Séance du 5 avril 2000






PRESTATION COMPENSATOIRE
EN MATIÈRE DE DIVORCE

Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 241, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce.
Rapport n° 291 (1999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi relative à la modification du régime de la prestation compensatoire, dont l'initiative a été prise dans votre assemblée, revient devant vous en deuxième lecture.
Les deux discussions en première lecture nous ont permis de procéder à une analyse complète de la situation et de constater à quel point cette réforme était nécessaire.
Les uns dénoncent les situations intolérables auxquelles conduit, en raison des aléas de la vie économique et sociale, la quasi-impossibilité de réviser la prestation compensatoire en l'état actuel du droit ; les autres soulignent que nombreuses sont les femmes - car la quasi-totalité des bénéficiaires des prestations allouées sont des femmes - qui ont sacrifié leur carrière professionnelle à leur vie familiale.
Il s'agit, en fait, de tenir compte de ces deux réalités en adoptant un dispositif équilibré.
J'ai souhaité, vous vous en souvenez, pouvoir bénéficier d'une réflexion approfondie, notamment de celle qui a été menée par le groupe de travail que j'avais installé et qui était présidé par Mme Dekeuwer-Défossez.
J'ai voulu inscrire cette réforme de la prestation compensatoire dans le cadre plus large de la réforme du droit de la famille, Mais il m'a semblé aussi qu'il était très important de pouvoir légiférer plus vite sur cette question, afin de régler des situations qui ne pouvaient décidément plus perdurer. J'espère que cette deuxième lecture au Sénat nous permettra d'avancer et que ce texte important pourra, très bientôt, être définitivement adopté.
L'Assemblée nationale a, en première lecture, sensiblement remanié le texte que vous avez voté pour adopter, à l'unanimité de ses membres, un mécanisme innovant, auquel le Gouvernement adhère, sous réserve d'améliorations techniques et d'un accompagnement fiscal.
Vous est donc proposée une architecture nouvelle, reposant sur une conception que l'on qualifie quelquefois de « binaire » et dont l'objectif est de favoriser l'apurement le plus rapide, voire immédiat, des relations pécuniaires entre époux par l'octroi d'un capital, tout en préservant les intérêts de certains créanciers, pour lesquels la rente viagère s'avère être la seule solution équitable.
Je me réjouis que votre commission des lois adhère pleinement à ce mécanisme, auquel elle a apporté des aménagements techniques qui recueillent, pour l'essentiel, mon approbation. Pour autant, certains compléments sont indispensables, notamment en ce qui concerne l'accompagnement fiscal de la réforme.
S'agissant de la philosophie du dispositif, le principe doit être, ainsi que l'avait déjà prévu le législateur de 1975, celui du versement de la prestation en capital, et différents mécanismes doivent permettre la réalisation concrète de cet objectif.
D'abord, les possibilités de verser le capital immédiatement sont élargies du fait de la faculté désormais offerte d'un abandon de biens en pleine propriété, dont votre assemblée avait déjà adopté le principe ; l'Assemblée nationale a entériné cette solution.
Mais il faut aussi répondre aux préoccupations des nombreux débiteurs qui, tout en souhaitant apurer rapidement leur dette vis-à-vis de leur ex-conjoint, ne disposent pas de liquidités immédiates.
Vous avez ouvert la possibilité, pour le juge, au titre des garanties prévues à l'article 277 du code civil, d'imposer au débiteur la souscription d'un contrat garantissant le paiement de la prestation compensatoire.
Au-delà, et c'est l'innovation de l'Assemblée nationale, vous est proposée une nouvelle formulation de l'article 276. Ce texte constitue assurément le pilier du régime rénové de la prestation compensatoire.
Tout en respectant la finalité indemnitaire et le caractère forfaitaire de la prestation, l'Assemblée nationale a adopté la possibilité, pour le débiteur qui n'est pas en état de verser immédiatement l'intégralité de la prestation compensatoire allouée à son conjoint, d'étaler le versement sur une période de huit ans par des paiements annuels ou mensuels indexés.
Ce système me paraît réaliste. Un tel échelonnement dans le temps rendra la charge de la prestation moins lourde pour le débiteur.
En corrolaire, les rentes temporaires sont supprimées.
Il n'est pas inutile de rappeler ici que seulement 5,6 % des femmes divorcées en 1996 ont bénéficié d'une prestation compensatoire attribuée sous forme de rente temporaire. Parmi elles, celles qui ont bénéficié d'une rente d'une durée inférieure à dix ans sont largement majoritaires ; ces rentes représentent en effet les deux tiers de l'ensemble des rentes temporaires.
Le système proposé par l'Assemblée nationale me semble donc adapté aux situations rencontrées aujourd'hui et il permettra un apurement rapide des relations financières entre ex-époux.
La commission des lois du Sénat s'y rallie, et je m'en félicite.
Cependant, il est aussi des situations où l'octroi d'un capital, fût-il étalé sur huit ans, ne répondra pas aux besoins du créancier. Songeons à la détresse dans laquelle ce mécanisme, appliqué sans exception, pourrait plonger les femmes ayant abandonné leur propre carrière au profit de celle de leur époux et ayant divorcé à un âge hypothéquant toute reconversion professionnelle, ou même toute entrée dans la vie professionnelle, beaucoup de ces femmes n'ayant jamais travaillé.
Dans ce cas, il me semble indispensable de maintenir à titre tout à fait exceptionnel, ainsi que l'a prévu l'Assemblée nationale, la possibilité pour le juge d'allouer une rente viagère, décision qui devra être spécialement motivée. Votre commission des lois y ajoute une nouvelle condition tenant à l'impossibilité pour le débiteur de verser le capital. Je souscris pleinement à cette proposition, qui renforce encore le caractère exceptionnel de la rente viagère.
De la distinction entre le capital et la rente viagère découlent deux régimes distincts.
A cet égard, je ne peux souscrire à la proposition de votre commission des lois de n'arrêter le montant de la rente qu'après fixation d'un capital représentatif. Il s'agit là de deux logiques différentes.
En revanche, j'approuve pleinement la dualité de régime de révision proposée. On ne peut en effet traiter de la même manière la révision d'un capital alloué forfaitairement et celle d'une rente, en raison de l'étalement de cette dernière dans le temps.
Il est normal que le montant du capital fixé par le juge soit intangible et qu'il ne puisse être modifié dans son quantum. Mais pour le reste, il est indispensable de prévoir une certaine souplesse, la situation du débiteur pouvant considérablement évoluer en huit ans. C'est pourquoi il est prévu - et vous approuvez pleinement cette démarche - d'autoriser le débiteur à demander la révision des modalités de paiement de ce capital dans des cas exceptionnels.
Quant à la rente, la question de sa révision est, comme chacun le sait, cruciale compte tenu du contexte socio-économique que nous connaissons depuis 1975 et de la quasi-impossibilité d'obtenir actuellement cette révision.
Sans pour autant revenir au contentieux suscité par les anciennes pensions alimentaires entre époux, la révision doit voir son domaine élargi. J'ai dit devant votre assemblée que j'étais favorable à ce qu'un changement important dans la situation des parties ouvre droit à la révision de la rente. C'est la solution qui a été retenue par l'Assemblée nationale.
Je crois qu'il faut s'en tenir à ce critère, sans revenir à un caractère d'imprévisibilité, auquel j'avais songé mais que, à la réflexion, je crois difficile à manier.
J'en viens maintenant à la question qui soulève le plus de passion et suscite le plus de critiques, celle de la transmissibilité de la prestation compensatoire aux héritiers du débiteur.
Si je comprends qu'il soit difficile, notamment sur un plan psychologique, pour les héritiers du débiteur d'avoir à s'acquitter d'une telle dette, je tiens à rappeler qu'il faut se garder de toute solution systématique qui irait à l'encontre des intérêts du créancier et serait contraire aux principes applicables en matière successorale, qui sont fondés sur la transmissibilité. Faute d'un équilibre, aucune solution ne serait viable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très juste !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le texte retenu sur ce point par l'Assemblée nationale me semble de nature à préserver les intérêts des parties.
Les héritiers du débiteur hériteront, certes, du solde du capital, mais ils en connaîtront exactement la charge et pourront, si nécessaire, la refuser. Car on peut toujours refuser un héritage !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ou l'accepter sous bénéfice d'inventaire !
M. Nicolas About. Ce n'est pas un capital !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Quant aux rentes viagères, la déduction de plein droit de l'éventuelle pension de réversion devrait préserver une situation équitable. Le décès du débirentier ne doit pas, en effet, se traduire par une amélioration de la situation financière de son ex-conjoint. Votre commission rejoint cette analyse, et je m'en réjouis.
Enfin, dans la logique consistant à favoriser par tous les moyens le règlement définitif de la prestation compensatoire, l'Assemblée nationale a repris, tout en l'ajustant, votre proposition tendant à permettre la capitalisation de la rente et a autorisé la libération anticipée du solde du capital. Il s'agit là, je le crois, d'une disposition essentielle.
Toutefois, il me semble difficile d'ouvrir, comme vous l'aviez envisagé en première lecture, la faculté de capitalisation dans les mêmes conditions au débiteur et au créancier. En effet, le risque de demandes abusives de ce dernier n'est pas à exclure.
Je me félicite donc que votre commission des lois se rallie au dispositif proposé par l'Assemblée nationale sur la possibilité, pour le créancier, de demander la capitalisation à condition qu'il établisse qu'une modification de la situation du débiteur le permet.
Je crois également difficile d'isoler des événements tels que le remariage, le concubinage notoire ou le pacte civil de solidarité comme sources, par eux-mêmes, de révision.
Enfin, s'agissant des dispositions transitoires, votre commission des lois s'aligne sur le texte adopté par l'Assemblée nationale, à l'exception de la déductibilité automatique de la pension de réversion aux rentes en cours. Je m'étais clairement prononcée, à l'Assemblée nationale, contre cette solution en déposant un amendement sur ce point. Je persiste en effet à penser qu'elle peut engendrer, dans certains cas, de graves difficultés pour les bénéficiaires d'une rente fixée antérieurement, faute pour eux d'avoir pu anticiper une telle possibilité.
Telle est donc l'architecture globale du nouveau dispositif juridique, mais celui-ci appelle des mesures d'accompagnement fiscal, faute desquelles la réforme ne pourrait avoir le succès escompté.
Comme vous le savez, je me suis engagée, d'abord devant vous en première lecture, puis devant l'Assemblée nationale, à ce que des réponses adaptées concernant l'aspect fiscal de la réforme puissent être proposées.
Il serait vain, en effet, de mettre en place un nouveau régime juridique de la prestation compensatoire qui ne serait pas fiscalement incitatif pour le débiteur. Nous savons tous que c'est sur ce point essentiel que le mécanisme actuel du versement en capital a achoppé.
Certes, rien dans les textes en vigueur n'incite le débiteur à s'acquitter du capital à bref délai. Pour autant, si la modification du régime fiscal de la prestation compensatoire est demandée à l'unanimité, les solutions, nous le savons, ne sont pas simples à mettre en oeuvre.
Il est nécessaire que des solutions incitant au paiement effectif du capital soient trouvées, que ce paiement soit effectué en une seule fois ou échelonné sur huit annuités, dans le respect des principes de neutralité fiscale et d'égalité devant l'impôt.
La commission des lois du Sénat vous propose un mécanisme unique qui assimile tout versement en capital, quels que soient le nombre et la périodicité des versements effectués, dès lors qu'ils sont opérés dans la limite des huit annuités prévues par le texte, à un revenu déductible en tant que tel par le débiteur et imposable en conséquence pour le créancier.
Je ne suis bien sûr pas insensible à cette démarche consistant à assimiler les annuités versées pendant plusieurs années à des versements de revenus. Je rappelle d'ailleurs que c'est la position du Conseil d'Etat pour tout versement en plus de trois annuités.
Cependant, je ne peux suivre la commission quand elle retient la même analyse pour un versement unique et immédiat. En effet, permettre la déductibilité totale d'un tel versement des revenus du débiteur constituerait une solution sans précédent en matière fiscale et reposerait sur un artifice.
Il me semble préférable de distinguer clairement deux situations, selon la durée de versement du capital.
Ainsi, les versements qui seraient effectués sur une durée inférieure ou égale à douze mois donneraient lieu à un mécanisme de réduction d'impôt dans la limite d'un plafond de 200 000 francs, somme qui correspond au montant moyen des prestations compensatoires attribuées en capital. La réduction serait de 25 % du montant des versements effectués, dans cette limite de 200 000 francs, soit un maximum de 50 000 francs.
Quant au créancier, qui resterait, dans ce cas, assujetti aux droits de mutation à titre gratuit entre époux, lorsque les sommes ainsi versées proviennent de biens propres, il bénéficie, je le rappelle, d'un abattement de 500 000 francs, soit une somme très largement supérieure au montant moyen des prestations en capital.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En revanche, si le versement du capital est étalé sur une durée supérieure à douze mois, il me semble tout à fait logique d'intégrer les sommes en jeu dans le calcul de l'impôt sur le revenu des parties : soit une déductibilité au titre des revenus imposables du débiteur de l'intégralité des sommes versées et, en corollaire, une déclaration par le créancier de l'intégralité des sommes reçues. Ce mécanisme est celui qui est actuellement applicable aux rentes.
Les avis du Gouvernement et de la commission ne divergent donc que sur un point, à savoir le sort réservé aux versements effectués sur une période inférieure ou égale à douze mois. Toutefois, je crois vraiment que la solution que je vous propose est plus juste et plus équilibrée que celle de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On est d'accord !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En effet, la déductibilité des revenus qu'elle prévoit constitue une réelle incitation pour le débiteur à s'acquitter rapidement des sommes dues, sans que, dans l'immense majorité des cas, le créancier soit pénalisé eu égard à l'abattement fiscal dont il peut bénéficier.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler à ce stade de la discussion. Il s'agit évidemment d'un sujet délicat, à propos duquel nos concitoyens attendent des réponses simples, claires et pragmatiques.
Je voudrais, pour conclure, rendre hommage à la commission des lois du Sénat et à son rapporteur, M. Hyest, qui ont, encore une fois, fait preuve d'un esprit extrêmement constructif et accompli un travail de grande qualité. Ils ont été sans cesse animés du souci de parvenir, au-delà de toute polémique, à des solutions consensuelles.
Je crois que c'est la seule démarche possible, puisque nous avons tous la volonté d'aboutir à cette importante réforme qui concernera évidemment nombre de nos concitoyens et concitoyennes, qui attendent ce texte avec impatience. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à lire certaines correspondances, à voir certains reportages télévisés sur les drames et les injustices nés de l'application de la loi sur la prestation compensatoire en cas de divorce, il est évident que la proposition de loi de nos collègues About et Pagès était particulièrement pertinente, puisqu'elle a permis au Sénat de se saisir d'un problème qui « empoisonne » la vie de trop nombreuses familles.
Puis-je me permettre de rappeler que le Sénat a délibéré de cette question le 25 avril 1998 et que l'Assemblée nationale en a été saisie au début de cette année au titre de l'ordre du jour prioritaire ? Certes, entre-temps, il nous fut expliqué que ce problème devait être examiné dans le cadre d'un grand projet de loi sur le droit de la famille ; le rapport que vous avez cité, madame le garde des sceaux, va effectivement beaucoup plus loin, puisqu'il présente notamment un certain nombre d'aspects de la réforme du divorce. J'y reviendrai tout à l'heure.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter de ce que le Gouvernement, prenant conscience de l'urgence de la réforme de la prestation compensatoire, ait pris l'initiative, au bout de deux ans, d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale notre proposition de loi, qui vise à faire en sorte que ne perdurent pas des situations inextricables. Il a ainsi reconnu que le Sénat, s'agissant de problèmes de société, savait être à l'écoute des besoins de nos concitoyens et faire oeuvre de précurseur, dans ce domaine comme dans d'autres.
M. Alain Gournac. Le Sénat n'est pas toujours une anomalie !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes invités, mes chers collègues, à revoir la loi du 11 juillet 1975. Puis-je rappeler que cette loi sur la réforme du divorce, qui avait constitué un pas important et difficile, avait été défendue devant le Parlement par M. Jean Lecanuet, alors garde des sceaux ?
Sauf pour ce qui concerne le divorce pour rupture de la vie commune, procédure qui reste peu utilisée, puisqu'elle ne concerne que 1,5 % des cas, le législateur avait souhaité supprimer les pensions alimentaires, sources de conflits et de demandes continuelles de modification.
En effet, le divorce met fin au devoir de secours prévu par l'article 212 du code civil, que tous les maires connaissent, puisqu'ils le lisent aux futurs époux : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ».
Cependant, l'article 270 du code civil ajoute : « ... l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ».
Pour bien distinguer la prestation compensatoire de la pension alimentaire, la loi précise qu'elle a un caractère forfaitaire et qu'elle ne peut être révisée, même en cas de changement imprévu dans les ressources et les besoins des parties, sauf - c'est là que gît la difficulté - si l'absence de révision devait avoir, pour l'un des conjoints, des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
Enfin, les articles 274 et suivants privilégiaient le versement en capital ou, à défaut, celui d'une rente temporaire ou viagère. On ne peut que constater que, sinon la volonté du législateur, du moins l'évolution de la société et les changements intervenus dans les modes de vie et les conditions économiques ont conduit en fait les tribunaux à privilégier la rente.
En effet, selon les statistiques du ministère de la justice que vous avez citées, madame le garde des sceaux - je regrette à ce propos qu'elles ne concernent que l'année 1996, car il faudrait procéder à une réelle évaluation des conséquences du dispositif que nous allons voter -moins de 14 % des divorces prononcés en 1996 étaient assortis du versement d'une prestation compensatoire, ce qui permet de relativiser les inquiétudes qui ont été exprimées à propos de l'afflux de requêtes que pourrait entraîner une modification des possibilités de révision.
Une rente mensuelle est prévue dans 67 % des cas et dans 78 % des divorces contentieux, le versement d'un capital n'étant, hélas ! décidé que dans 20 % des cas. Enfin, les rentes viagères représentent 31 % des rentes mensuelles, ce pourcentage croissant avec l'âge du créancier de la prestation.
Il faut ajouter - et cette appréciation est non pas statistique, mais fondée sur des cas concrets - qu'il existe souvent une totale discordance entre le montant des rentes, notamment viagères, et le capital qui y correspondrait selon les barèmes en usage, par exemple celui de la Caisse nationale de prévoyance ou celui qui est utilisé par les notaires pour les ventes en viager. Cela explique sans doute les difficultés qui surgissent au cours des années et la nécessité de permettre une révision.
Il reste - et c'était toute la démarche du Sénat en première lecture - que la jurisprudence a admis avec une extrême réticence les demandes de révision de la prestation compensatoire, l'« exceptionnelle gravité » étant appréciée de manière trop rigide si l'on analyse le contentieux de la révision. Il semble en effet que le caractère forfaitaire de la prestation ait notamment conduit la Cour de cassation à une telle interprétation restrictive.
Mais ce serait un véritable recul que de ne pas affirmer ce caractère forfaitaire, sorte d'indemnité « pour solde de tout compte », sauf à retomber dans l'infernal système d'une pseudo pension alimentaire.
Dès lors, le Sénat s'est attaché à assouplir les modalités de révision de la rente et à favoriser le versement en capital de celle-ci, tout en respectant le cadre instauré par la loi de 1975. Je ne vous rappellerai pas le détail de nos travaux, que vous avez tous présents à la mémoire, mes chers collègues, et à partir desquels l'Assemblée nationale a élaboré ses propres propositions.
Je dirai en préambule que, loin d'être en désaccord avec le Sénat, l'Assemblée nationale a poussé plus loin la logique que nous avions défendue, et que ses travaux ne remettent pas en cause nos intentions.
Tout d'abord, l'Assemblée nationale a différencié le régime de la rente de celui du capital, en réaffirmant le principe du versement de la prestation compensatoire sous forme de capital, avec échelonnement possible sur une durée maximale de huit ans.
Après des débats intéressants, l'Assemblée nationale a maintenu, et je m'en réjouis, la transmissibilité active et passive pour le capital.
Mais, et cela pourrait un peu s'apparenter à l'obligation maintenue de secours en cas de divorce pour rupture de vie commune, l'Assemblée nationale a prévu que, à titre exceptionnel, le juge pourrait attribuer une rente viagère en raison non plus de la consistance des biens du débiteur, mais de l'âge ou de l'état de santé du créancier. Bien entendu, les éléments de l'appréciation prévus à l'article 272 du code civil continueraient à être la référence pour la fixation du montant de cette prestation.
En ce qui concerne le régime de la rente viagère, l'Assemblée nationale a précisé la transmission à l'hérédité sous réduction de plein droit de la pension de réversion éventuellement versée, la rente pouvant être révisée à la baisse ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties, à la demande du débiteur ou des héritiers. L'Assemblée nationale, comme l'avait fait le Sénat, a favorisé les demandes de capitalisation de la rente, notamment lors de la liquidation du régime matrimonial.
A ce sujet, il serait utile, pour les divorces contentieux, de lier la liquidation du régime matrimonial et la fixation de la prestation compensatoire, ce qui serait la meilleure façon de favoriser le versement en argent ou en un des substituts prévus à l'article 275 du code civil, dont le droit d'usage et d'habitation d'un immeuble, que le Sénat avait ajouté.
A cet égard, la démarche embryonnaire, telle qu'elle résulte des travaux de l'Assemblée nationale, visant à établir un lien entre le versement de la prestation compensatoire et la liquidation du régime matrimonial devrait être accentuée. Cependant, la commission des lois ne peut qu'approuver la position adoptée par Mme le garde des sceaux, qui ne souhaite pas, par ce texte, remettre en cause les dispositions imposant une approche globale de la procédure de divorce. La commission des lois propose donc au Sénat de retenir, pour la plus grande part, les apports de l'Assemblée nationale.
En effet, le dispositif retenu conforte les principes posés par la loi du 11 juillet 1975, avec une accélération bienvenue du règlement définitif de la prestation compensatoire, une révision possible des rentes sans retour au régime des pensions alimentaires, et une transmissibilité logiquement maintenue, mais dont les effets peuvent être atténués.
Un certain nombre d'autres points devront être précisés lors de l'examen des articles, notamment en ce qui concerne les pensions de réversion, qui n'ont d'ailleurs pas les mêmes règles en matière de régime général et de statut des fonctionnaires. C'est l'un des points délicats que nous aurons à examiner tout à l'heure.
C'est dire que la révision rendue possible des rentes actuelles ou, exceptionnellement, futures, justifiée par l'importance des modifications de la situation des ex-époux ou des héritiers du débiteur, ne doit pas être automatique. Cela n'aurait pas de sens, s'agissant d'une dette de nature patrimoniale et non de l'obligation de secours. Il faut insister sans cesse pour que l'on évite de retomber dans les ornières du passé.
Mais, et ce sera le dernier point de mon intervention, je me dois de rappeler que les propositions de réforme que nous faisons seront contrecarrées, si nous n'y changeons rien, par le régime fiscal actuel de la prestation compensatoire, qui défavorise les débiteurs de prestation sous forme de capital par rapport à ceux qui versent une rente.
Cela a conduit à l'évidence, pour beaucoup d'ex-époux, à privilégier la rente. C'est pourquoi la commission des lois avait fait des propositions en ce sens. De son côté, le Gouvernement nous présente, comme il s'y était engagé, un dispositif équilibré, que la commission vous proposera d'accepter à condition de trouver une solution en matière de capitalisation, car les régimes ne peuvent être différents pour l'avenir et pour l'immédiat.
Telles sont les conclusions que vous propose votre commission.
Du point de vue de la philosophie du droit, ou de la sociologie juridique, comme on veut, l'exemple de l'application de la loi du 11 juillet 1975 est intéressant et riche d'enseignements.
Qu'avait voulu le législateur ? Il s'agissait de faire en sorte que tout lien financier soit désormais supprimé entre les ex-époux, chacun recouvrant sa liberté, après compensation financière éventuelle.
Cependant, l'image réelle dans l'opinion restait celle de l'épouse délaissée faisant payer à son ex-époux le « prix de la liberté ». L'augmentation du nombre de divorces, les mariages à répétition, avec prestations compensatoires à la clef que les médias évoquent chez certaines stars du show-biz, ne sauraient faire oublier l'évolution des situations respectives des femmes et des hommes. Je suis convaincu que le nombre de prestations compensatoires ne pourra que diminuer en fonction de l'augmentation de l'égalité professionnelle entre femmes et hommes...
Mme Dinah Derycke. C'est sûr !
M. Patrice Gélard. En effet !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... mais, il nous faut gérer le passé et le faire le mieux possible. Quand, de surcroît, la difficulté pour la magistrature de ne pas revenir à ce qu'elle connaît - à savoir la pension alimentaire - la fiscalité et les conditions économiques se liguent pour favoriser la rente, il faut vraiment modifier la loi de 1975 pour la conforter.
Toutefois, veillons, mes chers collègues, en permettant de réviser les situations injustes, à ne pas créer de nouvelles injustices. Laissons le juge, avec les nouveaux outils que nous allons lui donner, je l'espère, corriger les situations aberrantes et injustes. Mais pensons aussi à toutes les femmes qui, après de nombreuses années de mariage consacrées parfois à l'entreprise familiale, souvent à l'éducation des enfants, se retrouvent seules et sans avenir.
C'est dans cette perspective que nous pouvons progresser pour faire en sorte que le débat sur la prestation compensatoire ne soit pas de nature à réveiller les haines et les rancoeurs que tout échec d'un couple suscite. Dans ce domaine comme en d'autres, les idées toutes faites et la passion ne sont pas la meilleure voie pour trouver des solutions équitables, auxquelles, nous le croyons, nous pouvons parvenir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de remercier M. le rapporteur et la commission du travail excellent et important qu'ils ont accompli, le souci de voir ce douloureux dossier réglé au mieux des intérêts du couple et, surtout, des enfants ayant toujours prévalu. Tout ce qui contribue à réduire les tensions entre les ex-conjoints profite surtout aux enfants eux-mêmes, qui, je le rappelle, sont les victimes immédiates et durables des conflits au sein des couples, en particulier dans le dossier des prestations compensatoires.
Ce texte, qui est issu des propositions de loi déposées par notre ancien collègue M. Pagès et par moi-même, a été adopté par le Sénat dès le 25 février 1998. Je constate avec plaisir que le Gouvernement a fini par se ranger aux propositions de notre assemblée. Toutefois, je regrette, madame le ministre, qu'il ait fallu attendre deux ans pour en arriver là. Deux ans, c'est bien long. La situation est particulièrement difficile pour tous ceux qui se retrouvent pris à la gorge financièrement par ce dispositif injuste. Je vous rappelle que certains débiteurs ont été incarcérés pour non-paiement de leur dette, qu'ils ne pouvaient plus honorer du fait de leur chômage ou d'une baisse brutale de leurs revenus. Vous déclariez, il n'y a pas si longtemps, devant les juges de Bordeaux, qu'il fallait « écouter le justiciable ». Je souhaite que cette attitude préside également à nos débats d'aujourd'hui, dans un esprit de justice mais aussi au nom de la célérité.
Depuis l'adoption de ce texte au Sénat, plusieurs avancées sont à noter. Je tiens également à remercier l'Assemblée nationale et le rapporteur de la commission des lois, M. Vidalies, du travail effectué. Désormais, la révision à la baisse des prestations compensatoires, lorsqu'elles prennent la forme de rentes viagères, sera possible sur simple demande adressée au juge, pour peu qu'un changement notable soit intervenu dans la situation financière des parties. On peut espérer que, enfin, le chômage, l'invalidité ou le départ à la retraite seront des causes suffisantes pour permettre une révision du montant de la rente.
Certes, il faut s'attendre à un afflux de demandes au sein de l'institution judiciaire, en tout cas pendant les premières années après l'entrée en vigueur de la loi. Je sais que cette question vous préoccupe, madame le ministre. Elle nous préoccupe aussi. Mais reconnaissons du moins aux victimes de la loi de 1975, ou de l'application détournée qui en a été faite, leur droit légitime à réparation.
D'autres mesures importantes ont été adoptées par l'Assemblée nationale. Elles visent à obtenir que les juges n'aient pas d'autre solution que le versement en capital. A l'heure actuelle, ce dernier n'est décidé, cela a été dit, que dans 20 % des cas, ce qui est notoirement insuffisant. La formule de la rente doit être combattue puisqu'elle tend à faire perdurer, après le divorce, des liens pécuniaires, sources de nouveaux conflits.
A ce titre, la possibilité qui est donnée au juge d'échelonner le versement du capital sur huit ans maximum me semble particulièrement judicieuse. Je pense néanmoins qu'il faut aller plus loin, notamment par le biais de mesures fiscales. Le versement d'une rente viagère est actuellement déductible du revenu imposable, alors que le versement en capital ne l'est pas. Cette inégalité des débiteurs vis-à-vis du fisc est à l'origine du profond malentendu qui a conduit nombre d'entre eux à choisir, j'allais dire « presque naturellement », l'option de la rente. On le sait, les réveils furent douloureux.
L'Etat ne peut continuer à jouer les hypocrites en maintenant ce dispositif inique. Interpellée par les députés lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, vous aviez promis d'y réfléchir, madame le garde des sceaux. Vous l'avez fait puisque, aujourd'hui, vos propositions répondent aux contraintes du versement en capital, et je vous en remercie.
Oui, il est en effet impératif d'obtenir des juges la fixation d'un capital. C'est pourquoi l'obligation qui leur est faite de motiver spécialement leur décision lorsqu'ils choisissent d'opter malgré tout pour la rente me paraît indispensable. Elle est de nature à rétablir le caractère très exceptionnel d'une formule qui n'aurait jamais dû cesser d'être exceptionnelle. Il faut à tout prix éviter de faire perdurer des liens financiers entre des individus qui ont manifesté leur souhait de se séparer définitivement et de rompre toute relation d'ordre affectif et matrimonial.
Il ne faut pas qu'une loi intangible enferme des individus dans une situation de dépendance financière qui non seulement contribue à générer de nouvelles rancoeurs, mais, surtout, les plonge dans une situation finalement assez dégradante puisqu'elle sous-entend que l'un des deux conjoints ne sera jamais capable de prendre son autonomie et sera toujours l'« assisté » de l'autre.
Il faut rappeler que la prestation compensatoire est bien une compensation financière temporaire, attribuée au conjoint le plus démuni au moment du divorce. Elle a pour objet d'éviter une baisse brutale de revenu pour celui qui ne travaille pas ou dont les ressources sont faibles. En aucun cas elle n'a pour but d'assurer à un ex-conjoint une situation semblable à celle qu'il aurait connue si le mariage avait perduré.
M. François Autain. Très bien !
M. Nicolas About. Si l'on veut restaurer l'institution du mariage dans notre pays, il faut cesser de croire que le mariage constitue une garantie à perpétuité d'un certain niveau de vie.
Les mesures qui ont été adoptées par l'Assemblée nationale constituent des avancées. Je pense néanmoins que l'on doit aller plus loin.
Ainsi, je m'inscris résolument en faveur de la fixation préalable de la rente sous forme d'un capital. Il ne faut plus qu'une prestation compensatoire puisse être fixée sous forme de rente sans qu'on ait conscience de ce qu'elle représente réellement en capital. Il faut que la prestation compensatoire soit d'abord et obligatoirement exprimée en capital.
Ce système présente de nombreux avantages.
La fixation préalable de ce capital intervient au moment même du divorce. C'est sans doute le moment le plus adéquat qui s'offre au juge pour évaluer la disparité réelle qui existe entre les ressources des deux conjoints. Cela évitera de recourir à cette étrange notion d' « avenir prévisible », qui, on le sait, a engendré tant d'injustices. Le contexte socio-économique actuel est devenu bien trop imprévisible - je pense au chômage, à la maladie, mais aussi aux recompositions familiales, qui bouleversent parfois brutalement les données économiques au sein des ménages.
Ce montant initial constituera également pour le juge une référence de base, lorsqu'il sera soumis à une demande en recapitalisation de la rente. En effet, à défaut de capital de référence, comment va-t-on recapitaliser une rente dont on sait qu'elle n'a plus aucun rapport, si l'on en croit l'amendement n° 63 rectifié du Gouvernement, qui indique bien qu'elle n'est pas de même nature ? Comment va-t-on rétablir la correspondance entre cette rente nouvelle, alimentaire, et un capital lorsque la personne, qui en a le droit, demandera la capitalisation ?
L'existence d'un capital initial sera ainsi une garantie de justice pour les requérants, puisque le juge prendra en compte ce capital et les sommes déjà versées pour fixer le montant du capital restant dû. Le juge ne procédera pas nécessairement à une simple soustraction, mais il s'agit là d'éléments de référence qui lui permettront de faire un travail équitable.
Je tiens à préciser, toutefois, que l'adoption de ces nouvelles modalités de calcul, destinées à mieux encadrer les décisions du juge, dans les demandes en capitalisation de la rente, ne remet pas en cause le pouvoir souverain du juge, notamment dans les cas d'exceptionnelle gravité. Il est des cas, il est vrai, où l'attribution d'une rente viagère à l'un des conjoints demeure une absolue nécessité. Je pense aux conjoints âgés, délaissés après des dizaines d'années de mariage, qui n'ont jamais travaillé et qui se retrouvent sans ressources après leur divorce, parfois malades, sans aucune possibilité de reconversion professionnelle. Dans ces cas douloureux, le juge doit rester souverain dans l'attribution ou le maintien d'une rente viagère.
Ces cas doivent néanmoins rester l'exception et faire l'objet d'une décision spécialement motivée par le juge. Pour ma part, je fais confiance aux magistrats dans ce domaine. Il existe d'ailleurs une jurisprudence suffisamment importante en matière d' « exceptionnelle gravité », que l'on appellerait désormais « situation particulièrement grave », ce qui revient pour moi strictement au même. Les magistrats devraient donc pouvoir s'appuyer sur vingt-cinq ans de jurisprudence de la Cour de cassation.
Ce point étant acquis, le sentiment d'humanité ne doit pas nous empêcher de dénoncer aussi certains abus. Je veux parler, ici, des cas de cumul de prestations compensatoires, qui sont, il faut bien le dire, parfaitement inacceptables. Qu'un ex-conjoint conserve une rente viagère parce qu'il est dans le besoin, soit ! Mais qu'il cumule deux, voire trois prestations compensatoires, à l'issue de plusieurs divorces successifs, non ! Le mariage n'est pas un placement financier ou une assurance sur la vie. On ne se marie pas pour accéder à un niveau de vie. Personnellement, je considère déjà que le remariage, l'état de concubinage notoire ou la conclusion d'un pacte civil de solidarité devrait automatiquement faire cesser la dette. Je sais que M. le rapporteur n'aime pas l'automaticité,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, j'ai horreur de l'automaticité ! La justice ne doit pas être automatique !
M. Nicolas About. ... mais cela permet de ne pas encombrer les tribunaux. Je réponds ainsi au souci de Mme le ministre.
A partir du moment où le créancier vit une nouvelle union, le devoir de secours qui l'unissait à son ex-conjoint n'a plus lieu d'être. Il est transféré au nouveau conjoint ou concubin qui assume, de fait, la charge du nouveau ménage. Ce principe est encore plus vrai lorsqu'il y a cumul de prestations compensatoires.
M. René-Pierre Signé. Pas forcément !
M. Nicolas About. Il faut toujours garder à l'esprit que, en l'état actuel des lois, chaque dette contractée par un individu au titre de la prestation compensatoire a des répercussions financières importantes sur l'ensemble de la famille. En effet, à l'heure actuelle, la dette est transmissible aux héritiers. Pour ma part, je souhaite que l'on revienne sur le principe de la transmissibilité aux héritiers, qui choque l'opinion et qui suscite toujours tant d'interrogations. En effet, cette transmissibilité n'est pas acceptable car il s'agit non pas d'une transmission de patrimoine mais du transfert par-delà la mort de l'obligation de secours entre époux maintenue pour des raisons d'exceptionnelle gravité après le divorce.
MM. François Autain et René-Pierre Signé. Il a raison !
M. Nicolas About. Je sais, monsieur le rapporteur, que vous nous proposez des dispositions susceptibles d'atténuer l'effet de la transmission aux héritiers.
Tout d'abord, la pension de réversion que touche le créancier serait déduite ; on l'a vu, ce n'est pas aussi simple que cela.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet ! et c'est pour cela qu'il ne faut pas supprimer...
M. Nicolas About. Mais si !
Le deuxième dispositif que vous nous proposez permet aussi aux héritiers de demander la capitalisation. Fort bien ! mais on a vu qu'il n'y avait pas de capital de référence prévu aujourd'hui. Alors comment va-t-on réussir à capitaliser la rente, qui était non pas une rente découlant d'un capital, mais une rente estimée pour avoir une vertu alimentaire ?
Tout cela génère donc des situations invraisemblables. Ainsi, une personne qui aurait à verser chaque mois une rente de 10 000 francs devrait rembourser un capital de 2,5 millions de francs, ce qui ne veut plus rien dire, ce qui n'est pas comparable au capital fixé en moyenne à 200 000 francs pour l'ensemble des divorces au titre de la prestation compensatoire.
On aboutit donc à des distorsions considérables et à une situation invraisemblable, parce que l'on ne veut pas du capital de référence, qui permettrait à tout moment de fournir au juge au moins une fourchette de ce qui est acceptable dans le cadre de la capitalisation.
Enfin, si le juge maintient la rente viagère pour les cas d'exceptionnelle gravité ou pour les cas de situation très grave, les héritiers pourront toujours demander la révision de la rente à la baisse en cas de changement important dans leur situation financière ou familiale.
Mes chers collègues, comme je le disais à l'instant, il faudra aller plus loin dans notre travail de réforme, et l'examen d'autres textes, en particulier le projet de loi sur la réforme de la famille, nous en donnera l'occasion.
Je voudrais, en conclusion, rappeler que ce dossier comporte deux problèmes : l'un humain, l'autre juridique.
Le premier problème est humain.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Dans les deux sens !
M. Nicolas About. Oui ! Un premier aspect touche à la nécessité de permettre à deux époux qui se séparent de repartir dans la vie de façon équitable par une juste répartition du patrimoine.
M. René-Pierre Signé. Voilà !

M. François Autain. Très bien !
M. Nicolas About. Un second aspect du problème humain vise les cas d'une exceptionnelle gravité : des personnes âgées n'ayant plus les moyens de reconstruire une vie professionnelle et de disposer de ressources, des personnes gravement handicapées - on a cité, en commission des lois, des exemples de personnes atteintes de sclérose en plaques - qui sont abandonnées et n'ont aucun moyen d'existence. Il faut alors que le devoir de secours que nous rappelait M. le rapporteur s'exerce. C'est alors non pas du tout la prestation compensatoire, mais une rente bien supérieure à toutes les prestations compensatoires, et elle est normale.
Mais lorsque l'ex-conjoint décède, ce devoir d'assistance disparaît, et il est reporté sur ceux qui l'assument déjà du fait des lois existantes : ce sont bien entendu souvent les enfants. Parfois, par chance, les enfants du premier mariage sont aussi les héritiers.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Normalement !
M. Nicolas About. C'est la logique ! Ces héritiers assureront donc tout naturellement le devoir de secours non pas parce qu'ils ont hérité de leur père, mais parce qu'ils sont les enfants de leur mère. Ils devront donc logiquement soutenir leur mère en difficulté et subvenir à ses besoins. Mais pourquoi lier cela ? Ce n'est pas un patrimoine qui est rétrocédé. Ne faisons pas cette erreur !
Et j'en viens ainsi au second problème, qui est juridique : c'est cette confusion que l'on veut entretenir perpétuellement en essayant de nous faire croire que la rente donnée dans ces situations extrêmes auxquelles je faisais allusion est du patrimoine. Ce n'est pas vrai ! Comme je le disais tout à l'heure, et ainsi que le Gouvernement le confirme dans les motifs de l'amendement n° 83 rectifié, le capital et la rente ne sont pas de même nature. S'ils ne sont pas de même nature, ils ne doivent donc pas être traités de la même façon. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter le rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, pour l'excellent travail qu'il a accompli avec la commission des lois.
Le rapport d'Irène Théry, en mai 1998, et le groupe de travail animé par le professeur Dekeuwer-Desfossez, en septembre 1999, nous permettent d'avoir une vue d'ensemble de la réforme après une large concertation avec les courants de pensée philosophiques, sociaux, religieux ou politiques, ce qui est important.
La prestation compensatoire concernait, en 1996, 13,7 % des divorces prononcés.
Dans 97 % des cas, cette prestation était attribuée aux femmes, jusque-là sans activité professionnelle ou disposant de revenus inférieurs à ceux de leurs époux.
Dans 80 % des cas, la prestation compensatoire prenait la forme d'une rente qui était viagère pour un tiers, limitée dans le temps pour les deux tiers restants.
La prestation compensatoire sous forme de rente viagère, versée la plupart du temps par l'époux, concerne seulement quelques milliers de personnes. Cela ne justifie en rien le fait qu'il faille isoler ces exemples ou les exclure de notre législation.
Il nous appartient, en qualité de législateurs, de remédier le plus équitablement possible aux problèmes que rencontrent les débiteurs ou leurs héritiers.
Combien d'exemples, criants d'injustice, avons-nous reçu, mes chers collègues ? Combien de témoignages illustrent le caractère inéquitable des obligations mises à la charge de certains débiteurs de la prestation compensatoire !
Et tout cela se produit alors même que nous venons de discuter de la parité et que nous légiférerons bientôt sur les égalités professionnelles entre les hommes et les femmes.
Il me paraît indigne d'un pays comme le nôtre de maintenir des situations telles que le versement à vie d'une prestation qui visait, à l'origine, à dédramatiser et à libéraliser les conséquences pécuniaires du divorce.
Entre 1975 et 2000, notre société a beaucoup changé. Les tâches dans le foyer sont aujourd'hui mieux réparties. Les femmes ont de plus en plus de chances de trouver un emploi et de se garantir un avenir indépendamment de leur époux. Les jeunes femmes ne subissent plus les préceptes d'une éducation archaïque. Et, dans un avenir proche, les disparités en suspens seront sûrement résorbées.
Qu'allons-nous faire avec cette prestation compensatoire ? Maintenir un statu quo social obsolète, ou insuffler des voies nouvelles pour placer chacun en situation équilibrée ?
Certes, des progrès ont été apportés à la loi de 1975 par l'Assemblée nationale, et ce à l'unanimité !
Il faut reconnaître les avantages d'une prestation compensatoire fixée par le juge en fonction de la situation professionnelle des époux, des perspectives d'emploi et de la durée du mariage, et le paiement échelonné sous forme de capital sur une durée maximum de huit ans.
Il faut encourager enfin la révision en cas de changement important des ressources du débiteur ou du créancier.
Je m'interroge, cependant, sur la notion de « changement important ». S'agit-il de la perte d'emploi, de la diminution des revenus, de la retraite, des charges liées à la nouvelle famille du débiteur ? Que considérera-t-on comme changements importants ?
En revanche, je désapprouve la transmissibilité aux héritiers de la prestation compensatoire. C'est une mesure anormale pour le débiteur, qui est freiné, au vu de la loi, dans la possibilité de refaire sa vie s'il ne souhaite pas que ses héritiers aient à payer les prestations qu'il doit à son ex-femme.
Nos voisins européens, pour pallier les conséquences du divorce, n'ont jamais adopté de telles dispositions, sauf l'Espagne, où cette prestation est limitée, révisable et n'est aucunement versée sous forme de rente viagère.
Combien avons-nous reçu, mes chers collègues, d'exemples relatant les tares de cette transmissibilité ?
L'exemple de cette jeune fille, qui apprend à dix-sept ans qu'elle est l'héritière, à la suite du décès de son père survenu cinq ans plus tôt, de la prestation compensatoire qu'il versait à sa première femme, n'est-il pas le reflet d'une situation injuste qu'il nous appartient aujourd'hui de corriger ?
M. René-Pierre Signé. Mais si, bien sûr !
M. Jacques Pelletier. Cette jeune personne en arrive même à s'interroger sur « l'acte répréhensible qu'elle aurait commis pour être ainsi condamnée. »
Je citerai encore l'exemple de cet homme divorcé qui a perdu son emploi et qui vit avec les minima vitaux, alors que son ex-femme, remariée, bénéficie d'une situation sociale nettement supérieure à celle qu'elle avait auparavant et intente à l'encontre de son ex-mari un procès afin qu'il honore la prestation compensatoire qui lui est due.
A qui la justice donne-t-elle raison ? A l'ex-épouse, qui fera envoyer son ex-mari derrière les barreaux !
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jacques Pelletier. Il est de notre devoir moral de ne pas accepter dans notre législation ce type de procédé, sauf si la personne créancière est dans une situation financière particulièrement difficile.
Nous nous offusquons sans cesse de la désaffection des urnes lors des consultations électorales. Mais c'est à nous de rétablir ce lien avec nos concitoyens en prêtant une oreille attentive aux cas les plus flagrants d'injustices ! C'est l'essence de notre mission parlementaire. Nous devons faire en sorte que chacun, indépendamment de sa race, de sa religion et de son statut, puisse être logé à la même enseigne que l'ensemble de nos concitoyens.
Il nous appartient aussi, en qualité de parlementaires, de connaître les évolutions de la société et d'y apporter en conséquence les évolutions législatives adéquates. Allons-nous laisser dans le code civil ce genre d'inadaptation ?
Pour conclure, je dirai que le système en place contribuait à promouvoir le modèle de la femme au foyer maintenue dans la dépendance, sans lui donner aucune chance d'insertion professionnelle. Quant aux débiteurs piégés, ils perdaient nécessairement confiance dans la justice de notre pays.
C'est parce que nous avons rencontré trop de situations aberrantes que, depuis une dizaine d'années, plusieurs propositions de réforme de la loi de 1975 ont été déposées au Parlement et que 244 questions ont été posées aux ministres successifs de la justice sur le sujet.
Comment peut-on permettre la transmission aux héritiers d'une condamnation à perpétuité ?
Les amendements que j'ai déposés tendent à limiter la transmissibilité aux héritiers de la charge de la prestation compensatoire. Ils visent à rétablir une certaine équité. L'ancien Médiateur de la République ne peut demeurer insensible aux nombreux cas d'iniquité dont nous avons à connaître. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la prestation compensatoire, destinée à compenser la différence de niveaux de vie créée par le divorce, n'est pas mise en cause dans son principe par le texte que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture, fort heureusement. C'est son application issue de la loi de 1975 qui doit être précisée et modifiée, tant elle a suscité de situations iniques, notamment pour certains débirentiers et leurs héritiers.
Trois aspects me paraissent devoir être corrigés.
Le premier est l'utilisation abusive de la compensation sous forme de rente parfois à vie, forcément soumise aux aléas du temps et donc sujette aux contestations, au détriment de la compensation sous forme de capital, qui a le mérite de réparer le préjudice du divorce dans un délai raisonnable. Des raisons fiscales ont jusqu'à présent incité les parties, en particulier le débirentier, à choisir la rente qui, seule, est déductible des revenus.
Le versement en capital devenant désormais la règle et la rente, l'exception, il était indispensable que la possibilité d'étaler le versement du capital sur huit années soit accompagnée d'incitations fiscales. Le dispositif fiscal proposé par la commission des lois est, à cet égard, excellent et permettra de privilégier le versement en capital de la prestation compensatoire plutôt que la rente, source de contestations à plus ou moins long terme. Je souhaite que le Gouvernement n'oppose pas l'article 40, car la réforme en serait fragilisée.
Le deuxième aspect à corriger est l'intangibilité de la rente viagère, due non à la volonté du législateur, mais à une jurisprudence très restrictive, qui ne permet pratiquement pas d'abaisser le montant d'une rente lorsque celle-ci devient manifestement disproportionnée pour le débirentier par rapport au crédirentier. Il n'est pas rare que, sous prétexte de compenser une différence de niveau de vie au moment du divorce, le débirentier s'appauvrisse au fil du temps tout en conservant l'obligation de rente à vie vis-à-vis du crédirentier, lequel a pu s'enrichir du fait d'un remariage ou d'une situation professionnelle améliorée. Dans ces cas, de plus en plus nombreux, les effets sont contraires à l'esprit de la loi.
L'assouplissement des critères de révision introduit par le présent texte facilitera les demandes de révision justifiées, la situation des deux parties devant alors être prise en compte. Ne pourrait-on pas, d'aileurs, admettre que le remariage du crédirentier éteint le versement de la rente, l'obligation de secours entre époux passant de facto à une tierce personne ? Qu'en pensez-vous, madame le garde des sceaux ?
Dans les dispositions transitoires, il est important que les facultés nouvelles de révision bénéficient largement aux obligations de rente en cours, car on peut espérer que, dans l'avenir, les rentes viagères seront exceptionnelles compte tenu de la plus grande activité professionnelle des femmes et de leur capacité à s'assumer en dehors de l'éducation des enfants. L'obligation faite désormais au juge de fixer la rente par référence à un capital constitue une garantie d'équité, qui permettra d'éviter les situations dramatiques dont nous avons été saisis.
Le troisième aspect à corriger est la transmissibilité de l'obligation de rente viagère aux héritiers, qui est certes un principe de droit si l'on considère la rente viagère comme une dette, mais qui devient une injustice si l'on considère ce qu'est réellement la rente viagère, à savoir une compensation de la rupture du niveau de vie subie par l'une des parties au moment du divorce.
Les héritiers, lorsqu'ils sont les enfants du couple divorcé, ont de toute façon l'obligation de secours à leurs parents sans ressource. Pour les autres enfants issus d'un second, voire d'un troisième mariage, il est inique qu'ils aient à prendre en charge cette compensation de rupture d'un couple qui ne les concerne en rien.
Sur ce point, la possibilité de révision de la rente ouverte aux héritiers n'est pas suffisante, et la proposition de notre collègue Nicolas About tendant à la suppression de la transmissibilité paraît plus adaptée.
Dans le cas du crédirentier sans ressource subissant la perte de la rente viagère, des solutions de substitution sont possibles, soit par le biais de la succession du débirentier, soit, à défaut, par d'autres moyens adaptés. Mais pourquoi maintenir coûte que coûte ce « pousse au crime » - expression purement symbolique ! - qu'est la transmissibilité de la rente viagère en matière de divorce ? Notre commission n'a pas franchi ce pas, mais le statut de la rente viagère doit-il être assimilé à une dette ?
Toute la difficulté de cette réforme de la prestation compensatoire, que le Sénat a voulue et initiée, est d'aboutir à un juste équilibre entre les protagonistes, tout en maintenant les objectifs de la loi de 1975 : il s'agit de protéger, au moment du divorce, le plus faible, c'est-à-dire, dans la très grande majorité des cas, les femmes s'investissant entièrement dans leur foyer et l'éducation des enfants.
La pratique a montré, dans un nombre de cas minime, certes, mais réel et douloureux, que l'équilibre entre les parties n'était pas toujours respecté. Le pouvoir d'appréciation du juge, qui garantit un règlement au plus proche des réalités, sera désormais mieux cadré grâce aux critères supplémentaires apportés à la loi, avec une prise en compte plus large des situations respectives des personnes.
Mettrez-vous les moyens supplémentaires suffisants, madame le ministre, pour accélérer les procédures de révision qui ne manqueront pas d'augmenter en référence aux nouvelles dispositions ?
Dans un monde mouvant, dans lequel aucune situation n'est figée sur le plan professionnel comme sur le plan familial, dans un monde où l'évolution des moeurs et l'allongement de la vie accroissent les occasions de divorce et favorisent la multiplication des mariages pour une même personne, le droit de la famille doit évoluer. La recherche de l'équilibre mettant au centre des préoccupations la personne humaine et le droit des enfants est, à mon sens, la bonne démarche. J'espère, madame le ministre, que vous la soutiendrez sans réserve. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons tous reçu, au cours des semaines passées, un courrier considérable et nous avons rencontré, les uns ou les autres, les responsables d'une association qui milite déjà depuis de nombreuses années en faveur de la révision de la prestation compensatoire.
Nous n'avons pas pu rester insensibles aux arguments qui nous ont été présentés et aux cas douloureux, difficiles et parfois inexplicables qui nous ont été exposés. Toutefois, chose bizarre, nous n'avons pas reçu la moindre pression de la part de créanciers, de ceux qui reçoivent la prestation compensatoire. Ils ne se sont pas manifestés, nous ne les avons pas entendus ; pourtant, nous connaissons tous des cas tout aussi douloureux que ceux qui nous ont été présentés. Quoi qu'il en soit, si la prestation compensatoire était une bonne idée, il ne faut pas oublier que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Cette démarche utile visait, on l'a dit tout à l'heure, à assurer des moyens au conjoint le plus défavorisé, pour que celui-ci redémarre dans une vie nouvelle. Elle a toutefois connu très vite une double dérive : une dérive judiciaire, parce que le capital est devenu l'exception et la rente la règle - phénomène aggravé, on nous l'a dit, par le comportement des divorcés qui, pour éviter la liquidation d'un capital, ont parfois préféré, sans faire le calcul, payer une rente sans savoir à quoi ils s'engageaient - mais aussi dérive sociologique, car les couples ont évolué. Nous ne sommes plus dans la situation d'il y a vingt-cinq ans, la femme est devenue de plus en plus indépendante financièrement au sein du foyer, alors que la rente, prenant le pas sur le capital, a continué de s'apparenter, malgré les intentions initiales du législateur, à l'ancienne pension alimentaire.
A partir de là, des effets pervers se sont développés. Tout d'abord, il est devenu quasiment impossible de réviser la prestation compensatoire malgré les changements de situation intervenus tant chez le créancier que chez le débiteur, entraînant par là même un autre effet pervers dénoncé à maintes reprises : même s'il avait l'intention de se remarier, celui qui paie la prestation compensatoire en est désormais dissuadé. Quant à ses enfants, il renoncent eux aussi à se marier, de crainte d'avoir à leur tour à verser une prestation compensatoire à leur conjoint s'ils venaient à divorcer.
Il faut donc féliciter le Sénat d'avoir repris les deux propositions de loi de nos collègues MM. About et Pagès, et il faut tout autant se féliciter que l'Assemblée nationale ait jugé bon d'inscrire à son ordre du jour le texte adopté par le Sénat et qui revient aujourd'hui devant nous.
La proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale et qui a été amendée par la commission des lois grâce aux propositions de notre excellent rapporteur M. Hyest permet d'éviter de nombreux écueils et contient des solutions qui semblent équilibrées.
Ces solutions sont équitables pour l'avenir, puisque le capital devient la règle et la rente l'exception. Quant à l'amendement qui permet au juge de maintenir la rente, il précise bien que des conditions spécifiques doivent être remplies pour cela.
Par ailleurs, le capital bénéficiera d'une possibilité d'échelonnement, puisqu'il pourra être versé en huit ans ; cela permettra au débiteur de prendre ses dispositions.
Enfin, il sera possible de bénéficier d'avantages fiscaux, ce qui répond à l'objection soulevée tout à l'heure par notre collègue M. Durand-Chastel, puisqu'un amendement du Gouvernement va dans ce sens.
Certes, la rente pourra être maintenue, mais seulement dans des circonstances exceptionnelles. Elle pourra également être soumise à révision, soit à la mort de l'époux débiteur, avec prise en compte de la pension de réversion - ce qui n'était pas le cas - soit en cas de changement important de situation chez l'une ou l'autre des parties.
Il sera possible à tout moment de transformer la rente en capital, tant pour le débiteur que pour ses héritiers. Enfin, on pourra prévoir dans la rente un terme extinctif.
Toutes ces solutions n'étaient pas prévues jusqu'à présent.
Par ailleurs, les situations actuelles pourront être améliorées : il sera possible de réviser la rente à la baisse, de lui substituer un capital, de déduire les pensions de réversion et de bénéficier, là encore, d'avantages fiscaux.
Cette réforme indispensable ne résout cependant pas tous les problèmes et il est vraisemblable que la révision de la loi sur le divorce qui nous sera prochainement soumise nous obligera à aller plus loin.
Enfin, madame la ministre, un certain nombre d'anomalies subsistent.
J'en citerai trois.
Est-il normal que les enfants d'un couple doivent continuer à verser une prestation compensatoire à leur parent survivant alors qu'au regard de la loi ils sont tenus à l'obligation alimentaire ?
M. Nicolas About. Absolument !
M. Patrice Gélard. Est-il normal qu'en l'absence d'héritier ou en cas de refus de la succession l'Etat n'assume pas le versement de la rente ou ne liquide pas l'actif en faveur du créancier sous la forme d'un capital ?
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Auguste Cazalet. Très bien !
M. Pierre-René Signé. Il a raison !
M. Patrice Gélard. Est-il normal, même si cette situation est appelée à devenir plus rare à l'avenir - et nous ne pourrons que nous en féliciter - qu'une mère qui a consacré la plupart de sa vie au foyer, à l'éducation de ses enfants, et, disons-le, au service de son conjoint, se retrouve, parvenue à un âge avancé, abandonnée par son époux et dans l'incapacité d'exercer la moindre activité professionnelle compte tenu de son inaptitude et de son âge ?
Ne serait-il pas normal que le conjoint, quel qu'il soit, qui vit au foyer et se consacre à l'éducation des enfants et à la tenue de son ménage bénéficie d'une pension de retraite qui lui permette de s'adapter à une vie nouvelle ?
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui permettra donc de mettre fin à des abus. Certes, il en subsistera, malgré l'équilibre qu'a recherché M. le rapporteur, un certain nombre, car il faut toujours avoir à l'esprit non seulement la situation du créancier mais aussi celle du débiteur - et, quelle que soit la solution choisie, la satisfaction ne sera jamais totale de part et d'autre.
La présente proposition de loi n'en est pas moins absolument nécessaire, et c'est la raison pour laquelle je me rallierai au texte voté par la commission des lois, même s'il ne constitue qu'une étape : lorsque nous examinerons la réforme de la famille et du divorce, nous serons sans nul doute contraints de remettre en chantier le travail que nous effectuons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, après mon ami Patrice Gélard, je tiens à apporter ma contribution à ce débat relatif à la réforme de la prestation compensatoire en cas de divorce.
Je constate que l'Assemblée nationale a fait un pas intéressant afin de lisser les conséquences dommageables des dispositions actuellement en vigueur, mais il me semble qu'elle n'est pas allée assez loin.
C'est plus particulièrement sur le volet de la transmissibilité de la prestation aux héritiers que je veux m'exprimer.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui, certes reconverti sous forme de rente, ne supprime pas cette transmissibilité, et certains d'entre nous pensent qu'il s'agit là d'une erreur.
Le caractère viager de la rente n'est pas remis en cause au profit d'un tempérament temporaire, et le débat mérite, à mes yeux, d'être ouvert.
En effet, sur ce sujet, je suis convaincu qu'il ne faut pas pécher par excès de juridisme. Nos principes généraux du droit prévoient, certes, que la dette ne s'éteint pas avec le décès du débiteur, mais, en matière de divorce, la question est tout autre, et c'est la principale faiblesse du texte qui nous est présenté.
Les situations qui nous sont exposées par nos concitoyens sont parfois ubuesques. Chacun d'entre nous a reçu de véritables appels à l'aide qui doivent nécessairement nous interpeller.
Si l'on écarte le phénomène marginal de détournement de la loi, de l'émergence d'une sorte de « chasseurs » ou de « chasseuses », si vous me permettez l'expression, de prestations compensatoires, les cas d'espèce de seconds époux ou d'enfants du second lit rendus débiteurs de la prestation due par le de cujus jusqu'au décès du bénéficiaire sont chaque fois dramatiques.
Ces cas d'espèce ne sont, malheureusement, pas isolés. Ils sont suffisamment éloquents pour qu'ils soient signalés et pour que le législateur les prenne en compte.
Je veux évoquer l'exemple qui m'a été relaté d'un retraité de soixante-douze ans divorcé d'un premier mariage et remarié. La première épouse, outre le fait qu'elle bénéficiera, au décès, d'une part subséquente de la pension de réversion - 60 % - s'est vu accorder par le juge une prestation compensatoire de 4 000 francs, qu'elle perçoit en sus de ses revenus salariaux, qui sont de l'ordre de 7 000 francs. J'ajoute que la première épouse vit en concubinage et qu'elle bénéficie donc des revenus de son ami.
Si l'on adopte le dispositif de l'Assemblée nationale sans modification, l'on maintiendra le déséquilibre actuel, et la veuve sera dans une position bien plus précaire que la première épouse. Il y a là une injustice que je qualifierai de flagrante.
A l'appui de ma démonstration, je rappellerai les propos du doyen Jean Carbonnier : « La prestation compensatoire n'est pas une obligation alimentaire prolongeant le devoir de secours : celui-ci a pris fin, et il n'est pas question d'obliger l'un des ex-époux à entretenir l'autre indéfiniment à travers les vicissitudes de l'existence. »
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On est bien d'accord !
M. Bernard Fournier. Le principe d'égalité subit ici une grave entorse qu'il convient de corriger.
Il y a pléthore de telles situations. Si la loi n'a pas à régler les cas particuliers, elle ne peut pas les méconnaître. Favoriser le versement de la prestation sous forme de capital est une amélioration, mais seulement une amélioration. Je crois en effet que cette disposition est incomplète, car elle ignore les difficultés des populations les plus modestes, qui ne vont pas avoir les liquidités pour solder leur dette. La limitation dans le temps de la rente, jusqu'à concurrence d'un montant fixé par le juge, peut être, me semble-t-il, une solution acceptable.
Il nous appartient, mes chers collègues, de faire preuve de réalisme. Il faut légiférer pour l'avenir, tout en prenant en considération les situations présentes. Nous ne ferons pas l'économie d'ouvertures à l'égard non seulement des procédures pendantes mais encore des jugements devenus définitifs : la prise en compte des sommes déjà versées par les débirentiers et l'appréciation par le juge de la situation objective des deux parties doivent être intégrées dans nos préoccupations.
Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en difficulté des personnes - des femmes, le plus souvent - dont les revenus sont insuffisants ; il s'agit, en revanche, d'appréhender dans sa globalité le problème qui nous est posé.
La loi de 1975 a vieilli, et mal vieilli. La réalité de la condition féminine a fort, heureusement, évolué. La durée de vie s'est, pour sa part, allongée. Dans le même temps, la précarité sociale, notamment au regard de l'emploi, s'est accrue.
Tous ces éléments sont à prendre en compte dans la réforme législative. Notre souci est de bien légiférer, de ne pas dresser un camp contre l'autre. Il n'est en effet pas question ici de prendre le parti des hommes divorcés contre celui de leur première femme. De telles intentions n'auraient pas leur place ici, et elles seraient réductrices. Seule l'équité commande nos réflexions. Nous ne pouvons pas rédiger un texte qui serait de nouveau déséquilibré.
Nous devons aussi encadrer le pouvoir d'appréciation du juge. Rappelons que ce n'est que par interprétation, par oeuvre créatrice jurisprudentielle, que les prétoires ont transformé le capital prévu par la loi en rente. Quelles que soient les motivations avancées, l'esprit de la loi de 1975 n'a pas été respecté, et il est demandé au législateur de corriger ce que j'appellerai ces dérives.
Nous avons le devoir d'indiquer dans quel sens le droit doit aller. Ce n'est pas faire un mauvais procès aux magistrats que de constater parfois leur tentation naturelle au raisonnement juridique pur.
Sur la réforme de la prestation compensatoire, c'est-à-dire sur le problème de société du « démariage », le politique a, me semble-t-il, encore son mot à dire. Lorsque nous parlons d'exceptionnelle gravité souverainement appréciée par le juge, n'hésitons pas à la qualifier. Disons-le : n'abdiquons pas toute notre latitude devant le juge. Réfléchissons sereinement pour mettre en place une solution juridiquement cohérente et équitable.
Bien sûr, nous n'éviterons pas les cas particuliers. Nous devons cependant tenter de viser le plus grand nombre possible.
La prestation compensatoire doit être indemnitaire et non pas alimentaire, comme cela a été dit par plusieurs orateurs.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On est d'accord !
M. Bernard Fournier. Ainsi, lorsque la prestation est versée sous forme de rente et qu'il y a demande de transformation en capital, il me semble indispensable que le juge soit tenu de prendre en compte les sommes déjà versées.
Prenons un exemple. Lors du divorce, la prestation est estimée à 1 million de francs et, sur une période de dix ans, le débiteur a déjà versé 500 000 francs. Rien n'impose actuellement au juge de tenir compte de cette somme. Il peut donc, souverainement, évaluer le capital libératoire à 800 000 francs. Cela me semble inéquitable, voire totalement injuste.
Aussi, avec plusieurs collègues, nous demandons que soit inscrit dans la loi que, lors de cette transformation en capital, le juge est obligé de prendre en compte les sommes effectivement versées.
Telles sont les raisons pour lesquelles certains de mes collègues et moi-même proposerons d'aller plus loin que le texte qui nous est soumis sur le volet de la transmissibilité, mais aussi sur ceux de la fiscalité, de la révision ou des dispositions transitoires. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il aura fallu attendre deux années, presque jour pour jour, pour que l'Assemblée nationale soit saisie, en première lecture, de la proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, après son adoption à l'unanimité par le Sénat en 1998.
Je me félicite de la décision de la Chancellerie, qui permet, enfin, au Parlement de poursuivre le débat concernant cette réforme, indispensable, au lieu de le renvoyer à la réforme plus globale, concernant le droit de la famille, qui ne devrait pas voir le jour avant 2001.
Notre seul souci, aujourd'hui, doit être de mettre un terme aux situations douloureuses vécues par nombre de nos concitoyens, pour qui chaque mois qui passe est une épreuve supplémentaire.
C'est donc au tour de notre Haute Assemblée d'examiner une seconde fois ce texte, dont mon ami Robert Pagès, pour le groupe communiste républicain et citoyen, et notre collègue Nicolas About furent, je tiens à le préciser, les initiateurs, ici-même, en 1998.
Cela me fait dire qu'à droite comme à gauche, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, un certain consensus semble se dessiner pour rechercher des solutions durables à un dossier dont les conséquences sociales, humaines et économiques sont telles qu'on ne peut rester indifférent.
Il est si rare que les points de vue des élus, sur quelque travée que ce soit, convergent, singulièrement quand il s'agit du droit de la famille, qu'il convenait de le noter.
Aujourd'hui, chacun semble convaincu de la nécessité et de l'urgence qu'il y a à moderniser les dispositions du code civil relatives à la prestation compensatoire.
Institué par la loi de 1975 sur le divorce, ce dispositif avait pour but de remplacer la pension alimentaire pour mettre un terme aux conflits interminables entre les ex-époux qui en découlaient.
Si le principe qui a présidé à l'instauration de cette prestation était juste et généreux, à savoir garantir, à une époque où le nombre des divorces explosait, un revenu à l'épouse divorcée, souvent femme au foyer, en compensant, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives, force est de constater, après vingt-cinq années d'application de cette loi, que les effets pervers de celle-ci se sont rapidement fait ressentir, notamment en raison de la persistance du chômage.
Il en est découlé des situations ubuesques dont nous avons tous eu connaissance, à en croire les nombreux courriers que nous recevons dans nos permanences parlementaires ainsi que les nombreux articles de presse, l'exemple type étant celui du débirentier qui se retrouve au chômage ou à la retraite, alors que l'ex-époux créancier voit sa situation s'améliorer, le plus souvent par remariage.
Plus incroyables encore sont les cas où des secondes épouses ou des enfants issus d'un second mariage se voient dans l'obligation d'entretenir la première épouse de leur mari ou de leur père décédé.
Il en est d'autres qui, dans l'impossibilité de payer, se retrouvent en prison pour abandon de famille !
Les difficultés sont d'autant plus criantes aujourd'hui que les hommes condamnés voilà une vingtaine d'années, c'est-à-dire au début de l'application de la loi de 1975, à payer une prestation compensatoire arrivent à l'âge de la retraite et connaissent donc une diminution de leurs revenus qui ne leur permet plus de s'acquitter de cette dette.
D'autres, condamnés sur la base de revenus qui, à l'époque, pouvaient être confortables, se sont trouvés dans l'impossibilité de payer du fait de la crise économique et du chômage.
Ces situations, pour la plupart invraisemblables, qui désespèrent certains de nos concitoyens « condamnés » après un divorce à payer à vie une rente à leur ex-épouse ou ex-époux - rente transmissible à leurs enfants - s'expliquent par la rigidité du système en question, associée à l'interprétation restrictive qu'en ont fait les magistrats et la jurisprudence.
C'est ainsi que cette prestation, qui, au départ, devait prendre la forme d'un versement en capital pour régler définitivement la question financière lors d'une séparation et rompre ainsi les liens entre les ex-époux, a été transformée, dans 80 % des cas, par les tribubaux en rente, souvent à vie.
De plus, en raison de l'interprétation, pour le moins restrictive, qui a été faite de l'article 273 du code civil, selon lequel la prestation « ne peut être révisée en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité », la rente est devenue non révisable.
C'est ainsi que ni le chômage, ni la mise à la retraite, ni la liquidation judiciaire n'ont été considérés comme des changements imprévus. Il n'y a guère qu'en cas de maladie grave que les juges se montrent plus tolérants.
C'est donc au regard des incongruités de la législation de 1975 et de l'évolution de notre société que mon groupe avait déposé, en 1998, une proposition de loi n° 400 visant à rendre révisable la prestation compensatoire.
Lors des débats de 1998 au Sénat, Robert Pagès avait proposé deux amendements essentiels, l'un concernant la suppression automatique de la prestation compensatoire en cas de remariage ou de concubinage notoire du créancier, l'autre conférant à la prestation sous forme de rente un caractère intransmissible.
J'aurai l'occasion d'y revenir plus en détail lors de la discussion des articles et des amendements que j'ai déposés en ce sens.
Il est plus que temps de réformer en profondeur ce régime, lorsque l'on constate que 120 000 couples ont divorcé en 1996, que 14 % des divorces sont assortis d'une prestation compensatoire, versée dans 97 % des cas à l'épouse, que, dans 67 % des cas, la prestation prend la forme d'une rente mensuelle fixe et non d'un capital, qu'elle peut aller de 300 francs à 50 000 francs, voire plus, qu'un tiers des rentes sont à vie, que deux tiers sont limitées dans le temps, en majorité sur une durée inférieure à dix ans.
A l'évidence, un simple dépoussiérage ne suffit pas. Or, à regarder de près les modifications apportées par l'Assemblée nationale, il apparaît que si la loi devient plus juste à l'égard des futurs divorcés, elle demeure toutefois toujours aussi injuste pour les divorcés d'hier et d'aujourd'hui. Le risque est grand en effet d'aboutir, si le Sénat ne modifie pas le texte voté par les députés, à la création de deux catégories de divorcés, ceux d'aujourd'hui et ceux de demain, puisqu'ils seront, désormais, soumis à des obligations différentes.
Ainsi, les débiteurs actuels resteront soumis à la rente à vie, alors que celle-ci aura disparu pour les futurs divorcés, sauf « dérogation exceptionnelle et motivée ». Ils ne pourront pas obtenir la substitution d'un capital à la rente viagère en raison de l'âge ou de l'état de santé de leur ex-conjointe et donc transmettront cette dette à leurs héritiers. Dans le cas, rare, où les débirentiers pourront se libérer de la rente en versant un capital, ils devront encore payer une somme importante puisque « les sommes déjà versées ne sont pas prises en compte » pour évaluer le capital restant dû.
Loin de nous l'idée de supprimer purement et simplement la prestation compensatoire. Il est tout à fait logique que les femmes qui sacrifient leur carrière professionnelle, soit pour éduquer leurs enfants, soit pour aider à titre gratuit leur mari dans l'exercice de leur profession perçoivent, en cas de divorce, une compensation pour effacer la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux.
Mais je suis optimiste et je veux espérer que, dans un avenir proche, les femmes auront véritablement accès à l'égalité professionnelle et que ce dispositif tombera naturellement en désuétude.
Je souhaite préciser que, si les femmes sont à 97 % les bénéficiaires d'une telle prestation, elles sont aussi de plus en plus nombreuses, en tant qu'épouses d'hommes divorcés, à être victimes des aberrations de ce dispositif puisqu'en cas de décès de leur mari, elles héritent de la dette et doivent à leur tour verser la prestation à la première épouse !
Je vais, à présent, m'arrêter plus longuement sur les deux principaux écueils de la loi de 1975 : le principe du versement en capital n'a pas été respecté ; la révision de la prestation compensatoire s'est révélée, en pratique, impossible.
Contrairement au principe fondateur, 84 % des prestations compensatoires sont donc allouées sous forme de rente, contre 1,3 % sous forme de capital.
Il s'est révélé en pratique que, lorsque les juges décident du versement du capital seul, celui-ci s'élève, en moyenne, à 377 000 francs, quand les rentes versées fin 1998 atteignent une moyenne de 682 000 francs, soit près du double du capital qui aurait dû être versé si ce principe avait été la règle, comme ce devait être le cas initialement.
Il est, dans ces conditions, indispensable de rappeler le principe du versement en capital, la rente demeurant l'exception.
Bien évidemment, en cas d'impossibilité pour le débirentier de constituer la prestation en capital, il convient de prévoir des exceptions. Celles-ci doivent, toutefois, être encadrées très strictement pour ne pas connaître à nouveau les dérives du passé.
Pour inciter de leur côté les personnes qui doivent s'acquitter d'une prestation compensatoire envers leur ex-conjoint à choisir le versement en capital plutôt qu'une rente, il faut aller au bout de la logique et prévoir des dispositions fiscales adaptées et attrayantes.
En effet, si la prestation compensatoire versée sous forme de rente est déductible des impôts, celle qui est versée en capital relève du droit commun et est donc beaucoup moins avantageuse fiscalement. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet dans la discussion des articles, puisque de nombreux amendements relatifs à la fiscalité ont été déposés.
J'évoquerai également la possibilité de fixer le montant du capital selon un barème national prévu par décret, afin d'éviter les distorsions quant à la détermination de ce montant selon les juridictions.
Obliger légalement les juges à privilégier le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital plutôt qu'une rente viagère aura pour avantage à la fois de rompre définitivement - et dans un délai raisonnable - les liens entre les ex-époux et de régler par là même le problème de la transmissibilité de cette dette, en cas de décès du débirentier, à une seconde épouse ou à des enfants issus d'une seconde union et totalement étrangers au premier mariage du débirentier.
La transmissibilité de cette dette aux héritiers est un autre aspect de la loi de 1975 qu'il faut revoir tant cette mesure est choquante dans les faits et contraire à l'idée de secours temporaire, indemnitaire et forfaitaire.
D'ailleurs, d'aucuns n'hésitent pas à évoquer l'idée que cette disposition s'apparente à une assistance injustifiée, voire à un enrichissement sans cause.
M. François Autain. C'est vrai !
M. Robert Bret. Le mariage ne doit pas être en effet considéré comme une « assurance vie », pour reprendre une expression consacrée, ou un « jackpot » qui donnerait droit, au bout de un ou de deux ans, à une véritable « rente de situation ».
M. François Autain. Très bien !
M. Robert Bret. Les chiffres montrent en effet qu'au moment du divorce 31,5 % des créanciers actuels avaient un emploi, que 23,4 % de ceux qui ne travaillaient pas en ont trouvé ou retrouvé rapidement un et que 10 % de ces créanciers avaient des revenus divers tels qu'une retraite, une rente ou des revenus immobiliers.
On peut, par ailleurs, s'interroger sur l'opportunité de conserver le délit « d'abandon de famille » pour le débiteur qui se trouve dans l'incapacité d'assurer le versement de la prestation.
Si le groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Defossez s'interroge sur le fait de conserver ou non une telle incrimination pour non-paiement de prestation compensatoire, en revanche il n'apporte aucune réponse rationnelle.
Je ferai tout à l'heure une proposition tendant à rendre caduque la prestation compensatoire en cas de décès du débirentier.
J'en arrive à présent au caractère non révisable de la prestation compensatoire.
Etant donné la rédaction actuelle de l'article 273 du code civil et surtout l'interprétation qui en a été faite, la révision de ce texte s'est révélée en pratique impossible.
Les juges et la jurisprudence n'ont en effet pas considéré la perte d'un emploi, la précarité, la mise à la retraite, le remariage de l'époux créancier, comme un changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties.
De même, ils n'ont pas non plus considéré que de telles situations avaient, pour l'une des parties, des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
C'est dans ces conditions que nous avons abouti aux situations extrêmes et inextricables que nous connaissons aujourd'hui.
Nous devons donc saisir l'occasion qui nous est présentement offerte pour réformer plus avant la loi de 1975, en ouvrant les possibilités de révision en la matière.
Le risque est réel dans ce cas précis de voir les tribunaux, déjà très encombrés, assaillis de demandes de révision.
Toutefois, ce risque ne doit pas nous soustraire à notre devoir de législateur, celui de prendre en compte les réalités sociales, économiques, humaines de notre société pour engager les changements qui s'imposent et qui sont attendus, en l'occurrence, par quelque 400 000 familles.
Nous proposons, quant à nous, de supprimer le versement de la prestation compensatoire, capital ou rente, en cas de remariage, de concubinage notoire, de conclusion d'un PACS ou en cas de décès du débiteur. Ces mesures auraient le double avantage d'éviter de surcharger les tribunaux déjà engorgés et d'entraîner des frais supplémentaires pour les parties.
Vous me répondrez que le décès ou le remariage entreront désormais en compte pour une demande en révision. Certes, encore faut-il être sûr de l'interprétation que feront les magistrats de la nouvelle notion de « changement important » dans les ressources ou les besoins des parties, au sens de l'article 2 ter A.
Se contenter d'une telle disposition n'empêchera pas, par ailleurs, le passage devant une juridiction ni le risque de surcharger les tribunaux.
Vous pourriez également me dire que les personnes créancières, pour ne pas perdre le bénéfice de la prestation compensatoire en cas de remariage, par exemple, comme nous le préconisons, éviteront de se remarier. Soit, mais c'est pourtant ce même système qui existe pour les veuves de guerre bénéficiaires d'une pension de réversion.
Enfin, le texte prévoit que la révision s'appliquera aux prestations compensatoires attribuées avant l'entrée en vigueur de cette réforme. C'est juste.
Toutefois, l'Assemblée nationale a introduit un article 7 qui exclut d'office des demandes en révision de la rente les personnes dont les précédentes demandes ont été déboutées par la justice.
Je ne suis pas du tout favorable à une telle mesure et je proposerai un amendement pour supprimer cet article qui me paraît fort injuste.
En effet, la réforme à laquelle nous procédons vise à résoudre des situations profondément injustes qu'a créées la loi de 1975 sans exception. Il n'a jamais été question d'en entériner certaines pour ne régler que les demandes de révision en cours ou à venir.
Une telle disposition revient à réduire à néant tous les efforts entrepris depuis deux ans pour moderniser le dispositif relatif aux prestations compensatoires. Cette réforme ne serait alors qu'un « coup d'épée dans l'eau ».
A ce propos, madame la garde des sceaux, pourrions-nous avoir une idée du nombre de jugements ayant débouté les débirentiers d'une demande en révision pour licenciement ou retraite ?
Le débat d'aujourd'hui est, nous en avons tous conscience, sous les feux des projecteurs ; les centaines de milliers de personnes, dont le destin est intimement lié aux choix que nous allons faire en la matière, nous regardent. Nous avons le devoir de ne pas les décevoir. Ne restons donc pas au milieu du gué.
Méfions-nous, enfin, de ne pas élaborer une loi nouvelle qui laisserait encore trop de liberté d'interprétation aux juges et riquerait ainsi d'engendrer les mêmes dérives que l'on a connues avec la loi de 1975.
Il faut une loi claire, précise, ambitieuse, et équitable à l'égard de tous les divorcés. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la prestation compensatoire examinée en première lecture il y a deux ans nous revient aujourd'hui, modifiée par l'Assemblée nationale. Ce texte constitue en quelque sorte la première étape de la réforme du droit de la famille. Il convient de la franchir rapidement si l'on considère les situations absurdes dans lesquelles beaucoup de nos concitoyens se trouvent plongés, du fait d'une législation injuste et inadaptée à notre société.
Madame la garde des sceaux l'a rappelé, les prestations compensatoires ne concernent que 13,5 % des divorces, et environ un quart d'entre elles sont versées sous forme de rente viagère.
Le problème posé par les rentes viagères est donc quantativement minoritaire. Mais il n'en reste pas moins que les 3 300 rentes viagères qui sont attribuées en moyenne chaque année finissent par donner un panel assez explicite des situations douloureuses qui résultent de l'application de cette législation.
Nous en avons tous été les témoins, nous pourrions citer les passages de lettres qui nous sont adressées ; nous pourrions témoigner pour ces personnes reçues dans nos permanences, surendettées, qui voient leurs allocations chômage ponctionnées, qui sont angoissées pour l'avenir de leurs enfants.
Nous pouvons multiplier à l'infini les exemples de situations proprement ubuesques dans lesquelles le débiteur, ruiné, se voit soumis à l'obligation de verser une rente à son ex-épouse, parfois remariée et connaissant un bien meilleur train de vie.
Mais il est important aussi de considérer les bénéficiaires,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
Mme Dinah Derycke. ... si l'on peut dire, de cette loi de 1975 qui se voulait généreuse.
Ce sont ces femmes qui ont accepté, parce que les traditions le commandaient, parce que la société y était favorable, de cesser le travail pour « se consacrer », comme on disait alors, à l'éducation des enfants, à leur foyer et ne plus dépendre que des ressources de leur conjoint.
Ce sont aussi ces femmes d'artisans, de commerçants, de membres des professions libérales qui ont non seulement quelquefois renoncé à leur propre carrière, mais qui ont accepté souvent de travailler avec leur conjoint sans bénéficier d'aucun statut. Ni les unes ni les autres ne peuvent compter sur une retraite convenable, beaucoup ont vu leurs chances de retourner sur le marché de l'emploi, balayées par la crise. Elles constituent aujourd'hui, à soixante-dix ou soixante-quinze ans, une bonne part des bénéficiaires de rentes viagères, ces dernières étant souvent leur unique moyen de subsistance.
Il importe donc de ne pas oublier ces femmes, car je crois que c'est important ; ces femmes affolées ont peut-être moins la possibilité de se faire entendre du haut de cette tribune. J'en ai rencontré, comme vous, sans doute, tout au long de ma vie, mais également dans mes permanences. Ces personnes sont complètement perdues, par ce qui risque aujourd'hui de leur arriver ; elles se demandent comment elles feront faire demain.
Nous devons aussi penser à ces femmes, aujourd'hui, et élaborer un texte équilibré qui tienne compte à la fois des intérêts justes et légitimes des uns, mais aussi des autres qui ont, comme on le disait autrefois - c'était malheureusement vrai ! - sacrifié leur vie pour élever leurs enfants.
La loi de 1975, on le sait, partait d'une bonne intention : en finir avec le système de la pension alimentaire, qui aboutissait à maintenir des liens juridiques, leur vie durant, entre les ex-conjoints et donnait lieu à d'interminables conflits en révision. Le législateur a donc donné à la prestation compensatoire un fondement indemnitaire et prévu que son paiement intervienne en priorité sous la forme d'un capital. En toute cohérence, il a limité fortement les possibilités de révision, celle-ci ne pouvant intervenir que dans les cas d'exceptionnelle gravité.
C'est parce que les tribunaux, contrairement à l'intention du législateur, ont attribué majoritairement des rentes, et que, dans un même temps, la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation, a interprété de manière très rigoureuse la limitation des possibilités de révision de ces rentes, que le système est devenu injuste et pervers. La pratique, qui aurait dû pallier les inconvénients de la pension alimentaire, les a conservés, voire renforcés.
Il nous est proposé aujourd'hui de dénouer cette situation, d'une part, en réaffirmant le principe du versement d'un capital et, d'autre part, en assouplissant les possibilités de révision de la rente. C'est ce à quoi s'est attaché le Sénat en première lecture.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale a souhaité approfondir cette démarche en différenciant plus nettement le régime de la rente et celui du capital. La rente temporaire disparaît au profit d'un versement en capital qu'il est possible d'étaler sur huit ans, et la rente viagère devient l'exception au principe du versement d'un capital.
L'application de la loi de 1975 nous l'a enseigné : la loi doit être accompagnée de mesures incitatives. Réaffirmer le principe du versement en capital ne modifierait que peu la situation actuelle si des dispositions ne rendaient ce choix à la fois plus abordable pour les petits revenus et plus attractif fiscalement pour - faut-il le dire ? - les revenus plus importants.
M. François Autain. Eh oui !
Mme Dinah Derycke. Madame la garde des sceaux, vous vous étiez engagée à présenter en seconde lecture un nouveau dispositif fiscal. L'amendement gouvernemental tend ainsi à instituer une réduction d'impôts reportable correspondant à 25 % du capital versé en une seule fois et limitée à 200 000 francs - somme dont on nous dit qu'elle correspond à la moyenne du montant du capital généralement fixé - ou une déduction du revenu imposable de la part annuelle du capital versé en plusieurs annuités en cas de paiement par étalement.
Tout le monde en conviendra, cette disposition devrait être à même de faire du versement en capital la solution la plus avantageuse fiscalement.
Plusieurs dispositions votées à l'Assemblée nationale inciteront également à opter pour le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital. Je pense notamment à la possibilité pour le débiteur de verser la somme en huit ans, les modalités de paiement étant révisables. Cette disposition découle du constat selon lequel les rentes temporaires cumulées atteignent en moyenne, au bout de huit ans et quatre mois, le montant du capital qui aurait été autrement décidé. On a donc tenu compte d'une réalité, et c'est tout à fait satisfaisant. Cette mesure, à l'évidence, met à la portée de toutes les bourses la solution du capital, qui était autrefois inaccessible aux petits revenus.
M. Nicolas About. Tout à fait !
Mme Dinah Derycke. Il faut rappeler qu'il n'y a pas de prestation compensatoire s'il y a égalité de revenus entre les conjoints. Par conséquent, nous ne visons là que des situations où il y a une disparité entre le train de vie avant le divorce et après.
Le rapport de la commission présidée par Mme Dekeuwer-Desfossez a fortement insisté sur la nécessaire liaison de la fixation de la prestation compensatoire à la liquidation du régime matrimonial. Il conviendra, lors de la réforme du droit de la famille, de prévoir une disposition qui le permette, comme c'est aujourd'hui le cas pour les divorces sur requête conjointe.
Cette disposition devrait nous éviter beaucoup de problèmes. Cela constituerait en effet, M. le rapporteur l'a souligné, le meilleur moyen pour le créancier de disposer d'un capital.
Dans l'attente de cette réforme, le texte adopté par l'Assemblée nationale permet toutefois au créancier de saisir le juge, après la liquidation du régime matrimonial, d'une demande de paiement immédiat du solde du capital dû ou de capitalisation de la rente. Là aussi, il s'agit d'un dispositif avantageux qui n'existait pas précédemment.
La possibilité de transformer à tout moment une rente viagère en capital, sur demande du créancier ou du débiteur, me semble fondamentale, en particulier pour les rentes viagères en cours.
Si la révision de la rente est fortement assouplie, et dans ses conditions et dans son étendue, elle ne concernera pas pour autant tous les débirentiers, dont beaucoup contestent surtout la forme de la prestation compensatoire. La capitalisation de la rente viagère leur permettra de tourner définitivement la page et de couper les derniers liens qui, souvent, empoisonnent leur quotidien. Cette capitalisation permettra aussi, dans le cas du décès du débiteur, à ses héritiers qui en feront la demande, de donner, en quelque sorte, solde de tout compte.
Il a en effet été décidé en première lecture, aussi bien au Sénat, je le rappelle, qu'à l'Assemblée nationale, que la prestation compensatoire, comme toute dette indemnitaire, devait demeurer transmissible. Il en allait de même, il convient de le dire également, pour les pensions alimentaires, avant la loi de 1975, qui, par dérogation au principe d'intransmissibilité des dettes alimentaires, continuaient d'être versées après la mort du débiteur. Il y avait donc déjà un régime dérogatoire avant 1975.
M. Nicolas About. C'était déjà une erreur !
Mme Dinah Derycke. A l'avenir, les rentes viagères seront attribuées de manière exceptionnelle, en raison de l'âge ou de l'état de santé des personnes bénéficiaires et de leur incapacité à subvenir à leurs besoins.
Vous voyez que des verrous extrêmement sérieux ont été mis de façon qu'il n'y ait pas de dérapages dans la pratique. Cela me semble constituer un argument en faveur de la transmissibilité, puisqu'il s'agira précisément de personnes pour qui la rente est un moyen de subsistance.
Toutefois, il faut noter que les magistrats auront toujours la possibilité d'assortir la dette d'une condition suspensive, comme cela est le cas actuellement pour les rentes versées dans le cadre des divorces sur requête conjointe.
S'agissant des rentes en cours, qui sont aujourd'hui au coeur des injustices et des mécontentements, je pense sincèrement qu'une dérogation à la transmissibilité ne serait pas juste au regard du droit et de la situation des premières épouses, qui se trouveraient automatiquement, sans examen par le juge, privées de leur rente.
M. Patrice Gélard. Tout à fait !
Mme Dinah Derycke. Si un changement est intervenu dans la situation de ces dernières ou si les héritiers ne sont manifestement pas en mesure de supporter le poids de cette dette, des modalités de révision, plus souples et plus étendues, puisqu'elles peuvent aller jusqu'à la suppression de la rente, permettront aux héritiers de régler des situations pour l'heure intenables. La capitalisation, avec possibilité de versement par abandon de biens en nature ou de paiement en huit ans, va également dans ce sens.
Le texte de l'Assemblée nationale tend par ailleurs à ce que soit déduite de la pension de reversion la prestation compensatoire sous forme de rente. Cette déduction, qui sera automatique pour les prestations futures, sera décidée par le juge pour les prestations actuellement versées. Cette distinction, introduite par un amendement du Gouvernement, permet d'éviter des changements de situation qui interviendraient demain de façon bien trop brutale.
Nous devons encore une fois garder à l'esprit la position difficile de certaines ex-épouses, tout en permettant aux débiteurs de saisir la justice pour mettre fin aux situations qui seraient iniques. Les dispositions proposées me semblent donc satisfaisantes. Tous les membres du groupe socialiste ne partagent pas mon point de vue - vous aurez sans doute l'occasion de le constater, mes chers collègues, lors des votes !
Nous travaillons là sur une matière humaine, il n'est donc pas étonnant que des divergences d'appréciation se fassent jour sur un problème qui, sans être d'ordre philosophique, tient à la vie de chacun, à son histoire, à son vécu, à l'histoire de ses proches ou des personnes qu'il a pu rencontrer.
Les dispositions proposées me semblent donc satisfaisantes. On ne peut toutefois s'empêcher de redouter que de nouveaux blocages, semblables à ceux qui ont découlé de la loi de 1975, ne se produisent. Peut-être serait-il donc souhaitable, madame la garde des sceaux, que des instructions générales - éventuellement par voie de circulaires - soient données afin d'inviter les juges à accueillir favorablement les demandes de révision et de capitalisation. Il s'agira en effet pour eux d'un changement culturel qu'il leur sera peut-être difficile de prendre en compte immédiatement.
Cette nouvelle loi, qui améliorera considérablement les conditions d'attribution et de versement des prestations compensatoires, coïncidera, je l'espère, avec une baisse du nombre de celles-ci. Dans cette optique, je plaide sans cesse en faveur de cette idée qu'il faut continuer d'oeuvrer dans le sens d'une réduction des inégalités entre les hommes et les femmes dans le domaine professionnel. Aujourd'hui, les 25 % d'écart salarial moyen sont finalement répercutés à l'intérieur des foyers, le temps partiel est davantage imposé que choisi, les difficultés restent importantes pour organiser la garde des enfants garde qui est le plus souvent assurée par les femmes, et non par les pères des enfants.
Ces éléments, et beaucoup d'autres, concourent encore à maintenir le fossé entre les hommes et les femmes. La prestation compensatoire n'est qu'une façon de le réduire en cas de séparation. Il nous appartient aujourd'hui de le combler définitivement.
Le texte que nous examinons me paraît équilibré, raisonnable : il préserve autant que faire se peut les intérêts des uns et des autres. Il n'y a pas, il n'y aura jamais de solution idéale pour répondre à ce genre de situation, je le pense sincèrement. J'estime en revanche que, s'il est très rapidement adopté, ce texte permettra de remédier à des cas aujourd'hui dramatiques.
Personnellement, je souhaite donc que l'on puisse régler rapidement, sans attendre plus longuement, les situations dont nous avons les uns et les autres connaissance. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. About applaudit également.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Au terme de la discussion générale, en deuxième lecture, de cette proposition de loi, je note simplement que toutes les interventions convergent pour souhaiter une réforme de la prestation compensatoire.
Chacun a pu se faire l'écho de nombreuses situations injustes résultant de l'application de la loi de 1975. Il est donc urgent de mettre fin à de telles situations. Cela a été mon souci depuis longtemps.
Dès le 27 octobre 1997, j'avais indiqué, dans une communication que j'ai présentée en conseil des ministres, que je souhaitais réformer le droit de la famille, en particulier la prestation compensatoire. Mais je souhaitais aussi avoir une vision globale des situations des couples et des familles avant de présenter une réforme. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Mme Dekeuwer-Defossez de nous dresser un panorama.
Celle-ci a d'ailleurs fait des suggestions qui ont été très utiles pour améliorer la proposition de loi initiale déposée par MM. About et Pagès. Il est à cet égard remarquable de noter qu'il s'agissait d'une proposition du Sénat, émanant d'un sénateur communiste et d'un sénateur Républicain et Indépendant.
Comme souvent en matière juridique, les réponses à apporter à des situations concrètes diverses consistent à rechercher l'équilibre M. Hyest l'a dit dans son intervention. Il ne faut pas réparer des injustices anciennes ou actuelles en les remplaçant par des injustices nouvelles ; c'est là toute la difficulté. Nous ne devons pas remplacer un système rigide par un autre système rigide.
A cet égard, nous devons nous souvenir que la loi de 1975 était pétrie des meilleures intentions, puisqu'elle avait pour objectif de mettre fin définitivement aux relations entre ex-époux, souci partagé par tout le monde à l'époque. Mais la législation n'avait pas prévu - la législation ne peut jamais tout prévoir ! - la crise économique durable et les transformations très rapides qu'allaient subir les familles.
Prenons garde, dans ce que nous allons faire, à ne pas créer un autre système qui ne pourrait pas s'adapter, ou en tout cas pas suffisamment, à l'évolution de la société. Ne créons pas non plus de règles particulières en matière de succession ou dans le domaine du paiement des dettes. En effet, il n'y a pas de raison, j'en suis persuadée, parce que le débiteur et le créancier ont été mariés, de trouver des réponses différentes de celles du droit commun. C'est une limite que je pose à notre débat ; d'ailleurs, vous l'avez approuvée - en tout cas votre rapporteur.
La proposition de loi telle qu'elle résulte de l'Assemblée nationale et de votre commission des lois me paraît justement éviter ces écueils que je viens de signaler.
Ainsi, favoriser le versement d'un capital est la réponse qui doit permettre de régler rapidement et définitivement les rapports entre les anciens époux. Les amendements présentés par le Gouvernement pour le régime fiscal de ce versement favoriseront le versement en capital.
Quant au versement sous forme de rente viagère, les dispositions qui en limitent les modalités et celles qui en permettent la révision en cas de changement important dans la situation des parties doivent permettre d'éviter les situations les plus injustes que nous déplorons aujourd'hui.
Le fait que le juge se prononce en prenant en compte des situations concrètes et en motivant spécialement ses décisions assurera, me semble-t-il, une souplesse suffisante pour une adaptation à des situations très variées. Il est vrai que tel n'est pas le cas actuellement, et ce ne serait pas le cas si certains des amendements écartés par votre commission des lois et instituant des automaticités étaient adoptés.
Enfin, je me félicite vraiment du fait que tous les orateurs de cet après-midi aient été d'aussi chauds partisans de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Je ne doute naturellement pas un instant que vous mettrez tous en pratique sur le terrain les excellentes dispositions que vous venez de manifester cet après-midi ! (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

TITRE Ier

DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE

Article 1er A