Séance du 13 décembre 1999







M. le président. Par amendement n° II-64, MM. Oudin, Besse, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Joyandet, Ostermann et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 57, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le quatrième alinéa du 3° de l'article 83 du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : "A compter de l'imposition des revenus de 2000, cette limite est de 50 000 francs pour les voyageurs, représentants et placiers de commerce ou d'industrie."
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus est compensée à due concurrence par un relèvement des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés à l'article 403 du même code. »
La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun. Cet amendement prend en compte la spécificité des voyageurs, représentants et placiers, dont le rôle est particulièrement important pour le développement des PME et du commerce extérieur de la France. Il convient de revenir, pour cette catégorie et à compter des revenus de l'année 2000, au plafond antérieur de 50 000 francs pour la déduction forfaitaire supplémentaire pour frais professionnels.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous avons évoqué en première partie cette proposition, qui semble tout à fait légitime s'agissant de professions qui bénéficiaient naguère d'une déduction supplémentaire et qui se trouvent aujourd'hui traitées moins favorablement que d'autres.
Nous avions évoqué le cas d'une autre profession qui a obtenu le rétablissement du système favorable qui lui était appliqué auparavant. En l'occurrence, il s'agit de nos amis les journalistes pour lesquels dorénavant, dans la limite de 50 000 francs, une allocation d'emploi est soustraite à l'impôt comme représentative de frais. Monsieur le secrétaire d'Etat, il est certes légitime que d'autres professions, tout aussi estimables, comme celle des VRP, viennent demander un traitement équivalent.
La commission, sur ce sujet, considérant la discussion comme tout à fait opportune, s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Certains proposent de revenir, mais pour les seuls VRP, sur la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires qui, je le rappelle, ont été entreprises sur l'initiative du gouvernement précédent.
Le Gouvernement ne peut vous accompagner dans une telle démarche. En effet, il n'est pas envisageable de rétablir les déductions forfaitaires supplémentaires qui ont été source d'inégalités entre des contribuables exerçant des professions voisines, au bénéfice, de surcroît, d'une seule profession, ce qui, du même coup, créerait une nouvelle inégalité au sein même de l'ensemble des professions bénéficiaires de ces déductions.
Dans ce cas particulier des VRP, l'existence, depuis de nombreuses années, d'un barème administratif du prix de revient kilométrique des véhicules automobiles permettant l'évaluation forfaitaire des frais de déplacement professionnels, qui représentent avec les frais d'hébergement et de restauration près de 80 % du total des frais déduits par les membres de cette profession, facilite d'ores et déjà grandement aux intéressés l'exercice d'une option pour les frais réels. Elle leur permet même, pour un kilométrage parcouru de 50 000 kilomètres par an - qui serait la moyenne de la profession selon ses propres représentants - de bénéficier d'une déduction de frais mieux adaptée pour évaluer les frais réellement engagés, alors même que la déduction supplémentaire était plafonnée à 50 000 francs.
Compte tenu de ces éléments, je ne pense pas que votre amendement soit utile, et je vous demande de bien vouloir le retirer. Si tel n'était pas le cas, l'avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-64, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 57.
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° II-43, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, après l'article 57, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 4 de l'article 197 du code général des impôts est complété par le membre de phrase suivant : "; pour un couple marié soumis à l'imposition commune, le montant de l'impôt est diminué dans la limite de son montant, de la différence entre 6 700 francs et son montant."
« II. - Les dispositions du I ci-dessus s'appliquent aux revenus perçus à compter de l'année 2000.
« III. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du I et du II ci-dessus sont compensées par la majoration, à due concurrence, des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° II-18, MM. Fréville, Badré, Mme Bocandé et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 57, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 4 de l'article 197 du code général des impôts est complété par le membre de phrase suivant : "; pour un couple marié soumis à imposition commune, le montant de l'impôt est diminué, dans la limite de son montant, de la différence entre 6 700 francs et son montant ;"
« II. - La perte de recettes pour l'Etat est compensée à due concurrence par la réduction de l'exonération de taxe intérieure sur les produits pétroliers prévue à l'article 265 bis 1- b du code des douanes. »
Par amendement n° II-19, MM. Fréville, Badré, Mme Bocandé et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 57, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 4 de l'article 197 du code général des impôts est complété par le membre de phrase suivant : "; pour un couple marié soumis à imposition commune, le montant de l'impôt est diminué, dans la limite de son montant, de la différence entre 5 020 francs et son montant ;" ;
« II. - La perte de recettes pour l'Etat est compensée à due concurrence par la réduction de l'exonération de taxe intérieure sur les produits pétroliers prévue à l'article 265 bis 1- b du code des douanes. »
Par amendement n° II-63, MM. Oudin, Besse, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Joyandet, Ostermann et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 57, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A compter de l'imposition des revenus de 2000, dans le 4 I de l'article 197 du code général des impôts, la somme : "3 350 francs" est remplacée par la somme : "2 280 francs".
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus est compensée à due concurrence par un relèvement des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés à l'article 403 du même code. »
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° II-43.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous vous souvenez sans doute, que lors de l'examen des articles de la première partie du projet de loi de finances, notre collègue M. Yves Fréville a présenté,...
M. Denis Badré. Avec beaucoup d'éloquence et de conviction !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... avec la connaissance du droit fiscal que chacun lui connaît, un amendement relatif à ce qu'on a appelé la « conjugalisation » de la décote au titre de l'impôt sur le revenu.
Le mécanisme de la décote, qui est conçu pour retarder l'entrée dans le barème des contribuables célibataires modestes, aboutit paradoxalement, comme l'a fort bien montré M. Fréville en s'appuyant sur des arguments chiffrés, à pénaliser certains couples mariés soumis à imposition commune. A l'évidence, on ne peut considérer comme normal que les mêmes personne bénéficient deux fois de la décote lorsqu'elles sont imposées séparément et n'en bénéficient plus qu'une seule fois lorsqu'elles se marient, ce qui se traduit par un surcroît d'impôt significatif.
Les calculs montrent que ce mécanisme défavorise surtout les couples formés de deux personnes qui travaillent lorsque celles-ci sont de condition modeste ou moyenne, c'est-à-dire lorsque leur revenu imposable est inférieure à 10 000 francs de revenus salariaux par mois et pour le couple.
Dans l'exemple que nous donnait M. Yves Fréville, le passage devant M. le maire pour se marier représentait pour les intéressés un supplément d'impôt de 2 700 francs, ce qui constitue une contre-incitation à se marier, qui ne peut bien sûr être acceptée.
Par cet amendement qui a vocation à être un signal pour l'avenir et pour une future réforme de la fiscalité, notamment une réforme de la fiscalité sur le revenu que nous appelons de nos voeux, nous voulons dire qu'il faut cesser de pénaliser fiscalement le mariage, qu'il serait préférable de l'avantager pour des raisons de stabilité sociale et de bonne éducation des enfants, plutôt que de le pénaliser, comme c'est le cas, dans certains situations telle celle qui a été mise en évidence par notre collègue M. Fréville.
M. le président. La parole est à M. Badré, pour défendre les amendements n°s II-18 et II-19.
M. Denis Badré. M. le rapporteur général vient de rappeler très clairement de quoi il s'agit.
Voilà quelques jours, dans cet hémicycle, la clarté de l'exposé et la qualité du plaidoyer de M. Yves Fréville, qui a mis toute sa force de conviction pour défendre ce dossier, ont, je crois, emporté l'adhésion de tous. Aujourd'hui, je reprends modestement son exposé, je me fais le porte-parole de la même thèse et met au service de celle-ci une conviction au moins égale à celle qu'ont exprimée nos collègues MM. Marini et Fréville. Je dénonce simplement ce qui serait une incitation au non-mariage dans la situation actuelle et, inversement, ce qui est une injustice pour les personnes mariées. Je demande que cette situation cesse.
L'amendement n° II-19 est un amendement de repli par rapport à l'amendement n° II-18. Ce dernier prévoit que, pour un couple marié soumis à imposition commune, le montant de l'impôt est diminué, dans la limite de son montant, de la différence entre 6 700 francs et son montant. Quant à l'amendement n° II-19, il dispose que le montant de l'impôt est diminué de la différence entre 5 020 francs et son montant.
M. le président. La parole est à M. Braun, pour défendre l'amendement n° II-63.
M. Gérard Braun. Nous avons la même préoccupation et nous différons seulement sur les chiffres. Aussi, je retire cet amendement au profit de celui qui a été présenté par M. le rapporteur général.
M. le président. L'amendement n° II-63 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s II-18 et II-19 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission est évidemment très favorable à l'amendement n° II-18 puisqu'il prévoit, comme celui que j'ai présenté, que le montant de l'impôt est diminué de la différence entre 6 700 francs et son montant. Elle préfère cette rédaction à la version de repli présentée dans l'amendement n° II-19.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s II-43, II-18 et II-19 ?
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Permettez-moi, monsieur le rapporteur général, d'attirer votre attention sur le fait que l'exemple que vous citez concerne le cas très spécifique de personnes qui vivent en concubinage. Or, il me paraît extrêmement réducteur de limiter la problématique du sujet qui a été abordé à ce simple aspect de la question. En effet, la décote a été instituée pour corriger, au profit des contribuables célibataires de condition modeste, les effets d'un barème progressif conçu en tenant compte du système du quotient familial, celui-ci constituant une technique très favorable pour les contribuables soumis à l'imposition commune qui bénéficient du quotient conjugal.
M. Jean Chérioux. Pour ce qu'il en reste ! Il n'en reste pas grand-chose !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. En outre, le bénéfice de la décote a été étendu en 1987 à l'ensemble des contribuables. Sa « conjugalisation » - je ne sais si je dois employer ce terme - ne se justifie toutefois pas dès lors que son objectif n'est pas d'instituer un seuil directement proportionnel à la situation de famille.
Or, ainsi que M. le Premier ministre l'a annoncé, le Gouvernement conduira en 2000 une réflexion sur les impôts directs pesant sur les ménages. La question de la décote sera naturellement examinée à cette occasion. Si, comme vous l'avez dit, cet amendement est un signal, vous pourriez enregistrer ce signal et nous en resterions là. Je suis donc défavorable à cette disposition.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-43.
M. Michel Moreigne. Je demande la parole contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. Nous considérons que, si des réformes doivent être accomplies s'agissant de l'impôt sur le revenu, elles doivent intervenir de manière globale, et non au coup par coup, par des touches sans grande cohérence.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Moreigne. Certes, les ressauts d'imposition, lorsque le contribuable se retrouve soumis à l'impôt sur le revenu, constituent un problème important, qu'il faut résoudre. Un rapport de M. Bourguignon l'a suffisamment démontré. Mais, à nos yeux, cela ne concerne pas la seule décote appliquée à l'imposition des couples mariés.
M. le secrétaire d'Etat a confirmé à l'instant qu'une réforme d'ensemble est prévue pour l'année prochaine. Il nous semble préférable d'attendre cette réforme pour résoudre cette question.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ces amendements présentés par nos collègues de la majorité sénatoriale concernent l'application des dispositions correctrices du barème de l'impôt progressif. Vous souhaitez, mes chers collègues, à travers ces amendements, donner une sorte de prime aux couples mariés qui subiraient les conséquences un peu perverses de l'application actuelle de la décote.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cela vous choque-t-il ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président de la commission du finances, je souhaite faire un petit rappel.
Une part essentielle des contribuables au titre de l'impôt sur le revenu est aujourd'hui constituée de personnes seules. Je crois même qu'aujourd'hui pratiquement un foyer fiscal sur deux est dans ce cas. Le dispositif de décote s'applique donc à l'ensemble de ces foyers fiscaux.
En la matière, il y a une diversité de situations. Il convient notamment de souligner que la décote n'est pas, si l'on peut dire, une prime aux unions illicites, d'autant que le débat récent que nous avons mené sur le pacte civil de solidarité a abondamment montré que les liens du mariage n'étaient plus - on peut le regretter comme l'admettre une bonne fois pour toutes - la condition sine qua non de la définition d'un projet de vie commune. Je doute, de surcroît, que les personnes qui vivent en union libre pensent aussi d'abord, dans leur choix, à l'optimisation fiscale qui peut découler de leur situation. Ou bien ce serait à désespérer de la nature humaine.
Sur le fond, d'ailleurs, le système de la décote a été mis en place non pas pour favoriser les couples non mariés, mais pour tenir compte de situations de ressources modestes. On ne peut, par exemple, oublier que des célibataires rémunérés au SMIC sont aujourd'hui imposables, compte tenu des règles de calcul en vigueur. La véritable question est la suivante : qu'est ce qui fait que notre pays compte autant de salariés sous-rémunérés, que les revenus de remplacement sont parfois si faibles - regardez les allocations chômage. Il ne s'agit pas d'une prétendue amoralité fiscale, qui ne profiterait qu'aux couples illégitimes, terminologie un peu poussiéreuse.
C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas ces amendements.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'ai vraiment rien compris !
M. Denis Badré. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi reporter à demain la suppression d'une injustice qui est avérée dès aujourd'hui ? Pourquoi reporter l'examen à demain de cette question, alors que nous l'avons examinée attentivement et de manière très approfondie ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Denis Badré. Je préfère que nous supprimions cette injustice tout de suite. Ainsi, nous confirmerons que le mariage est une valeur fondatrice de notre société et nous affirmerons clairement - il me paraît important de le faire aujourd'hui - qu'elle doit le rester.
MM. Emmanuel Hamel et Gérard Braun. Très bien !
M. Denis Badré. Monsieur le président, je précise que je retire l'amendement n° II-18 au profit de celui qui a été présenté par la commission. Pour l'instant je ne parle pas de l'amendement n° II-19 puisque son destin dépendra du sort qui sera réservé à l'amendement de la commission.
M. le président. L'amendement n° II-18 est retiré.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-43, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, une article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 57, et l'amendement n° II-19 n'a plus d'objet.

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