Séance du 13 décembre 1999







M. le président. « Art. 57. _ I. _ Après le premier alinéa de l'article 99 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le livre-journal mentionné au premier alinéa comporte, quelle que soit la profession exercée, l'identité du client ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires. »
« II. _ Le 4 de l'article 102 ter du même code est complété par les mots : " , l'identité des clients ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires ".
« III. _ Le deuxième alinéa de l'article 1649 quater G du même code est supprimé.
« IV. _ Il est inséré, dans le livre des procédures fiscales, un article L. 13-0 A ainsi rédigé :
« Art. L. 13-0 A . _ Les agents de l'administration des impôts peuvent demander toutes informations relatives à l'identité des clients ainsi qu'au montant, à la date et la forme du versement afférent aux recettes de toute nature perçues par les personnes dépositaires du secret professionnel en vertu des dispositions de l'article 226-13 du code pénal. Ils ne peuvent demander de renseignement sur la nature des prestations fournies par ces personnes. »
« La présentation spontanée par ces personnes de documents comportant d'autres informations que celles mentionnées au premier alinéa n'affecte pas les procédures d'imposition mises en oeuvre par l'administration. »
« IV bis. _ Dans l'article L. 86 A du livre des procédures fiscales, les mots : " par l'adhérent d'une association agréée " sont supprimés et les mots : " cet adhérent " sont remplacés par les mots : " le contribuable ".
« V. _ S'agissant du droit de contrôle, les dispositions du présent article s'appliquent aux opérations enregistrées à compter du 1er janvier 2000. »
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, je vous propose, pour éviter des redites et alléger la tâche de tout le monde, de renoncer à ce droit de parole au bénéfice des deux amendements que j'ai déposés sur l'article et que vous me permettrez sans doute de présenter ensemble.
M. le président. Je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° II-12 rectifié est présenté par MM. Murat, Bernard, Bizet, Blanc, Braun, Braye, Calmejane, Ceccaldi-Raynaud, Cornu, de Cuttoli, Darcos, Dejoie, Delong, Descours, Dufaut, Fournier, Giraud, Gruillot, Larcher, Lassourd, Laurin, Leclerc, Le Grand, Lemaire, Michaux-Chevry, Neuwirth, Ostermann, Peyrat, de Richemont, Rufin, Taugourdeau, Vasselle, Vial, Besse et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
L'amendement n° II-16 est déposé par M. Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° II-77 est présenté par M. Trucy et les membres du groupe des Républicains et indépendants.
Tout trois tendent à supprimer l'article 57.
Les trois suivants sont également identiques.
L'amendement n° II-44 est déposé par M. Marini au nom de la commission des finances.
L'amendement n° II-17 est présenté par M. Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° II-78 est déposé par M. Trucy et les membres du groupe des Républicains et indépendants.
Tous trois tendent à supprimer le IV de l'article 57.
La parole est à M. Braun, pour défendre l'amendement n° II-12 rectifié.
M. Gérard Braun. Cet amendement a pour objet de supprimer l'article 57, qui, d'une part, enfreint le secret médical et qui, d'autre part, est contraire à une directive européenne devant entrer en vigueur le 1er mars prochain et disposant que le secret professionnel est un droit inaliénable.
Un arrêt du Conseil d'Etat de 1998 a même réaffirmé le principe du respect de ce secret, estimant que tout redressement fiscal après un contrôle ayant enfreint ce principe était nul et non avenu.
M. le président. La parole est à M. Huriet, pour défendre l'amendement n° II-16.
M. Claude Huriet. Bien évidemment, je souscris aux arguments qui viennent d'être exposés, non seulement quant au rappel de la jurisprudence du Conseil d'Etat, jurisprudence constante, mais aussi quant aux conséquences que pourrait avoir ce qui nous apparaît comme une manière de contourner le principe fondamental et jamais contesté la préservation du secret médical.
M. le président. La parole est à M. Trucy, pour défendre les amendements n° II-77 et II-78.
M. François Trucy. L'article 57 étend à toutes les professions médicales la faculté donnée à l'administration fiscale de connaître l'identité des clients des membres des professions libérales, ainsi que la date du versement des honoraires. A ceux qui s'émurent - et ils furent nombreux - de cette entorse au secret médical à des fins fiscales, il fut répondu, dans la presse et ailleurs, qu'après tout il ne s'agissait que d'étendre une procédure qui existait déjà, ne serait-ce qu'à l'égard des praticiens médicaux qui adhèrent à des centres de gestion agréés.
Ce cas existe effectivement, mais il est un élément qui devrait rassurer pleinement l'administration fiscale : le fait que, depuis de très nombreuses années l'ensemble des honoraires des praticiens, quelle que soit leur spécialité, fait l'objet d'un relevé du SNIR - Syndicat national interrégimes - en fin d'année. Il y a belle lurette que les déclarations des médecins sont conformes à ces documents et collent donc à la réalité !
J'ajouterai qu'il ne suffit pas de ne donner que le noms, les actes, les adresses et les dates de versement des clients pour penser que le secret médical est respecté car si l'on va dans un centre de cancérologie, ce n'est pas pour soigner une grippe ! Si l'on va dans un centre de traitement des maladies sexuellement transmissibles, ce n'est pas pour traiter une angine ! Aller dans certains endroits et donner son nom pour qu'il figure dans un relevé, c'est pratiquement permettre son identification, et donc permettre le viol du secret professionnel.
C'est pourquoi notre groupe présente deux amendements : l'un visant à supprimer l'article 57 et l'autre, par défaut, tendant à supprimer le paragraphe IV de cet article.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° II-44.
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'article 57 vise deux objectifs qu'il ne faut pas confondre.
En premier lieu, il tend à aligner les obligations comptables de tous les titulaires de bénéfices non commerciaux soumis au secret professionnel, en second lieu, il comporte des innovations par rapport au régime préexistant. Ce sont ces innovations que nous critiquons tout particulièrement.
Sur le premier point, je rappellerai que tous les membres des professions libérales sont tenus de remplir un livre-journal servi au jour le jour et présentant le détail de leurs recettes et de leurs dépenses professionnelles.
En revanche, seuls les professionnels adhérant à une association de gestion agréée doivent établir des documents comptables qui comprennent, conformément à l'article 1649 quater G du code général des impôts, quelle que soit la profession exercée, l'identité du client ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires.
La commission n'est pas opposée à l'extension des obligations comptables actuellement applicables aux adhérents d'associations de gestion agréées à tous les membres des professions libérales soumis à la règle du secret professionnel.
Mais l'article comporte une disposition infiniment plus critiquable en son paragraphe IV, qui vise à autoriser l'administration fiscale à accéder aux informations et aux documents relatifs à l'identité des clients, à la date et à la forme du versement afférents aux recettes de toute nature perçues par les personnes dépositaires du secret professionnel, dans le cadre d'une vérification de comptabilité.
De plus, et d'une façon que je qualifierai de particulièrement insidieuse, cet article précise que la présentation spontanée par les personnes soumises à une vérification de comptabilité de documents comportant d'autres informations n'affecterait pas la régularité des procédures d'imposition mises en oeuvre par l'administration.
Le terme « spontané » fait penser - pardonnez cette image - aux « aveux spontanés » qui parfois sont obtenus dans le cadre de procédures pénales.
Je crois devoir rappeler que les jurisprudences que le Gouvernement s'efforce de combattre par cette disposition ont été confirmées très récemment.
La Cour de cassation, par une décision du 18 mars 1997, a renouvelé le principe selon lequel « les dispositions relatives au secret professionnel font obstacle à ce que l'identité d'un malade soit divulguée sans son consentement ».
Le Conseil d'Etat, quant à lui, par une décision du 7 juin 1998, a jugé que les dispositions du code pénal « font obstacle à ce que les membres des professions auxquelles elles s'appliquent fassent connaître à des tiers les noms des personnes qui ont recours à leurs services ou à leurs soins. Bien que les agents des services fiscaux soient eux-mêmes tenus au secret professionnel, il ne saurait être dérogé en leur faveur, sauf dispositions législatives expresses, à la règle édictée par l'article 378 du code pénal, y compris dans le cas où ils entendent faire usage, pour les besoins des contrôles qu'ils doivent effectuer, de renseignements contenus dans des documents obtenus auprès de l'autorité judiciaire ».
J'ajoute que le Conseil d'Etat, par un arrêt du 20 janvier 1999 - c'est encore plus récent -, a confirmé un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes qui estimait que les dispositions en vigueur du code général des impôts et du livre des procédures fiscales « n'ont pas et ne peuvent avoir pour effet de permettre à l'administration des impôts d'avoir connaissance, par l'intermédiaire d'organismes de sécurité sociale, de faits couverts par le secret médical, au nombre desquels figure le nom des patients ».
Mes chers collègues, cette affaire est grave et les professionnels concernés ne s'y sont pas trompés.
Il n'est pas possible d'accepter une telle entorse au principe de portée générale du secret professionnel. D'ailleurs, si la mesure envisagée par le Gouvernement devait s'appliquer, il y aurait bien conflit de droit entre, d'une part, les obligations que les professionnels sont toujours tenus de respecter en termes de secret professionnel, obligations qui sont assorties de sanctions pénales, et, d'autre part, les facilités que se donnerait l'administration fiscale en vertu de la législation que l'on veut ici nous faire approuver.
Il est clair que, avec le terme très général, très vague, d'« informations » qui figure dans le texte de l'article 57, nous serions conduits à une mise en cause à dimension variable, et probablement grave dans bien des cas, du secret professionnel. Ce terme ne permet en aucun cas de circonscrire les demandes de l'administration fiscale.
En votant cette disposition, nous donnerions donc à cette dernière des pouvoirs de contrôle extrêmement puissants, remettant en question le fragile équilibre établi en 1982 lors de la fixation du dispositif concernant les professionnels affiliés à un centre de gestion agréé.
Du reste, je ne résiste pas au plaisir d'évoquer certains des commentaires qu'avait suscités, en 1982, l'instauration de ce dispositif. Christian Pierret, votre collègue, monsieur le secrétaire d'Etat, qui a d'ailleurs occupé le banc du Gouvernement tout au long de la discussion des articles la première partie, et qui était, en 1982, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, avait tenu des propos plus que réservés sur le dispositif proposé par le gouvernement d'alors. Il avait notamment eu cette phrase, à laquelle chacun pourra souscrire : « Les libertés du citoyen doivent prendre le pas sur les facilités administratives. »
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tout est dit !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout est dit par cette seule phrase, en effet !
Nous avons ici, mes chers collègues, un devoir, qui est de préserver et de conforter le secret professionnel, car des conséquences extrêmement dommageables pourraient résulter de la disposition que l'on nous demande, en cet instant, d'adopter.
Dans les arguments opposés aux parlementaires qui ont contesté le bien-fondé de cette mesure, on a en fait confondu ce qui a trait à la tenue des comptabilités et ce qui concerne le secret professionnel.
En outre, mes chers collègues, je vous laisse imaginer ce que peut avoir de « spontanée » la présentation d'informations dans le cadre d'une vérification fiscale, lorsqu'un vérificateur « campe » à domicile et utilise naturellement tous les moyens qui lui sont conférés par le code des procédures fiscales ! Il s'agit évidemment d'une spontanéité toute particulière !
Nous ne pouvons vraiment pas accepter, monsieur le secrétaire d'Etat, d'aller dans la voie qu'on nous invite à suivre. Je me permets de le dire avec quelque solennité, car j'ai le sentiment que cette proposition est faite précisément pour contrer les jurisprudences très claires qui ont été confirmées ces dernières années tant par la Cour de cassation que par le Conseil d'Etat. Il me semble que, dans cette affaire, l'administration fiscale veuille avoir raison envers et contre tous, y compris contre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat, en l'occurrence protecteurs des libertés individuelles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Huriet, pour défendre l'amendement n° II-17.
M. Claude Huriet. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais qu'il n'y ait pas d'ambiguïté dans la position que mes collègues et moi-même nous efforçons de faire valoir.
En effet, l'objectif affiché par le Gouvernement est la lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent. Comment ne serions-nous pas d'accord sur cet objectif ? C'est sur les moyens dont le Gouvernement souhaite disposer pour atteindre ce but que nous divergeons fondamentalement.
J'approuve les arguments qui ont été développés à l'instant par M. le rapporteur général et qui rejoignent ceux qu'avait avancés, voilà quelques années à peine, M. Christian Pierret, alors rapporteur général de l'Assemblée nationale.
Ce qui est en cause, en effet, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est la préservation des libertés et de la vie privée.
Il se trouve que plusieurs d'entre nous ont célébré, il y a quelques jours seulement, le cent cinquantième anniversaire de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris. A cette occasion, non seulement des médecins mais aussi de nombreux représentants des associations de malades se sont émus du fait que, en raison du développement de certaines techniques de communication, le secret médical risquait d'être de plus en plus largement bafoué.
En vérité, dans ce débat, nous sommes face à un dilemme : si nous donnons à l'administration fiscale de tels moyens, pour renforcer, ce qui est apparemment l'objectif du Gouvernement, sa lutte contre la fraude, nous ne pouvons le faire qu'au détriment de libertés fondamentales.
Monsieur le secrétaire d'Etat, qu'arrivera-t-il si, en cas de vérification de comptabilité, les agents de l'administration des impôts demandent des informations relatives à l'identité des clients et si le médecin refuse de les donner ? Le médecin sera-t-il sanctionné, soupçonné, ou sera-t-il finalement contraint, sous les pressions dont M. le rapporteur général vient de faire état, de céder et de révéler l'identité de ses clients ?
Enfin, le dispositif adopté à l'Assemblée nationale va à l'encontre d'une directive européenne qui prévoit que le secret professionnel est un droit inaliénable. Cette directive devra d'ailleurs être transposée en droit français à compter du 1er mars 2000. Comment concilier cette obligation pour notre pays de transposer une directive européenne et les entorses que, à travers ces dispositions, on nous demande d'apporter au secret professionnel ?
Pour toutes ces raisons, je demande au Sénat, s'il ne juge pas devoir supprimer l'ensemble de l'article 57, au moins d'en supprimer le paragraphe IV.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s II-12 rectifié, II-16 et II-77 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces amendements tendent à supprimer la totalité de l'article 57, et cela peut se comprendre. Leur adoption reviendrait en fait à maintenir le statu quo .
Cependant, on peut distinguer, comme je me suis efforcé de le faire voilà quelques instants, deux parties dans cet article. Il y a, d'un côté, des précisions concernant les obligations comptables et, d'un autre côté, l'innovation consistant dans l'accès de l'administration fiscale aux informations relatives à l'identité des clients, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature perçues par les professionnels concernés, à quoi s'ajoute la disposition particulièrement inopportune portant sur la présentation dite « spontanée » de documents. C'est cette deuxième partie qui est manifestement constitutive d'entorses au secret professionnel.
Si nous voulons que le Sénat ait une position parfaitement compréhensible sur ce sujet, mieux vaut accepter le maintien de l'équilibre établi depuis 1982 en ce qui concerne les adhérents à un centre de gestion agréé. Mieux vaut donc accepter l'alignement des obligations comptables de tous les professionnels concernés et refuser avec énergie les dérives matérialisées par le paragraphe IV.
Je suggère donc aux auteurs des amendements n°s II-12 rectifié, II-16, II-77, puisque leurs motivations sont les mêmes que les nôtres, de bien vouloir les retirer au bénéfice des amendements identiques qui se bornent à supprimer le paragraphe IV de l'article 57.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements ?
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je voudrais rappeler quelle est, pour le Gouvernement, la portée exacte de l'article 57.
Cet article correspond à une levée seulement partielle du secret professionnel.
En premier lieu, il étend à tous les membres des professions libérales soumises au secret professionnel les obligations comptables qui sont actuellement celles des membres de ces mêmes professions lorsqu'ils adhèrent à une association de gestion agréée. Il s'agit de la tenue d'un livre-journal qui récapitule les versements d'honoraires avec le nom du client et la date du versement. Ce document est accessible aux agents de l'administration en cas de contrôle de comptabilité. La tenue de ce document comptable et son contrôle sont nécessaires pour valider les recettes qui sont déclarées à l'administration.
Cette disposition a été instaurée, pour les membres des associations de gestion agrées, par la loi de finances de 1983. Je souligne que, en dix-sept ans, elle n'a donné lieu à aucun incident.
En second lieu, l'article 57 permet l'accès des agents des impôts, lors d'un contrôle de comptabilité, à toutes les informations comptables et extra-comptables qui sont utiles à son contrôle et qui peuvent porter identité des clients.
L'exemple typique est celui du carnet de rendez-vous. Le vérificateur doit pouvoir procéder au décompte du nombre de rendez-vous du professionnel pour vérifier qu'il n'est pas supérieur à ce qui est déclaré à d'administration. Il y a donc une levée partielle du secret professionnel, limitée à l'identité des clients, le texte précisant bien que les agents de l'administration ne peuvent pas avoir accès à la nature des prestations fournies.
Il ne s'agit surtout pas, pour le vérificateur, de relever les noms des clients et encore moins de réaliser des fichiers de clients. Pour que ce soit possible, il faudrait que le texte de l'article 57 l'autorise explicitement. Or il ne le fait en aucune façon.
Il convient d'observer qu'il s'agit d'une levée partielle indispensable pour la réalisation du contrôle. Afin de procéder à une vérification de comptabilité, les agents de l'administration doivent pouvoir accéder aux informations comptables et extra-comptables détenue par un professionnel de façon à valider la cohérence d'ensemble de la comptabilité et des sommes déclarées. Or certaines informations ne sont pas accessibles dès lors qu'elles peuvent comporter des noms de clients.
En pratique, il est donc impossible de contrôler les recettes d'un membre de profession libérale soumis au secret professionnel. Cette impossibilité introduit une rupture d'égalité entre les citoyens face aux charges fiscales.
Cete situation découle de la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui a jugé, en 1998 et 1999, que la procédure de vérification était viciée, et donc les impositions correspondantes irrécouvrables, dès lors que le vérificateur avait pu avoir accès à des documents ou informations comportant le nom du client.
Il ne s'agit cependant évidemment pas de contrer une jurisprudence du Conseil d'Etat, contrairement à ce qui est affirmé par certains, y compris dans cette assemblée.
Hubert Haenel. Heureusement !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. En effet, le Conseil d'Etat a rappelé, dans son arrêt de 1998, que cette interdiction d'accès s'imposait, sauf disposition législative expresse. Il a donc implicitement jugé qu'une disposition législative pouvait introduire cette levée partielle. D'ailleurs, lors de l'examen du projet de l'article 57, le Conseil d'Etat n'a émis aucune objection.
J'ajoute qu'il s'agit d'une dérogation limitée du secret professionnel de façon à maintenir un équilibre entre les nécessités du contrôle et l'indispensable préservation de la vie privée.
Les règles du secret professionnel ne sont pas de valeur supra-législative. Le secret professionnel est instauré par l'article 226-13 du code pénal. D'ailleurs, l'article 226-14 du même code prévoit des possibilités de dérogation, dès lors que celles-ci sont précisées par un texte législatif. Ces possibilités de dérogation sont parfaitement reconnues par la Cour de cassation, laquelle considère que les règles du secret professionnel n'interdisent pas aux agents de l'administration fiscale d'avoir accès à l'identité des client, des membres de professions libérales soumises au secret professionnel. Sur ce point, il y a donc une divergence de jurisprudence avec le Conseil d'Etat.
Pour répondre plus précisément à M. le rapporteur général, je préciserai que la Cour de cassation juge, depuis 1966, que les règles du secret professionnel n'ont pas pour effet d'interdire aux agents de l'administration fiscale d'avoir accès, dans le cadre du contrôle qu'ils exercent, à l'identité des clients de membres de professions libérales soumises au secret professionnel.
Cette position a été encore confirmée par un arrêt du 29 avril 1996 : après avoir relevé que « les agents de l'administration se sont bornés à examiner, pour les besoins de leur contrôle, les documents comptables obligatoires et deux états informatiques ayant les caractéristiques de feuilles de recettes et mentionnant, notamment, le nom des clients et le montant des honoraires payés », la Cour de cassation a jugé que « l'exploitation de tels documents qui ne comportaient aucun renseignement d'ordre médical sur les patients ne saurait constituer une violation du secret professionnel. Par conséquent, pour la Cour de cassation, seul l'accès à la nature des prestations est interdit aux agents de l'administration fiscale.
Un arrêt plus récent de la Cour de cassation a pu être évoqué au cours du débat pour affirmer qu'il y avait eu un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 18 mars 1997, la cour aurait jugé que « les dispositions relatives au secret professionnel font obstacle à ce que l'identité d'un malade soit divulgée sans son consentement ». Il s'agit, en réalité, d'une phrase qui est sortie de son contexte. Le litige portait, tout d'abord, sur un cas de figure très différent puisqu'il ne concernait pas le droit d'accès de l'administration fiscale. Dans le cadre d'un litige privé entre deux médecins, la cour d'appel avait ordonné une expertise et l'expert avait eu accès aux dossiers médicaux des patients, et non pas seulement à leur identité. Au surplus, la cour s'est prononcée, en fait, non pas sur l'accès de cet expert au dossier, mais sur les risques de divulgation de l'identité des clients qui en découlaient.
Après avoir énoncé le principe selon lequel l'identité des clients ne pouvait être divulguée, la Cour de cassation a reconnu la possibilité d'accès de l'expert aux dossiers médicaux, dès lors que les précautions nécessaires avaient été prises pour éviter les risques de divulgation. La cour a ainsi jugé qu'il appartient au juge, lorsqu'une expertise impliquant l'accès à des informations couvertes par le secret médical est nécessaire à la manifestation de la vérité, de prescrire des mesures efficaces pour éviter la divulgation de l'identité des malades aux consultants.
Il ne s'agit donc pas d'un revirement de jurisprudence. D'ailleurs, cet arrêt n'a pas du tout été relevé comme tel par les commentateurs. La cour s'inscrit dans la continuité de sa jurisprudence en admettant la levée limitée du secret professionnel, ici pour un expert, avec des précautions nécessaires.
Un parallèle peut d'ailleurs être établi sur ce point avec les agents de l'administration fiscale qui sont eux-mêmes tenus au secret professionnel, ce qui répond aux précautions relatives à l'absence de divulgation prescrite par la Cour de cassation. C'est notamment grâce à cette sécurité que la cour admet l'accès des agents de l'administration aux noms des clients.
A la différence de la jurisprudence de la Cour de cassation, monsieur le rapporteur général, celle du Conseil d'Etat, très restrictive, s'oppose à ce que les vérificateurs puissent, exception faite des adhérents d'associations agréées, avoir connaissance de l'identité des clients des membres des professions libérales soumises au secret professionnel. Cette jurisprudence résulte d'une application stricte des textes législatifs en vigueur. En effet, l'arrêt Chung du 7 juin 1998 indique, sans équivoque, que l'accès d'un vérificateur à l'identité des patients vicie la procédure, à défaut - j'insiste sur ce point - de dispositions législatives expresses.
Cette même approche restrictive a conduit le Conseil d'Etat, par l'arrêt Méas rendu le 20 janvier 1999, à sanctionner l'exploitation, par un vérificateur, d'informations strictement nominatives contenues dans les relevés récapitulatifs fournis par les différents organismes de sécurité sociale.
L'objet de l'article 57 du projet de loi de finances est donc de créer la disposition législative, dont le principe a été expressément réservé par la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui permettra aux agents de l'administration d'avoir accès à l'identité des clients, et seulement l'identité des clients.
Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur général, des propos tenus voilà dix-sept ans par mon collègue Christian Pierret, alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale. Je ne sais pas si je dois y voir de la malice. En tous les cas, je suis certain qu'il ne dirait pas autre chose aujourd'hui et voici pourquoi.
Il s'agissait alors, pour me replacer dans le contexte de l'époque, d'un amendement hâtif. Je ne crois pas que tel soit le cas du texte dont nous débattons aujourd'hui. Celui-ci a fait l'objet, comme il se doit, d'une discussion entre le Gouvernement et le Conseil d'Etat et il a été rendu public le 15 septembre dernier.
S'agissant de la recherche d'un équilibre entre la nécessité de lutter contre l'évasion fiscale et le respect des libertés publiques et privées, vous convenez vous-même dans votre rapport, monsieur le rapporteur général, que dans ce texte, la démarche du Gouvernement est conforme à ce principe fondamental.
En ce qui concerne l'atteinte portée à la vie privée par la divulgation à un tiers du fait qu'une personne a consulté tel médecin spécialisé, cela a suscité à l'époque, de la part de Christian Pierret, un certain nombre de réserves. Voilà, me semble-t-il, la réaction juste d'un démocrate sincère et voici le bilan qu'il pourrait en tirer aujourd'hui devant vous.
Un inspecteur des impôts, vous le savez, n'est pas un tiers comme les autres. Il est soumis à une obligation de secret professionnel absolu. Les professions médicales ne sont pas seules en cause, même si elles sont, et de très loin, les plus largement adhérentes d'associations de gestion agréées.
En seize années, le dispositif de la loi de finances de 1983 n'a connu aucun incident imputable à l'administration fiscale. La jurisprudence, et c'est son rôle, a précisé le droit dans plusieurs cas limites ; je pense, notamment, à la décision du 7 juin 1998 du Conseil d'Etat que cite votre rapport. Cela a parfois eu pour conséquence de faire tomber des procédures d'imposition. Le texte qui vous est soumis corrige le tir sur certains points.
Tout cela nous montre au moins une chose : le vrai débat, c'est l'imposition des professions libérales et l'égalité devant l'impôt, et non pas le secret de la vie privée auquel ce Gouvernement, comme celui de 1982, est bien sûr profondément attaché.
M. Hubert Haenel. Comme tous les gouvernements !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. L'explication est longue ! Vous avez beaucoup de choses à vous faire pardonner !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Pour conclure, j'indique que je suis défavorable aux amendements n°s II-12 rectifié, II-16, II-77, II-44, II-17 et II-78.
M. le président. Monsieur Braun, l'amendement n° II-12 rectifié est-il maintenu ?
M. Gérard Braun. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° II-12 rectifié est retiré.
Monsieur Huriet, l'amendement n° II-16 est-il maintenu ?
M. Claude Huriet. Je le retire également.
M. le président. L'amendement n° II-16 est retiré.
Monsieur Trucy, l'amendement n° II-77 est-il maintenu ?
M. François Trucy. Si je n'avais eu que les seules réponses de M. le secrétaire d'Etat, j'aurais maintenu cet amendement tendant à supprimer l'article 57. Toutefois, M. le rapporteur a formulé des propositions.
En effet, à partir d'un carnet de rendez-vous - on y a fait allusion tout à l'heure - de cancérologues, de psychiatres ou de vénérologues, comme on les appelait autrefois, on peut, derrière l'identification du praticien, déterminer la maladie du patient.
Si le serment d'Esculape impose aux médecins le secret médical - et il l'a fait bien longtemps avant que la fiscalité soit une dominante des rapports financiers entre l'Etat et les praticiens - c'est pour protéger non pas la fiscalité des médecins, pour ne parler que d'eux, mais l'identité du malade et sa personnalité.
Par conséquent, je me rallie à la proposition de M. le rapporteur général. Elle instaure, en effet, un équilibre et elle donne une preuve au Gouvernement que, par ces attendus, nous cherchons à protéger non pas quelque fraude que ce soit, mais l'essentiel, c'est-à-dire le secret médical, qui mérite d'être conservé.
Je retire donc les amendements n°s II-77 et II-78, monsieur le président.
M. le président. Les amendements n°s II-77 et II-78 sont retirés.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si j'ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous dites que le Gouvernement préconise à la fois une levée partielle et une levée indispensable du secret professionnel.
S'agissant de la levée partielle, les trois premiers alinéas de l'article 57 suffisent. Le paragraphe IV n'est pas nécessaire, car vous alignez les obligations comptables. Or nous sommes déjà parvenus à un équilibre à cet égard. Vous avez dit vous-même que cela n'avait pas suscité d'incidents d'application en ce qui concerne les affiliés aux centres de gestion agréés. Par conséquent, point n'est besoin, je le répète, du paragraphe IV !
Vous préconisez également une levée indispensable du secret professionnel. J'avoue ne pas comprendre, là non plus, la raison d'être de ce paragraphe IV, car l'administration dispose déjà de moyens très étendus. En fait, ce paragraphe IV serait essentiel pour éviter que ne soient considérés comme non valables des procédures ou des contentieux qui seraient fondés sur des informations que l'on a soutirées indûment et en marge de la loi.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par conséquent, c'est l'administration qui veut se protéger, compte tenu de la jurisprudence, et qui vous inspire cette disposition. Elle pousse toujours plus loin l'inquisition à l'égard des particuliers, notamment des professions libérales.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite vous poser une question de fond. Permettez-moi de vous relire l'article 226-13 du code pénal : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, je croirais plus volontiers à votre bonne foi, plus exactement à celle du Gouvernement, si, au-delà de l'article 57 que vous présentez, vous proposiez une modification du code pénal tendant à atténuer les sanctions prévues par cet article 226-13. En effet, si l'article 57 est voté en l'état, l'administration fiscale va accéder à des informations nominatives de nature à porter préjudice à des tiers, donc à des clients de ces professionnels libéraux. Croyez-vous que ces clients ne vont pas, un jour ou l'autre, se retourner contre les professionnels libéraux en question ? Croyez-vous que ces professionnels libéraux ne seront pas, un jour ou l'autre, traînés devant les prétoires pour atteinte au secret professionnel et violation de l'article 226-13 du code pénal ?
Ne serait-il pas plus simple et plus clair qu'enfin une coordination ministérielle existe et que la Chancellerie soit un peu plus associée à des textes de cette nature qui, je le maintiens, portent atteinte à des libertés publiques ?
M. Hubert Haenel. La création d'une grande direction des affaires juridiques au ministère des finances a complètement effacé les directions juridiques du ministère de la justice !
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'ai la faiblesse de penser, cher collègue, qu'il existe encore un ministre de la justice ! D'ailleurs, elle s'est exprimée ce matin à cette tribune. Par conséquent, il doit être possible de concevoir, sur le plan interministériel, une approche de cette question.
S'il y a levée des obligations du secret professionnel, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut également lever les sanctions correspondantes et il importe de le prévoir dans le code pénal, et pas seulement dans le code général des impôts !
Je crois pouvoir dire que ce dispositif est improvisé et excessif et qu'il ne peut en aucun cas être approuvé par le Sénat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je souhaite simplement vous rappeler, monsieur le rapporteur général, que, depuis 1982, l'administration fiscale accède à des informations nominatives pour les associations agréées sans qu'aucun incident n'ait été signalé.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Restez-en là !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je vous rappellerai, par ailleurs, en réponse aux risques que vous évoquez, que les agents de l'administration fiscale sont tenus au secret professionnel. Je ne leur fais ni l'injure ni le procès de croire que cela puisse poser problème, pas plus d'ailleurs que ne me permettrait de le faire l'expérience de la gestion de ces affaires depuis longtemps.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. M. le rapporteur général nous a très bien rappelé que la commission des finances ne souhaite pas s'opposer à ce que les obligations comptables auxquelles sont soumis les membres d'associations agréées soient étendues à ceux qui ne le sont pas, pour montrer, précisément, qu'il ne s'agit en aucune façon d'empêcher que le contrôle ne puisse s'effectuer. En revanche, il a beaucoup insisté sur le paragraphe IV de l'article 57, qui vise à étendre l'ampleur et la portée du contrôle que vous vous êtes attaché à essayer de réduire.
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, ne faites pas de nous - nous ne l'accepterons pas - le greffier de vos bureaux !
Mettez-vous à la place de vos bureaux : ils ont un métier qui consiste à lever l'impôt et à le faire dans des conditions conformes à la loi. Ils vont donc vous demander en permanence des moyens légaux supplémentaires. Si vous ne veillez pas à ce que la limite protectrice des libertés publiques et des libertés individuelles ne soit pas franchie, nous allons nous retrouver un jour dans un régime totalitaire sans nous en être aperçus et sans l'avoir voulu !
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Si j'en juge aux éléments d'information que vous portez à notre connaissance, j'y vois le germe d'un certain manque d'attention au regard de grands principes, singulièrement au regard des libertés publiques et des libertés individuelles.
Vous nous dites - je trouve l'expression charmante - que les fonctionnaires des impôts sont soumis au secret professionnel...
M. Hubert Haenel. Sauf pour Le Canard enchaîné ! (Sourires).
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Mais de qui se moque-t-on ? Prenez le cas du médecin cancérologue. On le choisit d'abord pour sa compétence, certes, mais aussi parce que l'on sait qu'il a certaines valeurs et qu'il respectera un certain nombre de règles, notamment celle du secret professionnel. Quand on va chez son inspecteur des impôts, ce n'est pas le secret professionnel qui motive vraiment, sauf peut-être pour vous, monsieur le secrétaire d'Etat, mais parce que vous êtes vraiment un contribuable parfait. (Nouveaux sourires.)
Pour que vos inspecteurs des impôts puissent en savoir plus sur les clients, parce que c'est de cela qu'il s'agit, vous allez tenter d'obtenir l'autorisation pour vos bureaux d'en connaître davantage non pas sur les redevables de l'impôt, mais sur leurs clients, y compris sur les difficultés qu'ils rencontrent. Cela, nous ne le voulons pas. Vous pouvez peut-être l'obtenir d'une majorité qui vous obéit, mais pas de cette maison, car elle a une haute idée des libertés individuelles et des libertés publiques. Elle a choisi de n'être le greffier de personne. Elle a le souci d'instaurer un certain équilibre et, franchement, ce que vous nous proposez ne va pas dans ce sens.
D'ailleurs, l'insistance du Gouvernement nous ferait presque regretter de ne pas rejeter l'ensemble de l'article 57 ! (Sourires.) Dieu merci ! M. le rapporteur général est modéré, et il ne nous propose de n'en rejeter que les dispositions réellement insupportables. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je comprends bien que le Sénat est dans son rôle de gardien des libertés, mais je ne veux pas laisser penser que le Gouvernement n'est pas animé de la même préoccupation.
M. Jean Chérioux. C'est à prouver !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. J'ai clairement indiqué tout à l'heure, en me référant à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui est aussi, me semble-t-il, en ce domaine, gardienne des libertés, que telle n'était pas la volonté du Gouvernement. Simplement, celui-ci souhaite, sans porter atteinte le moins du monde aux libertés, donner à l'administration fiscale l'efficacité qu'elle ne peut avoir si elle n'a pas accès à certaines informations. Cela ne va pas au-delà.
Je le répète, le droit en vigueur, qui s'impose aux agents du fisc, offre suffisamment de garanties pour que l'on ne puisse pas dresser un tableau aussi pessimiste et aussi noir de la situation que nous voulons créer.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s II-44 et II-17.
M. Bernard Angels. Je demande la parole contre ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Cet article a provoqué un certain émoi, car il a été dit qu'il s'attaquait au secret professionnel, notamment au secret médical. Si tel était le cas, notre groupe serait le premier à s'insurger. Mais il n'en est rien. En effet, il s'agit simplement d'aligner la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de secret professionnel sur celle de la Cour de cassation, d'unifier les obligations des contribuables exerçant des professions libérales et de renforcer par là même les moyens du contrôle fiscal.
Par cette disposition, les membres de professions libérales non adhérents à des associations de gestion agréées, soit seulement 25 % d'entre eux, devront, comme leurs collègues adhérents, également faire figurer dans leur comptabilité les noms de leurs clients et le montant des honoraires versés.
Il n'y a, dans cette extension, aucun élément contraire au secret professionnel et médical, à moins de penser que les membres des associations de gestion agréées acceptent cette mise en cause.
Monsieur le rapporteur général, il ne s'agit pas pour l'administration fiscale de se lancer dans une recherche d'informations sur les clients d'un avocat ou d'un médecin. Cette disposition rappelle simplement que la vérification de comptabilité peut être réalisée afin de s'assurer de la réalité des informations que l'administration fiscale reçoit.
Sans vérification de comptabilité, il n'y a plus de réel contrôle fiscal.
De plus, je vous rappelle que la procédure de vérification de comptabilité est très encadrée, et vous savez bien qu'en qualité de rapporteur spécial de services financiers je m'y attache tout particulièrement.
Enfin, l'Assemblée nationale a introduit des protections supplémentaires en rappelant la règle selon laquelle les agents des impôts ne pouvaient demander des renseignements sur la nature des prestations fournies et a prévu explicitement que tous les contribuables membres de professions libérales bénéficiaient de l'article L. 86 A du livre des procédures fiscales aux termes duquel il ne peut y avoir, de la part de l'administration, de demandes de renseignements sur la nature des prestations fournies pour un membre d'une profession non commerciale soumise au secret professionnel.
Ainsi, les craintes exprimées sont, je crois, infondées. Notre groupe votera contre ces amendements de suppression.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vois absolument pas, dans une matière aussi délicate que celle dont nous parlons en cet instant, en quoi peut consister une « dérogation limitée » ou une « levée partielle ». Un secret, on le garde ou on le livre !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Claude Huriet. Vous avez fait référence également aux propos tenus, voilà une quinzaine d'années, par M. Christian Pierret, disant que les choses avaient changé et que le contexte était différent. C'est vrai, les choses ont beaucoup changé en quinze ans. On parle beaucoup plus désormais des droits du malade. Je crois savoir d'ailleurs que le Gouvernement a l'intention de déposer prochainement sur le bureau des assemblées un texte dans lequel précisément seront défendus les droits du malade.
Or, actuellement, monsieur le secrétaire d'Etat, s'il y a un droit auquel les malades tiennent particulièrement, c'est le droit au secret médical, et plus encore que par le passé. En effet, avec cette notion extensive de ce « secret partagé », ils ont le sentiment, et je crains malheureusement qu'ils ne se trompent pas toujours, qu'à force d'être « partagé », le secret médical n'existe plus.
Permettez-moi aussi de relever une sorte de contradiction de la part du Gouvernement. J'ai lu dans les journaux ces derniers temps que la question de la publication des PACS n'était pas encore réglée. Il semble, en effet, qu'un courant, peut-être majoritaire, s'oppose à cette publicité au motif que, à travers le PACS, on serait amené à évoquer tel ou tel comportement qui ne serait pas accepté par la société. Permettez-moi de vous dire que les dispositions que le Gouvernement défend actuellement sont bien pires que les effets que pourrait avoir la publicité, somme toute normale, des PACS. Car il existe en ville, monsieur le secrétaire d'Etat, des médecins dont on sait qu'ils sont spécialistes des maladies infectieuses et qu'ils ont en charge plus particulièrement des séropositifs. Comment éviter, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'à l'occasion d'un contrôle fiscal, alors que le médecin ne pourra pas, semble-t-il, ne pas livrer les informations relatives à l'identité de ses clients - bien que vous n'ayez pas répondu clairement à ma question sur ce point - que l'administration n'établisse un lien et ne déduise des consultations répétées auprès de tel ou tel médecin la présence de telle ou telle pathologie ?
Pour toutes ces raisons, il va de soi, monsieur le secrétaire d'Etat, que le groupe de l'Union centriste votera les amendements de suppression du paragraphe IV de l'article 57.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je voudrais simplement poser une question complémentaire à M. le secrétaire d'Etat.
Le texte qui nous est proposé par l'article 57 n'est-il applicable qu'en matière de vérification de comptabilité ou serait-il applicable dans le cadre de la procédure unilatérale du droit à communication ?
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, bien entendu, cette procédure s'applique exclusivement dans le cadre des vérifications de comptabilité.
Je saisis cette opportunité pour répondre à M. Huriet qu'il s'agit pour l'administration d'avoir accès à l'identité des clients, et aucunement à la nature des prestations fournies.
Par conséquent, je crois utile de répéter que ce texte ne met pas en cause le secret dans ce qu'il a d'essentiel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-44 et II-17, repoussés par la Gouvernement.

(Ces amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 57, modifié.

(L'article 57 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 57