SEANCE DU 22 JANVIER 2002


M. le président. La parole est à M. Hyest, auteur de la question n° 1246, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Jacques Hyest. Madame le garde des sceaux, je tiens à vous remercier de votre présence, ce matin, dans cet hémicycle. Ma question dépasse en effet largement le niveau local. Les mouvements d'avocats dans tous les barreaux de France, la grève qui est intervenue et qui risque d'être reconduite, avec des conséquences fort regrettables - une juridiction a ainsi dû prononcer la libération de détenus - sont dus à l'exaspération des avocats face à la réforme de l'aide juridictionnelle.
Vous vous étiez engagée, au nom du Gouvernement, à la suite du rapport Bouchet, à présenter un projet de loi sur la réforme de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit au plus tard le 15 septembre 2001, les projets de décrets devant normalement, pour un problème de tarifs, être préparés à cette même date. (Mme le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Si ! madame le garde des sceaux, car il convient quand même de prendre un certain nombre d'engagements ! Et l'on ne peut pas faire de réforme sans moyens financiers.
L'avant-projet de loi présenté en catastrophe, en régression par rapport à la législation actuelle, présente pour la profession des dispositions extrêmement dangereuses. En effet, le fort relèvement des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle totale ou partielle, ne tenant compte de surcroît que du revenu fiscal, aurait pour effet, selon les estimations sérieuses, de porter de 27 % à 40 % de la population le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle totale, à laquelle s'ajoute l'aide juridictionnelle partielle.
Sans augmentation sensible de la rémunération des avocats, il est évident que ces professionnels ne pourront plus assurer la défense de ces bénéficiaires de l'aide juridictionnelle dans des conditions de sérieux et d'efficacité qu'ils sont en droit d'attendre. Cette situation risque d'aggraver la situation critique de nombreux cabinets, dont les charges ne cessent d'augmenter.
Enfin - et cela figurait dans le rapport Bouchet -, les avocats s'inquiètent de l'encouragement donné aux systèmes d'assurance protection juridique pour permettre, parmi d'autres moyens, l'accès aux droits. A terme, 80 % de l'activité des avocats pourrait dépendre de l'Etat ou des compagnies d'assurance. Nous savons bien ce que cela donne en médecine. Ne reproduisons pas, par conséquent, la même chose !
Pour toutes ces raisons, je souhaite vraiment, madame le garde des sceaux, que vous précisiez les intentions du Gouvernement pour sortir de cette situation qui risque, en fin de compte, d'être préjudiciable aux plus démunis de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je ne peux pas laisser dire qu'il y a une inertie des pouvoirs publics sur la question de l'aide juridictionnelle, comme certaines organisations professionnelles l'ont déclaré. C'est pourquoi je suis ravie de votre question.
Comme vous le savez, j'ai signé un protocole d'accord le 18 décembre 2000 avec les représentants des organisations professionnelles d'avocats, d'ailleurs avec difficulté, car vous imaginez bien que tous n'étaient pas d'accord sur le contenu.
Les engagements ont été tenus. En effet, la rémunération des avocats, conformément à ce qui était prévu, a été augmentée pour un certain nombre de procédures dans des proportions importantes en 2001 et au 1er janvier 2002. Cela représente un effort budgétaire de 53,36 millions d'euros, soit 350 millions de francs - j'avais promis 330 millions de francs -, et ce avec le soutien de l'Assemblée nationale qui a adopté le projet de budget de mon ministère. Même si les choses ne se sont pas passées de la même façon au Sénat, vous étiez sûrement tout à fait favorable à cette disposition, monsieur le sénateur ! (M. Hyest s'exclame.) Cet effort représente, à lui seul, 60 % de la progression des crédits de l'aide juridictionnelle de 1997 à 2002.
Je m'étais aussi engagée à élaborer un projet de loi réformant l'accès au droit et à la justice, et j'ai demandé à la commission présidée par M. Paul Bouchet, président d'ATD Quart-Monde, d'établir un bilan de la situation actuelle et de faire des propositions de réformes.
Au printemps dernier, dès que le rapport de la commission m'a été remis - et je salue les membres de cette dernière, car, à la fin, ils ont dû travailler jour et nuit pour terminer ce rapport en temps et en heure -, j'ai fait organiser des groupes de travail avec les organisations représentatives de la profession d'avocat. Elles devaient transmettre leurs propositions, mais ne l'ont fait que tardivement en raison de la complexité des questions posées ; par ailleurs, la période estivale des mois de juillet et d'août a quelque peu retardé les choses.
Mes services ont élaboré un projet de loi, qui a ensuite été soumis à la profession. Des critiques ont été émises sur ce projet, mais les organisations d'avocats, invitées à de nombreuse reprises au ministère de la justice, ont refusé d'en discuter car elles ne souhaitaient aborder que la question de la rémunération. Je le déplore, car nous aurions pu progresser sur l'ensemble des projets. Certaines critiques montrent d'ailleurs que des malentendus subsistent quant à la portée du texte ; or ils auraient pu être levés si cette discussion avait eu lieu.
Le projet de loi est porteur d'avancées considérables. Il élargit le domaine de l'aide juridictionnelle et permettra à des personnes qui n'ont pas les moyens d'engager une action ou même de se défendre d'avoir accès à la justice dans des conditions satisfaisantes.
Il est important, je le souligne, de relever les plafonds, parce que de nombreux avocats ou cabinets d'avocats qui font beaucoup d'aide juridictionnelle nous ont déclaré ne pas demander de rémunération pour des actions courtes, lorsqu'ils défendent des personnes dont le revenu est de peu supérieur au plafond actuel, en raison d'un manque de moyens des justiciables.
Le texte vise à simplifier radicalement les procédures d'obtention de l'aide juridictionnelle. Pour ce faire, il tend à prendre en compte les revenus fiscaux, nombre de personnes s'étant plaintes de la longueur de l'instruction des dossiers et de l'inégalité sur le territoire résultant du nombre de critères à considérer.
Il tend enfin à offrir une prestation de qualité par des auxiliaires de justice mieux rémunérés. La question de la rémunération des avocats relève d'un décret d'application de la loi, qui ne peut donc intervenir avant celle-ci. D'ores et déjà, le projet de loi comporte le mot « rémunération » au lieu du mot « rétribution », ce qui est un principe important.
Ce changement de dénomination n'est à nos yeux pas seulement symbolique. Il marque une rupture avec le dispositif actuel et s'affirme comme le corollaire nécessaire à l'amélioration du système de l'aide juridictionnelle. La qualité de la prestation passe aussi, en effet - nous sommes tous d'accord sur ce point -, par une meilleure rémunération de l'auxiliaire de justice.
Aussi, je souhaite que soient poursuivies, sur ces sujets, les discussions entreprises avec les représentants des avocats, même si certains d'entre eux ont quitté la table des négociations en raison de dissensions existant entre les organisations.
Enfin, vous évoquez, monsieur le ministre, la question de l'assurance de protection juridique. Il s'agit, à mon avis, d'une question importante, et le rapport préconise son développement à condition que les clauses des contrats soient modifiées et que cette assurance se développe parallèlement à l'aide juridictionnelle et non en remplacement de celle-ci. Or, tout le monde ne s'accorde pas non plus sur cette approche de l'assurance. Je pense, pour ma part, que la solidarité nationale doit jouer lorsque les gens ont vraiment trop peu de revenus.
Cette question relève aussi de la concertation entre les entreprises d'assurance et les mutuelles, d'une part, et les organisations professionnelles d'avocats, d'autre part. Je souhaite que cette concertation avance. L'Etat ne peut pas réglementer la rémunération que les compagnies d'assurance verseront aux avocats.
Par ailleurs, la commission des clauses abusives a déjà fait des recommandations sur ce point.
Vous le voyez, monsieur Hyest, un chantier important est ouvert. Les organisations professionnelles d'avocats ont, chacun le sait, des approches différentes. Mon appréciation du dossier me conduit à vous dire aujourd'hui qu'un cabinet d'avocats où, par exemple, plus de 50 % des dossiers sont traités par le biais de l'aide juridictionnelle n'a pas les mêmes problèmes qu'un cabinet d'avocats pour qui le taux de cette aide ne représente qu'un faible pourcentage de son activité. Il ne faut pas que certains barreaux ferment la porte à des avocats qui, pour un temps déterminé, feraient de l'aide juridictionnelle en négociation avec nous tous.
Beaucoup de questions se posent donc. Nous avons des solutions et, en tout cas, M. le Premier ministre s'est déjà engagé à ce que le budget de l'aide juridictionnelle soit augmenté d'année en année. C'est un acquis formidable.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je tiens à remercier Mme le garde des sceaux des informations qu'elle a données.
Il nous faut être attentif au fait, notamment dans les barreaux de province, que l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle risque de peser sur l'équilibre financier des cabinets. Et, compte tenu de l'augmentation des charges que l'on constate dans toutes les professions libérales, certains cabinets d'avocats risquent d'être asphyxiés et de disparaître.
Si les avocats sont très mal rémunérés, la qualité de leurs prestations - vous le savez bien - s'en ressentira. Si l'on veut défendre tout le monde, il faut permettre aux avocats d'exercer ces missions d'aide juridictionnelle. Par conséquent, l'élévation du nombre de bénéficiaires de cette aide - après tout, c'est un choix - signifie qu'il faut améliorer la rémunération des avocats. C'est pourquoi il me paraît fondamental, qu'on le veuille ou non, même s'il y a d'autres aspects, que le projet de loi soit voté et, ensuite, que les décrets soient publiés. Mais, madame le garde des sceaux, nous demandons en permanence, préalablement au vote d'une loi, qu'une étude d'impact soit réalisée. Si l'on ne consacre pas les moyens nécessités par les dispositions adoptées, ce n'est même plus la peine de voter les lois ! D'ailleurs, si l'on avait, en ce qui concerne certaines lois, mené une véritable étude d'impact, on aurait peut-être sursis à les voter. Il n'est pas besoin de donner d'exemples !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Monsieur Hyest, je comprends bien le problème posé par le relèvement du plafond d'admission à l'aide juridictionnelle. Mais actuellement, le plafond équivaut à 0,99 fois le SMIC et se situe donc en-dessous de ce dernier.
Or, une personne qui perçoit le SMIC et qui n'a pas droit à l'aide juridictionnelle totale ne peut généralement pas payer un avocat pour équilibrer les finances du cabinet. C'est précisément parce que vous avez parlé d'équilibre dans les cabinets que je souhaite qu'une étude régionalisée et territoriale de l'impact d'une aide juridictionnelle revue soit menée.
M. le président. Madame le garde des sceaux, je vous remercie d'être venue répondre en personne aux questions posées par les sénateurs.

AFFECTATION DU « PAVILLON DE VALOIS »
SITUÉ DANS LE PARC DE SAINT-CLOUD