SEANCE DU 7 JUIN 2001


M. le président. Par amendement n° 1, M. Lambert, au nom de la commission, propose d'ajouter, avant le titre Ier, une division additionnelle ainsi rédigée :
« Titre Ier A. - Des lois de finances. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. Il s'agit de donner beaucoup de clarté et de lisibilité à ce texte dont nous entamons l'examen en insérant une division additionnelle dans laquelle sont décrits l'objet et les principales caractéristiques des lois de finances.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans la proposition de loi organique, avant le titre Ier.
Par amendement n° 2, M. Lambert, au nom de la commission, propose d'insérer, avant le titre Ier, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans les conditions et sous les réserves prévues par la présente loi organique, les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat ainsi que l'équilibre financier qui en résulte. Elles tiennent compte d'un équilibre économique qu'elles décrivent, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elles déterminent.
« Elles approuvent le budget de l'Etat qui décrit l'ensemble de ses recettes et de ses dépenses budgétaires pour un exercice, ainsi que l'équilibre budgétaire qui en résulte. Sans préjudice des dispositions prévues à l'article 26 ter , l'exercice s'étend sur une année civile.
« Les lois de finances peuvent comporter toutes dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, ainsi qu'à la comptabilité de l'Etat et au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics.
« Ont le caractère de lois de finances :
« 1° La loi de finances de l'année et les lois de finances rectificatives ;
« 2° La loi de règlement ;
« 3° Les lois prévues à l'article 45. »
Cet amendement est affecté de trois sous-amendements.
Le sous-amendement n° 169 rectifié, présenté par MM. Charasse, Angels et les membres du groupe socialiste et apparentés, tend à rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 2 :
« Dans les conditions et sous les réserves prévues par la présente loi organique, les lois de finances arrêtent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat ainsi que l'équilibre financier qui en résulte. Elles tiennent compte des perspectives économiques qu'elles constatent, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elles déterminent. »
Les deux sous-amendements suivants sont déposés par MM. Fréville, Arthuis et Badré.
Le sous-amendement n° 244 rectifié a pour objet :
I. - A la fin de la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 2 pour insérer un article additionnel avant le titre Ier, de remplacer les mots : « ainsi que l'équilibre financier qui en résulte » par les mots : « compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent ».
II. - Dans la seconde phrase du premier alinéa de ce texte, de supprimer les mots : « d'un équilibre économique qu'elles décrivent, ainsi que ».
Le sous-amendement n° 245 rectifié tend à rédiger comme suit la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 2 pour insérer un article additionnel avant le titre Ier :
« Elles approuvent pour un exercice le partage des impositions de toute nature de l'Etat, le budget qui décrit l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'Etat, ainsi que l'équilibre budgétaire qui en résulte. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Alain Lambert, rapporteur. Il s'agit de définir, au début de la loi organique, les principaux objets des lois de finances, ainsi que les domaines dans lesquels elles peuvent statuer, et d'énumérer les différents types de loi de finances.
Par rapport au droit existant, une mention nouvelle est introduite, qui est d'ailleurs controversée, il s'agit de la faculté offerte aux lois de finances de statuer sur les règles comptables appliquées à l'Etat. La commission des finances considère que c'est là un domaine fondamental dans la perspective de la détermination des ressources et des charges de l'Etat par le législateur financier.
Il s'agit donc de prévoir que les lois de finances peuvent aborder des questions comptables, sans d'ailleurs leur conférer une compétence exclusive en la matière.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre le sous-amendement n° 169 rectifié.
M. Michel Charasse. Ce sous-amendement est d'ordre rédactionnel. Je préférerais, personnellement, que les lois de finances tiennent compte « des perspectives économiques qu'elles constatent » plutôt que d'un « équilibre économique qu'elles décrivent ». En effet, les perspectives économiques se constatent.
Au passage, je voudrais tout de même remercier M. le président de la commission des finances d'avoir bien voulu faire passer clairement le régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics dans le domaine de la loi.
M. le président. La parole est à M. Fréville, pour défendre les sous-amendements n°s 244 rectifié et 245 rectifié.
M. Yves Fréville. Le premier sous-amendement traite d'une question qui est peut-être secondaire.
L'ordonnance de 1959 contenait un principe qui avait été considéré comme un « principe fondamental » par le Conseil constitutionnel, celui selon lequel les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat « compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent ».
La commission des finances, et je comprends très bien sa motivation, sépare l'aspect économique de l'aspect financier : selon l'amendement n° 2, les lois de finances « tiennent compte d'un équilibre économique » et, par ailleurs, elles déterminent l'équilibre financier.
Je trouvais que la formule ancienne avait ses mérites parce qu'il y a naturellement rétroaction de l'équilibre financier sur l'équilibre économique. De surcroît, je ne percevais pas bien pour quelle raison il fallait modifier ce principe fondamental reconnu par le Conseil constitutionnel.
Quant au sous-amendement n° 245 rectifié, il pose un problème essentiel. Je me demande, d'ailleurs, s'il convient de l'exposer maintenant tant il dépend du sort d'un amendement fondamental qui viendra en discussion plus tard. Nous n'en sommes ici qu'au tout début du texte et je me demande si l'on ne pourrait pas décider la réserve sur ce problème du partage.
M. le président. Il vaut mieux que vous l'exposiez maintenant.
M. Yves Fréville. Nous considérons, Jean Arthuis et moi-même, que la loi de finances doit non seulement et d'abord approuver le budget mais aussi définir le partage de ces ressources que sont les impositions de toutes natures. Le montant de ces impositions de toutes natures s'élève à 1 000 milliards de francs, qui sont partagés de facto selon des procédures différentes, soit d'affectation, soit de prélèvement, entre l'Etat lui-même, bien entendu, qui en a le solde, les collectivités locales, qui perçoivent des dotations globales sous forme essentiellement de prélèvements, la sécurité sociale, qui se voit affecter des impôts dont le principal d'entre eux est la CSG, enfin des organismes divers, ces fonds dont il a été souvent question au cours de nos dernières discussions, ainsi que d'autres organismes comme la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, par exemple.
Par conséquent, il serait opportun que, dès l'article liminaire et sans déflorer la discussion sur le fond que nous aurons tout à l'heure sur le problème de la constitutionnalité, on puisse lire que les lois de finances approuvent tout à la fois un partage des ressources et le budget.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les trois sous-amendements ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Le « poids » du sous-amendement n° 245 rectifié me donnait à penser qu'il n'avait pas pu être exposé aussi rapidement par notre collègue Yves Fréville !
S'agissant du sous-amendement n° 169 rectifié, qui est rédactionnel, M. Charasse a une préférence pour le verbe : « arrête » plutôt que pour le terme : « détermine », mais la commission des finances a le sentiment que sa rédaction n'est pas plus mauvaise que la sienne. Je serais heureux que M. Charasse veuille bien rejoindre notre point de vue.
Ce point n'est pas déterminant, mais je pense que notre rédaction est sans doute celle qu'il convient de conserver.
M. le président. Monsieur Charasse, acceptez-vous la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Michel Charasse. Oui, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 169 rectifié est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Charasse.
En ce qui concerne le sous-amendement n° 244 rectifié, M. Fréville a expliqué les raisons de sa proposition, reposant sur une conception de l'équilibre financier qui englobe des produits et des charges ne relevant pas du champ des lois de finances. Cette conception est donc plus floue que celle de la commission des finances. A nos yeux, l'équilibre financier est bien celui qui résulte de l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat, qu'elles soient ou non budgétées.
En tout cas, il nous a semblé délicat d'assigner à une loi de finances le soin de définir l'équilibre économique, ce qui nous conduit à recommander le retrait de ce sous-amendement, qui est, comme son auteur l'a dit, secondaire. Mais sans doute M. Fréville souhaitera-t-il entendre l'avis du Gouvernement sur ce sujet.
Avec le sous-amendement n° 245 rectifié, Yves Fréville et Jean Arthuis introduisent une notion nouvelle, celle des ressources partagées. Il s'agit donc d'un texte essentiel, et qui serait repris en écho, s'il était adopté par le Sénat, dans d'autres dispositions ultérieures. C'est ce qui a fait s'interroger notre collègue il y a un instant sur l'opportunité de développer d'ores et déjà sa pensée sur le sujet. Je pense que nous ne pouvons éviter de le faire maintenant car nous sommes dans une démarche de rédaction de la loi qu'il nous faut accomplir.
La notion de ressources partagées pourrait ne pas poser de problème majeur si elle ne comportait les conséquences que vous savez et que nous verrons plus loin à l'occasion de l'article d'équilibre.
Sur le fond, il s'agit d'introduire une notion juridique pour décrire le fait que le produit de certaines impositions de toutes natures fait l'objet d'un partage entre l'Etat et des tiers : collectivités locales, Union européenne, organismes de sécurité sociale et autres.
Ce partage est aujourd'hui obscur dans la mesure où, malgré les « jaunes budgétaires », personne ne sait vraiment très bien qui reçoit quelle imposition dans notre pays. Personne ne conteste, par conséquent, le caractère insatisfaisant de cet état de fait.
Nos collègues Yves Fréville et Jean Arthuis entendent donc clarifier les choses en introduisant ce nouveau concept et en disant en substance - je parle sous leur contrôle - qu'il existe trois types d'impositions de toutes natures, celles qui sont directement affectées, celles qui sont rétrocédées sous forme de prélèvement sur recettes, et celles de l'Etat.
Avec chacun de ces types de prélèvements, ils entendent faire coïncider un mode d'affectation : direct, pour celles qui sont prélevées directement, par prélèvement sur recettes pour les collectivités locales et l'Union européenne, par le budget de l'Etat pour celles qui reviennent à l'Etat.
La commission des finances soutient ce raisonnement en tous points : affectation directe aux articles 1er, 33 et à un article additionnel après l'article 48 que nous proposons ; prélèvements sur recettes aux articles 17 et 31 ; budget de l'Etat comme aujourd'hui.
Mais là où nos raisonnements tendent malheureusement à diverger, ce qui explique pourquoi la commission peut difficilement adhérer au concept de ressources partagées, c'est au regard des conséquences que les auteurs de l'amendement, MM. Fréville et Arthuis, entendent tirer de l'introduction de ce concept sur l'article d'équilibre. Ils proposent en effet que l'article d'équilibre retrace l'ensemble des impositions de toutes natures et, de ce fait, les intègre toutes dans le budget brut de l'Etat.
Cette technique pourrait être souhaitable par souci de clarté, mais la commission estime qu'il est impossible de l'appliquer dans le cadre constitutionnel actuel qui ne donne pas de monopole aux lois de finances en matière d'imposition de toutes natures et qui prévoit une loi de financement de la sécurité sociale..
Pour que nous acceptions ce nouveau concept, il faudrait préalablement modifier l'article 34 de la Constitution, ce qui n'est pas prévu.
Je souhaite indiquer à MM. Fréville et Arthuis, qu'après un travail vraiment long et minitieux, sans doute imparfait, mais que nous avons accompli avec la plus grande et la meilleure volonté, nous avons eu le sentiment d'être allés aussi loin que possible.
Nous avons en effet prévu que, pour l'avenir, les impositions de toutes natures sont par essence des recettes de l'Etat, ce qui permet de maintenir l'autorisation universelle des impositions de toutes natures en loi de finances, que leur affectation directe à d'autres personnes sera soumise à conditions et que sera reconnue l'existence des prélèvements sur recettes, ce qui n'avait pas été fait à l'Assemblée nationale, ainsi que vous l'avez souligné tout à l'heure dans la discussion générale, monsieur Fréville.
En revanche, il nous semble que la loi de finances ne peut rapatrier en son sein des financements directs déjà affectés, en particulier le financement de la sécurité sociale. Or, c'est ce à quoi aboutirait le concept de ressources partagées.
Nous avons eu le sentiment qu'en maintenant l'autorisation universelle de perception en loi de finances nous avions, en partie en tout cas, répondu à la préoccupation qui est la vôtre et qui est d'ailleurs partagée sur de nombreuses travées.
M. Jean Arthuis tout à l'heure a retenu une formule que j'ai trouvée intéressante : « Sincérité et lisibilité peuvent-elles être inconstitutionnelles ? » J'ai trouvé la formule très belle et je la ferai mienne, s'il m'y autorise sans me faire payer trop de droits d'auteur. (Sourires.)
C'est une belle interrogation, mais je crains que les belles qualités de sincérité et de lisibilité ne suffisent pas lors du contrôle de constitutionnalité.
Voilà, monsieur le président, pourquoi la commission des finances souhaite que MM. Arthuis et Fréville, après avoir entendu le Gouvernement, acceptent, en raison des informations que je viens de donner, de bien vouloir retirer cette intéressante proposition qui nous paraît présenter, à terme, un risque d'inconstitutionnalité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 2 et sur les sous-amendements n°s 244 rectifié et 245 rectifié ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je dois dire que je partage assez largement les points de vue qui viennent d'être développés à l'instant sur l'amendement n° 2 ainsi que sur les deux sous-amendements qui restent en discussion.
Compte tenu de son importance, je souhaiterais présenter quelques commentaires sur le sous-amendement n° 245 rectifié.
Je voudrais notamment dire à MM. Fréville et Arthuis que je comprends tout à fait leur préoccupation, qui est de disposer d'une version globale, claire et lisible de l'ensemble des prélèvements obligatoires,...
M. Jean Arthuis. Des impositions de toutes natures de l'Etat !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. ... des impôts recouvrés par l'Etat, quand bien même ils sont affectés non seulement à l'Etat, mais également à des tiers.
M. Philippe Marini. Des impositions de toutes natures !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je comprends leur préoccupation, mais je me dois de constater que, dans notre architecture institutionnelle et constitutionnelle, nous disposons désormais de deux textes : le projet de loi de finances, d'un côté, et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, de l'autre.
Le Conseil d'Etat, dans l'avis qu'il a rendu sur la première version de ce texte, a d'ailleurs indiqué clairement que la loi organique relative aux lois de finances pouvait prévoir que celles-ci comportent, en annexe, une récapitulation du produit des impôts affecté aux organismes de sécurité sociale, mais qu'elle ne peut prévoir que le texte normatif qui attribue le produit d'un impôt à un organisme de sécurité sociale soit la loi de finances. C'est un point de vue. Il doit, quoi qu'on en pense, être pris en compte.
Je relève, au-delà des avancées qui ont pu être indiquées par M. le président de la commission des finances, que le texte, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale et tel que votre commission des finances vous propose de l'adopter, prévoit une information sur l'affectation et le rendement de l'ensemble des impositions de toutes natures, puisque le nouvel article 48 quinquies dispose très précisément : « Sont joints au projet de loi de finances de l'année : 1° une annexe explicative comportant la liste et l'évaluation, par bénéficiaire ou catégorie de bénéficiaires, des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat et les collectivités territoriales ; ».
Le souci de lisibilité des auteurs du sous-amendement est pleinement pris en compte à travers cet article. Bien entendu, la forme du document devra être discutée avec chacune des assemblées pour répondre, le mieux possible, à votre exigence d'information.
Dans ces conditions, je préférerais que ce sous-amendement soit retiré.
Enfin, je confirme mon accord sur l'amendement n° 2.
M. le président. Le sous-amendement n° 244 rectifié est-il maintenu, monsieur Fréville ?
M. Yves Fréville. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. Le sous-amendement n° 244 rectifié est retiré.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 245 rectifié.
M. Jean Delaneau. Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Mon explication sur le sous-amendement n° 245 rectifié, qui est très important, vaudra pour les amendements n°s 248 rectifié et 249 rectifié et le sous-amendement n° 246 rectifié.
Le sous-amendement n° 245 rectifié a le mérite de la clarté : tous les impôts et taxes sont des ressources de l'Etat et figurent en loi de finances. Il appartient à cette dernière de « partager » chaque année ces ressources, notamment avec la sécurité sociale.
Cela signifie que la CSG mais aussi, par exemple, la taxe sur les contrats d'assurance automobile créée en 1967 ou encore la C3S créée en 1970 seraient réintégrées en lois de finances avant d'être rétrocédées à la sécurité sociale.
Chaque année, en quelque sorte, 600 milliards de francs de recettes de la sécurité sociale seraient décidés en loi de finances. Autant dire, dans ces conditions, que le vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'aurait plus guère de sens.
Je considère, pour ma part, que ce mécanisme de « ressources partagées » irait directement à l'encontre de l'article 34 de la Constitution dont on a fait état tout à l'heure et qui dispose que « les lois de financement déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu des prévisions de recettes, fixent des objectifs de dépenses » ; c'est l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Or je ne vois pas comment la loi de financement de la sécurité sociale, qui est votée avant la loi de finances, pourrait déterminer un ONDAM si elle n'a pas toute sûreté sur les rentrées.
Je ne pourrai donc pas voter le sous-amendement n° 245 rectifié, non seulement parce qu'il ne me semble pas conforme à la Constitution, mais également parce qu'il ne me paraît pas opportun.
Nous déplorons les jeux de miroirs que multiplie le Gouvernement entre les deux textes financiers. Or le présent sous-amendement aurait pour effet d'institutionnaliser des « miroirs permanents » et de faire en sorte que, lorsqu'on vote la loi de financement, le tiers de ses recettes serait virtuel.
En tant que président de la commission des affaires sociales, je ne suis pas préoccupé par la défense d'un pré carré ni animé par un esprit de boutique ; je suis profondément attaché à la cohérence des lois de financement de la sécurité sociale, qui confrontent des dépenses et des recettes et déterminent un équilibre. C'est cette cohérence que notre majorité a voulue en 1996, et c'est cette cohérence qui permet d'assurer un débat démocratique, transparent et responsable sur les comptes sociaux.
A ce titre, je voudrais exprimer un regret : il me semble que la réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances aurait dû être l'occasion de prendre en considération l'existence des lois de financement de la sécurité sociale. Or cela n'a pas été fait ; c'est même plutôt le choix inverse qui prédomine. Je crois qu'il aurait été cohérent d'inscrire en loi de financement l'autorisation de perception des impôts et taxes qui alimentent la sécurité sociale.
Je ne partage pas les considérations du rapport de la commission des finances sur « l'éclatement du consentement à l'impôt » entre deux textes qui seraient incompatibles avec le respect du principe posé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Et je m'inquiète des développements de ce rapport qui souligne, non sans logique d'ailleurs - je cite le rapporteur - que, « dès lors que la loi de finances autorise la perception des impositions de toute nature et que celles-ci sont détaillées et autorisées dans une annexe explicative, rien n'empêchera les parlementaires d'amender l'article autorisant la perception de toutes les impositions de toute nature afin d'en extraire telle ou telle imposition qui ne leur semblerait pas justifiée ». Or qui peut le plus peut le moins.
Rien n'empêchera la loi de finances, dans sa deuxième partie, de modifier le taux et l'assiette des impôts perçus au profit de la sécurité sociale, et donc de modifier profondément les équilibres de la loi de financement.
Vous voyez, mes chers collègues, que nous frôlons là la ligne jaune et que nous sommes déjà dans ce « jeu de miroirs institutionnalisés », que je dénonçais en m'opposant au sous-amendement n° 245 rectifié.
Je regrette que nous n'ayons pu progresser vers davantage de transparence et que l'ordonnance organique reste inchangée sur ce point, alors que sa réforme aurait dû permettre un progrès vers plus de cohérence.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, je dois dire que j'ai un peu de mal à comprendre exactement ce que signifie, dans le sous-amendement n° 245 rectifié, l'expression « partage des impositions de toute nature de l'Etat ».
Nous sommes dans le domaine de la loi organique qui concerne les lois de finances et nous délibérerons, tout au long de ce débat, sous le contrôle futur du Conseil constitutionnel, puisque celui-ci va fatalement examiner le résultat de nos délibérations.
Or le Conseil constitutionnel a toujours veillé à ce que ne figurent, dans la loi de finances, que les éléments qui doivent strictement y figurer, à savoir ce qui concerne l'Etat. Par conséquent, je ne vois pas comment on pourrait envisager d'y introduire d'autres éléments, à l'exception - comme l'a dit M. le président Delaneau - de l'article général, qui autorise la perception des impôts et qui est une disposition traditionnelle ; c'est d'ailleurs l'article 1er de chaque loi de finances de l'année.
De plus, je ne sais pas entre qui et qui se fait ce partage. Nous savons qu'il s'agit de ressources de l'Etat. En effet, ce dernier perçoit, pour son propre compte, des impositions qu'il inscrit à son budget en recettes et qu'il reprend en dépenses, puisqu'il doit les reverser à des tiers, le reversement étant une obligation de l'Etat. Il y a donc un transit budgétaire. Le partage évoqué par nos collègues MM. Fréville, Arthuis et Badré est-il donc celui qui a lieu entre l'Etat et les autres tiers pour lesquels il perçoit ?
M. Yves Fréville. Ce sera défini plus tard !
M. Michel Charasse. Ce sera peut-être défini plus tard mais, pour l'instant, je m'en tiens à cette définition. Le partage visé est-il celui des ressources de l'Etat, des recettes des impositions, au sein du budget entre les divers démembrements du budget, c'est-à-dire le budget général, les comptes spéciaux ou les budgets annexes ? Moi, je ne sais pas !
Comme l'ont dit très justement le président Lambert il y a un instant et Mme le secrétaire d'Etat après lui, je pense que nous frôlons là un domaine qui n'est pas celui des lois de finances. Par conséquent, je ne vois pas comment nous pourrions aller jusque-là, étant entendu qu'il y a selon moi un problème de rédaction, mais ce n'est pas une critique, car nous n'allons pas nous faire ce genre de méchanceté entre nous !
Cher président Lambert, c'est vrai qu'il y a un problème de compatibilité au regard de l'article 34 de la Constitution. C'est vrai aussi que nous sommes dans le domaine de la loi organique. D'ailleurs, l'article 34 précise in fine : « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique. » Mais le Conseil constitutionnel accepterait-il que cette opération se fasse par une loi organique autre que celle qui est prévue par l'article 34 ? Je ne le pense pas. J'ajoute que, jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé exactement sur la portée de ce dernier alinéa, sauf, je crois, en 1967, lorsque M. Roland Dumas a déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi pour modifier l'article 34 concernant la redevance télévision. Mais c'est une décision très ancienne, qui s'appelle d'ailleurs « redevance télévision ».
En dehors de cela, je ne vois pas le Conseil constitutionnel, le président Lambert l'a dit avec raison, nous autoriser, par une loi organique qui n'a pas principalement cet objet, à préciser et à compléter l'article 34.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, je me rallie, avec mes amis, à la position de la commission, et je pense qu'il est préférable d'en rester à l'amendement n° 2, tel que M. le rapporteur l'a présenté.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Nous commençons nos débats par un point crucial, puisqu'il s'agit de savoir quels seront l'ampleur et le champ de la réforme : de l'issue de la discussion engagée par l'amendement n° 2 de la commission et par le sous-amendement n° 245 rectifié de nos collègues Yves Fréville, Jean Arthuis et Denis Badré dépend, mes chers collègues, la suite de l'examen de la proposition de loi organique.
J'aurais tendance à dire, en simplifiant, que nos collègues MM. Fréville, Arthuis et Badré ont économiquement raison, mais juridiquement tort.
Il est vrai que, lorsque nous avons ajouté à notre édifice constitutionnel, à tort ou à raison - j'en parle d'autant plus librement que j'ai voté pour - les lois de financement de la sécurité sociale en 1996, nous n'avions pas nécessairement prévu toute la suite du film ! Très honnêtement, il faut reconnaître que cet ajout a permis une certaine clarification des conditions dans lesquelles sont prévus et exécutés les budgets des organismes sociaux.
M. Jean Delaneau. Avant il n'y avait rien !
M. Philippe Marini. Exactement ! C'est donc un progrès, il ne faut pas le nier.
A l'inverse et au passif, il y a aujourd'hui cette dualité de discussions budgétaires : deux lois financières, l'une étant la loi de finances, dont nous parlons aujourd'hui.
M. Michel Charasse. Ça, c'est Juppé !
M. Philippe Marini. Mon cher collègue, il y a un bon côté, la clarté, mais il en est un plus mauvais, c'est l'impression désagréable qui résulte de la répartition des finances publiques en deux documents, en deux discussions budgétaires.
C'est incontournable, c'est dans notre droit positif, et cela fait partie de nos institutions. Il n'est pas proposé ici de les transformer substantiellement. Certes, on aurait pu y penser dès l'origine, mais il aurait aussi fallu que ce soit politiquement faisable.
Ainsi, mes chers collègues, on aurait pu proposer en discussion une loi organique sur le double fondement des alinéas de l'article 34 concernant, l'un, les lois de finances, l'autre, les lois de financement de la sécurité sociale. Cela eût été possible, mais, encore une fois, ce n'est pas la voie qui a été choisie. Si, aujourd'hui, nous remettons tout en cause, il est très vraisemblable que nous ne parviendrons pas à réformer l'ordonnance organique compte tenu du calendrier, réforme portant nécessaire pour moderniser la gestion publique.
Le sous-amendement n° 245 rectifié introduit une notion que je trouve très intéressante pour l'avenir, celle d'« impositions partagées ». En effet, peut-être l'avenir des finances locales passera-t-il un jour par une transformation des impôts locaux existants en impôts partagés avec l'Etat ? Cela fait partie des réflexions que très probablement nous aurons dans les années à venir ...
M. Michel Charasse. Liberté totale !
M. Philippe Marini ... et ce genre d'idée, à mon sens, prospérera. En attendant, il ne me semble pas que, techniquement et juridiquement, on puisse faire, dans ce texte, en respectant le cadre constitutionnel, ce qui est proposé par nos collègues, pour des raisons que l'on comprend bien.
Aussi suis-je naturellement tout à fait solidaire du rapporteur et de la commission, d'autant plus que celle-ci a adopté une autre solution qui sera examinée beaucoup plus tard dans notre débat.
Cette autre solution consiste, sans les perturber, à faire précéder la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale d'un débat commun qui ne serait ni celui qui a lieu sur le projet de loi de finances ni celui qui a lieu sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce débat consolidé permettrait de dessiner le paysage économique et de s'interroger sur l'évolution du taux des prélèvements obligatoires, leurs différentes origines et leur répartition.
Ce débat politique, financier et économique global constituerait, à mon avis, le rendez-vous principal de la rentrée politique, dès le début de la session d'octobre, et serait organisé selon des modalités qui devront être précisées par les règlements de nos assemblées. Cela permettrait qu'aucune de ces discussions techniques que sont la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale n'ait lieu sans que les parlementaires aient un sentiment très précis des responsabilités qu'ils prennent en termes de prélèvements obligatoires.
Mes chers collègues, c'est la seule solution institutionnellement correcte et réalisable de façon consensuelle malgré la dualité qui existe et qu'il faut bien reconnaître. Je comprends tout à fait M. Delaneau. La commission des affaires sociales a acquis, depuis la création de la loi de financement de la sécurité sociale, un capital de connaissances qui augmente chaque année, et elle a maintenant une expérience qui est précieuse et qui contribue à faire de nous des parlementaires efficaces. Mais cette dualité n'est nullement contradictoire avec le regroupement des données tel que je l'ai explicité !
Nous aurons certainement l'occasion, le moment venu, de reprendre ce sujet. Dans l'immédiat, toutefois, je ne crois vraiment pas qu'il soit possible de voter le sous-amendement n° 245 rectifié.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Le déroulement de la discussion fait que nous étudions l'intitulé avant les mesures au fond ! Si beaucoup des observations pertinentes qui ont été faites, notamment par M. Charasse, étaient justifiées sur l'intitulé, il me semble en revanche que le problème est réglé à la lecture de l'amendement n° 249 rectifié, qui porte sur la mesure elle-même.
De quoi s'agit-il, mes chers collègues ? L'article 34 de la Constitution dispose que : « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. » Par conséquent, c'est dans cette loi organique que nous devons définir ce que sont les ressources de l'Etat, et c'est bien là qu'est le problème !
Dans notre amendement n° 249 rectifié, nous avons pris le soin de définir, avec le souci de respecter l'article 34 de la Constitution, ce que sont les ressources de l'Etat : les impositions de toutes natures, au sens de l'article 34 de la Constitution, sont des ressources de l'Etat à l'exception de deux catégories, celles qui sont affectées aux collectivités locales et celles qui sont affectées aux Communautés européennes.
Nous prenons au sérieux, en effet, l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme selon lequel les contributions de toutes natures doivent être contrôlées par les citoyens ou par leurs représentants, et par personne d'autre. Ainsi, les impôts locaux sont contrôlés par les élus locaux. Si des impôts sont affectés à l'Europe - les droits de douane, par exemple - ils seront contrôlés par le Parlement européen. Quant aux autres, il n'y a qu'une institution qui puisse les contrôler, c'est le Parlement.
Telle est notre justification de fond, sur le plan constitutionnel, et l'on ne peut pas nier la portée de la Déclaration des droits de l'homme dans ce domaine.
J'en arrive au dernier problème.
Je comprends tout à fait l'intérêt d'un débat préalable portant à la fois sur le projet de loi de finances et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je considère personnellement que, en cette matière, on ne peut se contenter d'une annexe à la loi de finances, annexe qui n'a aucune portée juridique. Mais on ne peut pas se contenter non plus d'un débat n'aboutissant à aucune conclusion, qui équivaudrait à un débat d'orientation budgétaire. Il faut qu'un vote intervienne sur le partage.
Un tel vote est d'autant plus logique que la commission admet parfaitement que, chaque année, les affectations soient renouvelées - c'est l'article 1er de la proposition de loi organique - et que l'article 33 prévoit que seule la loi de finances définira les affectations. Voilà encore une disposition qui n'est pas prévue par la Constition mais qui figure dans le présent texte.
Puisque, aux termes du texte proposé, une estimation chiffrée figure dans une annexe, je ne vois pas pourquoi on ne sanctionnerait pas cela par un vote clair sur le partage des ressources.
Telle est notre idée fondamentale.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Nous sommes là au coeur d'une proposition que Denis Badré, Yves Fréville et moi-même soumettons au Sénat.
Il s'agit bien, monsieur le président de la commission des finances, de tendre vers la « constitution financière de l'Etat ». Il s'agit bien de faire en sorte que ce document soit lisible, compréhensible par tous nos concitoyens, faute de quoi le pacte républicain tel que nous le concevons, fondé sur la compréhension du peuple, risque très vite de s'éroder, et l'exercice auquel nous nous livrons ne répondra pas à l'ambition que, les uns et les autres, nous avons exprimée à la tribune, dans la discussion générale.
Je perçois bien ce qui peut s'articuler autour de multiples annexes. Mais ce n'est pas en multipliant les annexes que l'on va clarifier la présentation du budget de l'Etat !
Je souhaite que nous convenions d'un dispositif qui permette de rassembler tous les impôts qui sont votés par la représentation nationale.
Je remercie Jean Delaneau pour la voie qu'il a ouverte tout à l'heure mais, s'il est vrai que deux commissions préparent les textes, c'est tantôt au Palais-Bourbon, tantôt au Palais du Luxembourg, une seule et même assemblée qui vote.
Selon moi, c'est une source de clarification que de faire apparaître l'ensemble des ressources fiscales telles qu'elles sont votées par la représentation nationale, étant entendu qu'un certain nombre d'affectations sont décidées. Si vous prévoyez un document annexe, cela signifie que, d'emblée, nous convenons du montant des impôts qui seront affectés à l'équilibre de la sécurité sociale.
Je voudrais être éclairé sur un point : qu'est-il prévu de faire s'agissant du prélèvement opéré sur la TVA pour financer le budget annexe des prestations sociales agricoles, le BAPSA ? La logique voudrait, me semble-t-il, que, dans les ressources de l'Etat, apparaisse le produit de la TVA. La logique voudrait aussi que les budgets annexes disparaissent, et c'est bien ce qui est prévu dans la proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale.
Aujourd'hui, vous voyez apparaître dans la loi de finances un montant de TVA qui ne correspond pas au produit encaissé par l'Etat puisque environ 30 milliards de francs sont directement « fléchés » vers le BAPSA.
J'avoue que, si nous perpétuons ces pratiques, nous contrarions l'objectif de clarification autour duquel nous nous sommes rassemblés, au-delà des clivages partisans, lors de la discussion générale.
Pourrions-nous renoncer à ce sous-amendement qui est en quelque sorte introductif, et reprendre notre discussion à l'occasion de l'examen de l'amendement n° 249 rectifié ?
M. le président. C'est vous qui en prenez la décision !
La bonne solution aurait sans doute été de demander l'examen par priorité de l'amendement n° 249 rectifié, mais il est maintenant trop tard puisque nous en sommes déjà aux explications de vote sur le sous-amendement n° 245 rectifié.
M. Jean Arthuis. Dans ces conditions, monsieur le président, en accord avec Yves Fréville, je retire le sous-amendement n° 245 rectifié.
M. le président. Le sous-amendement n° 245 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi organique, avant le titre Ier.

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