SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2000


M. le président. « Art. 19 A. - La loi n° 97-277 du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite est abrogée. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 17 est présenté par MM. Vasselle et Descours, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 51 est déposé par M. Oudin, au nom de la commission des finances.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. Vasselle, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 17.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. Nous abordons les articles qui concernent la branche vieillesse.
Il s'agit, en l'occurrence, de l'article 19 A, qui est dû à une initiative de l'Assemblée nationale.
Je crois me souvenir que, l'année dernière, le Gouvernement, pour une initiative identique - et Mme Guigou me semble bien placée aujourd'hui, à la fois en sa nouvelle qualité de ministre de l'emploi et de la solidarité et comme ancien garde des sceaux pour porter un jugement pertinent sur l'initiative de l'Assemblée nationale - avait considéré que l'amendement de l'Assemblée nationale était un cavalier et n'avait pas sa place dans la loi de financement de la sécurité sociale. Il avait donc émis un avis défavorable sur ledit amendement.
Cette année - je ne sais si cette attitude est liée au changement de ministre - l'avis est tout autre puisque, à l'Assemblée nationale, le même amendement a reçu un avis favorable du Gouvernement. Permettez-moi, madame le ministre, d'être surpris, étant donné votre compétence juridique, de voir que vous avez donné un avis favorable à cet amendement. Mais il existe certainement des arguments auxquels nous allons peut-être nous rallier dans quelques instants, lorsque vous nous expliquerez ce qui a motivé votre avis favorable, contraire à l'avis qu'avait émis Mme Aubry l'année dernière.
Dès lors, et sans vouloir introduire ne serait-ce qu'une feuille de papier à cigarette entre vous-même et votre « prédécesseure », vous comprendrez mon trouble.
Personnellement, je ne vois pas comment l'abrogation d'une loi, que Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale, avait déclarée en « coma clinique » et que Jean Le Garrec, rapporteur au fond, avait qualifiée de « virtuelle », pourrait « affecter directement les équilibres financiers de la sécurité sociale ».
Mais, au-delà de cette question constitutionnelle, deux raisons supplémentaires justifient la suppression de cet article.
Tout d'abord, nous sommes attachés aux plans d'épargne retraite, et je vois un paradoxe dans cet article 19 A.
Le Gouvernement a refermé le dossier de la réforme des retraites. Mais comme l'oisiveté est toujours mauvaise conseillère, la majorité plurielle a tenu à apporter sa propre contribution à cette absence de réforme en votant l'abrogation d'une loi non appliquée.
La loi Thomas comporte également des dispositions qui sont sans lien avec les plans d'épargne retraite et qui ne peuvent être abrogées sans dommage. Je vous renvoie au texte de l'article 11 du projet de loi de modernisation sociale. Il y va, semble-t-il, notamment, du statut des agents de France Télécom !
Voilà donc au moins trois raisons de supprimer cet article.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous encourage vivement à suivre la proposition que je viens de développer devant vous au nom de la commission des affaires sociales.
J'ose espérer que la cohérence de la position du Gouvernement avec celle qu'il avait prise l'année dernière se manifestera au moins devant la Haute Assemblée, qui est, de notoriété publique, un lieu où la sagesse s'exprime d'une manière coutumière.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est un lieu inspiré !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 51.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Avec des motivations complémentaires, j'approuve tout ce qu'a dit notre collègue M. Vasselle.
Premièrement, cet article a-t-il vraiment sa place dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale ? J'en doute !
Deuxièmement, la suppression de ces dispositions ne saurait tenir lieu de politique en matière de retraites.
La semaine dernière, lors de l'examen du projet de la loi relatif à l'épargne salariale, sur l'initiative de la commission des finances et de l'un de nos collègues, Joseph Ostermann, le Sénat a fait une proposition qui me semble équilibrée, conforme aux attentes des citoyens, avec des plans retraite construits sur une base collective, facultative et respectueuse des régimes par répartition, puisqu'ils sont soumis à des cotisations-vieillesse. Il nous paraît préférable d'aller dans ce sens plutôt que de prévoir une abrogation pure et simple de la loi créant les plans d'épargne retraite.
Nous attendions des propositions constructives du Gouvernement dans ce domaine ou, au moins, la prise en considération des votes du Sénat.
C'est la raison pour laquelle nous avons présenté cet amendement tendant à supprimer l'article 19 A.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mon avis ne va pas vous surprendre : il est évidemment négatif.
Monsieur Vasselle, si les décrets d'application de la loi Thomas n'ont pas été pris, c'est parce que cette loi a été votée le 25 mars 1997. Une dissolution étant intervenue, le gouvernement d'alors, qui était à l'origine de cette loi, n'a pas eu le temps de prendre les décrets d'application, ce qu'il n'aurait certainement pas manqué de faire avec diligence.
Cette loi était donc une loi virtuelle.
Elle avait pourtant une force symbolique extrêmement importante. En effet, d'abord, elle fragilisait considérablement les régimes de retraite par répartition, ensuite, elle privilégiait une approche individuelle, donc égoïste, des systèmes de retraite ; enfin, elle favorisait, par des exonérations fiscales à notre avis éhontées, les personnes aux revenus les plus élevés.
Notre majorité avait donc toutes les raisons d'abroger une loi qui n'avait jamais été appliquée. C'est d'ailleurs l'engagement qui a été pris dans le projet de loi de modernisation sociale, qui a été approuvé par le conseil des ministres en mai 2000.
Des députés ont proposé d'anticiper, et je leur ai accordé avec joie cette satisfaction. J'estime en effet comme eux que, ce qu'il faut avant tout, c'est consolider les régimes de retraite par répartition, plutôt que de basculer dans les fonds de pension.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite l'abrogation de cette loi.
De toute façon, elle sera abrogée !
Encore une fois, c'est avec beaucoup de plaisir que je me suis ralliée à cet amendement déposé par le groupe communiste à l'Assemblée nationale.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Nous verrons si votre plaisir est partagé par le Conseil constitutionnel !
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Ne vous réjouissez pas trop vite, madame le ministre ! Comme vient de le dire M. Delaneau, nous verrons si le Conseil constitutionnel partage votre joie !
M. Claude Domeizel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. L'examen de cet article est un grand moment pour ceux qui défendent les retraites.
La loi Thomas faisait l'objet de deux critiques majeures.
En premier lieu, elle organisait des inégalités, en renvoyant à une assurance privée, individuelle et facultative. Les inégalités risquaient même de se creuser selon les revenus, les connaissances économiques et l'insertion sociale.
En second lieu - et certains de mes collègues ont formulé cette critique avant même que je sois parlementaire - la loi Thomas déstabilisait les régimes complémentaires et, à terme, elle aurait « miné » les bases financières du système par répartition.
L'abrogation de la loi Thomas a-t-elle sa place ici ? Celle-ci est-elle « virtuelle » ? Pour ma part, je constate que la suppression de la loi Thomas épargne des dépenses à la protection sociale. Elle entre donc dans le champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Enfin, je me permettrai de rappeler que la loi Thomas a été combattue au Sénat et à l'Assemblée nationale, en particulier par les groupes socialistes, qu'elle a été publiée le 25 mars 1997 et que, moins d'un mois plus tard, le Président de la République a dissous l'Assemblée nationale. Au cours de la campagne qui a suivi, de nombreux engagements ont été pris, notamment celui d'abroger la loi Thomas. En 1997, les Français ont souhaité changer de majorité et nous ont mandatés, en particulier, pour cette abrogation. C'est ce que nous faisons. Vouloir tenir ses engagements est une motivation majeure.
Le groupe socialiste votera donc contre les amendements identiques n°s 17 et 51, qui tendent à conforter la capitalisation.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Ces amendements ont pour objet de supprimer l'article 19 A, qui, précisément, abroge la loi Thomas du 25 mars 1997, laquelle instituait les plans d'épargne retraite.
La majorité sénatoriale est décidément incorrigible !
En effet, la loi Thomas a été abrogée voilà deux semaines à l'Assemblée nationale, ce dont nous nous sommes félicités. Mais la majorité sénatoriale tente de la faire rétablir par tous les moyens, que ce soit par le biais de la discussion du projet de loi sur l'épargne salariale - la semaine dernière, nous avons eu l'occasion d'assister à des débats assez épiques - ou, comme c'est le cas aujourd'hui, au détour de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Nous tenons à réaffirmer notre opposition la plus ferme à cette initiative, qui consiste à tenter de faire revenir les fonds de pension, véritable acte d'opposition au régime de retraite par répartition.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : non pas mettre en oeuvre un complément de rémunération ou de retraite pour les salariés, mais bel et bien distraire des sommes toujours plus importantes de l'économie réelle vers la bulle de la spéculation financière.
La loi Thomas était une opération menée contre la retraite par répartition, contre le dialogue social, contre la solidarité entre les générations. Elle n'est donc pas plus recevable aujourd'hui qu'hier.
Nous ne voterons évidemment pas ces amendements n°s 17 et 51, et nous nous félicitons de la décision prise à l'Assemblée nationale, que nous confirmons aujourd'hui.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Permettez-moi de tirer deux enseignements des dernières interventions, ainsi que de la manière dont Mme Guigou a justifié son soutien à l'amendement de l'Assemblée nationale.
Premier enseignement, je note, madame le ministre, que vous vous affranchissez d'une rigueur juridique qui devrait s'imposer au Gouvernement, et plus encore à vous qu'à quiconque. En effet, le président de la commission des affaires sociales et le rapporteur, Charles Descours, ont attiré votre attention sur le caractère anticonstitutionnel de l'initiative, qui risque, de ce fait, d'être « retoquée » par le Conseil constitutionnel.
Second enseignement, à nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste, qui viennent de développer toute une argumentation pour condamner l'initiative prise, à l'époque, par les promoteurs de la loi Thomas pour mettre en place ce « troisième étage » que sont les fonds de pension, je rappellerai que nous avons fait ensemble, avec le président Delaneau, un déplacement, il y a peu, en Suède et en Italie, pour voir ce qui s'y passe. Or ces deux pays, qui sont souvent cités en exemple pour leur politique sociale progressiste, ont mis ou sont en train de mettre en place l'équivalent des fonds de pension. Et je n'oublie pas l'Allemagne, bien entendu ! La France sera-t-elle donc le dernier de la classe en ce qui concerne les solutions à apporter pour régler les problèmes latents de la branche vieillesse et des retraites de demain ?
Décidément, j'ai l'impression que, pour des questions purement idéologiques, vous vous arc-boutez contre une solution qui, de toute façon, est celle à laquelle il faudra aboutir. Et quand bien même vous admettriez la solution, vous refusez de lui donner son nom pour mieux l'habiller à votre manière et, surtout, par l'affichage politique que constituera le vote de ce soir, laisser penser à l'opinion qu'en adoptant un dispositif de cette nature nous voulions mettre à bas les retraites par répartition, ce qui n'a jamais été notre volonté.
M. Guy Fischer. Allons ! Et la semaine dernière ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous avons toujours affirmé haut et fort qu'il était hors de question de mettre en cause les retraites par répartition et que nous voulions les préserver, mais en leur ajoutant un étage supplémentaire. (Protestations sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il s'agissait de consolider les retraites par répartition, ce que vous n'avez pas fait, et ce que nous avons fait, à notre heure.
Donc, nous attendions vos initiatives dans ce domaine, et elles sont inexistantes. Ce n'est pas nous qui pouvons les prendre à votre place, puisque c'est vous qui avez la responsabilité de l'exécutif. Alors, ne venez pas nous donner des leçons dans ce domaine ; ne venez pas nous dire que nous ne proposons rien, que nous ne faisons rien ! Qui a le pouvoir ? C'est nous ou c'est vous ? C'est vous ! Assumez vos responsabilités et assumez-les devant les Français !
M. Guy Fischer. Les régimes par capitalisation, vous les avez créés la semaine dernière !
Mme Hélène Luc. Qui a voté les fonds des pension ? C'est vous !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 17 et 51, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 19 A est supprimé.

Article 19