Séance du 6 décembre 1999







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : II. - Santé et solidarité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de la santé et de la solidarité constitue le budget, à la fois, des prestations sociales délivrées par l'Etat, des interventions publiques en matière de politique de santé et du soutien au système de soins.
Comment ce projet de budget remplit-il chacune de ces trois grandes missions ? Avec quels moyens, quelle politique, quelle efficacité ? Telles sont les questions que s'est posée la commission des finances.
Votre budget, madame la secrétaire d'Etat, c'est d'abord des masses financières considérables.
Avec 90,8 milliards de francs, il constitue le sixième budget de l'Etat. Il se compose du budget de la solidarité pour 81,2 milliards de francs et de celui de la santé pour 9,6 milliards de francs.
Votre budget, c'est aussi le reflet de la politique du Gouvernement, qui conduit à une très forte progression des crédits pour 2000 : 10,6 milliards de francs, soit plus de 13 % de hausse par rapport à l'année dernière.
Et vous connaissez l'opinion de la commission des finances sur ce point : la hausse d'un budget ne traduit pas forcément une bonne politique.
Ces crédits permettent de couvrir les dépenses nouvelles résultant de la création de la couverture maladie universelle, des revalorisations de minima sociaux et de l'octroi de moyens de fonctionnement supplémentaires.
En dehors de la couverture maladie universelle, qui coûte à votre budget 7 milliards de francs, les moyens supplémentaires vous permettent donc de financer la lutte contre les exclusions, d'assurer la montée en puissance des agences de sécurité sanitaire et de renforcer les moyens du ministère.
Je ne compte pas détailler un à un les titres et chapitres de ce budget ; Mme la ministre s'en chargera, mes chers collègues, et je vous renvoie pour le reste à la lecture de mon rapport écrit, dans lequel vous trouverez toutes les précisions voulues.
Je présenterai brièvement les crédits en cinq points, avant de formuler mes principales observations.
D'abord, je constate que la hausse des minima sociaux mobilise, à elle seule, 3,2 milliards de francs supplémentaires : 2,3 milliards de francs pour le revenuminimum d'insertion, 780 millions de francs pour l'allocation pour adulte handicapé et 120 millions de francs pour l'allocation de parent isolé.
Ensuite, je remarque qu'il s'agit principalement d'un budget d'intervention, les dépenses du titre IV en constituant plus de 90 %. Celles-ci, en progression de près de 14 %, expliquent l'essentiel de l'augmentation du budget.
Dans le même temps, les moyens des services augmentent de plus de 6,5 %, qui vont pour moitié aux dotations des nouvelles agences de sécurité sanitaire, dans la création desquelles le Sénat a eu un rôle essentiel ; je crois qu'il était souhaitable de le rappeler.
Parallèlement, la tendance à la baisse des dépenses en capital se poursuit, avec une diminution d'un cinquième pour l'an 2000, alors qu'elles avaient déjà diminué d'un quart en 1999 par rapport à 1998. Comme vous le savez, mes chers collègues, cette tendance est générale et se retrouve dans tous les budgets d'équipement que le Gouvernement nous présente.
Enfin, je constate que la progression du budget est très inégalement reproduite selon les agrégats puisque la part relative aux agrégats « offre de soins » et « développement social » dans le budget du ministère diminue, et ce même si l'on retire l'effet de la couverture maladie universelle.
Cette très rapide présentation étant faite, je souhaiterais formuler quatre observations.
La première concerne la couverture maladie universelle. Je vous avais, dans mon avis, dénoncé par avance les conséquences pour le budget de l'Etat de cette réforme, voilà quelques mois.
En effet, le coût pour le budget de la santé en est d'ores et déjà de 7 milliards de francs et le coût net pour l'Etat de plus de 1 milliard de francs. Cette charge est destinée à croître, personne n'en doute.
En effet, votre budget comprend la subvention de l'Etat au fonds de financement. Or cette subvention constitue un solde dépendant d'hypothèses qui, déjà, se révèlent trop optimistes : 6 millions de bénéficiaires dépensant 1 500 francs par an pour leur couverture complémentaire. Je renouvelle donc mes craintes de voir la dépense pour l'Etat croître dans les années à venir, reproduisant les phénomènes déjà constatés pour les autres minima sociaux.
Ma deuxième observation porte justement sur l'augmentation des dépenses de minima sociaux.
En 2000, comme les années précédentes, les augmentations de crédits les plus importantes en volume du budget de la santé et de la solidarité résulteront de la croissance non maîtrisée des dépenses sociales obligatoires.
Le total des crédits consacrés à la couverture maladie universelle, la CMU, à l'allocation de parent isolé, l'API, à l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, et au RMI s'élèvera en 2000 à plus de 72 % de votre budget, madame la secrétaire d'Etat, contre déjà 69 % en 1999.
Un an après le basculement à l'Etat, les dépenses de l'API, qui étaient orientées à la baisse quand la caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, gérait cette allocation, augmentent déjà de 2,8 %.
En dix ans - et, si je retiens une période de dix ans, c'est pour marquer qu'en quelque sorte tous les gouvernements sont « dans le même bain » - les dépenses de l'AAH ont connu 70 % de hausse.
En dix ans aussi, les dépenses du RMI ont été multipliées par trois !
De combien sera la hausse de la subvention pour la CMU l'année prochaine ? C'est une question que je vous pose, madame la secrétaire d'Etat.
Je souhaite fermement critiquer la multiplication de mécanismes à guichets ouverts ne permettant aucun contrôle des dépenses et soumis à de fortes variations.
Il en résulte aussi que, sur un budget de près de 91 milliards de francs, plus de 65,6 milliards de francs sont destinés à des prestations sociales.
Il en résulte encore que, sur 10,6 milliards de francs de crédits supplémentaires, vous n'en avez en réalité que 400 millions, moins de 5 %, pour conduire vos politiques !
Ces évolutions montrent que le contexte de forte croissance économique et de redressement de l'emploi, dont Mme Aubry nous a parlé tout à l'heure, ne profite pas à tous et que cet échec pèse sur votre budget. Il fallait que cela fût dit.
Ma troisième observation porte sur les personnels et plus particulièrement sur les mises à disposition, que je détaille dans mon rapport, auquel je vous invite à vous reporter.
D'abord, je ne manque pas de m'étonner que, au moment même où se mettent en place, avec des moyens importants, des agences spécialisées qui assument plusieurs fonctions essentielles du ministère, le budget de l'emploi et de la solidarité bénéficie de 102 créations d'emploi et de 150 millions de francs de moyens de fonctionnement supplémentaires.
Je ne développerai pas non plus mon commentaire sur la tentation à laquelle vous cédez de faire figurer au titre IV des subventions de fonctionnement, correspondant notamment à la rémunération d'emplois publics permanents, au lieu de les réintégrer au titre III. Cela revient à gonfler de façon quelque peu artificielle des interventions qui n'en sont pas, comme la subvention à un institut de formation du ministère. Dans le même temps, cela revient à minorer les moyens des services. La méthode est habile mais guère orthodoxe quand il s'agit d'améliorer la lisibilité et l'efficacité de la dépense publique.
Enfin, je tiens à dénoncer très vigoureusement la subsistance de 209 postes mis à disposition de l'administration centrale par les organismes de sécurité sociale et les hôpitaux et de 166 postes dans le même cas pour les services déconcentrés, soit, au total, 375 postes. Je répète que cela revient à financer une partie du personnel de l'administration par les cotisations sociales et les dotations hospitalières. Cela ne rend pas sincères les budgets des organismes, et pas plus celui du ministère.
Enfin, cela conduit à des absurdités comme celle qui veut que la direction des hôpitaux, chargée du contrôle de ces derniers, accueille en son sein 75 agents des mêmes hôpitaux. Il est vrai que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, mais c'est une très mauvaise politique !
Vous avez prévu cette année 10 millions de francs pour résorber en partie cet état de fait. Cela va peut-être dans le bon sens, mais reste encore loin du compte. J'espère vraiment que le budget pour 2001 verra disparaître ces pratiques qui sont particulièrement critiquables. De quel montant de crédits auriez-vous besoin, madame la secrétaire d'Etat, pour régulariser toutes les situations irrégulières que l'on constate dans votre projet de budget ?
Ma quatrième observation est cursive et porte sur quelques évolutions que je ne crois pas opportunes.
Les changements de nomenclature sont encore très importants cette année. Loin de clarifier les lignes budgétaires, ils reviennent à rendre plus délicate l'appréciation des évolutions.
Par ailleurs, il convient de trouver un équilibre entre des lignes trop importantes et d'autres non significatives : la fusion des crédits de la lutte contre l'alcoolisme et le tabac ne permettra plus d'identifier les priorités du Gouvernement en ce domaine. De même, il est toujours impossible d'avoir une vision globale des crédits affectés à la lutte contre le cancer alors même que de lourdes interrogations se multiplient sur cette question. J'avais déjà formulé un diagnostic à ce sujet dans mon rapport spécial sur le cancer, publié en 1998.
Les bourses sont vraiment sacrifiées dans votre projet de budget. Les bourses médicales et paramédicales restent à niveau constant, sans même prendre en considération la hausse du coût de la vie, ou diminuent. De plus, les bourses aux formations sociales diminuent alors même que l'administration déploie des trésors d'ingéniosité pour essayer d'en faire bénéficier le maximum d'étudiants.
Les crédits en faveur des rapatriés diminuent, quant à eux, de 25 %.
Les crédits destinés aux frais de justice sont, comme d'habitude, largement sous-estimés au regard des dépenses des années précédentes.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Ils augmentent pourtant de 13 % !
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Oui, mais le rapport se situe de un à dix entre les inscriptions et les besoins.
Enfin, les dépenses relatives à l'offre de soins restent faibles et elles diminuent même en valeur relative.
L'agrégat relatif à l'offre de soins s'établit ainsi à un peu plus de 1,5 millard de francs pour 2000, soit 1,7 % du budget de la santé et de la solidarité contre 2 % en 1999. Or ces crédits sont stratégiques, parce qu'ils correspondent à la contribution budgétaire de l'Etat aux instruments de régulation des dépenses d'assurance maladie. Je vous livrerai dans un instant les observations de la Cour des comptes à cet égard.
De même, les autorisations de programme demeurent les victimes des budgets successifs puisqu'elles ne représentent plus que 539 millions de francs contre 700 millions de francs en 1999.
Ma dernière observation, la plus importante, concerne l'absence de sincérité de ce projet de budget. Trois éléments viennent sous-estimer les dépenses réelles d'environ 6 milliards de francs. Je l'ai déjà dit à M. Sautter, mais il ne m'a pas répondu sur ce point, qui concerne pourtant directement le ministère des finances.
La première insincérité porte sur 4,7 milliards de francs et concerne la pérennisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire. J'en ai fait état dans mon rapport, je n'y reviendrai donc pas.
La seconde source d'insincérité porte sur 1 milliard de francs et rejoint cette question.
Lors de la conférence de la famille, le Premier ministre a annoncé que l'Etat verserait à la CNAF une subvention de 1 milliard de francs couvrant les dépenses qu'elle engage pour le Fonds d'action sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles. Vous nous avez répété cet engagement, qui figure également dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 1999. Cependant, ce transfert de 1 milliard de francs ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2000. Vous nous avez annoncé devant la commission des finances qu'il figurerait dans le collectif 2000. Cela n'est pas acceptable au regard de l'ordonnance portant loi organique.
La troisième source d'insincérité tient au fait que l'inscription à concurrence de 7 milliards de francs seulement de la subvention de l'Etat au fonds de financement de la CMU est en contradiction avec les prévisions du Gouvernement d'un besoin d'au moins 7,2 milliards de francs et d'une subvention aux régimes spéciaux de 260 millions de francs qui ne figure nulle part dans votre projet de budget.
A cela, enfin, s'ajoute le financement de la prime de Noël aux titulaires du RMI.
Si elle est rétroactive au 1er janvier 1999, elle devrait figurer en loi de finances rectificatives pour 1999. Or, elle n'y figure pas.
Si elle est applicable au 1er janvier 2000, elle devrait figurer dans le projet de loi de finances initial pour 2000. Or, elle n'y figure pas.
Dans ces conditions, la sincérité est sujette à caution.
Ces éléments montrent bien que la sincérité du projet de loi de finances pour 2000 est gravement altérée.
Le Gouvernement reconnaît que des dépenses interviendront en 2000, mais il ne les inscrit pas dans le projet de loi de finances contrairement aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959, qui dispose que « la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. »
Ce sont donc environ 6 milliards de francs qui, d'ores et déjà, devraient s'inscrire dans le projet de loi de finances rectificative pour 2000, auxquels s'ajouteront les sous-estimations devenues habituelles de certains crédits.
Nous ne pouvons donc accepter une opération qui travestit l'autorisation budgétaire et semble montrer le peu de cas que vous faites du Parlement.
Mais je ne voudrais pas achever mon propos en disant que le Sénat, bien entendu, ne peut accepter ces évolutions et ces pratiques budgétaires critiquables, sans me référer à la Cour des comptes. J'ai repris à cet effet ses trois derniers rapports, ceux de 1997, 1998 et 1999.
Dans le rapport de 1997, la conclusion numéro 2 de la Cour des comptes est la suivante : « La clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale reste d'une urgente nécessité. » Est-elle faite ? Je vous pose la question, madame le secrétaire d'Etat.
Dans la conclusion numéro 4, je lis : « La réorganisation du système d'information ne pourra être menée à son terme qu'au prix d'un effort soutenu ». Cet effort est-il vraiment soutenu ? C'est une question que je pose aussi.
Du rapport de 1998, je tirerai trois recommandations.
Premièrement, il faut clarifier le partage des responsabilités. A ce propos, la Cour constate que « de nombreux retards et carences dans la mise en oeuvre des propositions sont le fait de l'Etat, alors même qu'elles ne soulèvent pas d'opposition de sa part ».
Deuxièmement, la Cour préconise d'accélérer la mise en place des dispositifs de maîtrise des dépenses.
Enfin, troisièmement, il faut simplifier et mieux gérer un système que vous vous ingéniez à rendre plus complexe.
Quant au rapport de septembre 1999, je ne citerai que la première conclusion de la conclusion générale, la plus importante, qui a trait aux comptes : « La réforme visant à obtenir, plus rapidement, des comptes plus fiables et en droits constatés est bien engagée mais doit être achevée dans les plus brefs délais. C'est la première priorité, sur laquelle la Cour attire à nouveau l'attention avec la plus grande vigueur. Dans la situation actuelle, il n'est pas possible d'asseoir un diagnostic certain sur l'état des comptes ». C'est la Cour des comptes qui le dit. « Les récentes améliorations ont créé, comme toujours, une hétérogénéité par rapport au passé, rendant la lecture des phénomènes paradoxalement plus difficile. » C'est ce que je disais. « Il importe de dépasser cette situation en achevant la réforme en cours. Cela suppose qu'elle soit considérée par les différentes parties prenantes, les organismes de base, les caisses nationales, le ministère de l'emploi et de la solidarité, comme une priorité de très haut rang, à laquelle il faut, durant deux ou trois ans, consacrer des moyens crédibles, donc nettement accrus. »
Je crois que tout est dit en matière financière et, partant de là, madame la secrétaire d'Etat, la commission des finances invite le Sénat à rejeter les crédits de la santé et de la solidarité pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la solidarité. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à structure constante, les crédits relatifs à la solidarité, d'un montant de 81,3 milliards de francs, augmentent de 4,5 %, ce qui traduit la volonté du Gouvernement de donner une priorité aux actions de lutte contre les exclusions et de développement social.
Pour autant, comme l'année dernière, la commission des affaires sociales a estimé que les évolutions nominales des crédits ne pouvaient pas constituer le seul critère d'appréciation de ce projet de budget.
En matière de versement des minima sociaux, de prise en charge des personnes handicapées ou inadaptées, d'hébergement d'urgence des plus démunis, d'insertion des handicapés en milieu ordinaire, les besoins sont immenses. Aucun budget ne saurait jamais suffire à les combler.
C'est pourquoi il est essentiel de juger si, à partir des moyens qui sont alloués à l'effort de solidarité, le Gouvernement ajuste bien sa politique sociale pour le rendre plus efficace.
La commission des affaires sociales a constaté avec satisfaction la continuité de l'effort du Gouvernement pour appliquer la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Force est de constater néanmoins que les minima sociaux, notamment le RMI, le revenu minimum d'insertion, absorbent la majeure partie des marges de croissance des crédits relatifs à la lutte contre les exclusions.
La mise à jour des crédits du RMI, qui aspire à elle seule 2,3 milliards de francs, contraste avec l'abondement de 266 millions de francs de l'agrégat relatif aux exclusions pour appliquer le programme national. C'est que la « machinerie » du RMI fait preuve d'une étonnante inélasticité au retour de la croissance.
Malgré la baisse du chômage, les effectifs des titulaires du RMI augmentent moins vite mais ne se réduisent pas et, qui plus est, les revalorisations du montant de l'allocation décidées par le Premier ministre induisent une forte progression des crédits alloués.
Le souci de revaloriser les minima sociaux est compréhensible. Une telle revalorisation est même souvent nécessaire. Mais il n'en serait pas moins préférable de considérer le retour de la croissance comme un instrument pour favoriser la réinsertion des titulaires du RMI plutôt que comme une manne à distribuer.
Le retour à la vie active du « noyau dur » des titulaires du RMI de longue durée ne se dessine toujours pas, malgré la mise en place de la loi contre les exclusions.
Il faut prendre garde à ce que les revalorisations du montant des minima sociaux ne deviennent un palliatif commode, mais coûteux, de la faiblesse du dispositif d'insertion ; pis, elles peuvent même parfois devenir un frein à la volonté de réinsertion des intéressés.
Concernant la formation des professions sociales, notre commission a souhaité une meilleure évaluation du coût de la formation des emplois-jeunes de l'éducation nationale. Un diplôme d'éducateur de jeunes enfants sera assurément un atout précieux pour permettre aux jeunes concernés de s'insérer sur le marché du travail à l'expiration de l'aide publique, dans cinq ans. Mais il ne faudrait pas mettre en place une « formation au rabais » qui ruinerait l'effet recherché.
S'agissant des handicapés, notre commission a pris acte avec satisfaction de l'effort exceptionnel engagé sur trois ans en faveur de l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail, grâce à une mobilisation des fonds de l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, financée par les entreprises. Elle a souligné, en revanche, le caractère préoccupant de l'augmentation continue du nombre des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH.
Parmi les trois explications de cette hausse, l'une est particulièrement inquiétante.
Bien sûr, les personnes handicapées ont eu beaucoup de difficultés, ces dernières années, à entrer sur un marché du travail lui-même déjà plus que saturé ; de plus, en raison de la pyramide des âges, des personnes qui sont entrées dans le dispositif en 1975 continuent d'en bénéficier aujourd'hui.
En revanche, apparaît trop souvent une confusion entre la notion de compensation d'un handicap et le souci, plus ou moins formulé, de pallier l'absence de revenu professionnel. En témoigne le fait que l'instauration du RMI n'a pas eu pour effet de faire basculer certains bénéficiaires de l'AAH dans le champ du RMI, comme on le pensait en 1998. Au contraire, la phase d'instruction du RMI est souvent devenue un facteur déclenchant de l'orientation vers la COTOREP, la commission technique, d'orientation et de reclassement professionnel susceptible d'ouvrir la voie à la perception d'une allocation plus durable et plus protectrice. L'AAH ne devait pas être considérée comme un « RMI consolidé ».
Le phénomène est accentué par le flou dans lequel les COTOREP prennent leurs décisions : on est frappé de constater que près du quart des demandes s'appuient sur des troubles du psychisme et que 22 % de ces demandes soient rejetées, alors que le taux de rejet est de 55 % pour les personnes présentant une déficience de l'appareil locomoteur.
Les COTOREP doivent faire l'objet d'une réforme profonde, permettant d'assurer une véritable logique de réseau et une plus grande cohérence des décisions, dont le caractère médical doit être réaffirmé.
Les disparités de comportement des COTOREP suscitent des effets pervers : plus le taux de chômage est élevé ou plus le pourcentage d'allocataires du RMI est important, plus les COTOREP reconnaissent des taux d'incapacité compris entre 50 et 80 %.
Les COTOREP doivent être recentrées sur leur mission médico-sociale et constater les handicaps irréversibles ou les maladies invalidantes de longue durée. Le réseau doit s'appuyer sur des doctrines et des pratiques homogènes. Il faut également que le passage en COTOREP soit l'occasion d'obtenir l'appui d'une équipe de conseil et de soutien pour l'élaboration d'un véritable projet de vie.
Concernant le secteur social et médico-social, les dépenses ont continué à augmenter modérément au cours de l'année 1998, confirmant ainsi la tendance constatée depuis 1996.
Il reste que la réforme du taux directeur opposable doit être appliquée avec discernement, car il ne doit pas devenir un instrument dont l'utilisation aveugle étranglerait les associations.
En effet, des menaces se profilent. Des facteurs de fond pourraient conduire à entrer dans un nouveau cycle d'expansion de dépenses après 2000. De plus, la commission a estimé que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail faisait entrer le secteur social et médico-social dans un période d'incertitude.
Réussir le passage aux 35 heures suppose en effet de tenir trois paris.
Le premier concerne la capacité d'anticipation des échéances par les établissements et les associations. En particulier dans les établissements où l'on travaille plus de 37 heures par semaine, l'accord général de modération salariale ne suffira pas pour financer suffisamment d'embauches compensatrices supplémentaires ; ces associations devront impérativement conclure un accord sur la réduction du temps de travail prévoyant des mesures particulières de blocage de la progression des carrières pour franchir le cap.
Deuxième pari : les personnels devront comprendre l'effort de modération salariale qui va leur être demandé, ce qui n'est pas évident si l'on en juge par ce qui se passe dans certains secteurs de l'économie marchande. En cas de dérapage, les financeurs, c'est-à-dire l'Etat, la sécurité sociale ou les départements, seront en première ligne.
Troisième pari : il faut, dans certains cas, réorganiser les équipes et les périodes de permanence pour intégrer les personnels nouvellement embauchés, sans augmenter excessivement les heures supplémentaires et, surtout, sans perturber la vie des personnes prises en charge ou réduire la qualité des services qui leur sont dus.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a regretté que l'encadrement administratif des agréments au titre de l'article 16 de la loi de 1975 ait été appliqué avec une lenteur et une rigidité qui n'ont pas facilité l'action des établissements dans leur démarche complexe de recherche d'un accord. Il a fallu quatre mois pour agréer l'accord du SNAPEI, le syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales, et près de neuf mois et de multiples tractations en coulisses pour que l'accord FEHAP - fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif - puisse enfin entrer en vigueur.
La déconcentration de l'instruction des accords d'établissement était nécessaire dès lors que la décision avait été prise suivant laquelle chacun de ces accords devait passer devant la commission nationale d'agrément. Mais, trop souvent, au début de cet automne, les gestionnaires d'associations ont eu le sentiment que les services déconcentrées de l'Etat ne comprenaient pas l'enjeu qui s'attachait à l'agrément des accords avant la date fatidique du 1er janvier 2000.
Il est vrai, madame la secrétaire d'Etat, que Mme Aubry a répondu à l'une des inquiétudes des associations qui se demandaient quel régime allait leur être appliqué entre l'entrée en vigueur des 35 heures et la date effective de l'agrément. Elle a fait état de cette réponse devant notre commission.
Quoi qu'il en soit, même si la procédure d'agrément apporte d'utiles garanties, on pourra regretter qu'elle n'ait pas été mise en oeuvre avec plus de souplesse et de « réactivité » aux besoins des établissements.
Tout se passe comme si les services de l'Etat n'étaient pas capables de faire preuve de cette souplesse et de cette capacité d'adaptation que l'on demande aux entreprises privées pour mettre en oeuvre les 35 heures.
Enfin, des arrêts récents des juges administratifs et judiciaires peuvent générer des coûts inattendus pour les financeurs. Après la question, semble-t-il réglée, de la fixation des horaires d'équivalence pour les heures de permanence nocturne en chambre de veille, se posent celles du statut des foyers à double tarification pour les adultes lourdement handicapés et des règles de prise en charge applicables aux jeunes handicapés maintenus en institut médico-éducatif au-delà de l'âge de vingt ans. Cela fait l'objet d'un amendement désormais fameux.
La réouverture de ces dossiers sensibles ne doit pas donner lieu à des transferts de charge au détriment des collectivités locales.
Parce que ce budget ne semble pas suffisamment préparer l'avenir et qu'il laisse subsister des risques d'aggravation des dépenses, parce que le passage aux 35 heures fait peser des menaces sur le secteur médico-social, la commission des affaires sociales a donné un avis défavorable quant à l'adoption des crédits relatifs à la solidarité dans le projet de budget pour 2000. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer, rapporteur pour avis.
M. Louis Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la santé. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au sein du budget de l'emploi et de la solidarité, le budget de la santé s'élève, pour 2000, à 4 milliards de francs, en progression de 4,9 % par rapport à 1999.
La principale priorité affichée par le Gouvernement concerne la sécurité et la veille sanitaires. Cela se traduit par le renforcement des moyens mis à la disposition des agences de sécurité sanitaire et de l'Institut de veille institués par la loi, issue d'une initiative sénatoriale, du 1er juillet 1998. Je rappellerai ici que ces institutions ont été créées avec plus de trois mois de retard par rapport aux délais qui avaient été fixés par le législateur.
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé recevra en 2000 une subvention de l'Etat de 174 millions de francs, soit 55 millions de francs de plus que celle qui avait été accordée en 1999. Il convient d'y ajouter une subvention de 810 000 francs destinée à la recherche : cette subvention est stable en francs courants par rapport à celle qui avait été accordée en 1999.
Les subventions de l'Etat sont désormais très minoritaires dans le financement de l'agence : ainsi, en 1999, sur un budget de fonctionnement de 405 millions de francs, 274 millions de francs, soit les deux tiers, provenaient de ressources propres de l'agence constituées par les diverses taxes et redevances versées par les industriels.
La commission des affaires sociales estime que l'origine des ressources de l'agence n'est désormais plus équilibrée ni adaptée à ses nouvelles missions.
Elle n'est plus équilibrée, car le rapport entre les financements par redevance et les subventions publiques, qui est aujourd'hui de deux tiers un tiers, est désormais trop élevé.
Ce jugement est d'autant plus fondé que les missions de l'agence ont évolué avec la loi du 1er juillet 1998. Il n'est pas juste que seule l'industrie pharmaceutique contribue au financement de l'agence, alors que cette dernière est désormais en charge de tous les produits de santé et des produits cosmétiques.
Le Gouvernement aurait dû nous proposer, par exemple dans le DMOS annexé au projet de loi instituant une couverture maladie universelle, une réforme du financement de l'agence de sécurité sanitaire des produits de santé qui prenne en considération l'évolution de ses missions.
Pareille réforme eût été également nécessaire pour l'agence française de sécurité sanitaire des aliments. En effet, le financement de celle-ci ne repose aujourd'hui, en pratique, que sur des subventions publiques pour sa mission d'évaluation des risques sanitaires des aliments.
Aucune taxe existante n'a été affectée à l'agence, fût-ce en partie, à l'exception des redevances liées à l'activité de l'agence du médicament vétérinaire.
L'agence, pour ses activités non vétérinaires, doit donc négocier l'intégralité de ses ressources avec les administrations centrales, dont on a vu, au cours de la discussion de la proposition de loi relative à la veille et la sécurité sanitaires, que leur première préoccupation n'était pas toujours - et c'est un euphémisme - de favoriser le développement de l'agence.
Il ne serait pas souhaitable non plus que l'agence soit contrainte de « mendier » des ressources auprès des industriels en cherchant à développer une activité de « services rendus ». C'est pourquoi la commission estime que le Gouvernement aurait dû, dès cette année, réaffecter des taxes existantes au fonctionnement de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments.
En outre, en 1999, la part de la subvention du ministère de la santé dans le budget de l'agence a représenté seulement 4,8 % de son budget, part qui nous paraît trop faible pour que le ministère de la santé puisse s'imposer, si nécessaire, face aux autres ministères de tutelle.
Il faut, en effet, tenir compte des 182 millions de francs inscrits au budget de l'agriculture pour financer les missions d'appui scientifique et technique et les programmes de recherche.
Troisième institution créée par la loi du 1er juillet 1998, l'Institut de veille sanitaire avait été doté, en loi de finances pour 1999, de 62,6 millions de francs. Il a en outre reçu, au titre de conventions conclues avec différents ministères et les institutions européennes, 24,5 millions de francs, auxquels il faut ajouter 17 millions de francs au titre d'exercices antérieurs, soit un budget de fonctionnement total de 105 millions de francs.
Nous voudrions, madame la secrétaire d'Etat, souligner l'insuffisante application de la loi du 1er juillet 1998. En effet, les textes réglementaires concernant les dispositifs médicaux, les réactifs de laboratoire, les tissus et cellules, les produits thérapeutiques annexes, ainsi que les textes réglementaires sur l'Etablissement français du sang n'ont toujours pas été publiés plus d'un an après la promulgation de la loi. Ce délai peut être considéré comme trop long, s'agissant de mesures de sécurité sanitaire.
Nous souhaiterions aussi savoir, madame la secrétaire d'Etat, quand interviendra le décret transférant à l'agence les laboratoires actuellement rattachés à d'autres ministères, notamment au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en viens à la prévention.
Ce qu'il est désormais convenu d'appeler « la lutte contre les pratiques addictives », la lutte contre le sida et la prévention constituent traditionnellement un poste important du budget de la santé.
Il faut souligner que, cette année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale a prévu une débudgétisation de 100 millions de francs en faisant supporter à l'assurance maladie, plutôt qu'à l'Etat, l'intégralité des dépenses des centres de dépistage anonyme et gratuit, des centres de planification ou d'éducation familiale, ainsi que les dépenses de désintoxication des toxicomanes réalisées avec hébergement dans les établissements de santé.
Je tiens à souligner aussi les modifications de nomenclature budgétaires intervenues cette année, et qui ont eu pour objet de rassembler au sein d'un même chapitre - le chapitre 47-15 - les crédits de la lutte contre la toxicomanie et ceux de la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.
Il devient désormais très difficile d'y voir clair, ce chapitre ne comportant que deux articles respectivement consacrés aux dépenses déconcentrées et aux dépenses non déconcentrées.
L'absence de clarté de cette politique ne se traduit pas uniquement sur le plan financier, l'idée d'une politique de lutte contre « toutes les dépendances » étant de nature à entraîner la confusion entre produits licites et illicites.
S'agissant, enfin, de l'offre de soins, je souhaite évoquer les crédits destinés à favoriser l'adaptation de l'offre hospitalière, affectés à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, et au Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO.
Les ressources du budget de l'ANAES proviennent, pour l'instant, d'une subvention de l'Etat et d'une subvention de l'assurance maladie. En 1999, elles ont représenté respectivement 28,9 millions de francs et 57,9 millions de francs. Pour 2000, la subvention de l'Etat progresse dans le projet de loi de finances de 16 millions de francs.
La commission des affaires sociales regrette, à l'occasion de l'examen de ce projet de budget, le retard pris pour le démarrage des procédures d'accréditation des établissements de santé.
Certes, l'agence, dont le travail d'évaluation avait été apprécié, s'est vu confier, au fil des ans, des missions de plus en plus nombreuses qu'il lui semble difficile d'assumer. Il en est ainsi, notamment, des compétences que lui avaient confiées les ordonnances du 24 avril 1996 en matière d'évaluation des dispositifs médicaux. Ces compétences seront d'ailleurs transférées à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à compter de la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale.
Mais l'ordonnance a aussi prévu que tous les établissements de santé devront être soumis à la procédure d'accréditation avant la fin de l'année 2000. Ce calendrier ne pourra très vraisemblablement pas être respecté, le conseil d'accréditation de l'agence n'ayant été nommé qu'à l'automne 1999 et le nombre d'établissements soumis à la procédure étant très insuffisant.
Le budget de la santé comprend aussi, au chapitre 66-22, la subvention annuelle au Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, créé en 1998 pour accorder des aides à l'investissement aux établissements de santé qui présentent des projets de restructuration. Il avait été doté, en 1999, de 250 millions de francs d'autorisations de programme et de 150 millions de francs de crédits de paiement.
Pour 2000, le présent projet de loi de finances ouvre une enveloppe de 200 millions de francs en autorisations de programme et de 265 millions de francs en crédits de paiement. Cette augmentation des crédits de paiement résulte du retard pris au cours des années précédentes dans l'instruction des dossiers et la délivrance des subventions.
Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes a établi un bilan très critique du fonctionnement de ce fonds, pourtant institué en loi de finances.
Elle critique, notamment, la procédure de sélection des dossiers. Ainsi, elle note qu'en 1998 l'instruction des dossiers a pris un grand retard, qui s'est traduit par un faible taux de consommation des crédits. Elle souligne qu'une forte proportion des dossiers sélectionnés par les agences régionales de l'hospitalisation, les ARH, n'étaient pas éligibles au FIMHO. C'était le cas, en 1998, de 40 % des dossiers présentés.
Les critiques adressées au FIMHO sont d'autant plus graves que ce fonds rassemble désormais l'intégralité des subventions d'Etat aux équipements hospitaliers. En outre, l'extinction des subventions d'Etat intervient au moment où les établissements de santé devront financer de nombreux investissements de sécurité, notamment à l'occasion de leur préparation à l'accréditation.
Je souhaiterais également savoir, madame la secrétaire d'Etat, si l'Etat aidera les établissements de santé à financer les surcoûts résultant de la prochaine application de la loi sur les 35 heures.
Pour toutes ces raisons - absence de réforme du financement des agences de sécurité sanitaire, confusion des genres dans la politique de lutte contre les dépendances et retards dans la politique d'accréditation et de restructuration de l'offre hospitalière - la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la santé pour 2000. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)