Séance du 30 novembre 1999







M. le président. Par amendement n° I-98, M. Massion et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 14, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 2° de l'article 1449 du code général des impôts est complété par les mots suivants : "ainsi que les sociétés de manutention portuaire."
« II. - Les pertes de recettes pour les collectivités locales résultant du I sont compensées par une augmentation à due concurrence de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
« III. - Les pertes de recettes pour l'Etat sont compensées à due concurrence par une hausse des tarifs prévus à l'article 885 U du code général des impôts. »
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Cet amendement a pour objet de permettre aux collectivités locales d'exonérer de la taxe professionnelle les équipements spécifiques des entreprises de manutention portuaire.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la Cour des comptes vient de publier un rapport sur la politique portuaire française. J'extrais une phrase de sa conclusion : « L'Etat n'a pas su ou voulu mettre en oeuvre une politique déterminée et cohérente à l'égard des ports maritimes. »
En effet, il y a eu carence en matière d'évolution du statut des ports, de poursuite de la réforme de la filière portuaire, d'aménagement des dessertes routières, ferroviaires et fluviales. Je n'en donnerai qu'un seul exemple : c'est seulement dans le prochain contrat de plan que figure la mise à deux fois deux voies d'une route qui relie la Beauce au premier port exportateur de céréales en Europe. Si nos voisins hollandais ou belges s'étaient trouvés dans la même situation géographique, je peux vous affirmer que la desserte serait assurée depuis des décennies !
Tous les acteurs des communautés portuaires ont aussi leur part de responsabilité.
A cette difficulté franco-française s'ajoutent les conditions de concurrence avec les autres ports européens, notamment belges et hollandais, aussi bien sur le plan des financements publics que sur celui de la fiscalité.
Malgré les apparences, les financements publics sont beaucoup plus importants chez nos voisins. Ainsi, en Belgique, 600 millions de francs sont consacrés à l'entretien de trois ports, dont 260 millions de francs pour le seul port d'Anvers, alors qu'en France 400 millions de francs seulement sont alloués à cinq ports.
Au regard de la fiscalité, les ports français sont également pénalisés. La taxe professionnelle ou la taxe équivalente sur les équipements portuaires n'existe pas dans les ports européens, ce qui contribue à les rendre plus attractifs.
Ce dossier a été présenté à la Commission européenne, qui s'est d'abord montrée hostile, puis réservée et, maintenant, bienveillante. Il convient donc de marquer notre souci et notre volonté de contribuer à l'harmonisation des règles de concurrence entre les ports européens. C'est une des conditions du maintien et du développement de l'emploi dans ce secteur.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission souhaite entendre le Gouvernement avant de seprononcer.
M. le président. Quel est, donc, l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement reconnaît en M. Massion un défenseur acharné - mais ce n'était plus à prouver ! - de l'activité portuaire française et notamment de celle du Havre. Nous avons déjà eu souvent l'occasion de nous en entretenir, et je crois qu'il est légitime que je dise combien l'un de vos collègues, mesdames, messieurs les sénateurs, se porte aux avant-postes d'un combat économique européen en faveur de l'essor économique de nos installations portuaires et du développement de l'emploi qui en découle.
M. Massion propose d'instituer une exonération facultative de taxe professionnelle, sur délibération des collectivités locales concernées, des outillages spécifiques de manutention portuaire situés dans les ports exonérés de cette taxe.
Le problème, monsieur Massion, est que ce type d'aide tombe sous le coup de ce qu'on appelle à Bruxelles des « aides d'Etat » et qu'elle devrait rester conforme, pour être acceptée, à nos engagements européens.
Cela signifie qu'elle doit faire l'objet d'une notification à la Commission. Cela a été fait. Dans le cas particulier, la Commission a souhaité, hélas ! ouvrir la procédure de l'article 88 du traité des Communautés européennes, procédure qui a un effet suspensif et qui prévoit la publication au Journal officiel des Communautés européennes de la mesure projetée afin de permettre à nos partenaires, et donc aux concurrents que vous venez de citer, de faire valoir leurs observations. Cette procédure est actuellement en cours.
L'adoption de votre amendement serait prématurée, car la mise en oeuvre d'une telle disposition pourrait nuire aux entreprises concernées, dès lors que la Commission n'a pas manqué de nous rappeler que toute aide octroyée de manière non conforme au droit communautaire ferait l'objet, auprès de son bénéficiaire, d'une récupération - cela me rappelle un autre débat, que connaît bien celui qui, au Gouvernement, est en charge de l'industrie - majorée d'un intérêt.
Voilà où nous en sommes.
Je rends hommage à votre « punch » concernant l'activité portuaire, mais je pense qu'il serait plutôt contreproductif d'aller au-delà, car nous attirerions le regard acéré des ports européens concurrents sur des mesures qui seraient considérées comme des aides d'Etat.
Nous nous battons bien dans le bon sens, il n'y a pas d'ambiguïté à cet égard, mais attendons la réponse de la Commission européenne.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Compte tenu de ce qui a été dit par M. le secrétaire d'Etat, je crains que M. Massion ne doive retirer son amendement, car celui-ci paraît prématuré. Il serait éventuellement dangereux, en effet, qu'il fût voté avant que la procédure qui est de rigueur en la matière ne se soit déroulée jusqu'à son terme.
M. le président. Monsieur Massion, l'amendement n° I-98 est-il maintenu ?
M. Marc Massion. Je sais bien que la Commission européenne est très susceptible, monsieur le secrétaire d'Etat, mais il faut garder présent à l'esprit le fait qu'elle travaille aussi sous la pression des Néerlandais et des Belges, qui sont beaucoup plus influents et présents à Bruxelles que nous ; je veux dire : les pouvoirs publics et les professions portuaires.
Par cet amendement, nous ne proposons pas de conférer un avantage aux ports français, puisque l'exonération que je propose porte sur une taxe qui n'existe pas ailleurs. Il s'agit au contraire de mettre tout le monde sur un pied d'égalité.
Cependant, au bénéfice de l'engagement que vous avez pris de soutenir cette proposition à Bruxelles,...
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Nous l'avons déjà fait !
M. Marc Massion. ... je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° I-98 est retiré.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jacques Valade.)