Séance du 20 décembre 1999






LOI DE FINANCES POUR 2000
REJET D'UN PROJET DE LOI
EN NOUVELLE LECTURE

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de finances pour 2000 (n° 145, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. [Rapport n° 146 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés au dernier stade de l'examen parlementaire du projet de loi de finances pour 2000. Comme vous le savez, le Sénat, en première lecture, a consacré à ce texte cent trente et une heures de discussion.
Rappelons simplement que le Gouvernement bénéficie d'une heureuse conjoncture et donc des fruits d'une croissance dont il n'est que pour une part responsable...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour une part, en effet !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et qu'il n'en profite pas suffisamment, à notre sens, pour réaliser les réformes de structures qui s'imposeraient.
Ainsi se perpétue une sorte d'exception française. En effet, les prélèvements obligatoires connaissent un niveau très élevé. Pour 1999, nous savons que les estimations de 45,3 points de produit intérieur brut seront assurément dépassées. Pour 2000, il est très difficile de se faire une opinion sur cette fraction ; nous avons d'assez bonnes raisons de supposer qu'elle se situera à un point plus élevé sur la courbe que celui qui est allégué par le Gouvernement. Par rapport à cela, les dépenses publiques ne diminuent pas et le déficit est insuffisamment réduit. Telle est donc ce que nous avons eu l'occasion d'appeler l'exception française.
Pour ne pas abuser de votre patience, mes chers collègues, je me bornerai à trois grandes observations, l'une de méthode, les deux autres sur le fond.
En termes de méthode, nous savons tous, et la Cour des comptes l'a relevé tout récemment encore, que les concepts sur lesquels nous nous fondons pour examiner et adopter les lois de finances ont vieilli. Nous devons donc nous employer à rénover les instruments de la discussion budgétaire. Deux objectifs majeurs me semblent devoir s'imposer pour une telle évolution : d'une part, accroître l'information du Parlement ; d'autre part, faire évoluer les règles de présentation et d'examen des budgets.
Pour accroître l'information du Parlement, bien des choses seront à faire, et nous en verrons une illustration très rapidement lorsque nous examinerons le collectif budgétaire de fin d'année 1999, c'est-à-dire tout à l'heure.
Mes chers collègues, il faut rester bien imprégné d'une maxime que l'on attribue, je crois,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. A Portalis ? (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... à Cavour : « La pire des chambres vaut mieux que la meilleure des antichambres », fût-elle ministérielle ou fût-elle celle du chef du Gouvernement ! (Nouveaux sourires.)
Or nous savons bien qu'avec le Sénat nous disposons de la meilleure des chambres. Il faut donc en faire le meilleur usage possible.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'était une page de publicité !
Mme Marie-Claude Beaudeau. On n'est jamais mieux servi que par soi-même !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pour faire évoluer les questions budgétaires, nous avons proposé en particulier l'établissement de comptes consolidés ou, du moins, nous avons émis le souhait que l'on s'oriente vers une appréciation globale des recettes issues des prélèvements obligatoires et de leur affectation.
Je regrette, à ce titre, le rejet par l'Assemblée nationale de la disposition que nous avions votée en ce sens sur l'initiative de M. Roland du Luart.
Par ailleurs, nous estimons qu'il faudra, dans un avenir proche, distinguer la section de fonctionnement et la section d'investissement. Cela a également retenu l'attention de la Cour des comptes, qui formule des propositions pour tendre à cet objectif. Si l'on s'était fixé cette contrainte pour le budget 2000, il apparaîtrait encore plus clairement que, sur les 622 milliards de francs qui seront levés sur les marchés financiers au cours de cette année au titre des emprunts de l'Etat, la répartition se fait en trois fractions d'inégale importance : 407 milliards de francs pour rembourser des emprunts antérieurs ; 167 milliards de francs seulement pour financer les dépenses d'investissement de l'exercice considéré, mais aussi 48 milliards de francs pour solder le compte des opérations courantes.
Il reste encore des progrès à faire pour respecter nos bons principes de gestion des finances publiques, monsieur le ministre.
J'en viens maintenant au fond.
Vous le savez, nous avons adopté, s'agissant de la dépense publique, une démarche à la fois qualitative, politique et globale, puisque, à la lumière des explications fournies par nos rapporteurs spéciaux et par nos rapporteurs pour avis, nous nous sommes fait une opinion sur chacun des budgets ministériels à partir des principes que nous nous sommes donnés : qualité de la gestion, importance des dépenses de fonctionnement, degré de préparation de l'avenir. Et nous avons rejeté bon nombre de ces budgets.
Nous avons alors entendu de la part du Gouvernement des remarques qui, rétrospectivement, nous font un peu sourire. Car, monsieur le ministre, les secrétaires d'Etat qui vous ont représenté au cours de cette discussion budgétaire nous ont fait des compliments rétrospectifs sur la méthode que nous avions adoptée les deux années précédentes et qui est celle du budget alternatif de responsabilité et de confiance, le contre-budget, en d'autres termes.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On nous avait tant brocardé que recevoir cet hommage un an après nous a beaucoup touchés !
M. Claude Estier. Oh !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en suis heureux ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien sûr, lorsque nous reviendrons, un jour, au contre-budget,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'an prochain ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... vous nous direz qu'il valait mieux, en effet, rejeter globalement les budgets sur lesquels nous ne sommes pas d'accord.
M. Michel Charasse. Il ne faut pas préjuger !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais il ne faut pas caricaturer nos approches. Nous avons voulu mettre l'accent, les années précédentes, sur la dépense publique et, cette année, davantage sur la partie « recettes » et sur l'évolution excessive, qualitativement et quantitativement, des prélèvements obligatoires.
S'agissant en particulier de la fiscalité, je voudrais rappeler que le Sénat, en première lecture, a examiné, en trente-cinq heures, 295 amendements au titre de la première partie, et, en quatre heures, 48 amendements au titre de la seconde partie.
Comme d'habitude, nous nous sommes efforcés d'aller, autant qu'il était possible, au fond des choses. Cela nous a permis de mettre en place une baisse réelle des prélèvements obligatoires et d'introduire toute une série de mesures de nature, selon nous, à amorcer ce que doit être une vraie réforme en profondeur de la fiscalité. Qu'il s'agisse de l'impôt direct frappant tant les personnes que les sociétés, qu'il s'agisse de l'imposition sur l'épargne ou sur le patrimoine, nous avons voulu anticiper les évolutions et marquer notre souci de voir enfin s'enclencher cette réforme d'ensemble de la fiscalité.
Nous nous sommes également préoccupés des questions de contrôle fiscal et d'administration de l'impôt, afin de tenter d'équilibrer la balance entre les droits du contribuable et donc, d'une certaine façon, les libertés individuelles, d'une part, et les droits légitimes de l'administration, d'autre part, en tenant compte des différents impératifs.
Mais de tous ces apports du Sénat, que reste-t-il à l'issue du nouvel examen du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Hélas !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Hélas, peu de choses !
Il demeure toutefois une appréciation que je prends comme un hommage dans la bouche du rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, ou plutôt sous sa plume...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il l'a également dit !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il a en effet dit et écrit que « le Sénat a donc démontré, de façon plus qu'explicite, son opposition à la politique menée par le Gouvernement et sa majorité depuis deux ans et demi ». On ne peut mieux dire ! (Sourires.)
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais, pour autant, monsieur le ministre, s'agit-il là d'un délit d'opinion ? Je crois qu'il faut s'interroger sur ce point dans l'optique de la démocratie parlementaire, régime qui devrait en principe rester le nôtre.
Les propositions que nous avons émises ont souvent été repoussées, nous en avons le sentiment, parce qu'elles ont été formulées dans cette assemblée, alors que, sur certains sujets, et je vais m'efforcer de le montrer, nos idées rejoignaient celles qui avaient été exprimées sur les bancs de la majorité gouvernementale de l'Assemblée nationale, voire au sein de la commission des finances de celle-ci, par son rapporteur général en particulier.
Cependant, nos propositions devaient sans doute, pour la plupart d'entre elles, déranger la bonne harmonie, du moins ce que vous estimez, monsieur le ministre, être la bonne harmonie, d'une majorité plurielle qui - pardonnez-moi ce jeu de mots, je ne sais pas s'il est excellent, mais nous sommes lundi matin ! - tire à hue et à dia. (Sourires.) Il s'agit évidemment d'un équilibre parfois un peu précaire et délicat qu'il faut s'efforcer de maintenir, et nous comprenons donc que nos propositions, quelles que soient leurs qualités sur le fond, aient pu, de ce point de vue, apparaître quelque peu gênantes ou de nature à perturber la conception que la majorité gouvernementale a de ses propres équilibres internes. Par conséquent, un certain immobilisme a malheureusement prévalu.
Il serait trop long de détailler de façon exhaustive les points de désaccord, et je me bornerai donc à citer quelques exemples à cet égard. En revanche, je présenterai la liste des points d'accord de manière plus complète, parce que ceux-ci sont rares !
S'agissant des points de désaccord, à l'article 2, même si M. Migaud était favorable à une indexation partielle du barème de l'impôt sur le revenu sur la croissance de l'économie, il a dû y renoncer, car, aux yeux du Gouvernement, tous les fruits de la croissance doivent naturellement revenir à l'Etat.
A l'article 2 bis B, en ce qui concerne l'imposition commune des frères et soeurs vivant ensemble, la proposition émanait du Sénat, et même si le groupe communiste républicain et citoyen en avait pris l'initiative, elle n'était donc pas recevable, car indécente.
A l'article 2 bis , s'agissant du dispositif devant faciliter le réinvestissement des indemnités de licenciement dans la création d'entreprise, l'amendement « Baylet » est, lui aussi, apparu trop novateur pour pouvoir être pris en compte par l'Assemblée nationale. Nous regrettons qu'il en soit ainsi, après tous les compliments dont cet amendement avait fait l'objet de la part de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, qui vous représentait ici même, monsieur le ministre. Nous avons donc été surpris par l'attitude de l'Assemblée nationale, mais peut-être considériez-vous qu'accepter cet amendement reviendrait à accorder trop de poids critique, au sein de votre majorité, à une composante qui, si elle est utile, n'en est pas moins modeste...
En fait, nous avons eu l'impression que le vote du Sénat sur cet amendement venait perturber vos équilibres internes. Cela est regrettable car, sur le fond, la proposition de M. Jean-Michel Baylet était excellente.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et sociale, en plus !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien que n'étant pas de la même sensibilité politique que M. Baylet, j'avais voté son amendement, tout comme la majorité du Sénat.
A l'article 15, l'actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune en fonction de la hausse des prix n'a pas été maintenue, alors que cette proposition figurait dans le texte initial du Gouvernement. Sur d'autres points, nous avions d'ailleurs voté des amendements qui tendaient à rétablir celui-ci, mais revenir au texte de M. Dominique Strauss-Kahn sur certains sujets, notamment celui des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, n'était sans doute pas de nature à réconcilier les différentes tendances de la majorité plurielle.
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de souligner un cas d'application aveugle d'une règle qu'il faudrait absolument modifier : je veux parler ici de l'article 63 quindecies , que nous avions voté et qui visait à reconnaître le statut d'interné ou de déporté politique à des étrangers entrés sur le territoire national après le 1er septembre 1939.
Il s'agit d'un point très particulier, qui ne concerne que quelques personnes très âgées, mais c'est là une question d'équité. L'amendement avait été voté à l'unanimité de tous les groupes du Sénat, et je n'ai vraiment pas compris pour quelles raisons il a été « lessivé ».
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il émanait du Sénat !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est probablement la raison, en effet.
Certes, le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes civiles dispose que ce statut ne peut être accordé qu'aux personnes entrées en France avant le 1er septembre 1939 : telle est la réponse qui est opposée à tous nos courriers concernant les quelques cas individuels qui peuvent encore se présenter. Cependant, monsieur le ministre, un bon geste serait apprécié en cette matière.
Plus généralement, nombre de nos initiatives que l'Assemblée nationale trouvait intéressantes sur le fond n'ont pas été reprises. Leur examen a été reporté à une analyse d'ensemble ultérieure de la situation, qu'il s'agisse des aménagements de l'impôt sur le revenu en faveur des familles, de la « conjugalisation » de la décote proposée par notre collègue Yves Fréville, du régime successoral des frères et soeurs ou du taux de la TVA sur les prestations funéraires. Toutes ces propositions n'ont pas été rejetées sur le plan des principes, mais elles doivent faire l'objet de ce fameux examen global que nous ne voyons pas venir alors que, pour des raisons d'équité et compte tenu des marges de manoeuvre budgétaires dont nous disposons aujourd'hui, il eût été préférable de ne pas remettre à demain ce que l'on est en mesure de faire immédiatement.
J'évoquerai maintenant les quelques points sur lesquels nous sommes tombés d'accord avec la majorité de l'Assemblée nationale.
Il en est ainsi, à l'article 5 bis , pour l'application de la réduction des droits sur les donations sans limite d'âge qui a été prorogée, et, à l'article 19 quater, s'agisant du mécanisme du quotient pour le calcul du revenu de référence pour les impôts locaux.
Mais surtout, mes chers collègues, le débat sur la sauvegarde du secret professionnel qui s'est déroulé dans cette assemblée a été utile, et les arguments que nous avons invoqués pour demander la suppression de la disposition relative à la présentation dite « spontanée » de certains documents lors de contrôles fiscaux ont été entendus. Cette disposition a été supprimée, et je pense, monsieur le ministre, que c'est une sage décision. Le texte de l'article 57 devient ainsi moins critiquable, mais il reviendra bien sûr au Conseil constitutionnel d'en apprécier tous les aspects au regard du respect des libertés publiques, dans l'optique de la saisine par bon nombre d'entre nous dont il fera certainement l'objet.
En conclusion, mes chers collègues, le Sénat, fidèle à ses traditions, a procédé, du moins je l'espère, à un examen budgétaire de qualité. Nos initiatives ont été d'autant plus vivement combattues qu'elles dérangent davantage. Mais nous sommes habitués, dans cette assemblée, à anticiper sur les débats à venir, et je pense que nous avons bien joué notre rôle constitutionnel. Nous avons pris date.
Nous avons également pris soin d'ouvrir un certain nombre de débats qui devront se poursuivre, notamment en matière de fiscalité agricole, de fiscalité sur le revenu, de modernisation de l'impôt et de modernisation de la présentation des comptes budgétaires de l'Etat. Je pense que nous avons tracé des perspectives qui seront utiles, en tout état de cause, à notre pays.
Cela étant, pour des raisons uniquement politiques, nous n'avons pas été suivis sur nombre de ces points par l'Assemblée nationale, ce que je déplore. Mes chers collègues, au regard du bilan d'ensemble de l'examen en première lecture de la loi de finances tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale et de la rapide incompréhension qui s'est manifestée entre les deux assemblées au cours des trop brefs travaux de la commission mixte paritaire, j'estime logique que la commission des finances du Sénat ait pris l'initiative de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
En effet, nous avons à faire un choix, mes chers collègues : soit nous reprenons l'examen complet du texte et alors, bien entendu, pour être cohérents, nous devrons réinsérer tous les amendements qui avaient été votés en première lecture, ce qui n'ébranlera sans doute guère les positions de l'Assemblée nationale, sauf sur quelques points, soit nous marquons notre opposition à l'ensemble du texte tel qu'il résulte des délibérations que j'ai décrites. Cette seconde solution, qui est recommandée par la commission des finances, nous conduira au vote d'une motion tendant à opposer la question préalable, étant donné qu'il n'y a à notre sens plus lieu d'examiner ce texte, mais qu'il faut le rejeter globalement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. La pièce que vous aurez, monsieur le ministre, imposé au Parlement d'interpréter durant quarante jours à l'Assemblée nationale et vingt jours au Sénat touche à sa fin. Le Gouvernement, par son refus systématique d'envisager toute autre solution que les siennes, aura réduit ce rendez-vous à un exercice plus théâtral que budgétaire et législatif.
Après soixante jours de débat, trois mois si l'on tient compte de l'immense travail des commissions, nous voilà en quelque sorte sommés, pour conclure, de graver dans le marbre de la loi les résultats annoncés dès la publication du communiqué de presse du Gouvernement, le 15 septembre dernier, qui arrêtait le déficit budgétaire à 215,4 milliards de francs.
Avec une bonté touchante, à moins que ce ne soit par inadvertance, vous aurez, monsieur le ministre, laissé l'Assemblée nationale modifier ce déficit de 73 000 francs : un tel montant, rapporté au budget de 1 900 milliards de francs, illustre bien le niveau de considération que le gouvernement auquel vous appartenez porte au Parlement !
Comme au terme de l'émission Au théâtre ce soir , que nous avons tous regardée à la télévision,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah ! C'est vrai !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... je suis tenté de vous dire : « Mesdames et messieurs, la pièce que nous venons d'interpréter devant vous était de Christian Sautter (Sourires),...
M. Michel Charasse. Ah !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... les dialogues étaient de Philippe Marini et de Didier Migaud, les costumes n'étaient pas de Donald Caldweld, mais le scénario, lui, était bien celui qui a été imposé par la direction du budget ! » (Nouveaux sourires.)
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Deus ex machina !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le rideau tombe. Le public ne quitte pas la salle puisqu'il n'est jamais venu. Les acteurs ont déjà déserté. Mais, au fond, peu vous importe, monsieur le ministre, l'essentiel est que rien n'ait été changé à votre projet initial !
M. Jean-Pierre Schosteck. Que nous n'applaudirons pas ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il n'y a ni amertume ni dépit dans mon propos, puisque la Constitution me permet de vous rendre au centuple, en contrôle, ce que vous nous aurez retiré en marge législative.
Mais je veux plus gravement appeler votre attention sur le fait que nous n'en sommes plus au stade du débat rituel et un peu classique « majorité-opposition », quand la controverse fleure la bonne époque des grands débats parlementaires. C'est la démocratie qui est désormais en cause. C'est un régime politique qui est en train de changer sans s'en rendre compte. C'est un gouvernement qui ignore, pour ne pas dire qui méprise, le Parlement et qui ne le considère plus que comme un passage obligé, en attendant sans doute de s'y soustraire complètement.
Quand le Premier ministre, tel un monarque de l'Ancien Régime, annonce qu'il suspend, de sa seule volonté, l'application de la loi votée par le Parlement, dans quel régime sommes-nous ?
Même si, comme je vous l'ai dit, je suis personnellement d'accord - mais là n'est pas le problème - pour reporter l'application de la loi abrogeant les arrêtés Miot, il n'en demeure pas moins que c'est encore une fois la presse qui nous informe que le chef de l'exécutif va suspendre l'application de la loi. J'ai le regret de vous dire, mes chers collègues, que ce système-là n'est plus la démocratie parlementaire.
J'imagine, monsieur le ministre, que vous invoquerez le passé et des cas équivalents pour justifier l'accélération de cette dérive de nos institutions. Je vous indique néanmoins dès à présent que cela ne me convaincra pas.
Il est urgent de mettre un terme à ces pratiques ; et je vous dis d'ailleurs sans détour, monsieur le ministre, que, si l'année 2000 prolonge cette funeste orientation, je demanderai au Sénat d'utiliser, l'année prochaine, toutes les ressources de la procédure pour que les actes budgétaires soient examinés au moyen de deux lectures complètes, entières, quelles que soient les dates extrêmes auxquelles nous entraîneront ces longues, très longues discussions. Il s'agit là, de ma part, non pas d'une menace en l'air ou d'un excès de tribune, mais d'une froide détermination à l'issue d'une longue et profonde réflexion.
Je tiens d'ailleurs à dire, parlant sous le contrôle du rapporteur général, que nous nous étions préparés à le faire dès cette année, au cas où nous l'aurions jugé nécessaire. Il n'est pas dans la tradition du Sénat d'utiliser la procédure pour tenter de faire prévaloir ses vues, mais il est désormais du devoir du Sénat de rappeler que le Parlement est l'émanation du peuple français et qu'il est seul légitime pour élaborer et adopter la loi de la République.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Que reste-t-il de nos jours et de nos nuits de travail ? Si peu de chose ! Quelques minuscules progrès, arrachés au forceps, comme l'abattement sur les donations consenties par des personnes de plus de soixante-quinze ans ou le gommage des aspects les plus attentatoires aux libertés publiques de l'article 57.
Certes, le Sénat est dans l'opposition : son rôle est de proposer, de proposer encore, de proposer toujours ; il ne peut - et il le sait - être suivi en tous domaines, et c'est normal parce que c'est aussi la démocratie.
Mais que dire du sort réservé à l'Assemblée nationale ? Elle n'a pas davantage été entendue ! Où se traduisent, dans cette loi de finances, les résultats de la « mission d'évaluation et de contrôle », dont l'objet est, précisément, de parvenir à une maîtrise de la dépense publique ? Où est la politique préconisée par le premier des députés, Laurent Fabius, qui, dans un discours identique au nôtre, affirme qu'il faut réduire les prélèvements obligatoires grâce à une baisse des dépenses, en particulier des charges de structure ? Je n'en vois aucune trace dans le texte qui arrive ce matin de l'Assemblée nationale. Au contraire, si cette dernière parle abondamment de réduire les impôts, dans la réalité, elle les augmente, notamment sur les entreprises qui créent l'emploi dans notre pays, puisque l'impôt sur les sociétés a été majoré par les députés de 2,7 milliards de francs.
En conclusion, monsieur le ministre, cette discussion sur le projet de loi de finances pour 2000 me laisse, comme démocrate, une bien piètre impression. Non que le débat fut désagréable puisqu'il a toujours été, au contraire, très courtois, très approfondi, très sérieux ; mais il laisse l'impression d'une débauche d'efforts inutiles ; il traduit une perte infinie du sens démocratique : la loi devient celle des ministres, des bureaux, des administrations, comme si la représentation du peuple n'était plus qu'un musée, la volonté générale s'exprimant désormais sur les plateaux de télévision et dans les grands journaux. A ce jeu là, monsieur le ministre, la France y perdra beaucoup plus que vous n'osez l'imaginer. En tout cas, le Sénat ne vous encouragera pas dans cette voie ; il considère qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la discussion dans un tel déficit démocratique. C'est pourquoi il votera la motion tendant à opposer la question préalable, proposée par le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances pour 2000 vous est soumis aujourd'hui pour un ultime examen, et j'ai plaisir à être parmi vous à cette occasion.
Si je n'ai pu être présent dans cet hémicycle pendant une partie de l'examen de ce texte en première lecture, c'est en raison de mes nouvelles fonctions : j'ai dû tout d'abord, en effet, me rendre à Seattle, afin de défendre les intérêts de notre pays, et notamment ceux de son agriculture. Ce déplacement n'a d'ailleurs pas été inutile, je crois, et Christian Pierret, à qui vous avez bien voulu rendre hommage, monsieur le rapporteur général, m'a alors suppléé. Par ailleurs, j'ai dû participer à la réunion importante sur la Corse, organisée sur l'initiative de M. le Premier ministre, et c'est M. Huwart qui, à ce moment-là, m'a remplacé. Je crois que nous aurons l'occasion de reparler de la Corse très prochainement. Je tenais donc simplement, en introduction à mon propos, à vous exprimer tout le respect que je porte à la Haute Assemblée.
Contrairement à ce qu'a dit tout à l'heure M. le président de la commission des finances, qui voulait sans doute teinter ses propos d'une touche d'humour subtil, je ne considère pas que nous sommes ici, comme au théâtre, pour jouer une pièce. Je crois que nous sommes ici dans un lieu de débat démocratique entre le Gouvernement, sa majorité et le Sénat, qui est effectivement dans l'opposition. Je donnerai d'ailleurs plusieurs preuves témoignant de la qualité de ce débat, même si, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, les résultats vous semblent parfois décevants.
C'est un fait que la commission mixte paritaire, qui s'est réunie mercredi dernier, n'est pas parvenue à un accord, de sorte que l'Assemblée nationale a revu le texte en nouvelle lecture. Elle est naturellement revenue aux grandes lignes du budget qu'elle avait adopté en première lecture, tout en intégrant des contributions apportées par le Sénat et en apportant de nouvelles améliorations pour élaborer le texte qui vous est soumis aujourd'hui et qui me paraît de bonne qualité.
Le fait que l'Assemblée nationale soit revenue aux grandes lignes du projet de budget en faveur de la croissance, de la solidarité et de la justice sociale ne doit pas étonner. M. Marini, dans son discours de belle portée, a parlé d' « exception française ». Je considère, moi aussi, que notre pays vit une exception : c'est l'exception de la croissance. Sur la période 1997-1999, notre pays a connu une croissance nettement plus rapide que celle de nos grands voisins européens, et le Fonds monétaire international accorde d'ailleurs à la France la médaille d'or de la croissance pour 2000, parmi les pays du G 7. Il est donc un fait que notre pays, qui était plutôt en queue de peloton entre 1991 et 1997, s'est porté en tête. Il y a là une heureuse exception, que M. le rapporteur général me permet de saluer.
Sur le plan fiscal, l'Assemblée nationale a rétabli la logique d'ensemble du « paquet » de mesures favorables à l'emploi, à la solidarité et au développement durable : elle a notamment repris le texte initial en ce qui concerne la baisse de la TVA sur les travaux dans les logements, la baisse des frais de notaire ou la suppression progressive du droit de bail. Elle a également rétabli un certain nombre de dispositifs visant à encourager les entreprises à orienter leurs décisions vers l'investissement productif plutôt que vers les placements financiers spéculatifs : il s'agit de la baisse du taux de l'avoir fiscal et de la limitation de l'exonération des dividendes.
En matière de dépenses, l'Assemblée nationale n'a pas eu d'autre choix que de rétablir les budgets qui avaient été rejetés en bloc par le Sénat.
Il est vrai - je le dis sans humour - que le Sénat, contrairement aux années passées, n'a pas présenté de contre-budget assorti des économies correspondantes, fussent-elles forfaitaires. Cet exercice, auquel nous nous sommes livrés pour les budgets de 1998 et de 1999, avait le mérite de montrer avec clarté qu'il y avait effectivement deux orientations, chacune ayant sa forte cohérence et mettant des moyens différents au service d'objectifs différents.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Reconnaissance tardive !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le Sénat avait annulé les budgets de l'emploi, de la solidarité, de l'éducation, de la recherche et de l'environnement. L'Assemblée nationale les a rétablis.
Quant au déficit budgétaire, il a été ramené à 215,3 milliards de francs, c'est-à-dire, comme M. le président de la commission des finances l'a noté, à un niveau quasiment identique à celui qu'avait fixé le projet de loi de finances initial.
Je ne pense d'ailleurs pas que la variation du déficit budgétaire en cours d'examen soit un critère de qualité du débat démocratique, et le déficit établi à 215,3 milliards de francs me paraît plus significatif que celui qui résultait de vos propres travaux, puisque vous aviez rejeté vingt et une sections budgétaires sur trente.
Je voudrais insister, après M. le rapporteur général, qui l'a fait avec une grande honnêteté, sur le fait que l'Assemblée nationale a repris plusieurs des contributions du Sénat.
Plusieurs dispositions introduites par des amendements présentés par la commission des finances du Sénat ont été confirmées : il en est ainsi, par exemple, du prolongement de la réduction des droits sur les donations pour les personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, de la simplification des formalités fiscales pour les contribuables ayant opté pour le paiement par acomptes de leurs impôts locaux, ou de l'amélioration des mécanismes de compensation de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle pour les fonds nationaux de péréquation de cette taxe.
L'Assemblée nationale a également retenu des amendements issus des groupes de la majorité plurielle et adoptés par la Haute Assemblée. Je pense notamment, à cet égard, à des amendements proposés par le groupe communiste républicain et citoyen et tendant au durcissement de l'imposition forfaitaire annuelle pour les holdings de sociétés, à la prise en compte pour le calcul des dégrèvements de taxe d'habitation du caractère exceptionnel de certains revenus, ou encore au remboursement des taxes sur les carburants propres utilisés par les exploitants de bennes à ordures.
Je tiens aussi à souligner une mesure importante prise sur l'initiative de M. Loridant, à savoir le relèvement des minima de perception sur les tabacs, qui permettra d'accompagner le relèvement des prix du tabac l'an prochain et de contribuer ainsi à éviter que ne pénètrent sur notre marché des cigarettes à bas prix pouvant relancer la consommation, notamment chez les jeunes.
Enfin, de nouvelles améliorations ont été apportées au projet de loi de finances par l'Assemblée nationale, dans le sens des attentes du Sénat.
A cet égard, je voudrais tout d'abord revenir sur l'article 57, à propos duquel M. le rapporteur général s'est exprimé fortement et qui a clairement été amélioré sur le fondement des débats de la Haute Assemblée.
La Haute Assemblée s'était en effet inquiétée des atteintes au secret professionnel qui auraient pu résulter de l'obligation pour les professions libérales d'ouvrir leurs livres de comptes et de donner accès à des données individuelles. L'Assemblée nationale a adopté un amendement qui, tout en rétablissant l'article voté en première lecture, a supprimé la possibilité pour l'administration fiscale de demander des informations sur l'identité des clients des contribuables soumis au secret professionnel.
Je crois que le Sénat, comme l'a dit M. le rapporteur général, a pleinement joué son rôle dans ce débat, ce dont, au nom du Gouvernement, j'ai plaisir à lui donner acte.
L'Assemblée nationale a évité ainsi que le texte qui est actuellement en cours de discussion ne puisse être interprété comme portant atteinte au secret professionnel, et elle a répondu aux attentes des professions médicales et paramédicales dont le Sénat s'était, à juste titre, fait largement l'écho.
Je me félicite personnellement de cette nouvelle rédaction qui lève toute ambiguïté quant à la portée réelle de l'article 57 et qui confirme que le Gouvernement, avec ce texte, avait l'intention non pas de permettre à l'administration fiscale de recueillir des informations sur l'identité de ceux qui s'adressent à un médecin ou à un avocat pour porter atteinte au secret professionnel, mais seulement de mettre en mesure l'administration fiscale de contrôler les revenus des professions libérales, comme ceux de toutes les professions.
Au total, je crois que le texte a été substantiellement amélioré par les navettes parlementaires, et que, de ce point de vue, il n'y a pas eu le déficit démocratique que M. le président de la commission des finances a voulu souligner. Il est un fait que le projet de budget qui vous est soumis aujourd'hui n'entre pas dans la logique que je pourrais qualifier de « libérale » de la majorité de la Haute Assemblée : il illustre une autre politique, comme M. le rapporteur général l'a fort bien dit. Le budget qui vous est présenté, dans l'esprit du Gouvernement, a pour but de soutenir la croissance française, de développer l'emploi et d'agir au profit des jeunes, des personnes défavorisées et des exclus.
Je voudrais maintenant répondre à quelques points soulignés par M. le rapporteur général.
Tout d'abord, je tiens à lui préciser, afin de le rassurer, que, s'agissant des étrangers internés et déportés politiques venus en France à partir du 1er septembre 1999, l'Assemblée nationale a voté l'article conforme, après avoir peut-être eu, à un moment, la tentation de l'amender. Mais le résultat, j'en suis sûr, est conforme à ses souhaits.
S'agissant de l'amendement déposé par M. Baylet, qui permettait de maintenir l'exonération de l'impôt sur le revenu pour les indemnités de licenciement réinvesties dans des créations d'entreprise nouvelle, le Gouvernement, représenté par M. Christian Pierret, ici, ou par moi-même, à l'Assemblée nationale, a manifesté beaucoup d'intérêt pour cette proposition, en regrettant toutefois que la forme n'en soit pas suffisamment aboutie pour lui permettre de donner un avis favorable sans réserve. Mais l'idée défendue par M. Baylet était bonne, comme je l'ai dit devant l'Assemblée nationale.
S'agissant enfin de l'évolution de la discussion budgétaire, M. le rapporteur général a évoqué la nécessité de poursuivre certains débats et d'accroître l'information parlementaire.
Nous aurons tout d'abord l'occasion, si la commission des finances le veut bien, d'examiner, comme l'an dernier, les perspectives pluriannuelles que je transmettrai à mes partenaires européens au mois de janvier. Ce moment important doit nous permettre de situer la politique budgétaire dans une perspective à long terme : il s'agira, en l'occurrence, de 2003. Je souhaite que nous puissions en débattre au début de l'an prochain.
Nous aurons, par ailleurs, comme chaque année, le rendez-vous de printemps sur le débat d'orientation budgétaire, qui inclura l'examen des gestions passées.
J'ajoute que, en matière d'information du Parlement, nous avons enrichi le rapport économique, social et financier. Toutefois, si cela se révèle nécessaire, nous sommes prêts à le perfectionner encore pour l'édition de septembre 2000.
Au regard de la rénovation de la procédure budgétaire, un progrès a été fait à l'Assemblée nationale.
Vous avez fait allusion à la mission d'évaluation et de contrôle, qui a débouché sur deux éléments importants : tout d'abord, le débat relatif à cinq budgets a été rénové et concentré dans un débat en commission, à la satisfaction, me semble-t-il, des parlementaires, comme du Gouvernement. Par ailleurs, la mission d'évaluation et de contrôle s'est penchée sur un certain nombre de budgets et a procédé à une évaluation de qualité. Nombre de ses conclusions ont déjà été prises en compte, et d'autres le seront ultérieurement.
Pour terminer, je veux répondre à l'intervention assez grave dans son ton de M. le président de la commission des finances.
Le Gouvernement et moi-même ne sommes pas en train de jouer une pièce de théâtre, avec ou sans auteur ! Nous sommes au coeur d'un débat démocratique où chacun a joué son rôle, sa partition. Et je ne donnerai qu'un exemple pour le confirmer : celui de la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien dans les logements.
Il s'agit là d'un point qui avait été mentionné par M. Alain Lambert, alors rapporteur général, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998, qui a été repris ensuite par M. Philippe Marini, pour le projet de loi de finances pour 1999, qui a fait l'objet d'un examen par le Sénat et d'une résolution par l'Assemblée nationale ; tout cela a permis au Gouvernement, et à Dominique Strauss-Kahn en particulier, de convaincre nos partenaires européens qu'il y avait là une réforme importante à faire du point de vue de l'emploi.
Je pense que, avec cette mesure phare du budget qui vous est soumis, le Parlement a joué un rôle non seulement de contrôle mais aussi d'impulsion et d'appui dans un débat européen qui n'était pas facile.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Elle est entrée en vigueur avant d'être votée par le Parlement, d'ailleurs !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous savez très bien que si l'on prend une telle décision - et cela a été le fait dans le passé pour la TVA sur les automobiles -...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je sais bien !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... on ne peut pas l'annoncer le 15 septembre en disant qu'elle s'appliquera le 1er janvier suivant !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous présentez cette mesure comme un succès du Parlement !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Qu'auraient fait les artisans d'Alençon, de Compiègne, de tous les villages et villes de France ?
M. Michel Charasse. De Puy-Guillaume !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Echantillon choisi par hasard !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Absolument ! Ce sont des villes particulièrement sympathiques.
Il est de tradition, lorsqu'il y a des baisses d'impôts, qu'elles s'appliquent dès qu'elles sont annoncées, de façon à ne pas paralyser l'activité économique.
Nous parlerons cet après-midi de la Corse, et nous aurons l'occasion de développer longuement ce point. Après une réunion particulière fructueuse entre le Gouvernement et les élus, le Premier ministre a décidé de proposer au Parlement - et cela commencera par la Haute Assemblée - une mesure fiscale sur laquelle nous reviendrons.
Vous ne retirerez pas au Gouvernement le droit de proposer des mesures fiscales, sachant qu'il revient au Parlement de les adopter.
Nous avons tous, me semble-t-il, bien travaillé, chacun avec ses conceptions, chacun respectant l'autre, en faisant preuve de capacité d'écoute et de conviction.
Le cru du budget 2000 me paraît être un bon cru démocratique, même si - et je comprends, monsieur le président de la commission des finances, que vous en ayez un pincement de regret - la majorité qui soutient le Gouvernement adoptera, en définitive, un budget qui n'est pas entièrement conforme à vos voeux.
Je conclurai mon propos en soulignant une nouvelle fois l'importance du rôle de la Haute Assemblée - nous l'avons notamment constaté, entre autres points, sur le fameux article 57 - et en rappelant l'estime et le respect que le Gouvernement a pour les travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi de finances pour 2000 arrive enfin à son terme.
Comme nous pouvions évidemment nous y attendre, l'échec de la commission mixte paritaire - un échec en quelque sorte programmé - a conduit l'Assemblée nationale à rétablir, pour l'essentiel, moyennant quelques menues retouches au texte qu'elle avait adopté en première lecture, la teneur du projet de loi sur lequel elle s'était mise d'accord au début de la navette.
Les débats menés au sein de la Haute Assemblée n'auront donc pas été d'une grande portée sur le contenu de la loi de finances pour 2000, sinon pour marquer un peu plus la différence de conception qui anime la majorité sénatoriale et la majorité gouvernementale. Il est vrai que la position que vous défendez, monsieur le rapporteur général, commence à être quelque peu inconfortable.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oh ! Elle est plus confortable que la vôtre !
Mme Marie-Claude Beaudeau. En effet, vous nous aviez habitués, pendant quatre ans, à l'austérité budgétaire, et vous vous trouvez contraints de débattre de l'existence de plus-values fiscales dissimulées et de réduction de la dépense publique.
Il n'y a pourtant pas, dans le projet de loi de finances pour 2000, de quoi vous insurgez contre le gaspillage des deniers publics.
L'exécution du budget de 1999 montre que la progression de la dépense publique est, dans les faits, assez proche, sinon identique à celle du produit intérieur brut, ce qui signifie très concrètement qu'il n'y a pas de dérive des dépenses budgétaires.
Le mouvement de croissance des dépenses publiques en 2000 sera sensiblement inférieur à la croissance réelle de l'économie, ce qui signifie aussi que le niveau des prélèvements obligatoires n'est pas, à structure constante, majoré.
On ne peut et on ne doit en effet jamais oublier que la valeur des rentrées fiscales doit être prise en compte en regard de l'évolution de la richesse nationale et que le niveau des prélèvements obligatoires n'est donc pas nécessairement, en valeur relative, plus important.
De toute façon, nous ne pensons pas que l'existence d'un niveau plus ou moins important de prélèvements obligatoires pose un problème particulier.
En cette matière, comme nous l'avons déjà dit, la question est de savoir non pas quel pourcentage de prélèvements est appliqué, mais qui paie et pour quoi faire.
Certains pays, économiquement évolués, ont des taux de prélèvements plus importants, et d'autres des niveaux de prélèvements moins importants ; mais ce qui compte en dernière instance, c'est de savoir quels besoins collectifs sont socialisés et quels besoins collectifs ne le sont pas.
Les Etats-Unis ont un niveau de prélèvement plus faible, mais n'oublions pas que, dans ce pays, des besoins comme la couverture santé, l'assurance vieillesse ou le financement de l'enseignement supérieur sont pour l'essentiel non socialisés et directement individualisés ou soumis à la seule loi de l'initiative privée.
C'est là aussi une question de choix de société, et je ne suis pas persuadée que la société américaine soit, en fin de compte, malgré son important potentiel de croissance et de développement, malgré la puissance de ses entités industrielles et commerciales, plus équilibrée, plus juste et plus humaine que la nôtre.
Le fait que nos concitoyens soient attachés à un certain modèle de développement social et que nous nous efforcions de donner toute sa pertinence à ce modèle au travers de l'action législative que nous pouvons mener ne nous pose donc pas de problème.
C'est d'ailleurs cette démarche, qui traduit le souci de mettre la croissance au service de la réduction des inégalités sociales, qui nous a guidés dans ce débat budgétaire.
Que nos conceptions n'aient pas été toujours prises en compte est un aspect du bilan que l'on peut relever au terme de ces controverses.
C'est ainsi que vous concevrez aisément, monsieur le ministre, que les membres de mon groupe et moi-même puissions nourrir quelques regrets à l'examen de l'état actuel de ce projet de loi de finances pour 2000.
Un journal que j'ai l'habitude de lire, comme d'ailleurs tous les autres, comme vous tous, mes chers collègues, titrait, le jour de la présentation du projet de loi : « Loi de finances 2000 : pourquoi si peu d'audace ? »
En la matière, même si nous avons apprécié positivement certaines mesures annoncées - baisse de la TVA sur les travaux dans les logements, suppression progressive du droit de bail, suppression d'un certain nombre d'impôts et taxes désuets, renforcement de la fiscalité sur les sociétés bénéficiant du régime spécial des groupes, réduction de l'avoir fiscal - nous aurions souhaité plus d'audace dans certains domaines, notamment au travers des propositions que nous avons formulées dans le débat et que, dans sa grande sagesse, le Sénat avait jugé utile d'adopter.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà l'inconfort !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je pense ainsi à la réduction du taux de la TVA sur les prothèses auditives et optiques, à la possibilité offerte aux collatéraux vivant sous le même toit de déposer une déclaration commune d'imposition sur le revenu, à l'exonération de taxe foncière des bénéficiaires de minima sociaux comme le RMI ou l'allocation de la solidarité spécifique, ou encore à la détaxation partielle du gazole pour les transporteurs publics de voyageurs.
Je me permettrai donc de souligner que la modicité relative du coût de ces mesures et leur impact potentiel devraient motiver, dans le cadre de l'ultime lecture, un nouvel examen.
Par exemple, nous nous interrogeons sur la cohérence d'une position qui consiste, par la voix de Mme la ministre des affaires sociales, à annoncer l'effacement des dettes fiscales des titulaires de minima sociaux et à ne pas retenir le principe d'une exonération d'office de la taxe foncière qu'ils peuvent être amenés à payer.
De la même manière, se fixer un objectif de développement de transports moins polluants nécessite, dans un premier temps, si l'on veut permettre aux services publics de transports de voyageurs de recourir à des véhicules utilisant des carburants dits propres, de réduire les contraintes de fonctionnement qu'ils subissent du fait de l'alourdissement de la taxation grevant l'usage du gazole.
Il s'agit pour nous de s'inscrire dans une démarche facilitant l'autofinancement de ces investissements et non dans une démarche de développement du phénomène de pollution, et ce d'autant qu'il n'est pas scientifiquement prouvé que les carburants dits sans plomb soient forcément moins polluants que le gazole.
En termes de mesure de la pollution, c'est uniquement la nature des rejets qui est mise en avant et non leur quantité.
C'est cette démarche dynamique, cette approche nouvelle de la gestion des deniers publics qui permettra aussi, à terme, de dégager de nouvelles marges de manoeuvres financières pour l'action publique.
Vous comprendrez, par exemple, qu'il nous soit difficile d'admettre que l'on ne puisse pas trouver 500 millions de francs pour des exonérations de taxe foncière ou 150 millions de francs pour une détaxation de carburant quand on en a trouvé plus de 5 milliards de francs pour alléger les droits de mutation, recette pourtant essentielle des collectivités territoriales depuis les lois de décentralisation.
Le Gouvernement doit donc donner des signes plus forts du changement de politique que nos compatriotes attendent depuis 1997. Ce n'est pas là pour nous un mauvais procès intenté à une politique budgétaire, mais bien plutôt une remarque, un constat qui doit conduire à des propositions nouvelles.
Nous voulons dire les choses clairement : la majorité sénatoriale a fait la démonstration, au travers de ce débat budgétaire, de son incapacité à prendre en compte les véritables besoins collectifs et de sa conception profondément inégalitaire de la fiscalité. Elle ne l'entend, cette fiscalité, que lorsqu'elle favorise une forme de redistribution à l'envers, au profit quasi exclusif des plus fortunés et des entreprises.
Dans ce contexte, il nous semble que la démarche du Gouvernement doit être plus audacieuse, plus encore efficace pour ce qui est de parvenir à une plus grande justice fiscale et à un système de prélèvement plus efficient pour inciter au progrès économique et social.
Bien évidemment, nous ne voterons pas la question préalable, présentée par M. le rapporteur général au nom de la majorité sénatoriale, ses attendus étant à mille lieues de ce qu'il convient de faire, aujourd'hui, en matière de nouvelles capacités d'intervention de l'Etat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable