie, monsieur le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur le président. Je voudrais surtout m’assurer d’avoir effectivement répondu à toutes les questions intéressantes et pertinentes que vous avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je vous remercie, monsieur Dallier, d’avoir souligné la pertinence du soutien que je viens d’évoquer. J’ai bien entendu votre observation sur le coût pour les communes du fonctionnement de la vidéoprotection, ce qui pose d’ailleurs la question plus générale des difficultés rencontrées par certaines communes, confrontées à de réels problèmes sur le terrain. Évidemment, la vidéoprotection ne constitue que l’un des exemples des choix que les collectivités sont amenées à faire.

Je veux rappeler simplement que deux dispositions du projet de LOPPSI, défendu par Brice Hortefeux, donneront de nouveaux moyens aux communes pour gérer la vidéoprotection au meilleur coût.

Vous avez également évoqué la réforme des amendes de police, dont l'Assemblée nationale a débattu dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011. Vous aurez donc très prochainement l’occasion de défendre vos positions sur ce sujet dans cet hémicycle, monsieur le sénateur. Pour connaître un peu ce dossier, je pense que les nouvelles propositions d’augmentation des tarifs des amendes, qui n’ont pas bougé depuis vingt-quatre ans, permettront aussi d’accroître la masse budgétaire à répartir entre les collectivités et l’État. Je ne préjuge rien, mais je pense que le curseur devrait se situer entre 11 et 20 euros. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que vous ferez entendre votre voix dans ce débat, qui s’annonce fort intéressant, monsieur le sénateur.

Comme je le disais, l’application de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, en particulier celle des mineurs, est, avec le déploiement de la vidéoprotection, l’axe majeur de l’intervention de l’État au côté des communes.

Je manque de temps pour développer ce sujet qui me tient à cœur et qui fait l’objet du rapport que j’ai remis hier au Président de la République.

Je rappelle simplement que, depuis vingt ans, la délinquance des mineurs a augmenté de 118 % en France, tous gouvernements confondus. C’est un vrai problème, d’autant qu’un certain nombre de pays européens dans lesquels je me suis rendu n’ont pas connu une progression similaire.

On constate cependant que, dans les communes où des actions importantes ont été menées depuis des années – vous avez parlé de votre ville, monsieur Louis Nègre, je pourrais évoquer la mienne ou d’autres encore –, cette délinquance a diminué, parfois même fortement. Il n’y a donc pas de fatalité. C’est aussi l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction de mon rapport, dont les conclusions sont parfaitement conformes aux orientations du ministre de l’intérieur.

Au passage, pour répondre à la caricature qui a été faite de la démarche d’Éric Ciotti sur les contrats de responsabilité parentale, je précise qu’il fait partie des élus, de droite comme de gauche, que j’ai auditionnés pour préparer mon rapport. Après avoir minutieusement examiné la démarche expérimentale et innovante qu’il a initiée avec ces contrats, j’en ai conclu que ces derniers se différenciaient des maisons de parents ou des stages parentaux déjà existants par la réponse personnalisée qu’ils apportent. Sur les cent quarante-cinq premiers contrats qu’il a mis en œuvre au niveau de son département, jamais il n’est allé jusqu’à la suspension ou la mise sous tutelle des allocations familiales. Il faut simplement que cette possibilité existe pour que, dans certains cas – je l’ai vécu dans ma propre commune, et je ne me situe pourtant absolument pas dans une logique de stigmatisation –, les familles acceptent le soutien que nous pouvons ensuite leur apporter à tous les niveaux. Dans ce domaine, il convient de se méfier des caricatures.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à une baisse durable de la délinquance par des moyens nouveaux comme l’usage de la vidéoprotection et la prévention situationnelle que l’État souhaite associer les communes.

C’est à une action concertée et résolue contre les délinquants, par la coordination des polices municipales et des forces de sécurité intérieure, que l’État propose aux maires de participer.

En effet, l’État n’est pas en opposition avec les collectivités territoriales sur la question de la sécurité. Le Président de la République et le Gouvernement l’ont montré, par leur action et par la confiance qu’ils placent dans l’action des collectivités territoriales.

L’État a le devoir d’assurer la cohérence de la politique de sécurité, qui ne peut être la simple collection de politiques locales autonomes.

Je précise enfin à Mme Assassi qu’il est erroné d’affirmer qu’il n’y a pas de recrutements dans la police. Les concours organisés en 2009 ont permis de recruter 5 740 fonctionnaires en 2010.

Mme Éliane Assassi. Tout ça pour ça !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’ai déjà eu l’occasion de vous répondre tout à l’heure sur d’autres aspects de votre intervention, madame la sénatrice. Mais j’avais aussi un message à vous faire passer au nom du Gouvernement.

Je vous remercie à nouveau, monsieur le président, de m’avoir permis de prolonger de quelques minutes mon intervention. (MM. Philippe Dallier, René Garrec et Mme Anne-Marie Escoffier applaudissent.)

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur le rôle de l’État dans les politiques locales de sécurité.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que l’auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.

dispositions sur le logement dans la lodeom

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin. (M. Yvon Collin applaudit.)

M. Daniel Marsin. Ma question s'adresse à Mme la ministre chargée de l'outre-mer.

Madame la ministre, tout en affirmant la priorité du logement social outre-mer, la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a bouleversé les dispositifs de défiscalisation de la loi Girardin, notamment en programmant le tarissement du financement de la production de logements libres et intermédiaires.

Pour quel résultat aujourd’hui ? Un blocage total de la situation : en Guadeloupe, peu de logements construits en 2009 et 2010, l’activité du bâtiment et travaux publics en chute de plus de 35 % en deux ans, détruisant plus de 2 800 emplois et affectant plus de 5 000 familles, vingt-quatre plans sociaux en cours d’élaboration et plus de 20 000 demandeurs de logements sociaux en attente ! On assiste ainsi à l’agonie de la seule activité locale non délocalisable pourvoyeuse d’emplois et au naufrage certain de l’économie guadeloupéenne ! Le coup de rabot porté sur les niches fiscales risque d’aggraver encore la situation en 2011.

Cela ne peut plus continuer, madame la ministre ! Le Gouvernement doit débloquer de toute urgence la situation !

La procédure de défiscalisation est opaque, longue, sinueuse et périlleuse. C’est un véritable parcours du combattant pour les opérateurs immobiliers, qui espèrent obtenir l’avantage fiscal et la subvention prévue au titre de la ligne budgétaire unique, la LBU.

Ces opérateurs se retrouvent, d’une part, face à la complexité de la détermination de la base défiscalisable avec les nombreuses exclusions et, d’autre part, confrontés à la lenteur et au durcissement de la délivrance de l’agrément par Bercy, fragilisant ainsi leur santé financière et bloquant la construction de plus de 7 000 logements pour 2010 et 2011, dont 2 600 pour la seule Société immobilière de Guadeloupe.

Mais les incertitudes ne s’arrêtent pas là : le financement du logement social peut-il bénéficier à la fois de la défiscalisation prévue par la LODEOM et de la subvention prévue au titre de la LBU ? Votre circulaire du 1er juin 2010 n’a bien sûr pas clarifié la situation. Le recours à la LBU doit bien rester le socle du financement du logement social – et non un dispositif d’aubaine –, comme l’a souhaité le législateur en 2009.

Pour sortir la Guadeloupe de cette paralysie, il est urgent de prendre les bonnes décisions, madame la ministre, surtout en termes de clarification des règles du jeu et d’opérationnalité. Dès lors, que comptez-vous faire ?

En tout cas, agissez vite, car, vous le savez, les investissements se font maintenant, lors du dernier trimestre de l’année. L’inaction conduirait à reporter encore d’un an le lancement des programmes et à porter un coup fatal au logement social et à toute l’économie en outre-mer, rendant la relance plus longue et, surtout, plus chère, avec tous les risques, notamment sociaux, qui en découlent. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée de l’outre-mer.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le sénateur Daniel Marsin, vous avez raison, la loi pour le développement économique des outre-mer a réorienté la défiscalisation du logement libre vers le logement social, et ce pour trois raisons.

Premièrement, le logement libre a incontestablement porté un préjudice à la construction de logements sociaux.

Deuxièmement, les prix se sont envolés, notamment le prix du foncier.

Troisièmement, on ne peut pas accepter de ne pas construire de logements sociaux, car cela reviendrait à priver nombre de nos compatriotes de conditions de vie décentes.

La circulaire du 1er juin 2010, dont vous avez fait état, ne remet nullement en cause le principe du financement cumulé de la ligne budgétaire unique et de la défiscalisation. Cette circulaire précise que nous pouvons financer les opérations avec trois sources de financement.

Première source, la ligne budgétaire unique, qui est le socle du financement du logement social en outre-mer. J’en veux pour preuve le nombre de dossiers beaucoup plus important en 2010, puisque l’enveloppe engagée aujourd’hui s’élève à 140 millions d’euros, à comparer aux 71 millions d’euros pour la période précédente.

La deuxième source de financement est la défiscalisation et sur ce point, compte tenu des besoins, M. le Premier ministre a souhaité que le coup de rabot de 10 % ne s’applique pas au logement social.

La troisième source de financement – c’est l’objet de votre question – est le cumul de la ligne budgétaire unique et de la défiscalisation. Si le cumul n’est pas interdit au regard de la loi, vous avez raison, l’application de ce cumul LBU plus défiscalisation ne peut être systématique parce qu’il serait contraire à la loi et à son esprit. Cette procédure doit rester exceptionnelle et ne doit pas permettre de financer des opérations de logements sociaux à 2 300 euros le mètre carré alors que, un an avant la défiscalisation, les bailleurs sociaux pouvaient le faire à 1 600 euros le mètre carré.

Nous sommes vigilants, mais pour autant j’ai bien conscience que les bailleurs sociaux ont aujourd’hui des difficultés compte tenu de la complexité du montage de ces opérations. Nous avons pris des mesures de simplification et nous les accompagnons pour que demain, en Guadeloupe, les opérations soient financées de manière juste et correspondant vraiment au coût des opérations. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Réforme du crédit à la consommation et lutte contre le surendettement

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Certaines dispositions de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation sont entrées en vigueur le 1er  novembre dernier.

Le Gouvernement avait proposé un texte très largement inspiré des différentes propositions de loi sur ce sujet. Je rappellerai simplement que j’avais déposé une proposition de loi dès 2006, puis une autre en novembre 2008, avec mes collègues Muguette Dini et Michel Mercier.

Quatre années se sont écoulées depuis ! Nous avons perdu quatre ans en quelque sorte… pendant lesquels la situation n’a cessé de se détériorer ! En effet, 2,6 millions de Français sont surendettés et leur nombre a augmenté de 15 % entre septembre 2008 et septembre 2009.

Madame la ministre, je sais bien que sur ce sujet le Gouvernement est tiraillé entre deux impératifs : l’un moral, qui inconsciemment vous dicte de lutter de la manière la plus efficace possible contre le surendettement et, l’autre économique, qui vous incite à ne pas casser le moteur de la croissance poussé par la consommation, dont le crédit est l’un des carburants.

Nous sommes favorables au crédit à la consommation, mais tout à fait hostiles au laxisme dans sa distribution, qui plonge des emprunteurs dans la spirale infernale du surendettement et à des taux souvent prohibitifs.

Le texte ne résout cependant pas tous les problèmes.

Bien sûr, je me réjouis de l’entrée en vigueur de l’avertissement de la responsabilité de l’emprunteur sur les publicités proposant des crédits.

Cependant, je souhaite savoir dans quelle mesure vos décrets permettront de prévenir d’autres causes de la spirale du surendettement.

Que comptez-vous faire concernant les taux prohibitifs de certains crédits à la consommation, qui avoisinent ou dépassent parfois 20 %, alors que le marketing affiche « officiellement » des taux très bas, mais pour des sommes très limitées ?

Si la loi prévoit, pour les établissements prêteurs, l’obligation de consulter le fichier national qui recense les « emprunteurs défaillants », vos décrets peuvent-ils améliorer la responsabilisation des établissements prêteurs, sociétés de crédit, en les rendant directement caution des emprunts souscrits par un emprunteur figurant dans ce fichier ?

Je vous remercie de nous apporter des réponses qui permettront d’atténuer à l’avenir les difficultés des emprunteurs et de regagner leur confiance. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, Mme Christine Lagarde m’a tout d’abord chargée de vous demander de bien vouloir l’excuser et de vous remercier de nouveau de vos contributions à l’élaboration de la loi de juillet portant réforme du crédit à la consommation, réforme rendue particulièrement nécessaire en raison de la crise.

Comme vous le savez, depuis cette semaine, depuis le lundi 1er novembre, les mesures de la loi destinées à accompagner les personnes surendettées sont applicables. La durée des plans de surendettement est réduite de dix ans à cinq ans. La durée d’inscription des personnes concernées au fichier des incidents de remboursement est réduite de dix ans à cinq ans et, dès lundi, ce sont 120 000 personnes qui sont sorties du fichier et qui vont pouvoir retrouver une situation normale.

Par ailleurs, la loi accélère les procédures de surendettement, procédures qui durent longtemps avec quel gâchis familial et social ! La Banque de France a désormais trois mois au lieu de six pour décider de l’orientation des dossiers et la durée de 95 % des procédures de rétablissement est réduite de dix-huit mois à six mois.

La loi suspend les voies d’exécution parce que la procédure de surendettement est une procédure non pas de harcèlement, mais bien au contraire de règlement des difficultés. Dans le même esprit, la loi impose aux banques d’assurer la continuité des services bancaires. Voilà une nouvelle étape.

Mais depuis le 1er septembre, vous le savez, monsieur le sénateur, la loi portant réforme du crédit à la consommation a encadré la publicité et le marketing, que vous avez cité. À partir du 1er mai prochain, la loi introduira des sécurités à l’entrée dans le crédit pour prévenir le surendettement dans l’esprit de responsabilisation que vous avez souhaité : les banques auront l’obligation de vérifier la solvabilité des candidats à l’emprunt ; les magasins auront l’obligation de proposer le choix entre un crédit renouvelable et un crédit amortissable et les mensualités sur un crédit amortissable devront obligatoirement comprendre un remboursement minimum en capital.

Avec ces mesures législatives et leurs décrets d’application, la loi Lagarde encadrera, en effet, le crédit à la consommation pour empêcher les abus et les excès sans pénaliser pour autant la consommation qui, comme vous l’avez rappelé, est l’un des moteurs de notre croissance et de la lutte pour l’emploi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)

Réforme de la garde à vue

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 30 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a censuré un certain nombre de dispositions concernant la garde à vue dans notre pays.

Il y a trois semaines, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour le même motif.

Voilà quinze jours, la Cour de cassation a également jugé que notre procédure était illégale.

Aujourd’hui même, la Cour européenne des droits de l’homme vient de nouveau de condamner la France,…

M. Roland Courteau. Ça commence à faire beaucoup !

M. Alain Anziani. … pour des violences commises sur un mineur lors d’une garde à vue qui, il est vrai, remonte à quelques années.

Pendant des années, la Chancellerie nous a expliqué qu’il n’y avait rien à voir et que, au fond, dans le meilleur des mondes, la garde à vue était tout à fait acceptable.

Madame le garde des sceaux, vous avez – je vous en rends hommage – proposé un nouveau texte que vous avez déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Je reconnais qu’il comporte des avancées, notamment le fait – paradoxal – de rétablir le droit au silence que la loi Perben II avait supprimé en 2004. Ce nouveau texte institue également le droit à l’assistance d’un avocat.

Pourtant, il me semble que vous réformez à regret et je voudrais vous en donner trois exemples.

Le premier est simple. Vous voulez diminuer le nombre de gardes à vue – 800 000 par an actuellement, soit 1 % de la population – …

M. Guy Fischer. Du jamais vu !

M. Alain Anziani. … et pour cela vous inventez une « garde à vue light » que vous dénommez pudiquement « audition libre ». Mais dans cette cure d’amaigrissement, la personne commence par perdre ses droits, notamment son droit à être assistée d’un avocat.

Deuxième exemple : qui peut être placé en garde à vue ? Vous nous proposez de placer en garde à vue seulement les suspects susceptibles d’une peine d’emprisonnement. Dans un rapport récent, le Sénat note que la plupart des pays sont plus réservés : en Allemagne, il faut au minimum six mois d’emprisonnement ; en Italie, trois ans ; en Espagne, cinq ans. S’il vous plaît, faites encore un effort pour relever ce seuil !

Troisième exemple, enfin, est-il normal que ceux qui risquent le plus soient ceux qui disposent du moins de droits ?

Bien entendu, il faut lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Mais nous devons le faire en respectant les libertés fondamentales, comme nous y invitent les juridictions précitées.

Madame le garde des sceaux, ma question est simple : allez-vous faire évoluer ce texte pour éviter à la France d’être de nouveau condamnée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur Anziani, il y a, d’un côté, des décisions que bien sûr je respecterai, qui sont celles du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, et, de l’autre, des décisions qu’il ne faut pas mal interpréter.

Je vous rappelle en particulier que la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme portait sur des conditions d’audition d’un témoin qui n’étaient effectivement pas acceptables mais pour lesquelles des textes ont déjà été adoptés. Cette condamnation concerne donc une situation juridique bien antérieure à la situation que nous connaissons actuellement.

Avant tout, il faut noter qu’un nouveau régime de la garde à vue doit être mis en place avant le 1er juillet prochain. À cet égard, j’ai d’ores et déjà déposé un projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale, texte qui sera examiné ensuite par le Sénat.

À l’instar de tous les projets de loi que j’ai présentés, nous avons essayé de le rédiger le mieux possible, mais il fera l’objet de discussions et d’amendements ; comme d’habitude, je serai très ouverte aux amendements.

Pour autant, certains éléments très précis sont inscrits dans le texte que je propose, à savoir le droit au silence et le droit à l’assistance d’un avocat – que vous avez rappelés –, ainsi que les conditions de la détention, avec l’interdiction des fouilles intégrales. Ce droit à l’assistance d’un avocat constitue une grande avancée, puisque c’est une assistance continuelle. Il ne s’agit cependant pas d’augmenter le nombre de gardes à vue.

Le texte prévoit de recentrer la garde à vue sur son véritable rôle : faire avancer une enquête sans prendre le risque que la personne soupçonnée disparaisse ou fasse disparaître des preuves. C’est ce qui va nous permettre de réduire considérablement le nombre des gardes à vue, surtout si l’on tient compte du fait que les personnes ayant commis certaines infractions routières et étant placées en cellule de dégrisement ne feront plus l’objet d’une garde à vue.

Aux termes du texte proposé, une personne est placée en garde à vue lorsqu’il y a risque d’emprisonnement. C’est une logique. Le texte exclut donc toute garde à vue si la personne n’encourt pas une peine privative de liberté. Pour autant, faut-il aller plus loin, comme vous le suggérez, monsieur le sénateur ?

Cela signifierait que la mise en garde à vue serait impossible pour les auteurs d’un certain nombre d’infractions telles que des soupçons d’attouchement sexuel ou d’entrave syndicale, alors que l’on a précisément besoin, dans ces cas, de recueillir un certain nombre de renseignements pour mener l’enquête ! Je doute que ce soit cela que vous souhaitiez. Nous en discuterons.

De la même manière, il ne me semble pas absolument obligatoire de mettre en garde à vue, pendant douze heures, une jeune femme qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un Monoprix. Ce délit très simple exige juste de recueillir quelques renseignements. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

réforme des retraites

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Éliane Assassi. Ma question s'adresse à M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

Le débat portant sur la réforme des retraites a, de toute évidence, montré que vos préférences allaient au MEDEF (Exclamations sur les travées de lUMP.) plutôt qu’à la concertation avec les organisations syndicales.

À preuve : alors qu’elle a été adoptée par le Parlement, votre réforme montre que les salariés ont tout à perdre, tandis que le patronat et les hyper-riches ont tout à gagner puisqu’ils ont obtenu que celle-ci soit financée quasi exclusivement par les travailleurs.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. René-Pierre Signé. C’est dommage !

Mme Éliane Assassi. Pendant que vous maintenez le gel des cotisations patronales, vous obligez les salariés à travailler jusqu’à 62 ans, et ce sans que le niveau des pensions soit revalorisé. Pis, avec les décotes, il baissera !

Pendant que vous permettez aux actionnaires de continuer à multiplier les dividendes qu’ils perçoivent, vous repoussez à 67 ans l’âge permettant à un salarié de bénéficier d’une carrière à taux plein, à condition qu’il puisse justifier de 41,5 annuités de cotisations. Autant dire que c’est impossible !

Pendant que vous affirmez sauver les retraites par répartition, vous multipliez les mécanismes de retraite par capitalisation, comme l’exigeaient d’ailleurs les banques et les assurances, qui ne rêvent que d’une chose : mettre la main sur les 230 milliards d’euros de retraites que gère la sécurité sociale…

Mme Éliane Assassi. … et sur lesquels elles veulent tant spéculer !

Pendant que vous affirmiez de manière mensongère conserver la solidarité intergénérationnelle, votre majorité adoptait ici même, au Sénat, un amendement prévoyant un basculement prochain de notre système de retraite de répartition vers un système par points, qui n’obéit qu’à une règle : le chacun pour soi.

Ce double discours, nos concitoyens l’ont si bien compris que la mobilisation ne faiblit pas et la colère est grandissante. C’est d’autant plus vrai que le Président de la République lui-même a été contraint d’annoncer qu’il avait entendu les « inquiétudes, souvent légitimes exprimées sur la réforme des retraites » et qu’il prendrait « des initiatives le moment venu pour y répondre ».

Si les inquiétudes de nos concitoyens sont légitimes (Mme Janine Rozier manifeste son impatience.), c’est bien que les solutions que vous proposez ne le sont pas ! Dès lors, nous avons une proposition toute simple à vous faire : la non-promulgation de la loi (Exclamations sur les travées de lUMP.) et l’ouverture immédiate d’une grande consultation nationale sur les retraites (Mme Janine Rozier manifeste de nouveau son impatience.) au sein de laquelle les organisations syndicales auraient naturellement toute leur place !

Monsieur le président, voici ma question. (Marques de satisfaction sur les travées de l’UMP.) Monsieur le Premier ministre, nos concitoyens vous enjoignent d’agir maintenant. Entendez-vous, comme ils le réclament, demander au Président de la République de ne pas promulguer la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Madame la sénatrice, les Français ont tout à gagner à la réforme des retraites (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.),…

Mme Éliane Assassi. Plutôt tout à perdre !

M. Jacques Mahéas. Ils sont tous d’accord !

M. Éric Woerth, ministre. … parce que c’est le sauvetage du régime de retraite de tous les Français. Et il faut bien que tous les Français, selon leurs capacités, fassent un effort pour que ce sauvetage ait lieu.

M. René-Pierre Signé. Ils n’en sont pas persuadés !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous pratiquez la langue de bois, monsieur le ministre !

M. Éric Woerth, ministre. Ils doivent faire un effort sur l’âge et un effort financier, en contribuant plus au financement du régime de retraite. Ainsi, ceux qui gagnent plus participeront à hauteur de 4 milliards d’euros ; …

M. René-Pierre Signé. C’est peu !

M. Éric Woerth, ministre. … les entreprises financeront également la solidarité à l’intérieur de notre système de retraite pour un montant de 4 milliards d’euros.

M. René-Pierre Signé. Ce sont les salariés qui paient !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas de financement ; il y a un trou !

M. Éric Woerth, ministre. Nous avons élaboré cette réforme ensemble, après des semaines de discussions,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais non ! Vous allez devoir faire une nouvelle réforme !

M. Robert Hue. C’est l’hommage du vice à la vertu !

M. Éric Woerth, ministre. … au cours desquelles chacun a exposé ses propres idées, et vous y avez participé activement – je n’emploierai pas d’autre qualificatif ! –, avec beaucoup de sérieux. (Marques d’ironie sur les travées de lUMP.) Bien que nos idées nous opposent, nous devrions au moins pouvoir nous mettre d’accord sur un point : …

M. Éric Woerth, ministre. … à un moment donné – et peut-être devrons-nous le faire régulièrement –, nous ne devons pas hésiter à modifier certaines règles qui régissent notre système de retraite. Tous les pays le font.

M. René-Pierre Signé. Si on les modifie, c’est que les règles ne sont pas bonnes !

M. Éric Woerth, ministre. Quand on vit plus longtemps,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On va vivre moins longtemps maintenant !

M. Éric Woerth, ministre. … il est naturel de repousser l’âge de la retraite, car le système de retraite est le miroir de la vie.

Avec ce système de retraite que nous avons conçu, avec cette réforme telle que nous l’avons voulue, telle que le Président de la République l’a souhaitée et telle qu’elle a été portée par le Premier ministre,…

M. David Assouline. Et le MEDEF !

M. Éric Woerth, ministre. … nous avons voulu que l’on travaille un peu plus longtemps, tout en intégrant, dans le même temps, des droits nouveaux, tels que le droit à la pénibilité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. René-Pierre Signé. À l’invalidité plutôt !

M. Guy Fischer. C’est la poussière sous le tapis !

M. Éric Woerth, ministre. Nous avons voulu permettre aux personnes qui ont vécu des périodes professionnelles plus dures que les autres de pouvoir partir plus tôt à la retraite.

M. Guy Fischer. Parlons-en !

M. Didier Boulaud. C’est vrai que c’est pénible de vous écouter ! (Sourires.)

M. Éric Woerth, ministre. Nous avons fait en sorte de prolonger la loi Fillon sur ce que l’on appelle les « carrières longues », des dispositions étant d’ores et déjà inscrites dans la loi pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, dispositions que vous n’aviez d’ailleurs pas votées ! Pourtant, il est juste de considérer qu’une personne ayant commencé à travailler avant dix-huit ans puisse partir plus tôt. Ainsi, ce sont 20 % des Français qui continueront à partir à 60 ans ou avant.

M. Guy Fischer. Il faut travailler jusqu’à 70 ans !

M. Éric Woerth, ministre. Cette réforme est profondément juste et elle l’est d’autant plus qu’elle sauve le régime de retraite par répartition.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle ne sauve rien du tout ! Vous avez déjà prévu une autre réforme en 2013 !

M. Éric Woerth, ministre. Il n’y a pas de capitalisation. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Le seul risque de la capitalisation serait de ne pas oser sauver le régime de retraite par répartition. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

sommet franco-britannique et traités de coopération en matière de défense

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jacques Gautier. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

Mardi 2 novembre 2010 ont été signés les accords de Londres sur la défense entre la France et le Royaume-Uni.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bonjour l’indépendance nationale !

M. Jacques Gautier. Disons-le d’emblée, ces accords sont dans la logique des choses.

En effet, nos deux nations fournissent, à elles seules, l’essentiel de l’effort de défense européen. L’addition de nos deux budgets dédiés représente la moitié des dépenses militaires et les deux tiers des dépenses de recherche et de technologie. Nos deux nations sont les dernières en Europe à avoir la capacité et la volonté d’effectuer les missions militaires les plus exigeantes et d’en assumer le financement.

M. Jacques Gautier. De plus, elles sont les seules à disposer d’une force de dissuasion nucléaire.

M. René-Pierre Signé. Avec la permission de l’Amérique !

M. Jacques Gautier. Je me félicite donc de ces accords, qui permettront la mutualisation de certains équipements et de certaines formations, ainsi qu’un partage des coûts de la recherche et du développement. C’est l’assurance d’une défense plus efficace sans le renoncement à notre souveraineté.

M. Jacques Gautier. Néanmoins, je m’interroge, ces accords doivent-ils être interprétés comme un coup d’arrêt à l’Europe de la défense, tirant ainsi les conséquences, reconnaissons-le, du faible engagement de nos autres partenaires ? (M. Didier Boulaud s’exclame.)

Ou bien, au contraire, et de façon paradoxale, est-ce une sorte de première application, grandeur nature, d’une coopération structurée permanente, un noyau dur d’États pilotes, que le traité de Lisbonne autorise désormais à aller de l’avant sans attendre l’accord de tous ? L’avenir le dira.

Quoi qu’il en soit, ces accords renforceront-ils, monsieur le ministre, la dissuasion nucléaire dont dispose chacun de nos pays ?

M. David Assouline. Il n’en sait rien !

M. Jacques Gautier. Arriverons-nous, de ce fait, à avoir une position commune au sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Lisbonne dans quelques jours et qui abordera notamment la question cruciale de la défense anti-missile balistique, « complément à la dissuasion », comme nous le défendons, ou « substitut à celle-ci », comme le souhaiteraient nos amis allemands ? (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où est le temps où la France était indépendante ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le sénateur, votre question étant très précise, je tenterai d’y répondre précisément.

M. René-Pierre Signé. Cette question est bienvenue !

M. Bernard Kouchner, ministre. Vous l’avez dit, il s’agit de deux pays amis, partenaires, alliés, européens, qui, ensemble, se sont rapprochés. Un tel rapprochement n’avait pas eu lieu depuis les accords de Saint-Malo.

Mme Nicole Bricq. Exactement !

M. Didier Boulaud. « À Saint-Malo, beau port de mer » !

M. Bernard Kouchner, ministre. Vous l’avez dit, le contexte est aujourd'hui fort différent. Cet accord est-il antieuropéen ? Pas pour la France ! Au contraire, c’est un rapprochement – je l’espère, plus tard, avec d’autres pays –, mais dans le sens de l’Europe.

Votre question concerne la dissuasion nucléaire. Il n’est pas question des autres accords qui concernaient, comme vous l’avez dit rapidement, un certain nombre d’activités qui sont essentielles et qui seront désormais complémentaires, dans le respect absolu, pour la dissuasion nucléaire comme pour ces activités militaires ou la recherche, de la souveraineté nationale. Il est évident qu’il n’y a pas d’automaticité à travailler ensemble.

Pour ce qui concerne la dissuasion nucléaire, vous avez souligné qu’il y avait deux domaines, un domaine d’exploration et un domaine de reproduction en laboratoire. Dans cette perspective, nous travaillerons avec les Britanniques sur le site de Valduc en France.

M. Didier Boulaud. En Bourgogne !

M. Bernard Kouchner, ministre. En effet, c’est très important de le souligner.

De la même manière, pour ce qui concerne les technologies, notamment l’amélioration des ogives ou le tir de missiles en laboratoire, nous travaillerons ensemble en Grande-Bretagne à Aldermaston.

Vous m’avez très précisément demandé quelle sera l’attitude de la France et de la Grande-Bretagne à Lisbonne lors de la réunion de l’OTAN.

Dans une déclaration commune, sur laquelle nous avons longuement travaillé, les deux pays défendront l’idée selon laquelle l’OTAN devra rester une puissance collective nucléaire tant qu’il existera des dangers nucléaires.

Toutefois, il n’est pas question de substituer à cette dissuasion nucléaire quelque défense anti-missile que ce soit, au contraire. Ce dernier projet, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur, doit être vécu comme un complément et non comme un remplacement de la dissuasion.

De toute façon, le désarmement se discute en dehors du cadre du traité de l’Atlantique Nord, dans d’autres enceintes. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

plan social de l'usine molex

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé de l'industrie.

Il y a trois semaines, la direction américaine de l’entreprise Molex a décidé de déposer le bilan de sa filiale française (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) et de la placer en liquidation judiciaire pour « punir » les salariés de Villemur-sur-Tarn, coupables d’avoir osé engager une action devant les prud’hommes destinée, tout simplement, à contester le motif économique de leur licenciement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est scandaleux !

M. Guy Fischer. Patrons voyous, Gouvernement complice !

M. Jean-Jacques Mirassou. Cette décision inadmissible, prise au mépris du droit français, s’accompagne mécaniquement du refus de continuer à financer le plan social, privant les 19 représentants du personnel de leur congé de reclassement et de leurs indemnités de licenciement et frustrant tous les autres salariés de leur formation, ce qui représente, de la part de Molex, un désengagement financier de l’ordre de cinq millions d’euros.

M. Jean-Jacques Mirassou. Or, la semaine dernière, nous avons appris avec stupeur et indignation – les mots sont faibles –, de la part de ceux-là mêmes qui, pendant de long mois, ont tenté de justifier, pour des raisons économiques, la fermeture du site de Villemur-sur-Tarn, une hausse du chiffre d’affaires de l’entreprise de 33 % sur un an, avec, à la clé, une augmentation de près de 15 % des dividendes versés aux actionnaires.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est honteux !

M. Jean-Jacques Mirassou. Un tel cynisme, car c’est le mot qui convient, a provoqué…

M. Guy Fischer. La colère !

M. Jean-Jacques Mirassou. … de vives réactions en Haute-Garonne, et c’est un département tout entier qui vous demande des comptes aujourd'hui, monsieur le ministre, car le Gouvernement a engagé sa responsabilité à travers la signature apposée par Mme Lagarde sur le plan social.

Par ailleurs, faut-il vous rappeler que, le 24 mars 2010, M. Woerth, nouveau ministre du travail, a autorisé, contrairement à la décision prise par l’inspection du travail, le licenciement pour motif économique de ces mêmes 19 représentants du personnel,…

M. Guy Fischer. Scandaleux ! On s’en souviendra !

M. Jean-Jacques Mirassou. … qui se trouvent aujourd’hui dans les plus grandes difficultés ? Vous avez donc, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, une dette morale et sociale imprescriptible à l’égard de ces 19 salariés.

Monsieur le ministre, les mesures que vous avez annoncées à Toulouse l’autre jour n’ont pas rassuré, et le mot est faible, ceux qui vous ont entendu.

M. Jean-Jacques Mirassou. Il est donc urgent et indispensable de répondre à deux questions.

Premièrement, que comptez-vous faire pour assurer la pérennité du plan social et des salaires ?

M. Didier Boulaud. Une table ronde. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Deuxièmement, que comptez-vous faire, sur le plan pénal, pour contraindre les patrons voyous à respecter le droit français et à remettre les choses à l’endroit ? (Mme Odette Terrade applaudit.)

M. Jean-Jacques Mirassou. En effet, au moment où je vous parle, deux représentants du personnel sont convoqués dans les locaux de la police judiciaire à la suite d’une plainte déposée par les mêmes patrons voyous. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et voilà ! La police contre les salariés.

M. Guy Fischer. C’est la criminalisation des syndicalistes !

M. Jean-Jacques Mirassou. Vous conviendrez avec moi, monsieur le ministre, que ce n’est pas le moindre des paradoxes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l'industrie.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Monsieur Mirassou, si je peux partager en partie votre indignation face à l’injustice dont sont victimes 19 salariés de Molex, je ne puis accepter les accusations que vous avez formulées, notamment en ce qui concerne la décision d’autoriser leur licenciement économique. Celle-ci, je vous le rappelle, a été prise par la Direction générale du travail qui, dans ce type d’affaires, se prononce ainsi dans 70 % des cas.

Pour le reste, comme vous le savez puisque je vous invite, depuis près d’un an, à participer à chacun des comités de pilotage que j’organise au sujet de l’avenir de Molex, je m’oppose, d'une part, à ce qu’un seul salarié soit laissé sur le bord du chemin et, d'autre part, à ce qu’on mette un terme à l’activité industrielle à Villemur-sur-Tarn, dans la région Midi-Pyrénées.

J’ai mené le combat au moment où l’on considérait qu’il n’y avait plus rien à faire. Nous avons obtenu que Molex France maintienne une petite partie de ses activités, à travers une société qui s’appelle Villemur-Industrie : le site, qui n’accueillait plus que 15 salariés, en emploie désormais près de 50. Ceux-ci sont soutenus par le Gouvernement, qui a aidé à la signature de nouveaux contrats pour l’entreprise.

Ensuite, un nouvel événement s’est produit : après que des salariés eurent déposé un recours devant les prud’hommes, ce qui était parfaitement leur droit, Molex États-Unis – et ce comportement est inacceptable – a mis sa filiale française en situation de cessation de paiement, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, pour qu’elle ne puisse faire face à ses obligations à l’égard des 19 salariés protégés.

Si 264 salariés sur 283 ont d’ores et déjà touché la totalité de leurs indemnités, nous serons attentifs à ce que ces 19 représentants du personnel perçoivent également les leurs.

C’est la raison pour laquelle je me suis rendu à Toulouse il y a dix jours, pour prendre, au nom du Gouvernement, un double engagement : d'une part, l’AGS, l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, prendra en charge les congés de reclassement pour ces 19 salariés ; d'autre part, l’État lui-même financera la totalité de la cellule de reclassement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

J’ai demandé également à PSA et à Renault d’indiquer très clairement à Molex États-Unis qu’ils n’adresseraient plus de commandes à ce groupe, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de leurs équipementiers, s’il ne respectait pas le droit des salariés en France. Je les remercie d’avoir accédé à la demande du Gouvernement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Molex en tremble encore !

M. Christian Estrosi, ministre. Enfin, un liquidateur a été nommé ce matin par le tribunal de commerce. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Le Gouvernement accompagnera sa démarche en justice dans le cadre d’un recours en responsabilité pour insuffisance d’actifs.

Oui, monsieur le sénateur, lorsqu’on ne respecte pas le droit des salariés dans notre pays le Gouvernement est fondé à mettre en œuvre, avec toute l’énergie nécessaire, les moyens adéquats pour les défendre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le passé, on a souvent vu l’État baisser les droits,… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Didier Boulaud. Oui, vous baissez les droits.

M. Christian Estrosi, ministre. … baisser les bras, veux-je dire. Vous le voyez, aujourd’hui, nous faisons preuve de volontarisme. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

chrétiens d'irak

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Marie-Thérèse Hermange. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Le terrible attentat perpétré contre les chrétiens d’Irak a bouleversé l’ensemble de nos concitoyens, parce que la protection des chrétiens d’Orient est une mission traditionnelle de la France et parce que cet acte a frappé une communauté historique et autochtone qui ne combat que pour vivre en paix chez elle.

En pleine célébration, à la veille de l’une des fêtes des plus solennelles pour les chrétiens, les armes ont parlé. Désormais c’est à une autre parole de s’exprimer : celle de la paix et du dialogue, pour rétablir la confiance et la coexistence civiles.

Aujourd’hui, l’avenir de cette population et, à travers elle, de la démocratie dans ce pays ne peut laisser la France indifférente, compte tenu de la position que nous avons prise dans le débat sur l’intervention militaire en Irak.

Les chrétiens fuient en masse, et la France les accueille chaleureusement. Toutefois, dans la mesure où il s'agit de la sécurité de ces citoyens et du respect des libertés fondamentales, ce débat, nous semble-t-il, doit être porté à un autre niveau, au-delà de la seule hospitalité.

Il doit être porté, tout d’abord, dans la sphère internationale. Ne pensez-vous pas que la saisine de l’ONU, voire de son Conseil de sécurité, s’impose ? La France est-elle prête à y défendre cette parole ?

Il doit être porté, ensuite, à l'échelle européenne. Au moment où l’Union européenne met en place le Service européen pour l’action extérieure, la France est-elle prête à encourager une démarche commune, pour que l’Europe montre sa capacité d’action et défende les libertés fondamentales ?

Il doit être porté, enfin, au niveau irakien. Dans la mesure où ces communautés sont vivantes et liées aux autres, la France doit tout mettre en œuvre pour soutenir le tissu social qu’elles ont constitué.

Ne convient-il pas, dès lors, que notre pays recense les projets de soutien aux écoles, hôpitaux, universités, commerces et entreprises qu’il est susceptible d’aider au travers de l’aide au développement et du commerce extérieur, en liaison avec l’État irakien ?

La présence des chrétiens en Irak est un vecteur de paix pour l’Orient, mais aussi pour le monde. La France, sous l’autorité du Président de la République, est-elle prête à relever ce défi, pour que cette communauté historique et autochtone puisse, tout simplement, continuer à vivre chez elle ? (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la sénatrice, le 31 octobre dernier, c’est un acte odieux et barbare qui a été perpétré. Ce n’était pas le premier, hélas ! en Irak. Il a frappé, dans l’église syriaque de Bagdad, des chrétiens qui assistaient à la messe. Il y eut 50 morts, vous le savez, et le retentissement mondial que cet acte a connu nous impose, une fois de plus, de réagir.

Comment faire ? Tout d’abord, il faut faire face à l’urgence. Ce matin, j’ai reçu les représentants des communautés chrétiennes d’Orient, qui nous demandent de prendre en charge une vingtaine de blessés graves. Nous sommes en train de le faire : ceux-ci seront traités dans les hôpitaux parisiens.

M. Bernard Kouchner, ministre. Cette aide était élémentaire. Que pouvons-nous faire d’autre ? Comme vous l’avez montré à juste titre, madame la sénatrice, et je ne reprendrai pas tous vos arguments à cet égard, les chrétiens font partie de l’histoire de ce pays. Avant le dernier conflit, qui aujourd'hui s’éternise, ils étaient d’ailleurs très nombreux, plusieurs centaines de milliers. Désormais, personne ne peut dire s’ils sont seulement 300 000.

En tout cas, nous ne pouvons, hélas ! les protéger un par un. Aussi, vous avez raison de demander une démarche européenne. Celle-ci sera engagée. J’ai d’ores et déjà demandé que ce sujet soit abordé au plus vite par les vingt-sept pays de l’Union européenne et que Mme Catherine Ashton puisse réagir.

Toutefois, comment faire ? Devons-nous suspendre la coopération avec l’Irak que nous avons engagée ? Celle-ci est tournée très majoritairement, et même presque complètement, vers la formation de la police, des juges et du système judiciaire. Il ne convient donc pas de la supprimer.

Peut-on protéger, comme vous le souhaitez, madame la sénatrice, les écoles chrétiennes, les centres communautaires et les églises ? C’est au Gouvernement irakien de le faire. Nous lui demanderons d’y veiller, mais nous ne pouvons nous en charger nous-mêmes, hélas !

Pouvons-nous nous tourner vers les Nations unies ? Nous nous efforcerons de le faire, en proposant au Conseil de sécurité un débat sur la situation en Irak.

En effet, avec tout le respect que je dois à votre démarche, madame la sénatrice, je suis au regret de vous rappeler que cet attentat n’est pas le premier commis en Irak et que d’autres communautés ont été frappées plus lourdement encore. Je le déplore, mais c’est la réalité. Toutefois, nous formulerons une telle demande à propos de la situation en Irak et nous verrons bien ce qui en résultera.

Sur le fond, il n’est pas question de renoncer à accueillir les chrétiens d’Irak. Brice Hortefeux, Éric Besson et moi-même avons créé depuis 2008 des centaines de places d’accueil dans cette perspective et nous sommes prêts à continuer à le faire.

Toutefois, ce n’est pas la solution. Les autorités irakiennes, ou du moins la communauté chrétienne d’Irak, nous demandent au contraire, comme vous l’avez suggéré, madame la sénatrice, d’engager une démarche internationale, au nom des droits de l’homme et de la liberté de culte. Nous nous y attellerons avec acharnement. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

majorité pénale à seize ans

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. David Assouline. Il parle tous les matins dans Le Figaro !

M. Serge Dassault. Ma question s'adresse à Mme le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Les dispositions générales de l’ordonnance du 2 février 1945 disposent que : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs. »

Or l’évolution récente de la délinquance juvénile est marquée, malheureusement, par une augmentation considérable du nombre des mineurs ayant commis des crimes et délits. Selon les dernières statistiques de la Direction centrale de la police judiciaire, 207 821 mineurs ont été mis en cause pour crimes et délits en 2008.

M. David Assouline. Que fait la police ?

M. Serge Dassault. Alors que, en 1990, 7,2 % des crimes et délits contre des personnes étaient commis par des mineurs, ce taux atteignait, en 2008, près de 16,2 %. En outre, 26 % des viols et 17 % des délits avec coups et blessures volontaires sont perpétrés par des jeunes mineurs.

M. David Assouline. Il y a aussi de vieux voyous !

M. Serge Dassault. Le visage de la délinquance des mineurs a ainsi fortement changé depuis 65 ans, malheureusement. Notre appareil judiciaire devrait adapter ses méthodes et ses règles à cette évolution d’une délinquance dont le caractère est d’autant plus violent que l’impunité est, pour le moment, pratiquement assurée à ses auteurs.

Cette situation est d’autant plus grave que les policiers sont démotivés de façon croissante, à force de voir des mineurs les agresser avec des projectiles de plus en plus dangereux…

M. David Assouline. Tant que ce ne sont pas des Rafales !

M. Serge Dassault. … et ressortir du tribunal libres et sans aucune condamnation.

Les mineurs de 16 à 18 ans, grâce à cette ordonnance, sont manipulés par des majeurs pour effectuer des opérations pour lesquelles ils savent qu’ils ne risquent rien. Cela doit cesser. La sécurité de nos quartiers en dépend.

En outre, plutôt que de les incarcérer dans des centres pénitentiaires, il vaudrait mieux obliger ces jeunes à suivre une formation professionnelle ou les intégrer dans une école de la deuxième chance, afin qu’ils puissent trouver un emploi...

M. Didier Boulaud. Il n’y en a pas !

M. Serge Dassault. ... et vivre normalement.

Si nos jeunes étaient mieux formés à une activité professionnelle dès le collège, dès 14 ans, ils ne sortiraient plus du système scolaire à 16 ans sans aucune formation et ne deviendraient pas des délinquants par inactivité. De fait, l’insécurité diminuerait.

M. Didier Boulaud. Il faut les détecter dès trois ans !

M. Serge Dassault. Ainsi cette proposition sauverait-elle un grand nombre de nouveaux délinquants en leur permettant d’acquérir une formation professionnelle au lieu qu’ils soient abandonnés à leur sort.

Madame la ministre d’État, que pensez-vous de cette proposition ? (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Claude Biwer applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le sénateur, tous les pays européens ont fixé l’âge de la majorité pénale à dix-huit ans, voire plus tard. C’est également ce que préconise la Convention internationale des droits de l’enfant.

Pour autant, le droit français contient un certain nombre de dispositions concernant les jeunes âgés de 16 ans à 18 ans, car il convient de prendre en compte le fait que, psychologiquement, ils ont une plus grande maturité.

M. Didier Boulaud. Même pour parler de la retraite !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Par conséquent, des conditions spécifiques peuvent leur être réservées.

C’est ainsi que, aujourd’hui déjà, pour les jeunes appartenant à cette tranche d’âge, des règles plus sévères ont été fixées en matière de détention provisoire. Des mesures existent également afin de déroger aux dispositions législatives relatives aux peines minimales et à l’atténuation des peines applicables aux mineurs. La possibilité de les soumettre à des règles de procédure plus rigoureuses, notamment la comparution immédiate, est aussi prévue.

Monsieur le sénateur, vous avez également soulevé le problème de la formation. Nous avons créé des centres éducatifs fermés afin d’accueillir ces jeunes, qu’il s’agisse de jeunes mineurs ou de jeunes majeurs.

Les jeunes mineurs sont soumis à une obligation de suivi scolaire. Grâce au concours du ministère de l’éducation nationale, cette formation est assurée par des enseignants.

M. Robert Hue. Ils sont de moins en moins nombreux !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Les jeunes majeurs ont, quant à eux, accès à la formation professionnelle. Cela leur offre un contact avec le monde extérieur : ils réintègrent le centre éducatif fermé à la fin de la journée.

Tel est le dispositif en vigueur qui permet des sanctions plus sévères à l’égard des jeunes de 16 ans à 18 ans.

Pour autant, monsieur le sénateur, je partage votre opinion sur l’ordonnance du 2 février 1945 : notre société a évolué et les mineurs ont changé.

C’est pourquoi, avec des professionnels mais également des parlementaires de la majorité comme de l’opposition, je travaille actuellement à une réforme permettant de rédiger un code pénal des mineurs qui sera discuté devant le Parlement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On commencera à la maternelle !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Les dispositions qui sont pour l’instant à l’étude permettraient notamment de réduire le laps de temps entre l’acte de délinquance commis et le jugement. C’est très important, car nous savons tous que les jeunes oublient très vite et que, pour eux, le temps n’a pas la même valeur.

En outre, cette nouvelle procédure pénale applicable aux mineurs prendra en compte la récidive. Il s’agit là d’une préoccupation majeure.

Cette réforme fera l’objet d’un vaste débat. Il va de soi que ce sujet concerne directement le ministère de la justice, mais la chaîne de la sécurité, la chaîne de la prévention et la chaîne de l’action vis-à-vis des mineurs commence avec la famille et engage aussi l’éducation, la police et la gendarmerie, la justice et les collectivités locales. C’est sur tous ces maillons qu’il faut travailler. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

sous-traitance

M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert.

M. Jean-François Humbert. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé de l'industrie.

Avec plus de 400 000 emplois directs, dont 10 % se trouvent en Franche-Comté, la filière automobile joue aujourd’hui en France un rôle considérable d’entraînement sur les autres secteurs de l’industrie, en particulier à travers l’innovation. Au nombre des secteurs de production pour lesquels la Franche-Comté est bien classée figurent notamment les activités de transformation de tôles, de fils, de tubes, de plastiques ou bien encore de caoutchouc et de boulonnerie-visserie ; autant de secteurs qui interrogent les stratégies de développement des PME et leur organisation.

Les stratégies suivies par les équipementiers et les sous-traitants influent naturellement sur le niveau des emplois.

Ces stratégies dépendent des pressions qu’exercent les constructeurs en matière de qualité, de prix, de taille, d’innovation et, de plus en plus fréquemment, d’internationalisation. Il s’agit pour ces derniers de disposer d’un réseau de sous-traitants dotés de fortes capacités d’innovation et en mesure de fournir des sous-ensembles complets. De plus en plus complexe et sophistiqué, le produit automobile évolue rapidement. Au cours des années quatre-vingt-dix, les PME ont ainsi été confrontées à des évolutions sans précédent.

Des inquiétudes s’expriment aujourd’hui quant aux perspectives du marché automobile. Ces inquiétudes, nous le savons, ne peuvent être minorées, car l’industrie automobile représente en France 15 % de la recherche et développement et 10 % de la population active. Le marché automobile européen devrait en effet connaître un recul significatif au cours des prochains mois.

Si les grands équipementiers profitent du dynamisme des marchés émergents, la situation d’autres sous-traitants reste inquiétante et les difficultés structurelles demeurent. La baisse d’activité risque ainsi de fragiliser des PME dont le niveau de rentabilité et de trésorerie peut être faible, voire insuffisant.

Les questions de taille critique, d’aptitude à faire face à la pression qui s’exerce sur les prix et au renchérissement du coût de l’énergie et des matières premières se posent avec une exceptionnelle acuité.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelle est la situation réelle du marché automobile français et, surtout, quelle action le Gouvernement entend mener pour continuer à protéger les sous-traitants et l’ensemble de la filière ? (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Claude Biwer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l'industrie.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, je connais votre engagement en Franche-Comté pour défendre non seulement les constructeurs et l’ensemble des équipementiers mais également les PME et les sous-traitants de notre pays.

Ce n’est pas à vous que je rappellerai le courage du Président de la République (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG) et du Premier ministre, en 2008, au plus fort de la crise. Ainsi, l’État a décidé de prêter 6 milliards d’euros aux deux grands constructeurs automobiles français – onze constructeurs dans le monde, deux en France ! –, de créer le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA, de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement avec OSEO et, surtout, d’instaurer la prime à la casse que tout le monde nous rapprochait mais nos partenaires européens ont fini par suivre notre exemple.

Grâce à ces initiatives, nous avons pu enregistrer en 2009 le record des ventes de véhicules automobiles en France depuis les vingt dernières années : 2,3 millions. Voilà le résultat de la politique du Gouvernement et du Président de la République !

Nous constatons, au dixième mois de l’année 2010, une diminution de 1,4 % du nombre de véhicules automobiles vendus dans notre pays. Autant dire que, même avec cette baisse par rapport à une année record, 2010 reste à un niveau de ventes particulièrement élevé. Il faut toutefois noter une différence fondamentale : alors qu’en 2009 la politique qui prévalait était celle du déstockage, qui ne profitait pas aux sous-traitants puisque aucun composant n’était plus commandé auprès des PME et autres sous-traitants, en 2010 l’heure est à la relance de la production, avec une augmentation de 22 % de cette dernière chez les constructeurs français et de 20 % chez les sous-traitants.

Monsieur le sénateur, vous avez raison : parce que nos PME ont souffert et n’ont pu se moderniser au même rythme que les grands constructeurs ou les gros équipementiers, il nous faut, dans cette période charnière où le secteur automobile sort de la crise, où notre pays a gagné 2 points sur le marché européen, où les parts de marché des constructeurs français représentent plus de 55 % en France, prendre des mesures d’accompagnement.

Je pense à la mise en place du FMEA de rang 2, doté de 50 millions d'euros.

Je pense aussi à l’avenant de 10 millions d'euros signé par Christine Lagarde, Laurent Wauquiez et moi-même et destiné à accompagner les sous-traitants dans leur modernisation, la formation de leur personnel, l’expertise et le diagnostic en vue de leur restructuration.

Je pense encore à l’issue des états généraux de l’industrie, à la décision de nommer un médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance.

Je pense enfin à la mise en place d’un comité stratégique de filière qui impose désormais des règles entre les constructeurs et les sous-traitants. Il s’agit en effet de sortir d’une relation « donneurs d’ordre–sous-traitants », dominants-dominés, au profit d’une véritable relation entre clients et fournisseurs, pour que le « fabriqué » redevienne une réalité chez nos sous-traitants. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Claude Biwer applaudit également.)

M. René-Pierre Signé. On n’a pas les mêmes chiffres !

hôpital public

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Ma question qui s'adresse à vous, madame la ministre de la santé et des sports, concerne la mise en place de la télémédecine, que vous venez d’annoncer à grands renforts médiatiques.

Nous avons été nombreux à être interrogés, notamment par ceux qui, à tort ou à raison, appréhendent une généralisation de ce nouveau type de consultation.

La téléconsultation est particulièrement présentée, par vous-même, madame la ministre, comme étant la solution miracle…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Je n’ai jamais dit cela !

M. Claude Domeizel. … pour compenser l’inquiétante progression des déserts médicaux.

Sur le fond, l’utilisation des moyens modernes de communication est susceptible de jouer un rôle précieux pour améliorer les relations entre les patients et les médecins. Cependant, il est nécessaire qu’il soit répondu aux interrogations légitimes quant à son coût, à son partage, à la responsabilité du praticien et à la confidentialité.

Surtout, il ne faudrait pas se tromper d’objectif : la télémédecine pour aider les praticiens, oui. Mille fois oui. La télémédecine pour remplacer les praticiens, ce serait une erreur grave.

À ce sujet, je note avec regret que les observations essentielles de la CNIL, la commission nationale de l’informatique et des libertés, notamment sur la sécurisation des données de santé et toutes les garanties de confidentialité des données personnelles, n’ont pas été prises en compte.

Au sujet du coût, la télémédecine, pour se développer, doit s’accompagner d’une généralisation des moyens modernes de communication sur les territoires. Le Gouvernement compte-t-il prendre des mesures financières pour couvrir tout le territoire par le haut débit ?

La télémédecine, pourquoi pas ? Mais il est illusoire de penser qu’elle puisse remplacer l’examen clinique. En effet, le médecin peut-il être efficace sans voir, toucher, écouter le patient ? En résumé, la consultation médicale ne peut se passer de la relation humaine dans l’intimité du cabinet médical.

M. René-Pierre Signé. Évidemment !

M. Claude Domeizel. Voyons les choses en face. L’officialisation de la télémédecine met finalement en exergue le vrai problème, le réel problème, plus profond et qui devient de plus en plus préoccupant, celui du non-remplacement en milieu rural des médecins partant à la retraite.

Nous sommes nombreux, dans cette assemblée, à mesurer et à appréhender le vide qui est en train de se créer, jour après jour, sur nos territoires. Tout cela va de pair avec la disparition des services publics de proximité.

Malheureusement, on est en droit de craindre que la télémédecine, contrairement à ce que vous avancez, ne constitue qu’un faible moyen pour juguler ce phénomène, ou pire, si cet encouragement est pensé comme un moyen pour remplacer les médecins disparus de nos territoires.

J’en viens donc à ma question. Madame la ministre, disposez-vous d’autres propositions innovantes et efficaces pour pallier le déficit de médecins dans les secteurs démographiquement défavorisés, et pour offrir partout, comme le prévoit la loi, des soins de qualité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Hue applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé et des sports.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Monsieur le sénateur Claude Domeizel, à part la conclusion quelque peu polémique de votre question, je partage entièrement vos préoccupations.

Le développement de la télémédecine n’a évidemment pas pour objet de remplacer le contact privilégié du médecin et de son malade. Rien ne pourra jamais le remplacer.

Ce que nous constatons, c’est que la télémédecine présente plusieurs modalités : la télé-expertise, comme dans l’échange des données médicales, entre radiologues par exemple, le télé-suivi d’un certain nombre de malades chroniques et la téléconsultation.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’encadrer un certain nombre de pratiques qui sont en train de se développer. En effet, ce n’est pas le décret sur la télémédecine qui instaure la téléconsultation. Cette dernière existe déjà. Il y a un certain nombre de sites payants qui proposent des consultations par internet.

Je veux que ces pratiques soient encadrées, afin que s’y livrent des médecins qui disposent du droit d’exercer la médecine sur le territoire français, et pas sur une plateforme située dans un pays en voie de développement. C’est une garantie absolument indispensable.

Je veux aussi que la télémédecine, qui peut venir en complément de la médecine traditionnelle, de la médecine en face-à-face, soit accessible aux gens modestes. Or, actuellement, c’est un système payant, non-remboursé par la sécurité sociale. Je veux donc faire entrer la téléconsultation dans le champ des activités remboursées par l’assurance maladie.

Vous le voyez, je souhaite encadrer et sécuriser la télémédecine. Bien entendu, les observations de la CNIL sur la sécurisation et la confidentialité des données seront respectées. La télémédecine n’est donc absolument pas destinée à être une solution miracle au problème de la désertification médicale. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

Vous avez vu, à travers la loi « hôpital, patients, santé et territoires » et un certain nombre de mesures prises dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale, que nous avons mis en place des outils pour tenter de résoudre ce problème. Quels sont-ils ? Il s’agit de tout ce qui concerne la formation des médecins, le développement de la filière de médecine générale, l’augmentation du numerus clausus dans les facultés de médecine situées dans les zones sous-denses, l’ouverture de bourses attribuées par les agences régionales de santé pour fixer les étudiants dans les zones sous-denses, les ARS constituées en guichets uniques.

Avec l’aide de Michel Mercier et du ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, nous avons créé des plateformes logistiques pour aider les médecins à s’installer de la meilleure façon et échapper à un cheminement administratif souvent lourd. Nous avons également développé de nouveaux modes d’exercice : les maisons médicales pluridisciplinaires, la coopération de tâches.

Tous ces dispositifs sont en place et je n’aurai garde d’oublier que, dans les zones sous-denses, les médecins bénéficient d’une rémunération supérieure de 20 %, prise en charge par l’assurance maladie.

C’est dans ce cadre que la télémédecine prend sa place, toute sa place, mais rien que sa place. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quinze pour le débat sur les effets sur la santé et l’environnement des champs électromagnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

6

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

7

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, par lettre en date de ce jour reçue de M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement, le Gouvernement rectifie l’ordre du jour de la séance du mardi 9 novembre 2010 comme suit :

Mardi 9 novembre 2010

Le matin, à 9 heures 30, l’après-midi et le soir :

- Conclusions de la commission mixte paritaire…

M. Didier Guillaume. Inacceptable !

M. le président. … sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales ;

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

M. Jean-Pierre Bel. Et voilà !

M. le président. Je vous rappelle que nous avions prévu, conformément au dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution, une séance de dix-huit questions orales mardi matin, que nous sommes donc amenés à reporter.

M. le président. Y a-t-il une opposition ?

M. Jean-Pierre Bel. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, rarement un rappel au règlement n’aura été aussi justifié à mes yeux que celui que je souhaite faire à présent.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, force est de constater que, depuis maintenant plusieurs semaines, et de manière accrue, le Sénat est particulièrement la cible de la frénésie législative du Gouvernement, frénésie qui nous amène aujourd’hui à considérer, en effet, que notre assemblée est véritablement bafouée et désavouée ; ce que nous venons d’entendre et de vivre nous le confirme.

Oui, le Sénat est désavoué sur le fond mais aussi bafoué sur la forme.

Le Sénat est désavoué sur le fond, puisque, en prenant connaissance du contenu de la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, chacun d’entre nous a pu constater que les grands principes qui avaient été rappelés au Sénat, lors de la lecture de ce texte, ont été totalement méprisés par la décision finale, celle de la majorité. À cet égard, je ne voudrais pas être dans la peau d’un certain nombre de nos collègues qui, dans cette enceinte, avaient fait part de leurs états d’âme et, au-delà, de leur conception, de leur vision d’une vraie réforme territoriale pour expliquer pourquoi ils s’opposaient au texte que nous présentait le Gouvernement. (M. Jean-Pierre Godefroy acquiesce.)

On sait dans quelles conditions les choses se sont passées. Notre assemblée, censée représenter les collectivités territoriales, est ici confrontée à un vrai problème. Elle se trouve non seulement prise véritablement en porte-à-faux, mais également confrontée à une offensive de nature à remettre en question nombre de principes sur lesquels nous, sénateurs et sénatrices, nous appuyons.

Mais le Sénat est aussi totalement bafoué sur la forme, puisqu’il est bousculé au gré des desiderata du Prince et d’un calendrier qui me paraît complètement ahurissant.

S’agissant en effet de cette réforme des collectivités territoriales dont la discussion dure maintenant depuis plusieurs mois, nous voyons bien le retard qui a été pris pour arriver à cette « espèce de texte », pardonnez-moi l’expression, je veux dire à ce texte tout à fait incohérent, hybride, injuste, lui aussi, pour les collectivités territoriales, tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire.

On nous disait que le texte devrait être adopté avant l’été ; or nous sommes au mois de novembre et nous attendons encore le vote des conclusions de la commission mixte paritaire. Où est donc l’urgence, monsieur le président ? Quelle est cette urgence au nom de laquelle on impose au Sénat d’inscrire à son ordre du jour la lecture des conclusions de la CMP sur la réforme des collectivités territoriales dès mardi prochain, à 9 heures 30, plutôt qu’à un autre moment ?

Monsieur le président, vous nous avez vous-même rappelé le principe posé par le dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution. Nous avons eu droit à une révision constitutionnelle ayant notamment pour objet de garantir les droits de l’opposition. Il a été décidé, et l’ancien président du groupe UMP aujourd’hui ministre chargé des relations avec le Parlement s’en souviendra, que le mardi matin serait réservé aux groupes pour qu’ils puissent tout simplement se réunir, pour que les sénateurs et sénatrices puissent se concerter afin de décider collectivement des orientations à suivre.

Or, avec l’inscription à notre ordre du jour de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, c’est la seconde fois en quinze jours qu’il nous sera interdit de nous réunir le mardi matin.

Je le répète, quelle était l’urgence pour le Gouvernement d’inscrire la lecture des conclusions de cette CMP à notre ordre du jour le mardi matin plutôt que le mardi après-midi ? D’où émane, au sein de notre république, un tel calendrier qui contraint le Sénat à bousculer ses habitudes, et singulièrement celles des groupes politiques, qui ne peuvent plus travailler comme devraient le faire des groupes politiques dignes de ce nom dans une assemblée digne de ce nom ?

Le président du Sénat aurait eu son mot à dire sur l’ordre du jour. Je souhaite, monsieur le président, que vous lui fassiez part de notre opposition et de notre stupéfaction de voir, chaque jour davantage, le Sénat désavoué et bafoué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Monsieur Bel, je prends acte de votre déclaration, que je ne manquerai pas de transmettre à M. le président du Sénat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, un rappel au règlement se justifie également, puisque mon intervention a trait à l’organisation de nos travaux.

Je veux à mon tour protester et m’opposer à un nouveau coup de force du Gouvernement, le second en quinze jours, sans doute dû à l’impatience du Président de la République de voir consacrer définitivement la véritable Bérézina sénatoriale à laquelle nous avons assisté hier, lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! C’est juste !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chacun sait, en effet, que, si le texte du projet de loi de réforme des collectivités territoriales tel qu’il était issu des travaux du Sénat différait de celui qu’avait adopté l’Assemblée nationale, c’est parce que l’assemblée dont nous sommes membres et qui, aux termes de la Constitution, assure la représentation des collectivités territoriales, avait eu à cœur à tout le moins d’atténuer un certain nombre de dispositions afin de prendre en compte l’immense opposition des élus locaux à cette réforme.

Nous avons donc assisté, en quelque sorte, à un dédit de la part des sénateurs de la majorité par rapport au vote qu’ils avaient émis au Sénat,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … dédit que le Président de la République est sans doute pressé de voir acté par un vote définitif, probablement du Sénat, bien que j’ose encore espérer que tel ne sera pas le cas, et, en tout état de cause, de l’Assemblée nationale.

Quoi qu’il en soit, s’agissant de l’organisation de nos travaux, je constate à mon tour que le Gouvernement nous impose une modification de l’ordre du jour qui nous est particulièrement défavorable, puisqu’elle affecte les réunions des groupes, qui sont, selon le terme que vous affectionnez, « sanctuarisées » le mardi matin. (M. Jean-Pierre Godefroy acquiesce.)

Or ces réunions du mardi matin sont précisément très importantes en ce qu’elles permettent aux groupes de décider de leurs options et de leurs votes. Si la majorité n’a pas besoin de ces réunions, l’opposition, quant à elle, y tient beaucoup.

Au surplus, le calendrier que le Gouvernement nous impose n’a aucune raison d’être. Non seulement l’idée même d’urgence en l’occurrence est dépassée depuis bien longtemps, mais, de surcroît, la réforme ne doit s’appliquer qu’ultérieurement, comme si la majorité elle-même avait peur de l’appliquer. On ne voit donc pas pour quelle raison il serait urgentissime de procéder au vote dès mardi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Gouvernement, représenté ici par Mme la secrétaire d'État et par M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, connaît donc le teneur de ce rappel au règlement, mais je vous demande, monsieur le président, de faire part à M. le président du Sénat, absent, du profond mécontentement que suscite de notre part cette façon de traiter les sénateurs en général, et ceux de mon groupe en particulier, puisque c’est en leur nom que je m’exprime en cet instant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, je ne manquerai pas de transmettre votre déclaration à M. le président du Sénat.

Mme Anne-Marie Escoffier. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais ajouter ma voix à celle de mes collègues. Au nom du président du groupe RDSE, je voudrais aussi faire un rappel au règlement et demander si la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire ne pourrait pas être reportée, dans la mesure où, il est vrai, comme cela a été rappelé, les groupes parlementaires se réunissent traditionnellement le mardi matin.

En l’occurrence, la CMP s’est réunie hier en fin d’après-midi, alors que nous étions nombreux à ne plus être à Paris et en séance. Nous avons donc besoin de davantage de temps pour relire ses conclusions,…

M. Jean-Pierre Sueur. Elles méritent en effet d’être relues ! Il faut que chacun les lise !

Mme Anne-Marie Escoffier. … pour en débattre entre nous, et pour revenir très sereinement en discuter le mardi – si du moins ce jour est retenu –, mais certainement pas à neuf heures trente !

Notre groupe aurait préféré que l’on puisse reporter, ne serait-ce que pour la décaler un peu, la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire. Telle est ma demande, monsieur le président, et je suis sûre que vous voudrez bien la transmettre au président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Madame Escoffier, à quand voudriez-vous reporter cette discussion ?

Mme Anne-Marie Escoffier. Notre vœu serait qu’elle ait lieu mardi en début d’après-midi, pour laisser le temps à notre groupe d’en débattre un minimum auparavant. À défaut, nous pourrions admettre qu’elle ait lieu dans la matinée, mais plus tard, aux alentours de dix heures trente.

M. le président. Je prends note de votre vœu, ma chère collègue.

M. Claude Biwer. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, je voudrais simplement, au nom de la logique du fonctionnement de notre assemblée, préciser que c’est la deuxième fois que l’on reporte la séance de questions orales du mardi, des questions qui pourraient, de ce fait, perdre beaucoup de leur actualité. C’est regrettable !

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est invraisemblable ! Cela n’a pas de sens !

M. Claude Biwer. Cela étant, retarder la discussion des conclusions de la CMP d’une heure n’aurait pas changé grand-chose, mais je ne partage pas la philosophie consistant à dire que les groupes doivent se réunir au préalable ; les uns et les autres savent en l’occurrence ce qu’ils veulent faire. Je laisse donc à chacun sa responsabilité en la matière.

M. Gérard Longuet. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe UMP a en effet, comme l’ensemble des groupes du Sénat, l’habitude de se réunir le mardi matin. Ce n’est pas une disposition de notre règlement, mais c’est une coutume bien confortable, je le reconnais volontiers ; elle permet la coexistence des réunions de groupe avec des séances de questions orales qui revêtent, admettons-le, un caractère un peu marginal.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parlez pour vous !

M. Gérard Longuet. La discussion de ces questions orales est certes utile, elle donne au Sénat une présence supplémentaire dans le Journal officiel, mais les reporter ne compromet en rien la qualité de nos travaux !

Je souhaiterais vivement connaître le point de vue du Gouvernement à ce sujet, et je partage certaines des contraintes qui sont les siennes.

Je suis en désaccord total avec mon collègue Jean-Pierre Bel sur la réforme des collectivités territoriales. Cette réforme a été initiée par le Président de la République, qui en a exprimé la volonté en juillet 2008. Nous avons donc longuement réfléchi, nous avons consulté des comités et, ici même au Sénat, nous en avons débattu à l’initiative de Claude Belot.

Nous avons eu une première lecture, puis une deuxième lecture, puis une commission mixte paritaire. On nous propose ici de débattre une semaine après la réunion de cette CMP de conclusions qui reprennent pour l’essentiel des dispositions que le Sénat avait adoptées lui-même ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne dites pas de contre-vérités, tout de même !

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut que vous relisiez ces conclusions !

M. Gérard Longuet. Relisez-les vous-mêmes, vous verrez ! Jean-Patrick Courtois, qui représentait mon groupe au sein de la commission mixte paritaire, pourrait en témoigner. Pour l’essentiel, la CMP a repris les dispositions du Sénat. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas vrai !

M. Didier Guillaume. Le Sénat est bafoué !

M. Gérard Longuet. Je dois reconnaître, à la décharge du Gouvernement, que la semaine prochaine est compliquée, parce qu’elle est amputée – il est bien qu’il en soit ainsi – par la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, jour traditionnellement férié que nous consacrons les uns et les autres à la mémoire de nos morts.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes d’accord là-dessus !

M. Gérard Longuet. J’ajoute que le 9 novembre de cette année marquera le quarantième anniversaire de la disparition du général de Gaulle. Beaucoup de mes collègues sénateurs – je m’efforcerai de les suivre – se rendront à Colombey-les-Deux-Églises. Ce n’est évidemment pas une circonstance qui facilite la mobilisation pour l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire, mais je dois dire que, en contrepartie, le groupe UMP avait préalablement annulé sa réunion de groupe, tant il était certain de ne pas faire le plein de ses effectifs ce jour-là.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut leur faciliter la tâche, pour qu’ils puissent aller à Colombey !

M. Gérard Longuet. Je comprends aussi très bien que les élus locaux, qui se réuniront bientôt en ce mois de novembre, veuillent savoir très clairement ce que le Parlement a décidé. Dans ces conditions, sept jours de réflexion sur les conclusions de la CMP me paraissent suffisants !

Il n’y a pas de solution idéale. Celle que le Gouvernement propose déroge à nos habitudes, mais elle n’est pas non plus totalement inacceptable. Lors d’une semaine amputée comme celle-ci, le fonctionnement des groupes ne peut de toute façon pas être optimal.

En revanche, parce que nous sommes très tolérants, nous sommes disposés à retenir un autre créneau horaire dans la matinée de mardi prochain, s’il convient mieux.

Faites donc au mieux de vos propositions ! Quant à nous, nous voterons la proposition qui permet d’apporter enfin une réponse à une question largement approfondie, débattue et re-débattue, et qui mérite aujourd’hui que nous ayons la capacité de tirer, ensemble, toutes les conséquences du travail accompli. (Applaudissements sur les travées de lUMP.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole à ce titre, car c’est bien en tant que présidente de la commission des affaires sociales que je m’exprime, et que je me trouve très partagée.

Il est évident que, si nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire mardi après-midi, nous décalerons d’autant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui de ce fait prendra beaucoup de retard.

D’un côté, je pense donc que cet examen devrait avoir lieu mardi matin, afin que nous ne perdions pas de temps dans la discussion du PLFSS. De l’autre, je comprends les remarques de mes collègues ainsi que les contraintes des uns et des autres.

À choisir, je rejoindrais plutôt la démarche du président Longuet et d’Anne-Marie Escoffier : peut-être pourrait-on, tout en inscrivant la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire mardi matin, ménager un temps de réunion pour les groupes.

M. le président. Pour la clarté du débat, je rappelle l’article 6 ter de notre règlement : « Les groupes se réunissent en principe le mardi matin à partir de dix heures trente. »

M. Didier Guillaume. C’est donc bien dans le règlement !

M. Jean-Pierre Bel. Et ce n’est pas un simple usage !

M. le président. Chacun peut donc constater que cette organisation est gravée dans le marbre du règlement.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’écoute évidemment avec la plus grande attention l’opinion des uns et des autres, et il me semble que beaucoup de choses tout à fait sensées ont été dites.

Comment expliquer ce choix et cet horaire ? Par des raisons très simples. Il ne faut pas toujours aller chercher des motivations compliquées ! Le président Fischer vient de rappeler un article de votre règlement, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui constitue, pour le coup, un vrai rappel au règlement : « Les groupes se réunissent en principe le mardi matin à partir de dix heures trente. »

Nous avons retenu neuf heures trente précisément pour ne pas être en contradiction avec votre règlement ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Vous pouvez dire ce que vous voulez, c’est tout de même la réalité !

M. Jean-Pierre Bel. Mais il y a deux heures de débat au moins !

M. Henri de Raincourt, ministre. Si nous avions proposé dix heures trente, l’opposition n’aurait pas manqué de nous reprocher avec véhémence de prévoir l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire à l’heure précise à laquelle se réunissent les groupes…

Eh bien non, mesdames, messieurs les sénateurs ! Par respect et par égard pour le Sénat, nous proposons neuf heures trente.

M. Yves Daudigny. Les collectivités territoriales méritent mieux que cela !

M. Henri de Raincourt, ministre. Et ne me dites pas que ce changement est de nature à troubler vos consciences avant le vote ! C’est la loi de la démocratie, on sait pertinemment aujourd'hui qui va voter pour, qui va voter contre.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez de la chance !

M. Henri de Raincourt, ministre. Certes, j’ai beaucoup de chance, monsieur Sueur. Mais, contrairement à vous, je n’ai pas participé aux travaux de la commission mixte paritaire. Je sais toutefois ce qu’ont voté les parlementaires socialistes. C’était d’ailleurs leur droit le plus absolu ! Je sais aussi ce qu’ont voté les parlementaires de la majorité. Et je ne vois pas aujourd’hui ce qui pourrait, la semaine prochaine, vous amener, messieurs les sénateurs socialistes, à changer votre vote quant à des conclusions que vous avez dès hier rejetées.

M. Jean-Pierre Sueur. La Constitution prévoit que le vote est libre et personnel !

M. Henri de Raincourt, ministre. Bien entendu, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !

Je confirme en outre ce qu’a dit Mme Dini s’agissant du PLFSS : sa discussion doit commencer l’après-midi, et nous avons considéré qu’il n'était pas du tout souhaitable, ni même possible, d’alourdir un programme déjà bien contraint en y ajoutant la lecture des conclusions de la CMP sur la réforme des collectivités territoriales.

Vous savez très bien qu'à cette période de l'année le calendrier est extrêmement chargé,…

M. Jean-Pierre Godefroy. La faute à qui ?

M. Henri de Raincourt, ministre. … que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, et que nous sommes enserrés dans des contraintes de délais constitutionnels que nous ne pouvons pas assouplir.

S’agissant du fond de la réforme des collectivités territoriales, chacun a bien évidemment le droit de penser et d’exprimer ce qu’il veut, et ce n’est pas en fixant un débat à neuf heures trente le mardi matin que l’on y changera quoi que ce soit ! D’ailleurs, je n’ai pas entendu d’argument qui soit de nature à convaincre le Gouvernement de changer d’avis.

M. Jean-Pierre Godefroy. Ce débat a une telle importance pour vous que vous l’évacuez en dix minutes !

M. Henri de Raincourt, ministre. Si l’opposition préfère fixer cet examen à mardi matin, dix heures, soit, mais il ne faudra pas dire ensuite que cela perturbe ses travaux de groupe !

M. Didier Guillaume. Mais bien sûr que si : il faudra au moins deux heures pour la CMP !

M. Henri de Raincourt, ministre. Non, pourquoi voulez-vous que l’examen des conclusions d’une CMP dure deux heures ? Ce n'est pas un débat fleuve ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Avant de mettre aux voix cette modification de notre ordre du jour, et étant rappelé que l’examen du PLFSS commence lundi 8 novembre, l’après-midi, je voudrais clarifier un point avec M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Plusieurs horaires ont été proposés : de neuf heures trente initialement, nous sommes passés à dix heures, puis à dix heures trente. Monsieur le ministre, quelle solution faut-il retenir ?

M. Henri de Raincourt, ministre. Monsieur le président, je n’ai jamais parlé de dix heures trente. J’ai simplement proposé, par égard pour les groupes, neuf heures trente. Si les responsables des groupes préfèrent dix heures, j’y consens. Mais il ne faudra pas me retourner l’argument et se plaindre que cet horaire perturbe les travaux des groupes ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je vous remercie de cette clarification, monsieur le ministre.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je vais mettre aux voix l’inscription à l’ordre du jour du mardi 9 novembre 2010, à dix heures, de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 95 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l’adoption 185
Contre 152

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’ordre du jour du mardi 9 novembre 2010 est ainsi complété.

8

Modification de l'ordre du jour réservé aux groupes

M. le président. Je vous rappelle que, par courrier en date du 2 novembre 2010, M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, a demandé le retrait de l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe le mardi 16 novembre 2010 de la proposition de loi relative à l’aide active à mourir.

Il demande, en remplacement, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 674 (2009-2010), présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, déposée le 13 juillet 2010.

Acte est donné de cette demande.

Il est proposé :

- d’attribuer un temps d’intervention de vingt minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;

- de fixer à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;

- à cinq minutes les explications de vote par groupe et à trois minutes pour les non-inscrits.

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 15 novembre 2010.

L’ordre du jour du mardi 16 novembre est donc modifié comme suit :

Mardi 16 novembre 2010

À 9 heures 30 :

1°) Dix-sept questions orales.

À 14 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

2°) Proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité ;

De 17 heures à 17 heures 45 :

3°) Questions cribles thématiques sur « Outre-mer et Union européenne » ;

À 18 heures et le soir :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

4°) Suite éventuelle de la proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité ;

5°) Proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation.

9

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe de l’Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, à la place laissée vacante par M. Jean-Claude Etienne, dont le mandat de sénateur a cessé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

10

Débat sur les effets sur la santé et l'environnement des champs électromagnétiques

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les effets sur la santé et l’environnement des champs électromagnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension.

La parole est à M. Daniel Raoul, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Daniel Raoul, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je prends aujourd’hui la parole devant vous à la fois en tant que vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, et en tant qu’auteur du rapport dont nous allons débattre.

En effet, notre collègue Jean-Claude Etienne, qui était encore il y a peu premier vice-président, a été nommé au Conseil économique, social et environnemental et a quitté la Haute Assemblée. Qu’il me soit permis ici de lui rendre brièvement hommage.

Auteur de plusieurs rapports, notamment sur les thématiques médicales, il aura marqué nos débats et nos travaux par ses développements qui, s’ils n’étaient pas marqués par la brièveté - et c’est un euphémisme ! - étaient toujours nourris par un savoir encyclopédique et une volonté de précision scientifique. Il les émaillait, en outre, de traits d’humour dont il était souvent la première victime.

Frappé par un grave accident de santé, il nous avait impressionnés par sa volonté de retrouver la totalité de ses facultés et de reprendre son travail parlementaire au service de nos concitoyens.

Le professeur Etienne, je le sais, s’était fait une joie de participer pour la première fois, au nom de l’Office, à la conférence des présidents, à l’invitation de M. Gérard Larcher, pour la programmation des travaux de contrôle.

L’inscription à l’ordre du jour de nos séances d’une question orale avec débat répond à la fois au souhait du président et du bureau du Sénat d’intégrer les activités des délégations parlementaires dans la politique générale de contrôle et d’évaluation de notre Haute Assemblée et au souci que nous avons, sous la direction de notre collègue député Claude Birraux, président de l’Office, de donner plus d’écho à nos travaux, en permettant au Gouvernement de prendre position tant sur les propositions adoptées par notre délégation que sur des problèmes d’ordre scientifique ou technologique, comme cela a été le cas, le 17 juin dernier, avec les nanotechnologies.

Le sujet qui retient aujourd’hui notre attention est en débat surtout dans les départements de la Manche et de la Mayenne, où il existe un projet de construction d’une ligne à très haute tension, la ligne Cotentin-Maine. C’est aussi un sujet de questionnement, voire d’inquiétude dans beaucoup de lieux traversés par ces lignes. Nos concitoyens se demandent s’ils peuvent, sans risque, habiter ou mener une activité agricole à leur proximité.

L’Office a donc été saisi par la commission de l’économie de notre assemblée d’une question très concrète pour de nombreux Français afin d’y apporter une réponse aussi précise et informée que possible. C’est la mission qui m’a été confiée.

Pour y parvenir, ma démarche s’est appuyée sur plusieurs piliers qui caractérisent les travaux de l’Office.

J’ai voulu, malgré mon passé professionnel, aborder le sujet sans a priori, quoique sans naïveté, et ai cherché à entendre toutes les opinions. Je suis allé rencontrer en Mayenne l’ensemble des protagonistes : élus locaux, professionnels agricoles, responsables d’associations et de syndicats, citoyens engagés, sans oublier RTE, Réseau de transport d’électricité, et les représentants de l’État.

J’ai également fondé mon enquête sur les informations scientifiques les plus fiables et les plus récentes, c’est-à-dire les publications validées par les pairs et les experts reconnus par tous pour leur compétence sur le sujet, sans pour autant exclure de mon analyse les opinions divergentes, même si elles sortent du consensus scientifique international en la matière. Les auditions n’ont d’ailleurs pas concerné que les «sciences dures ». Je les ai volontairement élargies, comme cela est de plus en plus fréquent à l’OPECST, aux sciences de l’homme et de la société, ce qui a été extrêmement instructif.

Sur ce sujet difficile, j’ai aussi souhaité avoir une démarche éthique. En effet, ma responsabilité de parlementaire est à la fois de rechercher l’intérêt général et de proposer la meilleure voie pour ce faire, mais cet objectif ne doit pas toujours nous faire basculer vers un utilitarisme froid, un rapport coût-avantage déshumanisé.

Quand il y a lieu de craindre qu’une vie humaine puisse être en danger, on se doit d’y accorder la plus grande importance. Sur ce sujet débattu, où beaucoup d’éléments inexacts circulent, une démarche éthique et scientifique consistait également à expliquer ce que l’on croit savoir avec certitude tout en ne dissimulant aucune inconnue ou incertitude.

Grâce à cette démarche rigoureuse, j’espère que l’Office a répondu à la saisine de la commission de l’économie, mais aussi aux attentes de nos concitoyens en proposant un diagnostic clair et des propositions responsables.

Ce diagnostic, quel est-il ? Quelles sont les conclusions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ?

Elles sont de trois ordres différents. Les premières portent sur le réseau et les champs électriques et magnétiques. Les deuxièmes sont consacrées aux effets mêmes de ces champs sur l’homme et l’environnement. Les troisièmes ont trait à l’amélioration du dialogue autour des ouvrages électriques et tentent de tirer les leçons des recherches en sciences humaines et sociales.

Le premier constat est que la France dispose du plus important réseau de lignes à haute et très haute tension d’Europe, soit près de 100 000 kilomètres.

Cet important réseau est le fruit de l’histoire, et le fruit d’une histoire politique. En effet, notamment sous le Front populaire et encore plus nettement à la Libération, s’est manifestée la claire volonté de faire du réseau de distribution d’électricité un bien et un service public national.

C’est toujours le cas aujourd’hui. Avant même le développement du parc nucléaire, la France était dotée de l’un des plus importants réseaux du monde. Le développement du parc d’énergie nucléaire, la mise en place d’interconnexions entre le nord et le sud de l’Europe et l’augmentation de la demande d’électricité qui accompagne la croissance de l’économie n’ont fait que renforcer le caractère stratégique du réseau et sa montée en puissance.

Ce réseau va continuer à se développer - c’est une nécessité économique et sociale -, car il continue de répondre à une demande qui évolue en quantité comme en qualité, mais aussi en termes de répartition géographique. Il doit, en outre, continuer d’accompagner le développement de la production, sous un aspect tout particulier aujourd’hui, le raccordement des centrales de production éoliennes et solaires.

Le réseau continue également de répondre à plusieurs exigences techniques et économiques fondamentales. L’électricité, qui n’est pas un produit comme les autres, ne peut pas être stockée. Elle ne peut, à un horizon prévisible, être produite dans des quantités importantes et compatibles avec la gestion du réseau que de manière centralisée et, donc, dans des lieux nécessairement éloignés de certaines zones de consommation.

Enfin, le réseau doit garantir, par sa redondance, la sécurité de l’approvisionnement des populations. Nous nous sommes rendu compte l’hiver dernier combien la situation de « péninsule électrique » pouvait être problématique pour la Bretagne ou la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Nous avons également mesuré combien étaient nécessaires les interconnexions européennes pour faire face aux pics de demande et pour éviter les délestages, voire une rupture du réseau.

Notre réseau correspond donc à un choix politique ancien et de long terme. Il continue d’être pleinement pertinent par rapport à nos objectifs de développement économique et social, même si son impact sur le paysage est aujourd’hui plafonné puisque RTE, le gestionnaire public du réseau, s’est engagé auprès de l’État, dans son contrat de service public, à ne pas étendre le réseau aérien et à compenser toute construction nouvelle par l’enfouissement de lignes anciennes.

Outre leur inconvénient paysager, ces lignes à haute et très haute tension sont, depuis 1979, mises en cause pour leur impact sur la santé humaine et l’environnement.

Plus exactement, ce sont les champs électriques et magnétiques à très basse fréquence, soit 50 hertz dans notre pays, qui sont incriminés.

Il faut, tout d’abord, bien comprendre que cette incrimination, que l’on retrouve dans l’expression commune de « champs électromagnétiques », est, pour le moins, abusive.

En effet, si un téléphone portable ou une antenne-relais peut émettre un champ électrique et magnétique combiné, c’est-à-dire une onde électromagnétique, tel n’est pas le cas d’une ligne électrique. À 50 hertz, à très basse fréquence, ces deux champs sont distincts. Ils doivent être examinés séparément.

Ce point est important, car, comme nous le verrons, pour la santé humaine, c’est le champ magnétique qui est incriminé, et non le champ électrique, sauf rupture du câble et électrocution, tandis que, pour les élevages et la santé animale, ce sont plutôt des problèmes électriques qui sont identifiés.

Autre distinction pour ces lignes et cette fréquence, le module du champ électrique est constant, tandis que l’intensité du champ magnétique va varier en fonction de la charge de la ligne et, donc, de la consommation d’électricité selon l’heure du jour ou la saison.

Un autre point important est de savoir que les lignes électriques sont loin d’être les seules émettrices de champs magnétiques dans notre environnement quotidien. Un très grand nombre d’appareils ménagers – quelquefois insoupçonnés – peuvent être des sources intermittentes non négligeables. À tel point d’ailleurs qu’une étude canadienne portant sur des coiffeuses professionnelles à Montréal a pu montrer que leur exposition du fait de l’usage intensif de sèche-cheveux dépassait les normes fixées pour les professionnels !

L’exposition générale de la population aux champs magnétiques reste cependant mal connue. Des études récentes ont été conduites en France sous l’égide de l’AFSSET, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, et de l’école Supélec. Elles ont eu plutôt tendance à attirer l’attention sur des sources domestiques, comme les radios-réveils, sur d’autres sources continues, comme les lignes de chemin de fer, ou encore sur des sources importantes et occasionnelles, comme les portiques électroniques des magasins, sans parler des chauffages électriques par le sol.

Plus généralement, hors radios-réveils, les études récentes montrent que les enfants sont nettement moins exposés que les parents, car ils prennent moins les transports en commun, mais que les rares cas d’exposition supérieure s’expliquent par une exposition résidentielle liée aux lignes électriques ou de chemin de fer au domicile et à l’école.

Si les lignes électriques ont retenu l’attention, c’est qu’il s’agit de la source continue la mieux identifiée dans l’espace et dans le temps.

En ce qui concerne la mesure de l’exposition de la population française au champ magnétique émis par les lignes à haute et très haute tension, la référence est une étude qui a été réalisée en Côte-d’Or, en 2004, sur 240 foyers environ.

Sur la base de cette étude, on estime généralement que 375 000 Français pourraient être soumis à un champ supérieur ou égal à 0,4 microtesla, un seuil qui est évoqué par certaines études épidémiologiques comme pouvant poser un problème pour la santé des plus jeunes enfants ; j’y reviendrai. Cette évaluation de la « population exposée » est essentielle, car elle sert de base aux calculs de risques de déclenchement de maladies éventuelles.

En la matière, la préconisation de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est de développer la connaissance réelle de l’exposition de la population française aux champs magnétiques. Ce ne sont pas simplement les lignes à haute ou très haute tension qui devront être explorées.

Ces premiers éléments sont importants pour comprendre les conclusions et les propositions centrales du rapport, celles qui portent sur la santé humaine et l’environnement.

En matière de santé humaine, je vous rassure, mes chers collègues, la conclusion majeure du rapport est que nous avons toutes les raisons d’être rassurés sur l’impact éventuel des champs magnétiques et électriques à très basse fréquence.

Un consensus international s’est dégagé sur ce sujet et s’est exprimé dans divers rapports d’expertise de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, de l’Union européenne et, en France, des organes compétents – le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, le CSHPF, et l’ancienne Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et au travail, l’AFSSET.

De ces documents, on peut tirer plusieurs conclusions.

Premièrement, les champs électriques d’extrêmement basse fréquence et les champs magnétiques statiques n’ont pas d’impact sur la santé.

Deuxièmement, pour les champs magnétiques alternatifs d’extrêmement basse fréquence, c’est-à-dire du 50 hertz, les effets à court terme sont exclus tant que les normes internationales d’exposition instantanée de la population – 100 microteslas à 50 hertz – sont respectées.

Troisièmement, sur le long terme, presque tous les effets possibles sont aujourd’hui exclus, sauf dans trois domaines, qui sont, par niveau croissant de préoccupation : l’électrohypersensibilité, ou EHS, certaines maladies neurodégénératives et certaines formes de leucémie de l’enfant.

Les lignes électriques à haute et très haute tension peuvent être mises en cause, au même titre que les antennes- relais ou le WiFi, dans l’hypersensibilité électromagnétique.

Nous savons encore peu de chose de ce syndrome. Cependant, il s’agit non pas d’une maladie objectivement diagnostiquée par un médecin mais d’un syndrome autodéclaré. Ce n’est pas le médecin qui diagnostique la maladie, c’est le patient qui se déclare « malade » ; cet état est donc subjectif, même si certaines personnes peuvent être confrontées à un profond mal-être et à de réelles souffrances, que je ne nie pas.

Nous savons également que les tests scientifiques en double aveugle n’ont pas pu mettre en évidence de lien de cause à effet.

Face à cette situation, il nous faut tout de même prendre au sérieux les malades et leurs souffrances, et prendre en charge les personnes pour leur proposer une solution thérapeutique.

C’est la solution que j’ai soutenue auprès de Mme la ministre de la santé. J’ai été heureux d’apprendre que la remise de mon rapport avait coïncidé avec la décision de financer la mise en place d’un programme de recherche initié par le professeur Choudat.

Celui-ci, s’appuyant sur un réseau national de consultations pour pathologies professionnelles, pourra proposer une prise en charge pluridisciplinaire aux personnes se déclarant électrohypersensibles et diffuser l’information utile auprès des médecins de ville.

L’hypothèse principale émise par ce professeur est que, dans la grande majorité des cas, il s’agirait d’une intolérance environnementale idiopathique liée à un événement ou à un choc. Ce médecin proposera donc aux patients une objectivation de leur exposition et de leurs symptômes en leur confiant un appareil de mesure portatif et entamera un processus de désensibilisation. Cette démarche est d’ailleurs analogue à celle qui prévaut pour le traitement de l’agoraphobie ou de ce type d’hypersensibilité.

Le deuxième sujet de préoccupation pour la santé est l’hypothèse selon laquelle les champs magnétiques émis favoriseraient certaines maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer et la démence sénile. Toutefois, ni la sclérose latérale amyotrophique, ou SLA, ni la maladie de Parkinson ne seraient impliquées.

Cette hypothèse de recherche a été soulevée par plusieurs études récentes portant, d’une part, sur des professionnels – les conducteurs de train suisses – et, d’autre part, sur des populations résidant auprès des lignes – les résidants de maisons de retraite – et mettant en évidence un lien dose-effet entre l’exposition et le déclenchement des maladies.

Les experts français et européens ne sont pas en accord pour estimer le niveau de risque. L’opinion de l’Office a été de se rapprocher des experts européens, c’est-à-dire de ne pas négliger le risque, car les études publiées, si elles n’ont qu’un pouvoir probant limité, portent néanmoins sur des populations professionnelles et mettent en évidence la possibilité d’une relation dose-effet, deux éléments induisant la nécessité d’une vigilance.

Il faut ajouter que ces pathologies sont communes et pourraient donc concerner un très grand nombre de personnes.

J’ai d’ailleurs cherché à savoir ce qu’il en était en France.

La RATP m’a apporté une réponse très satisfaisante, puisqu’une importante étude épidémiologique a été réalisée dans cette entreprise. Elle s’est révélée totalement négative ; il faut dire toutefois que la RATP utilise du courant continu.

En revanche, la SNCF ne m’a pas fourni la réponse que j’espérais et je souhaite vivement qu’elle entreprenne la démarche nécessaire avec les scientifiques compétents pour mener une étude similaire.

Sur ce deuxième sujet, la préconisation de l’Office est la vigilance et la nécessité de mener des recherches pour vérifier si cette hypothèse mérite une attention plus grande.

Le troisième sujet de préoccupation est de très loin le plus important : il s’agit d’un possible lien entre les champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence émis par les lignes électriques à haute et très haute tension et certaines leucémies aiguës des jeunes enfants qu’ils favoriseraient.

Cette hypothèse a commencé à être discutée en 1979. Depuis cette date, un très grand nombre d’études ont été réalisées sans toutefois aboutir à une conclusion certaine.

Aujourd’hui, ce risque est classé « 2B » par le Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, l’organe compétent de l’OMS. Cette classification signifie qu’il s’agit d’un « cancérogène possible ».

La décision a été prise en 2002 sur la base des études épidémiologiques qui ont été jugées suffisamment consistantes, sans toutefois apporter la preuve d’une relation de cause à effet. L’auteur lui-même remettait en cause les conclusions de son étude.

L’OMS a également constaté dans le même temps que les études in vivo et in vitro n’apportaient aucune confirmation à l’épidémiologie – au contraire – et que ces champs magnétiques alternatifs d’extrêmement basse fréquence ne pouvaient pas être classés dans le sous-groupe 2A – les « cancérogènes probables » – ou dans le groupe 1 – les « cancérogènes certains » pour l’homme.

Il faut également tenir compte de ce que la catégorie 2B est extrêmement large, puisqu’elle regroupe à la fois le café et la chlordécone.

Cette classification, qui date maintenant de près de dix ans, n’a pas été remise en cause et a été plutôt confirmée – sans toutefois conduire à une élévation passant éventuellement du niveau 2B au niveau 2A – par les rapports d’expertise et les publications scientifiques intervenues depuis lors aussi bien au niveau international qu’en France.

Nous sommes donc bien face à un risque. Mais quelle est son importance ?

Ces leucémies sont fort heureusement des maladies rares et dont le taux de guérison est relativement élevé – il est de l’ordre de 80 %. Elles touchent essentiellement les enfants de 0 à 6 ans, avec un pic à 3 ans. On a dénombré 6 640 cas entre 1990 et 2004.

Les causes de ces maladies sont multifactorielles et il y a beaucoup d’inconnues. Les champs magnétiques, s’ils étaient impliqués, n’en seraient qu’une des causes et n’expliqueraient pas tous les cas constatés.

En France, on estime que seulement 2 % des enfants malades pourraient être exposés à des champs magnétiques supérieurs à 0,3 microtesla. Parmi ceux-ci, seul un quart serait soumis à ces champs du fait des lignes à haute et très haute tension. Comme je vous le disais, il y a d’autres sources potentielles.

Ainsi, compte tenu de ce que l’on sait sur l’exposition de la population française, de 0,5 cas à 3 cas par an pourraient s’expliquer par les lignes électriques, soit une mortalité annuelle inférieure ou égale à 1.

Nous sommes donc face à un risque scientifiquement possible avec une très faible occurrence.

Je n’ai toutefois pas voulu, comme cela s’est fait au Royaume-Uni, le balayer au regard d’une simple relation coût-avantage : éviter un tel risque serait beaucoup trop coûteux par rapport à d’autres risques, plus élevés et moins difficiles à réduire – par exemple, les accidents mortels de la circulation.

J’ai estimé que nous devions considérer pleinement l’inquiétude légitime des familles et la possibilité que les lignes électriques soient une cause certes très faible, mais récurrente, de mortalité pour quelques enfants.

J’ai donc proposé à la fois de poursuivre et d’approfondir les recherches pour, dans toute la mesure du possible, lever les doutes qui existent aujourd’hui, ou les confirmer.

J’ai ensuite proposé, dans un cadre temporel limité – cinq ans avant d’obtenir de nouveaux résultats scientifiques – de prendre une mesure de prudence à caractère non obligatoire. Cela signifie que, au niveau local, en fonction des possibilités concrètes, il convient d’éviter d’accroître la population des enfants de moins de 6 ans soumis au cours de l’année à un champ supérieur ou égal à 0,4 microtesla en moyenne.

Pour formuler cette préconisation prudentielle, je me suis appuyé sur des recherches de législation comparée réalisées par le service des études juridiques du Sénat, qui a mis en lumière qu’un dispositif similaire avait été retenu aux Pays-Bas.

En revanche, j’ai exclu toute mesure obligatoire de couloirs de protection avec une distance déterminée, ce qui est à la fois trop contraignant, trop coûteux et mal fondé scientifiquement, en tout cas tel que cela avait été préconisé par l’AFSSET. C’est l’une de nos divergences avec le rapport de l’Agence.

Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais savoir quelles décisions vous allez prendre à ce sujet à la lumière des travaux de l’AFSSET, du rapport de l’OPECST et du rapport que vous avez demandé aux conseils généraux du ministère et dont les conclusions ne nous sont pas encore parvenues.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’en viens maintenant au second volet de ce rapport – rassurez-vous, mon intervention sera plus brève que sur le volet précédent – : l’impact sur l’environnement.

En la matière, nous pouvons avancer en terrain plus connu.

De nombreuses études ont été réalisées en Amérique du Nord, où la question a pris par le passé une grande importance, et en Scandinavie.

Toutes ces études conduites sur la faune et la flore sauvage ou cultivée aboutissent au résultat que presque aucun effet n’est perceptible en raison du champ magnétique ou du champ électrique, y compris avec des lignes d’une tension de près de 1 million de volts.

Cela ne veut pas dire pour autant que l’on sache tout sur le sujet. J’ai eu le sentiment que de nombreux travaux scientifiques pouvaient être conduits pour approfondir les connaissances.

Ainsi, concernant la France, j’ai demandé à RTE d’approfondir la coopération existant avec les chasseurs, les apiculteurs et de nombreux autres acteurs par des partenariats scientifiques.

Par exemple, des études récentes ont montré que les lignes aériennes pouvaient provoquer un effet de lisière, de réserve et de trame très bénéfique pour la flore. Mais on ne dispose pas des données relatives à un état initial qui pourraient nous permettre d’effectuer une comparaison.

De même, les pylônes servent souvent de nichoirs à des espèces de valeur, comme les rapaces ou les cigognes, mais nous manquons de données scientifiques d’ensemble.

En matière d’apiculture, si des ruches sont installées sous les lignes, il serait intéressant de pouvoir en faire le suivi selon un protocole scientifique.

Plus généralement, j’ai proposé que RTE, EDF et ERDF fassent émerger un organe large de dialogue et de recherche sur l’impact des lignes sur l’environnement sauvage, dont le noyau pourrait être le Comité national avifaune, qui, aujourd’hui, ne s’intéresse qu’à la mortalité aviaire et ne réunit que quelques protagonistes.

Cela étant, les difficultés rencontrées en relation avec les lignes électriques sont essentiellement apparues dans des élevages bovins laitiers. Les problèmes, consultations et demandes d’information répertoriés depuis 1998 sont au nombre de 24 pour la France entière. Nous ne sommes donc pas face à un grand problème vétérinaire national.

Ces difficultés sont d’ailleurs bien connues depuis la publication du rapport Blatin-Benetière en 1997. Elles sont dues à des courants parasites liés soit à des phénomènes d’induction électrique ou magnétique, soit à des courants de fuite à proximité d’installations électriques en raison principalement de défauts de mise aux normes ou de mise à la terre des installations.

Si les causes sont connues, elles ne sont pas pour autant aisées à diagnostiquer et le problème n’est pas facile à résoudre. C’est un véritable travail de spécialistes. Il doit être accompli aussi bien d’un point de vue vétérinaire que d’un point de vue électrique.

C’est pour cette raison qu’existe, depuis 1998, le GPSE, le Groupe permanent de sécurité électrique, chargé d’un travail d’information, de prévention, de recherche et de résolution des cas litigieux, qui a été très bénéfique.

Le rôle du GPSE doit, aujourd’hui, être éclairci et renouvelé. J’espère que vous pourrez, madame la secrétaire d’État, nous apporter, au nom de votre collègue de l’agriculture, toute la lumière utile.

L’Office a constaté que l’État n’était plus assez engagé dans le GPSE, dont le financement est assuré pour l’essentiel par RTE ; cela pose des problèmes évidents.

Ces difficultés sont d’autant plus aiguës qu’il n’y a plus de séparation entre le GPSE « national », chargé de la recherche, de l’information et de la prévention, et des comités « locaux » chargés de traiter les cas litigieux sous l’autorité du préfet, comme cela avait été imaginé en 1997. RTE peut donc apparaître comme « juge et partie ». Cette impression est renforcée par le fait que l’intervention du GPSE est conditionnée par l’acceptation, de la part de l’agriculteur, d’un protocole « secret » aux termes duquel il s’engage à abandonner toute poursuite à l’encontre de RTE...

J’ai donc préconisé que le GPSE soit prolongé, car telle est la demande des professionnels de l’agriculture et de RTE, mais qu’il soit renouvelé dans ses modalités de fonctionnement : un plus grand formalisme et une responsabilité de l’État mieux identifiée, un réinvestissement dans l’information et la pédagogie par le développement d’un site internet, désormais en ligne, et une intervention locale transparente assurant le développement des bonnes pratiques et excluant tout soupçon de collusion.

Dans ces conditions, je suis convaincu que le GPSE pourra poursuivre sa tâche de sécurisation électrique et verra sa crédibilité renforcée pour résoudre les cas les plus complexes.

Ces questions relatives à la santé et à l’environnement autour d’ouvrages technologiques majeurs, comme les lignes à haute et très haute tension, posent directement le problème de la relation de notre société avec la science.

Cette relation est désormais de plus en plus difficile. Il y a une véritable perte de confiance vis-à-vis des experts et des hommes de science, qui dépasse ce que nous avons connu par le passé. Cette césure, qui s’exprime beaucoup plus vivement en matière de plantes génétiquement modifiées ou de nanotechnologies, doit être comprise pour être résolue.

Pour cela, les recherches conduites par les sociologues, les philosophes ou les historiens nous aident grandement. Ils ont pu mettre en lumière, ces dernières années, qu’il nous fallait dépasser la dichotomie traditionnelle – et confortable ! – entre savants et ignorants. Non, ces questions ne partagent pas, d’un côté, des sachants et disants et, de l’autre, des incultes. Le réel manque d’informations, voire la désinformation très entretenue qui se fait jour parfois ne suffisent pas à expliquer les réticences actuelles.

Il nous faut inventer un dialogue à la fois plus large et plus précis, une participation à la décision et à l’analyse des effets sur le long terme, qui aille au-delà du débat public actuellement organisé. Les lignes à haute tension nous offre une opportunité formidable en la matière. Je souhaite que nous la saisissions.

Ces lignes sont le résultat d’un projet politique de développement économique. C’est donc fondamentalement l’affaire des élus locaux et nationaux, et j’espère que ce débat y contribuera. Élus locaux et nationaux doivent en être pleinement saisis : participer au diagnostic du réseau, approuver les travaux de court terme, c’est-à-dire d’entretien, et ceux de moyen ou long terme, c’est-à-dire de rénovation, construction et développement. Ils doivent notamment intervenir pour faire un choix coût-bénéfice en matière d’enfouissement.

Beaucoup est fait, d’ores et déjà, par RTE, mais j’ai l’impression que le dialogue doit être encore plus développé.

Le dialogue doit aussi s’étendre à l’ensemble des acteurs économiques et associatifs. La demande des agriculteurs visant à mettre en place une ferme témoin devrait être entendue. Diffuser des bonnes pratiques est dans l’intérêt de tous.

De même, on peut approfondir tous les mécanismes collaboratifs esquissés par RTE avec les chasseurs, les apiculteurs et les naturalistes. Il est possible d’imaginer des dispositifs participatifs pour construire un diagnostic commun sur les impacts. C’est nécessaire et utile. On se rend compte, également, qu’une ligne électrique est perçue par la population comme presque aussi « impactante » qu’une ligne TGV.

Ces demandes nouvelles sont contraignantes et coûteuses, mais elles sont aussi, pour l’avenir, la garantie des bases d’un dialogue et d’une acceptation possible. Ce dialogue ne doit pas être organisé une fois pour toutes, au moment de la construction ; il convient de trouver les voies et moyens d’entretenir une relation collaborative et inclusive tout au long de la vie des ouvrages.

Voilà quelles sont les quelques préconisations de l’Office parlementaire. J’espère vous avoir convaincus que ces débats entre la science et la société nous feront progresser, à condition de faire preuve d’honnêteté intellectuelle, de transparence, d’ouverture, mais aussi de responsabilité. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’humilité que je m’apprête à intervenir devant vous.

Mon expérience du sujet se limite en effet à l’installation d’une ligne à haute tension à Goutrens, dans mon département, ce qui n’a pas manqué de créer quelques problèmes, et à la remise en état de tronçons à Saint-Victor-et-Melvieu, sur la grande ligne électrique qui descend vers le sud de l’Aveyron. N’ayant aucune compétence en la matière, je sollicite votre indulgence, mes chers collègues, car je n’ai ni le talent ni les connaissances en la matière de mon collègue Daniel Raoul.

Le débat qui nous occupe aujourd’hui, sur l’initiative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, a le mérite de permettre à la représentation nationale d’aborder de façon claire un problème rarement posé : celui de l’effet qu’a, ou n’a pas, sur la santé l’environnement des champs magnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension. Nous devons nous en féliciter et remercier notre collègue Daniel Raoul de l’excellence de son rapport, que j’ai essayé de comprendre autant que faire se peut.

Ce débat est d’autant plus justifié que notre pays possède 80 000 kilomètres de lignes à haute et très haute tension, c’est-à-dire comptant entre 63 et 400 000 volts, soit le plus grand réseau d’Europe et aussi l’un des plus anciens, puisque sa création a débuté en 1922.

À titre personnel, je remarque que, très tôt, l’État s’est pleinement investi dans cette mission en créant, dès 1936, un secrétariat d’État à l’électricité et aux combustibles solides, dont le premier titulaire fut un homme à la mémoire duquel vous comprendrez que je veuille rendre hommage : Paul Ramadier, député de l’Aveyron, à qui nous devons cette reconnaissance de la distribution d’électricité comme un service public essentiel.

Nous savons tous, en effet, quel rôle considérable ces structures ont joué dans l’essor économique de la Nation au cours du demi-siècle qui a suivi, contribuant à son plein développement, en particulier celui des territoires les plus fragiles. Certes, l’ouverture du marché européen de l’électricité à la concurrence a récemment modifié la donne ; je pense en particulier à la transformation d’EDF en société anonyme, en 2004. Mais cela ne change pas véritablement la problématique qui nous occupe, à savoir les questions que se posent nos quelque 400 000 compatriotes vivant dans la proximité plus ou moins immédiate de ces lignes, quant à l’incidence de celles-ci sur leur santé. Ces questions sont parfaitement légitimes ; nul ne saurait en douter dans cet hémicycle.

Au vu des expertises menées depuis plusieurs années, au niveau tant mondial qu’européen ou national, ces lignes – ou plus exactement le champ magnétique produit par ces lignes... – sont-elles dangereuses pour la santé humaine ? Si l’on se fie au consensus scientifique international, il semble qu’elles n’auraient d’autres effets sur la santé que ceux qui sont identifiés lorsque les expositions sont plus élevées que la norme autorisée.

Trois groupes de pathologies font toutefois débat : l’électrohypersensibilité, les leucémies de l’enfant et certaines maladies neurodégénératives, sur lesquelles, objectivement, la communauté scientifique ne s’est pas encore définitivement prononcée.

La sagesse est donc de poursuivre les recherches et d’attendre des conclusions fiables, sans négliger aucune piste, comme il convient de le faire lorsque la santé publique est en jeu. C’est l’une des préconisations du rapport. Nous ne pouvons qu’y adhérer et souhaiter que le ministère de la santé prenne en charge, le plus rapidement possible, cette relance de recherche, en particulier en trouvant un lien statistique fiable, voire en convainquant nos partenaires européens d’initier une démarche semblable ; je retiens cette autre recommandation.

Quelles que soient les préconisations retenues par l’État, nous devons reconnaître qu’elles ont toujours pour origine l’initiative de nos compatriotes, qui ont droit, plus que les autres, au plus élémentaire service de précaution sanitaire.

Il en va probablement de même des impacts potentiels sur l’environnement et sur l’agriculture, puisque nous disposons de très peu de données scientifiques quant aux effets potentiels directs des champs électriques et magnétiques. Mais, comme dans le cas précédent, il appartient à l’État, ou aux États européens, de prendre toutes leurs responsabilités en la matière, puisque l’on ne saurait admettre que l’entreprise EDF fasse des bénéfices sans se soucier des conséquences humaines, écologiques et économiques qu’induit son activité industrielle.

Il nous reste, en attendant des conclusions épidémiologiques qui, nous le savons, seront par définition longues à venir, à réfléchir ensemble sur la politique que nous devons mettre en œuvre face aux lignes à haute et très haute tension.

Bien entendu, l’enfouissement pourrait, a priori, apparaître comme la solution la plus tentante au regard de l’esthétique environnementale. J’en ai moi-même fait l’expérience à Goutrens, une importante zone touristique implantée au milieu des vignobles de Marcillac – vin ô combien intéressant ! –, sur de magnifiques terres rouges. L’installation de lignes à haute tension, qui seraient venues barrer ce paysage, avait alors suscité de nombreux conflits, que j’ai tenté de résoudre.

Nous savons pourtant que l’enfouissement ne règle pas le problème puisque, même enterrées, les lignes continuent à produire un champ magnétique. Cela pose la question de l’opportunité des dépenses considérables qu’engendre un enfouissement : 40 millions d’euros pour 21 kilomètres de lignes ! De surcroît, cet enfouissement peut être rendu inutile, du fait de l’incontestable amélioration technique des câbles ; l’élue d’un département rural que je suis ne saurait l’oublier. Par ailleurs, les agriculteurs n’y sont pas favorables, car cela induit des contraintes négatives.

À cette heure du débat, il me paraît difficile de se précipiter pour adopter quoi que soit dans ce domaine, sans disposer des informations qui nous manquent et que nous avons souhaitées.

Je voudrais, pour ma part, me limiter à un seul vœu : que l’État, ou les États européens, profitant de la déréglementation du marché de l’électricité, ne se désengage pas de ce domaine, même s’il ne s’agit que de surveillance. C’est bien le contraire que les usagers attendent – pas seulement ceux qui habitent à côté des lignes ! – et, avec eux, l’ensemble de la collectivité nationale dans ses domaines d’activité les plus variés.

Permettez-moi d’ajouter, un peu en marge de ce débat, que des problématiques de même nature s’appliquent au WiFi, au WiMax, autant qu’à la téléphonie mobile. S’il avait été présent, François Fortassin aurait exprimé, lui aussi, son inquiétude à cet égard.

Dans ces domaines, la vigilance est indispensable. Je ne veux pas manquer, en cet instant, de saluer la mémoire de cet exceptionnel anthropologue et ethnologue, Claude Lévi-Strauss, décédé l’an dernier, qui est le premier à avoir fait naître le concept d’humanisme écologique. Dans Tristes tropiques, il s’écriait : « Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour-propre ». (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de l’étude du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est dense et complexe.

La question de l’impact des lignes à haute et très haute tension sur la santé et l’environnement nécessitait que les parlementaires s’y intéressent plus dans le détail, mais surtout qu’ils disposent d’une information complète et large afin de pouvoir répondre, dans les meilleures conditions, aux inquiétudes de nos concitoyens.

Je voudrais, à ce titre, saluer le remarquable travail scientifique et pédagogique mené par notre collègue Daniel Raoul au sein de l’Office parlementaire.

Le travail de définition scientifique et de délimitation de sujet, les distinctions fort utiles entre les champs électriques et magnétiques, et les divers renvois à des littératures plus spécialisées ont rendu la lecture du rapport d’autant plus riche et éclairante. Le passage sur le paradigme de Paracelse, la toxicologie intuitive de Slovic ou les travaux du psychologue Paul Rozin, sont très éclairants sur la représentation du risque dans nos sociétés.

Je souhaiterais aborder ici quelques points précis du rapport. Je déclinerai donc mes sept minutes en trois points : démocratie, indépendance de la recherche scientifique, engagement financier de l’État.

Premièrement, mon cher collègue, vous avez insisté sur la nécessité de renforcer l’information et la participation des élus, des associations, des syndicats et des citoyens. Bien sûr, nous partageons cette préconisation qui passe en partie, comme vous l’avez rappelé, par le réengagement des services de l’État dans l’information du public. Il s’agit là d’assurer la transparence et la démocratie dans des domaines qui touchent la santé publique.

La nécessité de mettre en place des procédés démocratiques dépasse la question de la peur de la technologie. Elle est motivée par la défense de la démocratie locale et la réelle et sincère envie que le citoyen aient les moyens de participer au débat public.

En outre, il est essentiel que les élus locaux, et nous en sommes, soient formés et informés afin de prendre les décisions d’aménagement de leurs territoires en toute connaissance de cause. Je pense ici au problème des autorisations de lotir sous les lignes à très haute tension, mais également aux équipements accueillant de jeunes enfants.

Enfin, les expériences des différents acteurs du terrain, non seulement des agriculteurs et des apiculteurs, dont vous parlez dans votre rapport, mais plus largement de tous les représentants de la société civile, sont sources de connaissance.

Deuxièmement, si la qualité de l’information délivrée est un élément fondamental, cela présume que la puissance publique, les autorités soient en possession de cette information. Il s’agit donc ici d’assurer une expertise scientifique indépendante et d’octroyer les moyens nécessaires à la recherche publique.

Comme vous l’avez noté, monsieur Raoul, RTE est aujourd’hui « le principal et le quasi seul financeur des recherches conduites dans notre pays » sur les champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence. Vous avez raison de souligner la faiblesse des financements, et le faible nombre des projets de recherche s’explique par le fait que la communauté scientifique ne les identifie pas « comme étant porteurs en termes de production de connaissance scientifiques au niveau mondial ».

On retrouve ici toute la problématique de l’indépendance de la recherche, en particulier vis-à-vis de la production à court terme. Or bon nombre de questions liées au champ magnétique continu et alternatif restent en suspens, notamment en ce qui concerne les impacts potentiels sur la santé des personnes.

Vous proposez de confier à l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, compétence pour lancer des appels d’offres. Nous verrons bien, au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, quel sort sera réservé aux crédits de l’Agence après fusion dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Le meilleur moyen de remplir l’objectif prévu dans le contrat de service public liant l’État et RTE, qui stipule « que RTE s’engage à soutenir la recherche biomédicale sur les effets potentiels des champs électromagnétiques émis par les lignes électriques en garantissant l’indépendance des chercheurs et en assurant la publication des résultats obtenus », est que l’État donne à la recherche publique les moyens nécessaires. J’attends vos réponses sur ce point, madame le secrétaire d’État.

Il s’agit ici des risques potentiels sur la santé, en particulier celle des enfants en bas âge, liés aux grands projets industriels de l’État, comme M. le rapporteur l’a si bien expliqué.

Cela aurait également le mérite d’éviter les polémiques quelque peu déroutantes sur l’expertise scientifique. Je pense ici aux déclarations de huit experts associés aux travaux de l’Agence qui estimaient, dans une lettre ouverte adressée au ministre de la santé et de l’environnement le mercredi 19 mai, que l’AFSSET « a trompé délibérément le public et bafoué l’expertise scientifique en mettant en cause les lignes à haute tension dans son avis du 6 avril dernier consacré aux effets sanitaires des champs électromagnétiques basses fréquences ».

À la lecture du rapport et de divers documents cités, issus du Comité international de recherche sur le cancer, du Comité scientifique des risques sanitaires nouvellement identifiés et émergents, ou du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, un doute apparaît sur les effets à long terme d’une faible exposition aux champs électriques et magnétiques d’extrêmement basse fréquence.

Face à ce doute et à des conséquences potentiellement graves, nous considérons que l’AFSSET a raison de préconiser « de ne pas installer ou aménager de nouveaux établissements accueillant des enfants […] à proximité immédiate des lignes à très haute tension, et de ne pas implanter de nouvelles lignes au-dessus de tels établissements ». De même, elle a raison de recommander aussi une distance minimum de cent mètres entre les lignes à très haute tension et ces établissements.

J’attends également des explications, puisqu’il semblerait qu’il n’y ait pas tout à fait accord sur ce point. Et encore ne s’agit-il que de recommandations qui devront être relayées par le ministère compétent afin de leur donner un effet contraignant.

Troisièmement, enfin, au moment où le Gouvernement brade une partie de la production nucléaire d’EDF, au moment où il serait question d’augmenter la contribution au service public de l’électricité, et donc la facture énergétique des Français, pour couvrir les dépenses de RTE, alors que l’état du réseau de transport et de distribution de l’électricité nécessite de lourds investissements, comment imaginer que RTE puisse s’engager financièrement dans les travaux nécessaires à l’enfouissement des lignes à haute tension ?

Même si, en effet, ce type de travaux n’est pas la solution à tous les problèmes et ne doit en aucun cas occulter les conséquences de ces installations sur la santé et l’environnement, comme vous le notez, mon cher collègue, « le passage en souterrain offre des avantages réels et permet de diminuer le champ magnétique tout en supprimant le champ électrique ».

Le contrat de service public prévoit que RTE doit protéger les paysages, les milieux naturels et urbains en réalisant en technique souterraine au moins 30 % des circuits haute tension à créer ou à renouveler. Mais ces opérations ont un coût énorme et sont souvent prises en charge par plusieurs entités. Or les communes et les communautés de communes auront de plus en plus de mal, au regard de l’impact de la réforme des collectivités territoriales sur leurs budgets, à faire face à de telles dépenses.

En conclusion, madame la secrétaire d’État, il serait utile de faire appliquer le droit existant, notamment les servitudes de trente mètres prévues par le décret du 19 août 2004, en interdisant l’attribution des permis de construire sous des lignes à très haute tension. Il faut également réfléchir à limiter l’exposition du public à 0,25 microtesla, comme le recommande le Parlement européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis quelques années, les lignes à haute et très haute tension suscitent de vives inquiétudes. Les lignes électriques sont-elles dangereuses pour la santé ? La question fait débat depuis le début des années quatre-vingt.

D’après les sources officielles, il n’y a pas de certitude scientifique sur la relation possible entre les risques biologiques et l’exposition. Du côté de l’opinion publique, les avis sont plutôt controversés. Or le simple fait qu’il existe une controverse, entre les scientifiques officiels et ceux qui sont indépendants des industriels et de l’État, sur la dangerosité des lignes à très haute tension pour la santé, constitue en soi la matérialisation de l’existence d’un risque.

Ces lignes se situent à 65 % en zone agricole et à 15 % en zone forestière. Ce sont donc environ 300 000 personnes qui vivent à proximité des 100 000 kilomètres de lignes, dont la moitié est à très haute tension, à environ 400 000 volts, générant des champs électromagnétiques basse fréquence de 50 hertz.

En 1991, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, observe, dans un avis, qu’en l’état des connaissances de l’époque, « on ne peut imputer aux champs électromagnétiques engendrés à proximité de lignes à haute tension des effets nuisibles pour la santé de l’homme ».

Quelques années plus tard, certaines nuances apparaissent. Un colloque organisé à l’Assemblée nationale en mai 1994, consacré aux champs électromagnétiques et à la santé publique, ne permet cependant pas de remettre en cause les avis émis par l’INSERM, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France et l’Académie nationale de médecine, même s’ils ne permettent pas d’exclure totalement l’action des champs électromagnétiques dans un certain nombre de pathologies particulières.

Parallèlement, le ministère de l’industrie de l’époque met au point, en collaboration avec le ministère des affaires sociales et de la santé, un document de synthèse intitulé « Champs électromagnétiques et lignes électriques, état de la question et aspects sanitaires », établi à partir des analyses scientifiques les plus récentes réalisées à ce sujet, notamment l’avis de l’Académie de médecine.

Ce document est adressé en septembre 1994 aux services instructeurs des projets de lignes, préfectures, DRIRE, DDE, afin de leur permettre de mieux traiter les problèmes rencontrés et de répondre aux nombreuses questions qui leur sont posées lors des procédures d’examen des projets de lignes électriques.

La question se pose donc : la circulation du courant dans une ligne électrique, créant autour de celle-ci des champs magnétiques à très basse fréquence, peut-elle induire, à l’intérieur de l’organisme, des champs et des courants électriques, avec d’éventuels effets biologiques et sanitaires ?

En 2001, un rapport publié par le Centre international de recherche sur le cancer a classé les champs magnétiques à très basse fréquence dans la catégorie des agents « peut-être cancérogènes pour l’homme », tout en recommandant de nouvelles recherches « pour aboutir à des informations plus concluantes ».

Le Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques, le CRIIREM, rend publique une enquête, menée en 2008 auprès de 2 868 personnes demeurant à proximité de la ligne à très haute tension de Normandie. L’enquête conclut à « une dégradation significative des conditions de vie et de travail à proximité des lignes très haute tension qu’il n’est plus acceptable de nier. »

Enfin, le CRIIREM refuse de cantonner les problèmes de santé aux seuls cancers et leucémies et considère, comme certains orateurs l’ont évoqué, que le stress, les perturbations sonores et du sommeil, les états dépressifs et les maux de tête relèvent également de la santé publique.

« Les rayonnements électromagnétiques émis notamment par les lignes haute tension posent un certain nombre de problèmes », reconnaissait votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, après la parution de cette étude.

« Il est indéniable que ces rayonnements électromagnétiques émis notamment par les lignes à haute tension et d’autres sources posent un certain nombre de problèmes et qu’on est loin de tout savoir sur cette question », estimait en effet Mme Kosciusko-Morizet. « Les choses évoluent, néanmoins », malgré « une résistance de certains secteurs industriels et syndicats professionnels » dans le domaine de la santé et de l’environnement.

En 2004, une étude de chercheurs de l’université d’Oxford avait conclu à « une légère augmentation du risque de leucémie pour les enfants vivant à proximité ». Les auteurs de cette étude soulignaient que le risque de leucémie augmentait de 69 % pour les enfants dont le domicile se trouvait à moins de 200 mètres des lignes à haute tension au moment de leur naissance et de 23 % pour ceux qui étaient domiciliés à une distance située entre 200 et 599 mètres, par rapport à ceux qui étaient nés à plus de 600 mètres. La secrétaire d’État allait proposer une circulaire au ministre de l’écologie, invitant les préfets à réglementer les permis de construire sous des lignes à haute tension.

RTE reconnaît, dans un communiqué du 28 janvier 2009, la légitimité des préoccupations des riverains des lignes électriques quant aux effets sur la santé. Selon RTE, toutes les études et expertises menées depuis plus de trente ans n’ont jamais révélé d’effets sur la santé liés aux expositions aux champs magnétiques à très basse fréquence, ce que confirme l’AFSSET, tout en recommandant, dans son communiqué du 6 avril dernier, de ne plus installer de telles lignes à proximité d’établissements accueillant les enfants, au nom du principe de précaution.

L’AFSSET reconnaît qu’une association statistique a été démontrée par plusieurs études, au point que le Centre international de recherche sur le cancer a classé en 2002 les champs d’extrêmement basses fréquences comme cancérogènes possibles pour l’homme, mais avoue ne pas connaître le mécanisme d’action en jeu.

Pour l’OPECST, « un consensus international existe : les champs électriques ou magnétiques n’ont vraisemblablement aucun impact sur la santé. Les normes existantes n’ont pas à être modifiées. Cependant, trois cas font débat : l’électrohypersensibilité, certaines maladies neurodégénératives et les leucémies infantiles ».

L’agriculture et l’élevage paraissent, eux aussi, concernés et impactés, comme l’a souligné notre collègue. Selon certains, on relève régulièrement de graves problèmes sur des élevages à cause des lignes à haute tension ou des prises de terre des transformateurs électriques. Ils avancent que l’on peut recenser des problèmes tels que des baisses des défenses immunitaires, des baisses de fécondité, des avortements spontanés, du cannibalisme, des ulcères, des malformations par manque de calcium, des excès de fer dans le sang, des problèmes thyroïdiens.

La cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 1er mars 2010, vient de préciser le régime de l’action en réparation engagée par l’éleveur se prétendant victime des effets de l’exposition de ses installations d’élevage au champ électromagnétique induit par une ligne à très haute tension.

Le tribunal de grande instance de Tulle, dans une décision du 28 octobre 2008, avait innové en faisant une application entre personnes privées du principe de précaution, retenant à l’encontre du gestionnaire du réseau de distribution d’électricité une présomption de dangerosité de l’ouvrage, à défaut pour lui de rapporter la preuve de son innocuité.

Ce faisant, le tribunal a condamné RTE à verser à l’éleveur concerné une indemnité, afin de compenser le préjudice subi par l’exploitation du fait de l’exposition à la ligne à très haute tension.

À défaut pour l’éleveur d’avoir mis en évidence, de manière certaine, l’existence d’un lien de causalité suffisamment caractérisé, la cour d’appel n’a pu que réformer le jugement déféré et débouter l’éleveur de sa demande indemnitaire.

Cette décision est conforme à la position de la Cour de cassation, qui rejette, dès lors qu’il n’existe aucune certitude scientifique quant à la dangerosité.

Ainsi, il paraît difficile, voire impossible, pour un exploitant d’obtenir la réparation des préjudices qu’il peut subir du fait de la proximité d’une ligne à très haute tension.

L’OPECST propose des pistes de recherche et des mesures concrètes. Au-delà des questions sanitaires et environnementales, il plaide pour le réengagement de l’État et un meilleur dialogue avec les élus et les citoyens.

Afin de préciser les conditions de compatibilité d’un élevage à proximité d’une ligne électrique et d’offrir un dispositif pédagogique sur les courants parasites, RTE propose de choisir deux à quatre fermes témoins au voisinage de la future ligne Cotentin-Maine ou d’une ligne à 400 000 volts déjà existante. Elles feront l’objet d’un diagnostic complet – électrique, zootechnique et sanitaire – renouvelé tous les trois ans.

Ou encore, RTE et l’AMF ont signé une convention, dans laquelle la situation des tiers à proximité des lignes à haute tension et à très haute tension est prévue. RTE va mettre à disposition des maires un nouveau dispositif permettant de mesurer les champs magnétiques à proximité des lignes à très haute tension par des laboratoires agréés. Une plaquette vient d’être diffusée à l’ensemble des élus concernés par ces ouvrages.

Dans le cadre de la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, aux termes de l’article 42 de la loi Grenelle I et de l’article 183 de la loi Grenelle II, un dispositif de surveillance des niveaux de champs électromagnétiques à proximité des lignes à très haute tension doit être instauré. Il serait souhaitable que le décret devant être soumis à l’examen du Conseil supérieur de l’énergie voie le jour avant la fin de cette année.

Enfin, le 2 avril 2009, le Parlement européen a adopté une résolution sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques. Parmi ses vingt-neuf recommandations figure une invitation à la Commission à présenter un rapport annuel sur le niveau de rayonnement électromagnétique dans l’Union, sur les sources de ce dernier et sur les mesures prises par l’Union pour mieux protéger la santé humaine et l’environnement.

Le Parlement s’interroge vivement sur le fait que les compagnies d’assurance tendent à exclure la couverture des risques liés aux champs électromagnétiques des polices de responsabilité civile. À l’évidence, les assureurs européens font déjà jouer leur version du principe de précaution.

Nous y voilà !

Le principe de précaution, aux termes duquel est recommandée l’étude des actions qui permettraient d’éviter des dommages possibles, même si leur survenue est incertaine, est défini et interprété de façon très variée. L’approche est essentiellement fondée sur l’idée selon laquelle « mieux vaut la sécurité que les regrets ».

Alors, bien sûr, il s’agit non pas d’être pour ou contre le progrès, mais de choisir de vivre dans une société qui ne fabrique pas de profit au détriment de la santé publique. Nous sommes tous concernés par l’adoption ou non d’une réglementation de protection de la santé publique vis-à-vis des rayonnements électromagnétiques.

Madame le secrétaire d’État, vous qui êtes sensible à l’exposition de la population française aux ondes émises par les antennes-relais et qui préconisez l’interdiction du téléphone portable à l’égard des plus jeunes et le port de l’oreillette par tous, je vous remercie des éléments de réponse que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, un constat a fort bien été posé dans le rapport qui nous a été présenté : le développement des technologies a radicalement changé la conception même du risque. Le « risque majeur », c'est-à-dire celui qui pourrait toucher la grande majorité de la population, est aujourd’hui possible, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Sans céder à l’hystérie ou à l’angélisme technologique, nous devons réellement mettre en balance les risques face aux bénéfices que la société peut attendre des nouvelles technologies.

À ce titre, les contributions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – je pense notamment aux radiofréquences ou aux nanotechnologies – sont souvent empreintes de bon sens, de pragmatisme et de réalisme.

Le rapport consacré aux effets sur la santé et l’environnement des champs électromagnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension dont nous discutons aujourd’hui fera date, je l’espère. En effet, il constitue enfin une base solide de discussion, dans la ligne des autres rapports récemment publiés, notamment par l’AFSSET. Voilà moins de quinze jours, j’ai reçu le rapport de la mission confiée au Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, et au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET ; je le remettrai aux commissions concernées dès la semaine prochaine.

M. Daniel Raoul, au nom de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Oui, ces lignes à très haute tension sont nécessaires pour notre pays, et vous l’avez reconnu. Oui, nos concitoyens ont des doutes à leur égard. Oui, il faut reconnaître que l’impact de ces lignes soulève des questions auxquelles il est essentiel d’apporter des réponses.

Antoine Lefèvre a très bien rappelé le temps qu’il nous a fallu pour reconnaître ces zones d’ombre et ainsi franchir un grand pas.

Commençons par le premier sujet que vous avez évoqué : la connaissance de l’exposition de la population française et l’impact de ces lignes sur la santé.

Vous l’avez rappelé, selon une projection de RTE, 375 000 personnes seraient exposées à 0,4 microtesla. Il faut connaître finement la population et le bâti concernés, ainsi que les expositions. Les dispositions des lois Grenelle I et Grenelle II vont nous aider dans cette tâche. Elles permettent une mesure et un contrôle régulier des champs électromagnétiques, notamment à proximité des réseaux de transport d’électricité.

Elles rendent aussi possible un accès à une mesure objective. En effet, dorénavant les collectivités locales ou des associations pourront demander une mesure, qui sera réalisée par un organisme accrédité, et ce à la charge du transporteur d’électricité.

Les lois précitées prévoient la transparence et la diffusion des études, puisque tous les résultats, en tout cas pour ce qui nous concerne ici, seront transmis à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui doit les rendre publics.

S’agissant du recensement précis du bâti et des populations, je vais demander à RTE un bilan précis et exhaustif des établissements dits « sensibles » exposés à des champs magnétiques importants. Nous devons en effet savoir précisément combien de crèches ou d’écoles sont implantées dans cette zone des 100 mètres de chaque côté et combien sont exposées à 0,4 microtesla, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Sur cette base, nous pourrons clairement évaluer l’impact des décisions que nous prendrons.

Parallèlement, il convient de progresser dans le domaine de la recherche et de l’expertise sur l’impact des lignes en cause – c’est une proposition unanime – pour essayer de réduire autant que possible les zones d’ombre.

Comme cela a été rappelé, l’étude Expers est actuellement menée par Supélec. Elle permettra d’estimer et de caractériser l’exposition de l’ensemble de la population aux champs magnétiques de basse fréquence, à partir d’environ mille adultes et mille enfants. Les résultats de ce travail nous fourniront des pistes.

Par ailleurs, une étude de cohorte, qui permettra de suivre 20 000 enfants de la naissance jusqu’à l’âge adulte, s’intéressera également à l’exposition aux champs magnétiques de basse fréquence.

Les domaines de recherche dans lesquels nous devons encore progresser sont très nombreux, vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je pense, en premier lieu, aux maladies neurodégénératives, même si le risque n’est pas avéré, comme l’indique dans son apport l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

La France a décidé de lancer le plan Alzheimer, doté d’une enveloppe de 200 millions d’euros sur cinq ans, qui prendra en compte cette dimension dans les axes de recherche.

Je pense, en deuxième lieu, à l’électrohypersensibilité, point très difficile que le rapport a abordé avec une très grande justesse. Comme sur la question des ondes émises par les antennes-relais ou par les téléphones portables, jusqu’à présent, rien ne permet d’expliquer les troubles dont souffrent certaines personnes et d’identifier les mécanismes en cause.

Pour autant, la souffrance est réelle et ne doit pas être ignorée.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la table ronde sur les radiofréquences, avait été décidée la mise en place d’un protocole de prise en charge de ces personnes sous la coordination de l’hôpital Cochin. Ce protocole permettra de prendre en compte ces deux dimensions d’hypersensibilité aux ondes magnétiques ou aux radiofréquences.

Je pense surtout, en troisième lieu, aux leucémies aiguës de l’enfant. C’est tout le paradoxe, les études épidémiologiques font apparaître une corrélation statistique entre une exposition à 0,4 microtesla et le doublement des cas de leucémies, mais, dans le même temps, on est totalement incapable d’expliquer le mécanisme qui permettrait d’apporter un éclairage sur cette corrélation.

C’est d’ailleurs à partir de ces études épidémiologiques, que, en 2002, le CIRC avait classé le champ magnétique de basse fréquence comme un cancérogène de catégorie 2B, et non de catégorie supérieure, dans la mesure où le mécanisme demeure inexpliqué.

Donc, j’y insiste, contrairement à ce que l’on constate pour ce qui est des ondes émises par les antennes ou par les téléphones portables, il existe, en l’espèce, une grande convergence entre les études effectuées sur le sujet.

En attendant la progression de la connaissance sur l’exposition et une explication des mécanismes, un certain nombre de mesures peuvent cependant être prises.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur Raoul, pour des raisons évidentes, il est essentiel que la recherche relative à l’impact des lignes de haute tension ne soit pas intégralement financée par RTE, même si, je tiens à le rappeler, ce dernier est indépendant d’EDF. Il est donc nécessaire que l’État développe des financements publics à cette fin.

Le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer a demandé à l’ANR, l’Agence nationale de la rechercher, d’intégrer dans ses programmes pour la question des champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence, notamment leurs effets sur les enfants.

Par ailleurs, nous allons demander à l’ANSES de tenir compte de ses propres recommandations en matière de recherche lors de l’élaboration de ses appels à projets dans les domaines de la santé et de l’environnement.

L’enfouissement des lignes est souvent présenté comme « la » solution. Mme Escoffier l’a très bien souligné, cette technique présente principalement trois limites.

Tout d’abord, l’impact sur la santé lorsqu’une construction est située juste au-dessus d’une ligne enfouie peut être supérieur aux conséquences d’une ligne aérienne. N’oublions pas non plus que le coût de l’enfouissement est dix fois supérieur à celui d’une ligne aérienne. Enfin, techniquement, une telle solution n’est pas possible partout. En effet, on ne peut enfouir une ligne que sur de très courtes distances au sein d’un même réseau. Comme le souligne le rapport, cette option technico-économique ne peut être fondée que sur une démarche prenant en considération le coût et l’avantage de l’enfouissement. Cette position est totalement lucide.

Cependant, il reste de marges de progrès pour enfouir ces fameuses lignes. D’ailleurs, dans le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité sont prévues les modalités de participation financière de RTE à la mise en souterrain d’ouvrages existants. Je rappelle également que, dans le contrat de service public conclu avec RTE, figurent des objectifs d’enfouissement des lignes.

Pour autant, l’Office recommande principalement, à titre de précaution ou de prudence – ne jouons pas sur les mots – de ne pas exposer un nombre encore plus élevé de personnes sensibles. Cela relève du bon sens. D’ailleurs, un certain nombre de pays, comme le Luxembourg, l’Allemagne ou, avec une autre force juridique, la Suisse, appliquent d’ores et déjà cette recommandation en prévoyant un certain éloignement par rapport aux bâtiments.

La mesure de bon sens non contraignante que vous préconisez s’impose à nous, car il est impossible aujourd’hui d’établir un lien mécanique entre le constat épidémiologique et les raisons sanitaires. Dans tous les cas, une mesure contraignante aurait juridiquement une portée relativement faible.

Suite aux recommandations de l’AFSSET, nous avions saisi, avec M. Jean-Louis Borloo, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, et le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET, qui aboutissent à peu près à la même conclusion : l’État doit préconiser une recommandation non contraignante pour éviter, dans la mesure du possible, l’installation de bâtiments sensibles dans des zones de prudence.

À vrai dire, je vois que les débats que suscitent les conclusions de votre rapport par rapport à celui de l’AFSSET sont pratiquement inexistants. Simplement, l’un formule sa recommandation en termes de distance, d’éloignement par rapport à une ligne, l’autre la formule en termes de niveau d’exposition, avec le fameux seuil de 0,4 microtesla.

Nous allons élaborer des recommandations à destination des préfets et des maires sur ce sujet. Cela devrait répondre à votre demande, madame Schurch.

Mais, puisque nous avons un doute sur le bon critère à adopter – la distance de 100 mètres ou le seuil de 0,4 microtesla –, nous vous proposons de mettre en place un groupe de travail, avec les représentants des collectivités locales, l’objectif étant d’aboutir, dans moins d’un an, à des recommandations concrètes.

Par ailleurs, vous le savez, les SCOT, schémas de cohérence territoriale, et certains PLU, plans locaux d’urbanisme, doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale, et certains grands projets d’urbanisme doivent également faire l’objet d’une étude d’impact au cas par cas.

La question de l’analyse de l’exposition aux champs de basse fréquence sera intégrée aux éléments à prendre en compte dans ces études.

Enfin, toute nouvelle ligne devra éviter les établissements sensibles et les choix seront faits en fonction de ce critère.

Vous avez également émis des recommandations en termes de concertation. Là encore, nous retrouvons les sujets que nous avions identifiés au sujet des radiofréquences.

Vous soulignez, à juste titre, que la nécessité de réaliser des lignes à très haute tension doit être l’expression d’un projet collectif. Cela me semble effectivement fondamental.

Les procédures actuelles de construction des lignes prévoient d’ores et déjà des participations, parfois complexes, du public et des élus. Il faudra sans doute les améliorer et surtout améliorer leur compréhension. Le contrat de service public de RTE contient également des dispositions allant dans ce sens.

Pour répondre un peu plus précisément sur la question de la transparence, je vous indique qu’il existe une page, sur le site internet de RTE, consacrée à se sujet. Nous avons également créé un site, « ondes-info », consacré à l’ensemble des ondes et intégrant les données issues de votre rapport, monsieur le sénateur.

Par ailleurs, nous avons créé un groupe de travail sur les risques émergents, dans le cadre du plan national santé-environnement. Nous souhaitons qu’il puisse se saisir de cette question de la concertation.

J’y suis très sensible, votre rapport a abordé l’impact de ces ondes sur l’environnement. Je m’en réjouis, puisque, je vous le rappelle encore une fois, 2010 est toujours l’année internationale de la biodiversité…

A priori, nous n’avons pas repéré d’impact des champs magnétiques sur la santé des animaux. En revanche, nous avons bien identifié un problème électrique.

J’en viens donc à votre recommandation concernant le GPSE, le groupe permanent sur la sécurité électrique. Nous avons pu échanger avec le ministère de l’agriculture et son rôle sera réaffirmé et conforté.

RTE travaille en lien étroit avec le ministère de l’agriculture et la profession agricole depuis plus d’un an pour améliorer l’organisation du GPSE et lui donner un statut d’association, au sein de laquelle le ministère sera présent. Cette association devrait voir le jour dans les prochains mois. Elle sera totalement en phase avec les différentes recommandations que vous avez émises sur le sujet.

Pour conclure, je n’ai pas de citation aussi belle que celle de Mme Anne-Marie Escoffier, mais, comme elle, je pense que c’est effectivement avec beaucoup d’humilité que l’on doit aborder ce sujet. En effet, de nombreuses zones d’ombre persistent mais nous ne pouvons pas, pour autant, ignorer le problème. La société dans laquelle nous vivons désormais ne le permet plus.

Nous devons donc faire face à ces questions avec pragmatisme, en évitant la surenchère et en assumant les zones d’ombre. C’est la raison pour laquelle je vous remercie du rapport fait par l’Office : il clarifie la situation et apporte des réponses de bon sens que nous allons, pour l’essentiel, reprendre à notre compte. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur les effets sur la santé et l’environnement des champs électromagnétiques produits par les lignes à haute et très haute tension.

11

Décision du conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 novembre 2010, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d’origine ainsi qu’à la lutte contre les réseaux d’exploitation concernant les mineurs.

Acte est donné de cette communication.

12

Nomination d’un membre d’une commission

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union pour un Mouvement Populaire a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Mireille Oudit membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à la place laissée vacante par M. Jean-Claude Etienne, dont le mandat de sénateur a cessé.

13

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 8 novembre 2010, à quatorze heures trente et le soir :

1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Saint-Christophe-et-Niévès relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 744, 2009-2010).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 10, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 14, 2010-2011).

2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Saint-Vincent-et-les-Grenadines relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 743, 2009-2010).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 10, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 13, 2010-2011).

3. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Sainte-Lucie relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 742, 2009-2010).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 10, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 12, 2010-2011).

4. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Grenade relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 741, 2009-2010).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 10, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 11, 2010-2011).

5. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d’Antigua-et-Barbuda relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 22, 2010-2011).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 32, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 33, 2010-2011).

6. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Vanuatu relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 745, 2009-2010).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 10, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 15, 2010-2011).

7. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l’Uruguay relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 746, 2009-2010).

Rapport de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances (n° 10, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 16, 2010-2011).

8. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2011 (n° 84, 2010-2011).

Rapport de M. Alain Vasselle, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. André Lardeux, Dominique Leclerc et Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 88, 2010-2011) ;

Avis de M. Jean-Jacques Jégou, fait au nom de la commission des finances (n° 90, 2010-2011).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinq.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART