Séance du 30 mars 2000







M. le président. « Art. 8 bis. - L'article 652 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions de cet article ne s'appliquent pas aux membres du Gouvernement entendus comme témoin assisté. »
Par amendement n° 112 rectifié, MM. Dreyfus-Schmidt, Charasse, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le texte présenté par cet article pour compléter l'article 652 du code de procédure pénale par les mots suivants : « sur des faits autres que ceux relevant de leur fonction. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement a pour objet de compléter une disposition introduite par l'Assemblée nationale et relative aux auditions des membres du Gouvernement.
A l'heure actuelle, il est prévu, dans le code de procédure pénale, qu'un membre du Gouvernement ne peut pas être entendu comme témoin sans l'autorisation du conseil des ministres.
Si le conseil des ministres ne donne pas son autorisation, au lieu de se dérouler dans le cabinet du juge d'instruction, l'audition se fera dans le bureau du ministre qui reçoit, à cet effet, le premier président de la cour d'appel, lequel vient lui donner connaissance des questions posées par le juge et recueille les réponses du ministre. Qu'il soit donc bien entendu que, de toute façon, les ministres n'échappent pas à l'obligation de témoigner s'il y a lieu, c'est-à-dire sur des faits qui ne concernent pas leurs fonctions ministérielles, car, sinon, ils relèvent uniquement d'une procédure d'instruction devant la Cour de justice de la République.
Cette autorisation du conseil des ministres, qui, je le précise, n'est jamais accordée, a principalement pour objet d'éviter que des ministres ne soient cités de manière fantaisiste tous les quatre matins devant des tribunaux pour tout et n'importe quoi. Souvenez-vous des affaires Bidalou et autres, juges qui, à l'époque, étaient spécialistes de ce petit jeu.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont prévu de compléter l'article 652 du code de procédure pénale par une disposition selon laquelle la procédure d'autorisation ne s'applique pas aux membres du Gouvernement lorsqu'ils sont entendus comme témoin assisté. Cela veut dire que, demain, ne tiendra plus la garantie qui était jusqu'à présent accordée de ne pas être convoqué à tout propos pour n'importe quoi, et qui a d'ailleurs conduit le Parlement, lors de la création de la Cour de justice de la République, à créer une commission de filtrage pour les mêmes raisons.
Cependant, il faut tout de même être prudent et bien rappeler que ces procédures de droit commun ne peuvent s'appliquer que pour des faits qui sont imputables éventuellement aux membres du Gouvernement, et qui ne sont pas liés à leur fonction. En effet, si l'on devait un jour autoriser un juge à entendre un ministre comme témoin assisté pour des crimes et délits commis dans l'exercice de ses fonctions - alors que ceux-ci relèvent exclusivement de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République - cela voudrait dire, mes chers collègues, qu'il n'y a plus de séparation des pouvoirs ! Or la procédure de la Cour de justice de la République a été justement prévue pour respecter la séparation entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire.
Cet amendement n° 112 rectifié, que je présente avec mes collègues du groupe socialiste, a donc pour objet de compléter la disposition de l'Assemblée nationale, que nous ne contestons pas, en précisant que cette audition comme témoin assisté ne peut porter que « sur des faits autres que ceux relevant de leur fonction ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. Compte tenu de l'importance de cette disposition, je vais m'expliquer.
Cet amendement est d'autant plus intéressant qu'il revient sur une question à laquelle, je le sais, M. Charasse est très attaché. Notre collègue a raison de rappeler l'importance de la séparation des pouvoirs, mais nous venons de forger le statut de témoin assisté - petit à petit d'ailleurs, car nous en sommes à la quatrième lecture, deux pour l'Assemblée nationale et deux pour le Sénat. Il est vrai qu'actuellement un ministre peut être mis en examen sans que le juge d'instruction ait besoin d'un quelconque accord. Mais il serait utile qu'il puisse bénéficier des droits du témoin assisté, sans que le conseil des ministres soit appelé à donner son autorisation. N'est pas désigné comme témoin assisté n'importe qui. Le statut comporte, en quelque sorte, des barrières - il faut des mises en causes précises - et ne permet donc pas, comme vous le craignez, de désigner un ministre comme témoin asssisté dans n'importe quelle circonstance.
La question que vous soulevez, qui est importante, est pratiquement de nature préjudicielle. Vous souhaitez qu'un ministre ne puisse être entendu que s'il est suspecté d'avoir commis un acte susceptible d'être assimilé à un fait détachable. La procédure devient alors extrêmement lourde. En effet, qui va dire si le fait est ou non détachable ?
Vous avez évoqué le problème avec la Cour de justice de la République. J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur du projet de loi organique sur la Cour de justice de la République. Cela m'a peut être conduit à commettre quelques erreurs.
Dans sa rédaction actuelle, votre amendement paraît assez critiquable, bien qu'il soit explicable ; vous l'avez d'ailleurs bien expliqué. En effet, il impliquerait une procédure lourde, qui paralyserait, en quelque sorte, la mise en oeuvre du nouveau statut de témoin assisté, et serait à l'origine de dérives, des juges pouvant l'utiliser de manière exagérée.
M. Michel Charasse. Ils vont se gêner !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Non ! Il y a des protections !
M. Michel Charasse. Oui, pas mal !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vais, moi aussi, émettre un avis défavorable, non pas que je sois défavorable à la séparation des pouvoirs et à ses garanties, bien entendu,...
M. Michel Charasse. Parfois, je me le demande !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... mais parce que je pense qu'on ne peut pas légiférer en faisant des procès d'intention, monsieur le sénateur, si vous me permettez cette expression.
M. Michel Charasse. Exactement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur Charasse, je pense que votre amendement introduit plus de confusion qu'il n'apporte de clarification. Je m'explique : le code de procédure pénale précise qu'un ministre ne peut être entendu comme témoin qu'avec l'autorisation du conseil des ministres. L'article 8 bis, adopté par l'Assemblée nationale, a pour objet d'éviter que des juges d'instruction ne renoncent à entendre des ministres comme témoin assisté et, par conséquent, ne les mettent en examen plus vite ou plus facilement qu'il n'aurait été nécessaire, ce qu'ils peuvent faire, je le rappelle, sans l'autorisation du conseil des ministres.
L'Assemblée nationale a donc souhaité préciser que le statut de témoin assisté n'est pas équivalent à celui de simple témoin, en ce qu'il n'exige pas l'autorisation préalable. Je crois que cette précision est justifiée, puisqu'elle permettra à un juge d'instruction qui ne souhaite pas mettre un ministre en examen, ce qu'il peut faire sans autorisation, d'auditionner ce dernier comme témoin assisté, sans autorisation du conseil des ministres également.
Faut-il préciser - c'est l'objet de votre amendement - que cette exigence d'autorisation n'est pas nécessaire lorsque cette audition du ministre comme témoin assisté porte sur des faits autres que ceux qui relèvent de ses fonctions ? Je ne le pense pas et je vais vous dire pourquoi.
D'abord, une juridiction de droit commun ne peut évidemment entendre comme témoin assisté un ministre pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions, car seule la Cour de justice de la République est alors compétente. Mais cette interdiction résulte de la Constitution ; il n'est donc pas besoin de la rappeler dans le code de procédure pénale en utilisant, au demeurant, une formulation différente.
Ensuite, une lecture a contrario de l'article ainsi amendé peut faire croire qu'un ministre peut être entendu comme témoin assisté pour des faits relevant de sa fonction, voire commis dans l'exercice de ses fonctions, avec l'autorisation du conseil des ministres. Or ce n'est pas possible, parce que seule la Cour de justice est compétente.
Enfin, si l'objectif de cet amendement est de dire qu'un ministre ne peut jamais être entendu comme témoin ou comme témoin assisté pour des faits relevant de ses fonctions, ce n'est évidemment pas acceptable, car cela crée, comme d'ailleurs l'amendement suivant, un vide procédural. Aucune juridiction ne pourrait en effet entendre comme témoin d'une infraction commise par un tiers.
M. Michel Charasse. Mais si !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Voilà pourquoi je pense que cet amendement n'a pas lieu d'être.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 112 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Toutes ces explications alambiquées ne me conviennent pas du tout.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Elles ne sont pas alambiquées !
M. Michel Charasse. Je sens bien que nous ne sommes pas loin de nous mettre d'accord, mais il y a des formulations ou des ambiguïtés qui sont inquiétantes et qui méritent d'être clarifiées.
Qu'un ministre puisse être entendu comme témoin sur des faits dont il a été témoin et qui n'ont rien à voir avec l'exercice de ses fonctions, c'est l'évidence, et personne n'a jamais dit le contraire.
En revanche, qu'un ministre puisse être convoqué comme témoin, ou comme témoin assisté sur des faits relevant de ses fonctions ou commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, et qui peuvent lui être imputés et en même temps qualifiés de crime ou de délit, pardonnez-moi, mais c'est impossible par le fait d'un juge d'instruction de base. Cela ne relève que de la commission d'instruction de la Cour de justice. Il faut que les choses soient claires !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Elles sont claires !
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, que se passera-t-il si un ministre convoqué comme témoin par un juge d'instruction qui veut l'interroger - j'en sais quelque chose - sur des faits liés à ses fonctions, et lui demander, par exemple, ce qu'il a fait dans telle affaire relevant des attributions de son ministère, dit qu'il n'a pas l'intention de répondre, parce que cela ne regarde pas le juge et que celui-ci n'est pas compétent ? C'est tout simple.
S'il demande l'autorisation au conseil des ministres, elle lui sera refusée, et lorsque le ministre recevra le Premier président de la cour d'appel venu lui porter les questions du juge dans son bureau, il dira qu'il n'a rien à répondre. Dans ce cas, on passe au statut de témoin assisté et on n'a plus besoin de l'autorisation du conseil des ministres. Le témoin ministre se trouve quasiment contraint de venir devant le juge, sous peine de se voir infliger l'amende de 25 000 francs dont nous venons de voter le principe voilà cinq minutes.
Madame le garde des sceaux, je voudrais que vous répondiez à une question très simple : de quels moyens dispose un ministre en exercice pour refuser, même comme témoin assisté, d'aller devant un juge qui veut lui poser des questions - si c'est évident, en tout cas - sur des faits qui relèvent de la commission d'instruction de la Cour de justice ?
Monsieur le rapporteur, je vous ai bien entendu, mais vous n'avez pas non plus répondu à cette question. Peut-on citer comme témoin assisté un ministre pour des faits liés à ses fonctions, ou commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ? Je réponds par la négative. C'est la séparation des pouvoirs que Mme le garde des sceaux a rappelée sur ce point et la compétence de la Cour de justice.
Est-ce qu'un juge peut le convoquer quand même ? Réponse : oui. Qu'est-ce qui se passe si le ministre ne se rend pas à la convocation ? J'en sais quelque chose : je suis moi-même englué dans des procédures depuis quatre ou cinq ans sur ce sujet. La procédure est d'ailleurs particulièrement amusante puisqu'elle rebondit chaque fois que le juge d'instruction trouve mon nom dans un dossier différent ! Une fois, c'était pour le financement du parti communiste, après, c'était pour le financement de l'Assistance publique de Paris, et je m'attends, étant donné que j'ai dû signer 10 000 décisions pendant mes quatre ans et demi de ministère, à en avoir une par semaine.
J'ajouterai que si, à l'occasion de l'audition du témoin, il se trouve un fait détachable, c'est-à-dire qui relève à l'évidence de la Cour de justice, le juge de droit commun ne peut pas instrumenter ; il doit arrêter son interrogatoire et transmettre le dossier au procureur général de la Cour de justice de la République, qui est seul habilité pour donner à l'affaire les suites qui s'imposent, parce qu'elle relève de la compétence de la Cour et non du juge de base.
J'ai fini par comprendre tout cela, mais je me pose encore une question. Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur me disent que les ministres ne peuvent être cités à comparaître comme témoin assisté pour des faits accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Mais si cela arrive, que se passe-t-il ? Le ministre ne se rend pas à la convocation, et le juge envoie, sans l'autorisation du conseil des ministres, la force publique pour l'arrêter. Comme il n'existe pas de procédure pour empêcher l'arrestation d'un membre du Gouvernement, le membre du Gouvernement est arrêté et il est conduit par la force devant le juge pour répondre de questions auxquelles il n'a pas à répondre devant un juge de base. Par conséquent, il y a bien un trou dans le dispositif, parce que des juges « jusqu'auboutistes » et qui travaillent plus pour leur publicité personnelle et pour la télévision que pour la justice - on en voit tous les jours -...
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Michel Charasse. ... peuvent avoir envie de « se payer » un ministre. Pour un juge, c'est quand même très agréable, même si les actes sont ensuite annulés. Le mal est fait !
M. Jean Chérioux. Ça oui !
M. Michel Charasse. J'aimerais donc que l'on me réponde à cette question précise.
MM. Jean Chérioux et Alain Vasselle. Très bien !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Monsieur Charasse, la question que vous avez soulevée est très importante. Mais elle a été résolue par ce que le Sénat vient de voter en retirant au juge d'instruction la possibilité de sanctionner lui-même un témoin qui refuse de se présenter.
M. Michel Charasse. Mais la force publique, monsieur le rapporteur !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Vous dites que, lorsqu'un membre du Gouvernement est convoqué comme témoin assisté, il peut décider de ne pas témoigner pour des faits qui concernent des activités d'ordre ministériel en estimant ne devoir s'exprimer que devant la commission d'instruction de la cour de justice.
M. Michel Charasse. Le juge naturel !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ce que j'ai voulu faire ressortir, c'est qu'il n'est pas possible, selon moi, que ce soit le ministre convoqué qui prenne lui-même la décision de ne pas obtempérer. Dans le système que nous venons de mettre au point, le témoin qui ne veut pas être entendu doit envoyer une lettre au juge d'instruction pour lui expliquer les raisons de son refus. Dès lors, le juge n'a plus le pouvoir de le condamner au paiement d'une amende. Cette disposition s'inscrit dans tout un dispositif au cours duquel il pourra - j'allais employer un terme qui ne devrait pas l'être - élever le conflit. L'affaire ira éventuellement jusqu'à la Cour de cassation, qui, en définitive, tranchera. (M. Charasse fait un signe de dénégation.)
M. Michel Charasse. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le rapporteur ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je vous en prie, monsieur Charasse.
M. le président. La parole est à M. Charasse, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
M. Michel Charasse. J'ai bien suivi le raisonnement de M. le rapporteur jusqu'à présent. Mais, si le ministre écrit au juge qu'il ne peut pas répondre à sa convocation pour telle et telle raison, ou bien le juge se rallie à ses arguments et l'on n'en parle plus, ou bien le juge persiste - j'en sais quelque chose ; j'ai donné au mien toutes les explications nécessaires et il a persisté - et alors, selon M. le rapporteur, il est possible de remonter jusqu'à la Cour de cassation. Mais, avant d'en arriver là, il faut passer par la chambre d'accusation. Or, celle-ci n'est pas compétente pour juger de la validité des convocations à témoin. A partir de ce moment-là, on est dépourvu de tout recours et le juge, je le répète, envoie la force publique puisque, s'il ne peut plus condamner au paiement de l'amende, il a recours à celle-ci pour vous saisir.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Mon cher collègue, on va non plus devant la chambre d'accusation mais devant la cour d'appel. Il faut un mécanisme de décision. Un ministre ne peut pas décider par lui-même qu'il ne se présentera pas comme témoin. En tout cas, ce n'est pas prévu dans le code. Jamais une personne ne peut se faire justice à elle-même. C'est la raison pour laquelle nous venons d'adopter une mesure qui retire au juge d'instruction la possibilité de sanctionner un témoin dans certains cas.
Ce qui vous a choqué, comme d'autres, mon cher collègue, c'est qu'un juge d'instruction puisse faire preuve d'un certain acharnement. Or, il ne le pourra plus désormais puisque vous venez de lui retirer la possibilité de condamner.
M. Michel Charasse. Il reste la force publique !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Compte tenu du pouvoir reconnu au procureur général de déclencher une procédure devant la Cour de justice, on peut penser que, si, de manière patente, au cours d'une affaire, le juge d'instruction fait preuve d'acharnement et ne perçoit pas que le cas d'espèce dépasse le cadre de l'affaire qu'il instruit, le procureur général sera dans l'un des cas où il peut déclencher le mécanisme de la Cour de justice, s'il ne veut pas attendre l'issue de la procédure devant la Cour de cassation.
Quoi qu'il en soit, je considère que le ministre se trouve, grâce à la procédure que nous venons d'instaurer, plus et mieux protégé qu'il ne l'est actuellement, alors qu'il dépend, c'est sûr, d'un moment d'énervement d'un juge d'instruction.
M. Michel Charasse. Est-ce que le juge peut envoyer la force publique...
M. le président. Monsieur Charasse, vous n'avez plus la parole !
M. Michel Charasse. Mais c'est important !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je souhaite obtenir l'éclaircissement qui n'a pas été donné à M. Charasse : est-ce que, dans le cas qui nous préoccupe, le juge d'instruction peut avoir recours à la force publique pour faire comparaître un ministre, oui ou non ?
Dans l'affirmative, au regard du principe de la séparation des pouvoirs, cela me choque profondément.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il me semble nécessaire de replacer l'amendement dans le cadre dans lequel il s'inscrit.
Il s'agit de l'article 652 du code de procédure pénale, c'est-à-dire de l'autorisation donnée éventuellement par le conseil des ministres, sur le rapport du garde des sceaux, à la comparution comme témoin d'un membre du Gouvernement.
C'est une disposition d'ordre très général car, très communément, les ministres reçoivent, pour des faits qui n'ont rien à voir avec leur fonction, des citations à comparaître comme témoin dans des procès de nature politique, pour des faits remontant bien souvent à plusieurs années ; on a vu cela constamment pendant la guerre d'Algérie pour M. Malraux. Classiquement, le conseil des ministres répond de façon négative.
La question s'est posée à propos du témoin assisté. Le témoin assisté, je le rappelle - c'est le résultat des travaux minutieux auxquels se sont livrés le Sénat et l'Assemblée nationale - est celui contre lequel il existe un simple soupçon. On l'a dénoncé dans la plainte, la victime l'a reconnu, etc. Il n'y a ni indices graves ni indices concordants.
Dans le cas du témoin assisté, la commission des lois n'a pas voulu - je pense que nous serons tous d'accord sur ce point - que le conseil des ministres ait à donner son autorisation. Il s'agit, je le répète, d'un ministre qui est impliqué, certes à un degré léger, mais qui est soupçonné dans une affaire. En aucune façon, le conseil des ministres ne doit prendre position en l'occurrence. Vous imaginez les commentaires qui s'ensuivraient si l'autorisation était refusée !
La question qui préoccupe à juste titre notre collègue M. Charasse est la suivante : comment peut-on entendre un ministre dans une instruction si cela concerne l'exercice de ses fonctions ?
La réponse est évidente : il ne saurait être entendu sur des faits qui relèvent de l'exercice de ses fonctions. C'est simplement cela qui est précisé dans l'ajout qui vous est proposé de façon à éviter tout malentendu et toute équivoque.
Que les choses soient claires : le juge de droit commun ne doit pas entendre un ministre comme témoin assisté sur des faits qui s'inscrivent dans l'exercice de ses fonctions.
Pour le reste, il est dans la situation de tout justiciable.
Je conçois très bien que Mme le garde des sceaux estime que la précision que nous apportons est inutile ; nous pensons, nous, qu'il vaut mieux préciser les choses pour que tout soit clair. Les juges pourront alors mettre en oeuvre ce qui est maintenant clairement exprimé par le législateur.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. L'argumentation que vient de développer M. Badinter, et qui fait suite à celle de M. Charasse, ainsi qu'à la question posée par notre collègue M. Chérioux, à laquelle d'ailleurs il n'a pas été donné de réponse, question que notre collègue Charasse avait auparavant posée avec force tant auprès de M. le rapporteur que de Mme le garde des sceaux, m'incite personnellement à suivre la position qui vient d'être explicitée.
Personnellement, je voterai donc l'amendement de M. Charasse, car l'argumentation de M. Badinter et celle de M. Charasse m'ont convaincu, alors que M. le rapporteur et Mme le garde des sceaux n'ont apporté que des réponses assez alambiquées et peu claires.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Il me semble nécessaire de bien situer le problème.
Imaginons qu'il y ait divergence sur l'appréciation d'un acte accompli par un ministre. Il s'agit de savoir si cet acte a été accompli ou non par le ministre dans l'exercice de ses fonctions. Qui va trancher ?
M. Michel Charasse. La Cour de justice !
M. Jacques Larché, président de la commission. Mais non, ce n'est pas à la Cour de justice de trancher, puisqu'elle n'est pas saisie.
Cela peut être le juge qui estime - à tort ou à raison - que l'acte a été accompli en dehors de l'exercice des fonctions ministérielles. Si le ministre prétend le contraire, le problème devra être tranché en droit. Le juge décidera dans un sens, peut-être erroné, puis il y aura appel et pourvoi en cassation. Et le problème sera tranché.
M. Michel Charasse. Les journaux vont en faire des tonnes !
M. Jacques Larché, président de la commission. Le problème n'est pas là ! N'y mêlons pas la presse !
M. Christian Bonnet. Elle s'invite, la presse !
M. Michel Charasse. Le problème est bien là !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, pas de dialogue !
M. Jacques Larché, président de la commission. Je n'ai aucune envie de dialoguer sur ce sujet ! Je dis simplement que le problème n'est pas de savoir ce que vont écrire les journaux. Il s'agit d'un problème de droit.
Ne prétendez pas que le ministre peut décider, lui, que les actes qu'il a accomplis relèvent de la Cour de justice de la République. Ce n'est pas à lui de le dire. Il faudra que quelqu'un tranche.
M. Michel Charasse. Oui, nous sommes d'accord ! Mais le juge peut saisir la Cour de justice !
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Nous sommes en réalité en face d'une lacune de notre droit.
M. Henri de Raincourt. Il faut la combler !
M. Patrice Gélard. En effet, la loi organique sur la Cour de justice de la République aurait dû prévoir ce cas. Car il me paraît effectivement difficile que le juge statue sur sa compétence, renvoie en cour d'appel, puis en Cour de cassation, ce qui suppose quatre ou cinq ans de procédure, et encore en étant optimiste...
Se trouve en tout cas, une fois de plus, mis en évidence un fait, que nous avions d'ailleurs déjà souligné, à savoir que la loi organique sur la Cour de justice de la République est mal rédigée et qu'elle mériterait d'être révisée.
En attendant cette révision, l'amendement de M. Charasse me paraît apporter une solution temporaire. Par conséquent, je ferai comme mon collègue M. Vasselle je le voterai (M. Chérioux applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 112 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8 bis, ainsi modifié.

(L'article 8 bis est adopté.)

Articles additionnels après l'article 9
ou avant l'article 9 ter A