SEANCE DU 18 AVRIL 2001


NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES

Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 201, 2000-2001), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif aux nouvelles régulations économiques. [Rapport n° 257 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre en seconde lecture à la Haute Assemblée s'inscrit dans la volonté de réforme et l'exigence de cohérence qui animent depuis près de quatre ans le Gouvernement.
Volonté de réforme, puisque le texte proposé à votre examen consolide la croissance et renforce notre économie. Le cap économique que nous poursuivons a permis de franchir la barre du million de chômeurs en moins en janvier, le seuil de moins de 9 % de la population active sans emploi en février, en attendant de casser, au plus vite, nous l'espérons, le mur des deux millions de chômeurs.
Exigence de cohérence, puisque ce projet de loi s'inscrit dans une démarche d'ensemble que le Gouvernement, conduit par Lionel Jospin, met en oeuvre afin de rendre l'économie et la société, sur le plan national comme à l'échelle de la planète, plus justes, plus transparentes, plus humaines.
La mondialisation des échanges signifiant aussi malheureusement celle de pratiques criminelles, la communauté internationale, sous l'impulsion notamment de la France, a remporté de vrais succès dans la lutte contre les territoires délinquants et les paradis fiscaux. C'est ce message de vigilance et d'intransigeance que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Laurent Fabius, rappellera dans quelques jours à Washington, à l'occasion du sommet du G 7.
Cette approche régulatrice vaut aussi chez nous, où le marché ne peut seul tenir lieu de contrat entre l'économie et la société. Assortir l'économie de règles simples et équitables, souples, donc bien comprises, est l'intérêt partagé des salariés et des actionnaires, des consommateurs et des entreprises, des producteurs et des distributeurs.
Il s'agit de concilier des impératifs jusqu'ici tenus pour contradictoires : transparence, information, équilibre des pouvoirs au sein de l'entreprise. La décision brutale du groupe Marks & Spencer de fermer ses magasins en Europe continentale et celle, de nature différente, de Danone de fermer ses sites de Calais et Ris-Orangis ont démontré que cette volonté de lier démocratie et entreprise est plus que jamais d'actualité. Je vous renvoie, mesdames, messieurs les sénateurs, à un sondage, paru hier dans un quotidien économique, selon lequel la plupart des dirigeants de PME en France acceptent très mal, eux aussi, la décision telle qu'elle a été prise.
Le projet de loi qui vous est soumis couvre un champ d'application large. La régulation est un concept souvent galvaudé. Il doit être précisé à force de pratique pour que s'inscrive dans les faits notre vision de l'économie et de la place qu'y occupent les individus.
Le premier secteur concerné est celui du droit financier. Exigence de transparence dans les offres publiques, obligation d'information due aux salariés, souci d'assurer l'égalité de traitement de tous les acteurs de l'économie et renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux en constituent quatre directions essentielles.
Au règne de l'opacité, souvent de mise dans les offres publiques d'achat ou de vente, doit se substituer la règle de la transparence. La durée trop longue de ces opérations doit également être limitée. Imposer des délais plus courts est nécessaire pour l'avenir de nos entreprises - avenir qui s'en trouve parfois compromis - et pour la stabilité de notre système financier, qui apparaîtra ainsi plus fiable aux yeux des investisseurs, internationaux notamment.
Il s'agit également d'introduire plus de transparence dans le fonctionnement des régulateurs financiers, qui doivent être dotés d'instruments juridiques renforcés afin de garantir un traitement identique pour tous les acteurs de l'économie. Promouvoir la clarté, c'est encourager l'efficacité, c'est favoriser l'égalité.
Les grandes opérations financières doivent également faire l'objet d'une information accrue en direction des salariés. Le développement du dialogue entre les actionnaires et tous ceux qui, au quotidien, permettent à l'entreprise de fonctionner est humainement nécessaire, et moralement indispensable.
Une fois ce projet de loi adopté, certains groupes industriels devront modifier leur attitude et leurs méthodes. La qualité des relations entre salariés, employeurs et actionnaires, si elle n'est pas facilement objectivement mesurable, est un élément déterminant de la productivité et de la vitalité des entreprises. C'est un point auquel le Gouvernement attache une importance particulière. Il est inadmissible que certains de ceux qui, par leur travail, contribuent aux succès de l'entreprise soient considérés comme quantité négligeable lors des fusions, acquisitions ou prises de participations. Plus d'information et une plus ample consultation : le renforcement du dialogue social qui en résultera ne pourra qu'être bénéfique.
Enfin, le dernier volet de la régulation du secteur financier vise à renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux, combat dont notre pays a pris la tête au sein des institutions internationales. La publication de la liste des territoires non coopératifs par le Groupe d'action financière internationale, le GAFI, a marqué le premier aboutissement d'une dynamique que nous avions initiée pour réprimer la criminalité « en col blanc » et contribuer ainsi à l'avènement d'une mondialisation maîtrisée.
L'an dernier, la présidence française de l'Union européenne a permis d'avancer dans cette direction. La France a cherché à mobiliser l'ensemble des Etats membres pour parvenir à un accord politique sur une directive visant les paradis bancaires et fiscaux. Pour que notre pays continue à jouer un rôle moteur dans ce combat et renforce sa crédibilité, nous devons améliorer notre dispositif de lutte contre l'argent sale. Clarification de la notion de soupçon, élargissement des possibilités de sanctions pénales à d'autres activités financières délictueuses, ce projet de loi y contribuera.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le deuxième champ de régulation concerne les relations commerciales, la concurrence et le droit des concentrations. Une économie véritablement compétitive suppose une compétition réellement équitable. C'est une nécessité pour assurer l'égalité entre tous les acteurs du secteur concurrentiel, pour contrer les monopoles, pour permettre aux plus petits de trouver leur place, au bénéfice du consommateur qui doit toujours conserver la liberté de choisir.
Nous devons adapter le droit de la concurrence aux évolutions de notre économie, où la multiplication des concentrations risque d'affecter le bon fonctionnement de la concurrence. La création d'une commission des pratiques commerciales permettra de garantir un meilleur équilibre de la relation distributeurs-fournisseurs. Destinée à élaborer des codes de bonne conduite, elle favorisera le « civisme marchand » par une démarche préventive ; elle ne constituera pas un édifice parajuridictionnel supplémentaire. La répression contre les pratiques anticoncurrentielles sera accentuée par le renforcement des pouvoirs d'un Conseil de la concurrence rendu plus efficace et plus réactif à cet effet.
Le contrôle des concentrations à fait l'objet d'intenses débats dans cet hémicycle. L'enjeu est de taille, puisque cette prérogative permet d'agir sur les structures mêmes de l'économie. Pour cette raison, avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Laurent Fabius, nous sommes convaincus qu'elle doit rester l'apanage des pouvoirs publics, qui sont garants d'un juste équilibre entre la compétitivité des entreprises sur la scène internationale pour affronter la globalisation et la préservation d'une concurrence loyale sur le territoire national bénéfique pour les consommateurs - j'insiste - et pour les entreprises. Il faut donc maintenir la capacité d'intervention au profit du ministre de l'économie, le cas échéant du ministre en charge du secteur concerné.
Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le rapporteur, je me réjouis que la qualité du travail parlementaire ait permis d'enrichir le volet concurrence de ce texte en y introduisant diverses dipositions.
Vous avez souhaité étendre au secteur public la transposition immédiate pour les transactions privées de la directive sur les retards de paiement proposée par le Gouvernement. Les collectivités locales ayant été désormais largement consultées, nous approuvons cette initiative.
A l'inquiétude des professionnels de la culture, suscitée par le développement des cartes d'abonnement cinématographiques et des multiplexes, nous avons aussi trouvé une réponse adaptée afin que ces évolutions ne menacent pas l'équilibre et la diversité du secteur. J'étais avec Mme Tasca à l'Assemblée nationale quand ce problème a été évoqué.
Le dernier champ d'action de ce projet de loi porte sur le droit des sociétés. Quatre orientations permettront de promouvoir la démocratie dans l'entreprise.
Pour assurer un meilleur équilibre des pouvoirs entre les organes dirigeants, nous proposons de dissocier les fonctions de président du conseil d'administration de celles de directeur général, et de limiter le cumul des mandats d'administrateur ou de dirigeant.
Par la transparence des rémunérations des mandataires sociaux et l'extension du champ des conventions réglementées, nous nous dirigerons vers un fonctionnement plus transparent des sociétés.
En abaissant le seuil d'exercice de certains droits essentiels de 10 % à 5 %, les pouvoirs des actionnaires minoritaires seront renforcés.
Enfin, nous contribuerons à développer la démocratie par l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication, comme nous l'avons fait hier et le faisons aujourd'hui dans le domaine des simplifications pour l'ensemble des entreprises, notamment des petites entreprises. Le vote électronique, qui permettra une plus grande participation des actionnaires minoritaires, en est un exemple. L'Etat appliquera ces mesures au secteur public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis renforce la transparence, consolide le droit, améliore l'équité dans les relations entre les acteurs économiques. Elaboré par le Gouvernement, il a été largement complété et amélioré par le travail de l'ensemble des parlementaires. C'est un texte d'intérêt général auquel je vous demande d'apporter le soutien de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yann Gaillard, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui la dernière étape d'un processus législatif caractérisé par sa longueur et, il faut bien le dire, son peu de cohérence.
Ce processus législatif heurté - je ne voudrais rien dire de désagréable compte tenu des paroles aimables de M. le secrétaire d'Etat sur la bonne coopération et les progrès que nous avons réalisés ensemble - trouve sa source dans l'affaire Michelin survenue en septembre 1999, soit voilà déjà vingt mois.
Ayant fait l'objet d'une déclaration d'urgence que le président Christian Poncelet avait fort justement qualifiée de « déclaration d'urgence à l'aveugle », ce texte a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale il y a presque exactement un an, le 2 mai 2000. Initialement prévue pour la fin mai 2000 au Sénat, la première lecture a été repoussée au dernier moment par le Gouvernement au mois d'octobre. Est-ce dû au changement de titulaire du ministère en charge du dossier ?
M. Louis de Broissia. Sans doute !
M. Yann Gaillard, rapporteur. Je ne saurais en juger.
Ce texte traite aussi bien du droit des sociétés, de l'appellation de « chocolat traditionnel », de la réglementation des OPA que du rôle du Conseil de la concurrence.
Lors de la première lecture, en liaison avec Jean-Jacques Hyest, Pierre Hérisson et Jean Chérioux, respectivement rapporteurs des trois autres commissions saisies pour avis, les commissions des lois, des affaires économiques et des affaires sociales, la commission des finances avait poursuivi un double objectif : d'un côté, parfaire la qualité juridique d'un texte peu clair, car conçu et rédigé à la hâte et fait de morceaux rapportés, sans unité d'ensemble, et, de l'autre côté, affirmer ses priorités consistant, d'une part, à moderniser le droit de la concurrence - nous vous rejoignons sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat - et, d'autre part, à affirmer le rôle rénové du Conseil de la concurrence.
Il s'agissait également de disposer d'un droit des sociétés plus performant et de faire de Paris une place financière moderne et donc attractive.
La commission mixte paritaire s'est tenue le 13 décembre, alors que le Sénat était en plein examen des projets de loi de finances ; elle n'a pas pu parvenir à un accord, bien que le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Eric Besson, ait « salué le travail important du Sénat ». Nous sommes heureux de ce satisfecit car nous en recevons assez peu de la maison d'en face ! (Sourires.)
Lors de la nouvelle lecture en janvier dernier, l'approche du Sénat de première lecture a été critiquée par la commission des finances de l'Assemblée nationale, un peu « pour le principe ». La proclamation de désaccords de fond fut dictée, semble-t-il, moins par des désaccords réels que par la nécessité de gérer le moins mal possible certaines contradictions de la majorité plurielle.
M. Eric Besson a ainsi parlé d'une « approche constructive » - second satisfecit ! - reflétée par nos travaux. Nous en prenons bien volontiers acte, tout en nous demandant pourquoi, dans ce contexte, le Gouvernement n'a pas laissé faire le jeu normal de la navette et du bicamérisme, qui aurait utilement contribué à parfaire la rédaction de ce texte qui en a bien besoin, comme on le constatera dans la suite du débat, compte tenu du nombre d'amendements visant à rectifier des erreurs matérielles, de codifications notamment.
Il faut aussi rappeler, pour bien comprendre la discussion en cours, que l'examen de ce texte par les assemblées a été perturbé par la publication, en cours de discussion, soit dix jours avant le passage en première lecture devant la commission des finances du Sénat, du nouveau code de commerce, qui a notamment remplacé des textes aussi importants que la loi de juillet 1966 sur les sociétés commerciales.
Or, cette codification est loin d'être parfaite.
M. Jean-Jacques Hyest. En effet !
M. Yann Gaillard, rapporteur. Ainsi, à l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, plus d'une dizaine d'articles adoptés conformes par les deux assemblées ont été « réouverts » afin d'opérer des coordinations techniques, ce qui nuit d'autant à la clarté des débats. De même, de nombreux articles votés par le Sénat n'ont pas été adoptés « tels quels » par l'Assemblée nationale car le Gouvernement a dû opérer à la hâte de nombreuses rectifications matérielles de sa copie, et ce sera encore le cas dans les heures qui viennent.
Il faut aussi souligner, comme Jean-Jacques Hyest l'avait rappelé en première lecture, que « les modifications résultant du présent projet de loi ne devraient pas être considérées comme valant ratification implicite dudit code, ni même de l'ensemble du livre II de ce code consacré aux sociétés commerciales ». C'est un principe fondamental de la codification.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Yann Gaillard, rapporteur. A ce stade de la discussion, alors que 116 articles nous sont soumis contre 122 en première lecture, et sans revenir sur le fond - je vous renvoie pour cela à nos rapports écrits de première et de nouvelle lecture -, la commission des finances entend réaffirmer l'essentiel de ses positions de première lecture et défendre les acquis du Sénat. Pour cela, elle a repris les dispositions les plus significatives à ses yeux, son travail étant utilement complété, s'agissant notamment du droit de la concurrence, par les nombreux amendements déposés à titre personnel par nos collègues.
Il s'agit donc ainsi de faire avancer la réflexion dans bien des domaines, notamment pour ce qui concerne le droit des sociétés. Cela est d'autant plus nécessaire qu'en lecture définitive, conformément à l'article 45 de la Constitution, l'Assemblée nationale pourra inclure dans son texte « un ou plusieurs amendements adoptés par le Sénat » et que le Gouvernement, lui-même, compte peut-être sur le Sénat pour améliorer significativement la qualité de ce projet.
Dans ce cadre, je souhaiterais mettre en lumière nos principales positions sur les trois parties que comporte ce texte : régulation financière, régulation de la concurrence et régulation de l'entreprise.
Première partie : la régulation financière.
En la matière, nous avons pris acte des dispositions votées par le Sénat et retenues par l'Assemblée nationale, parfois contre l'avis du Gouvernement, qu'il s'agisse des pouvoirs de contrôle du Conseil des marchés financiers, de la transposition d'une directive en souffrance concernant la finalité des règlements ou des dispositions favorables au développement des groupes bancaires. Nous avons par ailleurs élargi le mécanisme, dit global netting, de résiliation et de compensation généralisées des créances.
S'agissant de la mise en place d'une autorité unique de régulation des marchés financiers regroupant la Commission des opérations de bourse (COB) et le conseil des marchés financiers, nous en avons, dès le mois de septembre 2000, tracé le cadre général. Mais, présentée comme urgente. Mais, en juillet 2000 par le ministre de l'économie, cette réforme n'a débouché qu'en février 2001 sur un projet de réforme des autorités financières dont le Gouvernement n'a toujours pas indiqué de façon claire et précise quand il serait examiné.
Quoi qu'il en soit, toute une partie du texte est tombée, et le Sénat a lui-même renoncé à un certain nombre de ses amendements en attendant que la réforme en question soit inscrite à l'ordre du jour des assemblées.
Sur ce point comme sur beaucoup d'autres, nous attendons de votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, des engagements clairs et non de simples déclarations d'intention. Quand allez-vous nous soumettre ce projet de réforme des autorités financières, dont l'existence a tronqué encore un peu plus le texte sur les nouvelles régulations économiques que nous sommes censés étudier aujourd'hui ?
S'agissant enfin de la lutte contre le blanchiment, nous avons rappelé qu'il revenait à chaque Etat de prendre les mesures adéquates et non de s'en remettre au Groupe d'action financière internationale sur le blanchiment des capitaux, le fameux GAFI, dont la nature juridique n'est d'ailleurs pas très claire.
Deuxième partie : la régulation de la concurrence.
L'essentiel de nos divergences avec l'Assemblée nationale concerne l'indépendance et les pouvoirs du Conseil de la concurrence que nous souhaitons voir renforcés en libérant le mode de désignation de ses membres de l'influence prédominante de l'exécutif.
Faisons comme pour la COB ou la CNIL, le CSA ou l'ART : que les conseillers soient choisis non plus par décret mais directement par des grands corps, des juridictions indépendantes et les présidents des assemblées parlementaires.
S'agissant de l'augmentation des pouvoirs de l'institution, nous proposons que celle-ci puisse s'autosaisir de questions de principe ou de concentration et, dans ce dernier cas, que son avis lie le ministre.
Nous nous interrogeons également sur la constitutionnalité du mécanisme de sanctions prévu par l'article 38 en raison de son insuffisante précision et de son iniquité : les entreprises d'un groupe - société mère ou filiales - risquent ainsi d'être condamnées in solidum sans être coupables ou d'avoir à payer une somme disproportionnée à leurs moyens, car calculée en pourcentage du chiffre mondial de la structure à laquelle elles appartiennent.
En ce qui concerne la partie de ce texte relative à la moralisation des pratiques commerciales - vous avez dit y être très attaché, monsieur le secrétaire d'Etat - nous avons tenu compte, quand elles étaient justifiées, des observations des députés, des administrations, des personnalités et des organismes compétents, avec lesquels M. Marini n'a cessé de prendre contact ces dernières semaines.
Aussi, nous ne céderons pas sur certains aspects qui nous paraissent essentiels.
Il en est ainsi, à l'article 28, du respect par la commission des pratiques commerciales des règles juridiques fondamentales quand elle est appelée à dire le droit sur des pratiques, documents ou contrats qui peuvent être particuliers ou, à l'article 28 ter, de l'assouplissement des règles relatives aux délais de paiement et de la suppression de l'exigence d'une lettre de change au-delà de 45 jours.
Enfin, il importe également de faire davantage confiance au juge en supprimant la plupart des nullités de clauses de plein droit, de ne pas offrir à l'Etat la possibilité de demander des dommages et intérêts à la place des fournisseurs et d'empêcher, en raison de ses effets pervers, le doublement des délais de préavis de rupture de relation commerciale pour les produits sous marque de distributeur. Ce sujet, bien délicat d'ailleurs, comme nous le verrons tout à l'heure, est traité à l'article 29.
Nous avons déjà réussi à persuader nos collègues députés d'éliminer certaines complexités inutiles ou mesures de fausse transparence comme l'exigence d'un contrat écrit pour tout service rendu par un client à l'un de ses fournisseurs ou la prise en compte, dans le calcul du prix de revente à perte, strictement prohibé, de tous les avantages financiers consentis au client par le vendeur. Cette nouvelle lecture devrait nous permettre d'aller au-delà, j'en suis certain.
Troisième partie : la régulation de l'entreprise.
Je commencerai par les acquis.
Le Sénat a réussi à faire renoncer l'Assemblée nationale à l'imposition d'une information nominative sur la rémunération des dix « plus gros » salariés.
Par ailleurs, il a contribué à l'adoption de plusieurs mesures techniques qui constituent autant d'avancées pour le droit des entreprises : il a amélioré le dispositif qui prévoit la possibilité pour les entreprises de dissocier les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général ; il a unifié le statut des commissaires aux comptes ; il a élargi le contenu du rapport de gestion, qui doit désormais prendre en compte les conséquences sociales et environnementales des sociétés - article 64 ; il a élargi le régime de la société par actions simplifiée aux professions libérales ; il a instauré un contrôle effectif des entreprises de réassurance.
Le bilan se révèle donc largement positif puisque, sur quarante articles concernant le droit des entreprises, dix-neuf ont été adoptés conformes ou quasiment conformes par l'Assemblée nationale et dix ont été adoptés en prenant partiellement en compte les modifications apportées par le Sénat.
Il reste cependant certains points d'achoppement, que cette nouvelle lecture devrait permettre de résorber.
La commission des finances persiste à penser qu'il est indispensable de prendre en compte, pour la limitation du cumul des mandats sociaux, la spécificité des groupes, qui doivent pouvoir s'organiser librement - c'est l'article 60 - et de permettre, par exemple, au président du groupe de présider certaines filiales.
Une autre spécificité doit être absolument respectée : celle des groupes constitués par des banques coopératives affiliées à un organe central comme le Crédit agricole, les banques populaires, etc.
Par ailleurs, s'agissant de l'information des actionnaires sur les rémunérations versées par l'entreprise, d'une part, et sur les conséquences sociales et environnementales de la société, d'autre part, visée à l'article 64, la commission tient à préciser, compte tenu du retard pris par l'examen du texte, que ces dispositions ne prendront effet qu'à compter de la publication du rapport portant sur l'exercice ouvert respectivement à partir du 1er janvier 2001 pour les premières et à partir du 1er janvier 2002 pour les dernières.
Aux articles 69 B et 69 C concernant le recours à l'arbitrage et la compétence des tribunaux de commerce, elle a précisé la rédaction issue du Sénat, complétée par l'Assemblée nationale.
Elle persiste à penser que les publications nominatives doivent être limitées à l'attribution d'options de souscription d'actions ou d'achat d'actions aux mandataires sociaux et ne doivent pas concerner les dix plus importants bénéficiaires de stock-options. En outre, dans un souci de sécurité juridique, elle propose que cette mesure n'entre en application qu'à compter de l'exercice ouvert à partir du 1er janvier 2001.
Enfin, elle s'est opposée, à l'article 70 ter, à l'alourdissement du régime fiscal des stocks options qui avait été voté par l'Assemblée nationale.
Finalement, mes chers collègues, ce texte sans unité n'appelle pas de conclusion. Restera-t-il dans la mémoire des générations futures ? Ce ne pourrait l'être qu'au titre de ce que l'on pourrait appeler, quoique le terme soit peut-être un peu trop fort, la « tératologie législative », c'est-à-dire la science des veaux à deux ou trois têtes ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'intervention du rapporteur m'a conforté dans mon opinion selon laquelle ce projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, adopté par l'Assemblée nationale le 2 mai 2000, restera un exemple à ne pas suivre en matière de législation.
Bâti dans l'urgence - pour répondre, je le rappelle, à certains événements de l'époque - il contient des dispositions tellement disparates qu'en première lecture, outre la commission des finances, pas moins de trois commissions ont dû se mettre au travail pour essayer de débrouiller ce patchwork législatif et pour donner un avis sur certaines parties du projet de loi.
N'ayons pas la cruauté de rappeler au Gouvernement qu'il avait demandé l'urgence sur ce projet de loi. On est en effet passé de la plus totale précipitation à un processus à éclipses - on a même pensé, un moment, que le projet serait abandonné - privant de toute justification ce recours à la procédure d'urgence.
Dans des domaines aussi sensibles et complexes que la lutte contre le blanchiment ou le droit des sociétés commerciales ou encore celui de la concurrence, le dialogue entre les deux assemblées est indispensable. Reconnaissons néanmoins que l'Assemblée nationale a pris en compte une partie non négligeable des observations du Sénat. Ainsi, selon le rapport de M. Marini, sur 151 articles, 40 % ont été adoptés conformes, et cela sans tenir compte des articles modifiés en raison de la codification.
Je me contenterai ici d'évoquer les dispositions du titre IV de la première partie, concernant l'amélioration de la lutte contre le blanchiment de l'argent provenant d'activités criminelles organisées, et du titre Ier de la troisième partie, celle qui est consacrée à la régulation de l'entreprise, concernant le droit des sociétés commerciales. Mon collègue M. Hérisson se chargera d'évoquer le droit de la concurrence puisqu'il était, lors de la première lecture, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le secrétaire d'Etat, peut-on exprimer le souhait qu'une pause législative permette aux entreprises de digérer les réformes successives qui leur sont imposées et alors que déjà, pour des raisons conjoncturelles, une fois de plus, pointent de nouvelles réformes en ce domaine ? Il paraît en effet que la future loi de modernisation sociale comportera également des dispositions intéressant les entreprises.
La volatilité de la législation - et celle-ci risque d'être encore modifiée par les directives européennes annoncées, notamment en matière de droit des sociétés - ne peut qu'inquiéter ceux qui se soucient à juste tire d'un minimum de sécurité juridique. Hélas ! la gesticulation médiatique semble parfois la seule préoccupation de certains, ce que je regrette profondément.
Abordant le domaine de la lutte contre le blanchiment de l'argent, rappelons que la France s'est dotée dès 1987 et surtout en 1990 d'instruments juridiques propres à faciliter cette lutte. Il y a lieu de renforcer ces dispositifs pour confirmer la France dans sa position de pays en pointe dans la lutte contre le blanchiment. Mais il eût été sans doute préférable d'attendre l'adoption de la proposition de directive en cours de discussion au sein des instances communautaires afin d'entreprendre une transposition de ce texte.
D'ailleurs, le Gouvernement en était si bien conscient que, après avoir prévu l'inclusion de certaines professions réglementées dans le dispositif, il y a renoncé eu égard à une directive communautaire concernant notamment les métiers du chiffre et du droit. Après un long débat en première lecture sur ce sujet, on s'est finalement cantonné aux casinos et à un certain nombre de professions autres que les professions du chiffre et du droit. Cela me paraît sage, mais nous amènera très bientôt à revoir la législation sur ce point.
Notre souci, en première lecture, était de veiller à ce que la loi demeure claire, compréhensible pour ceux qui sont chargés de l'appliquer. Or, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis un peu étonné de la rédaction de l'article 20 du projet de loi. L'expression « qui pourraient provenir », s'agissant des sommes susceptibles de faire l'objet d'un blanchiment, outre qu'elle aboutit à une insécurité juridique totale, n'est pas celle qui est employée dans la directive du 10 juin 1991, qui vise « tout fait qui pourrait être l'indice d'un blanchiment de capitaux ».
C'et pourquoi, comme en première lecture, nous proposons de prévoir la présence d'indices selon lesquels ces sommes pourraient provenir d'un blanchiment, faute de quoi le dispositif sera totalement inapplicable, car les organismes soumis à déclaration ne doivent pas pouvoir être sanctionnés en l'absence d'un élément matériel.
De même, il y a lieu de maintenir notre position concernant la référence au GAFI. En effet, le GAFI n'a pas d'existence juridique, et il faut en tenir compte. D'ailleurs, certains rapports montrent que les observations du GAFI ne sont peut-être pas suffisantes.
Permettez-moi aussi d'appeler une nouvelle fois votre attention sur l'article 25 bis, qui crée une nouvelle infraction. On crée beaucoup d'infractions nouvelles mais il faut tout de même prendre quelques précautions. Il est indispensable de maintenir le lien entre l'association de malfaiteurs et la commission de crimes ou de délits, car le fait d'être en relation avec des personnes participant à une association de malfaiteurs est insuffisant pour caractériser une infraction pénale. Surtout en matière de droit pénal, la précision est impérative, sauf à sombrer dans l'incohérence à rendre ainsi le droit inapplicable.
Pour en venir au droit des sociétés commerciales, si on laisse de côté la curieuse mesure qui avait été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, consistant à attribuer une action au comité d'entreprise, et heureusement remplacée par une disposition cette fois acceptable, beaucoup de points d'accord existent entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Mais nous ne pouvons que regretter la rigidité de certaines dispositions concernant tant le nombre d'administrateurs que les cumuls.
Certains font de l'anti-cumul une véritable passion. Parfois, cela va si loin - et je pense ici, notamment, au ministre de l'intérieur - qu'ils interprètent la loi dans un sens qui n'est pas celui du Conseil d'Etat, surtout s'agissant des sociétés contrôlées.
En revanche, on peut se réjouir que le dispositif alternatif soit retenu en ce qui concerne les fonctions de président-directeur général et de directeur général. Nous avions dit qu'il fallait laisser possible, et non pas imposer, comme le prévoyait le Gouvernement, la différence entre les deux fonctions.
Il est regrettable que l'Assemblée nationale ait maintenu une définition trop restrictive et trop floue des fonctions de président du conseil d'administration et qu'elle n'ait pas retenu les précisions nécessaires aux articles 57 à 59.
En ce qui concerne la prévention des conflits d'intérêts, si l'Assemblée nationale a accepté plusieurs modifications apportées par le Sénat, le seuil de 5 % demeure irréaliste et il y a lieu de revenir à 10 %.
Reste la question de l'information des actionnaires sur les rémunérations, avantages, mandats et fonctions des mandataires sociaux. Retenons que l'obligation de publication concernant les dix salariés les mieux rémunérés - je ne parle pas des stock-options - a disparu en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, même s'il y a lieu, compte tenu des délais de publication du texte, de reporter l'application du dispositif à la fin de 2001 ou à 2002.
Je passerai rapidement sur les dispositions relatives au contrôle - action de concert - pour appuyer les propositions de la commission des finances sur l'approbation des règles d'apports lors de la constitution d'une société, dans la mesure où la commission des lois avait insisté en première lecture sur la nécessité, pour la croissance des entreprises, de disposer de capitaux propres. Cela va à l'encontre de ce que l'on a l'habitude d'entendre, à savoir qu'il ne faut pas de capitaux pour créer des entreprises : c'est là une erreur profonde au regard de leur pérennité.
Enfin, il me semble à la fois urgent de lever les obstacles au développement de la clause compromissoire en matière civile et imprudent de légiférer sans évaluer les conséquences juridiques et économiques de ce qui constitue un bouleversement de notre droit. Je ne suis pas sûr que, sur ce point, la rédaction adoptée tant par l'Assemblée nationale que sur l'initiative de la commission des finances du Sénat soit parfaite et applicable.
Telles sont les observations que je souhaitais faire sur ce projet, observations qui ne peuvent être que ponctuelles en raison même du caractère composite de dispositions qu'il contient. Et je n'ai évoqué ni le droit de la concurrence ni les divers aspects de la régulation financière.
Qu'il me soit permis, en conclusion, de regretter que les réformes depuis longtemps engagées et fort attendues, telles que celle de la loi du 1966 sur les sociétés commerciales, visant notamment à une dépénalisation de nombreuses dispositions - je me réfère là à l'excellent rapport de notre collègue Philippe Marini -, soient remplacées par des modifications, qui, pour être souvent utiles - je pense à l'extension de la société anonyme aux professions libérales -, n'en demeurent pas moins ponctuelles, quand elles ne souffrent pas d'incohérence. Il en va de même de la réforme de la loi de 1985 sur les difficultés des entreprises. Mais il ne faut pas en demander trop au législateur aujourd'hui, car nous vivons tout de même largement de l'air du temps ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de l'examen en première lecture du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, le groupe des Républicains et Indépendants en avait souligné le contenu disparate, le caractère opportuniste et le parcours chaotique.
Chaotique, son parcours l'aura été jusqu'au bout. Ce projet de loi revient en effet au Sénat plus d'un an et demi après les annonces du Premier ministre et alors même qu'il a fait l'objet d'une déclaration d'urgence !
Cette course de lenteur, dont le Sénat n'est nullement responsable, révèle le peu d'intérêt porté à un texte qu'on nous a pourtant présenté comme une grande réforme mais qui était en réalité, dès le départ, destiné à dissimuler les contradictions gouvernementales en matière économique et sociale.
L'objet de cette intervention est non pas d'énumérer dans le détail les différents points du projet de loi mais de porter un jugement d'ensemble sur le texte qui nous est proposé.
Un an et demi après, nous sommes bien loin des grandes déclarations sur la régulation. Le projet de loi se contente d'accumuler des mesures techniques sur des sujets aussi divers que le droit boursier et financier, le droit des sociétés, la lutte contre le blanchiment ou encore la distribution et la concurrence.
Je ne cherche certainement pas à critiquer systématiquement le Gouvernement, car nous avons tous pu mesurer, y compris au sein de la Haute Assemblée, la difficulté de légiférer dans un monde économique qui bouge sans cesse, qui s'ouvre toujours plus, pour le meilleur et pour le pire, avec ses avancées mais aussi ses contradictions.
Encore faudrait-il reconnaître que les bonnes intentions ne font pas toujours les bonnes mesures et qu'à force de vouloir encadrer on finit par étrangler.
Le groupe des Républicains et Indépendants salue le travail considérable de la commission des finances et de son rapporteur, qui a souhaité rendre le texte initial plus cohérent et plus efficace et n'a cessé - cela a beaucoup d'importance à nos yeux - de lutter contre la « sur-réglementation » rampante que sous-tendent certaines dispositions.
Mais combattre la sur-réglementation ne veut pas dire renoncer à toute initiative. Le législateur ne doit pas abandonner ses prérogatives, il doit simplement les utiliser à bon escient.
Il doit, par exemple, lutter contre les pratiques discriminatoires et les abus de dépendance économique. En effet, la loi de la République ne doit pas être celle du plus fort, et nous devons tous veiller à ce que les règles du jeu économique s'appliquent à tous.
Processus de concentration ne doit pas signifier constitution de monopoles, car une économie libérale est d'abord, à nos yeux, une économie de libertés.
Notre objectif est donc de rééquilibrer les relations commerciales et de lutter contre des pratiques qui menacent des secteurs entiers de notre économie, au risque de les voir disparaître.
Chacun doit pouvoir vivre correctement de son activité, qu'il soit grand distributeur ou petit producteur.
Dans le même esprit, notre groupe soutient la volonté du Sénat de clarifier et de renforcer le rôle de la nouvelle commission des pratiques commerciales. Cet objectif d'équilibre et de transparence est, selon nous, intimement lié à celui de la qualité.
Nous devons ainsi veiller à ce que les informations données sur les produits soient claires et rigoureuses, afin que le consommateur puisse choisir en pleine connaissance de cause. Notre collègue Michel Pelchat est, par exemple, à la pointe de la discussion en ce qui concerne le chocolat, et nous souhaitons que le Sénat réaffirme sa volonté d'agir en la matière. Ce sujet ne doit pas prêter à sourire, car il touche à un domaine où les enjeux économiques sont considérables tet où le point de vue consuméral est également essentiel.
De la même manière, notre groupe soutient les positions de la commission des finances en matière de lutte contre le blanchiment et de modernisation du droit de la concurrence et du droit des sociétés.
Encadrer sans étrangler, agir à bon escient, favoriser l'initiative et la qualité : tel est donc l'esprit dans lequel le groupe des Républicains et Indépendants aborde cette nouvelle lecture du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, plus d'un an et demi après l'affaire Michelin, près d'un an après la première lecture du projet de loi par l'Assemblée nationale, six mois tout juste après le vote par la Haute Assemblée d'un texte profondément amendé, nous entamons la nouvelle lecture de ce projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.
Cette nouvelle lecture fait naturellement suite à l'échec prévisible de la commission mixte paritaire et à la réécriture, au Palais-Bourbon, du texte voté par le Sénat et que nous avions, pour notre part, rejeté.
Dans un premier temps, on constatera d'ailleurs que, même si le tamis de la première navette et de la nouvelle lecture a commencé d'avoir son effet sur la teneur générale du projet de loi, un grand nombre de dispositions restent aujourd'hui en débat puisque 90 articles n'ont pas été adoptés conformes et que plus de 30 articles issus de nos travaux ont été supprimés lors du nouveau passage devant les députés.
On notera ainsi, dans cet esprit, que la commission des finances, par la voix du rapporteur général, procède, à l'orée de ce débat, à une réécriture assez importante du texte, en déposant, en effet, près de 80 amendements tendant, pour l'essentiel, à revenir au texte voté le 17 octobre dernier.
Ce rappel du long cheminement jusqu'à l'adoption et la promulgation définitive du présent projet de loi, ne doit pas faire oublier l'essentiel : le fait générateur du texte - l'affaire Michelin, souvenez-vous - semble assez éloigné de l'état actuel de sa rédaction.
Ce projet de loi s'apparente in fine plus à un texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier qu'à l'affirmation de choix politiques porteurs de transformations du cadre législatif et réglementaire de notre pays !
Que contient, en effet, le projet de loi pour l'essentiel ?
Nombre de ses articles concernent les autorités de contrôle, quel que soit leur champ d'investigation - activités financières ou respect des règles de concurrence - dans la perspective affichée d'un transfert de compétences jusqu'ici dédiées à l'Etat au profit d'autorités indépendantes.
Le projet de loi contient également des dispositions tendant à transcrire en droit français les plus récents textes européens en matière de lutte contre le blanchiment, textes sur lesquels l'unanimité semble d'ailleurs encore loin de se faire.
Ce projet de loi comporte enfin un important volet de codification et de transformation du droit des sociétés, consistant notamment à inclure la loi de 1966 dans le code de commerce.
Toujours est-il que, dans ce contexte, nous sommes loin, très loin, des intentions affichées au départ. Et cela est d'autant plus vrai que l'actualité récente exigerait de procéder à une inflexion sensible du contenu du présent projet de loi, plus en rapport avec les réalités.
Les affaires Danone et Marks & Spencer viennent en effet de prouver clairement les circonstances actuelles, d'une réflexion plus approfondie sur le contenu du présent texte, conduisant à l'affirmation de choix politiques plus nets révélateurs d'une volonté d'agir sur le cours des choses.
D'aucuns ne manqueront naturellement pas de nous rétorquer ici qu'un autre texte, qui sera très prochainement examiné par la Haute Assemblée, pourrait mieux se prêter à l'exercice : il s'agit du projet de loi portant sur la modernisation sociale.
Nous pensons cependant que c'est aussi à la lumière d'une sensible amélioration du contenu du présent projet de loi que l'on répondra aux attentes exprimées par le peuple de notre pays.
Cela revient évidemment à poser la première question essentielle : qu'entend-on par « nouvelles régulations économiques » ?
Depuis plusieurs décennies, l'économie de notre pays s'est très largement replacée dans un cadre de développement transformé, faisant, année après année, une place de plus en plus large aux seules règles du marché et de la concurrence.
On pourra ainsi relever, au fil des temps, des textes aussi importants que la loi bancaire de 1984, sans oublier l'ensemble des dispositions fiscales qui ont, bon an, mal an, accompagné les restructurations industrielles, capitalistiques et juridiques dans nos entreprises, notamment les plus grandes d'entre elles, celles qui sont dotées d'une vocation internationale.
La puissance publique a ainsi largement contribué, dans les faits, à favoriser le mouvement au travers, notamment, d'une large défiscalisation et d'un allégement global des obligations sociales des entreprises, double mouvement plutôt paradoxal, au demeurant, alors même que le poids des prélèvements obligatoires ne connaissait pas de réduction massive !
Cet allégement fiscal et social pour les entreprises va de pair avec un renforcement de la prédominance des seules règles de la libre concurrence dans le fonctionnement de l'économie, renforcement impulsé par l'Acte unique européen. Il vient aujourd'hui mettre en question le fonctionnement du service public à la française, notamment La Poste, les télécommunications, les transports et l'énergie...
M. Hilaire Flandre. Et la SNCF !
Mme Odette Terrade. L'ensemble des activités économiques et sociales, y compris celles qui sont pourtant indispensables pour satisfaire aux besoins sociaux collectifs les plus élémentaires, sont aujourd'hui largement soumises à des règles de libre concurrence qui se heurtent vite à leurs contradictions essentielles : inégalité des citoyens devant l'accès à la consommation ou aux avancées techniques et technologiques, répartition inéquitable des fruits d'une croissance qui s'essouffle d'autant plus que cette iniquité est prégnante...
Par voie de conséquence, le processus d'une croissance économique portée par les seules règles du marché et de la libre concurrence conduit à la précarisation des conditions de travail des salariés, à la mise en cause des principes fondamentaux du droit social, comme à l'aggravation des antagonismes entre les entreprises.
J'en veux pour preuve les controverses sur le respect des producteurs par les grands groupes de la distribution ou la sophistication des règles de sous-traitance, plaçant un nombre croissant de petites et moyennes entreprises dans l'orbite des choix stratégiques des plus grandes entreprises.
Ce processus de croissance est discutable : il ne peut être conçu comme durable et susceptible de répondre, à terme, à la satisfaction des besoins collectifs. Il impose naturellement que soient édictées de nouvelles règles de fonctionnement économique et social du pays ! Est-ce là, pour autant, la meilleure définition que l'on puisse donner de ce que le présent projet de loi appelle « nouvelles régulations économiques » ?
Nous avons en effet un peu l'impression, peut-être trompeuse, que, sortant d'une économie assez largement « administrée », le présent projet de loi se fixerait comme finalité d'éviter de glisser définitivement dans une économie purement libérale, où seules les inégalités seraient au rendez-vous d'une certaine croissance. Définir de nouvelles régulations économiques reviendrait alors à définir le moyen terme entre un certain passé et un présent et un futur plutôt incertains.
Posons toutefois d'emblée la question : notre pays doit-il rougir d'avoir, pendant les trente années écoulées à compter de la fin de la Seconde Guerre mondiale, fait ce choix d'une gestion « administrée » de son propre développement économique, dans laquelle le rôle de l'Etat apparaissait déterminant ? A l'évidence, non !
Le niveau de développement atteint par notre pays en termes économiques et sociaux, la qualité de ses infrastructures ne disqualifient pas le moins du monde ce qui a été ainsi accompli !
Au contraire, quand bien même la richesse nationale a continué de croître dans des proportions notables, les vingt-cinq dernières années ont été marquées par une sensible détérioration de la situation économique et sociale, jalonnée par le développement des inégalités sociales, l'émergence d'un chômage massif, de phénomènes de pauvreté et d'exclusion qui mettent directement en cause le rôle de la puissance politique.
Les nouvelles régulations économiques doivent-elles, dans ce contexte, matérialiser le refus du politique de peser sur les réalités économiques ou permettre, au travers de la définition de règles du jeu plus précises, une répartition socialement plus équitable des progrès économiques ?
Force est de constater que c'est aujourd'hui plutôt le premier terme de l'alternative qui inspire largement le présent projet de loi.
Qu'il s'agisse du développement de nos activités financières ou du fonctionnement des circuits de distribution des marchandises, le présent projet de loi cède le rôle de l'Etat, de ses administrations, en clair le rôle de la puissance publique, à des autorités de contrôle issues des milieux professionnels définissant entre eux des formes contractuelles de modus vivendi, matérialisées par la jurisprudence de leurs décisions.
Et pourtant, manifestement, la situation appelle clairement d'autres réponses aux problèmes posés.
J'ai indiqué de façon liminaire que des événements récents avaient particulièrement frappé l'opinion, qu'il s'agisse des affaires Danone ou Marks & Spencer, que vous avez citées dans votre intervention, monsieur le secrétaire d'Etat.
Car, enfin, voilà clairement deux situations pour le moins emblématiques.
Dans le cas Danone, ce qui est en cause, c'est la fermeture d'un ensemble d'usines - ici, des biscuiteries - dont les profits seraient insuffisants au regard des obligations que l'on semble désormais se fixer en termes de « retour sur investissement » pour les actionnaires.
Pour oser une image, la compétence et le dévouement des salariés de LU seraient insuffisants pour apporter aux actionnaires de Danone, « le beurre et l'argent du beurre » qu'ils seraient en droit d'attendre... Et ce, alors même que l'intensité du travail, les gains de productivité et la marge nette du groupe Danone n'ont pas connu de pause, à en juger par la lecture des éléments financiers disponibles.
Dans le cas qui nous préoccupe, le taux de rentabilité est proche de 8 %, ce qui en fait pourtant le numéro un français du secteur.
S'agissant de la situation du groupe Marks & Spencer, nous sommes, malgré les apparences, dans la même problématique, qui oppose croissance des profits et emploi. C'est en effet le fameux « retour sur investissement » qui justifierait, en dernière instance, la décision stratégique du groupe britannique de fermer ses magasins sur le continent.
« Profitabilité insuffisante » rimerait donc avec « choix stratégique » et « plan social », sous des formes au demeurant juridiquement contestables, comme en témoigne la décision rendue le 9 avril dernier par le tribunal de grande instance de Paris, à la demande du comité d'entreprise.
Dans les deux situations évoquées, comme dans le cas de l'affaire Michelin et de son sous-traitant Wolber, nous sommes placés devant l'exigence d'une « re-réglementation ». Notre objectif est de lier le développement économique et le respect des normes sociales, de préserver la dignité et l'intégrité des salariés, de renforcer le rôle d'intervention économique des instances représentatives du personnel et de lutter efficacement contre les licenciements économiques injustifiés.
Les affaires Danone et Marks & Spencer sont pleinement susceptibles de justifier sans attendre la constitution des commissions régionales de contrôle des fonds publics que la loi du 5 janvier dernier - la loi Hue - permet désormais de mettre en place !
Ces entreprises n'ont-elles pas profité, ces derniers temps, des aides de l'Etat sous forme de ristourne dégressive sur les salaires ou de financement de la réduction du temps de travail ?
C'est donc dans la logique de cette orientation que les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen entendent participer au débat.
C'est ainsi que, partant de cette analyse, nous ne suivrons évidemment pas le Sénat s'il adopte un texte amendé par les propositions formulées par le rapporteur du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous commençons donc la deuxième lecture du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.
De quoi s'agit-il ? D'un texte évidemment dense, qui nous semble particulièrement important - nous avons tenté de le démontrer en première lecture - pour remédier aux désordres dont se font souvent l'écho les observateurs de la vie économique.
Ces désordres, qui ne sont certes pas nouveaux, ont incité le Gouvernement, conscient des risques encourus par notre société, à s'attaquer à la tâche nécessaire, non pas de procéder à une révolution au sein de l'économie de marché en général, ni au sein des entreprises en particulier, mais de faire progresser, dans la vie quotidienne des acteurs de la vie économique, des pratiques concrètes et saines de bonne gestion, visant à mettre en ordre, à actualiser, à rénover et à moderniser des aspects importants de notre vie économique et sociale.
En première lecture, la majorité sénatoriale a donné une tonalité libérale attendue à ce texte sur de nombreux points. Elle a, dans le même temps, introduit des précisions intéressantes, amélioré des rédactions et, donc, apporté une contribution utile à ce texte, ce dont l'Assemblée nationale a logiquement tenu compte lors du deuxième examen qu'elle a effectué de ce projet de loi.
Ainsi, au fil du temps et des lectures, ce texte, tant décrié au départ, peut apparaître à tous comme un excellent outil de modernisation de l'activité économique avec un double objectif nettement affiché : la régulation et la transparence.
Je crois que la volonté d'efficacité économique et de justice sociale doit primer sur l'idéologie. C'est en conciliant ces deux notions - régulation et transparence - qui sont impératives que le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui saura répondre aux attentes des producteurs comme des consommateurs, des actionnaires comme des salariés.
L'économie de marché peut être source de dynamisme, mais à condition qu'elle ne se transforme pas en « loi de la jungle », cette loi de la jungle qui s'exerce toujours au bénéfice des plus forts et au détriment des plus faibles, et ce dans tous les secteurs de la vie économique. Pour servir une telle ambition, un texte précis, voire parfois pointilleux aux yeux de certains, était nécessaire.
Il est donc inévitable qu'un projet de loi qui traite aussi bien des marchés financiers que du blanchiment des capitaux, aussi bien de la concurrence commerciale que du fonctionnement des entreprises, aussi bien de l'organisation de celles-ci que des offres publiques d'achat, les OPA, il est donc inévitable, dis-je, qu'un tel projet de loi soit aussi dense et divers.
Notre démarche régulatrice vise à améliorer les règles de l'économie de marché en préservant la pluralité des producteurs, quelle que soit leur taille, alors que nous connaissons aujourd'hui des phénomènes de concentration d'une ampleur jusqu'à présent inconnue et que des monopoles font peser des risques croissants sur nos libertés. Il n'est pas nouveau que les forces du marché livrées à elles-mêmes soient sources de désordre et d'inégalités !
A ceux qui, considérant ce projet de loi, s'interrogent sur le fait de savoir si l'on est en présence d'un projet trop interventionniste, voire dirigiste, ou trop libéral, je répondrai qu'il s'agit, tout simplement, d'un projet progressiste, c'est-à-dire qu'il constitue un progrès ! Je dirai qu'il s'agit d'un projet de régulation économique original, mixte, ancré dans la tradition bien française de l'Etat régulateur qui, sans remonter vers un passé plus lointain, a été, depuis l'époque de la Libération, une caractéristique de la IVe République reconstructrice, comme de la Ve République modernisatrice ! Pendant plus d'un demi-siècle, l'Etat s'est voulu et affiché organisateur, bâtisseur, protecteur et régulateur.
Eh bien, nous, dans ce monde globalisé, dans cette économie mondialisée, dans ce marché trop souvent déréglementé, bref, dans ce maelström souvent dur aux plus faibles, nous tenons plus que jamais à ce que l'Etat soit un Etat régulateur, garant de l'équilibre de la société, de la cohérence de son fonctionnement et de la solidarité qui doit régir les relations entre les citoyens !
Et nous tenons à ce que l'Etat régulateur soit un Etat volontaire, qui puisse arbitrer dans le sens de l'intérêt général et qui, pour ce faire, fixe les règles du jeu permettant aux acteurs économiques, qu'ils soient de grands groupes industriels, commerciaux ou financiers, ou bien de simples PME, qu'ils soient des producteurs ou des consommateurs, qu'ils soient des salariés ou des actionnaires, de jouer leur rôle, tout leur rôle, en parfaite connaissance de cause et dans la transparence la plus grande possible. En effet, l'Etat régulateur doit à la fois faciliter, protéger, contrôler, contraindre, faire respecter la liberté d'entreprendre et la concurrence capitaliste contre les dérives monopolistiques, ou clarifier les conditions d'accès de tous à l'information pour assurer cette transparence contre les tendances à l'opacité.
La concurrence des initiatives pour la création de richesses est stimulante, de même que la compétition des entrepreneurs et des commerçants est normale, mais cette compétition doit être régie selon des règles simples, claires et justes : il en va de l'intérêt de tous, salariés, consommateurs, investisseurs ou entrepreneurs. En effet, en démocratie, il ne peut y avoir d'économie de marché sans règles du jeu, et il ne peut y avoir de règles du jeu connues et acceptées par tous sans information ni transparence.
Ainsi, en matière de régulation financière et, plus particulièrement, de modernisation des marchés financiers, n'est-il pas souhaitable que le Gouvernement puisse être informé à l'avance de l'imminence d'une offre publique d'achat ? N'est-il pas plus sain que les autorités de contrôle puissent avoir connaissance des pactes entre actionnaires et puissent ainsi sanctionner l'absence de véracité des publicités financières ?
L'obligation, pour l'auteur d'une offre publique d'achat ou d'une offre publique d'échange, de préciser sa politique de gestion de l'emploi devant le comité d'entreprise n'est-elle pas susceptible de réduire la tentation qu'il pourrait avoir de ne pas tenir le même langage aux analystes financiers et aux salariés ?
En matière de contrôle de la circulation de capitaux d'origine douteuse, n'avons-nous pas tout lieu de nous féliciter de l'avancée que constitue le texte que nous réexaminons aujourd'hui ? En effet, devant les risques de déstabilisation que courent nos sociétés du fait du développement des circuits économiques irrigués par l'argent de la délinquance, n'est-il pas bon que le Gouvernement puisse se doter, grâce à cette loi, d'un dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent sale à la fois novateur et un des plus ambitieux qui soient ? Ce n'est pas rien de pouvoir interdire des transactions avec des Etats ou des territoires « non coopératifs », ou de pouvoir poursuivre des personnes suspectes de liens coupables avec des délinquants financiers !
En matière de concurrence, puisqu'il s'agit de moraliser les pratiques commerciales, n'est-il pas raisonnable et souhaitable que soient pacifiés les rapports entre distributeurs et producteurs et qu'il soit mis fin aux excès et aux abus de position dominante qui empoisonnent le climat de la grande distribution française ? N'est-il pas bon que les producteurs soient mieux protégés dans leurs relations contractuelles, de même qu'en matière de délais de paiement ?
N'est-il pas raisonnable et souhaitable que soient renforcés les moyens de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, que soit mieux assuré le contrôle des opérations de concentration ?
Sans entrer dans le détail, les mesures prévues par le projet de loi visent à créer les conditions d'une concurrence plus loyale et s'inscrivent dans le droit-fil de la philosophie qui a présidé à l'élaboration de l'ensemble du texte : liberté des contrats, loyauté de la concurrence, meilleur contrôle des concentrations, lutte contre les abus de position dominante, soutien aux petits producteurs, défense des consommateurs... En résumé : la régulation économique au service de la cohésion sociale.
Pour ce qui concerne la vie des entreprises, n'est-il pas souhaitable qu'existe un meilleur équilibre des pouvoirs entre leurs organes dirigeants, que ceux-ci aient un fonctionnement plus transparent, que soient renforcés les pouvoirs des actionnaires minoritaires ?
Le développement des grands groupes économiques et financiers appelle la mise en oeuvre de la démocratisation du « gouvernement » de l'entreprise : il s'agit donc de rénover le mode de fonctionnement des sociétés commerciales comme celui des entreprises du secteur public. Le projet de loi qui est soumis à notre discussion devrait permettre aux différentes parties prenantes à la gestion de l'entreprise de mieux exercer leurs responsabilités, de participer davantage à l'élaboration de ses orientations stratégiques et de mieux contrôler ses activités, tout cela pour le plus grand bien de l'entreprise.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis que le Parlement examine toutes ces dispositions régulatrices qui constituent autant d'avancées devant régir notre vie économique. Ces dispositions traduisent notre capacité à adapter nos modes d'action aux évolutions de l'économie et de la société, afin de corriger les excès de l'économie et de rendre la société plus humaine.
Je souhaite que le processus d'amélioration du texte, que je signalais au début de mon propos, se vérifie au cours de ce débat. Pour ce qui nous concerne, nous y apporterons notre contribution.
Il s'agit d'un texte d'intérêt général. Le Parlement s'honorerait d'une réunion d'idées de nos deux assemblées sur un texte définitif qui réponde aux objectifs de régulation et de transparence nécessaires à la modernisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous parvenons au terme d'un processus législatif particulièrement long puisqu'un peu plus d'un an et demi s'est écoulé entre l'annonce du projet de loi par le Premier ministre et l'examen en nouvelle lecture par le Sénat.
A l'origine, le Gouvernement, à travers ce projet de loi, entendait réagir à des problèmes sensibles tels que la crise du secteur des fruits et légumes et la multiplication des OPA dans le secteur financier. Sacrifiant à l'effet d'annonce, il avait sans doute sous-estimé la difficulté de légiférer dans des domaines aussi délicats que le droit de la concurrence ou le droit des sociétés, malgré sa volonté de délibérer dans l'urgence. Il s'agit là d'un autre débat, mais y a-t-il compatibilité entre le fait de légiférer et l'urgence ? Dans un esprit constructif, le Sénat a néanmoins souhaité jouer son rôle en améliorant sensiblement le projet de loi.
Mon propos portera sur la deuxième partie relative à la régulation de la concurrence, sur laquelle j'ai rendu un avis en première lecture au nom de la commission des affaires économiques. Je rappellerai en quelques mots les enjeux de la réforme.
L'actuel déséquilibre des forces est évidemment la conséquence directe de la concentration croissante du secteur de la grande distribution au cours des dernières années. Je ne citerai pas dans le détail l'ensemble des pratiques contestables qui caractérisent trop souvent le monde de la grande distribution : les « déférencements » abusifs, les divers rabais et ristournes, la vente des meilleurs emplacements à des prix exorbitants, le développement du crédit fournisseur, les règlements off-shore , sans parler de la multiplication des marques de distributeurs, les fameuses MDD, ce qui permet à la grande distribution d'imposer ses prix et d'accroître encore ses marges bénéficiaires.
Au premier rang des victimes de cette situation figurent les agriculteurs et les petits producteurs. Les grandes surfaces réaliseraient une marge brute de près de 350 % sur les produits agricoles ! Leur positionnement sur le marché européen et mondial leur permet, incontestablement, de spéculer à l'envi sur les prix et d'acheter les produits dans les conditions les plus profitables.
Mais la situation de dépendance que connaissent les agriculteurs est également mal ressentie par l'ensemble des PMI et des PME, petits producteurs qui, le plus souvent, ne disposent pas d'une puissance de vente suffisante. Pour beaucoup d'entre elles, un simple déférencement prend l'allure d'un véritable arrêt de mort à court ou à moyen terme.
Le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques comporte à cet égard un certain nombre de mesures positives : je pense surtout à l'amélioration du texte de l'ordonnance de décembre 1986 avec l'ajout de nouvelles pratiques abusives comme la coopération commerciale fictive et l'abus de dépendance économique.
Notre collègue Philippe Marini, relayé à l'instant par M. Gaillard, a remarquablement fait le point sur les propositions du Sénat en la matière. Je n'y reviendrai que très succinctement. Nous avons essayé de corriger certaines dérives d'inspiration dirigiste et bureaucratique du projet de loi, notamment le renforcement des pouvoirs de l'administration et du Gouvernement.
A l'inverse, le Sénat a été soucieux d'accroître les moyens d'action de la commission d'examen des pratiques commerciales.
Nous avons également adopté un amendement visant à transposer la directive européenne du 29 juin 2000, qui pose le principe d'un délai de paiement maximal de trente jours. Au-delà de ces améliorations et des divergences qui persistent avec l'Assemblée nationale sur les aspects techniques du projet de loi, la majorité du Sénat est globalement en accord avec l'objectif que cherche à atteindre le texte, à savoir rééquilibrer les relations commerciales.
Permettez-moi cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, d'exprimer un certain scepticisme par rapport à cette nouvelle architecture législative. Une de plus, depuis la loi Royer de 1973 ! Malgré l'intervention régulière du législateur ces dernières années, les relations entre les fournisseurs - les producteurs - et la grande distribution n'ont cessé de se dégrader au détriment des premiers.
Je souhaite évidemment bonne chance à ce nouveau texte relatif aux nouvelles régulations économiques. Mais, en l'absence, notamment, de sanctions effectives, je crains très sincèrement que cette loi ne connaisse un nouvel échec et qu'elle ne suscite l'indifférence des acteurs économiques concernés, et ce dans un contexte de mondialisation croissante, qu'il ne faut plus subir, mais face à laquelle nous devons nous organiser, alors que les centrales d'achat ne se limitent plus à l'Hexagone ! Sans parler du développement d'Internet et du commerce électronique qui rendent bien dérisoires les frontières et les réglementations nationales. Nous devons donc rester lucides quant aux limites de l'action législative nationale. Trop de lois tuent la loi. Celle-ci doit rester d'ordre général, laissant aux décrets et aux autres mesures d'application le soin de détailler le dispositif. Le rôle des pouvoirs publics ne se résume pas, par ailleurs, à fixer des règles du jeu collectives.
Il faut distinguer ce qui ressortit à la liberté contractuelle et ce qui relève de la régulation par l'Etat. Celui-ci doit encourager - cela est possible - le dialogue et la fixation de codes de bonne conduite par les partenaires eux-mêmes, sur le modèle, par exemple, de ce qu'ont fait les professionnels du secteur du bricolage, le 25 septembre dernier, et qui peut servir de leçon. Dans cet esprit, je proposerai, à l'article 29, un amendement concernant le déférencement.
Le législateur doit veiller, en outre, à la correction des effets pervers que peut comporter toute nouvelle réglementation. Ainsi, il serait bon que soit prévue l'élaboration d'un rapport annuel sur l'application de la nouvelle loi, par la commission d'examen des pratiques commerciales.
En conclusion, je souhaite évidemment féliciter M. Marini et, aujourd'hui, M. Gaillard, ainsi que la commission des finances : leur excellent travail se situe dans la continuité de ce que les différentes commissions concernées avaient effectué en première lecture.
En saluant le remarquable travail de notre collègue Jean-Jacques Hyest, le groupe de l'Union centriste votera le projet de loi tel qu'il sera amendé par le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Je souhaite répondre brièvement à chacun des intervenants.
Monsieur le rapporteur, je rebondis sur votre conclusion. Vous avez employé le mot « tératologie », en précisant qu'il s'agit de la science des veaux à deux têtes. Je me plais souvent à rappeler que je fus, dans une époque antérieure, docteur vétérinaire. Certains de ceux qui siègent dans cet hémicycle ont, eux aussi, suivi la formation d'une école nationale vétérinaire. La tératologie, c'est la science des monstres. Celle-ci va au-delà des veaux bicéphales, aujourd'hui bien plus sujets à l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine, que d'autres, puisqu'ils ont deux cerveaux. (Sourires.) Mais je ne souhaite pas épiloguer sur ce thème. Je dirai simplement que, s'agissant de ce projet de loi, l'adjectif « monstrueux » me paraît un peu excessif. En effet, ce qui est tout autant monstrueux, sinon, plus, c'est la manière dont sont traités aujourd'hui les salariés des grandes entreprises que nous avons, vous et moi, citées. Un tel traitement dans un contexte économique favorable appelle en effet plus ce type de qualificatif. Le présent texte n'est en rien monstrueux.
Mais vous avez raison de souligner la qualité du travail parlementaire, monsieur le rapporteur. Ce fut notamment le cas en commission mixte paritaire. J'espère démontrer aujourd'hui et demain que c'est cette démarche qui préside à nos débats. En tout cas, telle est notre volonté !
J'ai bien entendu, monsieur Gaillard, votre souhait - et il est partagé - que s'instaure une meilleure régulation.
Ce texte tend à donner les moyens non seulement à l'Etat, mais également aux acteurs économiques d'assurer une régulation à la fois plus transparente et plus équitable. D'ailleurs, les propos qui ont été tenus sur l'ensemble des travées vont dans ce sens.
Je reviendrai, bien sûr, sur l'article 38 relatif aux sanctions. Ne perdons pas de vue que la régulation, c'est aussi un pouvoir de sanction. Celle-ci doit être, j'en suis d'accord, justifiée et proportionnée.
S'agissant de la réforme des administrations financières, comme vous, monsieur le rapporteur, le Gouvernement est attaché à sa mise en oeuvre. Un texte sera donc soumis à l'examen des assemblées à l'automne prochain.
M. Hyest a souligné que le présent projet de loi comprenait des dispositions concernant des sujets sensibles et complexes. Pour ma part, je me réjouis que nous ayons finalement pris le temps du débat et des échanges entre les assemblées pour enrichir ce texte.
Certains d'entre vous ont parlé de texte de circonstance. Il me semble que les circonstances en la matière se répètent ; elles ne sont pas exceptionnelles : l'affaire Michelin n'est pas seule en cause. Comme l'annoncent certains médias, ces circonstances sont à nouveau d'actualité. C'est la raison pour laquelle l'Etat comme le Parlement peuvent aujourd'hui intervenir.
Je note, monsieur Hyest, que vous partagez le souci du Gouvernement de renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment. Cela nous honore tous, même si nous savons que nous serons effectivement amenés à compléter les règles en vigueur après l'adoption de la directive européenne y afférent.
De même, vous avez souligné les nombreux accords qui sont intervenus entre l'Assemblée nationale et le Sénat : quarante-deux articles portant sur le droit des sociétés ont fait l'objet d'un accord. Cela prouve la nécessité d'améliorer la régulation.
Monsieur Trucy, nous partageons les objectifs d'équilibre et de transparence auxquels vous avez fait allusion et nous saluons l'esprit avec lequel vous avez abordé ce débat. J'espère que, comme en première lecture, le travail parlementaire pourra enrichir ce texte, qui comporte des mesures concrètes répondant, dans tous les domaines de notre économie, aux défis d'une mondialisation « humanisée » - j'insiste sur ce terme.
Madame Terrade, vous le dites très bien, ce texte contient de nombreuses dispositions ; ne le réduisons pas à ce qu'il ne comporte pas. Je crois que ce texte est d'actualité et qu'il nous faut légiférer en la matière. J'ai dit, comme vous, que les affaires Marks & Spencer et Danone appelaient une autre régulation que celle-ci. Nous en discuterons très prochainement lors de l'examen du texte portant diverses mesures d'ordre social.
M. Paul Loridant. J'espère !
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Je partage votre attachement au service public. Telle est bien notre conviction ! M. le Premier ministre l'a redit avec force à Stockholm, comme il l'a d'ailleurs répété avec force hier soir.
Le Gouvernement n'a pas accepté le mépris social dont il a été fait montre par les dirigeants de Marks & Spencer. Soyez convaincue que nous travaillerons à trouver des solutions économiques favorables aux salariés. Ainsi, avec ce projet de la loi et avec le texte portant diverses mesures d'ordre social à venir nous démontrerons notre action collective pour une régulation économique qui soit aussi synonyme, madame Terrade, de progrès social, comme vous l'avez évoqué.
M. Massion a justement souligné que ce projet de loi restait d'actualité pour moderniser notre vie économique et social, avec un objectif de régulation et de transparence pour une économie dynamique mais régulée, qui ne laisse pas place à la loi du plus fort.
Je partage pleinement l'appréciation de M. Massion selon laquelle ce texte s'inscrit dans une longue tradition française de l'Etat régulateur - je le remercie de l'avoir rappelé, et avec talent - qui doit assurer un équilibre entre tous les acteurs, équilibre que l'économie de marché ne produit pas spontanément.
Monsieur Hérisson, j'ai bien entendu les problèmes que vous avez évoqués, notamment en matière agricole, pour ce qui est des relations actuelles entre producteurs et distributeurs. Vous avez souhaité intervenir sur la deuxième partie du projet de loi relative à la régulation de la concurrence. Nous partageons vos constats et nous vous remercions de vos encouragements. Ceux-ci ont conduit le Gouvernement à agir en présentant ce texte.
Vous avez critiqué le délai en ce qui concerne le débat. Il nous a cependant permis, cet été, de vérifier la validité de plusieurs options qui ont été prises. Pour certains produits, notamment les fruits et légumes, le texte sur les nouvelles régulations économiques apporte d'ores et déjà des solutions qui ont été appréciées par les producteurs.
Je souhaite, comme vous, que cette loi donne les moyens d'agir sur les pratiques et les comportements. C'est l'enjeu même de la régulation ! Certes, aucune loi n'est parfaite. Vous avez cité d'autres lois antérieures qui n'avaient pas donné les résultats escomptés. Mais si l'on souhaite ne pas laisser le marché fonctionner à l'aveugle, d'une manière souvent injuste, au détriment des différents acteurs, il faut bien instituer des règles. La régulation vise précisément à établir des règles du jeu qui permettent que l'un des partenaires ne soit pas complètement pénalisé, comme il l'est encore aujourd'hui. On a rappelé les problèmes qui existent entre les salariés et les actionnaires. Il importe qu'à côté du marché l'Etat intervienne.
Ce projet de loi apporte des réponses, sans doute incomplètes, aux questions les plus brûlantes qui se posent aujourd'hui.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Demande de réserve