Séance du 5 avril 2000







M. le président. Par amendement n° 168, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 32 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 35 bis de l'ordonnance n° 45-2658 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les personnes maintenues en rétention doivent l'être dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine auquel chacun a droit.
« Il ne pourra être procédé à des fouilles portant atteinte à leur intégrité physique. Les personnes maintenues en rétention bénéficieront d'un temps de repos raisonnable et devront être alimentées de manière à conserver toutes leurs capacités physiques et mentales. »
« II. - Le II de l'article 35 quater de la même ordonnance est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les personnes maintenues en zone d'attente doivent l'être dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine auquel chacun a droit.
« Il ne pourra être procédé à des fouilles portant atteinte à leur intégrité physique. Les personnes maintenues en zone d'attente bénéficieront d'un temps de repos raisonnable et devront être alimentées de manière à conserver toutes leurs capacités physiques et mentales. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Nous sommes bien conscients qu'il est peu probable que cet amendement soit retenu car le Sénat a rejeté les dispositions prévues à l'article 2 DA, qui visaient à garantir aux personnes retenues en garde à vue le respect de leur dignité, de leur intégrité physique et imposaient des contraintes strictes en matière de repos et d'alimentation.
Je persiste à croire que de telles dispositions ont leur utilité, quand bien même elles figurent déjà dans les conventions internationales ou dans d'autres dispositions générales du code de procédure pénale. D'abord, tout simplement parce que j'aurais envie de dire : « ça va mieux en le disant » mais, surtout, parce que la réalité des locaux de garde à vue nécessite une prise de position ferme et des engagements réels pour améliorer de façon effective les conditions matérielles.
Cet impératif paraît d'autant plus vrai pour ce qui est des centres de rétention et des zones d'attente. Très récemment, vous le savez, l'association d'aide aux frontières pour les étrangers, l'ANAFE, le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature ont alerté la presse sur les conditions dans lesquelles sont retenues les personnes dans la zone d'attente de Roissy, qui est le lieu où transitent le plus grand nombre de demandeurs.
J'en rappellerai brièvement les principaux éléments.
S'agissant des locaux, en dehors même des conditions d'accueil très insuffisantes, à savoir deux étages de l'hôtel Ibis, on entasse, faute de place, les personnes, souvent à raison de plus d'une personne par mètre carré, dans les différents aérogares et cellules de la police de l'air et des frontières, la PAF, vétustes, insalubres, d'une saleté repoussante, sans accès direct aux sanitaires. Des violences sont parfois exercées à l'égard des ces personnes dont le seul crime est de demander asile à notre pays.
'équilibre alimentaire est loin d'être respecté, le même plat étant souvent servi et rien n'étant souvent prévu pour les enfants, si ce n'est le lait que l'Office des migrations internationales, l'OMI, distribue pour les bébés.
Les conditions d'exercice de leurs droits ne sont pas garanties, puisque l'accès au téléphone n'est pas libre.
On est, certes, bien loin des « prestations hôtelières » visées par l'article 35 quater de l'ordonnance de 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France !
Dans le même sens, j'ai plusieurs fois attiré l'attention sur la situation d'Arenc, sur le port de Marseille, qui fait office à la fois de centre de rétention et de zone d'attente, à propos duquel les rapports tant de la CIMADE, le comité intermouvement d'aide aux déportés et évacués, que du CPT, le comité de prévention contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, ont été sans appel.
Vous comprendrez, dès lors, l'importance que nous attachons au vote de dispositions condamnant très clairement des pratiques qui ne sont pas dignes d'un pays qui se réclame des droits de l'homme. Il est urgent de réagir. Il n'est pas possible - je le redis - d'isoler le cas des centres de rétention et des zones d'attente des autres lieux où les personnes sont privées de liberté au sens de la convention de novembre 1987.
Lorsqu'on sait que les étrangers sans papiers représentent une grande part de la population carcérale - 5 000 personnes - on mesure l'urgence d'une réflexion globale sur les conditions d'enfermement dans notre pays, qui dépasse très largement la question des prisons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission est, bien sûr, tout à fait d'accord sur le fond de cet amendement, qui vise à ce que les personnes maintenues dans les centres de rétention et les zones d'attente le soient dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine.
Néanmoins, ce principe fondamental, qui est inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme, figure également dans la déclaration liminaire des principes généraux adoptée à l'article 1er de ce texte, alors même que le Sénat en a réduit la liste. Le Sénat a supprimé, sur proposition de la commission, la pétition de principe de respect de la dignité humaine à propos de la garde à vue. En effet, dès lors qu'un principe général est proclamé dans une constitution, il est inutile de le répéter dans chacune des lois successives.
L'ajout proposé par M. Bret est donc particulièrement inutile dans la mesure où nous avons cru bon, s'agissant d'un texte relatif à la liberté des citoyens, de faire figurer ce principe dans un article préliminaire du code de procédure pénale.
Par conséquent, monsieur Bret, pour être bien sûr d'accord sur le fond, nous ne saurions répéter ce principe, sauf à devoir le faire tout au long de ce texte, dont presque tous les articles concernent la liberté humaine.
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 168.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je partage bien évidemment les objectifs poursuivis par cet amendement. Je ne suis néanmoins pas convaincue que ces principes aient à figurer dans la loi. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 168.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. M. le rapporteur a indiqué à juste titre que le principe du respect de la dignité humaine a été rappelé tout à fait au début de nos travaux, dans l'article 1er de ce texte. Néanmoins, il s'agissait alors du code de procédure pénale. Et nous sommes ici dans le domaine de l'article 35 bis de l'ordonnance de 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, qui ne figure pas dans le code de procédure pénale. Il y a donc intérêt à reprendre ce principe, comme M. Bret le propose, en votant l'amendement n° 168.
Je m'interroge simplement sur le second alinéa du paragraphe II, qui concerne les fouilles. En effet - ne l'oublions pas - il ne s'agit pas de suspects en garde à vue, et les personnes maintenues en zone d'attente n'ont donc pas à être fouillées. Par conséquent, dire que le jour est le jour et qu'il ne faut pas faire ce qui ne doit pas être fait est peut-être redondant. Mais ce point sera à étudier lors de la commission mixte paritaire.
Le groupe socialiste votera donc l'amendement n° 168.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je suis bien entendu d'accord avec M. le rapporteur pour considérer que les principes mis en avant par M. Bret sont excellents.
Cela dit, les propos de M. Bret pourraient laisser croire que la France a une conduite particulièrement indigne vis-à-vis des personnes étrangères maintenues en rétention administrative ou en zone d'attente. Je rappellerai donc que le délai pendant lequel, en France, les personnes étrangères peuvent être maintenues en rétention administrative est certainement l'un des plus bas. On peut le comparer, en particulier, avec celui qui est en vigueur en Grande-Bretagne, pays de la liberté, où la rétention administrative ne se termine que lorsque les personnes concernées ont fourni les papiers nécessaires pour que l'on puisse éventuellement statuer sur leur sort.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 168, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 32 B