Séance du 10 décembre 1999







M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la sécurité.
La parole est à M. Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la question : « qu'est-ce qu'un bon budget ? », chacun sera d'accord pour admettre qu'il n'est de meilleure réponse que : « celui qui dégage des moyens suffisants pour permettre la réussite d'une politique antérieurement définie ».
Dans le cas contraire, ce ne peut être que l'échec. Ce fut le cas, souvenez-vous-en, avec les budgets qui suivirent l'adoption, en 1995, de l'ambitieuse loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité par la majorité de l'époque. Je pense notamment ici à celui que nous avons trouvé en 1997 et qui accusait une diminution de 0,35 % des crédits alloués à la police.
La situation est exactement inverse aujourd'hui.
En effet, le projet de budget de l'intérieur pour 2000 confirme, avec encore plus de netteté, l'engagement prioritaire pris par le Gouvernement en faveur de la sécurité quotidienne de nos concitoyens. Dans la droite ligne des orientations données par le Premier ministre lors du colloque de Villepinte en 1997 et confirmées par les conclusions du conseil de sécurité intérieure de janvier dernier, le ministère de l'intérieur franchit, avec ce projet de budget pour 2000, une nouvelle étape dans sa réforme de la police nationale, entreprise voilà deux ans.
Cette réforme se concrétise, pour une large part, par le projet de généralisation d'une police de proximité. En effet, comme l'a rappelé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, toute personne vivant sur le territoire de la République a droit à la sécurité, les plus faibles et les plus démunis plus encore que les autres.
C'est pourquoi cette réforme engendre une modification profonde de l'organisation des forces de police et des méthodes de travail. A travers elle se profilent désormais de nouvelles responsabilités et de nouveaux devoirs.
Face à la montée du sentiment d'insécurité, nos concitoyens se tournent vers l'Etat. Cette année encore, monsieur le ministre, vous avez entendu leur demande.
Ainsi, accrus dès 1997, les crédits alloués au projet de budget de l'intérieur pour l'an 2000, que nous examinons aujourd'hui, s'inscrivent dans la même tendance.
Avec une augmentation de 3 %, alors que les dépenses de l'Etat ne progressent que de 0,9 %, le budget de l'intérieur apparaît bien comme une priorité pour le Gouvernement ! De plus, pour la première fois, l'augmentation des moyens de fonctionnement est supérieure à celle des crédits de personnels. Oui, monsieur le ministre, votre budget pour 2000 est un bon budget !
Ces moyens permettront de poursuivre et de mener à bien la politique que vous avez définie, et qui s'articule principalement autour de la mise en oeuvre d'une action transversale, notamment avec les contrats locaux de sécurité, sur la mise en place d'une police de proximité et sur le redéploiement et l'accroissement des effectifs, ainsi que sur le renforcement des moyens de fonctionnement.
Les contrats locaux de sécurité sont la traduction logique, sur le plan local, de l'approche transversale du problème de l'insécurité, que reflète, sur le plan national, l'institution du conseil de sécurité auprès du Premier ministre.
Ils tendent, par la mise en oeuvre d'une action partenariale regroupant les services de l'Etat - police, gendarmerie, justice, éducation nationale - et les collectivités territoriales, à un traitement plus cohérent et plus efficace du problème de la délinquance. Je n'ai pu que me réjouir, monsieur le ministre, avec, je pense, tous les élus de mon département, de ce que vous soyez venu signer dans les Bouches-du-Rhône trois contrats de ce type.
Le concept de police de proximité complète la notion de proximité géographique par celle de proximité sociologique et relationnelle. C'est pourquoi nous devons nous féliciter que davantage de jeunes de nos quartiers aient été reçus aux concours de gardien de la paix.
L'engagement de proximité, la priorité donnée au terrain se traduisent également par le recrutement des adjoints de sécurité, dont la présence est appréciée de tous, population et forces de l'ordre. Ils seront 20 000 à la fin de l'année prochaine. Pièce essentielle de la mise en oeuvre de la police de proximité, ils permettent de structurer et de renforcer les patrouilles d'îlotiers et d'améliorer les conditions d'accès aux services de police.
A la visibilité de l'action sur la voie publique de la police de proximité, l'on doit encore ajouter la fidélisation progressive, dans les zones fortement urbanisées des départements sensibles, de compagnies de CRS, la coordination avec les polices municipales et l'îlotage.
Monsieur le ministre, j'ai cité l'îlotage comme étant l'un des éléments clés de la police de proximité. Il répond en effet à un besoin exprimé par la population d'identifier les responsables de la sécurité.
Permettez-moi, en tant que maire d'arrondissement, de revenir à mon département des Bouches-du-Rhône, et plus précisément à Marseille, où nous avons pu installer, dans le plus vieux quartier de la ville, et pour la première fois, une vigie d'îlotage en liaison téléphonique permanente avec les habitants.
Cette installation, à laquelle il sera très prochainement procédé dans un autre arrondissement du centre-ville, va dans le sens du rapprochement entre les agents de la force publique et les habitants de nos quartiers. Il s'agit là d'une traduction concrète de votre politique, monsieur le ministre ! Et les résultats sont là ! Dans le IIIe arrondissement de Marseille, réputé difficile, les chiffres de la délinquance, pour les dix premiers mois de l'année, ont reculé de 30 % !
C'est ce type de démarche visant à la mise au point de projets locaux qui, monsieur le ministre, sera à mon sens mis en exergue en mars prochain, lors des assises nationales de la police de proximité.
Ce qu'il convient enfin et surtout de retenir, c'est la perspective d'une confiance renforcée entre les citoyens et leur police, une police qui a droit à la reconnaissance des Français pour l'accomplissement de la tâche difficile qui est la sienne.
En ce qui concerne l'accroissement des effectifs et le renforcement des moyens de fonctionnement, là encore le projet de budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, et que nous approuvons évidemment sans réserve, permettra d'anticiper les prochaines étapes.
Outre la progression de 5 % des crédits de fonctionnement, qui amènera une plus grande efficacité dans l'utilisation des moyens, l'évolution du budget permettra de résoudre les problèmes d'encadrement des actuels et futurs adjoints de sécurité.
Ainsi, pour pallier la baisse des effectifs, conséquence du nombre élevé de départs en retraite, vous allez procéder au recrutement anticipé, en 1999, de plus de 1 600 élèves gardiens de la paix en surnombre, et de près de 1 000 en 2000. Nous ne pouvons que louer votre effort et celui du Gouvernement.
Enfin, je n'aurai garde d'oublier le plan de création sur trois ans de 1 500 postes d'agent local de médiation, symbolisant tout à la fois l'accroissement des moyens humains, le souci de la proximité et celui de la complémentarité partenariale. Créés par la loi du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes, ils doivent être pourvus dans le cadre des contrats locaux de sécurité par les collectivités locales, les associations, les sociétés de transport et les bailleurs sociaux.
Pour autant, ne nous leurrons pas !
En dépit d'une politique volontariste et pérennisée, la délinquance ne disparaîtra pas du jour au lendemain par un coup de baguette magique.
Son traitement est un processus complexe qui, au-delà de votre champ d'action, doit prendre en compte la lutte contre le chômage et l'exclusion, objectif prioritaire du Gouvernement, l'amélioration du cadre de vie, la rénovation de l'habitat dégradé et bien d'autres facteurs encore. Il ne faudra pas moins qu'une mobilisation collective de l'ensemble des acteurs nationaux et locaux pour y parvenir.
Pour ce qui vous concerne, monsieur le ministre, vous êtes sur la bonne voie. Vous avez toute notre confiance, et ce que nous vous demandons, c'est de persévérer avec la détermination que nous vous connaissons. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de budget du ministère de l'intérieur, qu'il me revient de vous présenter, atteint 54,2 milliards de francs, hors dotations aux collectivités locales et hors crédits relatifs aux élections, ce qui représente une augmentation de 3 %, qui doit se comparer - comme l'ont relevé plusieurs intervenants, en particulier M. Guérini - à la hausse générale des dépenses de l'Etat, laquelle ne dépassera pas 0,9 % l'an prochain.
Cette progression des crédits de mon ministère, trois fois plus forte que celle du budget général, doit être comparée à une hausse qui, en 1999, atteignait 2,96 %, alors que la croissance des dépenses générales de l'Etat était de 2,2 %.
J'ajoute que le projet de loi de finances rectificative ouvre 385 millions de francs de crédits supplémentaires au bénéfice des services du ministère de l'intérieur, dont notamment 97 millions de francs de crédits de fonctionnement pour la police nationale. Au total, ce sont donc 2 milliards de francs supplémentaires qui seront affectés à la sécurité et à l'administration du territoire.
En tout cas, la détermination du Gouvernement à répondre aux attentes de nos concitoyens, je tiens à le dire ici, est entière. Ceux-ci placent la sécurité au premier rang de leurs préoccupations.
A cet égard, tous les intervenants, notamment MM. les rapporteurs, se sont fait l'écho d'un certain nombre de soucis, voire d'inquiétudes. Je voudrais qu'ils sachent que le Gouvernement est très conscient de la réalité des problèmes de l'insécurité. Il n'est pas dans mon intention d'en faire un fantasme, ni à l'inverse de sombrer dans un catastrophisme systématique qui n'aurait pas non plus lieu d'être car, comme l'a relevé M. Guérini à l'instant, nous observons des signes d'amélioration, notamment à Marseille et à Lyon, ainsi qu'à Paris pour les deux derniers mois de l'année. Ainsi, s'agissant des expériences de police de proximité, les réactions qui nous parviennent sont très positives. Pour autant, je ne veux aucunement dissimuler les problèmes.
J'évoquerai tout à l'heure les conséquences, pour la sécurité civile, de la mise en oeuvre de la départementalisation et de la professionnalisation, mais j'aborderai tout d'abord les problèmes de sécurité.
J'ai entendu certains intervenants, M. Courtois en particulier, évoquer la croissance de la petite délinquance, la délinquance de masse, celle qui « pourrit » la vie dans les quartiers. C'est malheureusement une réalité, et il est vrai que le nombre des délits est certainement supérieur aux statistiques que nous enregistrons sur la base des dépôts de plaintes ou des infractions constatées.
Il existe un chiffre noir. A ce propos, je pense qu'il ne faut pas prendre à la lettre les résultats de l'enquête de l'INSEE sur les chiffres réels, car nombre des faits allégués ne sont ni des crimes ni des délits, mais relèvent du domaine contraventionnel. J'ai étudié de près cette étude de « victimation ». On constate par exemple que les menaces sont soixante-six fois plus fréquentes qu'il n'apparaît dans nos statistiques, et que les injures le sont cent quinze fois. On voit donc bien que le vécu de la population ne se reflète pas forcément dans les chiffres de la criminalité et de la délinquance. Il s'agit d'autre chose, de ce que l'on appelle quelquefois les « incivilités ». Ce problème est bien réel, et le développement de la police de proximité doit permettre de lui apporter une réponse.
M. Courtois a évoqué les violences urbaines. Si la statistique des Renseignements généraux fait apparaître une augmentation de leur nombre, une étude approfondie de cette statistique démontre que ce sont en réalité les violences de faible intensité qui augmentent fortement - les dégradations, par exemple - et que les violences de forte intensité, telles les émeutes urbaines, notamment, ont tendance non pas seulement à marquer le pas mais même à régresser. D'ailleurs, depuis le début de l'été, le nombre de violences urbaines enregistrées est plutôt sur une pente descendante. Mais je ne veux pas m'aventurer à généraliser des évolutions qui sont dans le court terme.
Sur le long terme, mesdames, messieurs les sénateurs, en prenant la base 100 en 1990, la délinquance et la criminalité se situent maintenant à l'indice 103. Sur la décennie, l'évolution n'a donc absolument rien de catastrophique. Mais elle n'en est pas moins préoccupante, car, je vous le rappelle, il y a 3 500 000 crimes et délits, ce qui est considérable.
Plusieurs intervenants ont évoqué le problème de la délinquance des mineurs. S'il m'est arrivé d'évoquer les « sauvageons », c'était plutôt pour fustiger ceux qui n'avaient pas greffé l'arbre : un sauvageon est en effet un arbre non greffé. (Sourires.) La responsabilité me paraît donc se situer au niveau surtout des parents, voire peut-être des enseignants. Cela ne signifie pas que j'ai pour autant une quelconque complaisance à l'égard d'actes qui, quelquefois, sont effrayants par la violence qu'ils révèlent. J'avais d'ailleurs employé le mot « sauvageon » à l'occasion du meurtre d'une épicière de Pavilly, en Seine-Maritime, commis par un enfant de quatorze ans.
L'évolution de la délinquance des mineurs continue malheureusement de croître. Pour les dix premiers mois de cette année, l'augmentation est de 5,94 %. Si, pour certains délits, tels les incidents liés à la voiture, par exemple, la moitié des délits est effectivement imputable à des mineurs, il n'en va pas de même pour la délinquance générale : à cet égard, les mineurs sont en cause pour un quart à peu près des délits, même si, pour la délinquance de voie publique, leur proportion atteint 39 %, ce qui est considérable.
La difficulté du traitement de cette délinquance vient - vous le savez bien - du fait qu'un mineur âgé de moins de seize ans ne peut pas être incarcéré. Il a donc fallu prendre un certain nombre de mesures : ainsi, des centres de placement immédiat strictement contrôlés ont été créés à ma demande par le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier et mis en place par la protection judiciaire de la jeunesse, sous l'égide du ministère de la justice. Il en existe quinze aujourd'hui, mais il en est programmé cinquante.
De même, vingt-neuf centres éducatifs renforcés ont été créés ou sont en voie de création - cent sont prévus - le but étant de provoquer une rupture dans la vie du jeune multirécidiviste.
Je voudrais faire justice d'une confusion inadmissible souvent entretenue entre « les jeunes », en général, et ces délinquants multirécidivistes, qui ne sont qu'une poignée : après avoir commis vingt, trente ou quarante infractions, ces jeunes délinquants finissent par devenir les rois du pavé, en tout cas des gens que l'on n'aime pas revoir sur le lieu d'un incendie ou d'une agression quelques heures après !
Cela pose le problème - cela relève de la compétence du juge des enfants - de savoir comment ces délinquants peuvent être éloignés et ramenés, par des mesures éducatives renforcées, à des comportements plus normaux. Nous sommes là en présence d'un immense problème de société et d'éducation. Il est bien évident qu'une société qui ne transmet plus ses valeurs est souvent une société qui n'y croit plus.
Je ne développerai pas davantage ce chapitre auquel, vous le savez, je suis très sensible. En effet, je me préoccupe du traitement de cette délinquance au quotidien. Il s'agit là d'un véritable problème qui a été posé au niveau du conseil de sécurité intérieure. Des mesures ont été prises. Ainsi, 680 emplois supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse ont été créés dans le budget du ministère de la justice pour 2000.
MM. Courtois et Vallet ont évoqué le problème des trafics de stupéfiants. J'ai donné des directives pour que l'action soit davantage orientée vers le démantèlement des réseaux de trafics locaux, en liaison avec la justice mais aussi avec l'administration des douanes, en utilisant la législation dite de « proxénétisme-stupéfiants » qui, dès lors que certains éléments de train de vie sont réunis, obligent les intéressés à faire la preuve de l'origine des fonds dont ils disposent. Ce problème est étroitement lié à celui des violences urbaines.
La question des reconduites aux frontières des étrangers en situation irrégulière a été évoquée. La loi qui a été adoptée comporte des aspects très libéraux du point de vue de la régularisation au titre des liens de famille ou dès lors que des conditions d'intégration sont véritablement réunies.
Mais à partir du moment où ces aspects libéraux s'appliquent, il doit aussi en être de même des autres aspects. Ayant constaté que, dans certains départements, moins de la moitié des arrêtés de reconduite à la frontière avaient été pris, j'ai donné des directives pour que la loi s'applique. C'est la condition de sa crédibilité.
Nous sommes en présence d'un phénomène considérable qui durera cinquante ans et même davantage. Il doit être clair que la France a le droit de dire qui peut s'installer sur son sol et qui ne le peut pas !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Nous avons délivré 155 000 titres de séjour nouveaux en 1998. La France a le droit de proportionner l'accueil d'étrangers à sa capacité d'intégration. Je vois les problèmes que peut poser l'afflux d'immigrants irréguliers dans certains départements, et notamment sur le plan scolaire. Par rapport aux prévisions de l'inspection d'académie, les chiffres de primo-arrivants sont doubles ou triples. Cela explique la baisse du niveau et les difficultés qui se répercutent sur le reste de la population. J'appelle donc chacune et chacun à prendre conscience du fait que nous avons des devoirs non seulement d'accueil mais aussi de solidarité et de cohésion sociale. Il incombe à la République de trouver l'endroit juste où placer le curseur.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est ce que nous faisons !
S'agissant de la Corse, je voudrais quand même dire à cette tribune que les taux d'élucidation en matière de criminalité et de délinquance en général y sont très supérieurs à ceux du continent, et ce pour une raison très simple : la densité policière.
De manière générale, le procès fait aux forces de police et de gendarmerie, ainsi qu'à la justice, ne me paraît pas juste.
Il n'est pas juste, par exemple, de dire que l'enquête sur l'assassinat du préfet Erignac a été retardée ; le fait que certaines notes ont peut-être cheminé avec une certaine lenteur n'a pas du tout freiné la résolution de cette enquête, qui dépendait de l'analyse, du dépouillement d'un certain nombre de documents techniques dont la police judiciaire n'a pu disposer que tout à fait en fin de période, c'est-à-dire en avril ou mai 1999. Il y a donc là un procès qui n'est pas juste.
De même, il n'est pas juste de dire que Yvan Collona s'est enfui parce qu'un policier l'aurait prévenu d'une interpellation. Peut-être y a-t-il eu auparavant - mais longtemps auparavant - des rumeurs, comme toujours ; mais il faut quand même faire justice de ces bruits qui ne reflètent pas la réalité !
M. André Vallet, rapporteur spécial. Ce n'est pas le Sénat !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. L'action des forces de police, de gendarmerie et de la justice doit pouvoir se mener en Corse comme ailleurs...
M. Jean Chérioux. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Chérioux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Chérioux. Monsieur le ministre, vous avez évoqué « des bruits ». Qu'entendez-vous par là ? S'agit-il éventuellement des conclusions des commissions d'enquête parlementaires, ou ne s'agit-il simplement que de bruits ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je ne me prononce pas sur les conclusions d'enquête parlementaires.
M. Jean Chérioux. Ah bon ! Merci ! C'est ce que je voulais vous entendre dire !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je dis simplement qu'il ne faut pas confondre les temps et déduire l'existence d'une manoeuvre visant à prévenir in extremis un individu de son arrestation, alors qu'il n'a été mis en cause que la veille, à partir du relevé d'un certain nombre d'informations qui cheminent par des voies que je ne veux pas évoquer ici.
Je pense que ce sont des choses différentes. Mais permettez à celui qui a suivi cette enquête d'une manière continue depuis février 1998 de rappeler quand même que sa résolution en seize mois est un très beau résultat : les attentats commis par Action directe, par exemple, ont mis cinq ou six ans à être élucidés ! Il faut donc garder la mesure des choses. Le ministre de l'intérieur que je suis doit aussi assumer sa responsabilité et défendre ceux qui sont placés sous ses ordres et qui ont agi conformément aux orientations qu'ils ont reçues. Par conséquent, il faut toujours raison garder et éviter de tomber dans un masochisme qui n'a pas lieu d'être.
J'ai évoqué pour commencer les problèmes de la petite et moyenne délinquance au quotidien. Une réforme de la police de proximité est nécessaire. Certes, la police ne doit pas négliger ses missions traditionnelles de maintien de l'ordre public, pour lesquelles elle a un certain savoir-faire, comme l'ont prouvé, par exemple, la Coupe du monde de football et un certain nombre d'événements majeurs. Et l'on voit ce qui se passe quand, comme à Seattle, ces missions ne sont pas convenablement assurées. Sans négliger ses missions traditionnelles, la police doit trouver des réponses plus adaptées au traitement de la petite et moyenne délinquance. Cela implique une évolution profonde et progressive du métier de policier, lequel tendra de plus en plus à devenir un généraliste de la sécurité.
L'amélioration des services rendus aux usagers doit passer par une assistance personnalisée aux victimes, un développement du traitement judiciaire en temps réel, ce qui est à mon avis absolument essentiel dans la mesure où il faut, pour cette petite délinquance, une répression à la fois diversifiée et rapide. La mise en oeuvre de la police de proximité suppose de faire évoluer en profondeur les modes de travail de la police, en territorialisant son action, en responsabilisant les policiers, en introduisant la gestion par objectifs. Il faut aussi que cette action soit menée en partenariat avec les autres acteurs de la sécurité et fasse l'objet d'une évaluation et d'un suivi rigoureux.
Comme vous le savez, la préfecture de Paris a anticipé sur cette réforme de la police de proximité depuis le 18 avril dernier. Elle a mis en oeuvre un accueil du public sur une plage horaire élargie : 36 commissariats de police, au lieu de 20 auparavant, sont ainsi ouverts 24 heures sur 24. Voilà qui explique un nombre de dépôts de plaintes supérieur à ce qu'il était l'année précédente. Les services ont été réorganisés, notamment par la constitution d'une direction de la police urbaine de proximité. Les tâches relevant de cette police de proximité et de l'ordre public, les moyens alloués sont désormais mieux distingués de ceux qui sont consacrés à l'ordre public et à la circulation.
Dans les autres départements, la police de proximité, testée à partir du printemps dans cinq sites pilotes, a été élargie depuis le 1er octobre à soixante-deux sites dans trente-trois départements parmi les plus touchés par la délinquance.
Comme vous le savez, les premiers résultats feront l'objet d'un large échange à l'occasion des assises nationales de la police de proximité qui se tiendront le 30 mars 2000. Et la généralisation suivra au deuxième trimestre de l'an 2000 pour s'achever au premier semestre 2002.
Je ne vais pas développer l'aspect des contrats locaux de sécurité, qui va de pair, c'est évident, avec la police de proximité. D'ores et déjà, plus de trois cents sont signés ; un peu plus de quatre cents sont encore en cours d'élaboration. Il y a là un outil extrêmement puissant pour mobiliser les autres acteurs de la sécurité, au niveau non seulement des administrations, mais aussi des collectivités locales, des bailleurs sociaux, des compagnies de transports en commun, des associations.
Sur les trois cents contrats locaux de sécurité signés, il en est quatre-vingt-neuf qui sont intercommunaux et huit qui sont spécifiques aux transports publics. C'est dans ce cadre que sont recrutés les agents locaux de médiation sociale auxquels vous avez fait allusion tout à l'heure, monsieur Guérini. Il est effectivement prévu d'en recruter à terme 15 000 ; pour le moment, 8 000 seulement sont programmés, et 6 000 ont été recrutés.
Le budget qui accompagne cette réforme de la police de proximité met en place les moyens de sa réussite. J'aimerais vous en convaincre, car ce budget nous donne, à mon avis, les moyens d'agir avec efficacité.
La police est mobilisée : deux millions de personnes sont d'ores et déjà concernées, en France, par les expérimentations. Un intense dialogue s'établit et va se développer. Des programmes de formation ont été mis au point, une doctrine d'emploi a été précisément arrêtée.
C'est un grand défi qui est devant nous et que nous allons relever parce que nous savons que, ce faisant, nous devançons les attentes de la population.
Comme vous le savez, dans le même temps, le récent conseil de sécurité intérieure l'a d'ailleurs rappelé, 7 000 policiers et gendarmes supplémentaires doivent être redéployés dans les départements les plus sensibles d'ici à 2002.
Pour la police nationale, l'objectif est d'ores et déjà atteint en 1999 puisque nous avons redéployé 1 200 gardiens de la paix supplémentaires, et 700 gendarmes par ailleurs. Dans le même temps, 3 000 CRS et gendarmes doivent être fidélisés. En 1999, cette fidélisation aura concerné 900 CRS et 750 gendarmes mobiles.
Au total, en trois ans, ce sont 10 000 agents supplémentaires qui seront redéployés au bénéfice des vingt-six départements les plus sensibles qui concentrent plus des trois quarts de la délinquance.
Pour atteindre ce résultat, le problème de la répartition territoriale des forces de police et de gendarmerie a été posé ; vous le savez, puisque vous m'avez interrogé sur ce sujet. Le Gouvernement procède de façon concertée et progressive, au cas par cas. Les préfets ont engagé des discussions sur le plan local, concernant six circonscriptions, pour examiner si elles peuvent passer en zone de gendarmerie. Si cette concertation aboutit, la gendarmerie prendra en charge la sécurité dans ces circonscriptions, et près de 200 gardiens de la paix viendront renforcer ailleurs les effectifs de police. Quelques communes, dans le même temps, passeront en zone de police.
La réorganisation est également fondée sur une diminution des effectifs en administration centrale, une externalisation des tâches d'entretien et de réparation des véhicules, et une réduction des gardes statiques. Il faut là une volonté constante. Des procédures de passation de marchés ont d'ores et déjà été engagées. L'externalisation des tâches est coûteuse, il faut le savoir, puisque la remise sur le terrain d'un gardien de la paix revient à environ 100 000 ou 150 000 francs.
Le développement de la présence visible de la police passe également par une plus grande disponibilité opérationnelle.
Une expérimentation va être engagée pour diminuer le poids des récupérations horaires et pour augmenter la présence sur le terrain des effectifs de police, au moyen d'une indemnisation de repos compensateurs et d'heures supplémentaires pour les agents volontaires. Si cette expérimentation, comme je l'espère, est un succès, elle sera généralisée.
Il nous faut - j'ai déjà eu l'occasion de le signaler - faire face simultanément aux exigences de la modernisation de la police nationale, à son adaptation aux formes évolutives de la délinquance, et, par ailleurs, à une augmentation très forte du nombre des départs en retraite. Un quart des effectifs doit être remplacé entre 1999 et 2004, vous le savez.
Ce renouvellement rapide a pour conséquence une augmentation du nombre des agents en formation et une diminution des agents opérationnels, à effectif budgétaire stable. Le nombre des gardiens de la paix actuellement en école atteint ainsi le niveau tout à fait exceptionnel de 6 131 - du fait de la création en surnombre de plus de 250 postes en 1998 et de 1 664 postes en 1999.
Lors du dernier conseil de sécurité intérieure, le Premier ministre a décidé l'organisation d'un concours exceptionnel au début de l'an 2000, réservé à 1 000 anciens policiers auxiliaires, sur un « vivier » de 11 000 au total, pour lesquels, en raison de l'expérience acquise, la formation en école sera ramenée à six mois.
Cette décision permet de garantir que, dès la fin de l'an 2000, année de la généralisation de la police de proximité, les effectifs opérationnels retrouveront leur niveau de 1995, niveau auquel ils se stabiliseront ensuite.
Il faut bien comprendre que, si nous connaissons cette érosion des effectifs, c'est parce qu'il n'y a pas eu de prévision en ce qui concerne les recrutements et les mises en formation à la hauteur de ce qu'allaient être les départs à la retraite. Ce défaut de prévision va être corrigé.
Par ailleurs, des mesures catégorielles sont prises pour améliorer les fins de carrière - échelon exceptionnel, création des grades de brigadier et de brigadier major - de façon à inciter un certain nombre de gardiens de la paix à remettre en cause leur décision d'anticiper leur départ en retraite et de faire en sorte qu'ils restent dans les cadres jusqu'à cinquante-cinq ans.
Comme je vous l'ai dit, un effort de formation très important est le moyen de concilier le rajeunissement de la police et l'évolution de ses missions.
Vous le savez, j'ai créé une direction de la formation de la police nationale. Les assises de la formation et de la recherche dans la police nationale se sont tenues en février dernier, à la Villette. La définition d'un schéma directeur pour les années 1999-2002 est intervenue en mai-juin. La formation initiale est renforcée. Les programmes et les stages seront refondus pour mieux prendre en compte la police de proximité et l'ouverture à l'ensemble des acteurs de la sécurité. L'enseignement à la maîtrise des technologies nouvelles sera intensifié, la formation continue développée.
Il faut insister sur cet effort gigantesque de formation, qui s'est traduit par l'ouverture de plusieurs nouvelles écoles, notamment à Aix - Les Milles, à Montbéliard et à Soissons, et par l'augmentation des effectifs.
Pour les personnels administratifs, tous les diagnostics concordent, et encore récemment celui de la Cour des comptes, sur le fait que la police nationale est sous-administrée.
Je n'évoquerai pas les objectifs de la loi d'orientation et de programmation. Je dirai simplement que le budget 2000 renoue avec la création d'emplois administratifs puisque 100 nouveaux emplois de personnels scientifiques seront créés ; 20 ingénieurs et 80 techniciens de laboratoires supplémentaires renforceront les capacités d'enquête et d'expertise de la police judiciaire - ils permettront de développer les moyens des laboratoires spécialisés - mais aussi de la police technique de proximité : relevés d'empreintes et tout ce qui permet d'élucider rapidement un certain nombre de délits.

La mise en place des adjoints de sécurité permet de renforcer l'action des services de police, notamment pour les missions d'îlotage et d'accueil dans les commissariats. Placés sous la direction d'un tuteur, fonctionnaire du corps de maîtrise et d'application qui les accompagne dans leur parcours professionnel, ces jeunes adjoints de sécurité, dont je ne me lasserai pas de vanter les qualités, exercent leurs missions sous les ordres et la responsabilité de fonctionnaires actifs confirmés.
Leur programme de recrutement arrivera à son terme en 2000. L'effectif est, d'ores et déjà, de 13 000. L'inscription de crédits correspondant à 4 150 adjoints de sécurité permettra de passer à 20 000 d'ici à la fin de l'année prochaine. Comme vous le voyez, la montée en puissance du dispositif se fait à un rythme rapide, les écoles sont « pleines à ras bord », si je puis dire. Les recrutements d'adjoints de sécurité permettront de compenser la disparition progressive des policiers auxiliaires du fait de la suppression du service national ; 2 075 postes de policiers auxiliaires seront tout de même maintenus au budget en 2000.
La réforme de la police de proximité ne pourra réussir que si elle suscite l'adhésion des personnels. La mission de ceux-ci - soyez-en conscients - est difficile : elle exige tact, pondération, résolution, fermeté et détermination. Les conditions dans lesquelles elle est exercée font souvent l'objet de critiques injustes. Gustave Flaubert, dans le Dictionnaire des idées reçues, indiquait déjà au mot « policier » : « a toujours tort ». Je pense que cette tradition s'est malheureusement maintenue trop longtemps.
Il faut rappeler, certains l'ont fait avant moi, qu'en 1998 vingt fonctionnaires de police sont décédés dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et plus de 8 000 ont été blessés, dont près de 4 000 en service et 136 par arme. En énonçant ces chiffres, je voudrais rendre hommage au dévouement et au courage des fonctionnaires de police, qui accomplissent une tâche souvent très difficile dont il faut avoir pleinement conscience. (Applaudissements.)
Les modalités de la réforme de la police de proximité font bien évidemment l'objet d'une concertation approfondie avec les organisations syndicales. Des mesures en faveur des personnels les accompagnent et sont inscrites dans le projet de loi de finances.
Les principales mesures consistent en une revalorisation et une anticipation du versement de la prime de fidélisation dans les zones difficiles. Les officiers de police et les agents administratifs bénéficieront également de mesures indemnitaires revalorisées. Au total, les mesures indemnitaires atteignent près de 100 millions de francs, montant très élevé, c'est-à-dire quatre fois plus que ce qui a pu être accordé au cours des dernières années.
L'action sociale participe également de la politique en faveur des personnels. Sur la base du rapport Alexandre, les locaux de police sont mis aux normes d'hygiène et de sécurité. La montée en charge de la médecine de prévention et de la restauration chaude dans les commissariats se poursuit.
Une action importante est consacrée à la location aux fonctionnaires de police de logements à des conditions préférentielles. Le parc locatif du ministère de l'intérieur s'élève désormais à plus de 14 000 logements. L'effort sera orienté vers l'amélioration qualitative de l'offre en Ile-de-France et vers son développement dans certaines villes de province comme Lyon ou Nice.
J'en viens à la mise à niveau des moyens de fonctionnement et d'équipement.
La réussite de la police de proximité est évidemment conditionnée par le niveau des moyens matériels de fonctionnement et d'équipement. Le budget 2000 est une première étape dans la mise en place des mesures d'accompagnement. M. Peyronnet a souhaité, à juste titre, une certaine constance des moyens dans la durée ; cela est légitime. Si nous pouvons être satisfaits des dotations que nous avons obtenues en matière immobilière ou pour le programme de transmission numérique cryptée ACROPOL, il faut naturellement que ces efforts s'inscrivent dans la durée.
Les services doivent être dotés en plus grande quantité de véhicules légers, automobiles, scooters, et VTT, de locaux adaptés à un meilleur accueil du public ainsi que de moyens informatiques et de transmissions modernes. Les crédits de fonctionnement de la police nationale augmenteront en 2000 de 183 millions de francs, soit 5 % de plus qu'en 1999, auxquels il faut ajouter 97 millions de francs supplémentaires ouverts par la loi de finances rectificative. Au total, la progression des moyens de fonctionnement par rapport au budget 1999 atteint près de 8 %.
Ai-je besoin d'insister sur le fait que cette progression est très significative ? Elle permettra, outre la généralisation de la réforme de la police de proximité, la mise en oeuvre du programme d'externalisation des fonctions techniques et de résorption des gardes statiques pour lequel il faudra agir avec méthode et résolution dans la durée.
Le renouvellement du parc automobile devra être amélioré alors même qu'il a considérablement vieilli ces dernières années.
En matière d'équipement de la police, le projet de loi de finances permet de réaliser la tranche 2000 du très important réseau de télécommunication numérique cryptée ACROPOL. Jusqu'à présent, le Rhône, l'Isère, la Loire, trois départements de la région Picardie, la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine ont été équipés. Toute l'Ile-de-France et la Corse seront couvertes l'année prochaine. L'effort financier atteindra 400 millions de francs en autorisations de programme et 400 millions de francs en crédits de paiement en 2000. Les crédits de paiement seront en augmentation de plus de 80 millions de francs par rapport au budget de 1999, et complétés par la loi de finances rectificative à hauteur de 23 millions de francs. En outre, les ministères des finances et de l'intérieur ont conclu un cadrage pluriannuel de la dépense - je pense que cela répond tout à fait au voeu que plusieurs intervenants ont exprimé - au niveau de 400 millions de francs par an en autorisations de programme et en crédits de paiement, qui garantit en 2002 la couverture des zones qui concentrent 80 % de la délinquance de police et en 2007 celle de tout le territoire ; je rappelle que, à mon arrivée au ministère de l'intérieur, l'horizon se situait à 2014.
S'agissant des crédits immobiliers pour la police, les autorisations de programme ouvertes restent stables, mais les crédits de paiement sont en forte progression, de plus d'un tiers, passant de 417 à 571 millions de francs, soit 154 millions de francs de plus. L'exécution des travaux immobiliers ne sera donc pas ralentie par les contraintes budgétaires.
J'ajoute que le montant des crédits ouverts permettra notamment d'engager le programme de réorganisation immobilière lié aux aménagements rendus nécessaires par la police de proximité. Les casernements des compagnies républicaines de sécurité que vous avez évoqués, monsieur le rapporteur spécial, seront rénovés lorsque cela est nécessaire.
En outre, le collectif budgétaire ouvrira une enveloppe spécialement consacrée aux grands hôtels de police. Cette enveloppe pluriannuelle atteindra au total un montant de l'ordre du milliard de francs. Dès le collectif 1999, 500 millions de francs seront ouverts à ce titre en autorisations de programme et 150 millions de francs en crédits de paiement. Cela permettra de financer, en 2000, les travaux de construction des nouveaux hôtels de police de Bobigny, de Bordeaux et de Montpellier ainsi que de lancer la procédure pour ceux de Nantes, de Lyon et de Lille, et ultérieurement de Marseille. En effet, un grand projet doit trouver sa réalisation sur l'avenue la plus célèbre de Marseille.
Comme vous le voyez, mesdames, messieur les sénateurs, avec l'ouverture sur les autres acteurs de terrain, la réforme de ses modes d'intervention, le redéploiement au profit des départements très sensibles, la police nationale s'engage dans une mutation considérable. Je considère, et je pèse mes mots, que ce budget lui en donne les moyens.
Au-delà de l'exercice de la loi de finances annuelle, il me paraîtrait souhaitable de donner une plus grande visibilité à la modernisation de la police et à l'adaptation de l'action des services de police aux progrès de la technologie. Je m'attache ainsi à définir un cadre de modernisation pluriannuel à l'horizon 2004.
Je vais à présent aborder les problèmes relatifs à la sécurité civile et à la modernisation des structures de gestion des risques.
Dans le domaine de la sécurité civile, l'action de l'Etat vient, vous le savez, en renfort de celle des services locaux pour les incendies, les inondations et autres catastrophes. Par leur compétence et leur présence en tous points du territoire, les 240 000 sapeurs-pompiers, dont 80 % sont des volontaires - 28 000 des professionnels, 10 000 des militaires - constituent l'élément majeur du système de secours.
Les Français savent qu'ils peuvent compter sur les sapeurs-pompiers. Ils ont pleine confiance dans leurs compétences et leur dévouement. Ces femmes et ces hommes paient chaque année un lourd tribut : huit ont trouvé la mort en service depuis le début de l'année, dont six sapeurs-pompiers et deux démineurs. Je rends ici hommage à leur conscience et à leur exprit de sacrifice.
Le Gouvernement a trouvé, à son entrée en fonction, les deux lois du 10 mai 1996 concernant les services départementaux d'incendie et de secours. Je m'attache à mettre en oeuvre les réformes issues de ces lois, car je crois que, même si l'étude de leur impact financier n'a pas été menée à bien en son temps, elles donnent à notre pays les moyens de constituer à terme un grand service public moderne d'incendie et de secours.
De grands pas ont d'ores et déjà été franchis dans cette direction. Dans de nombreux départements, les négociations sont déjà très engagées pour transférer aux SDIS la gestion des effectifs professionnels et volontaires - 60 % des professionnels sont déjà transférés et 40 % des volontaires - ainsi que celle des moyens matériels et des biens immobiliers. Tous les conseils d'administration ont été installés et les instances du personnel constituées. Les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques ont été arrêtés par les préfets, après avis conforme du CASDIS, dans près de la moitié des départements. Ils le seront prochainement dans les autres.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure, il est inévitable que l'application d'une grande réforme n'aille pas sans quelques tensions, étant donné les écarts que fait apparaître la nécessité d'harmoniser, dans chaque département, les situations et les régimes.
Le régime indemnitaire des sapeurs-pompiers professionnels a déjà été harmonisé, refondu et simplifié. Ainsi, deux récents décrets du 15 septembre 1999 améliorent la situation des caporaux exerçant des fonctions de chefs d'agrès et des lieutenants exerçant des fonctions de chef de centre. L'accès au grade de sergent est également élargi. Un travail considérable a été accompli par la direction de la défense et de la sécurité civile.
De même, les modalités de calcul des vacations horaires des sapeurs-pompiers volontaires ont été précisées, leur protection sociale a été renforcée, notamment en ce qui concerne les conditions d'octroi de l'allocation de vétérance. Un décret destiné à moderniser leur statut doit être publié dans les tout prochains jours.
De nombreux élus sont préoccupés par le coût de cette réforme pour les finances locales. Il est regrettable que les conséquences financières des lois de 1996 n'aient pas été suffisamment évaluées à l'origine.
Nous avons adopté tout à l'heure des mesures correctrices, concernant la dotation globale d'équipement, qui permettront très rapidement de faciliter les programmes d'investissements, à concurrence de 350 millions de francs par an pour des programmes de l'ordre de 1 à 1,5 milliard de francs. A cela s'ajouteront des prêts à taux bas et à long terme de la Caisse des dépôts et consignations que je suis en train de négocier avec le concours du ministère de l'économie et des finances.
Le financement des SDIS est un vrai sujet, mais je suis persuadé que, après la période de remise à niveau, les conseils élus, en concertation avec les organisations syndicales, permettront d'organiser le mouvement dans de bonnes conditions.
Comme je l'ai déjà annoncé, j'installerai, le 16 décembre prochain, avec l'accord du Premier ministre, une commission de suivi et d'évaluation, qui sera présidée par M. Fleury, député de la Somme. Elle aura pour mission d'analyser les conditions de mise en oeuvre de la réforme de 1996 et de me présenter des propositions. J'attends celles-ci dès le début de l'année prochaine.
La mission de l'Etat consiste à prendre en charge les renforts nationaux, à faire face à des risques particuliers - chimiques, nucléaires, bactériologique ou explosifs - et à projeter les moyens outre-mer ou à l'étranger pour venir en aide à des populations en détresse. C'est ce qui s'est passé dans les Balkans avec les réfugiés kosovars, en Albanie, en Macédoine, en Turquie, après le séisme qui l'a durement frappée, en Grèce, à Taïwan, et tout récemment en Guadeloupe à la suite du passage du cyclone Lenny . Ces missions outre-mer témoignent de la qualité des capacités, reconnues à notre pays, de projection des unités de sécurité civile. De même, ces unités ont participé aux secours aux populations des quatre départements de l'Aude, du Tarn, de l'Hérault et des Pyrénées-Orientales, sinistrés par les inondations.
Le projet de budget entend adapter les moyens à la mesure des enjeux de la sécurité civile et de la prévention des risques.
La professionnalisation des unités, nécessaire du fait de la suppression du service national, n'est pas une petite affaire, mais elle sera achevée en 2001. Pour l'exercice 2000, 367 engagés et volontaires seront recrutés en contrepartie de la suppression du service d'appelés. Cette professionnalisation améliorera encore le caractère opérationnel des services et les renforcera face à de nouveaux risques, en particulier technologiques.
La professionnalisation de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, au budget de laquelle l'Etat contribue à hauteur de 25 %, conduit à la création de 442 emplois d'engagés et de volontaires, qui ne sont pas inscrits au budget du ministère de l'intérieur.
M. Jean Chérioux. Lourde charge pour la ville !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. L'Etat y prend sa part, je vous le rappelle.
Etant donné l'augmentation rapide du nombre des interventions, qui a progressé de plus d'un quart en dix ans, un remplacement nombre pour nombre des appelés a été décidé.
Un important effort d'équipement est parallèlement mis en oeuvre. Aux crédits prévus en loi de finances initiale s'ajoutent 37 millions de francs en loi de finances rectificative. Un Hercules C 130 de grande capacité sera loué l'an prochain pendant la saison des feux. L'utilisation, cette année, d'un tel avion a permis de démontrer sa complémentarité avec les Canadair et les Tracker. Un nouvel avion de liaison sera acquis sur les crédits du collectif, en remplacement d'un des deux Beechcraft. Le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de secours, engagé au plan financier, sera effectif en 2001. Ce programme ambitieux permettra d'acquérir 32 hélicoptères biturbines BK 117, plus performants pour l'ensemble des missions de sécurité civile.
Par ailleurs, le plan de revalorisation indemnitaire, mis en oeuvre en 1999 pour les pilotes d'avion, sera étendu en 2000 aux pilotes d'hélicoptère. Dans ce dernier cas, il sera la contrepartie de contraintes de formation et de travail liées au pilotage du nouvel hélicoptère.
Enfin, je voudrais évoquer l'importante mission de déminage dont M. Courtois, au nom de M. Laurin, nous a entretenu. Cinq cents tonnes de munitions sont mises au jour chaque année. Le dépôt de Laon-Couvron, mis en service en 1998, après l'arrêt des destructions en baie de Somme et la fermeture du dépôt du Crotoy, sera agrandi. Un site de destruction des munitions classiques a été aménagé à Sissonne. De nouveaux centres sont prévus à Colmar et à Amiens, de même qu'un nouveau site de stockage et de démantèlement militaire des munitions chimiques. Le programme de modernisation des équipements d'intervention et de protection civile sera poursuivi.
Je voudrais terminer, mesdames, messieurs les sénateurs, en évoquant quelques-uns des aspects du récent conflit. Des mesures ont été mises sur la table pour permettre, soit le reclassement de certains sapeurs-pompiers ayant dépassé l'âge de cinquante ans, soit leur mise en congé pour inaptitude opérationnelle.
Cela mérite d'être discuté et je demande à tous de faire preuve d'un peu de raison et de sens de la responsabilité. Chacun sait, en effet, que l'on ne peut pas traiter ce problème en dehors du contexte plus général défini par le rapport Charpin.
M. Peyronnet a évoqué les problèmes du financement, et je lui ai déjà répondu. Il faut mettre en oeuvre un bon dialogue avec les élus, le présidents de CASDIS et les sapeurs-pompiers professionnels, les directeurs de SDIS et, naturellement, les syndicats.
Ce dialogue va se poursuivre dans le cadre de la commission d'évaluation et de suivi. Je m'efforce de le faciliter autant que je peux en faisant en sorte que le face-à-face institué par la loi de 1996 se traduise par un coude à coude permettant de tirer vers l'avenir cette grande réforme qui, j'en suis sûr, permettra de réaliser un grand progrès. Comme je vous l'ai dit, nous sommes aux deux tiers, au moins, du parcours.
Il faut mener cette réforme à bien. L'horizon est celui de mai 2001 et je ne doute pas que nous y parviendrons. (Applaudissements.)
M. le président. Je rappelle au Sénat que les crédits concernant la sécurité, inscrits à la ligne « Intérieur et décentralisation », seront mis aux voix aujourd'hui, à la suite de l'examen des crédits affectés à la décentralisation.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 603 694 841 francs. »