SEANCE DU 10 OCTOBRE 2000


M. le président. La parole est à M. Gaillard, auteur de la question n° 865, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Yann Gaillard. Madame la ministre, ma question porte sur un problème brûlant qui est celui du prêt payant dans les bibliothèques.
Je vous avais posé une question écrite sur ce sujet. Depuis, j'ai lu un écho, paru dans une lettre confidentielle, Culture - Décideurs, qui dépend, je crois, de votre ministère, faisant état de certains axes de votre réflexion sinon de vos décisions - mais vous allez sans doute pouvoir nous éclairer dans quelques instants sur ce point.
Je ne reviendrai pas sur ce débat qui doit vous déchirer, madame la ministre, comme il nous déchire tous : d'un côté, les droits d'auteurs et la protection de la propriété intellectuelle ; de l'autre, l'accès pour tous à la culture. Nombre de grands noms intellectuels ont participé à une polémique attendue, certains, d'ailleurs, ayant des positions parfois surprenantes.
Bref, ce n'est pas une question facile et je ne vous reproche pas de ne pas l'avoir encore réglée.
Vous vous appuyez sur le rapport Borzeix, commandé par votre prédécesseur et aujourd'hui publié.
Si je prends pour bonnes les informations de la lettre Culture - Décideurs, vous proposez tout d'abord de ne pas prévoir de paiement à l'acte - cela, on peut le comprendre - et, pour dégager quelques fonds, de limiter les rabais dont bénéficient actuellement les collectivités - pour l'essentiel les bibliothèques municipales - en les ramenant de 20 % à 5 %, ce qui donnerait 75 millions de francs.
Ensuite, il serait envisagé, pour augmenter l'enveloppe reversée aux auteurs et aux éditeurs, une contribution forfaitaire annuelle au prorata du nombre de lecteurs inscrits. C'est une proposition du rapport Borzeix. On avance la somme de 10 francs à 20 francs, qui viendraient s'ajouter aux 80 francs que pratiquent déjà 75 % des bibliothèques. On disposerait ainsi de 95 millions de francs supplémentaires, soit au total quelque 170 millions de francs. Quelle en sera la répartition, et selon quelle proportion entre les éditeurs et les auteurs ? Quels auteurs ? Nous n'en savons rien ; tout cela est encore très obscur.
Puisque nous sommes au Sénat, permettez-moi, madame la ministre, de vous dire que vous avancez la main vers ce chaudron de sorcière qu'est le problème des transferts de charges entre l'Etat et les collectivités locales. Une fois de plus, après la vignette, ce sont les collectivités locales qui, à un double titre, devront en quelque sorte payer la facture.
D'ailleurs, si j'en crois un article du Monde, qui commentait la lettre Culture - Décideurs , le système serait encore plus vicieux, si je puis dire, puisque les collectivités locales auraient la responsabilité de répercuter ou de ne pas répercuter la contribution forfaitaire sur les lecteurs. Alors, non seulement on les ferait payer mais de plus, on leur fera porter le chapeau.
Je ne voudrais pas employer de termes vulgaires, car je sais que c'est un débat très difficile. Je veux simplement vous demander si, vraiment, vous êtes sur le point d'annoncer des décisions de façon plus officielle que par l'intermédiaire d'une feuille confidentielle, même si elle dépend quasiment de vous, et vous mettre en garde contre cette tentation à laquelle semble si souvent céder le Gouvernement qui est de passer la facture aux collectivités locales, que nous avons mission de représenter ici.
M. Gérard Delfau. Ce n'est pas d'aujourd'hui !
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Une petite précision d'abord, monsieur le sénateur : Culture - Décideurs ne relève en rien du ministère de la culture.
La question du droit de prêt voit en effet s'affronter des conceptions tout à fait opposées. Si ce débat est légitime, il a, je crois, été obscurci par un certain nombre d'outrances.
Le Gouvernement s'est attaché à rechercher des solutions équilibrées avec le concours des élus comme des professionnels.
Le Gouvernement n'envisage pas de demander aux usagers de payer un droit pour chaque livre emprunté. En sens inverse, il n'est pas juste de priver les auteurs de leurs droits sur un mode d'utilisation de leurs oeuvres qui - et c'est un bien pour la lecture et le livre dans son ensemble - s'est heureusement développé depuis deux décennies.
Cette rémunération prend la forme de droits d'auteurs proprement dits mais elle pourrait également comprendre une intervention de caractère social portant sur la retraite des auteurs. Je rappelle que les écrivains sont actuellement la seule catégorie, parmi les artistes et les créateurs, à ne pas bénéficier d'une retraite complémentaire.
Pour améliorer cette rémunération, j'étudie actuellement le moyen de combiner deux sources de financement : un droit payé à l'achat des livres, ce qui supposerait de mettre fin à l'exception à la loi sur le prix unique du livre dont bénéficient actuellement certains acheteurs, et un forfait par usager inscrit dont s'acquitteraient les établissements prêteurs.
Il importe bien évidemment que ces mesures n'alourdissent pas excessivement la charge des collectivités locales et ne les conduisent pas à réduire leurs efforts pour les bibliothèques.
C'est pourquoi la juste réponse réside forcément dans l'effort conjoint de l'Etat et des collectivités locales. C'est cet effort conjoint qui a permis le développement de la lecture publique, et c'est ensemble que nous réussirons à garantir la pérennité de l'écriture et de la lecture.
Je me suis donné pour objectif de proposer des mesures à l'ensemble des partenaires : professionnels, représentants des éditeurs et des auteurs, et collectivités locales, que je consulte notamment au travers du Conseil supérieur des collectivités territoriales, qui a été institué par mon prédécesseur. Il s'agit pour l'Etat non pas d'imposer des solutions mais de les négocier avec l'ensemble de tous ceux qui soutiennent la création et la lecture publique. (M. Delfau applaudit.)
M. Yann Gaillard. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Madame la ministre, votre réponse m'a intéressé. Je reste malgré tout quelque peu sur ma faim parce qu'il semble qu'aucune décision ne soit encore prise.
Je note par ailleurs, mais vous le savez mieux que moi, que, s'il a été question d'une aide financière de l'Etat aux collectivités locales pour compenser cette nouvelle charge, aucun crédit ne figure à ce titre dans le « bleu » budgétaire. Il est sans doute trop tôt. Peut-être en discuterons-nous à nouveau à l'occasion de l'examen de votre projet de budget, dont je suis le rapporteur spécial.

RATIFICATION PAR LA FRANCE
DE LA CONVENTION D'UNIDROIT